M. Roger BESSE

II. LE PROGRAMME 162 « INTERVENTIONS TERRITORIALES DE L'ETAT »

A. UN PROGRAMME « INTERMINISTÉRIEL » DÉSORMAIS COMPOSÉ DE SEPT ACTIONS

1. Un programme sui generis

Le programme 162, « Interventions territoriales de l'Etat », couramment désigné « PITE », constitue un programme original, sans équivalent parmi l'ensemble des missions du budget général. Qualifié d'« expérimental » par le PAP de la mission « Politique des territoires » annexé au présent PLF, il retrace les crédits destinés au financement d' actions définies, par le même document, comme « adossées à des plans interministériels territorialisés », eux-mêmes présentés comme « caractérisés par trois critères : un enjeu territorial majeur ..., la coordination d'une pluralité de programme, et la rapidité d'action ». Ces actions sont limitées dans le temps : elles « bénéficient d'une inscription initiale au PITE de 3 ans (2006/2008) », selon le PAP précité, mais cette inscription est reconductible.

De la sorte, le PITE se présente comme l'addition d' actions indépendantes , et en pratique très différentes, les unes des autres.

L'élaboration du programme est interministérielle et déconcentrée : il revient aux préfets de région de proposer les actions qui le composent. Les ressources budgétaires qui y figurent sont retranchées des programmes où elles auraient eu vocation à apparaître, à l'exception des dépenses en personnel (titre 2), que le PITE n'intègre pas. Ces ressources sont fongibles dans le périmètre de chaque action exclusivement .

A cet égard, votre rapporteur spécial regrette que le détail des programmes contributeurs ne soient pas précisé dans le PAP, alors que les réponses au questionnaire adressé au gouvernement en application de l'article 49 de la LOLF n'apportent pas, sur ce plan, d'information exploitable 19 ( * ) .

Le PITE relève de la responsabilité politique du Premier ministre . Cependant, l'article 7 de la LOLF définissant un programme comme regroupant « les crédits destinés à mettre en oeuvre une action ou un ensemble cohérent d'actions relevant d'un même ministère », la gestion du programme a été confiée au ministère chargé de l'intérieur (aujourd'hui ministère de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales). La responsabilité administrative de cette gestion a été confiée au secrétaire général du ministère de l'intérieur, actuellement Mme Bernadette Malgorn. En outre, suivant la présentation du PAP, « les ministères principalement intéressés par la conduite d'une action, appelés ministère référents, conservent la direction politique de l'action (dialogue de gestion, fixation des objectifs) ».

Ce faisant, l'architecture même de ce programme atypique entraîne une certaine complexité.

2. La poursuite, en 2008, des actions retenues pour 2007

Dans le présent PLF, le PITE conserve les 7 actions qu'il regroupe déjà dans le cadre de la LFI pour 2007 . En pratique, ces actions relèvent de trois problématiques distinctes, en cumulant souvent deux voire trois aspects à la fois : des questions sociales ou enjeux économiques de court terme ; la prévention de risques ponctuels pour la population ; la protection de l'environnement et, notamment, la sauvegarde de sites remarquables. Par ailleurs, comme l'a bien noté notre collègue Fabienne Keller 20 ( * ) , le PITE s'avère fortement axé sur la politique de l'eau , dans la mesure où 6 actions sur 7 (à l'exclusion de l'action « Filière bois Auvergne et Limousin ») sont consacrées, en tout ou partie, à ce secteur.

Malgré ces traits communs, les actions retenues font du programme une sorte de « mosaïque » d'interventions régionales, fort diverses. Le détail en est rappelé dans l'encadré ci-après.

Les 7 actions du PITE

L'action 1, « Le Rhin et la bande rhénane Alsace », vise au développement durable des activités économiques de ce territoire, en améliorant l'efficacité du transport fluvial et en développant « l'intermodalité » entre la voie fluviale et la voie ferrée.

L'action 2, « Eau Agriculture en Bretagne », retrace les crédits destinés au financement de la « reconquête » de la qualité des eaux de cette région, consistant notamment à inciter les agriculteurs à adapter leurs exploitations et leurs modes de production pour limiter les atteintes à l'environnement. Elle intègre le « plan nitrate en Bretagne » instauré en 2007 ( cf. infra ).

L'action 3, « Plan Loire Grandeur nature Centre », correspond aux crédits destinés au financement du plan éponyme, mis en oeuvre depuis 1994, et qui est entré depuis 2007 dans une troisième phase de réalisations, après la deuxième phase exécutée sur la période 2000-2006. Il s'agit d'inscrire le territoire en cause, inondable, dans une perspective de développement durable ; d'y préserver la ressource en eau et les espaces naturels ; de mettre en valeur son patrimoine « culturel, touristique et paysager ». Le plan est adossé à un CPER et à un programme interrégional européen pour la période 2007-2013.

L'action 4, « Programme exceptionnel d'investissements PEI en faveur de la Corse » retrace les crédits destinés au financement du développement économique de la Corse, par une remise à niveau des équipements publics structurants, infrastructures de base et services collectifs, et par la mise en valeur de l'espace régional. Après une première convention d'application couvrant la période 2003-2006, le PEI est actuellement régi par une seconde convention, visant la période 2007-2013.

L'action 5, « Filière bois Auvergne et Limousin », tend à la promotion d'une gestion durable des forêts de ce territoire auprès de leurs propriétaires, l'accompagnement de la modernisation des entreprises de transformation du bois et la dynamisation de leurs débouchés, ainsi qu'à la valorisation « environnementale, sociale et touristique » de la forêt. Elle est articulée avec la convention interrégionale « Massif Central » (CIMAC) et le programme opérationnel européen « Massif Central » (POMAC) pour la période 2007-2013.

L'action 6, « Plan gouvernemental sur le marais poitevin - Poitou-Charentes », rassemble les crédits destinés à la mise en oeuvre du plan pour le marais poitevin adopté en juin 2002. Ce plan vise notamment à restaurer le caractère de zone humide du territoire concerné, conformément à la directive « Natura 2000 » ; à y accueillir les touristes dans le respect de l'environnement ; à reconquérir, pour cette région, le label de parc naturel régional.

L'action 7, « Plan Durance multi-usages Provence-Alpes-Côte d'Azur », retrace les crédits destinés au financement des opérations tendant à un meilleur partage des ressources en eau de la rivière Durance, entre ses différents usages (hydroélectricité, irrigation, alimentation industrielle et urbaine, restauration des milieux aquatiques, tourisme, etc.), dans une perspective de développement durable.

Il convient de rappeler que le PITE, en 2006, comprenait 8 actions mais, à l'initiative de votre rapporteur spécial dans le cadre de l'examen du PLF pour 2007 21 ( * ) , l'action « Accueil des demandeurs d'asile en Rhône-Alpes » a été supprimée . Les crédits correspondant ont été réintégrés dans la mission « Solidarité et intégration » de la LFI pour 2007. Dans le présent PLF, ils figurent au sein de la mission « Immigration, asile et intégration ».

B. LES PRINCIPAUX CHIFFRES POUR 2008

1. 69 millions d'euros d'AE et près de 43 millions d'euros de CP : une augmentation par rapport à 2007 (+ 20 % en CP), au bénéfice de l'eau en Bretagne

Les crédits demandés pour 2008 au titre du PITE s'élèvent à 69 millions d'euros en AE et à 42,9 millions d'euros en CP . Ces crédits sont répartis, entre les sept actions qui composent le programme, comme le retrace le tableau ci-dessous. On observera que l'action « Eau Agriculture en Bretagne » en représente la part la plus importante : près de 40 % des CP, et de 45 % des AE.

Les crédits du PITE pour 2008

Actions

AE (en euros)

CP (en euros)

Part des CP du programme

1 « Le Rhin et le bande rhénane Alsace »

154.690

254.368

0,6 %

2 « Eau Agriculture en Bretagne »

30.818.756

17.080.530

39,8 %

3 « Plan Loire Grandeur nature Centre »

12.844.189

11 .394.764

26,5 %

4 « PEI en faveur de la Corse »

11.885.666

5.156.028

12 %

5 « Filière bois Auvergne et Limousin »

5.089.956

4.800.370

11,2 %

6 « Plan gouvernemental sur le marais poitevin Poitou-Charentes »

4.850.267

2.894.401

6,8 %

7 « Plan Durance multi-usages Provence-Alpes-Côte d'Azur »

3.419.887

1.349.248

3,1 %

Totaux

69.063.411

42.929.709

100 %

Source : présent projet de loi de finances

L'ensemble du PITE, dans le présent PLF, marque une augmentation sensible de ses crédits par rapport à la LFI pour 2007 : + 43 % en AE, + 20 % en CP. Cette évolution résulte essentiellement de la nette montée en puissance de l'action « Eau Agriculture en Bretagne » (+ 264 % en AE, + 198 % en CP), consécutive à la mise en place du plan « plan nitrate en Bretagne » , notifié à la Commission européenne en mai 2007.

Ce plan exceptionnel, devant mobiliser au minimum 87 millions d'euros sur cinq ans (financement de mesures de préretraites proposées aux éleveurs de porcs de la région et d'aides à leur désendettement), doit permettre d'ici à la fin 2009 la mise en conformité de neufs bassins versant de Bretagne avec la réglementation communautaire afférente aux eaux brutes.

En juillet 2007 , pour financer ce plan, un abondement de l'action 2 du PITE a été pratiqué, par décret de transfert, à hauteur de 30,4 millions d'euros en AE et de 11,8 millions d'euros en CP , en provenance de programmes de la mission « Agriculture, pêche, forêt et affaires rurales ». On notera que cette mesure d'urgence a permis à la France d'obtenir de la Commission européenne qu'elle suspende son recours devant la Cour de justice des communautés européennes dans ce dossier 22 ( * ) .

2. Des fonds de concours supérieurs au crédits du programme (82 millions d'euros en AE, 44,8 millions d'euros en CP), principalement en faveur de la Corse

Au bénéfice du PITE, 82,9 millions d'euros en AE et 44,8 millions d'euros en CP sont attendus, pour 2008, au titre de fonds de concours soit l'équivalent de 1,2 fois les AE et 4,5 % de plus que les CP demandés pour le programme par le présent PLF. Ce niveau de fonds de concours est comparable, en ce qui concerne les AE, à celui que prévoit la LFI pour 2007, mais il représente une augmentation d'un tiers, en valeur, d'agissant des CP.

Les fonds, dans le détail, se rapportent à trois des huit actions du programme, et majoritairement (à 87 % en AE et 67 % en CP) à l'action « PEI en faveur de la Corse » :

- l'action « Le Rhin et le bande rhénane - Alsace » bénéficiera de 982.500 euros en AE (soit plus de six fois les AE de l'action). Aucun fonds de concours, cependant, n'est prévu en CP ;

- l'action « Plan Loire Grandeur nature Centre » recevra 9,6 millions d'euros en AE et 14,8 millions d'euros en CP (soit environ, respectivement, un quart de moins que les AE mais un tiers de plus que les CP de l'action) ;

- l'action « PEI en faveur de la Corse », enfin, fera l'objet de fonds de concours à hauteur de 72,3 millions d'euros en AE (l'équivalent de six fois les AE de l'action) et 30 millions d'euros en CP (5,8 fois les CP de l'action).

Pour l'action « Plan Loire Grandeur nature Centre », un fonds de concours spécifique a été mis en place, abondé par la région et les départements concernés, visant les travaux relatifs au domaine public fluvial. Les fonds de concours des deux autres actions précitées résultent de la prise en charge par l'Agence de financement des infrastructures de France (AFITF) de crédits qui, en 2006, provenaient de programmes relevant du ministère de l'équipement.

C. UNE MESURE DE LA PERFORMANCE REMANIÉE, QUI RESTE INSUFFISANTE

Dans la LFI pour 2007, à chaque action composant le PITE correspond un objectif de performance unique, dont la mesure est opérée par un unique indicateur . Dès l'examen du projet de LFI pour 2006, votre rapporteur spécial a critiqué cette organisation 23 ( * ) . En effet, dès lors qu'aucune des actions du programme ne se réduit à une dimension unique, chacune, logiquement, devrait se trouver circonscrite par plusieurs objectifs et, a fortiori , plusieurs indicateurs . Suivant une partie de ces remarques, quelques aménagements ont été apportés en 2007, mais insuffisants, voire engendrent de nouveaux défauts 24 ( * ) : une simplification des objectifs a été réalisée, mais par l'appauvrissement de la stratégie de performance, certains objectifs sont restés faiblement pertinents, et les indicateurs présentent un caractère lacunaire.

Le présent PLF retouche à nouveau le dispositif , sur trois aspects, sans apporter beaucoup de satisfaction à votre rapporteur spécial.

En premier lieu, un objectif commun est aménagé pour les actions « Plan Loire grandeur nature Centre » et « plan Durance multi-usages Provence-Alpes-Côte d'Azur  » : « réduire les dommages par l'amélioration des ouvrages et des dispositifs de prévention dans une approche de développement durable ». Deux indicateurs sont associés à cet objectif, un pour chaque action, visant le « pourcentage d'habitants résidant en zone inondable et ayant bénéficié d'une baisse d'aléas significative dans le bassin hydrographique [considéré] du fait d'un projet subventionné ».

Force est de constater que cette réforme, qui réduit la mesure de la performance du PITE à six objectifs pour sept actions , éloigne un peu plus le dispositif des préconisations de votre rapporteur spécial.

En second lieu, l'indicateur retenu pour l'action « PEI en faveur de la Corse » est différemment calculé . Visant l'« évolution des délais de réalisation des projets » dans ce cadre, cet indicateur pondère l'avancée des projets par le volume de crédits mis en jeu ; il mesure désormais (et dès 2007) les seuls crédits d'Etat, et non plus le coût total des opérations. Ce mode de calcul, plus exigeant quant à la performance, conduit à un objectif de 35 % pour 2008 comme pour 2007, alors que 66 % avaient été atteints en 2006.

Cependant, l'appréciation de la performance d'une action aussi ambitieuse que celle du PEI en Corse (il s'agit d'aider la Corse à surmonter les handicaps naturels que constitue son relief et son insularité, et de résorber son déficit en équipements et en services collectifs) ne peut se mesurer à l'aune seule des délais de réalisation des projets. Cette indication, en effet, n'apporte aucune information sur les résultats concrets issus de cette mise en oeuvre, aussi rapide serait-elle.

En dernier lieu, un nouvel indicateur est introduit en ce qui concerne l'action « Eau Agriculture en Bretagne » , visant le « pourcentage de conformité des prises d'eau concernées par le contentieux européen », dans le cadre du « plan nitrate » ( cf. supra ; l'objectif est de 64 % en 2008, pour une cible de 100 % en 2009). Cet indicateur vient compléter celui du « pourcentage de stations de mesure dépassant la limite de 50 mg/l en nitrates » (15 % prévus en 2008, pour une cible de 10 % en 2009).

Cette introduction, qui vient enrichir la mesure des performances du PITE, constitue un point positif, puisqu'elle s'inscrit dans une logique de décomposition des finalités poursuivies par l'action « Eau Agriculture en Bretagne », en associant un indicateur à chacune. Cette démarche, aux yeux de votre rapporteur spécial, devrait servir d'exemple pour l'ensemble des actions du PITE .

D'une façon générale, la pérennisation de ce programme dérogatoire aux principes budgétaires ( cf. supra ) doit être subordonnée aux preuves qu'il donnera de sa performance . Il convient ici de rappeler que, pour la première année d'application du PITE, cette performance n'a guère été avérée, votre rapporteur spécial exprimant en conséquence sa plus grande réserve sur le bilan présenté dans le cadre du projet de loi de règlement du budget 2006 25 ( * ) . Encore la mesure même de cette performance doit-elle se trouver « calibrée » de manière pertinente, ce qui reste loin d'être le cas dans le présent PLF : l'indicateur unique associé à chaque action du programme rend souvent compte d'une dimension trop étroite de cette action , comme l'illustre bien le cas précité de l'indicateur afférent à l'action « PEI en faveur de la Corse ».

* 19 Par exemple, pour l'action « Eau Agriculture en Bretagne » ( cf. infra ), alors que le PAP de la mission « Agriculture, pêche, forêt et affaires rurales » s'avère aussi lacunaire que celui de la mission « Politique des territoires » quant à la contribution du ministère de l'agriculture et de la pêche (MAP), il a seulement été indiqué à votre rapporteur spécial que l'action serait alimentée en 2008 par 6 programmes, et que « le ministère référent de cette action est le MAP. Pour rappel, le ministère référent d'une action est généralement le ministère qui engage le plus de crédits au sein de cette action. »

* 20 Rapport d'information n° 352 (2006-2007), sur le pilotage de la politique de l'eau.

* 21 Cf. le rapport précité n° 78 (2006-2007), tome III, annexe 18, p. 63.

* 22 Cf. le rapport d'information n° 332 (2006-2007), sur le suivi des contentieux communautaires dans le domaine de l'environnement, de notre collègue Fabienne Keller.

* 23 Cf. le rapport n° 99 (2005-2006), tome III, annexe 18, p. 71.

* 24 Cf. le rapport n° 78 (2006-2007), tome III, annexe 18, p. 59.

* 25 Cf. la contribution précitée de votre rapporteur spécial au rapport n° 393 (2006-2007), tome II. En 2006, seul l'indicateur afférent à l'une des huit actions composant alors le PITE (l'action « Plan gouvernemental sur le marais poitevin - Poitou-Charentes ») a enregistré un résultat conforme aux objectifs.