N° 619

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 mai 2025

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant la ratification du Traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République de Djibouti (procédure accélérée),

Par M. Cédric PERRIN,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Cédric Perrin, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mmes Hélène Conway-Mouret, Catherine Dumas, Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Jean-Baptiste Lemoyne, Claude Malhuret, Akli Mellouli, Philippe Paul, Rachid Temal, vice-présidents ; M. François Bonneau, Mme Vivette Lopez, MM. Hugues Saury, Jean-Marc Vayssouze-Faure, secrétaires ; MM. Étienne Blanc, Gilbert Bouchet, Mme Valérie Boyer, M. Christian Cambon, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Olivier Cigolotti, Édouard Courtial, Jérôme Darras, Mme Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Guillaume Gontard, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, Joël Guerriau, Ludovic Haye, Loïc Hervé, Alain Houpert, Patrice Joly, Mmes Gisèle Jourda, Mireille Jouve, MM. Alain Joyandet, Roger Karoutchi, Ronan Le Gleut, Didier Marie, Thierry Meignen, Jean-Jacques Panunzi, Mme Évelyne Perrot, MM. Stéphane Ravier, Jean-Luc Ruelle, Bruno Sido, Mickaël Vallet, Robert Wienie Xowie.

Voir les numéros :

Sénat :

491 et 620 (2024-2025)

L'ESSENTIEL

Djibouti et la France ont signé le 26 juillet 2024 un nouveau traité de coopération en matière de défense, prenant la suite du traité en vigueur depuis le 1er mai 2014. Il confère aux forces françaises stationnées à Djibouti un statut juridictionnel protecteur et l'accès à des facilités sur le sol djiboutien, avec pour contrepartie le versement d'une contribution annuelle forfaitaire en augmentation. Ce traité revêt pour la France une grande importance stratégique1(*).

I. LA SITUATION GÉOGRAPHIQUE DE DJIBOUTI LUI CONFÈRE UNE IMPORTANCE GÉOSTRATÉGIQUE MAJEURE

A. UNE POSITION CLÉ FACE AU DÉTROIT DE BAB EL MANDEB

La position géographique singulière de Djibouti justifie son importance stratégique. Djibouti est en effet situé sur la rive occidentale de l'un des points de passage maritimes les plus stratégiques au monde : le détroit de Bab el-Mandeb, qui relie la mer Rouge au golfe d'Aden et à l'océan Indien. Environ 12 % du commerce mondial y transite, avec notamment plus de 6 millions de barils de pétrole par jour. Toute perturbation dans cette zone a ainsi un impact sur les flux énergétiques mondiaux, en particulier vers l'Europe et l'Asie.

Djibouti est par ailleurs un hub économique et logistique régional en expansion. Le port de Doraleh, agrandi avec l'aide chinoise, est une plateforme portuaire majeure pour l'Afrique de l'Est. Djibouti sert de porte d'entrée maritime quasi exclusive de l'Éthiopie. Le corridor logistique Djibouti-Addis-Abeba (train électrifié financé par la Chine) renforce cette dépendance éthiopienne. Cette fonction régionale confère à Djibouti une influence disproportionnée par rapport à sa taille et à sa population (moins de 1 million d'habitants).

Pour l'heure, Djibouti se trouve à proximité immédiate d'une région en crise. Depuis l'attaque du 7 octobre 2023, les Houtis ont en effet lancé une offensive aérienne en direction du territoire israélien et des navires passant par le détroit de Bab el Mandeb. En réponse, les Etats-Unis ont pris la tête d'une coalition de dix pays (opération « Prosperity Guardian »), tandis que l'Union Européenne a lancé l'opération Aspides à laquelle participe la France. À partir de janvier 2024, les États-Unis et leurs alliés ont commencé à mener des frappes contre les Houtis sur le territoire du Yemen. Du fait de ces attaques, plusieurs grands armateurs ont suspendu le transit de leurs navires via la mer Rouge, avec en conséquence une baisse du trafic qui a pu atteindre 40%2(*).

En raison de sa situation privilégiée, Djibouti est devenue un hub pour les opérations militaires, humanitaires et de renseignement dans la Corne de l'Afrique, la péninsule Arabique et l'océan Indien. Djibouti est ainsi le seul pays au monde à accueillir simultanément des bases militaires permanentes de plusieurs grandes puissances.

Les bases militaires installées à Djibouti

-France : base des Forces françaises stationnées à Djibouti (FFDj).

-États-Unis : base de Camp Lemonnier, principal centre d'opérations du Commandement des États-Unis pour l'Afrique (AFRICOM).

-Chine : base navale de Doraleh (2017), point d'ancrage de la stratégie de projection chinoise en Afrique et dans l'océan Indien, initialement présentée comme une base de « soutien logistique » destinée à appuyer et développer sa participation aux missions de lutte contre la piraterie, de secours humanitaire et aux opérations de maintien de la paix dans la région, avant d'acquérir un statut opérationnel début 2020. Elle contribue à sécuriser les voies d'approvisionnement maritimes de la Chine. Le port militaire adjacent, achevé en 2022, a consacré un changement de dimension. Pékin tente désormais d'obtenir davantage de responsabilités en matière de gestion de l'espace aérien et ainsi d'entrer en concurrence avec la France qui participe à la police du ciel. La coopération militaire s'est aussi développée (formation, importation de matériel).

-Japon : base pour les forces d'autodéfense (première base japonaise à l'étranger depuis 1945).

-Italie : petite installation logistique.

-Arabie Saoudite : projet de base en cours de discussion (gelé à ce jour, mais révélateur de l'intérêt régional).

Montage réalisé par le pôle géographique de la direction des Archives du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères à partir d'un fond (c) Contributeurs d'OpenStreetMap, le 23 août 2023

Djibouti est enfin ancrée dans l'architecture sécuritaire multilatérale. Le pays est membre de plusieurs organisations stratégiques, telles que l'Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) ou encore l'Alliance mondiale des infrastructures. Son territoire a été utilisé pour des missions de l'Union africaine et des Nations unies, notamment en Somalie (AMISOM puis ATMIS). Le Djiboutien Mahamoud Ali Youssouf est le nouveau président de la Commission de l'Union africaine depuis février 2025.


* 1 . Cette importance explique qu'il s'agisse d'un traité signé entre chefs d'État, et non d'un simple SOFA.

* 2 Le pétrolier BP, l'armateur français CMA-CGM, le taïwanais Evergreen, le Danois Maersk, l'Allemand Hapag-Lloyd et l'Italo-suisse MSC.

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