ANNEXE 5 : LA RÉPARTITION DES EFFORTS ENTRE DISCIPLINES

Compte tenu de la montée des besoins de financement de la recherche et des inévitables et légitimes questions de priorités nationales au plan global, il est fréquent de voir évoquer la nécessité d'opérer des choix dans les disciplines à soutenir et de mettre davantage de moyens au service des unes et au détriment des autres.

Au vrai, la question de la répartition des crédits entre les disciplines est sans doute l'une des plus complexes pour la politique de la recherche. Cette question est évidemment encore plus sensible dans une situation où la croissance des crédits budgétaires ralentit et devient inférieure à la croissance des besoins.

1. Quels domaines de recherche privilégier ?

Les trois plus grands organismes de recherche allemands ont fait l'objet récemment d'une évaluation internationale délivrée par un panel international de scientifiques de haut niveau.

Ces critères sont présentés au tableau suivant.

Tableau 15 : Les 5 conditions d'une bonne recherche

Pour être considérée comme de qualité, la recherche doit :

1. Explorer un nouveau champ de connaissances

2. Se concentrer sur les domaines ayant un grand potentiel d'avenir

3. Soutenir l'interdisciplinarité

4. Renforcer l'éducation des étudiants et des jeunes chercheurs

5. Renforcer la coopération internationale

Ces cinq critères fournissent une grille d'évaluation particulièrement pertinente. Chacun des 5 éléments doit être pris en compte, et tout particulièrement la nécessité de se concentrer sur des domaines ayant un grand potentiel. Par ailleurs, si cette grille d'analyse s'applique au présent, elle entraîne aussi la nécessité de mettre en place une planification glissante sur 10 ans.

En tout état de cause,  pour jouer les premiers rôles dans la recherche mondiale, il faut être en avance. Il faut des instruments pour réaliser des idées et exploiter des résultats. Il faut également préparer le terrain, et les très grands équipements sont indispensables à cet égard.

2. Le débat priorités - régularité des efforts de recherche

L'adoption de priorités pour la recherche est une pratique rencontrée dans tous les pays.

Une discipline peut s'imposer comme une priorité dès lors qu'elle correspond à une demande de la société, comme les sciences du vivant, ou à des débouchés commerciaux supposés de grande ampleur comme les sciences et technologies de l'information.

Le renforcement prioritaire d'une discipline particulière en situation de retard par rapport aux niveaux observés dans d'autres pays peut également mobiliser des efforts exceptionnels.

Il peut également être nécessaire de favoriser des investissements à impact pluridisciplinaire comme des TGE d'infrastructure qui conditionnent les progrès de nombreux domaines scientifiques.

Il convient donc de pouvoir accélérer le développement de disciplines scientifiques d'un intérêt social ou économique particulier. On ne saurait donc que se féliciter des priorités données dans notre pays depuis 1999 aux sciences et techniques de l'information et de la communication et aux sciences du vivant.

Cette priorité répond d'ailleurs au très fort coup d'accélérateur donné aux recherches relatives aux sciences du vivant aux Etats-Unis (voir première partie).

Figure 29 : Evolution du budget fédéral de la recherche par disciplines aux Etats-Unis en milliards de dollars 21

Mais il existe un véritable dilemme priorité-régularité des financements de la recherche, en particulier dans le domaine des très grands équipements.

De nombreux exemples montrent que le relâchement des efforts dans certaines disciplines peut se révéler désastreux quelques années après.

La nécessité d'une régularité dans les financements a été soulignée à plusieurs reprises, dans notre pays, par le Conseil des grands équipements et par l'Académie des Sciences dans son récent rapport.

L'Académie des sciences dans son récent rapport " Science et technologie " d'octobre 2000, commandé par le Comité interministériel de la recherche scientifique et technologique (CIRST), a souligné les dangers du ralentissement actuel des efforts dans certaines disciplines, en particulier en sciences nucléaires, en radiochimie, ou en chimie analytique. Ces ralentissements sont au demeurant incompréhensibles compte tenu des réponses que ces matières pourraient apporter à des interrogations prégnantes de la société.

Dans le domaine de la biologie, on peut citer l'exemple de la physiologie française qui a été tenue dans un relatif oubli alors que la génétique moléculaire prenait de l'importance, mais qui apparaît aujourd'hui comme fondamentale pour les recherches sur le post-génomique. De même, le désintérêt manifesté pendant plusieurs années vis-à-vis de la biologie végétale apparaît aujourd'hui dommageable.

La régularité des financements et l'exhaustivité des disciplines à prendre en compte constituent des éléments fondamentaux de toute politique de recherche.

Ces principes fondent la stratégie américaine, telle qu'elle a été énoncée en 1995 par le comité des conseillers pour la science du Président des Etats-Unis 22 . La nécessité d'un développement parallèle des disciplines explique qu'après avoir favorisé pendant plusieurs années les sciences du vivant avec une augmentation forte des financements de la recherche biomédicale des National Institutes of Health, un rééquilibrage soit amorcé aux Etats-Unis pour 2001 en faveur d'autres disciplines, à savoir mathématiques, physique, chimie, sciences de l'univers.

Bien entendu, un développement de front de toutes les disciplines semble davantage à la portée des Etats-Unis qu'à celle d'un pays comme la France aux ressources plus limitées.

Il semble toutefois que notre pays a réussi dans le passé un développement homogène des différentes disciplines et que, si les besoins d'investissement venaient à excéder ses capacités propres, la coopération européenne permettrait de mutualiser et de diminuer la charge d'un développement coordonné qui doit rester en tout état de cause un objectif cardinal de la science française.

En tout état de cause, ainsi que l'a souligné M. Guy OURISSON, Président de l'Académie des sciences 23 , il faut poursuivre des buts à long terme en matière de politique de recherche, et une évolution en " dents de scie " de leurs ressources serait une catastrophe pour les organismes de recherche.

3. La place du spatial dans l'effort de recherche de la France

Les très grands équipements techniques de l'espace nécessitent, on l'a vu, une augmentation considérable des dépenses d'investissement, tant pour la station spatiale internationale que pour certaines missions lointaines d'exploration de Mars.

Alors que la priorité de la politique française de la recherche est clairement donnée depuis 1999 aux sciences du vivant et aux sciences et technologies de l'information et de la communication, il paraît important de déterminer si la place de l'espace dans l'effort de recherche de notre pays correspond à ses besoins à long terme.

En tout état de cause, si l'importance économique et industrielle de l'espace est majeure dans les sociétés modernes, il apparaît bien que la recherche dans l'espace s'impose également comme une évolution décisive de la science moderne.

Une accélération des efforts de l'Europe dans ce domaine s'impose tant son retard vis-à-vis des Etats-Unis est manifeste, en dépit de succès notables obtenus dans un cadre budgétaire beaucoup moins favorable.

Compte tenu de l'ampleur des financements que nécessitent les programmes spatiaux, il n'en demeure pas moins que la France doit sans doute faire des choix en termes de projets et favoriser la mise en place de nouvelles sources de financement, de façon que l'indispensable développement de la recherche dans l'espace n'assèche pas les ressources disponibles pour d'autres investissements scientifiques.

3.1. L'espace, une nouvelle frontière de la recherche pour de nombreuses disciplines

La mise au point des outils spatiaux est sans aucun doute une évolution majeure de la recherche des vingt à trente dernières années. Il est peu de disciplines scientifiques qui n'aient trouvé dans les satellites de nouveaux moyens d'observation complétant, pour la plupart, les moyens terrestres mais ouvrant aussi de nouveaux territoires à la recherche.

On peut résumer, d'une manière simplifiée, selon la classification adoptée dans le premier chapitre, l'apport de l'espace à chacun des domaines de très grands équipements.

S'agissant des sciences du vivant, il apparaît clairement établi que la biologie en microgravité n'apporte pas les enseignements attendus. Mais il s'agit sans doute là du seul exemple où les résultats de la science dans l'espace aient quelque peu déçu.

La physique des particules et l'astrophysique connaissent à l'heure actuelle une convergence, qui s'exprime notamment par une nouvelle discipline, la physique des astroparticules et par le fait que l'Univers constitue le " meilleur laboratoire " pour de domaines de recherche de la physique des hautes énergies. D'où l'importance des moyens spatiaux d'étude des événements violents survenant dans l'Univers.

La géologie et la planétologie tirent des enseignements fondamentaux des activités spatiales, d'une part pour l'observation de la Terre et d'autre part pour l'étude des planètes de notre galaxie.

De même, on n'imagine plus aujourd'hui que les moyens de l'astronomie au sol ne soient complétés par les satellites d'observation de l'Univers, sur des gammes de longueurs d'ondes étendues et si besoin est avec des sondes spatiales.

Pour l'océanographie et la météorologie, les satellites constituent désormais des outils indispensables dans la chaîne d'observation qui, alimentant les modèles de simulation numérique, permet la prévision météorologique à court terme et la prévision des changements climatiques.

Au reste, l'espace propose une série de nouveaux services qui se révèlent indispensables à la science moderne. Les sciences et technologies de l'information et de la communication trouvent dans les satellites des outils puissants de télécommunications, indispensables à bien des égards à l'Internet et aux réseaux mondiaux à hauts débits. Les satellites de radionavigation offrent également des solutions à nombre de questions scientifiques où le positionnement et la datation sont des paramètres fondamentaux.

L'importance de l'espace pour la recherche étant incontestée, il apparaît important de déterminer si les investissements de l'Europe et en particulier de la France sont à la mesure des enjeux.

3.2. L'indispensable accélération des efforts de l'Europe

L'Europe a enregistré ces dernières années avec l'ESA, dans le cadre duquel le CNES joue un rôle fondamental, des succès considérables, tant en termes de lanceurs avec Ariane 5 qu'avec les satellites scientifiques ou les satellites de service technologiques avancés.

Pour autant, les efforts semblent insuffisants dans la mesure où les Etats-Unis consentent des efforts budgétaires cinq fois et demi plus importants.

Certes, les Etats-Unis allouent à la recherche et au développement autant que l'Europe et le Japon réunis. Mais, en 1998, les Etats-Unis ont consacré à l'espace 26 milliards de dollars de dépenses publiques, alors que l'Europe n'y consacrait que 4,8 milliards de dollars.

Figure 30 : Dépenses publiques pour le spatial en 1998

De nombreux observateurs remarquent que ce décalage provient en partie du fait que l'Europe n'ayant pas de politique de défense commune, n'a pas de politique spatiale de défense autre que celle qui est à la portée, inévitablement limitée, des politiques nationales.

Ainsi, en terme de dépenses publiques en 1998, le spatial civil américain pèse 3,4 fois plus lourd que le spatial civil européen. Mais le spatial militaire américain pèse 16,5 fois plus lourd que l'européen.

Le seul élément de consolation dans ce tableau pour le moins inquiétant, est que le déséquilibre entre la science spatiale américaine et la science spatiale européenne est le même qu'entre les budgets spatiaux civils au sens large.

Tableau 16 : La science spatiale en Europe et aux Etats-Unis

2000

science spatiale

budget total

science spatiale en % du budget total

NASA (millions de dollars)

2 059

13 600

15,1 %

ESA (millions d'euros)

358

2 700

13,2 %

Europe (ESA + budgets nationaux européens)

600

4 000

15 %

3.3. Des choix à faire et des sources nouvelles de financement à mettre en place

L'action de la France dans le domaine de l'espace est confiée au CNES qui s'acquitte de sa mission soit par l'intermédiaire de l'ESA soit directement.

A cet égard, la coopération internationale joue le rôle le plus important puisque, pour 2001, les dépenses du CNES s'effectueront à hauteur de 69 % dans le cadre de l'ESA, ainsi que le montre le tableau suivant.

Tableau 17 : Répartition des dépenses du CNES en termes de TGE spatiaux

Prévisions 2001

ESA

hors ESA

Total

millions de francs

en % du total ESA+hors ESA

millions de francs

en % du total ESA + hors ESA

millions de francs

en % du total des dépenses

Sciences de l'Univers

410

64,1

230

35,9

640

20,9

Sciences de la Terre

710

53,4

620

46,6

1 330

43,5

Sciences de la vie et de la matière

90

47,4

100

52,6

190

6,2

Infrastructure orbitale

900

100,0

0

0,0

900

29,4

Total

2 110

69,0

950

31,0

3 060

100,0

S'agissant de la répartition des dépenses entre les différents chapitres de sa mission, le CNES allouera en 2001 près de 30 % de ses ressources à l'infrastructure orbitale, c'est-à-dire la Station spatiale internationale. Les sciences de la Terre représenteront quant à elles 43,5 % du total et les sciences de l'Univers près de 21 %.

L'évolution de ces dépenses est intéressante à connaître, à la lumière des prévisions faites par le CNES jusqu'en 2006, sur les moyennes annuelles pour la période 2001-2006, par référence aux moyennes annuelles sur la période 1997-2000.

D'après cette programmation " glissante " du CNES, c'est-à-dire révisable en fonction des urgences politiques ou scientifiques, on constate que la part du transport spatial devrait diminuer du fait de la maturité du programme Ariane. La part des moyens, si l'on y ajoute la part de l'infrastructure orbitale, à savoir la Station spatiale internationale, passera de 47 à 43 % du total.

Les programmes des sciences et des technologies devraient connaître une croissance forte en passant de 25 à 32 % du total. Cette évolution correspond avec la montée des besoins d'observation de la Terre, que ce soit pour l'océanographie, la météorologie ou la géophysique.

Tableau 18 : Evolution de la répartition des programmes du CNES par grands domaines

1997-2000

2001-2006

montant annuel moyen (milliards de francs)

6340

6554

Transport spatial (%)

38

31

Sciences et technologies (%)

25

32

Applications (%)

28

25

Infrastructure orbitale (%)

9

12

Toutefois, la part des applications passerait de 28 à 25 %, ce qui pose le problème de la programmation dans le temps de certaines missions spatiales.

A cet égard, les missions relatives à Mars, et en particulier la mission Retour d'échantillons de Mars semblent reculer dans le temps en raison de problèmes de faisabilité qui incitent à la prudence et nécessitent de multiplier les étapes de validation des différentes technologies nécessaires.

A l'inverse, la France met en avant le programme de GALILEO de positionnement par satellite.

L'accélération du programme GALILEO et le ralentissement du programme Retour d'échantillon de Mars correspondent à l'évidence à la règle qui devrait s'imposer de plus en plus aux pouvoirs publics d'accorder une priorité aux programmes spatiaux dont les retombées sont les plus importantes sinon les plus rapides.

Par ailleurs, dans la première partie, on a détaillé l'ampleur de la charge représentée par la participation française, via l'ESA, à la Station spatiale internationale.

Si, pour des raisons juridiques mais également politiques et stratégiques, il ne saurait être question de remettre en cause la participation française, il semble nécessaire de revoir les conditions de son financement dont il est paradoxal qu'il n'incombe qu'au seul budget de la recherche.

D'une manière plus générale, une clarification des circuits de financement des applications spatiales pourrait apparaître bienvenue. Il parait à cet égard contestable que l'on considère comme un TGE dans la nomenclature actuelle du ministère de la recherche une participation de 155 millions de francs par an aux sciences de la vie dans l'espace.

A bien des égards, les applications spatiales constituent des outils banalisés dans de multiples activités de recherche ou pour de nombreux services à fort contenu technologique.

En conséquence, le moment semble venu de ne plus imputer au seul budget de la recherche le coût d'applications intégrées dans la panoplie des moyens d'usage quotidien.

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