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N° 2005
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE |
N° 79
SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026 |
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Enregistré à la Présidence de
l'Assemblée nationale |
Enregistré à la Présidence du
Sénat |
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION MIXTE PARITAIRE (1) CHARGÉE DE PROPOSER UN TEXTE SUR LES DISPOSITIONS RESTANT EN DISCUSSION DE LA PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion sur l'accord du 12 juillet 2025 et sa mise en oeuvre,
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PAR M. PHILIPPE GOSSELIN, Rapporteur, Député. ---- |
PAR MME AGNÈS CANAYER Rapporteur, Sénateur, ET MME CORINNE NARASSIGUIN Rapporteure, Sénatrice. ---- |
(1) Cette commission est composée de : M. Florent Boudié, député, président ; Mme Muriel Jourda, sénateur, vice-présidente ; M. Philippe Gosselin, député, Mme Agnès Canayer, sénateur, et Mme Corinne Narassiguin, sénatrice, rapporteurs.
Membres titulaires : M. Yoann Gillet, Mme Florence Goulet, MM. Bastien Lachaud, Arthur Delaporte, Jean Moulliere, députés ; MM. Mathieu Darnaud, Jean-Michel Arnaud, Patrick Kanner, Pierre Médevielle, sénateurs.
Membres suppléants : MM. Matthias Renault, Nicolas Metzdorf, Emmanuel Tjibaou, Mme Colette Capdevielle, MM. Éric Martineau, Paul Molac, députés ; M. Christophe-André Frassa, Mmes Marie Mercier, Isabelle Florennes, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Teva Rohfritsch, Robert Wienie Xowie, Mme Annick Girardin, sénateurs.
Voir les numéros :
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Assemblée nationale : |
1ère lecture : 1969, 1980. |
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Sénat : |
1ère lecture : 876 (2024-2025), 20, 21 et T.A. 1 (2025-2026). Commission mixte paritaire : 80 (2025-2026). |
Mesdames, Messieurs,
Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution, et à la demande du premier ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion sur l'accord du 12 juillet 2025 et sa mise en oeuvre s'est réunie à l'Assemblée nationale le lundi 27 octobre 2025.
Elle a procédé à la désignation de son bureau, qui a été ainsi constitué :
- M. Florent Boudié, député, président ;
- Mme Muriel Jourda, sénateur, vice-présidente ;
Elle a également désigné :
- Mmes Agnès Canayer et Corinne Narassiguin, rapporteurs pour le Sénat ;
- M. Philippe Gosselin, rapporteur pour l'Assemblée nationale.
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M. Florent Boudié, député, président. Cette proposition de loi organique a été déposée le 13 août 2025 sur le bureau du Sénat par six présidents de groupe et adoptée par le Sénat le 15 octobre 2025, après que le Conseil d'État a rendu un avis.
La commission des lois de l'Assemblée nationale avait adopté le texte dans les mêmes termes que le Sénat mais en séance, une motion de rejet préalable a été adoptée, compte tenu du dépôt de plus de 1 600 amendements dont l'examen n'aurait pas permis de respecter des délais qui étaient très contraints. Les trois articles du texte restent donc en discussion.
Mme Corinne Narassiguin, rapporteure pour le Sénat. Nous sommes tous ici conscients des enjeux et au fait des circonstances politiques. Le projet d'accord signé à Bougival le 12 juillet dernier est à l'origine de cette proposition de loi organique. Toutefois, dans l'esprit du Sénat, le report des élections ne signifie pas une mise en oeuvre mécanique du calendrier proposé à Bougival, puisque l'accord ne fait plus consensus. Il faut retrouver le chemin du consensus.
La décision de reporter à nouveau les élections n'a pas été facile à prendre, compte tenu de son impact démocratique. Toutefois, il nous a semblé souhaitable, dans le contexte complexe que nous connaissons, d'entendre la majorité très claire qui s'est exprimée en ce sens au Congrès de Nouvelle-Calédonie. Nous avons pris en compte la nécessité de poursuivre les négociations pour retrouver un véritable consensus avant la mise en oeuvre d'un éventuel accord, qui serait la version amendée du texte signé à Bougival. Pour ce faire, mieux vaut éviter que les uns et les autres soient très rapidement engagés dans une campagne électorale. Tel est l'état d'esprit qui a présidé au dépôt de la proposition de loi organique au Sénat et à son adoption transpartisane - quoique, bien sûr, pas unanime.
M. Philippe Gosselin, rapporteur pour l'Assemblée nationale. Nous avons tous à l'esprit la situation économique et sociale dramatique de la Nouvelle-Calédonie, dont il faut naturellement tenir compte. L'objet de ce texte se limite au report des élections, en faveur duquel le Congrès de Nouvelle-Calédonie s'est prononcé à une large majorité - trente-neuf voix contre treize. Parmi les partisans de ce report figuraient de nombreuses organisations politiques du territoire, y compris une partie des indépendantistes, alors que l'accord de Bougival donnait le sentiment d'avoir été accepté quasi unanimement. Il en va maintenant bien différemment, et l'on sait que l'UC-FLNKS ne soutient pas le report des élections.
Nous avons besoin de donner du temps au temps. Au-delà de l'organisation matérielle du scrutin, qui pourrait si elle n'était pas repoussée se révéler quelque peu compliquée et présenter des risques juridiques sérieux, il faut se donner du temps pour conduire les échanges, les discussions, les négociations qui permettront, en s'appuyant sur Bougival, de construire le chemin de l'avenir. Pour ce faire, il faut aussi garder à l'esprit que cet accord de Bougival n'a pas été accepté par l'UC-FLNKS. Or, si l'on veut rester dans l'esprit des accords de Nouméa et de Matignon, on ne peut pas faire l'impasse sur un groupe aussi important, même s'il n'est pas majoritaire. Il nous paraît fondamental de garder cette approche consensuelle qui est aussi celle d'une culture du Pacifique qu'il nous faut respecter. Bref il faut partir de l'accord de Bougival pour le polir, l'approfondir, peut-être le revoir sur certains points.
Il n'y aurait peut-être pas eu besoin de commission mixte paritaire (CMP) sans l'obstruction parlementaire qui s'est manifestée à l'Assemblée. Chacun use comme il l'entend du droit d'amendement, auquel nous sommes tous très attachés, mais lorsqu'il en est fait une utilisation politique, libre aussi à chacun de trouver une réponse politique. La motion de rejet nous a épargné l'enlisement car, oui, il y a urgence à reporter les élections. Mais vitesse ne se confond pas avec précipitation : il est bien clair que le calendrier qui avait été envisagé initialement, qui menait à une révision de la Constitution à la fin de l'année et à une consultation de la population en février ou en mars, devra naturellement être revu.
M. Yoann Gillet, député. Vouloir à tout prix repousser à nouveau les élections, ce qui conduirait à un report total de plus de deux ans, c'est tout de même hallucinant. Si nous agissions ainsi en métropole, par exemple pour l'élection présidentielle, n'y aurait-il pas une révolte populaire - qui serait, au demeurant, légitime ? Ce nouveau report risque de raviver les fortes tensions que la Nouvelle-Calédonie a connues ces derniers mois.
En outre, le report ne serait pas forcément gage d'un débat serein. Puisque les négociations doivent repartir, peut-on vraiment considérer qu'une période électorale est la plus indiquée pour tenir des échanges sérieux, modérés, où chacun met du sien ? Je n'en suis pas sûr. Je suis même sûr du contraire.
Toutefois, puisqu'il existe des difficultés organisationnelles et, dans une moindre mesure, juridiques, nous proposons de reporter les élections au mois de janvier.
Enfin, nous proposons de modifier la fin du titre qui nous est proposé, « en vue d'un accord consensuel sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie », en ôtant le mot « institutionnel ». Ce terme est en trop dans la mesure où chacun a admis que, si Bougival n'a pas pu aboutir, c'est aussi parce qu'il était tourné quasi exclusivement vers l'avenir institutionnel, alors qu'il y a tant d'autres points à régler.
M. Patrick Kanner, sénateur. Nous soutenons la demande de report des élections. J'ai été cosignataire, avec Mathieu Darnaud et d'autres présidents de groupe du Sénat, de la présente proposition de loi organique, qui fait suite à celle que j'ai défendue il y a quelques mois et qui a servi de véhicule législatif pour organiser le deuxième report.
Le report n'est pas une bonne solution, mais c'est la moins mauvaise pour aboutir. L'« accord » de Bougival - cet « accord » sur lequel tout le monde n'est pas d'accord - constitue malgré tout une avancée potentielle très importante pour l'avenir politique, institutionnel, économique, bref l'avenir tout court de la Nouvelle-Calédonie dans cette période particulièrement agitée. L'organisation forcée du troisième référendum de même que l'entêtement de l'exécutif, qui a abouti aux événements de mai 2024, ont laissé des traces profondes. Les conséquences économiques et sociales en sont, encore aujourd'hui, très lourdes et les élus locaux s'interrogent sur l'avenir.
En conscience, notre formation politique estime que ce report est nécessaire et assume en outre la motion de rejet qui a été votée à l'Assemblée nationale. Nous souhaitons que cette CMP aboutisse à un accord et le prendrions comme l'augure de pouvoir cheminer plus loin.
M. Bastien Lachaud, député. Le groupe La France insoumise s'oppose formellement à la méthode employée par le groupe EPR - le dépôt d'une motion de rejet sur son propre texte pour éviter tout débat à l'Assemblée nationale et provoquer cette CMP. C'est un contournement démocratique, un passage en force qui nuit autant à la clarté des débats qu'à la compréhension des enjeux par les citoyens.
Sur le fond, notre groupe est opposé au texte : le report des élections ne se justifie pas, car la règle démocratique est le renouvellement régulier des instances. Le Conseil constitutionnel a validé le principe du corps électoral actuel, autrement dit gelé, pour ces élections. Aucun recours à ce sujet n'est donc à craindre. Le principal prétexte qui avait justifié le projet de report initial, au printemps 2024, est donc levé.
La convocation d'élections en trente jours relève de la responsabilité du gouvernement. Ce n'est pas impossible, y compris en Nouvelle-Calédonie, comme l'a prouvé l'organisation des élections législatives anticipées en juin-juillet 2024, qui a donné lieu à des recours limités. La situation est beaucoup plus propice à l'organisation d'élections aujourd'hui que ce ne fut le cas en 2021 - année marquée par l'épidémie de covid et le deuil coutumier - ou en juin 2024 - période où de nombreux barrages subsistaient. Comme l'avait affirmé alors Sébastien Lecornu, en démocratie, les élections se tiennent à l'heure.
Si le gouvernement avait convoqué les élections dans les temps en septembre, aucune des difficultés auxquelles nous sommes confrontés aujourd'hui ne se poserait. Le pouvoir législatif ne doit pas être contraint par l'incurie du gouvernement.
Pis, les délais de report vont être dépassés. Le Conseil constitutionnel ne va pas statuer sur ce texte avant le 4 novembre alors que la convocation des élections doit avoir lieu au plus tard le 2 novembre, conformément à la loi organique du 15 novembre 2024. Je ne peux imaginer que les sénatrices et les sénateurs, si pointilleux sur le respect du droit, puissent accepter que le gouvernement se trouve pendant deux jours dans l'illégalité la plus totale en refusant d'appliquer une loi que nous avons votée.
Le projet de report se justifierait, à la rigueur, si l'ensemble des acteurs politiques étaient dans une dynamique d'accord sur l'avenir institutionnel. Mais il n'y a pas d'accord : il y a un projet d'accord qui ne recueille pas l'assentiment du FLNKS. Lors des débats, de nombreux groupes ont justifié leur vote par le fait qu'il serait possible de rediscuter avec le FLNKS. Or celui-ci a déjà rejeté cette proposition, estimant que le texte de Bougival n'avait aucune légitimité politique ni coutumière et qu'il ne reviendrait pas à la table des discussions sur ce projet d'accord. Ses représentants l'ont réaffirmé ce matin à la ministre. Il serait temps d'en prendre acte et d'agir en conséquence plutôt que de s'obstiner à faire comme si cette situation n'existait pas, ce qui ne risque que d'envenimer les choses.
M. Arthur Delaporte, député. Nous soutenons le principe du report des élections, afin de déboucher sur un accord consensuel. Tel est l'objet de l'amendement sur le titre que je défendrai.
En l'occurrence, nous avons le choix entre deux mauvaises solutions. Il n'est jamais anodin, en démocratie, de reporter des élections - mais il ne serait pas satisfaisant d'accepter de tenir des élections dans un contexte difficile et des délais très serrés ; en outre, cela pourrait transformer le scrutin en quasi-référendum sur l'accord de Bougival, alors même que ce dernier doit être remis sur le métier.
Bougival n'est pas un absolu. Tant qu'il n'y aura pas d'accord véritable, il ne pourra y avoir ni vote favorable sur un projet de loi constitutionnelle, ni évolution du corps électoral. L'ensemble des acteurs doivent donc faire preuve de responsabilité et revenir à la table des discussions. Ce n'est qu'ainsi que nous trouverons le chemin de la paix. Les socialistes prendront, aujourd'hui comme toujours, toute leur part dans les efforts pour y parvenir.
M. Pierre Médevielle, sénateur. L'accord parfait n'existe pas. Celui de Bougival est perfectible - nous pourrons l'améliorer et le modifier légèrement - mais il est précieux. C'est la première fois depuis vingt-sept ans qu'un accord est signé par tous les partis en Nouvelle-Calédonie. Même si le FLNKS est ensuite revenu dessus, l'accord a été signé. Ce n'est plus un projet d'accord, c'est un accord.
Nous faisons face à une nécessité calendaire, juridique et politique. Plusieurs étapes sont indispensables à une mise en oeuvre sereine et conforme à l'esprit du texte. Le report des élections constitue la première de ces étapes, celle qui permettra la nécessaire révision de la Constitution et l'organisation d'un référendum. Quelques dents grincent encore au FLNKS, mais ses derniers rassemblements n'ont réuni que 300 personnes, ce qui témoigne de la marginalisation des éléments les plus radicaux.
M. Emmanuel Tjibaou, député. Je fais partie de ceux qui ont signé le document, et il était bien intitulé « projet d'accord » et non « accord ». Au nom de l'État français, le ministre nous a dit de le soumettre aux mandants et d'en évaluer la cohérence juridique et constitutionnelle. Le représentant de l'État et le président de la République nous ont indiqué lors de l'ouverture du sommet, le 2 juillet, puis lors de sa clôture, qu'une ratification officielle aurait lieu fin juillet ou début août en leur présence ainsi qu'en présence du premier ministre François Bayrou, des membres du gouvernement et des parties prenantes.
Il serait regrettable de remettre en question la parole de l'État. Votre intention est-elle de nous forcer la main par cette proposition de loi organique, dont le titre laisse entendre qu'elle vise à permettre la mise en oeuvre de l'accord du 12 juillet ?
Étant responsables, nous acceptons de poursuivre les discussions, mais cela doit être décorrélé de la proposition de loi organique. L'année dernière, en commission des lois, nous avions acté des circonstances exceptionnelles : l'état d'urgence, le blocage des routes, le dépôt d'une question prioritaire de constitutionnalité et les discussions institutionnelles. Désormais, tous ces motifs sont derrière nous. Rien ne justifie de s'avancer dans une campagne provinciale pro-Bougival ou anti-Bougival, puisqu'il n'y a pas d'accord. C'est limpide. Nous sommes favorables au maintien des élections provinciales et à la poursuite des discussions.
Lors de la séquence de Deva, à Bourail, avec le ministre d'État, le projet de souveraineté partagée cher au président Larcher nous a été soumis. Nous y avons souscrit, tandis que nos camarades loyalistes et républicains l'ont décliné. En aucun cas nous n'avons fait valoir l'avis voté à la majorité par le Congrès pour avancer en force. Au contraire, nous avons considéré qu'il fallait respecter la voie du consensus et prendre en compte les aspirations de nos partenaires de discussion, dans la droite ligne des accords de Matignon-Oudinot et de l'accord de Nouméa. Nous n'avons pas d'autre option sur la table que celle-là.
Il faut respecter les engagements qui ont été pris, qui ont permis d'obtenir la paix sociale et d'inscrire durablement notre pays dans la trajectoire de la décolonisation. Pour rappel, nous avons expérimenté un passage en force l'année dernière, avec les conséquences que l'on sait et dont nous payons encore le prix. Nous devons préserver la légitimité du processus dans lequel nous sommes inscrits, afin de conforter la légitimité de ceux qui sont à la table des discussions. Entre 2019 et 2025, il y a eu la crise du covid, la troisième consultation, à laquelle le FLNKS a demandé à surseoir - il n'a pas demandé son annulation - et les événements de l'an dernier. Nous voulons conforter l'assise de ceux qui sont à la table des discussions pour avancer démocratiquement.
M. Nicolas Metzdorf, député. Quatre arguments plaident pour le report des élections provinciales.
Premièrement, c'est une décision du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, qui s'est prononcé en faveur du report à une très large majorité - trente-neuf voix sur cinquante-quatre. Les non indépendantistes, les centristes nationalistes, comme on les appelle aujourd'hui - Calédonie ensemble et L'Éveil océanien - ainsi que les indépendantistes de l'UNI-Palika ont majoritairement voté pour le report des élections. Seul l'UC-FLNKS a voté contre. Le report est donc d'abord le choix des Calédoniens.
Deuxièmement, si le report a été adopté à une large majorité, c'est parce qu'il faisait partie de l'accord de Bougival. Je veux bien qu'un groupe remette en cause cet accord, mais tous les autres groupes présents autour de la table l'ont signé et ont assumé leur position à leur retour en Nouvelle-Calédonie : de fait, ils en assument le calendrier. Il faut donner le point, passez-moi l'expression, aux Calédoniens qui arrivent à se mettre d'accord de la manière la plus large possible.
Troisièmement, il est question de la légitimité démocratique de ceux qui négocient ; mais de quelle légitimité démocratique s'agit-il quand, en Nouvelle-Calédonie, un électeur sur cinq, voire sur quatre, est exclu du corps électoral ? La Nouvelle-Calédonie est-elle une démocratie depuis vingt ans ? Puisque, sur 250 000 habitants, 42 000 sont exclus du droit de vote aux élections provinciales, le résultat de ces dernières sera-t-il véritablement démocratique ? Je ne le crois pas, quoi qu'en dise le Conseil constitutionnel, qui se fonde sur l'accord de Nouméa - mais nous sommes trente ans plus tard, et les trois référendums prévus ont eu lieu.
Quatrièmement - et c'est l'argument principal -, une large majorité des groupes politiques calédoniens, et donc des Calédoniens, soutient l'accord de Bougival. Je suis sûr que si nous organisions un référendum pour ou contre Bougival, les trois quarts des Calédoniens voteraient pour, parce qu'ils veulent s'en sortir. Nous sommes toutefois conscients qu'il faut rechercher le consensus et nous continuons à discuter avec les partenaires de l'UC-FLNKS sur la base de l'accord de Bougival pour aller chercher l'adhésion la plus large possible. Il reste un groupe sur cinq à convaincre au Congrès ; mettons à profit les quelques mois qui nous restent pour essayer de trouver des équilibres politiques avec ce groupe. Que met l'UC-FLNKS sur la table pour trouver un accord ? Quelles sont ses revendications, ses positions ? Qu'est-ce qui lui convient ou non dans l'accord de Bougival ? Nous sommes ouverts à en discuter.
Pour des raisons de cohérence avec le Congrès de la Nouvelle-Calédonie, pour des raisons démocratiques et parce qu'il faut rechercher un consensus, je vous demande de soutenir ce texte. J'ajoute que les propositions de rédaction qui ont été faites me conviennent, y compris au sujet du titre, qu'il s'agisse de celle de M. Delaporte ou de celle qui tend à n'évoquer que « l'avenir » de la Nouvelle-Calédonie et non son « avenir institutionnel » - étant entendu que le volet économique de l'accord de Bougival est plutôt faible.
M. Robert Wienie Xowie, sénateur. C'est une bonne chose que l'ex-ministre des outre-mer ait reconnu qu'il s'agissait d'un projet d'accord devant être soumis à la validation des structures, et qu'une nouvelle séquence devait avoir lieu un mois plus tard en Nouvelle-Calédonie en présence du président de la République et des représentants de l'État.
Le projet d'accord portait le nom de pari de la confiance. Il est devenu un accord historique au lendemain de sa signature. Il faut mesurer les enjeux et les frustrations dans le pays, et surtout respecter la parole donnée. Nous devons réunir les conditions pour définir les modalités de reprise des discussions afin d'avancer plus facilement dans la construction de notre pays. L'argument selon lequel il est impossible de tenir les élections en novembre est irrecevable, car la date du 30 novembre a été adoptée par les deux chambres et validée par le Conseil constitutionnel. Si des élections sont prévues, il faut s'y préparer.
On connaît l'histoire de ce territoire et de son peuple colonisé ; or nous nous inscrivons dans un accord qui achève le processus de décolonisation. Nous n'avons jamais dit que nous ferions sans les loyalistes, mais vous ne pouvez pas décider à notre place.
Le FLNKS est favorable au maintien des élections provinciales. En période de crise, je ne connais pas de meilleure solution que de redonner la parole au peuple. Je souligne également que le Congrès de la Nouvelle-Calédonie s'est prononcé avant même la décision du Conseil constitutionnel sur la question prioritaire de constitutionnalité. Faut-il rappeler, enfin, les vérités qui sont sorties de votre rencontre avec l'ex-ministre des outre-mer ?
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La commission mixte paritaire a ensuite procédé à l'examen des dispositions restant en discussion.
Article 1er : Report des élections et prolongation des mandats en cours
Mme Agnès Canayer, rapporteur pour le Sénat. Le vote du Sénat était extrêmement clair, à presque 300 voix contre 40. Nous avons adopté sans modification la proposition de loi visant à reporter les élections provinciales à fin juin 2026.
M. Philippe Gosselin, rapporteur pour l'Assemblée nationale. Nous n'avons pas pu aller aussi loin que le Sénat, mais la commission a rejoint les sénateurs sur la date du 28 juin.
M. Bastien Lachaud, député. Je vous propose trois propositions de rédaction pour cet article.
Nombreux sont ceux qui ont vanté le principe du consensus, qui s'applique normalement à toute décision relative à la Kanaky Nouvelle-Calédonie. C'est parce que ce consensus a été rompu que les débats ont pris la tournure qu'ils ont prise à l'Assemblée nationale - car sinon, lorsqu'il y a un consensus local, il y a aussi consensus au niveau national pour valider les décisions prises localement. C'est pourquoi nous souhaitons que le report des élections se fasse « sous réserve de l'accord de l'ensemble des partenaires de l'accord de Nouméa », qui s'applique toujours. Il serait cohérent que, dans le respect du consensus, ce ne soit pas la majorité au Congrès qui emporte la décision mais l'ensemble des signataires de l'accord de Nouméa.
Vous l'aurez compris, nous sommes opposés à tout report. Néanmoins, notre deuxième proposition fait montre de notre esprit constructif. Nous entendons les craintes du rapporteur quant à la convocation des élections dans un délai de trente jours. Nous proposons donc de reporter le scrutin au 15 décembre, ce qui donnera quinze jours de plus au haut-commissariat pour organiser les élections dans les meilleures conditions et lever les derniers risques de recours.
Enfin, si le report est décidé, cela ne peut être que « sous réserve de la promulgation de la présente loi avant le 2 novembre » - date à laquelle, dans le droit actuel, le gouvernement doit avoir pris le décret de convocation des électeurs. Il me paraîtrait compliqué d'acter un report que le gouvernement ne pourrait pas mettre en oeuvre plus tard que le 2 novembre - sauf à ce que le ministre de l'intérieur, je n'ose y penser, se risque à ne pas respecter une loi organique que nous avons votée. Il s'agit simplement de respecter l'État de droit. Qu'un gouvernement décide de ne pas convoquer des élections alors qu'il y est tenu par une loi créerait un précédent assez dramatique pour notre démocratie.
M. Yoann Gillet, député. Nous proposons pour notre part de remplacer la date du 28 juin 2026 par celle du 18 janvier 2026. Nous avions déposé un amendement en séance proposant la date du 15 décembre 2025 mais nous comprenons qu'il puisse y avoir des difficultés d'organisation ; nous vous laissons donc le bénéfice du doute et vous accordons quelques semaines de plus.
M. Florent Boudié, député, président. Je vais d'abord mettre aux voix, conformément à la proposition des rapporteurs, le texte voté par le Sénat. S'il n'est pas adopté, nous voterons sur les autres propositions de rédaction.
L'article 1er est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 2 : Prorogation des fonctions des membres des organes du congrès en cours
L'article 2 est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 3 : Entrée en vigueur
L'article 3 est adopté dans la rédaction du Sénat.
Titre
Proposition commune de rédaction des rapporteurs et de M. Arthur Delaporte, et proposition de rédaction de M. Yoann Gillet.
M. Arthur Delaporte, député. Monsieur le président, nous avons vous et moi corapporté une précédente proposition de loi organique visant à reporter les élections ; son adoption à l'unanimité par l'Assemblée nationale montre qu'un tel report est légitime lorsqu'il est justifié. À mon sens, c'est le cas aujourd'hui.
Les critiques sont néanmoins recevables. C'est pourquoi le seul amendement adopté au Sénat tendait à préciser que l'application de l'accord nécessitait des discussions : il a modifié le titre de sorte que le report ne se fasse plus « pour permettre la mise en oeuvre de l'accord » mais « afin de permettre la poursuite de la discussion sur l'accord du 12 juillet 2025 et sa mise en oeuvre ».
On voit toutefois que la référence même dans le titre à l'accord de Bougival et à sa mise en oeuvre constitue un point de crispation. Elle peut même laisser soupçonner que le report servirait à faire passer en force le texte de Bougival non modifié, ce qui nuirait à la sérénité des discussions à venir.
C'est pourquoi j'avais déposé un amendement à l'Assemblée nationale, qui n'a donc pas été examiné, visant à rédiger la fin du titre en ces termes : « afin de permettre la poursuite de la discussion en vue d'un accord consensuel sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie » - « consensuel » pour affirmer que personne ne sera laissé de côté, et « institutionnel » pour souligner que la proposition de loi constitutionnelle servira de base à des réformes et à un calendrier référendaire. Je propose de conserver cette rédaction.
Tous les partis appellent cette réforme institutionnelle. D'ailleurs, Emmanuel Tjibaou a souligné qu'il fallait une loi constitutionnelle et qu'il fallait poursuivre les discussions. Si le cadre ne peut pas être celui de Bougival, la matière est bien constitutionnelle : c'est ce qui justifie le report. Cela n'empêche pas qu'il y ait des enjeux économiques et sociaux par ailleurs, mais ceux-ci ne permettent pas de reporter les élections. Il faudra les traiter dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances notamment.
M. Yoann Gillet, député. Nous nous félicitons que la référence à l'accord de Bougival puisse être supprimée du titre. Cependant, le simple fait d'évoquer « l'avenir institutionnel » reviendrait presque à faire un doigt d'honneur, puisqu'on admet que les négociations repartiront de cet accord. Nous proposons donc d'adopter la rédaction proposée par les rapporteurs mais en supprimant le mot « institutionnel ».
Mme Agnès Canayer, rapporteur pour le Sénat. Le Sénat avait déjà introduit la notion de discussion. Nous sommes maintenant favorables à la solution de M. Delaporte : nous pensons qu'il existe un chemin de crête pour parvenir à un consensus sur la base de l'accord de Bougival, dans l'intérêt de la Nouvelle-Calédonie. C'est le signe de l'ouverture du Sénat, qui est prêt à faire encore un pas.
Se fonder sur l'accord de Bougival est bien parler d'une évolution institutionnelle ; les enjeux économiques et sociaux sont réels, mais c'est un autre sujet. C'est pourquoi nous retenons la rédaction de M. Delaporte.
M. Philippe Gosselin, rapporteur pour l'Assemblée nationale. Les rapporteurs du Sénat et moi-même proposons d'adopter la rédaction de M. Delaporte. Elle est conforme à la fois aux travaux du Sénat et à ceux de la commission des lois de l'Assemblée nationale.
Il faut éviter le blocage. Bougival a été discuté : j'évite de parler d'« accord », pour ne bousculer personne, mais c'est un cadre sur lequel s'appuyer pour reprendre le dialogue. On cherche un consensus.
Le cadre de Bougival est avant tout institutionnel : une révision constitutionnelle est d'ailleurs nécessaire. Cela ne doit pas occulter les questions économiques et sociales, mais celles-ci relèvent du projet de loi de finances, du projet de loi de financement de la sécurité sociale et peut-être d'autres textes spécifiques, par exemple sur le modèle du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte. Je crois qu'il faut un véritable plan Marshall pour la Nouvelle-Calédonie - une expression qui peut être galvaudée, mais qui se justifie en l'occurrence face à l'importance des enjeux - mais cela reste un volet distinct.
M. Bastien Lachaud, député. Je vois bien la tentative du collègue Delaporte pour ramener du consensus dans ce texte, mais la rapporteur pour le Sénat vient de le dire : cela doit se faire « sur la base » de Bougival. Or le FLNKS a affirmé qu'il ne discuterait pas de Bougival.
Mais le problème principal, c'est le calendrier. Il faudrait négocier un accord consensuel, adopter un projet de loi constitutionnelle et un projet de loi organique, organiser une consultation sur le territoire ainsi que des élections municipales et attendre que le Congrès de Nouvelle-Calédonie vote une loi spéciale, tout cela avant les élections prévues le 28 juin 2026 : c'est farfelu. Soit Bougival passe en force et on pourra respecter le calendrier, soit on veut parvenir à un consensus et ce sera impossible. Nous nous retrouverions alors ici même, dans six mois, pour discuter d'un nouveau report des élections. Le plus simple serait de les organiser maintenant et de discuter lorsqu'elles nous auront donné des interlocuteurs légitimes, à la place de ceux élus il y a sept ans.
M. Arthur Delaporte, député. Pour M. Gillet, le terme « institutionnel » implique de repartir de Bougival. Au contraire, retirer « Bougival » emporte « institutionnel ». Aucune évolution constitutionnelle n'est possible sans accord institutionnel. Il en a toujours été question en ces termes dans les discussions calédoniennes. Retirer le mot laisserait penser qu'on peut reporter les élections pour de simples motifs économiques. Non : c'est une décision grave, qu'on prend parce qu'il s'agit des institutions républicaines locales.
M. Lachaud a évoqué le calendrier. S'il n'y a pas d'accord, les élections auront lieu à corps électoral constant. Les socialistes ont toujours dit qu'il fallait un accord consensuel - et c'est pourquoi nous étions opposés à un dégel simple du corps électoral.
Il faudra laisser le temps des discussions. Une trop forte pression pour un accord serait cause d'échec. Emmanuel Tjibaou l'a dit : il veut poursuivre les discussions, mais qui doivent être décorrélées de la loi organique constitutionnelle déjà déposée - qui accentue la pression.
J'ai bon espoir que ces discussions aboutissent à quelque chose d'ici à la fin du mois de juin. Beaucoup de choses se sont déjà passées, à Deva, puis à Bougival - il faut reconnaître qu'il y a eu à cette dernière occasion des évolutions majeures. Il faut continuer à se battre pour que les discussions aboutissent dans un avenir plus ou moins proche, qui pourrait être une question de mois. Une fois l'accord trouvé pourront s'enchaîner une réforme constitutionnelle, un référendum pour la valider, de nouvelles élections. Ces dernières pourraient avoir lieu fin juin, ou même début juillet - on n'est pas à quelques semaines près. En revanche, si aucun accord n'est trouvé, il y aura de toute façon des élections, qui pourront même avoir lieu plus tôt.
La proposition commune de rédaction des rapporteurs et de M. Delaporte est adoptée.
L'intitulé est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
La commission mixte paritaire adopte, ainsi rédigées, l'ensemble des dispositions restant en discussion de la proposition de loi organique.
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En conséquence, la commission mixte paritaire vous demande d'adopter la proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion en vue d'un accord consensuel sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.