EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
Obligation de décompte annuel des personnes sans abri
dans chaque commune

Cet article vise à généraliser un décompte annuel des personnes sans abri réalisé par les communes.

La commission a modifié cet article afin d'introduire un seuil de population pour l'application de cette obligation.

I - Le dispositif proposé : instaurer un décompte annuel des personnes sans abri dans chaque commune

A. En France, il n'existe pas de décompte généralisé des personnes sans abri

1. Au niveau national, une estimation ancienne et peu fiable du nombre de personnes sans abri

Au niveau national, la dernière estimation du nombre de personnes sans abri est issue de l'enquête « Sans domicile » de l'Insee, publiée en 2012. Selon cette étude, en 2011, les personnes sans abri représentaient 10 % des personnes sans domicile. Cependant, en l'absence d'une connaissance précise de la population concernée, le recours à une approche par échantillonnage réduit la fiabilité d'une telle estimation. La prochaine édition de cette enquête sera publiée en 2025, soit treize ans après la dernière.

Distinction entre le sans-abrisme et le sans-domicilisme

Personnes sans abri : « personnes qui passent la nuit dans un lieu non prévu pour l'habitation, essentiellement la rue et l'espace public, mais aussi d'autres types de lieux comme par exemple les parkings, jardins publics, terrains vagues, halls de gare, salles d'attente d'hôpital, voitures, halls d'immeuble » (Insee).

Personnes sans domicile : « il s'agit des personnes sans abri, mais aussi des personnes hébergées dans un service d'hébergement : en centre d'hébergement collectif (d'urgence, de stabilisation ou d'insertion), dans un centre spécifique pour demandeur d'asile, dans un hôtel ou dans un logement procuré par une association » (Insee).

Par conséquent, les services de l'État ne disposent d'aucune estimation récente du nombre de personnes sans abri en France. Le pilotage du programme 177 (Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables) de la mission budgétaire « Cohésion des territoires », doté de 2,9 milliards d'euros en crédits de paiement pour 2024, est fondé sur les remontées faites par les « 115 » et la veille sociale des Services intégrés de l'accueil et de l'orientation (SIAO). Cependant, faute de données suffisantes, il apparaît que ce pilotage reste structurellement lacunaire.

Les dispositifs d'hébergement

Les dispositifs d'hébergement à destination des personnes sans domicile comprennent les centres d'hébergement d'urgence, les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) et les hôtels. Entre 2017 et 2022, le nombre de places ouvertes est passé d'environ 149 000 à 203 000 (+ 37 %). Depuis 2021, les services de l'État ont mis fin à une « gestion au thermomètre » de l'hébergement d'urgence au profit d'une programmation pluriannuelle.

Malgré les moyens déployés, 8 351 demandes au « 115 » n'ont pu être pourvues le soir du 2 octobre 2023. Pourtant, selon la Fédération nationale des Samu sociaux, en 2021, 44 % des personnes sans abri n'ont jamais eu recours au 115. Les dispositifs d'hébergement sont embolisés par la crise du logement et le manque de dispositifs de prévention du sans-abrisme2(*).

2. Au niveau local, un décompte des personnes sans abri organisé par certaines communes en collaboration avec le secteur associatif

Julien Denormandie, alors secrétaire d'État chargé du logement, a estimé en janvier 2018 qu'il n'y avait qu'une cinquantaine de personnes sans abri en Île-de-France. Cette affirmation a déclenché une polémique sur le nombre de personnes sans abri en France. En réponse à cette controverse, la ville de Paris a lancé la première Nuit de la Solidarité française en février 2018 afin de dénombrer le nombre de personnes à la rue sur son territoire.

En 2023, 27 communes du Grand Paris et plusieurs villes de diverses régions ont organisé une Nuit de la Solidarité. Cette opération consiste en un décompte annuel, durant une nuit, des personnes sans abri. Mobilisant des bénévoles et des associations, le pilotage est assuré par les services municipaux de chaque commune afin de quadriller tous les quartiers le soir et une partie de la nuit.

En complément de ce décompte, un questionnaire standardisé est posé aux personnes sans abri qui le souhaitent et qui ne dorment pas. Ces questions permettent d'obtenir des informations sur le non-recours au « 115 », de connaître les besoins des personnes sans abri ainsi que leur parcours. La Nuit de la Solidarité combine donc des approches quantitative et qualitative.

Résultats des éditions de la Nuit de la Solidarité dans certaines villes

Durant l'édition 2023 de la Nuit de la Solidarité, 27 communes de la Métropole du Grand Paris ont mobilisé plus de 2 000 participants. Les équipes ont décompté 3 015 personnes sans abri à Paris et 619 dans les communes volontaires de la métropole. Parmi eux, 60 % sont sans abri depuis plus d'un an, 77 % n'appellent pas ou plus le « 115 » et 9 % sont des femmes.

En 2023, cette action hivernale a été doublée, par la ville de Paris, par une édition estivale dans 3 arrondissements (8e, 12e, 20e). En moyenne, il est constaté une augmentation de 15,5 % du nombre de personnes sans abri par rapport aux résultats de janvier.

En 2022, 800 volontaires de la ville de Marseille ont décompté 400 personnes sans abri. Parmi les répondants au questionnaire, 20 % sont des femmes, 70 % sont à la rue depuis plus d'un an et 53 % n'appellent jamais le « 115 ». 85 % des répondants ne sont pas accompagnés par une structure sociale. 48 % n'ont pas accès à un repas chaud régulièrement et 37 % ne peuvent pas prendre de douche régulièrement.

Durant l'édition 2022 de la Nuit de la Solidarité, à Rennes, 104 personnes sans abri ont été décomptées, dont 14 % de femmes. 33 % des personnes croisées ont répondu au questionnaire. 50 % des répondants déclarent avoir des difficultés d'accès aux douches, aux toilettes et à l'alimentation. 67 % des répondants n'appellent jamais le « 115 ».

Le décompte vise à connaître le nombre de personnes sans abri sur un territoire et à un instant donnés. La méthodologie utilisée vise à l'exhaustivité : quadrillage du territoire, partenariats avec des opérateurs ayant des personnes sans abri dans leurs locaux (hôpitaux, transports, etc.), opération limitée à un temps court. Cependant, par l'inaccessibilité de certains lieux (parkings, parties communes, etc.) et l'incapacité à compter les personnes dans certains habitats de fortune (tentes, véhicules, etc.), les résultats de ces décomptes doivent être considérés comme étant a minima.

En mai 2021, l'Insee, en collaboration avec la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal), a publié un guide méthodologique pour l'organisation de la Nuit de la Solidarité, afin d'homogénéiser et fiabiliser les résultats.

B. L'article 1er vise à généraliser un décompte annuel des personnes sans abri réalisé par les communes

Le présent article vise à créer, à l'égard de chaque commune de France, une obligation de décompte annuel des personnes sans abri sur leur territoire. L'opération se déroulerait de nuit et serait réalisée par des travailleurs sociaux et des bénévoles.

Les modalités d'organisation prises par décret pourraient notamment comprendre la définition d'un protocole national, de la période durant laquelle il serait procédé à ce décompte, et de la gouvernance de l'opération au niveau local ainsi qu'au niveau national.

À la suite de l'opération et à partir des données collectées, il est prévu d'élaborer un diagnostic territorial relatif au sans-abrisme en vue d'évaluer et de piloter la politique d'hébergement d'urgence et d'accompagnement social sur le territoire considéré.

II - La position de la commission : limiter le décompte annuel aux grandes villes

La politique de prévention et de lutte contre le sans-abrisme est une compétence de l'État. Le pilotage de cette politique est conduit à partir d'indicateurs dont les données ne sont pas harmonisées et dont la collecte est irrégulière. La connaissance qualitative et quantitative du sans-abrisme n'apparaît pas comme satisfaisante.

Considérant que les indicateurs actuels ne permettent pas d'avoir une connaissance régulière et territorialisée de la population sans abri, la commission souscrit au constat de l'utilité des Nuits de la Solidarité. Organisées par des communes volontaires, ces opérations permettent de mieux connaître à la fois le nombre et le parcours des personnes sans abri sur un territoire. D'une part, ces actions améliorent l'efficacité des politiques publiques, d'autre part, elles sensibilisent le public aux enjeux du sans-abrisme.

Toutefois, la commission s'est interrogée sur la pertinence de rendre obligatoire ce modèle de décompte pour toutes les communes. Il apparaît que les communes rurales et moyennes ne disposent pas des moyens humains, techniques et associatifs pour mener à bien de telles opérations. Les moyens mobilisés pour organiser une Nuit de la Solidarité seraient d'autant moins proportionnés que les communes rurales et moyennes connaissent peu le phénomène du sans-abrisme.

En conséquence, à l'initiative de sa rapporteure, la commission a adopté un amendement COM-1 ayant pour objet :

d'introduire un seuil de 100 000 habitants en-dessous duquel les communes n'auraient qu'une obligation de transmettre les données relatives au nombre de personnes sans abri sur leur territoire, sans obligation d'organiser une Nuit de la Solidarité ;

- de préciser que les services de l'État chargés de la politique de prévention et de lutte contre le sans-abrisme centraliseraient les données et coordonneraient les décomptes ;

- de prévoir un avis du conseil national des politiques de luttes contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE) sur le décret fixant les modalités d'organisation des décomptes.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 2
Remise au Parlement d'un rapport annuel visant à planifier
le développement de l'offre d'hébergement ou de logement adapté

Cet article prévoit la remise par le Gouvernement d'un rapport annuel au Parlement visant à évaluer et planifier les politiques de prévention et de lutte contre sans-abrisme.

La commission a modifié cet article afin de prévoir un avis du conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale sur ce rapport.

I - Le dispositif proposé 

Le présent article prévoit que le Gouvernement remette au Parlement un rapport annuel d'évaluation nationale des politiques de prévention et de lutte contre le sans-abrisme à partir des données collectées lors des décomptes mentionnés à l'article 1er.

Ce rapport comprendrait une présentation nationale des résultats du diagnostic et une liste de recommandations à mettre en oeuvre en matière de planification et de développement de l'offre d'hébergement ou de logement adapté.

II - La position de la commission

La commission reconnaît l'utilité de l'établissement d'un diagnostic national à partir des données collectées lors des décomptes prévus à l'article 1er. Ce bilan annuel permettrait d'éclairer la représentation nationale sur les besoins et les moyens alloués à la prévention et à la lutte contre le sans-abrisme et pourrait donner lieu à un débat annuel au Parlement.

À l'initiative de sa rapporteure, la commission a adopté un amendement COM-2 ayant pour objet d'annexer un avis du conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE) au rapport remis au Parlement.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.


* 2 Rapport pour avis de Mme Nadia Sollogoub, fait au nom de la commission des affaires sociales, sur le programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires » du projet de loi de finances pour 2024.

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