I. LES DROITS DE L'ENFANT DANS LA FRANCE CONTEMPORAIRE : UNE SITUATION NOUVELLE ET ATYPIQIE

L'institution d'une journée nationale des droits de l'enfant marquerait la consécration d'une évolution qui, sur ce point, place la France contemporaine dans une situation malheureusement atypique. En effet, la reconnaissance de l'enfant comme titulaire de droits constitue un phénomène récent et spécifique à certains États encore largement minoritaires. C'est donc sur un double plan, historique et géographique, qu'il convient d'apprécier la spécificité des droits de l'enfant en France.

A. LES DROITS DE L'ENFANT DANS L'HISTOIRE

Les droits dont bénéficient l'enfant dans la France contemporaine sont le fruit d'une progressive prise de conscience de sa double spécificité par rapport aux adultes.

1. La progressive reconnaissance de la spécificité de l'enfant en tant qu'être humain

La place de l'enfant au sein de la société médiévale donne toujours lieu à débat entre sociologues.

Une thèse largement admise consiste à affirmer que, tout au moins jusqu'à la fin du XVIIè siècle, la spécificité de l'enfance était mal perçue par les adultes. Ainsi que l'écrit Philippe Ariès, l'un des principaux promoteurs de cette thèse :

«la durée de l'enfance était réduite à sa période la plus fragile, quand le petit d'homme ne parvenait pas à se suffire ; l'enfant alors, à peine physiquement débrouillé, était au plus tôt mêlé aux adultes, partageait leurs travaux et leurs jeux. De très petit enfant, il devenait tout de suite un homme jeune sans passer par les étapes de la jeunesse (...).

Le passage de l'enfant dans la famille et dans la société était trop bref et trop insignifiant pour qu'il ait eu le temps et une raison de forcer la mémoire et de toucher la sensibilité».

Même si, pour certains, une telle opinion paraît occulter la conscience d'une spécificité de la petite enfance, il est vraisemblable que le concept actuel d'enfance est alors peu perceptible : l'enfant est davantage considéré comme un adulte en miniature.

La reconnaissance progressive de la spécificité de l'enfant (et non seulement de l' infans) en tant qu'être humain résulte notamment d'une double évolution sociologique :

- une évolution liée au développement de la scolarisation, l'école s'étant progressivement substituée à l'apprentissage comme moyen d'éducation. Ainsi que l'écrit Philippe Ariès, «cela veut dire que l'enfant a cessé d'être mélangé aux adultes et d'apprendre la vie directement à leur contact» ;

- une évolution liée à la famille -conséquence de la précédente, mais aussi, entre autres, de la réduction de la mortalité infantile- qui a conduit à prendre conscience de l'importance de l'enfant puis à s'organiser autour de lui.

2. La reconnaissance de l'enfant en tant qu'objet de droit

La reconnaissance de l'enfant en tant qu'objet de droit, et en conséquence titulaire de droits, est un phénomène récent.

Sans remonter au droit d'exposition reconnu sous l'Antiquité au père de famille, on rappellera que le code civil de 1804 dotait celui-ci d'un véritable pouvoir sur l'enfant : la puissance paternelle.

Ce n'est qu'à compter du milieu du XlXè siècle que la France a progressivement reconnu des droits à l'enfant et s'est efforcé d'en assurer la protection.

Au niveau international, la reconnaissance des droits de l'enfant est encore plus récente.

a) La protection des droits de l'enfant au niveau national

La protection des droits de l'enfant en France est aujourd'hui assurée d'une manière satisfaisante. Cette situation est le résultat d'une évolution relativement récente dont l'origine remonte au milieu du XIXe siècle. Des oeuvres telles que le «Tableau de l'état physique et moral des ouvriers» de Villermé, dans lesquelles était dénoncée l'exploitation des enfants au travail, ont joué un rôle essentiel dans la prise de conscience de la nécessité d'une protection appropriée et, partant, d'une législation propre à la spécificité de l'enfant.

Cette évolution fut générale, se produisant dans les domaines social, pénal et civil.

Sur le plan social, la France a notamment manifesté le double souci de limiter le travail des enfants et d'assurer leur scolarisation. C'est ainsi la loi du 22 mars 1841 qui, pour la première fois, a fixé un âge minimum pour leur emploi, initialement de huit ans. Cet âge fut par la suite progressivement relevé : douze ans en 1974, treize ans en 1882, quatorze ans en 1936. Quant à l'obligation de scolarité, prévue pour les enfants de sept à treize ans en 1882, elle fut étendue aux moins de 16 ans en 1967.

On rappellera par ailleurs le préambule de la Constitution de 1946, dont le onzième alinéa prévoit que la Nation «garantit à tous, notamment à l'enfant (...), la sécurité matérielle, le repos et les loisirs». Le treizième alinéa dispose en outre que «la Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture».

Sur le plan pénal, la prise en compte de la spécificité de l'enfant résulte d'abord de la loi du 22 juillet 1912. Celle-ci a notamment eu pour objectif de faire échapper les délinquants de moins de 13 ans à la répression pénale en confiant leur jugement aux juridictions civiles et en prévoyant des mesures mieux adaptées à leur âge. Elle a également permis le placement des mineurs délinquants, quel que soit leur âge, en liberté surveillée.

L'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante a marqué une nouvelle étape dans la protection des droits des enfants en matière pénale. Modifiée à plusieurs reprises, elle prévoit notamment que le mineur auquel est imputé un crime ou un délit relève de juridictions spécialisées, qu'il doit faire l'objet de sanctions appropriées et que le mineur de moins de 13 ans n'est pas susceptible d'être incarcéré.

La protection de l'enfant sur le plan pénal n'est pas seulement prise en compte lorsque celui-ci fait l'objet de poursuites. Elle joue également lorsqu'il est victime d'une infraction. Ainsi, le nouveau code pénal prévoit fréquemment des peines plus sévères à l'encontre des auteurs d'infraction contre les personnes lorsque la victime a moins de quinze ans.

Sur le plan civil, la notion de puissance paternelle a été supprimée en 1970 et remplacée par celle d'autorité parentale, rappelant davantage le rôle de protection des parents. La loi du 8 janvier 1993 a consacré le droit pour le mineur capable de discernement d'être entendu par le juge ou par une personne désignée à cet effet dans toute procédure le concernant.

Ces exemples, qui ne prétendent d'ailleurs pas à l'exhaustivité, permettent à votre rapporteur d'affirmer que les droits des enfants sont en France largement consacrés.

La création d'une journée nationale permettrait à chacun de mieux connaître et de prendre la mesure de ces droits. Ceux-ci seraient en conséquence mieux assurés.

b) La protection des droits de l'enfant au niveau international

Dès 1924, par la Déclaration de Genève sur les droits de l'enfant, la société internationale a proclamé la nécessité d'accorder une protection spéciale à l'enfance.

En 1948, la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme rappelait que «l'enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, a besoin d'une protection spéciale et de soins spéciaux, notamment d'une protection juridique appropriée, avant comme après la naissance».

Mais ce n'est véritablement qu'avec la convention relative aux droits de l'enfant que ceux-ci ont été consacrés sur le plan international. En vertu de l'article 3 de ce texte, les États-parties reconnaissent que «dans toutes les décisions qui concernent les enfants (...) l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale» et «s'engagent à assurer (sa) protection et les soins nécessaires à son bien-être».

Parmi les droits expressément reconnus à tout enfant par cette convention, on citera notamment :

- le droit inhérent à la vie (art. 6) ;

- le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux (art. 7) ;

- le droit à la liberté d'expression (art. 13) ;

- le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion (art. 14) ;

- les droits à la liberté d'association et à la liberté de réunion pacifique (art. 15).

Cette convention, adoptée par l'Organisation des Nations Unies le 20 novembre 1989, constitue donc une véritable magna carta des droits de l'enfant sur le plan international.

Aussi, la date du 20 novembre a-t-elle été retenue par votre commission des Lois, comme par les signataires de la proposition de loi initiale, pour constituer la journée nationale des droits de l'enfant.

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