RAPPORT N° 159 - PROPOSITION DE RESOLUTION DE MM. BLIN, de RAINCOURT, de ROHAN, SOUVET et ARTHUIS, tendant à créer une commission d'enquête sur les conséquences pour l'économie française de la réduction de la durée du travail à 35 heures hebdomadaires


M. Philippe MARINI, Sénateur


COMMISSION DES FINANCES, DU CONTROLE BUDGETAIRE ET DES COMPTES ECONOMIQUES DE LA NATION - RAPPORT N° 159 - 1997/1998

Table des matières






N° 159

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 8 décembre 1997

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur la proposition de résolution de MM. Maurice BLIN, Henri de RAINCOURT, Josselin de ROHAN, Louis SOUVET et Jean ARTHUIS, tendant à créer une commission d'enquête sur les conséquences pour l'économie française de la réduction de la durée du travail à trente-cinq heures hebdomadaires ,

Par M. Philippe MARINI,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Christian Poncelet, président ; Jean Cluzel, Henri Collard, Roland du Luart, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Philippe Marini, René Régnault, vice-présidents ; Emmanuel Hamel, Gérard Miquel, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; Alain Lambert, rapporteur général ; Philippe Adnot, Bernard Angels, Denis Badré, René Ballayer, Bernard Barbier, Jacques Baudot, Claude Belot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Guy Cabanel, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Yvon Collin, Jacques Delong, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Marc Massion, Michel Mercier, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Maurice Schumann, Henri Torre, René Trégouët.

Voir le numéro :

Sénat : 75 (1997-1998).

Travail.

Mesdames,

Messieurs,

Le Gouvernement a décidé de réduire à 35 heures, la durée légale hebdomadaire du travail, actuellement fixée à 39 heures.

1. Cette décision a donné lieu à une rencontre avec les partenaires sociaux qui a pris la forme d'une " conférence nationale sur l'emploi, les salaires et le temps de travail " qui s'est tenue le 10 octobre dernier.

2. A l'issue de cette réunion, le Gouvernement a rédigé un avant-projet de loi, déposé devant le Conseil d'État le 27 novembre dernier, dont le contenu a été communiqué aux partenaires sociaux, puis rendu public.
Cet avant-projet de loi est inscrit à l'ordre du jour du Conseil des ministres du 10 décembre en vue d'une adoption par le Parlement au cours du premier trimestre 1998.

3. Sur la base du bilan de la mise en oeuvre de ces dispositions, qui sera dressé au cours du second semestre 1999, un deuxième projet de loi devrait fixer les modalités de la généralisation du nouvel horaire légal et plus généralement le nouveau régime de réglementation du temps de travail.
Ce texte redéfinira notamment les formes de modulation des horaires, jugées, actuellement, trop complexes, et instituera un système d'aide financière structurelle qui, après le passage à la nouvelle durée légale, prolongera le dispositif incitatif.

4. Certains enseignements peuvent d'ores et déjà être tirés des informations dispensées par les médias.

· La réduction de la durée légale du travail n'impose pas aux entreprises de réduire la durée effective de celui-ci. Toutefois, si les entreprises décident de ne pas aligner la durée effective sur la nouvelle durée légale, elles devront payer à leurs salariés l'équivalent de 4 heures supplémentaires, représentant une augmentation du coût du travail de 2,5 % et ce, selon leur taille, soit en l'an 2000, soit en l'an 2002.

Ces quatre heures supplémentaires représentant un total de 188 heures pour 47 semaines de travail, ces mêmes entreprises devront en outre accorder à leurs salariés un repos compensateur de 100 % sur les 58 heures excédant le contingent annuel maximum d'heures supplémentaires (130 heures par an).

Ce surcoût devrait inciter les entreprises à aligner la durée effective du travail sur le nouvel horaire légal.

· Le Premier ministre a indiqué, le 10 octobre dernier, qu'il n'était pas concevable de vouloir baisser les rémunérations des salariés. La fixation du SMIC étant une prérogative du Gouvernement, cette prise de position devrait logiquement l'amener à réévaluer le taux horaire du SMIC de 11,42 %, de telle sorte que la rémunération mensuelle des salariés payés sur cette base soit maintenue pour une durée effective du travail égal à 35 heures.

· Le problème du traitement des heures supplémentaires mérite une attention particulière notamment dans les entreprises où elles représentent une part importante de la rémunération mensuelle moyenne. Leur contingentement devra alors s'articuler avec une négociation relative aux salaires de base, faute de quoi les salariés concernés et en particulier les moins qualifiés pourraient être lésés.

5. A la suite de la publication de cet avant-projet, auquel la presse a donné un très large écho, les partenaires sociaux, dans leur majorité, ont exprimé des réserves.

La Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM), la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs non salariés (CNAVTS) ainsi que Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) viennent de rendre des " avis défavorables " sur le projet du Gouvernement. Les responsables des syndicats C.F.T.C., C.G.T. et F.O. ont également critiqué l'avant-projet de loi estimant qu'il comporte "des risques graves pour le financement de la sécurité sociale". M. Marc Blondel a souligné en effet que l'avant-projet ne prévoyait qu'une compensation partielle pour la sécurité sociale, des pertes de recettes dues aux exonérations contrairement à l'obligation faite à l'État par la "loi Veil" du 25 juillet 1994 de compenser intégralement à la sécurité sociale toutes les nouvelles mesures d'exonération de cotisations sociales.

Le C.N.P.F. dont il faut rappeler que le Président, M. Jean Gandois, a démissionné de ses fonctions à l'issue de la conférence nationale ci-dessus évoquée, a montré une vive hostilité au principe même d'une réduction généralisée de la réduction de la durée hebdomadaire légale du travail. M. Ernest-Antoine Seillière, candidat à la présidence de cette organisation, a fait montre d'une hostilité renouvelée au projet du Gouvernement, et a déclaré vouloir mettre fin aux négociations interprofessionnelles, voire à la gestion qualifiée par lui de " faussement paritaire " des organismes de sécurité sociale.

6. Enfin, un membre du Gouvernement, M. Jacques Dondoux, secrétaire d'État au commerce extérieur s'est déclaré, le 24 novembre dernier à Albi, ne pas être " certain que le passage aux 35 heures créera beaucoup d'emplois ", même si cette mesure devait, selon lui, " améliorer le cadre de vie des Français ".

7. Dans ce contexte où tout le monde débat de la réduction du temps de travail, sauf le Parlement, nous sommes saisis d'une proposition de résolution présentée par MM. Maurice Blin, Henri de Raincourt, Josselin de Rohan, Louis Souvet et Jean Arthuis, tendant à créer une commission d'enquête sur les conséquences pour l'économie française de la réduction de la durée du travail à trente cinq heures hebdomadaires (proposition n° 75 du 5 novembre 1997).


Cette proposition met en avant, dans son exposé des motifs, la nécessité d'une part, d'évaluer les conséquences pour l'économie, d'autre part, de chiffrer le coût pour l'État de cette décision.

En tant que commission saisie au fond de la présente proposition de résolution, il nous appartient d'apprécier sa recevabilité au regard des textes qui régissent la matière et, si cette première condition est remplie, de porter un jugement sur son opportunité.

* *

*

L'avant projet de loi du Gouvernement

Cet avant projet comporte deux volets principaux :

a) la réduction de la durée hebdomadaire du travail

La durée légale hebdomadaire du travail serait réduite à 35 heures en 2002 pour l'ensemble des entreprises et dès le 1 er janvier 2000, pour les entreprises de plus de 20 salariés.

Le champ d'application de la nouvelle durée légale serait celui de la durée légale actuelle (article L. 212-1 du code du travail). Seraient ainsi concernés les établissements industriels, commerciaux, artisanaux et coopératifs de quelque nature qu'ils soient, publics ou privés, les offices publics et ministériels, les professions libérales, les sociétés civiles, les syndicats et les associations.

Seraient également incluses dans ce champ d'application, en vertu d'une disposition expresse de l'avant projet de loi, les entreprises agricoles.

b) l'aide à la réduction négociée du temps de travail

Une partie importante de l'avant-projet de loi est consacrée au dispositif d' aide apporté aux entreprises qui anticiperont sur l'application de la nouvelle durée légale.

Cette aide temporaire ne doit pas être confondue avec l'aide permanente, qui devra prolonger ce dispositif après le passage à la nouvelle durée légale de 35 heures, et dont les modalités ne seront déterminées que dans un second projet de loi sur la durée du travail, qui sera déposé au second semestre 1999, au vu du bilan des accords conclus et de la conjoncture économique.

1) Conditions

L'aide serait accordée aux entreprises ou établissements qui procéderont à un baisse d'au moins 10 % du temps de travail, tout en créant
(volet offensif) ou en préservant (volet défensif) des emplois .

Dans le premier cas, les embauches devraient porter sur au moins 6 % de l'effectif concerné avant réduction de l'horaire du travail, augmenté des embauches. Celles-ci devraient être réalisées dans un délai d'un an

Dans le second cas, la réduction devrait permettre de préserver un nombre équivalent à 6 % au moins de l'effectif calculé en incluant les emplois que la réduction du temps de travail permet de préserver. L'engagement de maintien d'emploi devrait être d'une durée d'au moins deux ans.

Dans les deux cas, l'aide serait subordonnée à la conclusion d'un accord collectif, puis d'une convention du Fonds national de l'emploi (FNE) négociée avec la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle.

Pour favoriser la conclusion d'accords dans les entreprises dépourvues de délégués syndicaux ou de délégués du personnel désignés comme délégués syndicaux, l'avant-projet propose une procédure spécifique de négociation avec un ou plusieurs salariés mandatés à cet effet par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives.

2) Nature, durée et montant de l'aide

L'aide serait constituée par un abattement forfaitaire des cotisations sociales employeurs qui serait attribué pour chacun des salariés concernés par la réduction de la durée du travail ou embauchés au nouvel horaire réduit.

Cet abattement, accordé pour une durée de cinq ans , serait forfaitaire , afin d'aider davantage les entreprises à bas salaires, et dégressif pour prendre en compte la capacité des entreprises et des salariés à trouver, par la négociation, les moyens d'absorber progressivement une partie des coûts.

L'aide serait cumulable avec la réduction dégressive sur les bas salaires, qui serait reconduite, avec quelques modifications, au-delà du 31 décembre 1997.

Elle se calculerait à partir d'un montant de base , variant selon la date d'entrée dans le dispositif, comme l'indique le tableau ci-après.

Ces montants pourraient être majorés :

- de 1.000 F par an et par salarié pour les entreprises qui, en regard de leur situation, feraient des efforts particuliers pour créer davantage d'emplois que le seuil minimum prévu, embaucher une proportion élevée de jeunes ou mettre en oeuvre des modalités innovantes d'organisation du temps de travail, permettant notamment d'inclure les cadres dans le dispositif ;

- de 4.000 F par an et par salarié, lorsque la réduction d'horaires atteindrait au moins 15 % et que l'entreprise s'engagerait à accroître ses effectifs d'au moins 9 %. Compte tenu de ces majorations, le tableau ci-après indique les montants des aides susceptibles d'être attribuées aux entreprises qui réduiront leur durée du travail en 1998.

Par ailleurs, il est prévu de mettre en place un dispositif parallèle pour les entreprises qui, dans le cadre d'une procédure collective de licenciement pour motif économique, préserveraient des emplois grâce à la réduction du temps de travail.



3) Champ d'application de l'aide

Le champ d'application de l'aide serait celui de la durée légale du travail, exception faite des organismes publics situés hors du secteur concurrentiel entretenant des liens financiers étroits avec l'État.

D'ores et déjà, le ministre de l'emploi a annoncé que les entreprises de transports urbains seraient éligibles à l'aide.

Il a également été rappelé que les petites entreprises seraient éligibles à l'aide, au même titre que les entreprises de plus de vingt salariés.

Par ailleurs, l'avant-projet de loi porterait également sur :

· Les heures complémentaires qui, limitées en principe, au dixième de la durée prévue au contrat ne pourraient être portées au tiers de cette même durée qu'en application d'un accord de branche.

· Le temps partiel : la durée minimale de travail ouvrant droit au bénéfice de l'abattement de 30 % sur les cotisations patronales de sécurité sociale serait porté à 18 heures contre 16 heures actuellement.

· En ce qui concerne les heures supplémentaires, leur régime fera l'objet de la seconde loi préparée pour 1999. Toutefois, l'exposé des motifs du premier projet de loi devrait préciser que les majorations applicables aux heures supplémentaires effectuées entre 35 et 39 heures seront calculées à partir du 1 er janvier 2000, au maximum de 25 %, ce taux pouvant être réduit si la situation des entreprises l'exige.

I. LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION

Est-il juridiquement possible de créer la commission d'enquête souhaitée par M. Maurice Blin et plusieurs de ses collègues ?

Aux termes de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires :

"Outre les commissions mentionnées à l'article 43 de la Constitution, seules peuvent être éventuellement créées au sein de chaque assemblée parlementaire des commissions d'enquête ; les dispositions ci-dessous leur sont applicables.

" Les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés , soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l'assemblée qui les a créées.

"Il ne peut être créé de commission d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Si une commission a déjà été créée, sa mission prend fin dès l'ouverture d'une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d'enquêter..."


Selon le 1. de l'article 11 du Règlement du Sénat :

"La création d'une commission d'enquête par le Sénat résulte du vote d'une proposition de résolution , déposée, renvoyée à la commission permanente compétente, examinée et discutée dans les conditions fixées par le présent Règlement. Cette proposition doit déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission d'enquête doit examiner la gestion. Lorsqu'elle n'est pas saisie au fond d'une proposition d'enquête, la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale est appelée à émettre un avis sur la conformité de cette proposition avec les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, modifiée, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. La proposition de résolution fixe le nombre des membres de la commission d'enquête, qui ne peut comporter plus de vingt et un membres."

La commission d'enquête proposée par la proposition de résolution de M. Maurice Blin et de plusieurs de ses collègues aurait pour objet de " recueillir des informations sur les conséquences de la réduction de la durée du travail à trente cinq heures hebdomadaires ".

Sous réserve de l'avis qu'émettra la commission des lois, cette proposition de résolution soulève quelques difficultés tant au regard de l'ordonnance de 1958 qu'à celui du Règlement du Sénat.

Il est, en effet, manifeste que la proposition de résolution dont nous sommes saisis ne sollicite pas la création d'une commission d'enquête sur " la gestion d'une entreprise nationale ou d'un service public ."

C'est donc sur le terrain des " faits " qu'il convient de se placer.

De ce point de vue, n'est-il pas paradoxal d'enquêter sur les " conséquences " d'un fait - la réduction de la durée du travail - qui n'a pas encore eu lieu ?

A cet égard, force est de constater que si la décision de réduire à trente cinq heures la durée hebdomadaire du travail n'a pas encore été prise, il est néanmoins certain que le Gouvernement a décidé de prendre cette décision... L'événement est certes futur, mais néanmoins certain.
C'est ainsi qu'un avant projet de loi a été déposé devant le Conseil d'État et son inscription à l'ordre du jour du Conseil des ministres a, d'ores et déjà, été fixée. Par ailleurs, des crédits destinés à favoriser l'application de cette mesure ont été inscrits dans le projet de loi de finances pour 1998.

En outre, les modalités de cette décision sont maintenant connues de tous de façon précise : les éléments d'information fournis aux médias et reproduits dans le présent rapport suffisent à délimiter avec netteté les contours du dispositif.

Enfin, parmi les conséquences induites par cette décision, il en est au moins une certaine : son coût pour les finances publiques.

Il s'agit d'ailleurs de la seule conséquence des "trente-cinq heures" qui soit mesurable et chiffrable avec un certain degré de précision. En effet, les autres conséquences, et notamment les conséquences bénéfiques de la réduction de la durée hebdomadaire du travail, semblent plus hasardeuses. A cet égard, la représentation nationale a le droit de savoir, et même le devoir de connaître, sur quelles analyses et hypothèses économiques le Gouvernement s'est appuyé pour mesurer l'impact de cette mesure sur l'emploi et sur la compétitivité de notre économie ainsi que pour appréhender ses retombées en termes fiscaux.

C'est d'ailleurs le flou dont sont entachées les réponses à ces questions qui semblent avoir entraîné l'échec de la conférence nationale sur l'emploi, les salaires et le temps de travail.

En l'occurrence, il n'est pas inutile de rappeler qu'une commission d'enquête peut être créée pour recueillir des éléments d'information sur les conditions d'élaboration d'une politique conduite par le Gouvernement. C'est ainsi que le Sénat vient de constituer une commission d'enquête pour examiner les conditions d'élaboration de la politique énergétique de la France, à la suite de la décision du Gouvernement de " fermer " le surgénérateur Superphénix 1( * ) .

Les faits dont la commission d'enquête aurait à connaître n'étant pas susceptibles de faire l'objet de procédures judiciaires, la présente proposition de résolution peut donc être déclarée recevable, à condition toutefois que son objet soit précisé.

Les conditions légales de la création de la commission d'enquête , souhaitée par la proposition de résolution présentée par M. Maurice Blin et plusieurs de ses collègues, ainsi amendée, étant remplies, est-il opportun, pour évaluer les conséquences de la décision de réduire à trente cinq heures la durée du travail, de constituer une commission d'enquête ?

II. L'OPPORTUNITÉ DE LA PROPOSITION

L'idée sur laquelle repose la décision du Gouvernement est au fond assez simple : il serait possible de diminuer le chômage en " partageant " le travail entre un plus grand nombre de personnes. Si l'on suit cette logique, une diminution du temps de travail d'environ 10 % - le passage de 39 heures à 35 heures par semaine - créerait donc 10 % d'emplois supplémentaires.

Cependant, personne ne conteste que cette mesure a un coût. La question est donc de savoir qui finance ?

Les salariés , en acceptant une diminution de leur rémunération à due concurrence ? Le Premier ministre a, comme on l'a vu, éliminé d'emblée cette solution, considérée comme antisociale.

Les entreprises , en maintenant les salaires du personnel en place tout en embauchant pour compenser les heures non travaillées ? Le Premier ministre a également exclu cette option en la qualifiant d' " antiéconomique " parce qu'elle ne peut qu'altérer la compétitivité des entreprises en augmentant leurs charges de plus de 10 %.

Louvoyant entre l'antisocial et l'antiéconomique, le Gouvernement a mis en place un système dont le coût définitif suppose la résolution d'une équation à trois inconnues : l'aide de l'État, certaine dans son principe, mais incertaine dans son montant ; les gains de productivité des entreprises, quasiment impossibles à évaluer et, enfin, l'acceptation par les salariés d'un gel salarial prolongé.

1. La contribution de l'État est certaine dans son principe, mais incertaine dans son montant.


Pour 1998, le dispositif proposé devrait permettre la création de 21.000 emplois nouveaux. En conséquence, 350.000 salariés seraient concernés par la réduction, soit un coût pour l'État de 3 milliards de francs, à raison de 9.000 F de prime par personne. Mais à compter de l'an 2000, la mesure devenant obligatoire, ce sont environ treize millions de salariés qui devraient être concernés, ce qui représente, à concurrence de 5.000 francs par salarié, un total de 65 milliards de francs par an.

Le Gouvernement conteste cette évaluation sommaire, au motif qu'elle ne tiendrait pas compte des recettes engendrées par les nouveaux emplois : cotisations sociales supplémentaires, rentrées de TVA liées à une consommation relancée... En définitive, l'opération devait être neutre pour les finances publiques.

Cet optimisme budgétaire de la part du gouvernement laisse sceptique pour trois raisons au moins :

Tout d'abord, il est manifeste que se produira un phénomène d'hystéresis : l'État devra commencer à verser plusieurs dizaines de milliards avant d'engranger des recettes. Cette fuite en avant se traduira par des difficultés budgétaires en pleine transition vers l'euro. Le coût des trente cinq heures devra être compensé par de sérieuses réductions de dépenses par ailleurs, à moins qu'il n'implique un nouvel alourdissement fiscal, si l'on veut respecter les objectifs proclamés en ce qui concerne le poids des déficits publics.

Par ailleurs, il semble désormais établi que les partenaires sociaux n'accepteront pas de prendre à leur charge les pertes de recettes résultant pour la Sécurité sociale de l'abattement de cotisations patronales.

Enfin, la construction du Gouvernement repose sur le postulat que les entreprises créeront effectivement 6 % d'emplois. Or, le risque est grand de voir les entreprises préférer "frauder" les horaires plutôt que créer des emplois. Aujourd'hui, déjà 30 % des heures supplémentaires seraient effectués à un tarif horaire normal. Dans la première phase, le contrôle effectif sera possible, puisqu'il y aura relativement peu d'entreprises, à en croire l'estimation faite pour 1998, qui décideront de réduire la durée du travail. Mais lorsque le dispositif sera généralisé, faudra-t-il poster un inspecteur du travail dans chaque entreprise, inspecteur dont le traitement viendrait s'ajouter au coût direct de la mesure ?

2. Les gains de productivité sont possibles mais très difficiles à évaluer.


La décision du Gouvernent repose sur l'idée que les entreprises réaliseront des gains de productivité qui serviront à financer partiellement le réduction de la durée du travail.

Or il est très difficile de prévoir à l'avance quels seront les gains de productivité. Il est probable, en tous cas, que les gains seront très variables d'un secteur à l'autre, voire d'une entreprise à l'autre.

Ainsi, dans les services ou le petit commerce, les gains de productivité autorisés par une réorganisation du travail seront vraisemblablement très réduits ou inexistants.

A l'inverse, dans les secteurs de production, les gains spontanés de productivité sont élevés. Ils atteignent 12 % par an dans l'automobile. Mais l'essentiel de ces gains a jusqu'à présent été affecté à une diminution des prix afin de préserver les parts de marché. Si l'un des producteurs s'avisait de réserver la totalité de la productivité pour financer la baisse du temps de travail, il deviendrait plus cher que les autres et subirait probablement une érosion de sa part de marché. De surcroît, dans les entreprises fonctionnant déjà en trois huit, l'industrie chimique par exemple, les gisements de productivité seront difficiles à trouver. Les entreprises seront contraintes d'embaucher, mais même si les salariés acceptent de modérer leurs revendications salariales, elles devront faire l'avance pendant plusieurs années des embauches supplémentaires. Ce handicap transitoire pourrait se révéler insupportable dans des secteurs, comme le textile, où les prix sont orientés à la baisse du fait d'une concurrence internationale très forte.

Par ailleurs quelle sera l'ampleur de l'effet de seuil résultant de l'exonération des petites entreprises ? Ne seront-elles pas tentées de refuser toute embauche pour rester en dessous du seuil ?

3. Les salariés accepteront-ils de modérer leurs revendications salariales ?

Il ressort des différentes enquêtes d'opinion disponibles que les salariés ne souhaitent pas travailler moins, mais gagner plus. Accepteront-ils dans ces conditions de consentir des sacrifices en termes de rémunérations ? Leurs organisations syndicales sont-elles prêtes à abandonner leurs revendications habituelles en faveur du maintien voire de l'augmentation du pouvoir d'achat ?

En outre, quel sera le comportement des catégories qui ne sont pas touchées par la réforme ?

Quelle sera la réaction des salariés à temps partiel qui représentent 16 % de l'ensemble des actifs ? Accepteront-ils de voir leurs collègues pratiquer des horaires de bureau très proches des leurs, avec un salaire intégral ? A cet égard, il convient d'observer qu'aux Pays-Bas, qui semblent constituer un nouveau modèle de référence, la diminution de la durée du travail s'est accompagnée d'un développement massif du temps partiel, ce qui est une autre façon de ne pas maintenir intégralement les salaires.

Par ailleurs, les syndicats de fonctionnaires accepteront-ils que leurs adhérents restent à l'écart de cette " avancée sociale " ? Si la mesure est vraiment opportune, pour quelles raisons l'État refuse-t-il de se l'appliquer à lui-même ? Serait-ce parce qu'aucun gain de productivité n'est possible dans le secteur public ?

Les brefs développements qui précédent avaient pour seul objectif de montrer que la résolution de l'équation financière des trente cinq heures est d'une extrême complexité et que le coût de cette décision sera donc très difficile à chiffrer.

Dans ces conditions, une enquête approfondie s'impose.


D'une part, parce qu'il est indispensable de laisser les personnels placés sous l'autorité du ministre de l'économie et des finances, et du ministre des affaires sociales, exposer librement, devant les commissions permanentes de la Haute assemblée, les hypothèses, budgétaires économiques et sociales retenues pour préparer la décision. Le fonctionnement normal du jeu démocratique dépend en l'occurrence de la qualité de l'information dont pourra disposer le Sénat sur un projet de loi constituant un choix de société.

D'autre part, parce que le Gouvernement a annoncé que le projet de loi en cours d'élaboration serait déposé vers le début de l'année et vraisemblablement discuté selon la procédure d'urgence : dans ces conditions, la ou les commissions permanentes qui seront chargées de son examen ne disposeront pas du temps nécessaire pour mener de front les indispensables études préparatoires et l'examen du texte, quand bien même elles demanderaient à notre assemblée de leur accorder, conformément aux articles 5 bis et 5 ter de l'ordonnance du 17 novembre 1958, les pouvoirs attribués aux commissions d'enquête. Par ailleurs, un recours à l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques ne semble pas constituer une réponse pertinente en raison des délais inhérents à la procédure de saisine de cette instance.

Considérant que, sans pouvoir d'enquête, les rapporteurs de notre assemblée ne seraient pas en mesure de préparer utilement les délibérations à venir, votre commission des finances a décidé de donner suite à la proposition de résolution de MM. Maurice Blin, Henri de Raincourt, Josselin de Rohan, Louis Souvet et Jean Arthuis, tendant à créer une commission d'enquête sur les conséquences de la réduction de la durée du travail à trente cinq heures hebdomadaires.

Les conséquences de cette mesure sont à la fois financières, économiques et sociales :

- la future législation aura un impact sérieux sur les finances publiques, dont il s'agit de préciser l'enchaînement et l'ampleur, notamment au regard des exigences issues du pacte de stabilité budgétaire, conclu par la France avec ses partenaires de l'union économique et monétaire ;

- la réduction de la durée du travail aura des incidences sur la compétitivité de nos entreprises, dans la période d'entrée de notre économie dans la zone euro, en même temps qu'elle exercera une influence psychologique significative sur les décisions d'investissement des chefs d'entreprises ; il y a donc lieu d'évaluer l'incidence des 35 heures sur la croissance et sur le niveau de l'emploi ;

- enfin, cette réforme est engagée dans un contexte de crise des relations entre l'État et le patronat ; imposée à la quasi totalité des entreprises, elle vide de son sens la négociation interprofessionnelle ; ce traumatisme exercera sans doute une influence sur le climat social et sur le comportement des partenaires sociaux, dont il convient d'analyser les éléments et les effets.

Pour toutes ces raisons, et suivant les recommandations de son rapporteur, votre commission des finances vous demande d'adopter ses conclusions sur la proposition de résolution ainsi modifiée.

* *

*

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le lundi 8 décembre, sous la présidence de M. Christian Poncelet, président, la commission a procédé à l'examen de la proposition de résolution n° 75 (1997-1998) de M. Maurice Blin sur le rapport de M. Philippe Marini.

Après que M. Philippe Marini, rapporteur ait exposé les raisons tendant à donner suite à la proposition de M. Maurice Blin et de plusieurs de ses collègues, un bref débat s'est engagé au cours duquel M. Maurice Blin a remercié le rapporteur et a souligné la nécessité que la commission d'enquête statue avant l'adoption définitive du projet de loi du Gouvernement.

Suivant la recommandation de son rapporteur, la Commission a alors adopté les conclusions modifiant la résolution de M. Maurice Blin et de plusieurs de ses collègues.

TABLEAU COMPARATIF





Proposition de résolution

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Proposition de la Commission

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PROPOSITION DE RÉSOLUTION TENDANT À CRÉER UNE COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LES CONSÉQUENCES POUR L'ÉCONOMIE FRANÇAISE DE LA RÉDUCTION DE LA DURÉE DU TRAVAIL À TRENTE-CINQ HEURES HEBDOMADAIRES

PROPOSITION DE RÉSOLUTION TENDANT À CRÉER UNE COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LES CONSÉQUENCES DE LA DÉCISION DE RÉDUIRE À TRENTE-CINQ HEURES LA DURÉE HEBDOMADAIRE DU TRAVAIL

Article unique

En application de l'article 11 du Règlement du Sénat, il est créé une commission d'enquête de vingt et un membres chargée de recueillir des informations sur les conséquences de la réduction de la durée du travail à trente-cinq heures hebdomadaires.

Article unique

En application de l'article 11 du Règlement du Sénat, il est créé une commission d'enquête de vingt et un membres chargée de recueillir des éléments d' information sur les conséquences financières, économi-ques et sociales de la décision de réduire à trente cinq heures la durée hebdomadaire du travail.

 
 

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION

Proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête sur les conséquences de la décision de réduire à trente-cinq heures la durée hebdomadaire du travail

Article unique

En application de l'article 11 du Règlement du Sénat, il est créé une commission d'enquête de vingt et un membres, chargée de recueillir des éléments d'information sur les conséquences financières, économiques et sociales de la décision de réduire à trente cinq heures la durée hebdomadaire du travail.



1 Résolution n° 35 du 19 novembre 1997 créant une commission d'enquête chargée de " recueillir les éléments relatifs aux conditions d'élaboration de la politique énergétique de la France et aux conséquences économiques, sociales et financières des choix effectués " , proposition n° 34 du 15 octobre 1997, rapport au fond de la commission des affaires économiques n°71 du 5 novembre 1997 et rapport pour avis de la commission des lois n° 63 du 29 octobre 1997.

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