Rapport n° 156 (1990-1991) de M. Adrien GOUTEYRON , fait au nom de la commission des affaires culturelles, déposé le 12 décembre 1990

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N° 156

SÉNAT

PREMIÈRE SESSION ORDINAIRE DE 1990-1991

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 décembre 1990

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur la proposition de résolution de MM. Ernest CARTIGNY, Daniel HOEFFEL, Marcel LUCOTTE et Charles PASQUA tendant à la constitution d'une commission d'enquête chargée de recueillir tous les éléments d'information possibles sur les manifestations des lycéens intervenues sur la voie publique en octobre et novembre 1990, sur les motifs, quelle qu'en soit la nature, qui ont pu contribuer à provoquer ces manifestations, puis de soumettre ses conclusions au Sénat,

Par M. Adrien GOUTEYRON,

Sénateur.

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(1) Cette commission est composée de : M. Maurice Schumann, président ; MM. Jacques Carat, Pierre Laffite, Michel Miroudot, Paul Séramy, vice-présidents ; M. Jacques Bérard, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jacques Habert, Pierre Vallon, secrétaires ; Hubert d'Andigné, François Autain, Honoré Bailet, Jean-Paul Bataille, Gilbert Belin, Jean-Pierre Blanc, Roger Boileau, Joël Bourdin, Mme Paulette Brisepierre, MM. Jean-Pierre Camoin, Robert Castaing, Jean Delaneau, Gérard Delfau, André Diligent, Alain Dufaut, Ambroise Dupont, Hubert Durand-Chastel, André Egu, Alain Gérard, Adrien Gouteyron, Robert Guillaume, François Lesein, Mme Hélène Luc, MM. Marcel Lucotte, Kléber Malécot, Hubert Martin, Jacques Mossion, Georges Mouly, Sosefo Makapé Papilio, Charles Pasqua, Jean Pépin, Roger Quilliot, Ivan Renar, Claude Saunier, Pierre Schiélé, Raymond Soucaret, Dick Ukeiwé, André Vallet, Albert Vecten, André Vezinhet, Marcel Vidal et Serge Vinçon.

Voir les numéros:

Sénat : 137, 151 (1990-1991)

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Enseignement secondaire

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La commission des Affaires culturelles a été saisie d'une proposition de résolution présentée par MM. Ernest Cartigny, Daniel Hoeffel, Marcel Lucotte et Charles Pasqua et tendant à la constitution d'une commission d'enquête "chargée de recueillir tous les éléments d'information possibles sur les manifestations des lycéens intervenues sur la voie publique en octobre et novembre 1990, sur les motifs, quelle qu'en soit la nature, qui ont pu contribuer à provoquer ces manifestations, puis de soumettre ses conclusions au Sénat".

Conformément à l'article 11 de notre Règlement, la commission des Lois a été saisie pour avis de cette proposition de résolution. Il lui revient en effet de s'assurer que les faits entrant dans le champ d'investigation de la commission d'enquête ne font pas l'objet de poursuites judiciaires, ce qui, aux termes de l'ordonnance relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, rendrait impossible sa création.

Votre rapporteur limitera donc son examen à l'objet de la commission d'enquête proposée et à l'opportunité de sa création, avant d'exposer, à partir de cette analyse, les propositions de la commission.

A. L'EXAMEN DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

La proposition de résolution qui nous est soumise correspond tout à fait à la définition des commissions d'enquête donnée par l'article 6 de l'ordonnance n° 58.1100 du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Mais, au-delà de cet examen formel, votre commission s'est demandé si la constitution de la commission d'enquête proposée était la solution la plus appropriée pour parvenir au but recherché par les auteurs de la proposition de résolution, c'est-à-dire " faire un diagnostic et présenter des propositions concrètes " 1 ( * ) dans un domaine - l'Éducation nationale - où l'on constate actuellement une grave crise de confiance.

1. La création d'une commission d'enquête sur les manifestations lycéennes et leurs motifs est certes envisageable ...

Le deuxième alinéa de l'article 6 de l'ordonnance relative au fonctionnement des assemblées parlementaires dispose que "les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information sur des faits déterminés et soumettre leurs conclusions à l'Assemblée qui les a créées ".

La proposition de résolution qui nous est soumise correspond parfaitement à cette définition. L'objet de "l'enquête" est très précisément défini, et, sous réserve que les faits sur lesquels elle doit porter ne fassent, l'objet d'aucune poursuite judiciaire ce dont nous informera la commission des Lois- rien ne s'oppose donc, en droit, à ce que le Sénat constitue une commission d'enquête chargée de lui soumettre des conclusions sur les manifestations lycéennes et "les motifs, quelle qu'en soit la nature, qui ont pu contribuer à provoquer ces manifestations ".

2. ... mais est-ce une commission d'enquête qu'il faut créer ?

C'est là une question à laquelle votre commission estime qu'il lui faut aussi répondre : il convient en effet de se demander si les conclusions de cette commission d'enquête permettront véritablement au Sénat de progresser vers la solution de "la crise profonde qui affecte notre système éducatif ", et que dénonce à juste titre l'exposé des motifs de la proposition de résolution.

Que pourraient, en effet, nous apprendre ces conclusions ?

Le mécontentement et l'inquiétude très réels des jeunes manifestants ont-ils été, dans une certaine mesure, "récupérés", "exploités" ? Peut-être, mais l'essentiel est-il là ? Et que servirait au Sénat d'éclaircir les menées et les motivations de telle ou telle tendance ou sous-tendance politique ?

Quant aux motifs des manifestations et du mécontentement lycéen, il est vrai qu'ils ne sont pas toujours apparus, à travers les revendications des manifestants, avec la plus grande clarté.

Mais même s'ils n'ont pas toujours été exprimés de manière très ordonnée, les motifs essentiels des manifestations lycéennes, ceux qui ont "mis dans la rue" des cortèges importants - jusqu'à 100.000 manifestants -, sont hélas connus de tous et ramènent à cette "crise" multiforme et profonde qui secoue notre système éducatif, qui est à la fois une crise "de moyens" - en dépit d'un incontestable effort budgétaire - une crise de "croissance", et aussi, peut-être surtout, une crise d'identité du système éducatif, une crise de confiance dans l'école qui affecte tous les partenaires et acteurs - enseignants, parents, élèves - de l'éducation nationale.

C'est sur les raisons profondes de cette crise, et, partant, sur les remèdes éventuels, que doit porter, selon votre commission, un travail d'analyse susceptible de permettre à notre Assemblée de faire oeuvre utile en "tentant de mieux cerner ce mécontentement et en proposant des politiques alternatives crédibles, sérieuses, réfléchies".

En somme, ce ne sont pas sur les manifestations des lycéens qu'il convient de s'interroger, ni sur leurs causes immédiates, mais bien sur "les causes de ces causes", sur les origines imparfaitement élucidées du mauvais fonctionnement et du "malaise" de l'éducation.

B. LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION

Pour les raisons que l'on vient d'exposer, la constitution d'une commission de contrôle, dont l'objet est d'examiner la gestion administrative, financière ou technique de services publics" paraît mieux répondre à la préoccupation des auteurs de la proposition de résolution, d'autant que la constitution d'une commission de contrôle offre au Parlement les mêmes moyens d'information qu'une commission d'enquête. Il restera cependant à définir la mission qu'il conviendrait de confier à une commission de contrôle sur le système éducatif.

1. Les moyens des commissions de contrôle

La création, la composition et le fonctionnement des commissions de contrôle et d'enquête sont régis par des règles identiques, à cette différence près, qui est à l'avantage des commissions de contrôle, que la création et le déroulement des travaux d'une commission d'enquête sont suspendus à l'existence de poursuites ou à l'ouverture d'une information judiciaire. Une commission de contrôle peut donc être créée plus rapidement et est assurée de pouvoir mener ses travaux à leur terme.

Surtout, les commissions d'enquête et de contrôle disposent, aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, des mêmes moyens d'action. Ceux-ci sont étendus, bien que la durée d'existence des commissions d'enquête et de contrôle soit limitée à six mois à compter de la date d'adoption de la résolution qui les crée :

- leurs rapporteurs exercent leur mission sur pièces et sur place, tous les renseignements de nature à faciliter cette mission doivent leur être fournis, et tous les documents de service peuvent leur être communiqués, « à l'exception de ceux revêtant un caractère secret et concernant la défense, nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure et extérieure de l'État, et sous réserve du respect du principe de la séparation de l'autorité judiciaire et des autres pouvoirs » ;

- toute personne dont une commission d'enquête ou de contrôle juge l'audition utile est tenue de déférer à sa convocation, le défaut de comparution, le refus de prêter serment ou de déposer étant passibles de sanctions pénales ;

- il convient enfin de rappeler que les travaux des commissions d'enquête ou de contrôle bénéficient d'une protection étendue : tous ceux qui y participent sont tenus au secret, et ce secret couvre également leurs travaux, délibérations, actes ou rapports non publiés.

2. L'objet de la commission de contrôle

Compte tenu de la limitation dans le temps des travaux des commissions de contrôle, il peut paraître irréaliste de créer une commission chargée d'étudier tous les aspects de la gestion de l'Éducation nationale. Rappelons de surcroît qu'aux termes de l'article 11 du Règlement du Sénat, une proposition de résolution tendant à la création d'une commission de contrôle doit "déterminer avec précision" les services publics dont la gestion sera contrôlée.

Il semble donc plus indiqué de focaliser l'examen de la commission sur l'enseignement scolaire du second cycle du second degré. Le lycée est d'ailleurs actuellement, comme l'a été il y a quelques années le collège, le "lieu géométrique" de toutes les tensions, de toutes les rigidités qui affectent le fonctionnement de l'Éducation nationale, de toutes les inquiétudes, aussi, que traduit le "malaise" du système éducatif.

L'étude de l'organisation et du fonctionnement du second cycle du second degré permettra donc d'examiner tous les problèmes, de fond et de fonctionnement, de l'éducation nationale, d'analyser les termes dans lesquels ils se posent et par conséquent de dégager les voies de recherche de solutions possibles : on ne peut en effet en rester au stade de la constatation des symptômes et de l'énoncé de solutions quantitatives, telles que celles qui constituent le contenu du récent "Plan d'urgence pour les lycées".


• Ainsi, les travaux de la commission de contrôle pourraient-ils déboucher, en premier lieu, sur une analyse de la façon dont le système éducatif remplit sa mission, mais aussi, et peut être surtout, sur la définition même de cette mission. Qu'attend-on en effet, aujourd'hui, de l'Éducation nationale ?

Le "malaise" si souvent dénoncé ne tient-il pas pour une large part à ce que personne ne sait plus très bien ce que fait, ce que peut faire, ce que doit faire le système éducatif ? Pourquoi l'école ne joue-t-elle plus aujourd'hui, en dépit de la démocratisation de l'enseignement et de l'allongement de la scolarité, le rôle d'intégration culturelle et sociale que remplissait avec succès l'école primaire d'autrefois ? Pourquoi réussit-elle encore si mal à assurer l'insertion professionnelle des jeunes ? N'a-t-on pas tendance, aussi, à trop demander au système éducatif, qui est souvent présenté ou perçu comme le seul remède à tous les problèmes individuels et sociaux : crise économique, chômage, intégration des immigrés, aggravation des inégalités, urbanisation désordonnée ? Et le slogan des "80 % au baccalauréat" n'a-t-il pas contribué aussi à occulter le rôle véritable du système éducatif ?

• Les informations recueillies par la Commission pourront aussi permettre d'approfondir les causes des dysfonctionnements de l'éducation nationale :

- A quoi tient, l'incapacité de notre système éducatif, en dépit de tentatives multiples, d'expériences parfois réussies mais jamais généralisées, à maîtriser le phénomène de « l'école de masse » auquel il est pourtant confronté depuis une trentaine d'années ?

- Comment rompre le cercle vicieux de la dévalorisation de la fonction enseignante et de la crise des recrutements ?

- Quelles sont les causes de l'inertie et de l'isolement du système éducatif ? Comment sont réellement réparties et exercées, entre l'administration centrale, les échelons déconcentrés, les établissements, les responsabilités touchant à l'organisation et à la gestion du service public de l'éducation ?

- Pourquoi la traduction "sur le terrain" des "budgets historiques", des plans d'urgence, des plans de recrutement, demeure-t-elle aussi imperceptible ? Jusqu'où devra -et pourra- aller l'effort de la Nation en faveur de l'éducation ?

Telles sont, pour votre Commission, quelques-unes des voies de recherche qu'une Commission de contrôle pourrait explorer, et quelques-unes des questions que seul un examen sérieux et approfondi de la "crise des lycées" permettra de poser convenablement - ce qui est un préalable indispensable à leur solution.

C'est pourquoi votre Commission a adopté la proposition de résolution suivante :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d'une commission de contrôle

chargée d'examiner les modalités d'organisation

et les conditions de fonctionnement du second cycle

de l'enseignement public du second degré

Article 1 er

En application de l'article 6 de l'ordonnance n ° 58.1100 du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des Assemblées parlementaires et de l'article 11 du Règlement du Sénat, il est créé une commission de contrôle chargée d'examiner les modalités d'organisation et les conditions de fonctionnement du second cycle de l'enseignement public du second degré.

Article 2

Cette commission est composée de vingt-et-un membres.

* 1 Intervention de M. Daniel Hoeffel, président du groupe de l'Union centriste, lors de la conférence de presse du 6 décembre 1990.

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