M. André Ferrand

DEUXIÈME PARTIE :
PROGRAMME 303 « IMMIGRATION ET ASILE »

I. UN PROGRAMME DÉDIÉ À LA LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION ILLÉGALE ET À LA PRISE EN CHARGE DES DEMANDEURS D'ASILE

Le présent programme 303 regroupe 422,9 millions d'euros en autorisations d'engagement et 414,5 millions d'euros en crédits de paiement. Il est doté de 370 ETPT.

Il regroupe, d'une part, les emplois transférés de plusieurs ministères en charge jusqu'alors de la police et de la circulation des étrangers, du droit au séjour, du droit d'asile et de la prise en charge sociale des demandeurs d'asile, et, d'autre part, les crédits de fonctionnement des centres de rétention administrative, les dépenses d'éloignement, les dépenses d'intervention notamment en matière d'hébergement en CADA 6 ( * ) des demandeurs d'asile et les fonctions support de la future administration centrale dont le principe de la création est aujourd'hui retenue à effet du 1 er janvier 2008.

A. DEUX CAPS CLAIRS EN MATIÈRE D'ASILE ET DE LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION IRREGULIÈRE

La présentation stratégique du programme rappelle quelques éléments de contexte. Le nombre de visas délivrés par la France reste relativement stable, autour de 1.900.000 chaque année. 191.500 titres de séjour ont été délivrés contre 201.500 en 2003.

Le nombre de reconduites à la frontière est passé de 10.067 en 2002 à 23.831 fin 2006, pour 90.362 interpellations.

La demande d'asile a par ailleurs baissé entre 2005 et 2006 de 27,8 %, avec 30.748 premières demandes.

Dans la mesure où le programme ne regroupe ni les crédits des services des visas, ni ceux des services des étrangers de préfectures, le programme propose deux objectifs majeurs, en matière d'asile d'une part, en matière de lutte contre l'immigration irrégulière d'autre part.

1. L'amélioration des délais de traitement de la demande d'asile

Pour 2008, les délais moyens de traitement d'un dossier de demande d'asile par l'OFPRA seraient ramenés à 80 jours, et en ce qui concerne les dossiers de recours gérés par la CRR à 250 jours, soit onze mois, contre 13 mois en 2005.

Le raccourcissement de ces délais 7 ( * ) est essentiel pour deux raisons. D'une part, les délais diffèrent le moment où la personne persécutée pourra faire valoir ses droits, et bénéficier de la protection de la France en sa qualité de réfugié. En attendant sa décision, les personnes n'ont, en outre, pas le droit de travailler, et donc ne peuvent subvenir par eux-mêmes à leurs besoins. D'autre part, la longueur des délais « bénéficie » au contraire aux demandeurs de « mauvaise foi » qui détournent la demande d'asile de son objectif premier pour en faire un moyen de maintien sur le territoire.

Les délais de traitement de la demande d'asile

(en jours)

108

110

100

80

250

300

314

283

0

50

100

150

200

250

300

350

2005

2006

2007 (est.)

2008 (prév.)

OFPRA

CRR

Source : projet annuel de performances 2008

Le raccourcissement des délais a assurément été permis par le recrutement de personnels supplémentaires, vacataires pour l'essentiel, au sein de l'OFPRA et de la CRR. Ceci a conduit à une augmentation de la dotation de l'Etat à l'opérateur. Auparavant, il a néanmoins fallu également résorber les stocks de dossier dont certains étaient parfois très anciens . Pour cette raison, le graphique ci-dessus souligne combien la réduction du délai moyen des dossiers est lente : la résorption des stocks conduit à prendre en compte dans l'indicateur des dossiers anciens et donc à rallonger la durée moyenne d'examen.

Deux phénomènes devraient permettre une traduction des efforts réalisés par l'OFPRA en matière de délais :

- la diminution de la demande, de 27,8 % 8 ( * ) entre 2005 et 2006, puis de 10 % entre 2006 et 2007, avec une baisse prévue qui serait encore de 10 % entre 2007 et 2008, conduit à une moindre tension sur le travail des agents ;

- la résorption des stocks (les dossiers d'une ancienneté supérieure à un an ne représentaient plus de que 3 % du stock au 31 décembre 2006) aboutit mécaniquement à une réduction du délai moyen.

La situation est moins favorable à la commission de recours des réfugiés dont les délais paraissent toujours trop longs, même si les stocks de dossiers en attente ont également été réduits. Encore faut-il s'entendre sur un objectif de réduction de délai réaliste.

En l'espèce, votre rapporteur spécial s'étonne de trouver dans le projet annuel de performances un objectif de délai, même à horizon 2010, de 60 jours pour l'OFPRA et de 90 jours pour la CRR, alors que chacun s'accorde à dire que ces délais sont irréalistes et sans justification . M. Patrick Stefanini, responsable de programme et future secrétaire général, a exprimé un objectif pour la CRR, à horizon 2010, de six mois .

Cet objectif ne sera pas pour autant simple à atteindre, en raison notamment des délais de recours, de ceux liés à la procédure ou au traitement des dossiers d'aide juridictionnelle. L'année 2008 devra être consacrée à une rénovation ambitieuse de la commission de recours, pour qu'elle crée les conditions d'une réduction de ses délais avant d'être transférée au sein du programme « Conseil d'Etat et juridictions administratives » de la mission « Justice » où les délais sont eux-mêmes fort longs .

En matière informatique, des gains de productivité apparaissent possibles en ce qui concerne la gestion de l'aide juridictionnelle et la gestion des plannings. S'agissant du fonctionnement des 130 formations de jugement, une réduction de leur nombre, tout comme une professionnalisation progressive de leur présidence, paraissent de nature à harmoniser les procédures et les méthodes de travail. On compte aujourd'hui dans les formations de jugement, et parmi les présidents de ces formations, environ 38 % de retraités.

L'objectif de réduction des délais devra enfin tenir compte de la réduction de la dotation de l'Etat. La baisse de la demande conduit, en effet, en 2008, à diminuer la subvention pour charges de service public à l'OFPRA et à la CRR de 2.257.077 euros, soit un montant de 43 millions d'euros .

Cette dotation repose sur une hypothèse de baisse de la demande de 10 % qui demandera à être confirmée, d'autant que l'OFPRA est engagé dans une politique de « qualité », qui consiste notamment à convoquer de manière quasi systématique les demandeurs d'asile et à accroître les moyens de la documentation. Il faut ajouter à ce sujet la proposition, toujours d'actualité, de notre collègue Adrien Gouteyron, rapporteur spécial de la mission « Action extérieure de l'Etat », auteur du rapport précité de contrôle sur l'OFPRA, de déléguer, dans cinq postes à l'étranger particulièrement concernés par la demande d'asile, un officier de liaison chargé de collecter une information de terrain et de la confronter aux dossiers difficiles examinés par ses collègues.

Il paraît, dans ces conditions paradoxal, que le taux d'annulation des décisions de l'OFPRA par la commission de recours tende à augmenter, ce qui semblerait indiquer que la qualité des décisions de l'administration de l'asile baisse.

Or, de l'avis des observateurs, ceci n'est pas le cas. Au premier semestre 2007, le pourcentage d'annulation des décisions de l'OFPRA aurait atteint 20 %, contre 15 % en 2005 et 2006. Ce taux d'annulation élevé s'explique, en partie, par la progression du taux d'affaires plaidées, aujourd'hui de 60 %. Ce taux devrait fortement progresser à compter du 1 er décembre 2008, date à laquelle l'aide juridictionnelle sera de droit pour les recours en application d'une directive européenne. Compte tenu du nombre de recours annuels (30.477 recours en 2006), la montée en puissance de l'aide juridictionnelle devrait avoir un coût budgétaire important. Elle devrait également provoquer, par la même occasion, une baisse de la rémunération des avocats spécialisés dans les recours devant la commission, dont les tarifs sont aujourd'hui bien supérieurs au barème de l'aide juridictionnelle.

Taux d'annulation des décisions de l'OFPRA par la CRR

(en %)

Source : rapport d'information de M. Adrien Gouteyron sur l'OFPRA

2. Des objectifs chiffrés de reconduites à la frontière significatifs

L'augmentation du nombre de mesures de reconduites effectives à la frontière apparaît particulièrement difficile à atteindre comme en témoigne la révision de l'objectif pour 2007 de 28.000 expulsions à 25.000, l'objectif de 28.000 étant reporté à 2010.

Cet objectif se double d'indicateurs complémentaires, liés au nombre d'interpellations « d'aidants » qui passerait selon le document présenté au Parlement d'une fourchette comprise entre 3.800 à 4.200 en 2007 à 4.500 en 2008 et 5.500 en 2010.

Le nombre de personnes mises en cause pour infraction à la législation relative à l'entrée, au séjour ou à l'emploi des étrangers sans titre de travail pourrait fortement progresser. L'objectif est de 100.000 (contre 95.000 en 2007) mises en cause globales pour infraction à la législation sur les étrangers, avec une cible de 120.000 en 2010, dont 3.000 mises en cause pour travail dissimulé en 2008 et 2.000 mises en cause pour travail dissimulé d'étrangers sans titre de travail.

Il convient de faire remarquer que l'atteinte de ces objectifs dépend fortement de la capacité à mobiliser des services déconcentrés, police et gendarmerie d'une part, inspection du travail d'autre part, qui ne figurent pas, au plan budgétaire dans la présente mission.

B. LA NÉCESSITÉ DE FAIRE EMERGER DES OBJECTIFS EN TERMES D'IMMIGRATION, DE TRAVAIL ET D'ATTRACTIVITÉ DE NOTRE PAYS POUR LES PLUS QUALIFIÉS

1. L'absence d'action « immigration économique » et de véritable objectif correspondant

Faute d'identifier les crédits correspondants, qui pour une large part ne figurent pas, il est vrai, au sein de la mission « Immigration, asile et intégration », le programme ne présente pas d'action dévolue au développement de l'immigration économique et à l'attractivité du territoire . Il s'agit pourtant là d'un axe stratégique fixé par le Président de la République dans sa lettre de mission précitée en date du 9 juillet 2007. Il indique ainsi « vous viserez l'objectif que l'immigration économique représente 50% du flux total des entrées à fin d'installation durable en France ». (...) Notre pays « doit accueillir des étrangers auxquels il peut donner un travail, qui ont besoin de se former en France ou qui répondent à ses besoins économiques. Vous vous inspirerez à cet effet de la politique entreprise par certains de nos partenaires, par exemple le Canada ou la Grande-Bretagne, qui examinent les candidatures à l'immigration au regard d'un certain nombre de critères, y compris d'origine géographique, et déterminent en conséquence des priorités ».

Or plusieurs services concourent à cet objectif. Il en est ainsi, en partie, de la direction de la population et des migrations, tout comme de l'ANAEM, qui figure intégralement au sein du programme 104. Il convient de rappeler que l'ANAEM est « l'héritière » de l'office des migrations internationales (OMI) qui a eu pour tâche entre la fin de la seconde guerre mondiale jusqu'à la fin de cette politique en 1974 de faire venir des travailleurs étrangers en France.

L'indicateur de durée moyenne d'instruction des dossiers de recours hiérarchiques des décisions de refus d'autorisations de travail ne constitue en rien un indicateur à la hauteur de l'objectif politique poursuivi par le nouveau ministère de l'immigration.

Par ailleurs, l'objectif d'attractivité apparaît également marginalisé. Pourtant, la lettre de mission précitée du Président de la République appelle le ministère de l'immigration à « changer profondément la politique d'accueil des étudiants étrangers en France. Vous veillerez à diversifier leur origine et à recruter davantage d'étudiants dans les disciplines scientifiques. Nous voulons assumer nos responsabilités à l'égard des pays les plus pauvres, qui ont besoin de la France pour former leurs élites, mais nous voulons également que la France devienne un pays qui attire les meilleurs étudiants du monde entier. Pour cela, elle doit changer ses modalités d'accueil ». Alors que, pour la mise en oeuvre de cette politique, la lettre de mission implique un travail en lien avec la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, il faut remarquer que les centres des études en France et une partie des crédits dévolus aux espaces CampusFrance, qui visent à renforcer l'attractivité de notre système d'enseignement supérieur auprès des étudiants étrangers, sont inscrits au sein de la mission « Action extérieure de l'Etat ».

2. Trouver le bon indicateur en termes d'attractivité

« L'extrême jeunesse » de la mission n'a pas permis de créer d'indicateurs déclinant l'objectif politique lié à l'immigration économique. Il conviendra d'une part de définir avec précision la « population cible » et d'autre part de créer les instruments à mettre en place, au-delà de la signature d'accords bilatéraux avec des pays d'émigration.

Comme le soulignait notre collègue Adrien Gouteyron, rapporteur spécial de la mission « Action extérieure de l'Etat » au cours de la discussion générale du projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile, le 2 octobre 2007 : « il est frappant que nos entreprises, implantées en Afrique ou en Asie, aient autant de difficultés à faire venir leurs collaborateurs en détachement en France, alors qu'il s'agit d'employés qualifiés. Dans le même temps, il apparaît plus simple à un ressortissant turc résidant en France de faire venir un membre de sa famille pour travailler dans son entreprise de bâtiment ou de restauration rapide, au motif que la maîtrise de la langue turque est un impératif et que cette compétence n'existe pas sur notre sol ! ».

Votre rapporteur spécial se propose de lancer une enquête au sein du réseau des conseillers du commerce extérieur afin de définir les pistes d'une amélioration du fonctionnement des administrations chargées de l'immigration économique.

* 6 Centre d'accueil des demandeurs d'asile.

* 7 Cf le rapport d'information n° 401 (2005-2006) de M. Adrien Gouteyron au nom de la commission des finances : « L'OFPRA : impératif de performance administrative et exigences du droit d'asile ».

* 8 - 24,5 % si l'on prend en compte les mineurs accompagnants et les demandes de réexamen.