N° 128

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 novembre 2023

RAPPORT GÉNÉRAL

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi de finances, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour 2024,

Par M. Jean-François HUSSON, 

Rapporteur général,

Sénateur

TOME III

LES MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES

(seconde partie de la loi de finances)

ANNEXE N° 9

DÉFENSE

Rapporteur spécial : M. Dominique de LEGGE

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) : 1680, 1715, 1719, 1723, 1745, 1778, 1781, 1805, 1808, 1820 et T.A. 178

Sénat : 127 et 128 à 134 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

La mission « Défense » porte le budget du ministère des armées pour assurer la politique de défense de la France.

I. UNE ÉVOLUTION DES CRÉDITS CONFORME À LA TRAJECTOIRE PRÉVUE PAR LA NOUVELLE LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE

En projet de loi de finances (PLF) pour 2024, les crédits demandés au titre de la mission « Défense » s'élèvent à 67,8 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 56,8 milliards d'euros en crédits de paiement (CP).

Cet effort budgétaire, correspondant à 1,9 % du PIB, est important en comparaison internationale.

Comparaison des budgets de défense des principales puissances militaires en valeur absolue et rapportés à la richesse nationale et à la population

(en pourcentage du produit intérieur brut, en euros par habitant et en euros)

Lecture : la circonférence des cercles correspond au budget de défense exprimé en valeur absolue.

Note : Les dépenses militaires incluent les charges de pensions et sont mesurées en euros 2021, convertis aux taux de parité de pouvoir d'achat (France, 2021).

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial (données : Otan ; Stockholm International Peace Research Institute pour les pays hors Otan)

L'année 2024 est synonyme d'entrée dans la nouvelle loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030, entrée en vigueur le 1er août 2023. Son adoption résulte du bouleversement géostratégique induit par la guerre en Ukraine, qui a amené le Parlement, à l'initiative du Président de la République, à décider d'interrompre la programmation en cours (2019-2025).

La nouvelle LPM prévoit une enveloppe de 400 milliards d'euros en CP pour la période, soit une hausse de plus de 100 milliards d'euros par rapport à la précédente, Le projet de loi initial prévoyait de reporter l'essentiel de l'effort sur les trois dernières années de la programmation - soit au prochain quinquennat. Le Sénat a souhaité accélérer la mise en oeuvre de ces efforts à enveloppe constante, et ainsi « lisser » la trajectoire. L'accord trouvé en commission mixte paritaire, repris dans le texte adopté, a permis de satisfaire cette attente.

Hors pensions et à périmètre courant, les CP progresseraient de 3,3 milliards d'euros pour s'établir à 47,2 milliards d'euros, soit un strict respect de la marche prévue par la LPM.

Comparaison entre la trajectoire du projet de loi initial et de la LPM 2024-2030 adoptée

(en milliards d'euros courants)

 

2024

2025

2026

2027

2028

2029

2030

Total
2024-2030

Projet de loi initial

47,04

50,04

53,04

56,04

60,32

64,61

68,91

400,00

Variation par rapport à l'année N-1

+ 3,1

+ 3,0

+ 3,0

+ 3,1

+ 4,3

+ 4,3

+ 4,3

LPM adoptée

47,2

50,5

53,7

56,9

60,4

63,9

67,4

400,00

Variation par rapport à l'année N-1

+ 3,3

+ 3,3

+ 3,2

+ 3,5

+ 3,5

+ 3,5

+ 3,5

Note : Le périmètre de la LPM 2024-2030 porte sur les CP de la mission « Défense » à périmètre constant, hors contribution au CAS « Pensions ».

Source : commission des finances du Sénat

II. DES INQUIÉTUDES SUBSISTENT QUANT À L'ATTEINTE DES AMBITIONS FIXÉES PAR LA PROGRAMMATION MILITAIRE

A. LA FIN DE GESTION 2023 : UNE ENTRÉE « À CRÉDIT » DANS LA NOUVELLE LPM

Comme les années précédentes, la fin de gestion 2023 est marquée par la nécessité de financer des surcoûts liés aux opérations extérieures et missions intérieures, à la hausse des carburants ainsi que, à l'instar de l'exercice 2023, au soutien à l'Ukraine et à la participation à des missions de renforcement du flanc Est de l'Otan. Hors soutien à l'Ukraine, les ouvertures nettes de crédits prévues par le projet de loi de finances de fin de gestion (PLFFG) pour 2023 en cours d'examen par le Parlement permettent une compensation seulement partielle de ces surcoûts (85 %), à rebours des dispositions de la LPM qui prévoient leur prise en charge par la solidarité interministérielle.

La fin de gestion se caractérise par des ouvertures de crédits à hauteur de 1,5 milliard d'euros en CP destinée à améliorer les conditions d'entrée dans la LPM, consacrée à la diminution du report de charges - qui resterait à un niveau élevé (15 % des crédits de la mission hors masse salariale) - et à l'anticipation de certaines commandes. Néanmoins, cette enveloppe n'est également que partiellement prise en charge par crédits frais. Son financement est pour partie assuré par un dégel de la réserve de précaution et des annulations brutes de crédits, entraînant le décalage à 2024 d'opérations relatives à certains programmes d'équipement. Ces décalages, qui s'ajoutent à un report de charges demeurant important, font entrer le ministère des Armées « à crédit » dans la nouvelle LPM.

En synthèse, sur 2,9 milliards d'euros de besoins à financer, un peu plus du quart est laissée à la charge du ministère des Armées

Synthèse du schéma de fin de gestion (CP)

(en millions d'euros)

Besoins à financer

Schéma de fin de gestion

Soutien à l'Ukraine

368

Ouvertures nettes

(PLFFG)

2 175

Enveloppe exceptionnelle pré-LPM

1 500

Surcoûts opérationnels

1 000

Annulations

693

Total

2 868

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par le ministère des Armées

B. LES EFFECTIFS : UNE OMBRE AU TABLEAU DE LA PROGRAMMATION ?

La LPM 2024-2030 prévoit une augmentation nette des effectifs de 6 300 équivalents temps-plein (ETP) sur la période de programmation, dont 700 ETP au titre de 2024.

Or, conséquence des importantes tensions sur le marché du travail, le schéma d'emploi prévu en PLF 2024 s'élève à 400 ETP, ce qui correspond à une révision à la baisse de la cible de plus de 40 % dès la première année, alors même que le PLF a été déposé à peine deux mois après l'adoption de la LPM. L'excès d'optimisme dont le Gouvernement a fait preuve est de nature à fragiliser considérablement la crédibilité de l'atteinte des objectifs de la programmation, ce d'autant plus qu'une bonne partie des créations d'emplois prévues, qui étaient en effet directement liées à certaines priorités militaires structurantes, correspondant à des compétences rares et très recherchées sur le marché du travail.

Les sous-exécutions massives des schémas d'emplois observées dans la période récente ou prévue pour 2023 ne sont pas de nature à rassurer à cet égard.

Prévision et exécution des schémas d'emplois depuis 2019 (périmètre LPM)

(en ETP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

C. LES ÉQUIPEMENTS : DES ENJEUX DE RECOMPLÈTEMENTS QUI DEMEURENT PRÉGNANTS

La LPM 2024-2030 s'inscrit dans la continuité de la précédente LPM, elle-même adossée à une programmation visant à poser les jalons permettant d'atteindre « l'Ambition 2030 ». Pour autant, la programmation proposée pour 2024 2030 prévoit le décalage de ces cibles à l'horizon 2035 sur certains segments pourtant majeurs concernant les trois forces. Sont notamment concernés le programme Scorpion de renouvellement des capacités de combat de l'armée de Terre, le programme « Frégates de défense et d'intervention » de la Marine ainsi que le programme Rafale de l'armée de l'Air et de l'Espace.

Néanmoins, les crédits consacrés à l'opération stratégique « Programmes à effet majeur » s'élèveraient à 9,1 milliards d'euros, soit une hausse de 600 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale (LFI) 2023.

Évolution des crédits prévus au titre de l'opération stratégique
« Programmes à effet majeur » depuis 2019

(en milliards d'euros et en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire

Cette hausse des crédits ne doit pas masquer les besoins de recomplètements important auxquels les armées font face, liés notamment :

- au prélèvement pour l'export sur la dotation de l'armée de l'Air et de l'Espace de 24 Rafale, au profit de la Grèce (12) et de la Croatie, et au titre desquels le recomplètement intégral n'est prévu que pour 2027 ;

- à l'important effort de soutien aux forces armées ukrainiennes, avec notamment la cession de 30 canons Caesar en 2023 ;

L'année 2023 a été celle du retour à un parc de 100 Rafale, qui reste très loin de la cible 2035 (185 appareils).

D. LA PRÉPARATION OPÉRATIONNELLE : UNE INTERRUPTION DE LA DIFFUSION DES INDICATEURS DE PERFORMANCE QUI INTERROGE, ALORS QUE DES INSUFFISANCES IMPORTANTES ONT ÉTÉ CONSTATÉES PAR LE PASSÉ

La guerre en Ukraine a rappelé la nécessité impérieuse de préparer les armées françaises à une opération de coercition majeure dans le cadre d'une coalition internationale, pour lesquelles le calendrier est subi et impliquant des combats de haute intensité.

Pour autant, la préparation opérationnelle est grevée par une disponibilité insuffisante des matériels. À titre d'exemple, les cessions mentionnées supra pèsent directement sur notre potentiel militaire, comme en témoigne la faible disponibilité des obus de 155 mm tirées par les canons Caesar (seulement 55 % en 2022, contre une cible à 90 %) et des avions de combat (62 % en 2022, contre une cible à 84 %), dont il résulte une préparation insuffisante des pilotes (169 heures de vol en 2022, contre une cible LPM à 180 heures de vol).

Il convient cependant à cet égard de souligner les efforts importants qui sont menés en matière de maintien en condition opérationnelle, avec une hausse soutenue des crédits dédiés à l'entretien programmé du matériel.

Évolution des crédits en faveur de l'entretien programmé des matériels (CP)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire

Il faut néanmoins souligner que le projet annuel de performances de la mission « Défense » annexé au PLF 2024 comporte une refonte de la maquette de performance qui s'accompagne d'une interruption de la publication des indicateurs relatifs à la disponibilité des matériels à l'activité des forces. Ces données, désormais classées « diffusion restreinte-spécial France » restent accessibles aux parlementaires des commissions chargées des finances et de la défense, mais ne sont plus disponibles en source ouverte.

Les responsables des états-majors auditionnés ont indiqué que le ministère des Armées, dans un souci de transparence, aurait fait preuve par le passé d'une forme de « naïveté » en publiant ainsi des éléments de nature à révéler de façon assez précise notre potentiel militaire à nos compétiteurs.

Si le rapporteur spécial est bien entendu sensible à cet enjeu, il s'interroge sur le choix d'interrompre la diffusion de ces indicateurs dans leur intégralité alors que ceux-ci constituent un élément essentiel du débat budgétaire. Il appelle ainsi le ministère des Armées, dans la perspective de l'élaboration des documents budgétaires afférents aux prochains textes, à s'efforcer de rechercher un meilleur équilibre entre la protection de la sécurité nationale et la transparence vis-à-vis des parlementaires et des citoyens qui est inhérente au dispositif de performance de la dépense publique. À titre d'exemple, les documents annexés aux projets de lois relatives aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année pourraient à tout le moins diffuser un indicateur de taux de réalisation des cibles prévues, sans révéler le niveau de la cible en valeur absolue, que les rapporteurs pourraient continuer de vérifier sous une version non diffusable, afin que le débat puisse s'engager sur cette base.

E. LES INFRASTRUCTURES : LE MINISTÈRE DES ARMÉES FACE AU MUR DE LA « DETTE GRISE »

Conséquence des sous-dotations chroniques en matière d'entretien et de rénovation, la dégradation du parc immobilier du ministère des Armées est désormais un fait avéré.

Performance du patrimoine du ministère des Armées mesuré
par le Service d'infrastructures de la défense

(en pourcentage de la superficie en m2)

Année

Risque faible

Risque moyen

Risque élevé

Risque très élevé

2014

25,0

64,1

10,0

0,9

2015

22,9

65,4

11,0

0,7

2016

20,6

65,2

13,5

0,7

2017

18,3

60,8

18,9

2,0

2018

15,1

64,4

18,8

1,7

2019

9,9

70,4

18,0

1,7

2020

12,9,

66,4

19,2

1,5

2022

12,8

61,3

24,1

1,8

Note : les données 2021 sont indisponibles.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Comme le montre le tableau ci-dessus, la part du patrimoine représentant un risque élevé ou très élevé est passée de 10,9 % en 2014 à 25,9 % en 2022. À cet égard, le rapporteur ne peut que saluer l'effort important annoncé en LPM 2024-2030 en matière d'infrastructures. Celle-ci prévoit à cet effet une enveloppe de 16 milliards d'euros (contre 12 milliards d'euros prévus sous la précédente programmation), même si un tel niveau de dépenses aurait sans doute pu être évité en anticipant davantage les besoins et en procédant en temps utile aux remises en état nécessaires.

Réunie le mercredi 15 novembre 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a décidé de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission.

Réunie à nouveau le jeudi 23 novembre 2023 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé sa décision.

Au 10 octobre 2023, date limite, en application de l'article 49 de la loi organique relative aux lois de finances, pour le retour des réponses du Gouvernement aux questionnaires budgétaires concernant le présent projet de loi de finances, 83 % des réponses portant sur la mission « Défense » étaient parvenues au rapporteur spécial.

PREMIÈRE PARTIE :
UN BUDGET 2024 SYNONYME D'ENTRÉE DANS LA NOUVELLE LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE

I. UN BUDGET QUI TRADUIT L'EFFORT BUDGÉTAIRE IMPORTANT DE LA NATION EN FAVEUR DE SA DÉFENSE

A. LES CRÉDITS DEMANDÉS POUR 2024 S'ÉLÈVENT À 56,8 MILLIARDS D'EUROS, SOIT UNE HAUSSE DE 7 % PAR RAPPORT À LA LOI DE FINANCES INITIALE POUR 2023

La mission « Défense » porte le budget du ministère des armées pour assurer la politique de défense de la France.

Les autorisations d'engagement (AE) demandées s'élèvent à 67,8 milliards d'euros en projet de loi de finances (PLF) pour 2024 contre 62 milliards d'euros en loi de finances initiale (LFI) pour 2023 soit une hausse de 9,4 %.

Les crédits de paiement (CP) demandés s'élèvent quant à eux à 56,8 milliards d'euros en PLF 2024 contre 53,1 milliards d'euros en LFI 2023, soit une hausse de 6,9 %.

Pour mémoire, la mission se décompose en quatre programmes :

le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » rassemble les crédits destinés à éclairer le ministère des armées sur l'environnement stratégique présent et futur ainsi que sur la stratégie internationale du ministère des armées, par le renseignement, la recherche stratégique et industrielle, et la diplomatie de défense. Les crédits demandés pour 2024 s'élèvent à 2,2 milliards d'euros en AE, soit une hausse de 10,5 % par rapport à la LFI 2023 et à 2,0 milliards d'euros CP, soit une hausse de 3,2 % ;

le programme 178 « Préparation et emploi des forces », placé sous la responsabilité du chef d'état-major des armées, vise à satisfaire aux exigences définies par les contrats opérationnels des armées. Il constitue ainsi le coeur de la mission « Défense ». Les crédits demandés pour 2024 s'élèvent à 16,5 milliards d'euros en AE, soit une hausse de 32,1 % par rapport à la LFI 2023 et à 13,6 milliards d'euros en CP, soit une hausse de 12,6 % ;

le programme 212 « Soutien de la politique de défense », rassemble les crédits destinés aux fonctions supports du ministère des armées, hors achat d'armement. Il comprend en particulier l'intégralité des crédits de titre 2 (T2) dédiés aux dépenses de personnel. Les crédits demandés pour 2024 s'élèvent à environ 24,7 milliards d'euros en AE et en CP, soit une hausse de plus de 3 % par rapport à la LFI 2023. En particulier, les dépenses de T2 s'élèveraient à 23,2 milliards d'euros, soit une hausse de 3,5 % par rapport à la LFI 2023 ;

le programme 146 « Équipement des forces », co-piloté par le chef d'état-major des armées et par le délégué général pour l'armement (DGE), vise à mettre à disposition des armées les armements et matériels nécessaires à la réalisation de leurs missions et concourt au développement et au maintien de la base industrielle et technologique de défense (BITD) française. Les crédits demandés pour 2024 s'élèvent à 24,4 milliards d'euros en AE, soit une hausse de 3,7 % par rapport à la LFI 2023 et à 16,6 milliards d'euros en CP, soit une hausse de 7,9 %. 

Les crédits des programmes de
la mission « Défense » en LFI 2023 et en PLF 2024

(en millions d'euros et en pourcentage)

Programme

LFI 2023

PLF 2024

Variation 2024/2023

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Programme 144 « Environnement et prospective de la défense »

1 989,8

1 906,2

2 198,4

1 967,6

+ 10,5 %

+ 3,2 %

Programme 178 « Préparation et emploi des forces »

12 559,5

12 052,6

16 584,5

13 577,5

+ 32,0 %

+ 12,7 %

Programme 212 « Soutien de la politique de défense »

23 941,2

23 776,7

24 687,9

24 641,8

+ 3,1 %

+ 3,6 %

Programme 146 « Équipement des forces »

23 514,8

15 380,9

24 392,9

16 591,4

+ 3,7 %

+ 7,9 %

TOTAL

62 005,3

53 116,4

67 863,7

56 778,3

+ 9,4 %

+ 6,9 %

Note : hors attributions de produits et fonds de concours.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Le ministère des armées a développé une nomenclature propre pour assurer le pilotage de ses crédits, en les regroupant par opérations stratégiques (OS), transversales aux différents programmes. Les cinq principales OS concernent :

les rémunérations, pensions comprises, qui représentent une dépense de 23 milliards d'euros, soit 41 % des CP de la mission ;

les programmes à effet majeur (PEM), qui regroupent les activités associées aux opérations d'armement les plus structurantes, et représentent une dépense de 9,1 milliards d'euros, soit 16 % des CP de la mission ;

la dissuasion nucléaire, qui représente une dépense de 6,4 milliards d'euros, soit 11 % des CP de la mission ;

- l'entretien programmé du matériel, soit les dépenses de maintenance des équipements, qui représente une dépense de 5,7 milliards d'euros, soit 10 % des CP de la mission ;

- l'agrégat « fonctionnement et les activités spécifiques », qui regroupe les dépenses liées aux fonctions support du ministère des Armées et représente une dépense de 2,8 milliards d'euros, soit 5 % des CP de la mission ;

Répartition des crédits de paiement de la mission « Défense »
par opération stratégique en PLF 2024

(en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

La politique de défense constitue enfin la seconde politique publique de l'État en termes d'effort financier global (dépenses fiscales et ressources affectées comprises), après l'enseignement scolaire. Elle représente une masse financière inférieure à celle des engagements financiers de l'État, essentiellement composés de la charge de sa dette.

Moyens globaux alloués aux missions du budget général,
hors dépenses des comptes spéciaux et remboursements et dégrèvements1(*)

(en milliards d'euros)

Source : Rapport général (Tome I) relatif au projet de loi de finances pour 2024, fait par Jean-François Husson au nom de la commission des finances du Sénat2(*)

B. UN EFFORT BUDGÉTAIRE IMPORTANT EN COMPARAISON INTERNATIONALE, STABILISÉ À 1,9 % DU PRODUIT INTÉRIEUR BRUT

Le budget de défense de la France représentait 1,9 % de son produit intérieur brut (PIB). Ce pourcentage est resté stable depuis et devrait le rester en 2024. En 2021, il classait la France devant celui de l'Allemagne mais derrière celui du Royaume-Uni et à plus forte raison des principales puissances militaires mondiales (États-Unis, Chine, Russie).

Classement des budgets de défense des principales puissances militaires exprimées en pourcentage de la richesse en 2021

(en pourcentage du produit intérieur brut)

Note : les dépenses militaires incluent les charges de pensions et sont mesurées en euros 2021, convertis aux taux de parité de pouvoir d'achat (France, 2021).

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial (données : Otan ; Stockholm Ineternational Peace Research Institute pour les pays hors Otan)

Le budget de défense français exprimé en euros par habitant indique un effort supérieur à celui de l'Allemagne mais également les grandes puissances militaires telles que la Chine et l'Inde, dont les budgets restent toutefois incomparables en valeur absolue.

Comparaison des budgets de défense des principales puissances militaires
en valeur absolue et rapportés à la richesse nationale et à la population

(en pourcentage du produit intérieur brut, en euros par habitant et en euros)

Lecture : la circonférence des cercles correspond au budget de défense exprimé en valeur absolue.

Note : Les dépenses militaires incluent les charges de pensions et sont mesurées en euros 2021, convertis aux taux de parité de pouvoir d'achat (France, 2021).

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial (données : Otan ; Stockholm Ineternational Peace Research Institute pour les pays hors Otan)

Si l'indicateur du budget de défense exprimé en pourcentage du PIB a le mérite de faciliter les comparaisons internationales, notamment dans le cadre de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (Otan), il convient de ne pas en exagérer la portée. L'atteinte imprévue de la cible otanienne des 2 % en 2020, année où le PIB s'est fortement contracté du fait de la crise sanitaire, atteste des limites évidentes de cet indicateur.

En tout état de cause, la détermination du bon niveau du budget de la défense ne peut s'apprécier qu'à l'aune de la menace à laquelle un pays donné fait face, du système d'alliances dans lequel il s'inscrit et de sa doctrine d'emploi de l'outil militaire. L'investissement financier consenti en faveur de l'armée française, armée d'emploi régulièrement engagée sur plusieurs théâtres d'opérations, ne saurait revêtir la même signification que celui qui peut être mené dans d'autres pays relevant de cultures stratégiques distinctes.

D'où l'importance d'inscrire le budget de la défense dans le cadre d'une programmation pluriannuelle répondant à un diagnostic de l'environnement géostratégique, et donc d'une loi de programmation militaire (voir infra).

II. UNE ÉVOLUTION DES CRÉDITS CONFORME À LA LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE

A. DANS UN CONTEXTE GÉOSTRATÉGIQUE BOULEVERSÉ, LE PARLEMENT A ADOPTÉ UNE NOUVELLE LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE POUR LA PÉRIODE 2024-2030

L'invasion de l'Ukraine lancée par la Russie le 24 février 2022 et la guerre qui se poursuit depuis lors constituent un tournant stratégique majeur pour la sécurité en europe. Elle marque le retour de l'affrontement entre États souverains et de la guerre de haute intensité en europe, avec un emploi désinhibé de la force. Elle se caractérise également par un changement d'échelle de la conflictualité, qui se déploie sur tous les champs, aussi bien sur les trois champs historiques (terre, mer, airs) que dans les champs cyber et informationnels et un volume des unités de combat engagées sans commune mesure avec les combats des dernières décennies.

Ces évolutions s'inscrivent dans le prolongement des tendances géopolitiques identifiées depuis plusieurs années par les principaux documents stratégiques publiés par les armées françaises. Dès 2017, la Revue nationale stratégique de défense et de sécurité nationale (RSDSN) faisait état d'un « durcissement des menaces » dont il résulte « un risque accru d'escalade et de montée aux extrêmes entre États, potentiellement jusqu'au franchissement du seuil nucléaire ».

La Revue nationale stratégique (RNS) présentée par le Président de la République le 9 novembre 2022 s'inscrit ainsi dans la continuité de la précédente. Tirant les premiers enseignements de la guerre en Ukraine, la RNS insiste sur la nécessité de se préparer à des conflits placés sous le triple signe du retour du fait nucléaire, de la haute intensité et de l'hybridité. Pour faire face à un éventuel « engagement majeur sous la voûte nucléaire de l'agresseur », elle souligne explicitement « le besoin de masse et de densité de l'action interarmées ». Elle rappelle également l'importance de renforcer notre capacité à nous défendre et à agir dans les champs hybrides, notamment cyber.

Le bouleversement géostratégique induit par la guerre en Ukraine a amené le Parlement, à l'initiative du Président de la République, à décider d'interrompre la loi de programmation militaire (LPM) prévue pour la période 2019-2025, au profit d'une nouvelle LPM couvrant la période 2024-2030, entrée en vigueur le 1er août 20233(*).

Cette nouvelle LPM poursuit et amplifie l'effort de « réparation » entrepris par la LPM 2019-20254(*), qui faisait suite à une programmation 2014-20195(*) placée sous le signe de la rigueur budgétaire.

Elle prévoit une enveloppe de 400 milliards d'euros en CP pour la période, soit une hausse de plus de 100 milliards d'euros par rapport à la précédente programmation, auxquels doivent s'ajouter 5,9 milliards d'euros de ressources extrabudgétaires (REB). Il est à noter que la programmation intègre une prise en compte de l'impact de l'inflation à hauteur de 30 milliards d'euros sur la période.

Le projet de LPM initial prévoyait de reporter l'essentiel de l'effort sur les trois dernières années de la programmation - soit au prochain quinquennat. Le Sénat a souhaité accélérer la mise en oeuvre de ces efforts à enveloppe constante, et ainsi « lisser » la trajectoire. L'accord trouvé en commission mixte paritaire, repris dans le texte adopté, a permis de satisfaire cette attente.

Comparaison entre la trajectoire du projet de loi initial
et de la LPM 2024-2030 adoptée

(en milliards d'euros courants)

 

2024

2025

2026

2027

2028

2029

2030

Total
2024-2030

Projet de loi initial

47,04

50,04

53,04

56,04

60,32

64,61

68,91

400,00

Variation par rapport à l'année N- 1

+ 3,1

+ 3,0

+ 3,0

+ 3,1

+ 4,3

+ 4,3

+ 4,3

LPM adoptée

47,2

50,5

53,7

56,9

60,4

63,9

67,4

400,00

Variation par rapport à l'année N- 1

+ 3,3

+ 3,3

+ 3,2

+ 3,5

+ 3,5

+ 3,5

+ 3,5

Note : Le périmètre de la LPM 2024-2030 porte sur les CP de la mission « Défense » à périmètre constant, hors contribution au CAS « Pensions ».

Source : commission des finances du Sénat

Les CP de la mission, à périmètre constant, hors contribution au CAS « Pensions », seraient ainsi portés à 67,4 milliards d'euros en 2030. La trajectoire programmée prévoit un taux de croissance annuel moyen de 6 % des crédits de la mission, dans la lignée de la programmation précédente.

Trajectoires en crédits de paiement prévues par les trois dernières LPM

(en milliards d'euros courants et en pourcentage)

Source : Commission des finances du Sénat, d'après la LPM 2014-2019 actualisée, la LPM 2019-2025 et la LPM 2024-2030

B. UNE HAUSSE DES CRÉDITS DE 3,3 MILLIARDS D'EUROS, STRICTEMENT CONFORME À LA PROGRAMMATION

Sur le périmètre de la LPM (soit hors contribution au CAS « Pensions »), les crédits demandés au titre de la mission « Défense » s'élèvent à 47,2 milliards d'euros en PLF 2024, soit une hausse de 3,3 milliards d'euros par rapport à la LFI 2023.

Seule la mission « Enseignement scolaire » connaîtrait une hausse de crédits plus importante en valeur absolue en 2024 (+ 3,9 milliards d'euros).

Cette hausse est ainsi strictement conforme à la marche prévue par la loi de programmation militaire, dans la lignée des exercices précédents, ce dont le rapporteur spécial ne peut que se féliciter.

Le respect de la trajectoire de crédits prévue en LPM depuis 2019

(en milliards d'euros courants)

Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses au questionnaire budgétaire

La hausse des crédits concernerait principalement les OS suivantes :

- le renforcement des moyens concourant à la dissuasion : + 768 millions d'euros ;

- l'entretien programmé du matériel (EPM), pour maintien en condition des équipements : + 745 millions d'euros ;

- les programmes d'équipements à effet majeur (PEM) : + 590 millions d'euros ;

- l'activité opérationnelle, regroupant les dépenses de fonctionnement liées à l'entraînement des forces, tirées notamment par les coûts des carburants opérationnels, fortement sujets à l'inflation : + 324,5 millions d'euros ;

- les infrastructures de défense : + 268,8 millions d'euros.

Peuvent également être mentionnées les mesures salariales nouvelles prévues ainsi que l'impact en année pleine de mesures catégorielles et générales antérieures, à hauteur de 570 millions d'euros.

Progression des crédits entre la LFI 2023 et le PLF 2024

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Il convient cependant de relever que, d'après les estimations du ministère des Armées, l'impact de l'inflation sur les dépenses financées par la mission est évalué à 1 milliard d'euros, absorbant ainsi près du tiers de la hausse des crédits.

DEUXIÈME PARTIE :
LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

I. LA FIN DE GESTION 2023 : UNE ENTRÉE « À CRÉDIT » DANS LA NOUVELLE LPM

A. UNE ENVELOPPE EXCEPTIONNELLE DE 1,5 MILLIARD D'EUROS POUR AMÉLIORER LES CONDITIONS D'ENTRÉE DANS LA NOUVELLE LPM

La fin de gestion 2023 se caractérise par l'attribution au ministère des Armées d'une enveloppe exceptionnelle de 1,5 milliard d'euros en CP non prévus par la loi de programmation militaire 2019-2025, annoncée publiquement au printemps par le ministre Sébastien Lecornu. Cette enveloppe comprend deux parts.

La première part est destiné à réduire le report de charges qui a fortement augmenté en 2023, pour un montant 400 millions d'euros en AE et en CP dont :

- 200 millions d'euros sur le programme n° 146 « Équipement des forces » ;

- 100 millions d'euros sur le programme n° 178 « Préparation et emploi des forces » ;

- 100 millions sur le programme n° 212 « Soutien de la politique de la défense ».

Il était important, en effet, d'aborder la nouvelle programmation avec un niveau de report de charges6(*) maîtrisé afin de garantir sa soutenabilité, dans la mesure où le financement de tels reports vient mécaniquement grever les crédits de la mission dès le début de l'année N+ 1. Or, cet outil de gestion avait été fortement mobilisé en 2023 pour faire face à l'inflation, ce qui revenait, comme l'avait relevé le rapporteur spécial lors de l'examen du PLF 2023, à en faire supporter le coût aux fournisseurs.

D'après les données communiquées au rapporteur spécial, cette enveloppe complémentaire permet de maintenir le report de charges à 15 % des crédits de la mission (hors masse salariale), soit un niveau qui reste supérieur à l'objectif fixé dans le rapport annexé à la LPM 2019-2025 (12 %).

Évolution du report de charges prévue par le rapport annexé à la LPM
en pourcentage des CP hors masse salariale de la mission « Défense »

(en milliards d'euros et en pourcentage)

Report de charges de la mission « Défense »

2019

2020

2021

2022

2023

En milliards d'euros

3,9

3,8

3,9

3,9

4,7

En pourcentage des crédits de la mission (hors masse salariale)

16 %

15 %

14 %

14 %

15 %

Cible LPM

16 %

15 %

14 %

12 %

12 %

Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses au questionnaire budgétaire et le rapport annexé à la loi de programmation militaire 2019-2025

La seconde part est quant à elle dédiée à l'anticipation de certaines commandes prévues par la LPM 2024-2030 (munitions, maintien en condition opérationnelle, préparation aux Jeux Olympiques de 2024, lutte anti-drones...) pour 1,8 milliard d'euros en AE et 1,1 milliard d'euros en CP, répartis entre :

- le programme n° 146 « Équipement des forces » pour 1,2 milliard d'euros en AE et 700 millions d'euros de CP ;

- le programme n° 178 « Préparation et emploi des forces » pour 603 millions d'euros en AE et 400 millions d'euros de CP.

B. LA NÉCESSITÉ DE FINANCER LES SURCOÛTS LIÉS AUX ACTIVITÉS OPÉRATIONNELLES ET AU SOUTIEN À L'UKRAINE

Outre la question de l'« entrée » dans la nouvelle LPM, la fin de gestion constitue un enjeu important pour la mission, en ce qu'elle implique de traiter le financement des surcoûts auxquels les armées sont amenées à faire face au titre de leurs engagements opérationnels. Des dispositions spécifiques sont prévues en LPM à cet égard (voir encadré).

Les dispositions relatives au financement des surcoûts prévus par la LPM 2019-2025 et la LPM 2024-2030

Les LPM 2019-2025 et 2024-2030 prévoient plusieurs dispositifs relatifs au financement en gestion des surcoûts auxquels les armées sont amenées à faire face au titre de leurs engagements opérationnels. Trois types de surcoûts sont à considérer.

1 Les opérations extérieures et missions intérieures

L'article 4 de la LPM 2019-2025 fixe une provision annuelle au titre des opérations intérieures et des missions extérieures (hors crédits de masse salariale). Pour 2023, le montant inscrit est de 1,1 milliard d'euros. L'article prévoit cependant qu' « en gestion, les surcoûts nets, hors crédits de masse salariale inscrits en loi de finances au titre des missions intérieures et nets des remboursements des organisations internationales, non couverts par cette provision font l'objet d'un financement interministériel. Hors circonstances exceptionnelles, la participation de la mission “Défense” à ce financement interministériel ne peut excéder la proportion qu'elle représente dans le budget général de l'État. Si le montant des surcoûts nets ainsi défini est inférieur à la provision, l'excédent constaté est maintenu au profit du budget des armées ». L'article 5 de la LPM 2024-2030 reconduit ce dispositif, en intégrant les crédits de masse salariale à la provision. Au titre de 2024, la provision est abaissée à 800 millions d'euros, par cohérence avec le désengagement des forces françaises du Sahel.

Il est à noter que les missions menées depuis février 2022 au titre du renforcement du flanc oriental de l'Otan (mission AIGLE en Roumanie, mission LYNX en Estonie, missions de défense aériennes Pologne, Bulgarie, Roumanie et Croatie), qui ne sont pas à proprement parler des opérations extérieures, génèrent également des surcoûts importants qui ayant vocation à être traitées dans le cadre des schémas de fin de gestion.

2° Les carburants opérationnels

L'article 5 de la LPM 2019-2025 prévoit qu'« en cas de hausse du prix constaté des carburants opérationnels, la mission “Défense” bénéficiera de mesures financières de gestion et, si la hausse est durable, des crédits supplémentaires seront ouverts en construction budgétaire, pour couvrir les volumes nécessaires à la préparation et à l'activité opérationnelle des forces ». L'article 6 de la LPM 2024-2030 reconduit ce dispositif.

3° L'effort national de soutien à l'Ukraine

L'article 4 de la LPM 2024-2030 prévoit que s'ajouteront aux ressources prévues au titre de la programmation celles nécessaires au financement de l'effort national de soutien à l'Ukraine, en précisant que celles-ci « concernent notamment le financement de contributions à la Facilité européenne pour la paix, des recomplètements nécessaires, en cas de cessions d'équipements ou de matériels, à la préservation intégrale du format des armées prévu par la programmation [...] ou d'aides à l'acquisition de matériels ou de prestations de défense et de sécurité. Ces moyens seront déterminés en loi de finances de l'année ou en exécution, en cohérence avec l'évolution du contexte géopolitique et militaire ».

Source : commission des finances du Sénat

Comme pour 2022, l'exercice 2023 se caractérise par des ouvertures brutes de crédits au titre du financement du soutien à l'Ukraine sur :

- le programme n° 146 « Équipement des forces » pour 244 millions d'euros en AE et 176 millions d'euros de CP ;

- le programme n° 178 « Préparation et emploi des forces » pour 133 millions d'euros en AE et 192 millions d'euros de CP.

D'après les informations communiquées au rapporteur spécial lors des auditions conduites, les autres surcoûts représenteraient en 2023 un total estimé à environ 1 milliard d'euros sur le programme n° 178 « Préparation et emploi des forces ». Ils seraient principalement liés :

- aux opérations extérieures et missions intérieures, dans un contexte marqué par le retrait du Niger ;

- au coût des carburants opérationnels, dans un contexte marqué par une forte inflation ;

- aux déploiements opérationnels liés au renforcement de la posture dissuasive sur le flanc Est de l'Otan.

C. LA SOLIDARITÉ INTERMINISTÉRIELLE NE SUFFIT PAS À BOUCLER LE SCHÉMA DE FIN DE GESTION

1. Sur le programme n° 178 « Préparation et emploi des forces » : une compensation imparfaite des surcoûts opérationnels

Dans sa version initiale, le projet de loi de finances de fin de gestion (PLFFG) pour 2023 en cours d'examen au Parlement prévoit des ouvertures nettes de crédits sur la mission « Défense » à hauteur de 2,4 milliards d'euros en AE et 2,1 milliards d'euros en CP.

Les ouvertures nettes de crédits demandées en PLFFG sur le programme n° 178 « Préparation et emploi des forces » s'élèvent à 1,56 milliard d'euros en AE et 1,54 milliard d'euros en CP.

L'ouverture en CP permet de financer l'intégralité de l'enveloppe exceptionnelle d'entrée dans la LPM et du soutien à l'Ukraine (692 millions d'euros)

Ainsi, seuls 850 millions d'euros resteraient disponibles pour financer la compensation des surcoûts, ce qui permet concrètement de couvrir ceux liés à la hausse du coût des carburants extérieurs et aux déploiements opérationnels sur le flanc Est de l'Otan, mais pas ceux liés aux opérations extérieures et missions intérieures, dans la lignée des exercices précédents.

Évolution des surcoûts liés aux opérations extérieures
et aux missions intérieures

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Le rapporteur spécial ne peut à cet égard que réitérer sa critique, déjà formulée, lors des exercices précédents, du financement des surcoûts liés aux opérations extérieures et missions intérieures par redéploiement des crédits au sein de de la mission « Défense » et non par des crédits additionnels, à rebours des dispositions de l'article 4 de la LPM 2019-2025.

Pour assurer le financement du surcoût sur ce programme, le ministère des Armées compte sur :

- l'annulation de crédits mis en réserve, dont une partie a déjà été dégelée de façon anticipée début novembre (180 millions d'euros) ;

- le décalage en 2024 de paiements au titre de certaines opérations d'infrastructures ou de certains marchés de maintien en condition opérationnelle. Il est précisé que des décalages ne concerneraient ni la dissuasion, ni l'activité opérationnelle, ni le soutien aux bases de défense.

2. Sur le programme n° 146 « Équipement des forces » : une part importante de l'enveloppe exceptionnelle d'entrée dans la LPM n'est pas financée par des crédits frais, mais serait rendue possible par un dégel des crédits mis en réserve

Les ouvertures nettes de crédits demandées en PLFFG sur le programme n° 146 « Équipement des forces » s'élèvent à 949,2 millions d'euros en AE et 571 millions d'euros en CP.

L'ouverture en CP est loin de permettre d'assurer à elle seule le financement des ouvertures brutes requises au titre de l'enveloppe exceptionnelle d'entrée dans la LPM et du soutien à l'Ukraine, qui s'élève à 1,1 milliard d'euros.

Le financement de l'excédent (505 millions d'euros) doit être financé grâce au dégel de crédits mis en réserve. Début novembre, 230,7 millions d'euros déjà été dégelés. D'après les informations transmises au rapporteur spécial par le ministère des Armées, un dégel intégral de la réserve de précaution est attendu d'ici la fin de l'année, soit au total 922,9 millions d'euros. Ce dégel s'établirait ainsi à un niveau nettement supérieur à celui qui avait été atteint en fin de gestion 2022 (488 millions d'euros).

Les annulations brutes qui résulteront de ce dégel pour assurer le financement du surcoût seraient rendues possibles par le décalage en début de gestion 2024 d'une série de paiements relatifs à certains programmes d'armement avec, selon le ministère, « un impact maîtrisé sur le déroulement de ces programmes ».

Il n'en reste pas moins que, contrairement à ce qui semblait avoir été annoncé, l'enveloppe « pré-LPM » n'est pas intégralement financée par crédits frais et implique la mise en oeuvre de décalages de programmes (notamment les programmes d'armement relatifs aux hélicoptères de transport NH90 et aux avions ravitailleurs MRTT).

Il est enfin à noter que, lors de l'examen du PLFFG en première lecture à l'Assemblée nationale, le Fonds spécial Ukraine a été ré-abondé de 200 millions d'euros sur le programme n° 146 « Équipement des forces », soit une reconduction du dispositif institué dans le cadre de la fin de gestion 2022 (voir encadré).

Le fonds spécial pour l'Ukraine

Le fonds spécial pour l'Ukraine s'articule autour de deux mécanismes distincts :

1° un « fonds AIG », soutenu par un accord inter-gouvernemental (AIG) signé par le ministre français des Armées et le ministre ukrainien de la Défense le 13 octobre 2022 et entré en vigueur le 4 janvier 2023. L'AIG est valable pour une durée d'un an et prévoit, sous couvert d'éligibilité, des dons en remboursement des acquisitions réalisées par l'Ukraine auprès de la base industrielle et technologique de défense (BITD) française ;

Les contrats signés et déclarés éligibles au remboursement au titre du fonds AIG portent sur :

- des canons Caesar ;

- des munitions pour canons Caesar ;

- des pièces de rechanges et outillages spécifiques pour canons Caesar ;

- un système de radar « Control Master 200 » ;

- des ponts flottants motorisés.

2° un « fonds d'acquisition national », qui est destiné à couvrir les achats d'équipements ou de prestations par l'État au profit de l'Ukraine.

Les acquisitions réalisées par la France portent sur la mise en configuration ou la remise en état de matériels avant cession gratuite, l'acheminement vers l'Ukraine d'équipements cédés, des formations, la traduction de documentation technique, voire exceptionnellement l'acquisition d'équipements en vue de cessions.

Une enveloppe globale de 200 millions d'euros au titre de ce fonds en loi a été prévue par la loi n° 2022-1499 du 1er décembre 2022 de finances rectificative pour 2022. À date, 196,7 millions d'euros ont été engagés et 107,1 millions d'euros ont été décaissés.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

3. En synthèse, près du quart des surcoûts totaux est laissée à la charge du ministère des Armées

Ainsi, au bilan, les besoins à financer pour le ministère des Armées au titre de l'amélioration des conditions d'entrée dans la LPM, du soutien à l'Ukraine et des surcoûts opérationnels s'élèvent à 2,9 milliards d'euros en CP.

Ces besoins ne sont couverts qu'à hauteur de 2,2 milliards d'euros d'ouvertures nettes de crédits en CP (hors Fonds spécial pour l'Ukraine), laissant un peu plus du quart du surcoût global à la charge du ministère des Armées. Pour les financer, celui-ci a dû procéder à des annulations brutes de crédits, rendues possibles grâce à des décisions de dégel de la réserve de précaution, qui ont entraîné certains décalages de programmes sur 2024.

Ces décalages, qui s'ajoutent à un report de charges maintenu à un niveau important, font entrer le ministère des Armées « à crédit » dans la nouvelle LPM.

Synthèse du schéma de fin de gestion (CP)

(en millions d'euros)

Besoins à financer

Schéma de fin de gestion

Programme n° 146 « Équipement des forces »

Soutien à l'Ukraine

176

Ouvertures nettes (PLFFG)

571

Enveloppe exceptionnelle pré-LPM - réduction du report de charges

200

Enveloppe exceptionnelle pré -LPM - anticipation de commandes

700

Annulations

505

Total

1 076

Programme n° 178 « Préparation et emploi des forces »

Soutien à l'Ukraine

192

Ouvertures nettes (PLFFG)

544

Enveloppe exceptionnelle pré-LPM - réduction du report de charges

100

Enveloppe exceptionnelle pré-LPM - anticipation de commandes

400

Surcoûts opérationnels

1 000

Annulations

148

Total

1 692

Programme n° 212 « Soutien de la politique de la défense »

Enveloppe exceptionnelle - réduction du report de charges

100

Ouvertures nettes en (PLFFG)

60

Annulations

40

Total

Soutien à l'Ukraine

368

Ouvertures nettes en (PLFFG)

2 175

Enveloppe exceptionnelle pré-LPM

1 500

Surcoûts opérationnels

1 000

Annulations

693

Total

2 868

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par le ministère des Armées

II. LES EFFECTIFS : UNE OMBRE AU TABLEAU DE LA PROGRAMMATION ?

A. LA SOUS-RÉALISATION DE LA CIBLE D'EFFECTIFS DÈS LA PREMIÈRE ANNÉE DE LA NOUVELLE PROGRAMMATION ENVOIE UN SIGNAL PRÉOCCUPANT

La nouvelle programmation s'inscrit dans une conjoncture marquée de fortes tensions sur le marché du travail. Pour tenir compte de ce contexte, l'article 7 de la LPM 2024-20307(*) prévoit une augmentation nette des effectifs du ministère des Armées limitée à 700 équivalents temps plein (ETP), soit un ralentissement par rapport à la cible fixée la même année par la précédente LPM (+ 1 500 ETP).

Cibles d'augmentations nettes d'effectifs du ministère des Armées (périmètre LPM)

(en ETP)

LPM

2019

2020

2021

2022

2023

2024

2025

2026

2027

2028

2029

2030

Total

LPM 2019-2025

450

300

300

450

1 500

1 500

1 500

-

-

-

-

-

6 000

LPM 2024-2025

-

-

-

-

-

700

700

800

900

1 000

1 000

1 200

6 300

Source : commission des finances du Sénat

Or, la prévision de schéma d'emplois inscrite au PLF 2024 n'est que de 400 ETP, soit un niveau encore nettement inférieur.

En 2021 et 2022 déjà, les schémas d'emplois réalisés (respectivement - 540 et - 979 ETP) s'établissaient à un niveau très inférieur aux cibles d'augmentation nette d'effectifs du ministère des Armées prévus par l'article 6 de la LPM 2019-2025 (respectivement + 300 et + 450 ETP). Au bilan, les effectifs auront connu une diminution de - 110 ETP sur la période 2019-2022, contre + 1 050 ETP prévus en LPM.

À cette aune, la prévision de schéma d'emplois inscrite en PLF 2023 au niveau de la cible LPM (+ 1 500) paraissait fort peu crédible. Si les données consolidées quant à sa réalisation ne seront connues qu'en 2024, les premières estimations sont préoccupantes, avec un schéma d'emplois estimé à environ - 2 000 ETP.

Même l'armée de Terre, longtemps épargnée par les difficultés de cette nature, peine fortement à recruter ses militaires du rang. D'après les informations communiquées au rapporteur spécial, la prévision de sous-recrutement des militaires du rang de l'armée de Terre serait de - 2 000 à - 2 500 ETP en 2023 et les militaires du rang expliqueraient 95 % du sous-recrutement dans l'armée de Terre. De tels résultats seraient notamment expliqués par la crise sanitaire, et à la difficulté pour les recruteurs d'entrer en contact avec les jeunes sur la période 2020-2022. Toutefois, sur un plan plus structurel, la tendance à la technicisation des compétences recherchées par l'armée de Terre la conduit à se trouver de plus en plus confrontées aux problématiques de recrutement rencontrées par les deux autres armées.

Prévision et exécution des schémas d'emplois depuis 2019 (périmètre LPM)

(en ETP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Le rapporteur spécial n'entend nullement remettre en cause la volonté politique du ministère de renforcer ses ressources humaines, dans un contexte marqué par une concurrence exacerbée entre les recruteurs publics et privés sur le marché du travail dans de nombreux secteurs. Il ne peut néanmoins que s'étonner de constater que la cible prévue ait ainsi été abaissée de plus de 40 % dès la première année, alors même que le présent PLF a été déposé à peine deux mois après l'adoption de la LPM.

L'excès d'optimisme dont le Gouvernement a fait preuve dans la construction de la LPM est de nature à fragiliser considérablement la crédibilité de l'atteinte des objectifs de la programmation. Une bonne partie des créations d'emplois prévues, qui étaient en effet directement liées à certaines priorités militaires structurantes, correspondent à des compétences rares et très recherchées. En effet, le renseignement, la cyberdéfense et les nouveaux champs de la conflictualité capteraient environ le tiers des augmentations nettes de postes programmées.

Répartition du schéma d'emplois de la programmation 2024-2030 (+ 6300 ETP) entre les principaux domaines d'emploi

(en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire

B. D'IMPORTANTS EFFORTS SONT NÉANMOINS MENÉS POUR RENFORCER L'ATTRACTIVITÉ DES POSTES ET LA FIDÉLISATION DES EFFECTIFS

Pour faire face à ces difficultés, le ministère des Armées mène d'importants efforts pour renforcer l'attractivité des postes et la fidélisation des effectifs. Le PLF 2024 prévoit ainsi à cette fin des crédits de masse salariale (T2) supplémentaires à hauteur de 570 millions d'euros dont :

- 65 millions d'euros au titre de mesures indiciaires et indemnitaires nouvelles. S'agissant du personnel militaire, des mesures indemnitaires nouvelles ciblent certaines filières particulièrement exposées aux tensions de recrutement : service de santé des armées (SSA), numérique, renseignement, et nucléaire (18,3 millions d'euros) ;

- 284 millions d'euros au titre de l'impact de mesures ministérielles déjà lancées, au premier rang desquelles la troisième marche de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) (263 millions d'euros) ;

- 223 millions d'euros au titre de l'impact en 2024 de mesures générales décidées en 2023, notamment dans le cadre du « Rendez-vous salarial » du 12 juin engagé par le Ministère de la Transformation et de la Fonction publique : revalorisation du point d'indice (74 millions d'euros), attribution de 5 points d'indice au 1er janvier 2024 (108 millions d'euros), attribution ciblée de 1 à 9 point d'indice aux agents de catégorie B et C et équivalents militaires (militaires du rang, sous-officiers, aspirants) (18 millions d'euros), renforcement de la participation aux frais de transports ( 3 millions d'euros) etc.

Il est à noter que l'exercice 2024 serait le premier exercice d'application de l'ensemble des mesures de la NPRM (voir encadré).

Le ministère mène également une politique active de fidélisation du personnel, identifiée comme une priorité par l'ensemble des responsables des états-majors auditionnés par le rapporteur spécial.

Dans le souci de rentabiliser au mieux l'investissement consenti au profit du personnel, cette politique consiste se donne pour objectif de conserver l'expérience acquise et les compétences détenues, notamment au sein des forces, et en particulier s'agissant de compétences en tension (cybersécurité, systèmes d'information et de communication, maintien en condition opérationnelle, santé). La fidélisation est aussi gage d'efficacité opérationnelle dans un contexte d'augmentation du nombre de missions et de durcissement des opérations.

Les politiques sont déclinées selon trois volets :

- le volet indemnitaire : outre la NPRM, des dispositifs spécifiques ont été déployés dans le cadre de la politique de fidélisation, au premier rang desquels la prime de lien au service (PLS), qui permet de cibler les compétences à fidéliser en orientant les flux et en définissant annuellement les viviers prioritaires, avec une grande souplesse laissée aux gestionnaires.

- le volet carrière, avec notamment des assouplissements des conditions pour passer du statut de contractuel au statut de carrière pour les officiers (2020) et des conditions d'âge pour l'accès aux commandements d'unités opérationnelles (2021) et l'objectif de modernisation des outils de formation ;

le volet « conciliation entre vie professionnelle et vie privée », avec notamment la mise en oeuvre du plan Famille 2, doté de 750 millions d'euros sur 2024-2030 (dont 70 millions d'euros en 2024) et centré autour de trois priorités : l'accompagnement de la mobilité (par exemple avec des mesures visant à atténuer la charge administrative, à accompagner les conjoints vers l'emploi...), la compensation des contraintes opérationnelles les plus fortes (par exemple avec des mesures visant l'augmentation de l'offre de garde de jeunes enfants, notamment en horaires atypiques, à proposer au personnel une offre d'accès gratuit à interner en haut débit, y compris à l'étranger et dans certains bâtiments de la Marine) et l'amélioration de la vie quotidienne des familles dans les territoires (infrastructures de loisirs...).

Pour améliorer l'efficience de la politique de fidélisation, une évaluation de la prime de lien au service pourrait utilement être lancée. D'après certains responsables auditionnés par le rapporteur spécial, le dispositif serait d'autant plus efficace lorsqu'il est mobilisé pour verser des primes importantes de façon ciblée, le « saupoudrage » s'avérant inefficace car peu incitatif pour les agents. En 2022, une PLS a été versée à 18 594 militaires, pour un coût de 62,2 millions d'euros.

La nouvelle politique de rémunération des militaires

Le vaste chantier de refonte de la rémunération des militaires baptisé « nouvelle politique de rémunération des militaires » (NPRM) a été engagé en 2017. Il concerne l'ensemble du personnel relevant du statut général des militaires et s'étend à la majorité des éléments de rémunération servis à ce personnel (hors éléments de rémunération interministériels).

Cette nouvelle politique salariale poursuit plusieurs objectifs :

- permettre aux armées de conduire les politiques de ressources humaines dont elles ont et auront besoin demain (recrutement et conservation de compétences concurrentielles, adaptation aux évolutions des métiers) ;

- réaffirmer et mieux prendre en compte les sujétions et obligations inhérentes au statut de militaire ;

- s'adapter aux nouveaux enjeux sociaux de la communauté militaire (logement, mobilité, absence, nouvelles formes de vie familiale, etc.) ;

- permettre de simplifier la solde pour la rendre plus compréhensible et plus lisible par le militaire.

Ce projet bénéficie de ressources programmées dans la loi de programmation militaire 2019-2025. La réforme repose sur un aménagement ciblé des grilles indiciaires et une rénovation complète du dispositif indemnitaire, réorganisée autour de trois volets et huit indemnités rémunérant chacune une seule sujétion :

- le volet « militarité », traitant des sujétions liées au milieu militaire, avec l'indemnité d'état militaire (IEM), l'indemnité de garnison (IGAR) et l'indemnité de mobilité géographique des militaires (IMGM) ;

- le volet « finalités », valorisant l'engagement opérationnel et l'exercice de responsabilités militaires, avec l'indemnité de sujétions d'absence opérationnelle (ISAO) et la prime de commandement et de responsabilité militaire (PCRM) ;

- le volet « capacités », favorisant la génération des ressources en quantité et en qualité nécessaires à l'accomplissement de la mission, avec la prime de parcours professionnels des militaires (3PM), la prime de performance (PERF) et la prime de compétences spécifiques des militaires (PCSMIL).

Ces primes ont été progressivement instituées à compter de 2021, engendrant à chaque marche un surcoût par rapport aux dispositifs remplacés :

- la « première marche » mise en oeuvre à compter du 1er janvier 2021 s'est traduite par la mise en place de l'IMGM, et a engendré un surcoût de 40,5 millions d'euros ;

- la « deuxième marche » mise en oeuvre à compter du 1er janvier 2022 s'est traduite par la mise en place de l'ISAO, de la PCRM et de la PERF, qui ont engendré un surcoût cumulé de 62 millions d'euros ;

- la « troisième marche » mise en oeuvre à compter du 1er octobre 2023 s'est traduite par la mise en place de l'IEM, de l'IGAR, de la 3PM et de la PCSMIL (remplaçant à elle seule 19 primes) qui ont engendré un surcoût cumulé de 88 millions d'euros en 2023 et un surcoût en année pleine de 351 millions d'euros.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

III. LES ÉQUIPEMENTS : UNE ANNÉE MARQUÉE PAR LA POURSUITE DES GRANDS PROGRAMMES, MAIS DES ENJEUX DE RECOMPLÈTEMENT QUI DEMEURENT PRÉGNANTS

A. LA LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE A ENTRAÎNÉ LE DÉCALAGE DE PLUSIEURS PROGRAMMES D'ARMEMENTS STRUCTURANTS

La LPM 2024-2030 s'inscrit dans la continuité de la précédente LPM, qui avait été adossée à une programmation visant à poser les jalons permettant d'atteindre « l'Ambition 2030 ».

Cette ambition définit les contrats opérationnels, et les formats des armées à l'horizon 2030, en posant des jalons intermédiaires en 2021 et en 2025 sur chaque segment capacitaire. Pour autant, la programmation proposée pour 2024-2030 prévoit le décalage de ces cibles à l'horizon 2035 sur certains segments pourtant majeurs concernant les trois forces. Sont notamment concernés le programme Scorpion de renouvellement des capacités de combat de l'armée de Terre, le programme « Frégates de défense et d'intervention » de la Marine ainsi que le programme Rafale de l'armée de l'Air et de l'Espace.

D'après les responsables du ministère des armées auditionnés par le rapporteur, ce choix se justifierait notamment par un souci de faire primer la « cohérence » sur la masse. En d'autres termes, la programmation proposée permettrait de s'assurer que chaque capacité soit pleinement opérationnelle en termes de soutien, de maintien en condition opérationnelle, de munitions et de formation des effectifs appelés à l'utiliser, quitte à retarder certaines livraisons et décaler l'atteinte des cibles prévues.

Cependant, comme le rapporteur spécial l'avait rappelé en sa qualité de rapporteur pour avis sur le projet de loi de programmation militaire8(*) « si ce raisonnement est fondé, on ne peut que constater que la nouvelle programmation militaire n'est pas à la hauteur de l' “Ambition 2030”. Il est donc à cet égard permis de douter de la crédibilité de la trajectoire amorcée en 2019 et par conséquent de se demander s'il n'y avait pas, d'emblée, un décalage entre l'ambition opérationnelle affichée et l'effort financier réel à mener pour l'atteindre. En effet, l'importance pour la conduite de la guerre contemporaine, des nouvelles priorités à financer (renseignement, cyber, spatial...) est loin de constituer une découverte et l'on ne peut donc que déplorer que l'ambition affichée en 2018 pour l'horizon 2030 n'ait pas permis de les intégrer d'emblée au bon niveau. Par ailleurs, l'importance de la “cohérence” des programmes à effets majeurs avec les infrastructures et les petits équipements avait expressément été identifiée dans le rapport annexé à la LPM 2019-2025 et ne constitue pas davantage une préoccupation nouvelle. L'atteinte effective de l' « Ambition 2030 » reposera donc sur la prochaine programmation militaire, et est donc à ce titre affectée de fortes incertitudes. Ces décalages envoient en tout état de cause un très mauvais signal alors que la guerre en Ukraine, conflit de haute intensité faisant appel à la masse, a justement confirmé le diagnostic posé à l'époque sur la dégradation du contexte stratégique qui a justifié l'élaboration de l' “Ambition 2030”. »

Principaux décalages de programmes à effet majeur
prévus par la LPM 2024-2030

Force

Capacités

« Ambition 2030 »

Parc fin 2023

Parc fin 2030

Parc à horizon 2035

Équipements

Description

Armée de Terre

Leclerc rénovés

Char de combat. Les travaux de rénovation doivent permettre d'intégrer cette capacité au programme SCORPION pour le combat collaboratif avec les autres blindés.

200

19

160

200

SCORPION (programme de renouvellement des capacités de l'armée de Terre autour d'un système de combat collaboratif)

Jaguar

Engin blindé de reconnaissance. Appelé notamment à remplacer l'AMX- 10 RC.

300

60

238

300

Griffon

Véhicule blindé multirôle (VBMR) lourd destiné au transport de soldats au plus près des combats. Appelé à remplacer les véhicules de l'avant blindés (VAB).

1818

575

1437

1818

Serval (dont Scorpion)

VBMR léger tactique polyvalent (transport de troupe, pose de commandement...). Appelé à remplacer les véhicules de l'avant blindés (VAB).

2038 (978)

189 (nc)

1405 (660)

2038 (978)

Marine nationale

Frégates de défense et d'intervention (FDI)

Bâtiments de combat capables d'opérer dans tous les domaines de lutte (antinavire, antiaérien, anti-sous-marin et projection de forces spéciales). Appelées à remplacer les Frégates type La Fayette (FLF).

5 FDI

5 FLF

3 FDI + 
2 FLF rénovées

5 FDI

Patrouilleurs hauturiers (PH)

Bâtiments contribuant à des missions de surveillance et de défense maritime du territoire. Appelés à remplacer les Patrouilleurs de haute-mer et les Patrouilleurs de service public (PSP).

10 PH

6 PHM + 3 PSP

7 PH

10 PH

Armée de l'Air et de l'Espace

Rafale

Avions de chasse omnirôle (pénétration et attaque au sol par tous les temps, attaque à la mer, défense et supériorité aérienne, intervention à long rayon d'action avec ravitaillement en vol, reconnaissance tactique et stratégique). Objectif de remplacement des Mirage 2000 D pour atteindre le « tout-Rafale ».

185 Rafale

100 Rafale + 36 M2000 D rénovés

137 Rafale + 48 M2000 D rénovés

185 Rafale

Source : commission des finances du Sénat, d'après le rapport annexé à la LPM 2024-2030

B. LE BUDGET 2024 CONSACRE NÉANMOINS UN EFFORT FINANCIER IMPORTANT AUX PROGRAMMES D'ÉQUIPEMENT

En 2024, les crédits consacrés à l'OS « Programmes à effet majeur » s'élèveraient à 9,1 milliards d'euros, soit une hausse de 600 millions d'euros par rapport à la LFI 2023. Cette hausse notable s'inscrirait dans la continuité des années précédentes, le taux de croissance annuel moyen de ces crédits étant de 9 % depuis 2019.

Évolution des crédits prévus au titre de l'opération stratégique
« Programmes à effet majeur » depuis 2019

(en milliards d'euros et en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire

Au sein du programme n° 146 « Équipement des forces », une évolution notable concerne les CP de l'action n° 9 « Engagement et combat », qui s'élèvent à 6 milliards d'euros, soit une hausse de 15,5 % par rapport à la LFI 2023, traduisant l'importance des livraisons prévues en 2024 au titre de ce système de force. D'importantes livraisons sont prévues sur les segments suivants :

- avions de chasse : 13 Rafale (comme en 2023) et 12 Mirage 2000D rénovés ;

- artillerie : 12 Caesar (après 6 en 2023) ;

- blindés : 282 véhicules Scorpion (après 288 en 2023) et 21 chars Leclerc rénovés (contre 12 en 2023) ;

- 1 sous-marin nucléaire d'attaque Barracuda (comme en 2023) ;

- la première frégate de défense et d'intervention.

D'importantes commandes sont en outre prévues en 2024 au titre du programme Scorpion, en vertu duquel le montant d'AE demandées s'élève à 3,4 milliards d'euros9(*), soit plus du triple du montant inscrit en LFI 2023 (0,9 milliard d'euros), témoignant de l'accélération du programme. Dans le détail, ces commandes portent sur 100 rénovations à mi-vie de chars Leclerc et 395 véhicules blindés Scorpion.

Le programme Scorpion

Lancé en 2014, le programme Scorpion consiste en la modernisation des groupements tactiques interarmes (GTIA) afin d'accroître, dans une approche globale et cohérente, leur efficacité et leur protection, en utilisant au mieux les nouvelles capacités d'échanges d'information au sein du GTIA.

Il comprend notamment les composantes suivantes :

- des véhicules blindés multi-rôles (VBMR) Griffon et Serval, destinés à remplacer les véhicules de l'avant blindés (VAB) - actuellement en service ;

- des engins blindés de reconnaissance et de combat (EBRC) Jaguar, destinés à remplacer l'AMX10-RC, l'engin blindé ERC Sagaie et le VAB HOT ;

- un système d'information du combat Scorpion (SICS) unique destiné à l'ensemble du groupement tactique interarmes ;

- l'adaptation du système de préparation opérationnelle aux nouvelles capacités Scorpion ;

- un premier standard de robotique à des fins de reconnaissance, d'observation, de cartographie et de dépose de charge ;

- des mortiers embarqués pour l'appui au contact (MEPAC) destinés à remplacer une part importante des mortiers de 120mm tractés, par l'intégration d'un mortier semi-automatique de 120mm sur Griffon adapté.

Le programme Scorpion s'accompagne d'un programme de rénovation à mi-vie (RMV) des chars Leclerc, visant à intégrer ce char de la génération précédente dans le combat collaboratif Scorpion à l'adapter aux nouvelles menaces (renforcement des fonctions de protection et d'agression) et à traiter les obsolescences lourdes.

Source : ministère des armées

Le programme n° 146 concourt également au financement de programmes qui sont d'une importance déterminante pour la guerre du futur, à l'instar des programmes liés :

- au porte avion de nouvelle génération (PA-ng), appelé à succéder au Charles-de-Gaulle à l'horizon 2038, au titre duquel 476 millions d'euros en AE sont prévus en 2024, destinés à financer l'avant-projet détaillé du navire et des chaufferies, ainsi que la levée des risques associés. S'y ajoutent 18 millions d'euros au titre de la préparation des infrastructures ;

- au système de combat aérien du futur (SCAF), appelé à succéder au Rafale à l'horizon 2040, programme réalisé en coopération avec l'Allemagne et l'Espagne, au titre duquel 66 millions d'euros en AE sont inscrit, portant le total des engagements consentis au titre de ce programme lancé en 2017 à 1,65 milliard d'euros. Après plusieurs années d'immobilisme, la fin de l'année 2022 a été marquée par un accord entre les industriels concernés (en particulier Dassault et Airbus) au titre du lancement de la phase de recherche dite 1B ;

- au projet Main Ground Combat System (MGCS), appelé à succéder au char Leclerc à l'horizon du milieu des années 2030, programme réalisé en coopération avec l'Allemagne, suite à la signature d'un accord en 2020. Pour la première fois en 2023, des crédits seront prévus au titre de ce programme, quoiqu'à un niveau modeste (33,1 millions d'euros).

L'avancement des programmes réalisés en coopération SCAF et MGCS constitue un point de vigilance majeur du rapporteur spécial. Malgré la convergence exprimée par les états-majors sur le besoin militaire, la mise en oeuvre industrielle a pris un retard considérable, en particulier s'agissant du MGCS, pour lequel aucune avancée importante n'a été constatée depuis le lancement du programme faute d'accord entre les industriels partie prenantes.

Peut enfin être relevé le doublement (+ 104,3 %) des AE de l'action n° 7 « Projection-mobilité-soutien » (4 milliards d'euros), qui traduit la montée en puissance des commandes liées au programme d'équipement en véhicules légers tactiques polyvalents (VLTP).

C. DES BESOINS DE RECOMPLÈTEMENT ENCORE IMPORTANT, QUI PÈSENT SUR NOTRE POTENTIEL MILITAIRE

1. La cession de 24 Rafale à la Croatie et à la Grèce

Le 25 janvier 2021, un contrat a été signé entre la France et la Grèce pour la vente de 18 avions Rafale, dont 12 d'occasion prélevés sur la dotation de l'Armée de l'air et de l'espace, faisant de la Grèce le premier client export du Rafale membre de l'UE, mais aussi de l'OTAN. Le premier avion a été livré au client le 21 juillet 2021 ; les activités de formation des personnels grecs se poursuivent en France. Afin de compenser la cession à la Grèce, une nouvelle commande de 12 avions Rafale neufs a été passée par la France dans la foulée de la signature du contrat avec la Grèce.

Fin mai 2021, le Gouvernement croate a également fait le choix de l'offre française proposant 12 avions Rafale d'occasion (prélevés sur la dotation de l'Armée de l'air et de l'espace). Cette commande porterait à 24 le nombre total d'appareils prélevés sur la flotte actuelle de l'armée de l'air. Cette évolution est de nature à remettre frontalement en cause les objectifs capacitaires fixés par la LPM pour 2025, et de peser fortement sur l'activité opérationnelle d'ici au remplacement des avions cédés.

Le programme Rafale

Le Rafale est un appareil totalement polyvalent, capable d'effectuer toutes les missions dévolues à un avion de chasse : dissuasion nucléaire, pénétration et attaque au sol par tous les temps, attaque à la mer, défense et supériorité aérienne, intervention à long rayon d'action avec ravitaillement en vol, reconnaissance tactique et stratégique. Il est aussi un appareil omnirôle : il peut, au cours du même vol, assurer différents types de missions, par exemple l'attaque au sol et la défense aérienne. Premier appareil conçu dès l'origine pour opérer aussi bien à partir d'une base terrestre que depuis un porte-avions, il est mis en oeuvre par l'armée de l'Air et de l'Espace et la Marine nationale.

Le périmètre du programme Rafale comprend la fourniture des avions, avec leurs équipements de mission et leur stock initial de rechanges. Il comprend également des moyens de maintenance et des centres de simulation. L'architecture industrielle du programme est confiée à Dassault Aviation. La cellule est conçue et produite par Dassault Aviation, les moteurs par Safran Aircraft Engine (ex-Snecma), le radar et la grande majorité des capteurs par Thales, les sociétés Safran Electronics & Defense (ex-Sagem) et MBDA sont également impliquées dans le programme Rafale.

La logique de conduite du programme Rafale s'appuie sur des développements continus permettant d'adapter les appareils par standards successifs à l'évolution du besoin. Les avions en service sont actuellement très majoritairement au standard F3-R.

Source : ministère des armées

En effet, ce prélèvement de 24 appareils constitue un effort substantiel pour le parc opérationnel de l'armée de l'Air et de l'Espace, composé de 102 appareils. Il représente ainsi une ponction de plus de 20 % des capacités de Rafale actuellement en dotation de l'armée de l'air.

Cette ponction intervient dans un environnement capacitaire d'ores et déjà tendu, alors que la LPM fixe une capacité opérationnelle de 129 appareils Rafale en 2025 pour l'armée de l'Air et de l'Espace, et de 225 appareils Rafale pour l'année 2030 (dont 185 pour l'armée de l'air et de l'espace). Cette cible prévisionnelle du programme Rafale a été revue deux fois depuis le lancement du programme (cible initiale de 320 avions), ce qui traduit le caractère « minimal » de cette cible :

- en 1996 : révision de la cible de 320 à 294 avions ;

- en 2006 : révision de la cible de 294 à 286 avions.

La LPM 2019-2025 a confirmé que les forces aériennes comprendront 225 Rafale (air et marine) et 55 Mirage 2000D rénovés pour répondre à l'ambition opérationnelle 2030, avant que cette cible n'ait été décalée à 2035 par la LPM 2024-2030 (voir supra).

Le ministère des armées a confirmé que la flotte serait intégralement recomplétée, avec la commande de 24 Rafale neufs :

- la cession des 12 Rafale à la Grèce sera achevée en 2023. La commande de recomplètement portant sur 12 appareils neufs a été passée, avec une livraison attendue pour 2025. La commande représente un coût total d'environ 1,5 milliard d'euros, dont 1 milliard d'euros pris sur l'enveloppe LPM 2019-2025 et 500 millions d'euros tirés du produit de cession.

- les premières cessions à la Croatie sont intervenues en 2023 et se poursuivent jusqu'en 2025. Une seconde commande de recomplètement portant sur 12 appareils neufs a également été passée en 2023 (portant le total des appareils commandés à 42), pour une livraison attendue en 2027. Le coût de cette commande peut être estimé à plus de 1,5 milliard d'euros.

À terme, l'opération ne serait pas dépourvue d'effets bénéfiques, puisqu'elle aura conduit à une homogénéisation et une modernisation de la flotte de Rafale de l'armée de l'Air et de l'Espace. Toutefois, dans l'attente du recomplètement de la flotte en 2027, soit avec deux ans de retard par rapport au jalon prévu par la LPM 2019-2025, cette cession entraine une réduction préoccupante des capacités opérationnelles intermédiaires. Cette remise en cause capacitaire aura un effet direct sur la capacité opérationnelle de l'armée de l'air et de l'espace. Elle devrait se traduire par une baisse de la préparation opérationnelle des équipages de pilotes de chasse, alors que cette dernière est loin d'atteindre les objectifs fixés par la LPM et les normes OTAN (voir infra).

Évolution du parc de Rafale de l'armée de l'Air et de l'Espace

(en nombre d'appareils)

 

2020

2021

2022

2023

2024

2025

2030

2035

Cible LPM 2019-2025

-

102

-

-

-

129

185

-

Cible LPM 2024-2030

-

 

-

-

-

-

137

185

Parc en dotation

102

96

96

100

109

117

-

-

Cessions Grèce

-

- 6

- 1

- 5

-

-

-

-

Cession Croatie

-

-

-

- 4

- 4

- 4

-

-

Livraisons

-

-

1

13

13

12

-

-

Source : commission des finances du Sénat

Surtout, le recomplètement de la flotte a été financé sous enveloppe LPM, alors que ces opérations n'avaient pas été prévues par la précédente programmation, et donc au détriment de l'atteinte des objectifs opérationnels et capacitaires fixés.

L'effort national de soutien aux exportations de matériel militaire (Soutex) constitue une politique par essence interministérielle, au service de l'autonomie stratégique et de l'économie française. Pour mémoire, l'exportation de matériels militaires apportait une contribution positive au solde commercial français de 7 milliards d'euros en 2021.

Pour cette raison, le rapporteur spécial, en sa qualité de rapporteur pour avis sur le projet de LPM 2024-2030, a été à l'initiative d'un amendement, retenu dans l'article 4 du texte final, visant à prévoir que le financement des recomplètements rendus nécessaires par les prélèvements d'équipements ou de matériels sur les parcs des armées au titre du soutien à l'exportation, au même titre que les cessions réalisées au profit des forces armées ukrainiennes, fasse l'objet d'abondements de crédits supplémentaires en cours de gestion.

2. Le soutien aux forces armées ukrainiennes

Les exercices 2022 et 2023 ont été marqués par d'importantes cessions d'équipement aux forces armées ukrainiennes.

La programmation 2024-2030 repose ainsi sur des besoins de recomplètements liés à ces cessions évalués à 1,2 milliard d'euros, devant être financés par des ressources additionnelles apportées en gestion par la « solidarité interministérielle » au cours de la période de programmation en application de l'article 4 de la LPM. Les responsables du ministère des Armées auditionnés par le rapporteur spécial lui ont cependant indiqué que ce besoin pourrait d'ores et déjà être réévalué et s'établirait, compte tenu de nouvelles cessions intervenues ou prévues, à près de 1,8 milliard d'euros.

Les cessions les plus emblématiques concernent les canons Caesar, (18 pièces en 2022, puis 12 en 2023). Ces camions équipés d'un système d'artillerie (Caesar), développés par le groupe français Nexter, constituent l'armement principal des régiments d'artillerie des brigades multi-rôles et d'engagement d'urgence de l'armée de Terre. Il permet avant tout de frapper avec la puissance d'une munition de 155 mm, à 40 km et avec une excellente précision.

La comparaison de ce total avec le parc en dotation de l'armée de Terre à fin 2023 (58 pièces) atteste de l'intensité de l'effort de soutien à l'Ukraine sur ce segment. La reconstitution de notre potentiel militaire appelle un recomplètement le plus rapide possible. Il a été indiqué au rapporteur spécial que le recomplètement des 18 pièces cédées en 2022 devrait intervenir à l'horizon 2024. En tout état de cause, la cible 2030 (109 pièces) n'a pas été décalée par la LPM 2024-2030.

IV. LA PRÉPARATION OPÉRATIONNELLE : UNE INTERRUPTION DE LA DIFFUSION DES INDICATEURS DE PERFORMANCE QUI INTERROGE, ALORS QUE DES INSUFFISANCES IMPORTANTES ONT ÉTÉ CONSTATÉES PAR LE PASSÉ

A. LES INSUFFISANCES CONSTATÉES LES ANNÉES PRÉCÉDENTES PAR RAPPORT AU NIVEAU REQUIS PAR LA HAUTE INTENSITÉ

1. Un potentiel militaire affaibli par la disponibilité insuffisante des matériels

La guerre en Ukraine a rappelé la nécessité impérieuse de préparer les armées françaises à une opération de coercition majeure dans le cadre d'une coalition internationale, pour lesquelles le calendrier est subi et impliquant des combats de haute intensité.

Ce type de conflits, qui tranche avec l'emploi des forces françaises en opérations extérieures au cours des dernières décennies, suppose un important durcissement de la préparation opérationnelle.

À titre d'exemple, l'armée de Terre a posé plusieurs jalons pour les années à venir en la matière :

- à fin 2023, être en mesure de déployer une brigade équipée Scorpion (voir encadré) en 10 jours ;

- à horizon 2025 : être en mesure de 2 brigades équipées Scorpion pour participer à une opération interalliée avec un préavis de 30 jours ;

- à horizon 2027 : être en mesure de projeter une division complète, composée de 2 brigades équipées Scorpion avec tout son environnement de soutien en 30 jours.

Comme l'avait déjà rappelé le rapporteur spécial lors de l'examen du projet de loi de finances pour 202310(*), la disponibilité des matériels11(*) pèse fortement sur l'activité opérationnelle.

S'agissant de l'armée de Terre, la disponibilité de l'équipement souffre notamment :

- de l'obsolescence de certains modèles, dont témoigne le niveau préoccupant de disponibilité des hélicoptères de manoeuvre (seulement 45 % en 2022 contre une cible fixée à 60 %) ou encore des chars Leclerc (seulement 75 % en 2022, contre une cible fixée à 90 %) ;

- des cessions à l'Ukraine, comme en témoigne la faible disponibilité des obus de 155 mm tirées par les canons Caesar (seulement 55 % en 2022, contre une cible à 90 %).

S'agissant de la Marine, si la disponibilité du porte-avions est forte (89 % en 2022) et celle des sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) en progrès (72 % en 2022, contre 51 % en 2021), celle des frégates reste faible (57 %). C'est d'autant plus préoccupant que les décalages de programme prévus par la LPM 2024-2030 (voir supra) vont entraîner des tensions sur ce segment.

S'agissant enfin de l'armée de l'Air et de l'Espace, les prélèvements opérés pour l'export sur le parc de Rafale (voir supra) pèsent fortement sur le taux de disponibilité des avions de combat, qui s'établit à 62 % en 2022, soit un niveau nettement inférieur à la cible (84 %) et à celui de 2021 (81 %).

Ces prélèvements pèsent également sur l'activité opérationnelle et en particulier sur le nombre d'heures de vol des pilotes de chasse, qui s'établissait à 169 heures en 2022 et est prévu à 147 heures en 2023, soit un niveau très en-deçà de la cible LPM, fixée par référence à la norme OTAN (180 heures de vol).

Préparation opérationnelle des pilotes
de l'armée de l'Air et de l'Espace

(en heures de vol)

 

2019
(réalisé)

2020
(réalisé)

2021
(réalisé)

2022
(prévision)

2022
(réalisé)

2023
(prévision)

Cible LPM

Norme OTAN

Chasse

159

152

161

162

169

147

180

180

Transport

185

176

192

208

207

189

320

400

Hélicoptère

161

155

163

183

157

181

200

200

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire

2. Un effort important sur le maintien en condition opérationnelle

L'exercice 2024 serait marqué par l'accélération de l'effort en faveur du maintien en condition opérationnelle, avec une augmentation des crédits dédiés à l'opération stratégique « entretien programmé des matériels » (EPM) (+ 775 millions d'euros, soit une hausse de 14 % par rapport à 2023), amplifiant la dynamique de ces dernières années. Le taux de croissance annuel moyen des dépenses d'EPM s'établirait ainsi à 9 % sur la période 2020-2024.

Ces efforts s'inscrivent dans le cadre d'un chantier de simplification du paysage contractuel, avec la mise en place de schémas « verticalisés », c'est-à-dire la passation de contrats longs et globaux, confiant la responsabilité de la quasi-totalité de la maintenance à un maître d'oeuvre unique. Cette politique consiste à remplacer les multiples marchés transverses à tranches conditionnelles fermes par des contrats globaux de soutien sur une plus longue durée donnant de la visibilité aux industriels et avec des objectifs de performance précis, assortis d'obligations de résultat. Il conviendra donc, lorsque le recul sera suffisant, d'évaluer l'efficacité de ces contrats en matière de disponibilité technique opérationnelle, ainsi que leur efficience en termes de maîtrise des coûts de maintien en condition opérationnelle pour le budget de la mission « Défense ».

Pour l'armée de Terre, les crédits d'EPM affichent une hausse de 19 % en 2024 (après 18 % en 2023). Elle résulte majoritairement de l'accroissement des coûts de l'EPM terrestre du fait de la modernisation du parc et les impératifs liés à la montée en puissance des équipements de nouvelle génération (Scorpion), concomitante avec le maintien de parcs plus anciens (chars Leclerc). Le cycle des coûts du MCO forment en effet une courbe « en U » : ils sont les plus importants dans les premières et dernières années de vie des matériels.

Pour la Marine, les crédits d'EPM affichent une hausse de 8 % en 2024 (après 9 % en 2023). Ils permettent notamment de couvrir le coût des contrats de rénovation à mi-vie des missiles Aster et Exocet.

Pour l'armée de l'Air et de l'Espace, l'année 2024 confirme l'effort sur les crédits d'EPM, avec une hausse de 14 % des crédits après une progression de 9 % en 2023. Elle est notamment portée par la montée en puissance des flottes modernes d'A400M et de MRTT.

Évolution des crédits en faveur de l'entretien programmé des matériels (CP)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire

Le rapporteur spécial ne peut que saluer cette évolution, qui est de nature à permettre d'améliorer la disponibilité des matériels, même si l'effort de MCO ne saurait être perçu comme un moyen de compenser les trous capacitaires provoqués notamment par les exportations de Rafale et les décalages de programmes prévus par la LPM 2024-2030.

B. UNE INTERRUPTION SUBITE DE LA PUBLICATION DES INDICATEURS D'ACTIVITÉ DES FORCES ET DE DISPONIBILITÉ DES MATÉRIELS À COMPTER DE 2024

Le projet annuel de performances de la mission « Défense » annexé au PLF 2024 comporte une refonte de la maquette de performance du programme n° 178 « Préparation et emploi des forces », qui s'accompagne d'une interruption de la publication des indicateurs relatifs à la disponibilité des matériels à l'activité des forces. Ces données, désormais classées « diffusion restreinte - spécial France » restent accessibles aux parlementaires des commissions chargées des finances et de la défense, mais ne sont plus disponibles en source ouverte.

Interrogés sur ce point par le rapporteur spécial, les responsables des états-majors auditionnés ont indiqué que le ministère des Armées, dans un souci de transparence, aurait fait preuve par le passé d'une forme de « naïveté » en publiant ainsi des éléments de nature à révéler de façon assez précise notre potentiel militaire à nos compétiteurs.

Si le rapporteur spécial est bien entendu sensible à cet enjeu, il s'interroge sur le choix d'interrompre la diffusion de ces indicateurs dans leur intégralité alors que ceux-ci constituent un élément essentiel du débat budgétaire.

Il appelle ainsi le ministère des Armées, dans la perspective de l'élaboration des documents budgétaires afférents aux prochains textes, à s'efforcer de rechercher un meilleur équilibre entre la protection de la sécurité nationale et la transparence vis-à-vis des parlementaires et des citoyens qui est inhérente au dispositif de performance de la dépense publique.

À titre d'exemple, les documents annexés aux projets de lois relatives aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année pourraient à tout le moins diffuser un indicateur de taux de réalisation des cibles prévues, sans révéler le niveau de la cible en valeur absolue, que les rapporteurs pourraient continuer de vérifier sous une version non diffusable, afin que le débat puisse s'engager sur cette base.

V. LE DÉFI DE LA COHÉRENCE : FOCUS SUR L'EFFORT EN FAVEUR DU SERVICE DE SANTÉ DES ARMÉES ET DU SERVICE DU COMMISSARIAT DES ARMÉES

Dans un souci de renforcement de la « cohérence » du modèle d'armées, la LPM 2024-2030 prévoit un renforcement des moyens consacrés aux services de soutien (18 milliards d'euros), soit une progression de 4 milliards d'euros par rapport à la LPM 2019-2025. Ces services avaient en effet été « taillés au plus juste » au cours de la décennie 2008-2018, marquée par la politique de déflation impulsée au titre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) puis de la LPM 2014-2029.

Avec un objectif d'augmentation des effectifs de 140 ETP en 2024, les soutiens bénéficieraient d'une part significative du schéma d'emploi prévu au présent PLF (35 %).

A. LE SERVICE DE SANTÉ DES ARMÉES : UNE PIÈCE MAÎTRESSE DE NOTRE OUTIL DE DÉFENSE EN COURS DE REMONTÉE EN PUISSANCE

Comme le rapporteur spécial l'a rappelé à l'occasion du travail de contrôle budgétaire qu'il a consacré en 2023 au service de santé des armées (SSA)12(*), face à la dégradation de notre environnement stratégique, marqué par le retour de la guerre en europe, l'indispensable remontée en puissance de nos armées ne pourra se faire qu'avec un service de santé capable de soutenir un engagement des forces dans un conflit de haute intensité.

Le SSA est un service interarmées ayant pour mission d'apporter en tout temps, en tous lieux et en toutes circonstances, à tout militaire exposé à un risque lié à son engagement opérationnel, un soutien qui lui garantit la prévention la plus efficace et la meilleure qualité de prise en charge en cas de blessure ou de maladie.

Si le service a été structurellement fragilisé par la politique de déflation qui lui a été appliqué au cours de la décennie passée, avec une baisse d'effectifs de 10 % sous la programmation 2014-2019, les LPM 2019-2025 et 2024-2030 ont entendu accompagner la remontée en puissance de ce service indispensable au regard des objectifs opérationnels fixés aux armées à cet horizon.

En PLF 2024, les crédits hors T2 du SSA, attributions de produits comprises, s'établiraient à 461,3 millions d'euros en CP, dont 65 millions d'euros dédiés aux infrastructures, soit une hausse importante par rapport à 2023 (389,6 millions d'euros).

S'agissant du SSA, la programmation 2024-2030 prévoit quant à elle une enveloppe de crédits hors titre 2 (HT2) totale de 3,8 milliards d'euros, soit environ 1 milliard de plus que celle prévue pour la période 2019-2025.

Il en résulte une trajectoire de nette augmentation de ces crédits (+ 12 % par an en moyenne), pour les porter à plus de 700 millions d'euros en 2030.

Il est cependant à noter que la principale marche (+ 144 millions d'euros) est prévue pour la dernière année de la programmation, et est donc renvoyée au milieu du prochain quinquennat, rendant sa réalisation pour le moins hypothétique. Cette observation, comme l'avait relevé le rapporteur spécial en sa qualité de rapporteur pour avis lors de l'examen du projet de LPM 2024-2030, vaut d'ailleurs pour l'ensemble de la trajectoire programmée13(*).

Évolution des crédits de paiement hors T2 programmés
au profit du SSA entre 2014 et 2030

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Cependant, malgré la hausse importante des moyens, la remontée en puissance ne se décrète pas. En effet, la déflation des moyens et des effectifs du SSA est intervenue au pire des moments, à savoir à l'orée d'une période de fortes tensions sur les ressources humaines et sur les compétences qui affecte l'ensemble du secteur de la santé et qui perdure à ce jour. Cette conjoncture a pour effet de saper les efforts budgétaires déployés en faveur du SSA pourtant entrepris depuis 2019. Comme le montre en effet le graphique ci-dessous, la hausse significative des crédits prévus au titre du SSA sous la programmation 2019- 2025 s'est accompagnée d'une stagnation des effectifs : elle a seulement permis de « stopper l'hémorragie ».

Évolution comparée des effectifs employés et des crédits
prévus en lois de finances au titre du SSA depuis 2019

(en millions d'euros et en ETP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Comme l'a indiqué le rapporteur spécial dans le cadre de ses travaux, les tensions sur les ressources humaines - qui affecte au demeurant les armées dans leur ensemble (voir supra) - constituent aujourd'hui la principale limite à la montée en puissance du SSA jusqu'au niveau requis par la haute intensité.

La LPM 2024-2030 prévoit ainsi un renforcement conséquent des effectifs (+ 460, soit 3 %). La capacité du SSA à atteindre cet objectif sera en tout état de cause soumise à la conjoncture sur le marché du travail dans le secteur de la santé.

Évolution des effectifs du service de santé des armées depuis 2015
et cible d'augmentation prévue par la programmation 2024-2030

(en ETP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

B. LE SERVICE DU COMMISSARIAT DES ARMÉES : UN NÉCESSAIRE RENFORCEMENT DES MOYENS POUR QUE « L'INTENDANCE SUIVE »

Le service du commissariat des armées (SCA) est un organisme militaire en charge du soutien et de l'administration générale pour le ministère et les armées en particulier, en métropole, outre-mer, à l'étranger et en opérations extérieures.

Responsable des achats pour la vie courante, du transport des forces ainsi que de l'exécution des dépenses relevant du soutien commun au profit des armées, le SCA est également compétent dans les différents domaines du soutien de l'homme tels que les équipements individuels (habillement) et collectifs (matériels de vie en campagne), vivres opérationnels (rations de combat), du transport de personnel et de la gestion des véhicules de la gamme commerciale du ministère. Il est aussi en charge de la fonction restauration ainsi que de la gestion base vie comprenant entre autre l'hébergement et l'hôtellerie.

Il assure enfin une fonction mutualisée d'administration du personnel, exécute le service de la solde des militaires, gère les frais de déplacement et les changements de résidence du ministère et exerce également une fonction de conseil juridique au commandement.

À l'instar des autres services de soutien, le SCA a subi réduction de son format de près de 7 700 postes entre 2014 et 2022 (soit une baisse de 25 % de ses effectifs).

La LPM 2024-2030 prévoit également une remontée en puissance du SCA, notamment dans une perspective de préparation à la haute intensité.

En PLF 2024, les crédits hors T2 du SCA s'élèvent à 837,6 millions d'euros en CP, soit une hausse de 4,6 % par rapport à 2023.

Sur l'ensemble de la programmation, une enveloppe de 7,8 milliards d'euros est prévue, et une augmentation nette des effectifs de 417 ETP, sans permettre toutefois d'atteindre le format de 2019.

Évolution des effectifs du service du commissariat des armées programmées
par les LPM 2019-2025 puis 2024-2030

(en ETP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Dès 2024, les principaux objectifs fixés au SCA dans le cadre de la programmation concernent :

- la mise en oeuvre du Plan Famille 2 (voir supra) ;

- la montée en puissance des fonctions habillement et alimentation pour accompagner l'objectif de croissance de la réserve opérationnelle porté par la LPM ;

- le renforcement des chaînes de production des vivres opérationnels ;

- le renforcement du maintien en condition opérationnelle des équipements de transport.

VI. LA POLITIQUE IMMOBILIÈRE : LE MINISTÈRE DES ARMÉES FACE AU MUR DE LA « DETTE GRISE »

Tous programmes confondus, les crédits de la politique immobilière portée par la mission « Défense » s'élève à 2,3 milliards d'euros en AE et 2,2 milliards d'euros en CP, soit un niveau relativement stable par rapport aux exercices précédents.

Évolution des crédits totaux dédiés à la politique immobilière

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Malgré l'importance des montants en jeu, l'ensemble des responsables du ministère auditionnés par le rapporteur spécial ont attesté d'un état particulièrement dégradé des bâtiments, au préjudice de l'attractivité des armées dans un contexte de ressources humaines tendues ainsi que des besoins opérationnels.

Les sous-dotations chroniques en matière d'entretien et de rénovation ont entraîné la constitution d'une importante et coûteuse « dette grise ».

La dégradation de l'état général du patrimoine du ministère est bien attesté par les travaux du service d'infrastructure de la défense (SID) qui évalue annuellement sa performance14(*).

Le SID définit un indicateur de risque, qui mesure :

- les risques pour la sécurité des personnes et des biens ;

- la présence de défauts avérés de disponibilité de nature à compromettre la mission des forces armées ou l'exécution du service public de défense.

Performance du patrimoine du ministère des Armées mesuré
par le Service d'infrastructures de la défense

(en pourcentage de la superficie en m2)

Année

Risque faible

Risque moyen

Risque élevé

Risque très élevé

2014

25,0

64,1

10,0

0,9

2015

22,9

65,4

11,0

0,7

2016

20,6

65,2

13,5

0,7

2017

18,3

60,8

18,9

2,0

2018

15,1

64,4

18,8

1,7

2019

9,9

70,4

18,0

1,7

2020

12,9,

66,4

19,2

1,5

2022

12,8

61,3

24,1

1,8

Note : les données 2021 sont indisponibles.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Comme le montre le tableau ci-dessus, la part du patrimoine représentant un risque élevé ou très élevé est passée de 10,9 % en 2014 à 25,9 % en 2022.

À cet égard, le rapporteur ne peut que saluer l'effort important annoncé en LPM 2024-2030 en matière d'infrastructures. Celle-ci prévoit à cet effet une enveloppe de 16 milliards d'euros (contre 12 milliards d'euros prévus sous la précédente programmation), même si un tel niveau de dépenses aurait sans doute pu être évité en anticipant davantage les besoins et en procédant en temps utile aux remises en état nécessaires.

S'agissant par exemple du SSA, les hôpitaux d'instruction des armées (HIA) Percy (Clamart), Clermont-Tonnerre (Brest), et Laveran (Marseille) se trouvent sur ce plan dans un état particulièrement dégradé. La décision de remplacer l'hôpital Laveran à Marseille par un HIA de nouvelle génération (HIA-NG) pour 2031, projet donc le coût est estimé à 300 millions d'euros, constitue donc un symbole fort et positif. Le projet avait été inscrit dans le rapport annexé à la LPM 2024-2030 grâce à un amendement du rapporteur spécial (alors en sa qualité de rapporteur pour avis) retenu dans le texte adopté.

Il conviendra, pour l'avenir de se montrer certes vigilant à ce que les projets programmés soit menés à bien, mais surtout de veiller à ce que les dépenses d'entretien des nouvelles infrastructures soit prévues à un niveau suffisant pour éviter la constitution d'une nouvelle « dette grise ».

LES MODIFICATIONS CONSIDÉRÉES COMME ADOPTÉES
PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 49, ALINÉA 3 DE LA CONSTITUTION

Le Gouvernement, dans le cadre du texte sur lequel il a engagé sa responsabilité en application de l'article 49, alinéa 3 de la Constitution, a retenu son amendement qui vise à minorer les crédits de la mission de 22,62 millions d'euros en AE et en CP, via :

- une minoration de 15,04 millions d'euros en AE et en CP des crédits du programme n° 178 « Préparation et emploi des forces » (action n° 5 « Logistique et soutien interarmées ») ;

- une minoration de 15,04 millions d'euros en AE et en CP des crédits du programme n° 212 « Soutien de la politique de la défense » (action n° 11 « Pilotage, soutien et communication »).

Cette minoration correspond à une mesure de périmètre, la compensation devant être versée par de l'État aux régions, à compter du 1er janvier 2024, afin de prendre en charge l'impact des réductions spécifiques, sur les services de transport ferroviaire relevant de la compétence desdites régions en leur qualité d'autorités organisatrices de la mobilité, bénéficiant aux militaires, à leurs familles et à leurs ayants cause15(*), en application de l'article L. 1614-8- 1 du code général des collectivités territoriales relatif à la compensation aux régions des charges induites par l'exercice de leurs compétences en matière de transport. Le montant de cette minoration correspond à celui de la compensation attribuée aux régions.

Un amendement gouvernemental « miroir » majore à due concurrence les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » pour abonder la dotation générale de décentralisation, appelée à être le véhicule de cette compensation.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 15 novembre 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de M. Dominique de Legge, rapporteur spécial, sur la mission « Défense ».

M, Claude Raynal, président. - Nous en venons au rapport de notre collègue Dominique de Legge, rapporteur spécial pour la mission « Défense ».

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - Le budget que nous examinons ce matin marque l'entrée dans la nouvelle loi de programmation militaire (LPM) adoptée l'été dernier.

Le bouleversement géostratégique induit par la guerre en Ukraine nous avait en effet amenés à décider d'interrompre la programmation en cours au profit d'une nouvelle LPM couvrant la période 2024-2030. Pour mémoire, celle-ci prévoit une enveloppe de 400 milliards d'euros de crédits budgétaires, soit environ 100 milliards d'euros de plus que la précédente. Si l'on ne pouvait que saluer l'ampleur de l'effort budgétaire, le Sénat avait adressé deux reproches majeurs à l'encontre de cette LPM. Le premier tenait à ce qu'elle reportait l'essentiel de l'effort après 2027, le second à ce qu'elle affichait 13 milliards de ressources additionnelles, dont une part importante était insuffisamment documentée. Sur le premier point, nous avons obtenu partiellement satisfaction, avec une révision de la courbe d'évolution des crédits ; sur le second, le principe d'une compensation en lois de finances a été établi dans l'éventualité où les ressources extrabudgétaires constatées en exécution seraient inférieure à la prévision.

Avant de vous livrer mes principales observations sur le budget qui nous est proposé pour 2024, je souhaite, dans le prolongement de nos débats de ce matin, dire un mot sur le schéma de fin de gestion 2023, qui détermine les « conditions d'entrée » dans la nouvelle LPM.

Une enveloppe exceptionnelle de 1,5 milliard d'euros avait été annoncée par le ministre Lecornu au printemps dernier. Celle-ci poursuit deux finalités : réduire le report de charges et anticiper certaines commandes prévues par la LPM.

Il était important, en effet, d'aborder la nouvelle programmation avec un report de charges maîtrisé, afin de garantir sa soutenabilité. Celui-ci s'élèverait malgré tout à 4,7 milliards d'euros fin 2023, venant d'emblée grever l'exécution 2024. De façon plus classique, le schéma de fin de gestion doit ainsi permettre de compenser les surcoûts opérationnels auxquels les armées ont fait face au titre des opérations extérieures et missions intérieures, ainsi que de la hausse du prix des carburants. S'y ajoutent, comme en 2022, des surcoûts liés au soutien à l'Ukraine et aux déploiements de nos armées sur le flanc est de l'Otan.

En analysant les choses dans le détail, on s'aperçoit cependant qu'une part importante des enveloppes annoncées n'est pas financée en réalité par des crédits frais.

Le ministère des armées étant peu enclin à faire état des manoeuvres budgétaires qui caractérisent immanquablement ses schémas de fin de gestion, la communication de leur détail nous a demandé beaucoup de persévérance et d'insistance.

In fine, les besoins que j'ai cités représentent un total de 2,9 milliards d'euros, financés à hauteur de 2,2 milliards d'euros de crédits frais proposés dans le cadre du projet de loi de finances de fin de gestion (PLFFG) et à hauteur d'à peu près 700 millions d'euros sur l'enveloppe actuelle.

Ces décalages, qui s'ajoutent donc à un report de charges maintenu à un niveau important, font ainsi entrer le ministère « à crédit » dans la nouvelle LPM. L'objectif était de maintenir le report de charges sous le seuil de 12 % des crédits hors masse salariale. Ici, malgré les ouvertures nettes prévues par le PLFFG, nous atteindrons 15 %.

Pour 2024, les ouvertures de crédits demandées s'élèvent à 68 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 57 milliards d'euros en crédits de paiement (CP). Sur le périmètre de la LPM, c'est-à-dire hors contribution au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions », les crédits demandés s'élèvent à 47,2 milliards d'euros. Cela fait de la mission « Défense » le troisième poste du budget de l'État après l'enseignement scolaire mais aussi, il faut le rappeler, après la charge de la dette.

Ces crédits connaîtraient une progression de 3,3 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2023. Il s'agit d'une hausse conséquente - la deuxième plus importante de ce projet de loi de finances (PLF) - dont on ne peut que se féliciter. Cette progression, strictement conforme à la LPM et au projet de loi de programmation des finances publiques, est supérieure de 300 millions d'euros à celle qui est inscrite dans le cadre de la précédente programmation. C'est également 300 millions d'euros de plus que ce que ne prévoyait le texte initial du projet de LPM.

L'ensemble des responsables du ministère que j'ai auditionnés, incluant les trois états-majors, m'ont confirmé que le budget proposé traduit fidèlement la programmation.

Pour autant, quelques points d'alerte méritent d'être soulignés.

Le plus saillant d'entre eux porte sur les ressources humaines, qui constituent une véritable ombre au tableau de la programmation.

Le ministère des armées subit de plein fouet les conséquences des tensions persistantes observées sur le marché du travail, qui affectent au demeurant la majorité des employeurs publics et privés. La nouvelle LPM a ainsi révisé nettement à la baisse la cible d'augmentation des effectifs prévue pour 2024 dans le cadre de la précédente programmation, en passant de 1 500 à 700 équivalents temps plein (ETP). Deux mois à peine après l'adoption de la LPM 2024-2030, le PLF abaisse encore cette cible, désormais fixée à 400 ETP.

L'atteinte de l'objectif, même révisé à la baisse, n'a rien d'acquis, alors que les schémas d'emplois sont négatifs depuis 2021 et que celui de 2023 devrait s'établir à environ - 2 000 ETP. L'armée de Terre rencontre des difficultés considérables à recruter ses militaires du rang, ce qui est inhabituel, mais surtout inquiétant. Tout porte donc à croire que la construction de la LPM a reposé sur un excès d'optimisme quant aux capacités de recrutement du ministère pour les années à venir.

Or une forte sous-réalisation des cibles en matière d'effectifs serait de nature à fragiliser considérablement la crédibilité de l'atteinte des objectifs de la programmation. Une bonne partie des créations d'emplois prévues, qui étaient en effet directement liées à certaines priorités militaires structurantes, correspondent à des compétences rares et très recherchées, notamment dans le domaine du cyber.

Un deuxième point d'inquiétude concerne les équipements.

Je ne reviens pas sur le regrettable décalage de 2030 à 2035 de certaines cibles capacitaires, entériné par la nouvelle LPM. Ces décalages concernent des programmes structurants, tels que le programme Rafale ou celui relatif aux frégates de défense et d'intervention. Je me suis déjà exprimé, à l'occasion de l'examen du projet de LPM par notre commission, sur le mauvais signal que ces décalages envoient à nos alliés comme à nos compétiteurs.

Les efforts budgétaires sont certes importants. À titre d'exemple, près de 3,4 milliards d'euros d'AE concernent le seul programme Scorpion, relatif à la modernisation des capacités de combat de l'armée de terre.

Toutefois, malgré la hausse des crédits de la mission, nos armées continuent de subir les effets de remises en cause capacitaires décidées sur certains segments majeurs. Je pense notamment à la décision, prise en 2021, de prélever pour l'export 24 Rafales sur la dotation de l'armée de l'Air et de l'Espace, alors composée de 102 appareils. Le recomplètement du parc ne devrait être achevé qu'en 2027.

Il faut également souligner l'impact d'importantes cessions opérées au profit des forces armées ukrainiennes, qui affectent en particulier notre parc de canons Caesar. Tout doit être mis en oeuvre pour que les recomplètements afférents, financés par la solidarité interministérielle comme le prévoit la LPM, soient réalisés le plus rapidement possible.

Les problématiques rencontrées au titre de la préparation opérationnelle font directement écho à ces remises en cause capacitaires. À titre d'exemple, les cessions que j'ai évoquées, pèsent directement sur notre potentiel militaire, comme en témoigne la faible disponibilité pour l'entraînement des obus de 155 mm tirés par les canons Caesar et des avions de combat, dont il résulte une préparation insuffisante des pilotes en termes de nombre d'heures de vol.

Ce type d'indicateurs, relatifs à la disponibilité des matériels et à l'activité opérationnelle, sont essentiels pour apprécier notre potentiel militaire et, partant, la performance de la dépense publique consacrée à nos armées. C'est la raison pour laquelle j'ai accordé une place importante à leur analyse dans mes rapports spéciaux des années précédentes.

À compter de cette année, ces indicateurs ont été classifiés « diffusion restreinte - spécial France » et ont à ce titre été purement et simplement supprimés du projet annuel de performances. Si j'ai été en mesure de les consulter, il ne m'est pas pour autant loisible de les commenter publiquement. Le ministère m'a indiqué que, en les publiant, il aurait fait preuve par le passé d'une forme de « naïveté », en poussant la transparence plus loin que ne le font nos compétiteurs. Même si nous le comprenons, je m'interroge cependant sur le choix d'interrompre la diffusion de l'intégralité de ces indicateurs, pour l'ensemble des équipements et l'ensemble des activités opérationnelles. Je me demande notamment si un meilleur équilibre entre les exigences de sécurité nationale et celles de transparence à l'égard des parlementaires et des citoyens n'aurait pas pu être recherché, car il est le gage d'un débat budgétaire de qualité, ne s'impose pas.

Pour l'avenir, il pourrait être opportun que le Gouvernement publie a minima, en loi d'approbation des comptes, le taux d'atteinte des cibles, même sans référence à leur niveau en valeur, afin que le débat puisse s'engager au moins sur les résultats du ministère en matière de préparation opérationnelle.

J'ai également souhaité mentionner dans mon rapport la situation très fortement dégradée du patrimoine immobilier géré par le ministère des armées, qui fait désormais face à un mur de dette grise. L'enveloppe importante de 16 milliards d'euros prévue par la LPM en matière d'infrastructures témoigne d'une prise de conscience de la situation. Un tel niveau de dépenses aurait cependant pu être évité en anticipant davantage les besoins et en procédant en temps utile aux remises en état nécessaires. Il conviendra, pour l'avenir, d'en tirer les leçons.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le renforcement du budget des armées par la LPM répond à la dégradation du contexte stratégique. Les incertitudes propres à la situation internationale expliquent par ailleurs la nécessité d'ouvrir des crédits supplémentaires en fin de gestion.

Cependant, une préoccupation demeure quant aux effectifs. Il est de plus en plus fait état de difficultés rencontrées par les armées pour remplir leurs tableaux d'effectifs, avec une pénurie de candidats ou avec des personnes qui, une fois recrutées, ne restent pas au-delà des premières années de leur engagement. On m'a encore récemment donné l'exemple d'un groupe de quelque 15 recrues où, moins de deux ans après avoir signé leur engagement, six d'entre elles avaient déjà quitté l'armée. Cette situation pose notamment la question des moyens consacrés à la formation. Il faut essayer de mieux cerner, dans le recrutement des armées, les aspirations des jeunes prêts à s'engager. Avez-vous eu des éléments d'information sur ce sujet ?

M. Jean-François Rapin. - Je constate avec vous les ouvertures de crédits justifiées par l'aide apportée à l'Ukraine, qui a suscité un certain nombre de commentaires dans le débat public. Le matériel donné à ce pays était évidemment du matériel d'occasion, mais le chiffrage de l'aide avait été effectué sur la base d'un matériel neuf. Cela a pu gonfler l'évaluation du montant de l'aide et la presse s'en est fait l'écho. Si, par exemple, la valeur d'un véhicule de combat léger AMX-10 RC neuf avoisine 4 millions d'euros, le matériel que nous avons remis aux Ukrainiens datait d'une dizaine d'années, et avait vocation à être remplacés.

M. Marc Laménie. - Je m'interroge sur les moyens humains des armées, sur la crise des vocations en leur sein et sur le problème de la fidélisation de leurs effectifs. Certes, des dispositifs de nature interministérielle existent en vue de promouvoir le recrutement. On peut citer la Journée défense et citoyenneté (JDC), qui est obligatoire, le service national universel (SNU), le service militaire volontaire (SMV) dont on s'aperçoit qu'il suscite peu de vocations, enfin le lien avec l'éducation nationale par les classes de défense et de sécurité globales (CDSG). Mais comment parvenir à recruter davantage et à susciter plus de vocations ?

Par ailleurs, nos militaires participent activement aux missions de sécurité intérieure dans le cadre de l'opération Sentinelle. Avons-nous une idée du coût de cette opération ?

Enfin, nombre d'anciennes casernes demeurent désaffectées ou ont été rachetées à l'euro symbolique par des collectivités territoriales en vue de leur reconversion. Qu'en est-il plus précisément de ce patrimoine militaire ?

M. Olivier Paccaud. - Le manque d'attractivité de la « grande muette » apparaît particulièrement inquiétant. S'y ajoutent les démissions qui touchent différents métiers de l'armée, notamment ceux des médecins militaires.

Les difficultés de recrutement concernent-elles d'abord les métiers qui requièrent le plus de compétences ? Concernent-elles moins les militaires sans qualification ? Les difficultés tiennent-elles plus spécifiquement à la problématique de la rémunération ?

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - J'imagine que ces problématiques de recrutement diffèrent selon les armes et les niveaux de recrutement. Il faut attirer certaines personnes vers le monde militaire, y fidéliser d'autres personnes. Le développement de nouvelles politiques comme en matière de nucléaire civil, avec l'accroissement de notre capacité de production électrique d'origine nucléaire, provoque une concurrence sévère des entreprises privées, en tout cas en milieu de carrière professionnelle. Dans les domaines du nucléaire et du cyber, réfléchit-on à des solutions innovantes de recrutement latéral, à des partenariats avec des entreprises privées, ce qui permettrait des allers-retours entre secteurs public et privé aux différentes étapes d'une carrière ? Les mesures de fidélisation actuelles, telles que le déroulement de carrière, demeurent extrêmement classiques et je crains qu'elles ne suffisent pas.

M. Michel Canévet. - Les travaux du rapporteur spécial montrent que depuis trois ans, alors qu'on prévoit des augmentations d'effectifs, on aboutit finalement en exécution à leur réduction assez significative. Cette situation ne risque-t-elle pas d'entamer l'opérationnalité de nos forces armées ? Des armes connaissent-elles d'ailleurs davantage de problèmes de recrutement que d'autres ? Récemment, dans une foire-exposition bretonne, j'ai vu que des militaires étaient présents pour promouvoir les métiers proposés au sein de l'armée.

Sous l'angle des moyens matériels de nos armées et de leur opérationnalité, la situation s'est-elle améliorée avec les moyens supplémentaires qui ont été alloués à leur maintenance ? Je pense en particulier aux avions et aux hélicoptères de la Marine nationale.

M. Rémi Féraud. - Est-il possible d'objectiver le soutien militaire que la France apporte à l'Ukraine ? D'un côté, on entend que la France compte au rang des pays occidentaux qui soutiennent le moins l'Ukraine ; de l'autre - par exemple dans un rapport de l'Assemblée nationale -, des analyses communiquent des sommes significatives. Tout ne repose certes pas sur le budget de la défense - et des difficultés existent également quant à l'approvisionnement en matériel -, mais le ministre Lecornu a récemment annoncé 200 millions d'euros d'aide supplémentaire à l'Ukraine.

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - Nombre de vos questions portent sur les enjeux de ressources humaines. Des secteurs sont-ils plus en tension que d'autres ? C'est bien évidemment le cas de ceux qui ont trait au cyber, au nucléaire. S'ils n'ont pas les mêmes finalités, le nucléaire civil et le nucléaire militaire recourent aux mêmes cursus de formation et le premier a tendance à tarir la ressource disponible.

En outre, les militaires nous apprennent que la crise du covid-19 les a quelque peu coupés de la jeunesse pendant dix-huit mois. A également été mentionnée la question de l'accès à internet qui n'est nullement anecdotique. Dans les casernements, les jeunes gens sont friands de moyens modernes de communication. Le plan Famille mis en place par le ministère tente d'apporter une réponse. Une difficulté demeure cependant : des militaires engagés dans certaines opérations, ou lors de simples exercices, ne peuvent accéder à internet ni communiquer, non pas tant pour des motifs techniques que pour des raisons de sécurité. C'est par exemple le cas des sous-mariniers.

Au demeurant, les rémunérations ne sont pas forcément à hauteur des attentes.

La difficulté consiste à avoir un solde positif. À partir des années 2000 et jusqu'à 2015, nous étions entrés dans une logique de réduction des effectifs. La remontée en puissance s'effectue à présent d'autant plus difficilement que nous peinons à fidéliser nos personnels. Nos militaires ne vont plus systématiquement jusqu'au terme du contrat qu'ils ont passé avec les armées. La prime de lien au service (PLS) s'efforce, avec un modeste succès, de les y inciter. Une disposition de la LPM prévoit que, si les effectifs ne sont pas atteints, la ligne budgétaire prévue au titre des dépenses de personnels soit maintenue afin de permettre au ministère de financer des mesures salariales.

Je n'en partage pas moins vos réflexions qui font souvent écho à vos contacts sur le terrain : c'est ici un point de vigilance, pour ne pas dire de faiblesse.

Nous disposons de chiffres précis sur le coût pour les armées du soutien l'Ukraine. Il est évalué à 368 millions d'euros au titre de l'année 2023. Ce montant se répartit dans le budget du ministère des armées entre le programme 146 « Équipement des forces », à hauteur de 176 millions d'euros, et le programme 178 « Préparation et emploi des forces », pour 192 millions d'euros. S'ajoute le fonds de soutien à l'Ukraine, qui permet aux Ukrainiens d'acquérir du matériel, si possible français. Il est doté initialement de 200 millions d'euros et appelé à être renforcé de 200 millions d'euros. Ces montants n'incluent cependant pas les surcoûts engendrés par le déploiement de nos armées sur le flanc Est de l'Otan.

L'opération Sentinelle mobilisait 3 000 militaires, avant que ce total ne soit récemment porté à 7 000 personnes. Ce renforcement lié au contexte sécuritaire actuel n'aura que peu d'incidences sur l'exécution 2023, mais elle risque de peser plus sur celle de 2024.

En lien avec l'observation de Marc Laménie, j'attire votre attention sur le fait que l'article 23 undecies du projet de loi de finances pour 2024 assouplit les conditions dans lesquelles le ministère des Armées peut céder son patrimoine à titre gratuit aux collectivités territoriales. Toutefois, ce patrimoine s'avère souvent en mauvais état.

La mise en place de contrats dits « verticalisés » a amélioré le maintien en condition opérationnelle (MCO) du matériel. Cependant, en ayant moins de Rafale, on dispose aussi de moins de possibilités pour s'entraîner. On emploie alors plutôt les matériels et les effectifs formés disponibles en opération qu'à l'entraînement et à la préparation. Nous avons pour ces raisons une vraie difficulté à maintenir une disponibilité des matériels satisfaisante. S'agissant en particulier du parc de Rafale, nous devrions être revenus à niveau à partir de 2027.

La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Défense ».

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Réunie à nouveau le jeudi 23 novembre 2023 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé sa décision de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Défense ».

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

État-major des armées (EMA)

- Général Vincent PONS, sous-chef Plans et programmes ;

- Colonel Matthieu KESSLER, division plans, programmes et évaluation ;

- Colonel Ludovic LOURIOU, assistant du sous-chef Plans ;

- Colonel Marc GALAN, chargé des relations avec le Parlement.

État-major de l'armée de Terre (EMAT)

- Général Laurent PROENÇA, sous-chef Performance et synthèse ;

- Lieutenant-colonel Jean-Marc SOULIER, chargé des relations avec le Parlement.

État-major de la Marine (EMM)

- Vice-amiral d'escadre François MOREAU, major général de la Marine ;

- Capitaine de Vaisseau Vincent GUÉQUIÈRE, chargé des relations avec le Parlement.

État-major de l'armée de l'Air et de l'Espace (EMAAE)

- Général de corps d'armée Philippe MORALÈS, major général de l'armée de l'Air et de l'Espace ;

- Lieutenant-colonel Samuel BOURIGAULT, assistant militaire.

Direction générale de l'armement (DGA)

- Ingénieur général de l'armement Nicolas FOURNIER, directeur des plans, des programmes et du budget ;

- Ingénieur général de l'armement Raphaël JAMMES, sous-directeur des plans et des programmes.

Secrétariat général pour l'administration (SGA)

- M. Christophe MAURIET, secrétaire général pour l'administration ;

- Colonel Boris VALLAUD, chef de cabinet du secrétaire général pour l'administration ;

- Mme Evelyne SATONNET, cheffe de service synthèse pilotage budgétaire ;

- Mme Claire ANSELIN, sous-directrice du pilotage des ressources humaines et de la politique de rémunération ;

- Mme Cécile LE BERRE, sous-directrice de la synthèse et pilotage financier ;

- M. Jean-Dominique PAOLI, chargé de mission, relation avec le Parlement et étude stratégique ;

- Mme Chiara TRIBOTTE-PETIT, adjointe au chargé de mission, relation avec le Parlement et études stratégiques.

Service du commissariat des armées (SCA)

- Commissaire général Philippe JACOB, directeur central ;

- M. Frédéric CRÉNICY, sous-directeur performance-synthèse ;

- Commissaire en chef de 2ème classe Ludovic BECQUART, chef du bureau Planification-budget.

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjlf2024.html


* 1 Données issues de l'état F annexé au projet de loi de finances. Montants hors contributions des comptes spéciaux et hors remboursements et dégrèvements. Les remboursements et dégrèvements sont partiellement pris en compte à travers l'imputation des dépenses fiscales sur les moyens globaux de chaque mission.

* 2 La version provisoire du rapport est consultable ici.

* 3 Loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 4 Loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 5 Loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale.

* 6 Le report de charges est une notion budgétaire utilisée par le ministère des armées regroupant les dépenses qui auraient dû être réglées en année N-1 et constituant des dettes certaines et exigibles par les tiers. Il peut s'agir soit de charges à payer (les charges au titre d'engagements juridiques consommés et pour lesquels le service fait a été constaté en N-1 mais le paiement n'a pas été effectué, du fait notamment du temps de traitement des factures), soit de dettes fournisseurs, qui n'avaient pas pu être liquidées en année N faute de crédits de paiement disponibles et qui constituent des dépenses obligatoires : elles sont liquidées en début d'année n+1, dès la mise à disposition des crédits de l'exercice suivant.

* 7 L'objectif ne porte que sur les emplois financés par les crédits de personnel du ministère des armées à l'exclusion des apprentis, des volontaires du service militaire volontaire et des effectifs militaires éventuellement nécessaires au service national universel.

* 8 Rapport pour avis n° 730 (2022-2023) fait par M. Dominique de Legge au nom de la commission des finances du Sénat, sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense, déposé le 13 juin 2023.

* 9 Sous-action n° 09.77 « Opérer en milieu hostile - SCORPION » de l'action n° 09 « Engagement et combat » du programme n° 146 « Équipement des forces ».

* 10 Annexe n° 9 au rapport général n° 115 (2022-2023) de M. Dominique de LEGGE , fait au nom de la commission des finances, déposé le 17 novembre 2022.

* 11 Les données présentées proviennent de l'indicateur n° 5.2 du programme n° 178 « Préparation et emploi des forces » présenté dans le rapport annuel de performances annexé au projet de loi de règlement pour l'année 2022. Il mesure le ratio du niveau de matériels effectivement disponibles rapporté au besoin généré par les contrats opérationnels les plus dimensionnant et au besoin organique (formation, entraînement, plastron, essais...).

* 12 «  Le service de santé des armées, une pièce maîtresse de notre outil de défense » Rapport d'information n° 936 (2022-2023) fait par Dominique de Legge au nom de la commission des finances du Sénat, déposé le 27 septembre 2023.

* 13 Avis n° 730 (2022-2023) de M. Dominique de LEGGE, déposé le 13 juin 2023, sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 14 Cette performance dépend du niveau de qualité du patrimoine (fonction de son état et de son âge) et de son importance stratégique (priorités opérationnelles fixées par les armées).

* 15 Décret n° 2023-321 du 27 avril 2023 relatif aux réductions sur les tarifs des services de transport ferroviaire de voyageurs accordées aux militaires, à leurs familles et à leurs ayants cause.

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