N° 178

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 2 4 janvier 1996

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire,

Par M. Paul MASSON.

Sénateur.

Cette commission est composée de MM. Jacques Larché, président : René Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, François Giacobbi, vice-présidents : Robert Pagès, Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, Pierre Biarnès, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Mme Nicole Borvo, MM. Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Michel Dreyfus-Schmidt, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Charles Jolibois, Lucien Lanier, Paul Masson, Daniel Millaud, Georges Othily, Jean-Claude Peyronnet, Claude Pradille, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck,Jean Pierre Tizon, Alex Turk, Maurice Ulrich.

Voir les numéros

Assemblée nationale (10ème législ.) 2302, 2406 et T.A. 442

Sénat 156 (1995-1996)

Droit pénal.

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

Réunie le mercredi 24 janvier 1996 sous la présidence de MM. Jacques Larché et Pierre Fauchon. la commission des Lois a examiné, sur le rapport de M. Paul Masson, le projet de loi n° 156, adopté par l'Assemblée nationale, tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire.

Depuis la loi du 9 septembre 1986, certaines infractions déterminées assassinat, destructions ...) sont susceptibles de constituer des actes de terrorisme lorsqu'elles sont en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement Tordre public par l'intimidation ou la terreur.

La qualification d'acte de terrorisme entraîne tout d'abord des conséquences sur le plan de la procédure : possibilité d'une centralisation des poursuites et de l'instruction à Paris, durée maximale de garde à vue portée de 48 à 96 heures, jugement des crimes par une cour d'assises spéciale ... Elle a également des conséquences de fond, les peines encourues pour une même infraction étant aggravées lorsque celle-ci constitue un acte de terrorisme.

Le projet de loi propose d'apporter trois compléments à ce dispositif :

- une extension de la notion d'actes de terrorisme à certaines infractions : infractions en matière de groupe de combat et de mouvements dissous, recel de criminel, faux et usage de faux documents administratifs, acquisition ou détention illégale d'une arme à feu et aide à un étranger en situation irrégulière. Par ailleurs, le projet de loi crée un délit d'association de terroristes dont la définition s'inspire de celle retenue pour l'association de malfaiteurs ;

- une extension du champ d'application du délit de recel de criminel : alors que le code pénal n'incrimine actuellement que le fait d'aider l'auteur ou le complice d'un crime à se soustraire aux recherches, le projet de loi propose de sanctionner également le fait d'aider l'auteur ou le complice d'un acte de terrorisme ;

- consacrer la faculté de procéder à des perquisitions et saisies à toute heure du jour ou de la nuit alors que le droit commun ne les autorise qu'entre six et vint heures. Une telle dérogation a déjà été prévue en matière de trafic de stupéfiants et de proxénétisme. Les perquisitions et saisies effectuées la nuit devraient faire l'objet d'une autorisation écrite et motivée d'un magistrat du siège.

Les autres dispositions du projet de loi prévoient notamment de créer de nouveaux délits relatifs aux menaces contre des personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public, d'aggraver les peines prévues pour certains délits (outrage ...) et de ramener de quatre à trois ans l'ancienneté requise pour que les gendarmes puissent acquérir la qualité d'officier de police judiciaire.

Sur la proposition de son rapporteur, la commission des Lois a adopte douze amendements :

- les premiers visent à préciser qu'un délinquant ne pourra être considéré comme un terroriste que s'il a effectivement eu l'intention de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ;

- d'autres tendent à compléter la liste des délits susceptibles de constituer des actes de terrorisme en l'étendant à toutes les infractions grave en matière de faux et d'usage de faux, au trafic d'armes et au recel du produit d'une infraction terroriste :

- d'autres visent à prévoir des peines complémentaires telles que l'interdiction de séjour en cas d'association de terroristes ;

- enfin, il est précisé que les perquisitions et saisies de nuit en matière de terrorisme seront possibles non seulement dans le cadre d'une enquête flagrance mais également dans le cadre d'une enquête préliminaire et que l'autorisation d'y procéder devra indiquer l'adresse des lieux concernés et les motifs de fait rendant nécessaire une perquisition de nuit.

Le Sénat examinera ce projet de loi en séance publique les 31 janvier et 1er février 1996.

Mesdames. Messieurs.

La vague d'attentats de l'été 1995 a cruellement et spectaculairement rappelé à nos concitoyens que la France demeurait, aujourd'hui comme hier, une cible privilégiée du terrorisme.

A l'accalmie qui avait suivi les lois de 1986 a succédé une nouvelle période d'inquiétude et même, chez beaucoup, de peur.

Le développement des techniques depuis une dizaine d'années permet effet aux terroristes de disposer de moyens croissants et d'une logistique toujours plus opérationnelle. Sur la même période, et en dépit de progrès notables, le droit ne s'est qu'insuffisamment adapté à cette évolution.

Certes, les pouvoirs publics ne sont pas demeurés inactifs face à la menace terroriste. Il convient d'ailleurs de rendre hommage à l'action conduite par le Gouvernement depuis plusieurs mois : au Garde des Sceaux, a renforcé les moyens du Tribunal de grande instance de Paris, notamment affectation d'un quatrième juge d'instruction spécialisé dans la lutte anti- terroriste ; aux Ministres de l'Intérieur et de la Défense, qui ont efficacement mobilisé les forces de police et de gendarmerie dans le cadre du plan « Vigipirate » ; aux membres de ces forces de l'ordre dont la disponibilité et le dévouement ont sans aucun doute permis d'assurer au mieux la protection des personnes et des biens.

Par ailleurs, nul ne conteste l'ampleur des efforts entrepris par la justice Poursuivre les auteurs d'actes de terrorisme.

Après le pouvoir exécutif et l'autorité judiciaire, c'est au Parlement qu'il appartient aujourd'hui d'apporter sa contribution à la lutte contre le terrorisme. Car, dans un État de droit, c'est le législateur qui fixe les modalités de la poursuite et de la répression des infractions, quelle que soit leur gravité. Il doit le faire dans le respect des libertés individuelles mais également dans un souci d'efficacité.

Or, l'efficacité exige aujourd'hui une adaptation du droit afin de permettre à la Justice de faire face aux moyens toujours plus perfectionnés dont disposent les terroristes.

C'est pourquoi le projet de loi soumis à notre examen correspond à une nécessité et ne saurait en aucune manière être considéré comme un texte de circonstances.

Au-delà, il correspond à un devoir pour le Parlement qui ne saurait demeurer le seul pouvoir inactif face à la douleur des victimes et de leurs proches et face aux aspirations de nos concitoyens à une meilleure sécurité sans laquelle il n'y a pas de réelle liberté.

C'est dans ce double souci d'allier efficacité et respect des libertés individuelles que votre commission des Lois a examiné le présent projet de loi.

I. LE CONTEXTE DU PROJET DE LOI : DES INSTRUMENTS JURIDIQUES EFFICACES CONFRONTÉS À UNE RÉSURGENCE DU TERRORISME

A. LE CONTEXTE JURIDIQUE : LES INSTRUMENTS PRÉVENTION ET DE RÉPRESSION DU TERRORISME

1. Le droit interne

Le droit interne applicable en matière de lutte contre le terrorisme résulte d'une évolution initiée en 1986, marquée par trois étapes essentielles

a) Première étape : les lois de 1986

C'est par la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 que la France s'est tout d'abord dotée d'un arsenal juridique spécifiquement adapté à la lutte contre le terrorisme dans le respect des principes fondamentaux d'un État de droit.

Cette loi était pour l'essentiel un texte de procédure prévoyant des règles de poursuites, d'instruction et de jugement propres aux actes de terrorisme, nouvelle notion dont elle précisait le contenu.

1.- Le contenu de la notion d'actes de terrorisme

Le législateur de 1986 s'est trouvé confronté au problème de « l'introuvable définition » du crime de terrorisme, constaté dès 1984 par votre rapporteur dans son rapport fait au nom de la commission de contrôle du Sénat sur la lutte anti-terrorisme. L'incrimination spécifique du crime de terrorisme s'était notamment heurtée à deux inconvénients majeurs :

- cette incrimination unique aurait recouvert des faits d'une extrême hétérogénéité (assassinats, vols, trafic d'arme) : la même sanction encourue pour des faits variés aurait conduit à une remise en cause de la hiérarchie des Peines ;

- la création d'une nouvelle incrimination, qui ne figurait donc pas dans les conventions d'extradition auxquelles la France était partie, aurait pu faire obstacle à l'exécution de demandes d'extradition des auteurs d'un crime de terrorisme.

Le législateur de 1986 a donc renoncé à créer un crime de terrorisme pour consacrer dans la loi n° 86-1020 la notion d' « acte de terrorisme », définie par référence à deux critères objectifs :

- l'existence d'une infraction déterminée (assassinat, destruction, prises d'otages...) ; une relation « avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur » .

Dans sa décision n° 86-213 DC du 3 septembre 1986, le Conseil constitutionnel a considéré « que la première condition fixée par la loi, qui renvoie à des infractions qui sont elles-mêmes définies par le code pénal ou par des lois spéciales en termes suffisamment clairs et précis, satisfait aux exigences du principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines ; que de même, la seconde condition est énoncée en des termes d'une précision suffisante pour qu'il n'y ait pas méconnaissance de ce principe » .

Ainsi, contrairement à ce qui avait pu être dit lors des débats parlementaires, la notion d'entreprise ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur n'a pas été considérée comme floue. Votre rapporteur n'a d'ailleurs jamais douté de la précision de cette notion qui peut se déduire aisément d'un ensemble d'éléments concrets tels que les armes utilisées, les relais assurés ou la « promotion de l'acte » (revendication, choix d'un lieu ou d'une date symbolique...)

2.- La procédure applicable aux actes de terrorisme

La loi du 3 septembre 1986 a été complétée, le 30 décembre de la même année, par la loi n° 86-1322.

11 résulte de ces textes que les actes de terrorisme obéissent à des règles de procédure particulières, dont les principales caractéristiques sont les suivantes :


La possibilité d'une centralisation de la poursuite, de l'instruction et du jugement

En vertu des articles 706-17 et suivants du code de procédure pénale, les autorités de poursuite et les juridictions parisiennes (procureur de République, juge d'instruction, tribunal correctionnel et cour d'assises) ont une compétence concurrente à celle qui résulte des règles de droit commun.

Cette centralisation n'est cependant pas automatique et ne traduit donc pas une prééminence des juridictions parisiennes. Elle est décidée au par cas. en fonction de considérations d'opportunité.

Selon la circulaire d'application du 10 octobre 1986, « chaque affaire donnera lieu à un examen particulier et (...) il conviendra de peser soigneusement les avantages et les inconvénients d'une poursuite de l'enquête ou de l'instruction à Paris » .


Des règles particulières de garde à vue

Alors que l'article 63 du code de procédure pénale fixe à quarante-huit heures (vingt-quatre heures renouvelables une fois par autorisation écrite du procureur de la République) la durée maximale de garde à vue de droit commun, l'article 706-23 permet de la porter à quatre-vingt-seize heures en matière de terrorisme. En effet, au délai de droit commun peut s'ajouter, sur autorisation d'un magistrat du siège (président du tribunal ou son délégué ou juge d'instruction), un nouveau délai de quarante-huit heures si les nécessités de l'enquête ou de l'instruction l'exigent.

La France n'est pas le seul pays européen à avoir institué des règles particulières de garde à vue en matière de terrorisme. Ainsi, en Grande Bretagne, alors que la durée maximale de droit commun est de quatre-vingt seize heures, elle peut être portée à cinq jours en matière de terrorisme.


Des règles particulières de perquisition et de saisie

Alors que l'article 76 du code de procédure pénale subordonne en Principe les perquisitions, les visites domiciliaires et les saisies dans le cadre d'une enquête préliminaire à l'assentiment exprès de la personne chez laquelle l'opération a lieu, l'article 706-24 permet, si le président du tribunal de grande instance ou son délégué le décide, de se passer de cet assentiment en matière de terrorisme.


La composition de la cour d'assises compétente en matière de crimes de terrorisme

En vertu de l'article 706-25 du code de procédure pénale, le jugement des crimes de terrorisme relève d'une cour d'assises spéciale, ne comprenant Pas de jurés mais des magistrats professionnels : un président et six assesseurs désignés par le Premier président de la cour d'appel.

Au-delà de ces dispositions de procédure, la loi du 9 septembre 1986 institué un dispositif concernant les « repentis » , repris par le nouveau code pénal en ses articles 422-1 et 422-2. Elle a ainsi prévu :

- l'exemption de peine pour toute personne qui a tenté de commettre. acte de terrorisme dès lors que. ayant averti l'autorité administrative ou judiciaire, elle a permis d'éviter la réalisation de l'infraction et d'identifier, le cas échéant. les autres coupables ;

- la réduction de moitié de la peine privative de liberté encourue

(ou à vingt ans de réclusion criminelle si la peine encourue est normalement la réclusion criminelle à perpétuité), par l'auteur ou le complice d'un acte de terrorisme si, avant averti les autorités administratives ou judiciaires, il a permis de faire cesser les agissements incriminés ou d'éviter que l'infraction n'entraîne mort d'homme ou infirmité permanente et d'identifier, le cas échéant, les autres coupables.

b) Deuxième étape : le nouveau code pénal

Le nouveau code pénal n'a pas remis en question le régime procédural propre aux actes de terrorisme issu des lois de 1986.

Bien au contraire, en élargissant la notion d' « actes de terrorisme », il en étendu le champ d'application.

Par ailleurs, sur le fond, il a érigé les actes de terrorisme en infractions autonomes, sanctionnées de peines plus graves que celles prévues pour les mêmes faits par le droit commun

1.- l'élargissement de la notion d'actes de terrorisme

La loi du 9 septembre 1986 déterminait le champ des actes de terrorisme par une énumération d'infractions accompagnée de la référence précise de l'article, voire de l'alinéa, incriminant chacune d'entre elles.

Le nouveau code pénal, bien qu'il se soit calqué sur l'énumération de la loi de 1986, ne vise pas (tout au moins pour ce qui concerne les infractions prévues par le code pénal) des articles précis mais des catégories générales d'infractions avec un renvoi aux livres du code pénal qui les incriminent. Il s'ensuit, comme le souligne la circulaire d'application du nouveau code pénal, en date du 14 mai 1993. que si les infractions susceptibles de constituer des actes de terrorisme « correspondent, pour la plupart, à celles que mentionnai la loi de 1986, elles sont cependant, d'une façon générale, plus nombreuses ».

Ainsi, s'agissant des menaces, la loi de 1986 ne visait que celle prévues par l'article 305 de l'ancien code pénal, à savoir les plus graves (menaces de mort ou menaces de commettre une infraction punie de plus de cinq ans d'emprisonnement faites avec l'ordre de remplir une condition). En revanche, en visant toutes « les atteintes volontaires à l'intégrité de personne (...) définies » par son livre II. Le nouveau code pénal permet qualifier d'acte de terrorisme toutes les menaces de crime ou délit faites avec l'ordre de remplir une condition (peu importe désormais que la menace concerne ou non un délit puni de plus de cinq ans d'emprisonnement).

Le tableau figurant ci-après retrace l'ensemble des infractions susceptibles d'être aujourd'hui qualifiées d'actes de terrorisme des qu'elles « sont en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ». Ces infractions sont visées par l'article 421-1 du nouveau code pénal.

A ces infractions, l'article 421-2 du nouveau code pénal a ajouté le crime de terrorisme écologique :

« constitue également un acte de terrorisme, lorsqu'il est en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but, de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur, le fait d'introduire dans atmosphère, sur le sol, dans le sous-sol ou dans les eaux, y compris celles de la mer territoriale, une substance de nature à mettre en péril la santé de l'homme ou des animaux ou le milieu naturel » .

2.- La création d'une infraction de terrorisme

Alors que la loi du 9 septembre 1986 ne conférait à la notion d'actes de terrorisme (exception faite du régime des « repentis ») qu'une portée procédurale, le nouveau code pénal a érigé ceux-ci en une véritable catégorie d'infractions, auxquelles sont applicables des peines propres.

Ainsi, depuis le 1er mars 1994. l'auteur d'une infraction constituant un acte de terrorisme, n'encourt plus la peine prévue pour cette infraction mais une sanction plus lourde, définie par l'article 421-3 du nouveau code pénal selon des modalités que retrace le tableau suivant :

c) Troisième étape l'allongement des délais prescription par la loi du 8 février 1995

La loi du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions et la procédure civile, pénale et administrative a étendu la durée de prescription en matière de terrorisme tout aussi bien en ce qui concerne la peine que l'action publique :

S'agissant de la prescription de la peine, c'est à l'initiative de notre collègue Jean-Jacques Hyest, alors député, qu'elle fut portée à trente ans (au lieu de vingt en droit commun) pour les crimes et à vingt ans (au lieu de c en droit commun) pour les délits terroristes ;

S'agissant de la prescription de l'action publique, après le rejet par l'Assemblée nationale d'un amendement en ce sens déposé par M. Hyest, c'est le Sénat qui. à l'initiative du rapporteur de votre commission des M. Pierre Fauchon, a permis de porter sa durée à trente ans (au lieu dix) pour les crimes et à vingt ans (au lieu de trois) pour des délits terroristes.

2. La coopération internationale

Dès 1984, dans le rapport fait au nom de la commission de contrôle du Sénat sur la lutte contre le terrorisme, votre rapporteur avait mis en avant la nécessité d'une coopération internationale adaptée « à un phénomène dont les aspects multinationaux s'accroissent irréversiblement » .

Les instruments de cette coopération sont aujourd'hui multiples, voire dispersés, et vont des simples accords bilatéraux au cadre mondial (Interpol). C'est cependant à un niveau intermédiaire, celui de l'Europe, que la coopération internationale est la plus poussée, qu'elle s'exerce dans le cadre du Conseil de l'Europe ou de l'Union Européenne.

a) La coopération dans le cadre du Conseil de l'Europe

Plusieurs conventions du Conseil de l'Europe, intervenues dans le domaine du droit pénal, peuvent servir d'instruments dans la lutte contre le terrorisme. Il en va par exemple ainsi :

- de la Convention européenne d'extradition signée à paris le 13 décembre 1957 ;

- de la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale signée à Strasbourg le 20 juin 1959 ;

- de la Convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime, signée à Strasbourg le 8 novembre 1990 et dont le projet de loi autorisant la ratification a été adopté par le Sénat en octobre dernier.

Mais c'est surtout par la ratification de la Convention européenne pour la répression du terrorisme, signée à Strasbourg le 27 janvier 1977, que France a manifesté son souci de participer à la coopération européenne en ce domaine.

Ce texte présente tout d'abord l'intérêt d'énumérer une série d'infractions qui ne sauraient, en cas de demande d'extradition, être considérées comme des infractions politiques : capture illicite d'aéronefs, atteinte graves à la vie, enlèvement, prise d'otage...

Il prévoit également une entraide judiciaire « la plus large possible en matière pénale » dans toute procédure relative aux infractions entrant dans le champ d'application de la convention.

b) La coopération dans le cadre de 1 Union européenne

En matière de lutte contre le terrorisme, la coopération entre la France et ses principaux partenaires européens s'est mise en place bien avant le traité de Maastricht. C'est notamment dès 1976 que s'est constitué le traité « TREVI ». organe de coopération intergouvernementale dans le domaine de la police dont l'une des missions est précisément d'élaborer des propositions sur le terrorisme.

La conférence « TREVI » a ainsi joué un rôle clé dans la création d'un Office européen de police (EUROPOL), décidée par le Conseil européen de Maastricht. L'article K 1 du traité sur l'Union Européenne prévoit notamment que les États membres considèrent comme une question d'intérêt commun « la coopération policière en vue de la prévention et de la lutte contre le terrorisme, le trafic illicite de drogue et d'autres formes graves de criminalité internationale, y compris, si nécessaire, certains aspects de coopération douanière, en liaison avec l'organisation à l'échelle de l'Union d'un système d'échanges d'informations au sein d'un Office européen de police. » Celui-ci est donc appelé à jouer le rôle de bureau centralisateur d'informations pour la grande criminalité.

C'est cependant dans le cadre de la convention de Schengen que la coopération européenne en matière de lutte contre le terrorisme apparaît la plus poussée, bien que son application ne concerne pas tous les États de l'Union. Elle ouvre notamment la faculté à certaines autorités d'un pays membre de continuer à surveiller et à suivre dans un autre pays une personne suspectée d'avoir participé à une infraction pouvant donner lieu à extradition. Par ailleurs, le système d'information Schengen (SIS), susceptible d'être consulté par chaque État partie, permet la circulation des informations relatives aux personnes recherchées.

Néanmoins, quelle que soit son utilité, la coopération internationale ne saurait constituer une réponse suffisante au terrorisme.

Elle se heurte tout d'abord à des limites juridiques telles que le champ géographique, par définition limité, des accords régionaux ou les multiples exceptions prévues par ceux-ci : interdiction mise par la convention européenne d'extradition à l'extradition des personnes poursuivies pour une infraction politique ; faculté ouverte aux parties par la convention européenne pour la répression du terrorisme (et dont ont usé la France et de nombreux États) de se réserver le droit de refuser certaines extraditions...

Au-delà de ces limites juridiques, la coopération internationale peut se heurter au souci de certaines États de se prémunir contre d'éventuelles représailles à laquelle pourrait conduire l'extradition d'un terroriste. Cette crainte d'une importation du terrorisme constitue peut-être le principal obstacle à une coopération internationale pleinement efficace.

B. LES DONNÉES DE FAIT

Le projet de loi soumis à notre examen s'insère dans un contexte marqué, d'une part, par une évolution du terrorisme rendant celui-ci de plus en plus difficile à appréhender et. d'autre part, par une augmentation sensible des infractions contre les personnes chargées d'une mission de service public.

1. L'évolution du terrorisme

Les dernières années ont été marquées par une double évolution, quantitative et qualitative, du terrorisme.

a) I. 'évolution quantitative une recrudescence du terrorisme

Dans son avis budgétaire présenté au nom de la commission des Lois sur les crédits consacrés à la police et à la sécurité par le projet de loi de finances pour 1996, votre rapporteur avait mis en avant, comme fait marquant l'année 1995, « la brutale réapparition des attentats terroristes » :

« les événements sont si récents qu'ils n'appellent guère de longs rappels statistiques : outre l'assassinat du Cheikh Sahraoui le 11 juillet 1995 dans la salle de prière de la mosquée de la rue Myrha, on a déploré 8 attentats à Paris et en province entre le 25 juillet et le 17 octobre 1995, 7 personnes tuées dans l'attentat de la station Saint-Michel de la ligne B du RER et plus de 170 blessés, certains grièvement, sans compter les dégâts matériels. Ce bilan aurait même été beaucoup plus lourd si tous les engins avaient explosé, en particulier celui découvert le 26 août 1995 sur la voie du Lyon-Paris à la hauteur de Cailloux-sur-Fontaines (Rhône). »

Toutefois, au-delà de ces actions spectaculaires qui auront effectivement marqué l'année 1995, une analyse sur un plus long terme met en avant la tendance à l'augmentation du terrorisme. Bien que cette progression ait été indiquée à partir de 1993, le nombre d'attentats perpétrés en France en 1994 dépassait de plus de 40 % celui de 1989, comme le révèle le tableau ci-après :

Le terrorisme est donc depuis plusieurs années un phénomène quotidien, et le projet de loi soumis à notre examen ne saurait être considéré comme un texte de circonstances.

b) L'approche qualitative : un phénomène de plus en plus difficile à appréhender

Sur le plan qualitatif, le terrorisme apparaît de plus en plus difficile à appréhender, en raison d'une double évolution, tenant aux terroristes eux-mêmes et aux moyens dont ils disposent.

S'agissant des terroristes eux-mêmes, votre rapporteur avait mis en avant dès 1984, dans un rapport fait au nom de la commission de contrôle du Sénat précitée, le fait que la France se trouvait désormais confrontée a un terrorisme interne violent : « composé essentiellement de ressortissants français, ce terrorisme à vocation révolutionnaire, ou séparatiste, vise surtout à agir contre la société ou les institutions politiques de la Nation » .

Ce constat est plus que jamais d'actualité : sur 122 informations ouvertes au 12 janvier 1986 en matière de terrorisme, moins de la moitié concernaient des étrangers.

Mais à cette diversification se sont ajoutés un émiettement, une atomisation du terrorisme : ses auteurs sont aujourd'hui moins hiérarchisés, parfois isolés. Ils sont donc plus difficilement identifiables.

A cette évolution tenant aux personnes est venue se superposer une évolution tenant aux instruments dont disposent les terroristes. Ainsi, la sophistication des moyens de communication (possibilité de se faire appeler d'une cabine téléphonique, apparition du téléphone portable...) complique singulièrement la tâche des enquêteurs.

2. L'augmentation des infractions commises contre des personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public.

Selon l'exposé des motifs du projet de loi, « depuis quelques temps, on observe une augmentation sensible des actes de violences dirigés contre les personnes dépositaires de l'autorité publique » .

Les informations fournies à votre rapporteur soulignent en effet le nombre toujours croissant d'infractions constatées en matière de violences et outrages à des dépositaires de l'autorité publique : + 22,8 % sur la période 1991, 1994.

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