Le projet français de réacteur hybride

Selon un groupe d'experts, le Comité de suivi des recherches sur l'aval du cycle (COSRAC), rassemblé régulièrement par la direction générale de la recherche et de la technologie, les choses sont mûres en France pour réaliser un démonstrateur de réacteur hybride. De fait, le CNRS et le CEA se préparent à rendre public dans quelques semaines un document commun d'une quarantaine de pages lançant les opérations.

Ce document-programme présentera :

- la vision française actuelle d'un réacteur hybride spécialisé dans la transmutation des déchets radioactifs à haute activité

- le programme immédiat de recherche et développement indispensable pour préciser les options définitives et en particulier pour satisfaire les critères de sûreté

- l'an 2000 comme date de décision pour la construction d'un démonstrateur

- une mise en service partielle avant 2006 pour obtenir à cette date des résultats significatifs

- un fonctionnement régulier à partir de 2008.

Un démonstrateur de réacteur hybride original

Pourquoi parler de démonstrateur et non pas de prototype de réacteur hybride ?

Parce que les technologies de ces réacteurs ne sont pas encore éprouvées, il ne peut être question pour le moment de choix industriel. De même, il est impossible, pour le moment, de concevoir une installation d'exploitation régulière satisfaisant des critères de sûreté exigeants, critères qu'au demeurant on ne saurait pas définir en l'état actuel des choses.

Le dessin général du démonstrateur de réacteur hybride est d'ores et déjà assez précis.

Comme tout réacteur hybride, le projet actuel comprend :

- un accélérateur de protons

- une cible où se produit le phénomène de spallation, c'est-à-dire l'émission de neutrons par des noyaux lourds percutés par les protons à haute énergie

- un conducteur du faisceau de neutrons

- un réacteur sous-critique fonctionnant à un taux de 0,95 à 0,97.

La première orientation fondamentale du projet est la modularité. Afin de sérier les problèmes, chaque maillon du réacteur devra être indépendant et distinct du restant de la machine. Par exemple, le projet Rubbia assigne un double rôle au plomb fondu : celui de cible et de fluide caloporteur. Cette option ne sera pas retenue.

S'agissant de l'accélérateur de protons, le projet Rubbia retenait un cyclotron délivrant un courant inférieur à 10 mA. C'est un accélérateur linéaire qui sera choisi, selon toute vraisemblance. Sa longueur sera de 100 m. Le courant maximum sera de 100 mA. Il apparaît en effet indispensable de pouvoir disposer de faisceaux de neutrons très énergétiques. Au fur et à mesure de la transmutation, le contenu en produits fissiles du réacteur variera fortement. Il sera en conséquence nécessaire de réguler la réactivité avec le flux de neutrons.

La partie réacteur du démonstrateur sera, quant à elle, un réacteur à l'uranium voire au thorium ou un mélange des deux. Sa puissance sera de 200 MWe, voisine de celle de Phénix (250 MWe). Son objectif ne sera pas la production d'électricité, bien que le bilan énergétique de l'installation complète soit largement positif : seuls 20 à 40 MWe seront consommés par le fonctionnement de l'accélérateur et du réacteur.

Pour le fluide caloporteur, deux solutions sont possibles. Le sodium présente des caractéristiques très favorables. L'expérience acquise avec Phénix et Superphénix est considérable. Mais son utilisation risque de ne pas être comprise de l'opinion publique. L'image du réacteur hybride pourrait en être altérée, alors qu'il s'agit d'une technologie nouvelle et d'une problématique nouvelle, centrée sur la destruction de déchets jugés éminemment dangereux par le public. Le plomb fondu et l'eutectique plomb-bismuth pourraient donc être préférés. La France n'a aucune expérience en la matière mais pourrait l'acquérir auprès de la Russie, ainsi que viennent de le faire les États-Unis.

Faudrait-il enfin utiliser le plomb comme cible ? La solution Rubbia est d'une grande élégance, en ce que le caloporteur est aussi la cible. Cette cible possède un rendement très élevé. Avec le plomb, pour un proton incident, on récupère 80 neutrons. Mais confondre les deux rôles compromet à la fois l'étude d'autres cibles et celle d'autres fluides. De toute façon, l'utilisation du plomb fondu comme caloporteur nécessiterait que l'on sache traiter les problèmes posés par les produits de fission du plomb.

Telles sont quelques-unes des décisions que le programme de recherche à lancer dans les prochaines semaines devra permettre de prendre avec la plus grande rationalité possible.