Rapport de commission d'enquête n° 34 (2001-2002) de MM. Marcel DENEUX et Pierre MARTIN , fait au nom de la commission d'enquête, déposé le 23 octobre 2001

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N° 34

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002

Rapport remis à Monsieur le Président du Sénat le 18 octobre 2001

Dépôt publié au Journal officiel du 19 octobre 2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 23 octobre 2001

RAPPORT

de la commission d'enquête (1) sur les inondations de la Somme chargée d'établir les causes et les responsabilités de ces crues , d' évaluer les coûts et de prévenir les risques d'inondations , créée en vertu d'une résolution adoptée par le Sénat le 9 mai 2001,

TOME II : AUDITIONS

Président

M. Marcel DENEUX

Rapporteur

M. Pierre MARTIN

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Biwer, Mme Yolande Boyer, MM. Jean-Guy Branger, Yves Coquelle, Gérard Cornu, Roland Courteau, Fernand Demilly, Marcel Deneux, Ambroise Dupont, Hilaire Flandre, Philippe François, François Gerbaud, Paul Girod, Georges Gruillot, Claude Haut, Pierre Martin, Jacques Oudin, Jean-François Picheral, Paul Raoult, Charles Revet, Henri Torre.

Voir les numéros :

Sénat : 278 , 305 , 306 et T.A 85 (2000-2001)

Risques naturels.

1. Audition de M. François Bordry, président de Voies navigables de France et de M. Gilles Leblanc, directeur régional pour l'Ile-de-France (29 mai 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui M. François Bordry, président de Voies navigables de France (VNF) et M. Gilles Leblanc, directeur régional pour l'Ile-de-France.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. François Bordry et Gilles Leblanc .

M. François Bordry - Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je suis très impressionné d'être la première personne auditionnée par votre commission d'enquête sur les inondations dans la Somme.

Je dois dire que nous avons attaché beaucoup d'attention aux malheurs des populations locales et que nous suivons la situation de très près depuis le début.

Je voudrais commencer par vous expliquer l'organisation, qui est extrêmement compliquée, de la gestion des cours d'eau en France et de la gestion des différents problèmes de l'eau, pour que vous compreniez que les services de l'Etat, qui sont à la disposition de VNF mais qui, en même temps, gèrent un certain nombre de fonctions régaliennes au titre de l'Etat, sont souvent les mêmes personnes qui agissent à des titres différents.

VNF est un établissement public relativement nouveau. Il a été créé en 1991 pour remplacer l'Office national de la navigation, qui ne gérait pas le réseau, mais le transport réglementé, avec les bourses d'affrètement et le tour de rôle des mariniers. C'est à cet établissement public, hérité de l'ancien, que l'Etat a confié son réseau, qu'il gérait auparavant lui-même avec les services de l'équipement, qu'il s'agisse de services de navigation autonomes sur les grands bassins ou d'éléments de navigation au sein même des directions départementales de l'équipement.

VNF gère 6.700 km du réseau navigable appartenant à l'Etat et n'intervient donc pas sur les voies d'eau non-navigables, qui sont de la compétence du ministère de l'environnement.

VNF est un établissement public sous tutelle du ministère des transports, puisque c'est essentiellement au titre des transports que les voies d'eau ont été aménagées pour la navigation.

Les lois de décentralisation de 1982 autorisent les régions, de plein droit, à prendre la gestion des voies d'eau de leur territoire, ce qui a été fait dans un certain nombre d'endroits. Cela concerne au total 1.100 km, dont la Somme, puisque la région a revendiqué la gestion de la Somme pour la confier ensuite au département de la Somme.

De la même manière, la Charente, sur une grande partie, a aussi été confiée au département. L'ensemble du réseau breton -le canal de Nantes à Brest, la Mayenne, la Vilaine, le Blavet et toute une série de voies d'eau, ainsi que la Sèvre niortaise- a été pris en charge par la région Bretagne et par la région Pays de Loire, qui les ont souvent confiés aux DDE des départements dans ces régions.

Enfin, pour l'anecdote, l'Etat a conservé la gestion directe d'un certain nombre de voies d'eau, soit 700 km environ, qui sont de petits morceaux sur lesquels VNF n'est pas compétent.

Grosso modo, VNF est quand même compétent pour l'essentiel du réseau navigable appartenant à l'Etat, dans la mesure où les collectivités locales n'en ont pas pris la gestion. Il existe encore une autre voie d'eau qui a été prise en gestion par les collectivités locales, mais cela remonte à une période plus ancienne : il s'agit du canal du Nivernais qui, en 1970-1971, a été pris en charge par le département de la Nièvre.

Ce qui complique les choses, c'est que l'établissement public a été créé pour l'essentiel à partir du personnel de l'ancien Office de la navigation, mais c'est un personnel réduit. Nous sommes au total 300 à 350 sous statut de VNF.

En revanche, l'Etat a mis au point un système qui a fait les preuves de son fonctionnement en mettant à disposition de l'établissement public des services qui gèrent et entretiennent et exploitent les voies d'eau pour le compte de l'établissement public.

Toutefois, VNF a pour mission de gérer et d'exploiter le réseau de navigation et les ports ou de confier ceux-ci en concessions, de réaliser éventuellement des infrastructures nouvelles, de s'occuper du domaine public qui va avec -cela représente à peu près 80.000 hectares- d'élaborer les statistiques et de favoriser l'animation sur les voies d'eau, ce qui a également permis de développer le tourisme fluvial, avec l'appui de l'établissement public.

L'établissement public, dont les fonctionnaires sont payés par l'Etat, n'a pas reçu mission de s'occuper des inondations. Les services de l'Etat, qui sont en même temps des directions régionales de VNF, exercent, par contre, des missions régaliennes sous l'autorité du préfet, en particulier la mission de police de l'eau et de la navigation, et participent à l'annonce des crues.

Tout ceci est fait par les mêmes services et les mêmes fonctionnaires, sous l'autorité du même directeur régional, mais pour le compte des ministères concernés et des préfets, ce qui explique la complexité du sujet.

Cinq mille cinq cents agents de l'Etat sont mis à disposition de VNF dans 17 représentations locales et 9 grandes directions régionales ou inter régionales.

L'établissement public a reçu mission d'entretenir et de développer le réseau et le transport de marchandises, mais non d'intervenir sur la gestion ou sur la prévention des crues. D'ailleurs, l'établissement n'en a pas les moyens financiers.

Ce n'est pas pour cela que l'on n'est pas insensible aux inondations, notamment dans la Somme. La Somme est canalisée sur une bonne partie de sa distance mais, en amont, forme le canal du Nord sur une partie de sa longueur.

Le canal du Nord, qui est géré par VNF, canalise la Somme sur une vingtaine ou une trentaine de km, puis retourne vers son débouché naturel et, quand la Somme s'infléchit vers l'Ouest, elle est abandonnée par le canal, qui continue à remonter vers le Nord pour rejoindre le canal de Dunkerque à Valenciennes, les grands canaux du Nord et le réseau rhénan.

Le canal est alimenté par la Somme et par des affluents ou d'anciens affluents de la Somme court-circuités par le canal, qui sont venus alimenter le canal lui-même, et restituent à la Somme ce qui vient de l'amont.

Le canal du Nord a son propre système d'alimentation ; c'est un canal à double bief de partage, dont un point haut se situe au Sud de la Somme et l'autre au Nord, la partie entre les deux constituant la Somme canalisée.

Ce canal n'a pas été conçu pour effectuer des transferts d'eau, que ce soit des autres bassins vers la Somme ou de la Somme vers d'autres bassins.

Très peu de voies d'eau ont été conçues pour ce type d'opérations. Il existe l'Ourcq, qui appartient à la ville de Paris, qui est à la fois un vecteur de navigation et un vecteur de transport d'eau, puisque la raison pour laquelle elle a été aménagée au départ a été l'approvisionnement en eau potable de la ville de Paris. C'est une rivière complètement aménagée et détournée de son cours naturel : au lieu de se jeter dans la Marne, elle se jette dans le bassin de l'arsenal et dans le canal de Saint-Denis.

Autre canal qui n'a pas été conçu pour cela, mais qui sert souvent à aider les transferts d'eau et à soulager les crues à certains endroits : le canal de Dunkerque à Valenciennes.

Dans ce territoire complètement plat du Nord-Pas-de-Calais, quand les crues du côté de l'Escaut, au Sud du département du Nord, sont trop fortes, le canal à grand gabarit, qui arrive à supporter la charge d'eau supplémentaire, est sollicité pour transférer de l'eau sur le bassin de la Deule et de la Lys et du bassin de la Deule et de la Lys jusqu'au wateringue de Dunkerque, avec un rejet en mer par pompage, puisque l'arrivée du canal est plus basse que les marées hautes.

Ce système de transfert d'eau a été réalisé en novembre et décembre dernier. Le canal est utilisé avec une procédure qui implique le préfet quand on décide de transférer de l'eau d'un bassin sur l'autre pour soulager les crues et les transférer vers un autre bassin.

En revanche, le canal du Nord lui-même n'a jamais été conçu pour cela. Si on a réussi, à partir du 26 avril, à prendre un peu de l'eau de la Somme et à la renvoyer vers les bassins de l'Oise et vers le Nord, jusqu'à l'Escaut, c'est par pompage. Il a fallu installer des systèmes qui ont permis, je crois, de transférer 80 m 3 par seconde pour un coût de 5 millions de francs dont, probablement, VNF aura la charge.

La décision a été prise par l'Etat et mise en place par nos services, que ce soit au titre de l'Etat ou de VNF. Je crains que la facture ne nous incombe ensuite, mais il faut bien que quelqu'un la prenne en charge.

Ceci a d'ailleurs posé des problèmes de navigation, puisque les pompages qui ne pouvaient passer par les écluses ont entraîné des courants qui ont réduit le nombre d'heures de navigation et pénalisé beaucoup de transporteurs. Certains ont dû passer par le canal de Saint-Quentin, quand le gabarit le permettait, et ont ainsi perdu une journée de navigation ; d'autres ont dû perdre une journée ou sont restés bloqués à certaines écluses, au point que le prochain conseil de VNF, fin juin, prévoira d'indemniser les bateliers coincés par ce canal.

En termes de gestion de la crue, c'est marginalement que des installations non prévues pour cela ont pu servir à soulager modestement la Somme et à pomper vers d'autres bassins un peu d'eau de la Somme et de ses affluents. C'est un sujet dont on pourra reparler pour l'avenir, à propos de l'organisation des crues en France et du rôle que VNF pourrait éventuellement jouer à ce sujet.

Il est clair que, pour le moment, VNF n'a pas reçu de missions à ce sujet ; en outre, il n'en a pas la capacité financière, puisqu'il a à peine celle de restaurer le réseau à des fins de navigation.

Cependant, les services de l'Etat mis à disposition de VNF sur certains bassins ont des compétences évidentes en termes de gestion hydraulique.

Il est donc possible qu'à l'avenir, si l'Etat le souhaite, ces services, pour le compte de VNF ou directement, puissent agir comme maître d'ouvrage délégué ou comme maître d'oeuvre, à condition que les mécanismes financiers et le cadre juridique le prévoient, notamment sur le bassin de la Seine, ou encore dans le Nord-Pas-de-Calais, le Rhône, le bassin de la Saône, la Moselle, le Rhin, la Meuse.

Je voudrais attirer votre attention sur le risque d'inondations sur les bassins versants de Seine ou de l'Oise où, précisément, VNF a tenu à être partenaire de la charte signée le 8 janvier dernier par l'entente Aisne-Oise avec l'Etat, concernant l'annonce des crues et l'élaboration de plans de prévention des risques, qui sont des missions de l'Etat, la restauration de champ d'expansion des crues et la construction de digues de protection.

Cette charte comporte également un chapitre important relatif à l'aménagement de l'Oise, proposé par VNF et par l'Etat aux collectivités locales, qui prévoit la modernisation de l'ensemble des 7 barrages à l'aval de Compiègne, la fiabilisation du barrage d'Andrésy, qui tient le premier bief du confluent de l'Oise, et le dragage de l'Oise à l'aval de Creil.

Le plan de financement entre l'Etat, les régions Ile-de-France et Picardie, VNF, l'Agence de l'eau Seine-Normandie et la Communauté européenne est en train d'être finalisé. Nous sommes très intéressés, notamment par la reconstruction des barrages, qui sont de vieux barrages à aiguille extrêmement dangereux. Il faut, je crois, 40 personnes, pour une semaine, si l'on veut abaisser les barrages.

Vous savez que les barrages de navigation ne sont pas des barrages de retenue d'eau écrêteurs de crues. Cela n'a rien à voir avec les grands barrages sur la Loire ou les barrages en amont de la Seine, qui sont faits pour écrêter et retenir les eaux.

Les barrages de navigation sont faits pour maintenir un plan d'eau, permettent de passer les bateaux et aussi de prélever de l'eau potable. A Paris, plus de 40 % de l'eau potable provient de la Seine, de la Marne et de leurs affluents. Sans le barrage de Suresnes, on ne pourrait, 6 ou 8 mois par an, pomper d'eau potable pour Paris.

En cas de crues, les barrages sont faits pour être abaissés afin que la rivière retrouve son écoulement naturel. Quand la crue n'est pas trop importante, ou en fonction du niveau d'eau, c'est par la gestion du barrage que l'on maintient le plan d'eau au niveau souhaité.

Il est évident que l'amélioration et la reconstruction des barrages de l'Oise permettront une meilleure gestion et une optimisation de la ligne d'eau sur la rivière, ainsi qu'une amélioration du traitement des crues moyennes. On pourra agir plus vite sur l'ensemble des barrages et gérer plus finement la rivière ; en revanche, en cas de grande crue, les barrages sont abaissés. L'eau doit passer et ces barrages n'apportent alors aucune protection.

En tout cas, VNF participe pleinement et participera à son comité de pilotage. Il est naturel pour VNF d'y participer. C'est un enjeu très important pour les collectivités locales.

Un des problèmes tient à la structuration des efforts des collectivités locales pour des investissements qui sont très lourds. Le « Moniteur des Travaux Publics » vient de publier une étude faite par un bureau d'études, le BCOM, qui évoque 520 millions de francs de travaux pour l'aménagement de la Meuse, alors que l'établissement public d'aménagement de la Meuse vit avec un budget de fonctionnement extrêmement faible.

La capacité de maîtrise d'ouvrage est évidemment un peu faible et laisse entier le problème du financement, étant entendu -mais c'est une approche assez nouvelle- qu'il faudra, pour réussir à aménager et à régler les problèmes de la Meuse, qui a eu des crues considérables en 1993 et 1995, tenir compte à la fois de l'intérêt économique pour la navigation, de l'amélioration des barrages et de la modernisation de la rivière. Si l'on ne compte que sur le transport de fret ou sur le développement de la plaisance sur la Meuse, il est évident qu'on n'arrive même pas à financer 10 % du programme d'aménagement.

Il faut donc trouver des financements pour améliorer la gestion des crues et de l'eau, et il faudra solliciter tous les gens concernés. La voie d'eau est polyvalente, et la polyvalence de l'eau fait que l'on ne peut charger un seul responsable ou un seul gestionnaire de l'ensemble des frais.

Nous pouvons bien entendu, avec Gilles Leblanc, expliquer les problèmes du canal de la Somme et l'interaction entre le canal du Nord et celui de la Somme de façon plus précise, et répondre à vos questions.

M. le Président - Merci.

M. Pierre Martin, Rapporteur - Il faudrait que nous rentrions dans les problèmes de la Somme.

Personne n'était préparé à ces inondations, d'où l'effet de surprise. Pourriez-vous nous donner quelques explications sur la « rumeur d'Abbeville » ? Quels sont les liens entre le bassin de la Somme et celui de la Seine ? Y a-t-il une concertation au niveau de la gestion de ces flux ?

Ce sont les interrogations auxquelles il faut commencer à répondre...

M. Gilles Leblanc - S'agissant de la surprise, je crois que l'on est forcé de prendre en considération le fait que, depuis le 15 septembre, à l'échelle de l'ensemble du secteur placé sous ma responsabilité, la situation de pluviosité était exceptionnelle. Depuis début mars, le nombre de crues et la saturation des sols était excessivement délicate et la tension extrême en termes de gestion hydraulique.

Il n'est pas possible de dire que l'on a été surpris par une situation dont on connaissait la gravité, que ce soit en aval ou en amont des bassins. Sur l'Yonne, on a connu une crue centennale et quatre crues décennales en l'espace de 3 mois !

Il s'est agit d'une situation exceptionnelle après plusieurs mois de saturation des sols très importante, et beaucoup plus sur cette partie du territoire national que sur l'autre partie. Vous avez demandé à avoir toutes les données météorologiques : la situation est claire.

On ne peut qualifier la situation de totalement surprenante. Elle n'a pas eu de caractère de brutalité. Il ne s'est pas agit, tout d'un coup, d'un déversement majeur, mais bien d'un phénomène lent et continu, qui a saturé les sols.

Sur la question des communications, il est clair que les canaux réalisés aux XIXème et XXème siècle ont quelques liaisons hydrauliques. Il faut les prendre en considération. Je vous laisserai les trois schémas de fonctionnement hydrologique en situation de sécheresse, en situation normale, en situation de forte pluviosité et en situation de crise.

Il y a trois liens physiques entre le bassin de la Seine et celui de la Somme : une rigole de l'Oise et du Noirieux, qui permet d'alimenter, en période de sécheresse et en période normale, le bief de partage du canal de Saint-Quentin, entre le canal de la Somme et le bassin de l'Escaut.

Cette rigole permet, par construction, de prendre l'eau très en amont de l'Oise, sur le territoire communal de Valencours, dans l'Aisne. Cette rigole est une rigole d'approvisionnement en période de sécheresse, très peu utilisée en période normale, et qui a été -je suis formel- fermée le 15 novembre 2000.

C'est le premier point de liaison, très en amont du bassin.

Le deuxième est conçu pour les périodes de sécheresse et fait que l'eau peut être pompée dans l'Oise pour alimenter, entre Chauny et Noyon, le canal latéral à l'Oise.

L'eau peut être relevée par des pompes installées sur le canal du Nord pour approvisionner le bief de partage entre le bassin de l'Oise et le bassin de la Somme.

Un troisième lien est possible et a été utilisé en période de fortes pluviosités et de situation catastrophique. Ce lien permet de renvoyer de l'eau du canal du Nord vers le bassin de l'Oise. C'est le scénario qui permet d'utiliser à l'envers l'escalier que constituent les écluses du canal du Nord et alléger ainsi la pression.

C'est, en termes de liens, les seuls qui existent, qui sont conçus et suivis de manière réglementée et contrôlée.

Durant la période critique, la rigole de l'Oise et du Noirieux ne versait évidemment pas de l'eau de l'Oise, ce qui ne veut pas dire qu'elle ne versait rien, puisqu'elle récupérait les eaux de ruissellement du bassin de la Somme au moment d'arriver sur ce secteur, l'Escaut débordant et arrivant dans ce bief de partage durant cette période.

Il est clair qu'il n'y avait aucun pompage de remontée d'eau du bassin de l'Oise -on n'était pas en période de sécheresse- vers le bassin de la Somme.

Il est clair aussi qu'on a fait fonctionner très tôt, durant la période de crise, le dispositif permettant de renvoyer un peu d'eau du bassin de la Somme vers le bassin de l'Oise et, alors qu'on était en sortie de la grande crise constatée parallèlement sur l'Aisne, puisqu'on était en grande alerte jusqu'au 25 avril, on a pris les dispositions opérationnelles à partir du 24, mises en oeuvre le 26 après-midi, pour augmenter les pompages en vallée de l'Oise.

Ceci n'a pas aggravé la situation sur l'Aisne, ni sur l'Oise. Il est donc clair, pour répondre à la dernière partie de la question, que les autorités responsables se concertent sur les flux, puisqu'on doit à la fois respecter la loi pêche et la loi sur l'eau, sous l'autorité du préfet de région.

Sur la gestion quantitative et qualitative de l'eau, la préoccupation a été double, d'une part en termes de gestion de la pénurie et de la sécheresse sur la Somme et, d'autre part, en termes de maintien des débits d'étiage, malgré la nécessité d'approvisionnement des canaux, qui est toujours pour mon service un sujet de forte préoccupation.

Si l'on regarde sur les 15 dernières années, on s'aperçoit qu'il est difficile de gérer le système hydraulique du bassin de la Somme et de préserver, avec la quantité de pompages industriels et agricoles qui existent, les débits de réserve de la loi pêche et ceux que l'on utilise depuis 1992, qui sont la valeur du débit moyen journalier. Depuis vingt ans, on a des difficultés à tenir les débits d'étiage sur ce secteur.

S'agissant de la gestion de la crue, il existe une relativement bonne connaissance de la nature des formations souterraines et de la façon dont les cours d'eau ont été aménagés en fond de vallée au cours des deux derniers siècles.

Il existe de même une relative bonne connaissance de la perméabilité du sous-sol crayeux où se trouve installée la majeure partie du bassin, et un assez bon suivi des quantités d'eau infiltrée année par année dans cette masse crayeuse.

Je voudrais relire devant vous la phrase du SAGE (schéma d'aménagement et de gestion des eaux) : « La forte artificialisation du réseau hydrographique, dont la plupart des éléments s'avèrent canalisés, et la présence de nombreux ouvrages -vannes, écluses, etc- facilitent la gestion des écoulements et le contrôle des débits superficiels ».

Cette phrase est juste sur le fond, mais le SAGE, dans la phrase suivante, dit aussi que « les crues que l'on peut connaître sur ce secteur ne peuvent survenir que dans deux cas de figure : sur les cours d'eau non-canalisés dont le sous-sol présente une perméabilité » -c'est le cas du bassin de la Sambre et de la Lys moyenne- « mais aussi à l'occasion des remontées de nappes en période de forte pluviosité, à la suite de plusieurs années humides ». On se trouve donc bien dans le phénomène caractérisé dans le SAGE de ce secteur.

M. le Président - Un rapport public de la Cour des Comptes de 1999 émet quelques critiques sur la manière dont tout cela est géré. Avez-vous un point de vue là-dessus ? Qu'a-t-on fait à la suite de ce rapport ? Ces critiques sont-elles fondées ?

M. Gilles Leblanc - Dans les critiques, il y a quatre éléments différents qui ont été notés. Le premier est un élément sur la méconnaissance du risque d'inondation. Je pense qu'il n'est pas totalement avéré que les risques d'inondations soient méconnus.

Je le dis avec une certaine gravité, car il se trouve que, dans ma carrière administrative, j'ai été en poste dans différents départements dans lesquels les questions hydrauliques étaient importantes, dont Nîmes, où j'ai eu à connaître un certain nombre de phénomènes.

Le constat est toujours à peu près le même. On s'aperçoit, dans les travaux des missions d'évaluation, que la connaissance scientifique et la mémoire existent dans un milieu qui n'est pas qu'un milieu de spécialistes, mais que cette connaissance n'est pas forcément partagée par les habitants et, singulièrement, pas par les habitants qui se sont implantés récemment.

C'est pourquoi la recommandation de la Cour des Comptes est correctement formulée : il importe que les études de risques soient formellement portées à la connaissance des pouvoirs publics lors de l'élaboration des documents d'urbanisme. Il importe aussi d'accélérer -mais c'est toujours trop long- les plans de prévention des risques d'inondations pour qu'ils soient prescrits, élaborés, soumis à enquête publique et rendus opposables.

L'idée que la connaissance du risque serait faible est une idée qui, localement, à chaque fois, s'avère fausse, parce on retrouve toujours une connaissance et une mémoire du risque plus fortes que ce que l'on pouvait croire en première analyse.

La Cour aborde aussi la question de la vulnérabilité des populations. Il me semble -et je parle avec mon expérience professionnelle- que les populations implantées récemment sont plus vulnérables parce qu'elles ne connaissent pas le risque ou qu'elles n'en ont pas une mémoire ancestrale. De temps en temps, le risque a également pu leur être caché, de manière pour le coup beaucoup plus critiquable, et elles découvrent le phénomène de crue lorsqu'il se produit.

On s'aperçoit que la réaction est assez différente dans un secteur connu pour ses risques, où même le fonctionnement social a intégré l'occurrence des crues. C'est par exemple le cas de la vallée de la Garonne, parce que la vie s'est formée sur cette habitude ou cette acceptation d'un risque naturel, dans une situation naturelle.

C'est aussi le cas dans la vallée de la Saône ou de certains endroits du Gard. La ville de Sommières connaît ainsi des inondations terribles mais, en même temps, la population sait gérer cette situation. Les services publics et les populations sont assez entraînés.

Il existe des secteurs où l'idée du risque est plus occultée, avec des populations plus récentes d'implantation. C'est le cas, par exemple, de la Camargue, où certains villages, avec les couches d'implantation des années 1930, 1950, 1970, ignorent qu'il s'agit d'une zone humide et sont étonnés lorsqu'il y a de l'eau en Camargue.

La vulnérabilité des populations dépend de leur conscience, de leurs connaissances, mais aussi de la capacité des pouvoirs publics à prévoir des plans de secours et des exercices, comme on le fait pour le feu, tout simplement parce qu'on ne peut pas empêcher le phénomène naturel.

S'agissant de la complexité administrative, ce que dit la Cour est juste, et il est vrai qu'on a un certain nombre de niveaux administratifs : l'Europe, l'Etat, les régions, les départements, les communes, les groupements de communes, les ententes, etc.

Tout cela peut paraître un peu compliqué. Il me semble que VNF s'appuie sur des services opérationnels organisés par bassin, qui travaillent à l'échelle des bassins, au niveau financier, avec les agences de l'eau, mais aussi à des échelles intermédiaires, avec l'institution des grands barrages en région Ile-de-France, qui est aussi une structure et une organisation intermédiaire sur le fond.

On est également amenés à travailler avec toutes les organisations que les collectivités locales ont mises en oeuvre dans le domaine de l'eau pour la gestion de l'eau potable, avec les syndicats de communes -le CIAP pour Paris et la petite couronne, les syndicats de communes d'approvisionnement ailleurs.

Cela peut être compliqué. Je ne suis pas sûr que ce soit réellement le sujet. Si je prends l'exemple de l'Oise-Aisne, qui concerne la région Picardie, j'ai eu le sentiment personnel que le travail qui a été fait sous l'autorité du préfet de région Ile-de-France, du président Woimant et, aujourd'hui, du président Marini, a permis que l'ensemble de ceux qui s'occupent de ce sujet comprennent bien leurs responsabilités respectives.

Je crois que la pire des situations, pour VNF, serait que toutes les parties cherchent à justifier qu'elles ne font rien en reportant la faute sur l'autre.

M. le Président - Considérez-vous que la bonne entente entre Aisne et Oise a porté plus de fruits que dans la Somme ?

Quel jugement portez-vous sur la politique du département de la Somme sur ce fleuve ?

M. Gilles Leblanc - Je crois qu'il faut relativiser. L'entente interdépartementale Oise-Aisne, si ma mémoire est bonne, a dû être créée en 1965. La clarification des responsabilités pour permettre à chacun de savoir réellement ce qu'il engageait de manière opérationnelle a été signée le 8 janvier 2001. Il y a donc forcément eu un temps de maturation. Je suis optimiste dans le travail que l'on fait avec l'entente Oise-Aisne, car l'Etat a engagé un programme de modernisation de ses centres d'annonce de crues.

L'entente a clarifié ce qu'elle faisait sur ces bassins. Telle ou telle commune peut refuser de faire un bassin, mais politiquement, cela a été clarifié. Ce que pouvait faire VNF a été clarifié et ce que pouvait faire l'Agence de l'eau également.

J'ai vraiment le sentiment, en tant qu'opérationnel, que lorsque chacun a les idées claires sur ce qu'il doit faire et sur ce que font les autres, cela va mieux que lorsqu'on fait de grandes réunions où chacun cherche à justifier son inaction en affirmant que c'est la faute des autres, mais je ne pense pas que l'on soit sur la même échelle, ni sur le même problème, et je ne puis donc faire de comparaison par rapport à la Somme.

M. le Rapporteur - Vous dites que, compte tenu de la pluviosité exceptionnelle et de la saturation des sols, on connaissait cette situation depuis un certain temps, mais quelles informations a-t-on divulgué auprès de population ? Est-ce que l'alerte a été donnée ?

M. le Président - Vous nous avez dit que les concertations existent. Est-ce qu'elles existent aussi avec BRGM, qui mesure les nappes ?

M. le Rapporteur - Dans la Somme, il n'y a pas de mémoire des inondations car, de mémoire d'homme, personne ne peut en témoigner, d'où une inadaptation au sujet, avec les conséquences que l'on connaît. En la circonstance, comment faire ?

M. Michel Souplet - Quand nous sommes allés dans le bassin de la Somme, on nous a dit -et c'est vrai : « De mémoire d'homme, on n'a jamais vu cela ! ». Par contre, on nous a expliqué qu'en 1840, on avait jugé utile de creuser un canal parallèle au canal de la Somme pour délester en cas de risques.

Le colonel commandant le génie nous a expliqué sur un plan que l'on retrouvait dans la nature deux digues construites au XVIIIème siècle, qui étaient des bassins de rétention. Nous supposons donc qu'il y a certainement eu, dans l'histoire, des périodes difficiles et délicates. Est-ce que vous retrouvez cela quelque part dans vos archives ?

M. Hilaire Flandre - Je ne suis ni ingénieur, ni spécialement compétent : je suis seulement paysan.

Est-ce que vous n'êtes pas plus préoccupés de votre obligation de maintenir un certain tirant d'eau et un certain niveau d'étiage des cours d'eau, au détriment des travaux d'entretien et de dragage, et au risque d'un retard dans les décisions prises de baisser les barrages ?

Je suis des Ardennes : cela expliquera un certain nombre de choses !

M. François Bordry - La mission de VNF vise à l'entretien du chenal de navigation et non au dragage de l'ensemble de la rivière.

C'est un sujet pour lequel nous avons dépensé à peu près 54 millions de francs l'année dernière, dont 17 sur le bassin de la Seine -notre plus gros client en besoins de dragage de rivières- et 10 millions sur le bassin du Nord-Pas-de-Calais.

Ces dragages sont faits pour assurer un tirant d'eau permettant le passage de la navigation et permettre aussi d'avoir un chenal susceptible d'évacuer l'eau en cas de crue.

Je ne suis pas sûr que nous avons des moyens suffisants pour assurer partout le chenal de navigation à la profondeur réglementaire, car il faudrait doubler les crédits, et l'on ne peut le faire.

En revanche, là où nous entretenons le chenal, c'est un avantage pour la circulation des eaux de crues, car on enlève les embâcles et on drague le fond du chenal.

D'ailleurs, la charte qui a été signée prévoit d'améliorer le dragage sur l'Oise pour faciliter la gestion des crues.

M. Hilaire Flandre - Il existait autrefois une tolérance dans l'utilisation des granulats accumulés en bordure de rivière et dans les courbes. Je suis en bordure de l'Aisne : la quantité de graviers qui ont atterri là après les crues est considérable. Autrefois, on les utilisait pour les chemins ruraux ; c'est maintenant interdit, mais cela reste dans la rivière. Une mesure de bon sens ne serait-elle pas d'autoriser les communes, sans en faire un usage financier ou commercial, à enlever tout ce qui empêche l'écoulement normal de l'eau ?

M. Gilles Leblanc - La question est effectivement délicate, mais on est dans un cadre législatif régulé, vous le savez bien.

On est peut-être passé d'un excès dans lequel la démarche d'artificialisation était la pensée dominante, entre 1970 et le courant des années 1990, qui s'est traduite dans les lois et dans les règlements, chacun pensant qu'il fallait plutôt laisser faire la nature.

Il est clair qu'aujourd'hui, l'extraction de matériaux nécessite une autorisation. C'est vous qui légiférez. Cela s'appelle une autorisation de carrière. Il est sûr que c'est un problème. Je le vois sur l'ensemble du bassin que je gère. On estime à peu près le dépôt de matériaux 2,5 fois supérieur au dépôt d'une saison de crue habituelle.

On est aujourd'hui à des niveaux de dragage relativement importants. Faut-il draguer encore plus ? Peut-être... Se posent des problèmes techniques, financiers et, dans certains secteurs, d'appréciation. Les obligations de VNF, qui a hérité des obligations de l'Etat en termes de navigation, concernent juste le dragage du chenal. Le législateur de l'époque avait eu une approche utilitariste du dragage. Le dragage qui est dû est celui du chenal en tant que tel, et non l'enlèvement de tous les dépôts.

C'est la réalité du code d'aujourd'hui sur le fond. Ceci ne veut pas dire que l'on fait strictement un rectangle de navigation. On en fait un peu plus de temps en temps, avec des plaintes, et l'on essaye de justifier le fait que l'intérêt et le fonctionnement hydrologique facilitent le débit.

Il est évident qu'entre Creil et Conflans, aujourd'hui, il y a entre 60 et 80 cm de sédiments de plus qu'en 1975. VNF respecte ses obligations, mais il faudrait peut-être en faire un peu plus.

M. François Bordry - VNF a dix ans d'existence. La législation sur l'utilisation des boues de dragage ou des granulats a évolué dans les toutes premières années de VNF, à un moment où l'établissement public n'avait pas pris tout son poids, après 20 ou 25 ans de déclin de la voie d'eau et des services de navigation, qui n'avaient pas tellement droit à la parole, n'ayant plus beaucoup de moyens, dans un contexte de déclin du transport fluvial.

VNF a aujourd'hui plus de poids. On est probablement allé un peu trop loin. Il est vrai qu'il y a des endroits où l'abus était manifeste. Je pense à la Loire, où la ligne d'eau a baissé de 1,50 m dans beaucoup d'endroits, du fait d'une surexploitation des granulats.

Cela nous pose maintenant des problèmes, mais le cadre législatif est ce qu'il est. On a par ailleurs des difficultés à trouver des terrains de dépôt pour un certain nombre de boues de dragage qui ne sont pas aussi facilement valorisables que les granulats, et qui sont parfois polluées.

M. le Président - Il me reste à vous remercier, Monsieur le Président, à la fois d'être venu, et pour le style direct que vous avez employé pour répondre à nos questions.

Nous nous permettrons, si vous le voulez bien, de vous demander d'autres explications.

M. Roland Courteau - Ma question ne concerne pas VNF, mais vous savez que dans l'Aube, nous avons subi des inondations gravissimes en 1999.

VNF, pour protéger ses canaux dans les zones inondables, a construit des digues très hautes et très solides.

Le problème de ces digues, c'est qu'elles barrent l'écoulement naturel du fleuve, constituant de véritables barrages qui accumulent des millions de m 3 d'eau, jusqu'au moment où elles cèdent, noyant les villages en aval.

Or, que s'est-il passé à l'issue de ces inondations ? VNF a reconstruit des digues plus hautes encore. Il n'y a pas que VNF : la SNCF, en parallèle, a fait la même chose.

Ma question est la suivante : ne faudrait-il pas, avant de reconstruire des digues, écouter les populations locales et les élus, et voir ce qui peut être fait pour limiter les dégâts ?

On sait que le risque zéro, dans les zones inondables, n'existe pas, mais essayons de limiter la casse !

M. François Bordry - La situation est différente de celle de la Somme. Il s'agit de crues torrentielles provoquées par de gros orages, qui disparaissent aussi vite, mais en ayant fait beaucoup de dégâts. Ces crues ont provoqué 40 millions de francs de dégâts, alors que l'ensemble de la grande tempête de Noël de la même année, pour ce qui concerne le réseau de VNF, avait provoqué à peine plus de dégâts sur la France entière.

Tout d'abord, la digue n'a pas été reconstruite plus haut. Cet aménagement date de Vauban et de Riquet, au XVIIème siècle. On l'a effectivement reconstruite de manière à ce que le canal continue à fonctionner et ne soit pas interrompu, mais une étude a été lancée sous l'autorité du préfet, avec la participation de l'ensemble des opérateurs, pour définir la hauteur des directions et l'aménagement nécessaire afin de tenir compte des crues qui ont eu lieu. On a repris les cotes précédentes.

On a bien dit que l'on se conformerait aux résultats de l'étude, qui devra dire quels sont les aménagements nécessaires pour réduire les risques. La situation est toutefois différente dans la Somme.

Je vais remettre à vos services un certain nombre de textes précisant les missions de VNF et les limites de celles-ci, ainsi que la charte dont j'ai parlé. Je reste à votre disposition pour tout document complémentaire.

M. Gilles Leblanc - Je voulais ajouter qu'on a peut-être un problème d'organisation de notre mémoire collective, mais mon expérience personnelle montre qu'assez souvent, on a parfaitement connaissance, dans les archives départementales, de choses qui se sont passées deux, trois ou cinq siècles auparavant.

Ainsi, la catastrophe qui a eu lieu à Nîmes est loin d'être la plus importante et la plus dramatique des deux mille dernières années, et l'on connaît très précisément une dizaine de phénomènes qui se sont déroulés dans cette ville et qui sont de même ampleur.

Avait-on les éléments d'archives qui permettaient de décrire à l'avance le phénomène dans la Somme ? Bien évidemment non. On savait que les sols étaient saturés et dans une situation excessivement difficile. Si on avait eu le scénario de la catastrophe, on l'aurait peut-être mieux utilisé que ce que l'on a fait.

Il faut donc séparer la connaissance scientifique et la connaissance historique. Un géographe avait fait une étude au XVIIIème siècle sur la vallée de la Somme, indiquant un certain nombre de choses qui sont plus que des indices, sur des éléments très précis recueillis par un travail de fourmi au niveau des archives, etc.

C'est souvent un problème d'organisation de la connaissance pour que les choses soient connues des décideurs et, à travers eux, des populations.

Vous évoquez la mémoire humaine. Quand j'étais en service dans le Gard, le ministère de l'environnement, vu les catastrophes qu'a connues ce département, avait donné pas mal de crédits d'études et de recherches. En particulier, on nous avait demandé de faire un travail avec le CNRS sur un système d'information géographique, afin de pouvoir mener le recensement des archives communales, départementales, etc., en matière de crues. Ce système a dû coûter une dizaine de millions de francs, ce qui n'est pas négligeable.

Il faut prendre garde au fait que la mémoire humaine peut s'effacer et qu'elle s'inscrit dans une échelle temps insuffisante par rapport à des phénomènes d'occurrence relativement lente. Je crois que ce serait une erreur de dire que le phénomène sur la Somme -je ne crois pas qu'il ait été quantifié scientifiquement parlant- ne s'est jamais produit, mais quelle est son occurrence ? Est-ce un phénomène bicentenaire, quadri-centenaire, millénaire, bimillénaire ? On n'a pas cette quantification.

Par contre, c'est un phénomène qui était déjà caractérisé, y compris dans des demandes publiques, puisque le schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) était très clair sur la description de ce phénomène. Il est clair aussi qu'on n'en a pas une mémoire humaine.

M. Jean-François Picheral - Si l'on a bien compris, vous êtes responsable de la navigabilité du canal du Nord. Nous voudrions savoir comment vous avez vécu ces mois de mars et d'avril en tant que gestionnaire du canal du Nord.

Nous avons entendu beaucoup d'élus qui se sont plaints d'écluses, de navigabilité, pendant cette période. J'aimerais que vous puissiez clarifier ces moments, qui ont dû être difficiles pour vous, mais qui l'ont été aussi pour les élus et la population.

M. Gilles Leblanc - Je suis responsable de 17 départements, du département de l'Yonne jusqu'au département de l'Eure, en passant par les Ardennes et un certain nombre d'autres départements.

La situation hydrologique a été très difficile sur beaucoup de secteurs en même temps, ce qui n'efface rien à la gravité de la situation dans la Somme.

M. Hilaire Flandre - C'est une boutade, mais je dirais que les crues datent sans doute de l'époque où l'on a commencé à creuser un canal et à construire des bassins de rétention ! La mémoire de l'homme étant ainsi faite qu'on oublie très vite les catastrophes lorsqu'elles sont passées, je ne suis pas sûr que l'entretien de ces ouvrages, jugé nécessaire à l'époque, a été poursuivi dans le temps. Cela n'incrimine en rien vos services.

M. Gilles Leblanc - Je ne crois pas que cette analyse soit juste. Les ouvrages anciens montrent des situations catastrophiques en vallée de Somme avant la période napoléonienne, qui a été la période d'aménagement des canaux en fond de vallées !

Ces canaux ont été réalisés avec une double préoccupation, celle de concevoir des ouvrages permettant d'irriguer l'économie et de faire fonctionner correctement ce secteur. Le système hydrographique napoléonien, et qui a été recopié dans les années 1950, au moment de la construction du canal du Nord, est d'un fonctionnement très économe en période de sécheresse et neutre en période d'inondations, même si le SAGE souligne que le fait d'avoir aménagé des canaux en fond de vallées permet de mieux gérer les inondations superficielles -et je pense que c'est vrai.

Par contre, l'aménagement des canaux est parfaitement neutre dans le phénomène d'un massif calcaire gorgé d'eau et d'une inondation de nappe. Le système des canaux est donc hors sujet.

M. le Rapporteur - Je reviens sur la question que j'ai posée : compte tenu des connaissances que vous aviez de la situation et de l'évolution prévisible dès décembre, quelles informations ont été divulguées, ou quelles informations auraient dû être divulguées ? Quelles décisions ont été prises ou quelles décisions auraient dû être prises ?

Vous nous dites qu'à partir du 24 -je pense que vous voulez parler du 24 mars- on a pompé dans le canal du Nord pour gagner en quelque sorte 4 m 3 . Or, le 24 mars, si mes souvenirs sont exacts, Fontaine-sur-Somme était déjà inondée, car cela a commencé le 21 !

M. Gilles Leblanc - Les bulletins hydrographiques sont adressés systématiquement à l'ensemble des pouvoirs publics responsables, sur la situation, la pluviosité, la concentration des nappes, etc. Je n'ai pas connaissance de divergences sur l'analyse de ces bulletins.

Ces bulletins indiquent les précipitations et les hauteurs d'eau cumulées, qui ne sont pas forcément une interprétation complètement directe.

M. le Président - Dans la pratique, qui sont vos destinataires ?

M. Gilles Leblanc - Le Gouvernement, les préfets, les agences de l'eau et les instances dirigeantes des agences de l'eau, ainsi que l'ensemble des acteurs responsables. Lorsqu'il existe une structure « collectivités locales », type entente interdépartementale Oise-Aisne, celle-ci est destinatrice des bulletins. Lorsqu'il existe une collectivité locale gestionnaire et un maître d'ouvrage gestionnaire, ils sont systématiquement destinataires.

M. le Président - En l'occurrence, donc, le conseil général de la Somme vraisemblablement ?

M. Gilles Leblanc - Oui, bien sûr. Je n'ai pas fait de vérification personnelle, mais c'est une évidence.

M. le Rapporteur - Si une décision est à prendre, qui va aider à la prise de décision ?

M. Gilles Leblanc - Tout d'abord, permettez-moi de répondre à la deuxième question que vous avez posée sur les dispositions opérationnelles. On a été amenés à faire fonctionner le système de pompage destiné à ramener de l'eau de l'Oise dans le bief de partage en cas de sécheresse. Les pompes, fonctionnant à l'envers, ont fonctionné relativement tôt, à une date antérieure à celle que vous avez citée -je ne l'ai plus en tête.

La date que j'ai formulée tout à l'heure était celle du 26 avril, qui est une date très postérieure. La situation était déjà très mauvaise. C'est la date à laquelle on a mis en place un système renforcé qui ne nous a pas semblé, selon les appréciations du préfet coordonnateur de bassins, du préfet de région Picardie et du Préfet de la Somme, contradictoire avec l'ensemble des initiatives qui pouvaient être prises pour alléger au maximum la pression en tête de bassin, au moment précis où on est passés de la situation de grande alerte à la situation de très grande alerte.

On a donc pris le risque -risque partagé entre les différents gestionnaires- de renvoyer de l'eau sur l'Oise en plus grande quantité à partir du 26 avril.

M. le Rapporteur - Qui aide les autorités à la prise de décision ?

M. le Président - ... Et, dans les mois précédents, qui a été alerté à temps qu'il y avait un risque, et qui n'a pas bougé ?

M. Gilles Leblanc - J'ai un peu de mal à répondre à cette question. Il est évident que les inondations dans l'Eure, en Bretagne, dans l'Aisne, etc., on en avait déjà énormément. La presse était pleine de la situation hydrographique, qui aurait pu être catastrophique en termes de vies humaines dans beaucoup d'endroits du bassin de la Seine.

Même sur la région Ile-de-France, on est passé à côté d'une catastrophe majeure. On a eu la chance de faire passer une crue de Marne, une crue de l'Yonne, une crue de Marne, une crue de Seine, etc. On a enchaîné le nombre de passages de crues avec une quantité et des débits d'eau considérables. On a dû dépasser les 92 jours de débit de la Seine supérieurs à 1000 m 3 /seconde, ce qui n'avait jamais été enregistré !

On était donc -et on est toujours- dans une situation-limite du point de vue hydrographique, avec un bassin et des sols complètement saturés, qui n'ont aucune capacité d'absorption d'un phénomène quel qu'il soit, même encore aujourd'hui, alors qu'il fait beau !

M. Michel Souplet - J'aimerais couper les ailes à certains « canards ». J'habite le bord de l'Oise. On est souvent inondé. A chaque fois, on nous dit que c'est à cause de Paris. A chaque fois, je réponds que l'on ne peut imaginer un instant laisser noyer Paris. Si le métro était noyé, vous vous rendez compte de la catastrophe que cela pourrait être !

J'aimerais savoir quelle est la politique de gestion des eaux qui est conduite pour protéger Paris. C'est un impératif ! Cette année, on est tombé sur une conjonction d'événements importants : les nappes étaient pleines, tous les sols calcaires étaient gorgés d'eau et cela continuait de tomber. J'aimerais simplement, s'il y a quelque part un document, le connaître. Comment envisage-t-on la protection de Paris en particulier, ou des grands sites ? Je ne vous demande pas de répondre tout de suite, mais j'aimerais couper les ailes à la rumeur qui veut que c'est à cause de Paris qu'il y a des inondations dans le Nord. Ce n'est pas vrai !

M. Gilles Leblanc - D'un point de vue strictement physique, pour assurer la protection d'un centre urbain quel qu'il soit, il faut travailler sur l'amont : la vallée de l'Oise est en aval de Paris. Je pourrais raisonner de la même façon sur la protection de Soissons. A chaque fois, c'est un raisonnement sur l'amont.

C'est une absurdité de penser qu'il y a un rapport entre Paris et la Somme, et c'est pareil pour l'Oise...

M. Michel Souplet - ... Encore que l'on nous dise : « L'Oise est en aval de Paris, mais lorsqu'il y a des risques pour Paris, on arrête quand même l'Oise pour permettre de débiter davantage d'eau venant de la Seine » !

M. Gilles Leblanc - Sans m'étendre sur les systèmes, la région Ile-de-France n'est pas si bien protégée que cela. L'institution des grands barrages, dont certains considèrent qu'ils font du lobbying pour leurs propres intérêts, estime que la facture d'inondations type 1910 -et on connaît des inondations supérieures à celles de 1910- serait considérable.

Les dispositions en amont sont relativement faibles. Certains barrages-réservoirs, malgré leurs noms, ont une capacité de stockage limitée. Durant les six derniers mois, il a fallu artificiellement maintenir ce que certains riverains considèrent comme des « crues » à un débit important, pour pouvoir se redonner une capacité de rétention et prendre le coup suivant.

Il faut ensuite avoir une capacité de gestion opérationnelle pour libérer la capacité de réserve.

Deux ou trois secteurs en amont servent de « laminoirs de crues » : le secteur de La Bassée, en limite de l'Aube et de la Seine-et-Marne, est un secteur de zone humide qui peut permettre d'éviter l'onde de choc d'une crue brutale sur la région Ile-de-France, mais les études des plans de prévention des risques inondation (PPRI) de la région Ile-de-France relatives aux crues de 1910 montrent une partie du Val-de-Marne, toute la boucle Nord des Hauts-de-Seine et beaucoup de quartiers parisiens qui ont les pieds dans l'eau.

Les PPRI de la région Ile-de-France sont en train de se mettre en place, et on ne sait pas dire que l'on est capable d'empêcher une situation catastrophique à Paris.

En tant que gestionnaire de la rivière, je sais dire que cela commence à ne pas être très bon quand on a 1.000 m 3 /seconde et qu'on est à 3 m 80 de haut ; à 4 m 50, je sais dire ce qu'il faut faire ; à 4 m 70, je sais dire que le RER C en aura pour six mois d'arrêt et quelques milliards, qu'à 7 m 10, on a tels dégâts et, à 8 m 30, tels autres dégâts. Je sais le dire. Dire que l'on sait protéger est une absurdité. On n'a pas de système de protection absolue.

M. le Président - Monsieur Leblanc, nous vous remercions.

2. Audition de M. Paul Vialle, président de la Section Eau du Conseil général du Génie rural des eaux et forêts (30 mai 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui M. Paul Vialle, président de la Section Eau du Conseil général du Génie rural des eaux et forêts.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Paul Vialle .

Nous sommes maintenant en mesure de commencer. Nous vous cédons la parole pour un temps aussi court que possible mais néanmoins complet, puis les Sénateurs présents, ainsi que ceux qui se joindront à nous, vous soumettront leurs interrogations.

M. Paul Vialle - Monsieur le Président, je vous remercie.

Concernant les crues de la Somme, je souhaiterais évoquer un premier élément : les crues de la Somme et plus généralement de cette région ne se comparent pas aux autres crues. J'illustrerai ce propos par un chiffre. J'ai considéré les pluies pendant dix ans sur la Somme à Abbeville. Globalement, nous constatons un étiage, et je vous épargnerai la définition de ce terme, de l'ordre de 20 m 3 /seconde et une crue dite décennale d'environ 70 m 3 /seconde, ce qui correspond à un rapport de 1 à 3,5. Sur le plan pratique, j'estime que la crue que nous avons observée récemment devait s'établir entre 100 m 3 /seconde et 120 m 3 /seconde. Je souligne qu'il s'agit d'un ordre de grandeur. Ce chiffre est approximatif dans la mesure où je ne dispose pas des mesures exactes. Cela correspond à un rapport de 1 à 5 pour un bassin versant, à cet endroit précis, de l'ordre 5.500 km 2 .

Lorsque nous nous référons à d'autres crues, nous constatons que les ordres de grandeurs sont très différents. A titre d'exemple, une rivière comme la Vilaine, dont on parle beaucoup actuellement, correspond à un bassin versant de 4.000 km 2 , ce qui est du même ordre de grandeur. Toutefois, l'étiage est d'un m 3 /seconde et une crue décennale s'établit à 320 m 3 /seconde. Le rapport est donc de 1 à 320. La Vilaine n'est pas, pour autant que je sache, un cours d'eau de régime méditerranéen.

Lorsque l'on se réfère aux cours d'eau de régime méditerranéen qui sont, quant à eux, beaucoup plus nerveux, nous réalisons que les ordres de grandeurs sont encore plus importants. Pour l'Aude, à Carcassonne, qui a fait couler beaucoup d'encre il y a quelques années, les ordres de grandeurs sont de trois m 3 /seconde d'étiage et de 1.000 m 3 /seconde de crue décennale. Comme ces chiffres ont été avancés avant les événements que nous avons connus, il est possible qu'ils aient été réévalués. Cependant, l'ordre de grandeur est de 1 à 300.

Mon propos n'est pas de vous assommer de chiffres. Toutefois, il faut noter, en premier point, que la Somme dispose de très peu de différence, sur le plan hydrologique, entre l'étiage et la crue. Cet ordre de grandeur est considérablement différent de l'ensemble des autres rivières françaises, qu'elles soient plus petites (étant considéré que plus elles sont petites, plus elles sont nerveuses), ou qu'il s'agisse de grands bassins versants, qui présentent des différences beaucoup plus accentuées. Tel est le premier cas particulier, donné par la géographie, que je souhaitais vous indiquer.

Le deuxième cas concerne l'histoire. J'ai voulu regarder, dans un ouvrage dont je vous fournirai la référence, quelles avaient été les crues historiques subies par la Somme. Cet ouvrage historique a été réédité récemment. Nous constatons que la Somme, selon Monsieur l'Inspecteur en chef, « n'est pas sujette à ces crues qui rendent si dangereuses pour les propriétés et les populations le voisinage des rivières ». L'ouvrage recense les crues que nous avons connues au fil de l'histoire. D'après cette source, antérieurement au XVIIe siècle, aucun document ne fait mention de crue extraordinaire de la Somme. Au XVIIe, en moins de cinquante ans, nous avons subi trois crues : en 1615, en 1635 et en 1658. Il convient de noter que ces crues se sont déroulées au mois de février : le 20 février 1615, les 13 et 14 février 1635 et le 21 février 1658. Cette période correspond à l'époque du petit âge glaciaire en France. Les crues s'assimilaient, semble-t-il, à des crues de débâcle. La rivière avait crû en glace, se transformant en un phénomène de débâcle avec des encombrements. En outre, la vague était coincée. La crue était la résultante, semble-t-il, de causes quelque peu identiques. Je tiens à rappeler que ces situations sont très différentes de celle que nous observons aujourd'hui. Même si la crue a débuté en février, nous sommes, apparemment, confrontés à un phénomène d'une nature différente de celle du passé. Plus récemment, nous avons connu d'autres crues. Ainsi, au XIXe siècle, des événements de ce type sont survenus en janvier 1799, 1820, 1823, en janvier et février 1840, 1841, 1855. Concernant cette dernière crue, je peux uniquement vous indiquer que la Haute Somme était concernée mais je ne dispose pas de la date précise. Il semble que l'histoire nous révèle que les crues connues ont des causes différentes. Par conséquent, nous pouvons en déduire que l'histoire ne nous est pas d'un grand secours.

En définitive, la géographie révèle que nous sommes dans un cas particulier. L'histoire ne m'apparaît pas nous apporter de nombreux éléments d'explication, mais je tiens le document auquel j'ai fait référence à votre disposition.

Que constatons nous ? Je vous ai exposé les caractéristiques essentielles. En 1995, la crue était de 80 m 3 /seconde. Aujourd'hui, nous constatons 100 à 120 m 3 /seconde, avec une crue présentant une caractéristique que vous connaissez bien. Il s'agit d'une crue de nappe : nous avons un phénomène de sous-sol, qui est une éponge, des pluies longues gonflent de plus en plus l'éponge, le niveau des nappes remonte et, à un moment donné, ce niveau est si élevé que cela s'ouvre un peu partout. Le phénomène est, selon mon point de vue, assimilable à l'image que je viens d'évoquer. Du fait de votre travail sur le terrain, votre connaissance du phénomène doit être bien plus importante que ce que je peux imaginer. Je ne connais pas le terrain, mais j'ai interrogé de nombreux collègues.

Nous sommes devant un phénomène comportant :

- des débouchés hydrologiques avec les problèmes de marées, que vous connaissez bien, et qui sont d'un maniement délicat ;

- des nappes qui continuent et qui risquent de continuer à se déverser.

L'accentuation du phénomène provient d'un certain nombre d'éléments, qui sont probablement les suivants :

- l'entretien du réseau secondaire, qui n'a malheureusement pas été effectué du fait de solidarités distendues entre les habitants ou les agriculteurs du plateau et les habitants de la vallée ;

- des réseaux de fossé mal entretenus, probablement des passages à des points délicats qui ont dû accentuer le phénomène ;

- le problème général de la construction dans les zones un peu fragiles.

Un phénomène global, beaucoup plus généralisé que ce que l'on connaissait depuis quelques années avec, a priori, un temps de retour des pluies accumulées sur un certain temps fait de cet événement un élément de fréquence rare, probablement une centaine d'années.

La craie fait éponge et se recharge d'une année sur l'autre. Par conséquent, à l'automne, le niveau de la nappe influe sur son niveau l'année suivante. Si l'étiage n'a pas été marqué, nous abordons la saison des pluies avec un niveau plus élevé.

Je souhaiterais également vous indiquer un point supplémentaire. A cette échelle, il me semble qu'il est possible d'affirmer sans aucun risque de se tromper que les pratiques agricoles n'ont pas d'influence sur les événements météorologiques. Ces pratiques peuvent être rendues responsables de la pollution par les nitrates, par exemple. Toutefois, si l'on souhaite s'interroger sur les pratiques agricoles dans le cas d'événements de fréquence quinquennale, à cette échelle de phénomène, je pense que l'on peut affirmer, et je m'appuie sur l'expérience et les rapports de mes collègues qui se sont rendus en Bretagne pour indiquer qu'environ 80 à 90 % de la vague d'eau qui était tombée durant plusieurs mois s'était retrouvée dans les rivières. A ce niveau, nous n'évoquons plus les haies dans la mesure où, visiblement, tout était saturé, tout comme cela doit être le cas dans la Somme. Je déclarerai donc que les pratiques agricoles n'ont aucune influence.

Tels sont les éléments que j'étais en mesure de vous indiquer d'entrée de jeu. Comment souhaitez-vous procéder ?

M. le Président - Si vous souhaitez clore votre exposé, nous nous livrerons à une première série de questions auxquelles vous répondrez. Je vous sais suffisamment prêt à répondre aux questions pour que nous choisissions cette méthode de travail. Je cède la parole à Monsieur le Rapporteur.

M. Pierre Martin , Rapporteur - Monsieur le Président, je vous remercie. Je considère que les éléments que vous venez de nous fournir sont très importants : le point de vue géographique d'une part, et l'historique d'autre part. Il est judicieux de connaître ces données avant de prononcer sur d'autres problèmes. Je voudrais a priori vous demander, Monsieur le Président, quelle est votre appréciation concernant cette inondation parce qu'inondation il y a bien eu. Considérez-vous que la protection ou la prévention ont été efficacement mises en oeuvre ?

M. Jean-François Picheral - Il conviendrait d'introduire l'alerte.

M. le Rapporteur - L'alerte est, en effet, part intégrante de la prévention. Des facteurs aggravants sur le risque ont-ils éventuellement été constatés ? En quelque sorte, une gestion de la crise a-t-elle été mise en place ? Tel est le problème dans la mesure où, de mémoire d'homme, nous n'avions aucun élément qui permettait de savoir comment nous devions réagir face à cette situation. Vous nous avez fourni des précisions sur le plan historique, mais il semblerait que l'histoire n'ait aucun point commun avec les événements actuels.

En outre, concernant la conjugaison de ces facteurs aggravants, il semblerait que le phénomène soit tout à fait exceptionnel. Néanmoins, nous avons reçu M. le président de Voies navigables de France (VNF) hier, qui nous a précisé qu'il s'était rendu compte du niveau particulièrement élevé des nappes et qu'il avait continuellement constaté la pluviométrie. Ces facteurs allaient, selon son point de vue, nécessairement se traduire par une crue. Cette dernière n'était pas identique à celle de certains fleuves mais allait avoir des répercussions tout à fait défavorables sur la Somme. Y a-t-il eu alerte, comme le signalait notre collègue ? L'ensemble des mesures a-t-il été mis en oeuvre ? Il semblerait que les autorités et les habitants aient été surpris par l'arrivée de ce phénomène. Il n'y a peut-être pas eu les réactions nécessaires et suffisantes pour faire face à l'inondation.

M. le Président - Quelles sont vos informations sur ce sujet ?

M. Paul Vialle - Je n'ai pas effectué d'enquête de terrain.

M. le Président - Lorsque nous nous rendrons à Amiens, nous constaterons l'ampleur du phénomène.

M. Paul Vialle - Mes réponses seront prudentes dans la mesure où je n'ai pas effectué d'enquête sur le terrain. Mon information provient essentiellement d'un collègue qui mène actuellement une mission officielle. Cette tâche n'était pas terminée lors de notre dernier contact. Concernant les inondations de la Somme, je n'ai pas cherché à connaître les hypothèses de responsabilité.

M. le Rapporteur - Je pourrais compléter mes propos, Monsieur le Président, en vous demandant si vous aviez d'ores et déjà fait face à des crues lentes de ce type. A la lumière de ces crues, l'expérience acquise permettait-elle d'adapter une réaction à la hauteur du phénomène ?

M. Paul Vialle - Visiblement, nous sommes confrontés à un cas beaucoup plus simple que les crues de type méditerranéen ou cévenol. En effet, ces dernières sont d'une brutalité extrême et nécessitent des dispositifs extrêmement sophistiqués d'imagerie radar, de mesure au sol, d'alerte en temps réel, de mobilisation 24 heures sur 24 puisque nous sommes sur des phénomènes de quelques heures. Dans le cas qui nous intéresse aujourd'hui, le temps n'est pas le même dans la mesure où il se compte en semaine voire en mois. De ce point de vue, des systèmes de prévisions me semblent relativement simples à mettre en place :

- entre la pluie qui tombe et les corrélations avec les niveaux de la nappe ;

- la nécessité de connaître le décalage qui peut exister entre les pluies et la réaction de la nappe.

M. le Président - Je souhaiterais avoir connaissance d'un détail pratique. La nappe est mesurée par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Quels sont les liens entre le BRGM et les organisations que vous supervisez ?

M. Paul Vialle - Tout dispositif de mesure doit effectivement être intégré entre la pluie, les nappes et la vie dans la rivière. Il est clair qu'il n'est pas opportun de mesurer un paramètre unique. Je n'ai pas en tête, pour être précis, le système de connexion qui existe dans la Somme. Je vous prie de m'excuser, mais je ne dispose pas de cette information.

M. le Président - Sur le plan national, le personnel du BRGM, que je côtoie sur le terrain, me semble très consciencieux. Chaque semaine, ils publient des informations. Toutefois, j'ignore qui réalise la synthèse de l'ensemble de ces informations.

M. Paul Vialle - J'indiquais précédemment que nous sommes dans un cas atypique, ce que je crois être la réalité. Rien de ce que l'on peut voir dans d'autres bassins versants français, sans vouloir dire que la Somme est la seule mais en incluant les rivières dans la zone considérée, ne nécessite pour les crues ce type de connexion. A l'occasion d'une crue de la Garonne, du Rhône ou de la Loire ou d'un de leurs affluents, le rôle de la nappe est fréquemment négligeable. Elle n'est pas à l'origine mais peut éventuellement être un facteur favorable.

M. le Rapporteur - A la lumière de cette crise, comme vous l'avez rappelé, il nous importe aujourd'hui de déterminer les mesures qui pourraient être préconisées demain si de tels phénomènes se conjuguaient à nouveau. Une telle situation serait à même de se reproduire.

M. Paul Vialle - Je souhaiterais évoquer un premier point sur ce sujet : malheureusement, les rivières se rappellent à nous et l'homme a une mémoire très courte. Je tiens à citer un exemple. Dans les Pyrénées-Orientales, une rivière, dont le nom m'échappe et je vous prie de m'en excuser, a provoqué des inondations catastrophiques en 1940, faisant de nombreuses victimes. J'ai eu l'occasion, en début de carrière, de m'y rendre, dans les années 1965-1970. J'ai constaté que des maisons avaient été construites dans les zones dans lesquelles il y avait eu des morts. Par conséquent, la mémoire est courte. Je n'accuse personne mais constate simplement que la mémoire collective est courte. Je constate que nous n'avons probablement pas pris assez garde aux rivières depuis quelques dizaines d'années et qu'elles se rappellent à nous dans de nombreux endroits. Malheureusement, il s'agit d'un cycle hydrologique et humain connu. Nous ne prenons pas garde et la nature se rappelle à nous. J'estime, d'une manière générale, que nous devons collectivement, en France, prendre garde aux rivières et revoir les modalités de leur gestion.

Un second point correspond à une conviction profonde. Chaque rivière est une individualité. Il ne faut absolument pas transposer les règles de l'une à l'autre. Chacune se modélise et réagit différemment d'un point de vue du sous-sol, de la géographie et des réalisations de l'homme sur les bords de la rivière. Par conséquent, les recettes simples n'existent pas. Ma conviction est qu'il faut mobiliser chaque cas particulier afin de trouver quelles solutions optimales devront être adoptées. Or je pense que nous n'avons pas procédé de la sorte dans de nombreux cas parce que le problème ne se posait pas.

Enfin, je souhaiterais vous soumettre un troisième facteur aggravant. D'une manière très générale, au niveau de l'aménagement du territoire, l'homme dans le monde, en Europe et en France se situe au bord de l'eau : au bord des littoraux, des fleuves et des rivières. Il artificialise également, d'une manière générale, de plus en plus les étendues sauvages. Il croit les avoir domptées, mais la nature se réveille et reprend ses droits. J'estime que, collectivement, le fait de s'installer près des rivages quels qu'ils soient nous conduit à prendre plus de risques, sans pour autant que nous ayons calculé ces risques et les ayons prévenus.

M. le Président - Selon vous, il s'agit d'une habitude occidentale ou européenne ?

M. Paul Vialle - Je considère que cette pratique est mondiale. L'homme avait, à une certaine époque, peur des rivières ou des rivages dans la mesure où ils apportaient le danger. A l'heure actuelle, ils ne sont plus censés être porteur de danger. Dès lors, l'homme s'y installe.

M. le Président - Nous les avons apprivoisés au point de ne plus s'en souvenir.

M. Paul Vialle - Il s'agit d'une généralité, mais je crois que cela nous marque profondément. Nous n'avons pas, dans nos comportements, pris en compte les conséquences de cette pratique.

M. Paul Raoult - Je considère que nous ne pouvons tirer la moindre conséquence de la première partie de votre exposé, traitant de la comparaison d'un climat océanique et méditerranéen. Nous savons qu'un climat méditerranéen conduit, par nature, à des phénomènes météorologiques très forts. La population a intégré cette donnée et sait que telle rivière à sec sera, un jour ou l'autre, en crue. Que nous soyons en Ardèche ou dans les Cévennes, la population sait pertinemment qu'un tel phénomène se produira. En revanche, en climat tempéré océanique, comme tel est le cas en Picardie, nous sommes confrontés à un phénomène d'une autre nature. Dire que nous sommes dans un ordre de grandeur de 1 à 5 a peu de signification dans la mesure où le contexte climatique est totalement différent. De plus, nous sommes dans des zones plates. Par conséquent, le contexte géographique est également totalement différent.

Un deuxième élément découle de votre analyse de l'histoire, qui est fort intéressante. J'ai le sentiment que nous avons été les témoins d'un phénomène qui, de mémoire d'homme, ne s'est jamais produit. Vous nous demandez de déterminer la raison pour laquelle il n'y avait pas une organisation administrative capable de prévoir quelque chose qui ne s'est jamais passé, alors qu'une organisation spécifique ne pouvait exister parce qu'un tel phénomène ne s'est jamais déroulé. Ceci est un véritable problème. Ceci étant dit, il est vrai que nous pouvions analyser la situation à travers la pluviométrie, en considérant que le niveau atteint en hiver allait se traduire par un phénomène dramatique. Je considère qu'effectivement nous aurions pu avoir une réaction sur ce point. Lorsque vous dites que chaque rivière est une individualité, j'estime qu'il faut souligner cet élément. Au nord de la Somme, des inondations se produisent également. En effet, la Lys, la Scarpe, l'Escaut, le Rhin subissent également des inondations. Une analyse très fine doit être menée.

M. le Rapporteur - Il est vrai que nous n'avons pas, de mémoire d'homme, des éléments permettant de faire face à ce phénomène. Toutefois, je tiens à préciser qu'une petite crue s'est produite en 1987. En 1994, la crue s'est répétée à Fontaine-sur-Somme. En 1997, cela s'est à nouveau répété. Nous sommes arrivés en 2001, avec une ampleur totalement différente. Les crues de 1988, 1994 et 1997 n'étaient-elles pas des avertissements ? De plus, en 1994, je me souviens de ce petit village qui subit encore une crue de nappe. Dans une rue entière, les maisons ont été inondées par la crue de nappe.

M. le Président - Je pense qu'à l'époque les gens s'étonnaient du phénomène mais n'arrivaient pas à analyser aussi clairement que nous le faisons depuis deux mois. En outre, ils ignoraient qu'il s'agissait d'une crue de nappe. Je me souviens de cet homme qui nous faisait visiter sa cave et nous indiquait qu'il ne comprenait pas ce phénomène, et que son grand-père ne l'avait jamais connu. Toutefois, il ne déclarait pas que l'inondation provenait d'une crue de nappe. Je n'avais pas moi-même conscience que l'inondation découlait d'une crue de nappe.

M. Hilaire Flandre - Il est important de comprendre afin d'éviter le retour de phénomènes identiques. Lorsque nous vous écoutons, il semble que nous étions conscients, quelqu'un avait connaissance, ne serait-ce que l'établissement de bassin, du niveau des nappes dans cette région. L'établissement de bassin, situé dans la Meuse, mesurait régulièrement l'état de niveau des réserves et le niveau atteint par les nappes phréatiques. Par conséquent, quelqu'un était conscient que les nappes étaient comblées et incapables d'absorber de nouvelles précipitations. En outre, le bassin versant est de 5.500 km 2 . Pour un bassin de cette nature, chaque millimètre de pluie qui tombe correspond à 5,5 millions de m 3 d'eau. Si l'on se réfère à la rapidité d'absorption du principal vecteur qu'est la Somme, il faut au moins 15 heures d'écoulement afin qu'un millimètre de pluie soit absorbé. Lorsqu'il pleut 10 millimètres pendant des jours ...

M. le Président - Du 1er octobre au 31 mars, 880 millimètres de pluie sont tombés, me semble-t-il.

M. Hilaire Flandre - Le calcul des afflux et de la possibilité d'écoulement permet de déterminer que le risque d'inondation est évident dans les zones les plus basses du bassin. Le problème découle du fait que des personnes différentes mesurent la pluie qui tombe et analysent le niveau des nappes. Il conviendrait d'imaginer un lieu de coordination dans lequel l'on pourrait indiquer aux habitants que dans la situation présente et si les conditions climatiques perdurent, l'inondation est inévitable.

M. Paul Vialle - Je tiens à rester prudent dans la mesure où je ne dispose pas de références. Toutefois, je crois qu'effectivement les éléments étaient prévisibles puisque nous ne sommes pas confrontés à un phénomène rapide. Je me suis laissé dire qu'un courrier du Préfet daté de janvier indiquait aux maires que les nappes avaient atteint un niveau élevé. Je tiens à vous indiquer que je n'ai pas la preuve de ce que j'avance.

Je suis d'accord avec vos propos. Cela étant dit, je vous confirme que nous sommes confrontés à un phénomène exceptionnel, dont l'échelle n'avait jamais été observée par le passé. Même si ce phénomène est modéré à l'échelle nationale, il n'en demeure pas moins qu'il est catastrophique. Le fait que la crue ait été lente ne veut pas dire pour autant que l'ensemble des dispositifs aient été mis en place au préalable afin de modéliser et prévoir ce type de situation dans la mesure où nous n'avions pas vu de phénomène de ce genre depuis longtemps, voire jamais. Nous sommes donc dans un cas difficile, me semble-t-il, dans lequel aucune catastrophe gigantesque n'est prévisible. Actuellement, dans l'arc méditerranéen, nous demandons que des plans de prévisions de risques (PPR) soient systématiquement mis en place en raison des risques d'inondations ou de catastrophe. Le seau d'eau tombant sur un petit bassin versant peut se traduire par une catastrophe comme celle de Vaison-la-romaine ou de Nîmes. Nous essayons de mettre en place des mesures de prévention dans toutes les zones à risques. Je dois avouer que si vous m'aviez posé la question il y a quelques mois, j'aurais probablement déclaré que je n'aurais pas placé la zone de la Somme comme priorité numéro un compte tenu des éléments hydrométriques que nous pouvons connaître. Les inondations récentes me rendent très prudent et très humble dans la recherche des responsabilités. Qui avait conscience d'une catastrophe possible dans cette zone ?

M. le Président - La connaissance et l'information se modifieront en raison de cet événement. L'information est toujours liée à l'actualité. Depuis trois semaines, les courbes de niveaux de la nappe ont été publiées dans bon nombre d'organes de presse. Or je n'avais jamais eu connaissance de ce type de publications auparavant. Ces informations étaient réservées à certains cabinets et à des personnes très initiées. Le grand public ne savait pas que le niveau de nappe se traduisait par des graphiques de ce genre. Ces courbes n'avaient jamais été publiées, alors qu'il s'agit d'éléments du même ordre que la pluviométrie ou de la température.

M. le Rapporteur - Je crois, à la lumière de vos propos, que vous êtes, Monsieur le Président, tout à fait d'accord avec les conclusions du rapport de la Cour des Comptes en 1999, qui mettait en cause la méconnaissance du risque d'inondation, la vulnérabilité des populations, la complexité des méthodes administratives ainsi que la méconnaissance du coût de la prévention. Ces facteurs sont liés, à partir du moment où le problème était à ce point méconnu. De mémoire d'homme, nous ne pouvions pas connaître ce phénomène. Dès lors, le constat est flagrant.

M. Paul Vialle - J'ai lu le rapport de la Cour des Comptes avec grand intérêt. Par conséquent, j'en parlerai avec le respect que je lui dois. Ceci étant, je considère qu'un certain nombre de points du rapport méritent, très probablement, des modulations. Par exemple, la Cour évoque les défauts affectant les PPR, relatifs aux risques, en indiquant que le choix de l'aléa de référence n'est pas normalisé. Cette idée, dans son principe, me semble dangereuse. Le rédacteur de la Cour déclare que « l'efficacité des plans dépend du choix de l'aléa de référence, la règle de la fréquence au minimum centennale ou la plus forte crue connue n'est pas systématiquement retenue pour les inondations pleines ; elle est manifestement inappliquée à Agen où l'aléa est simplement tricennal pour le quartier le plus exposé ». Il me semble que prendre un aléa correspond à considérer deux paramètres : la vitesse du phénomène (quelque chose qui arrive en quelques heures ou une nuit n'a rien à voir avec quelque chose qui monte durant plusieurs jours) et la nature du risque pour les biens ou les personnes. Ces paramètres permettent, à mon sens, de définir un aléa de référence. Ainsi, en fonction de la présence de certains biens, une fréquence peut être retenue. En fonction de ces deux phénomènes, nous pouvons définir les aléas de référence. La Cour cite, dans son rapport, l'exemple des Pays-Bas. Ce pays, très vulnérable aux tempêtes sur la mer du Nord, a pris pour hypothèse une fréquence de tempêtes de 10.000 ans afin de se protéger. En citant cela, je ne peux pas m'empêcher de penser que le problème auquel nous faisons face est totalement différent. Si un polder est submergé, il s'érode et la mer envahit immédiatement l'ensemble de la zone à une hauteur de plusieurs mètres. Aucune évacuation n'est possible et le phénomène pourrait provoquer la mort de milliers de personnes. Je comprends dans ce cas-là que la référence soit de 10.000 ans mais il serait absurde de prendre une base identique pour la Somme. Concernant le rapport de la Cour des Comptes, ce point m'apparaît devoir être grandement modulé. J'estime qu'il faut se défier de normes en la matière et prendre en considération la capacité d'évacuation, la vitesse du phénomène et la nature du risque.

M. le Président - Il faut nécessairement procéder à une analyse au cas par cas.

M. Paul Vialle - Je considère, en effet, que l'étude au cas par cas est primordiale. Après de telles analyses, le fait que nous disposions de quelques normes générales stipulant que dans le cas d'un risque sur les personnes, il ne faut pas prendre davantage de risques au cours d'un certain nombre de centaines d'années, me paraît logique. Toutefois, il ne faut pas procéder de la sorte d'une manière générale. En fonction de cela, le choix de l'aléa de référence ne saurait être uniforme.

M. le Président - Je me permettrai de poser une question indiscrète qui est susceptible d'intéresser mes collègues. Quand la Cour établit un rapport de ce genre, vous interroge-t-elle ?

M. Paul Vialle - Chaque corporation a ses défauts. La corporation du Génie rural doit en avoir davantage que les autres. Je me suis permis de pointer l'élément qui me semblait être un risque de dérive majeur. J'estime qu'un certain nombre de points sont pertinents, et que de nombreux éléments peuvent faire l'objet d'amélioration. Cependant, dans le domaine de l'eau, l'organisation est probablement complexe, mais les contacts sont bons entre l'ensemble des acteurs. En règle générale, la coordination existe au niveau interministériel et local, qu'elle soit formelle ou informelle. J'estime que l'eau n'est pas un domaine dans lequel l'action publique est incohérente. Depuis 1964, des coordinations très fortes existent, chaque loi et gouvernement les renforce.

M. Jean-François Picheral - Si nous comprenons bien, M. le Préfet a donné un avertissement en janvier 2001. Néanmoins, un silence total s'est instauré jusqu'au mois de mars. Je pense que les interrogations portent sur la prévention, comme M. le Rapporteur l'a souligné. Le Préfet a fait un effort de coordination puis il semblerait que tout le monde ait constaté que la Somme était très haute mais que cela ne se traduise pas par la moindre action, et ce jusqu'à ce que nous arrivions à la situation à la fin du mois de mars.

M. Hilaire Flandre - J'évoquerai une expérience vécue. Dans nos départements, les Ardennes, nous avons la chance ou la malchance de connaître des crues plus fréquentes. Des avertissements de crues sont diffusés dans la presse, en disant qu'une crue surviendra dans telle rivière. Les citoyens, qui sont prévenus, prennent les précautions d'usage. Ils bougent leurs meubles et ne laissent pas leur véhicule dans la rue. Si d'aventure la crue n'intervient pas, les citoyens ne prendront pas leurs dispositions à l'occasion de la prochaine alerte. Mais si la crue se produit, ils considèrent ne pas avoir été suffisamment prévenus. Par conséquent, il est très difficile de prévenir. Toutefois, nous ne pouvons pas avoir de risque-zéro dans ce domaine. Il est important de prévenir les populations et prendre les précautions d'usage. Même à Fontaine-sur-Somme, un certain nombre de dommages auraient pu être évités en mettant les meubles à l'étage.

M. le Président - Si l'événement avait été prévu, il est évident que les biens du village auraient pu être déménagés en trois jours. Il y a assez de bonne volonté de camionneurs dans la Somme pour que l'ensemble des biens soit mis à l'abri et revienne dans deux mois.

M. Michel Souplet - La population aurait-elle cru aux signaux d'alerte ?

M. le Président - Non.

M. le Rapporteur - Je souhaiterais vous livrer une expérience vécue familialement. Mon cousin habite Mareuil-Caubert, qui a également été inondée. Lorsque l'eau a atteint son domicile, il a entouré sa propriété d'un mur en parpaing d'une hauteur d'1,5 mètre.

M. Michel Souplet - Nous avons vu cette installation lorsque nous sommes passés en autobus.

M. le Rapporteur - En effet. En plus du mur en parpaing d'1,5 mètre, il a disposé huit pompes sur son terrain, ce qui a permis d'éviter que l'eau ne pénètre dans sa maison. Il avait pris ses précautions, ce dont je peux témoigner puisqu'il a déménagé l'ensemble de ses meubles chez moi. Il n'a pas été inondé car il a mis huit pompes entre son mur en parpaing et sa demeure. Lorsqu'une pompe s'arrêtait, une sonnerie l'en avertissait et ce durant un mois. Il faut reconnaître qu'il était sur le point de devenir fou.

M. Paul Raoult - Tout le monde ne peut procéder de la sorte.

M. Jean-François Picheral - Je suis un homme du midi. Pour ce qui concerne les feux, la sécurité civile joue un rôle très important dès qu'un mistral est annoncé. Les maires, les conseils municipaux sont mis en état d'alerte dès que l'on prévoit un fort mistral et une sécheresse. Il semble que, dans le cas qui nous intéresse, le Préfet ait été prévenu et ait diffusé l'information mais que personne n'est pour autant réagi. Il faudrait que la sécurité civile fasse la coordination de l'ensemble des acteurs ayant renseigné le Préfet.

M. le Président - Certes, mais la situation est tellement imprévisible.

M. Jean-François Picheral - La sécurité civile existe en France, alors servons nous de cet organe.

M. le Rapporteur - Avez-vous l'expérience d'autres crues de nappes, en France, voire ailleurs ? En toute circonstance, il faut aller chercher les bonnes réflexions ou solutions là où elles se trouvent.

Par ailleurs, l'on évoque la crue décennale ou centennale, mais rien ne dit qu'à l'automne prochain, la situation que nous avons connue ne va pas se reproduire. Si la pluviométrie est assimilable à celle de l'an dernier, quelles seraient les solutions pour essayer de faire face ?

M. Paul Vialle - Je répondrai tout d'abord au second point que vous avez évoqué. Effectivement, nous savons que la nappe fluctue au cours de l'année entre un point bas à l'entrée de l'automne et un point haut atteint au printemps. Il convient en outre de tenir compte des phénomènes de stockage qui se traduisent par des minimums qui sont susceptibles d'être différents d'une année sur l'autre. Dès lors, nous pouvons imaginer que le minimum que nous constaterons cet automne risque d'être plus élevé que celui de l'an dernier. Par conséquent, il me semble qu'il est primordial de mettre en oeuvre un plan de surveillance ou de coordination. Mes propos sont une lapalissade, mais il s'agit de déterminer la modélisation très simple qui peut être effectuée et quel système d'alerte peut être prévu. Je n'ose évoquer les précédents des exercices d'incendies. Si un événement surgissait, que ferait-on ? Les uns et les autres sont prévenus.

S'agissant de votre première question, je répondrai en mon nom personnel et en toute modestie. Lorsque mon collègue, qui est chargé de constater ce qu'il s'est passé dans la Somme, a répondu à mes interrogations en évoquant la crue de nappe, je dois avouer que je lui ai demandé de me fournir une définition de ce phénomène. Je vous l'indique en toute franchise.

M. Jean-François Picheral - Dans votre esprit, une crue de nappe est rarissime.

M. Hilaire Flandre - Il est rarissime que l'eau émerge du sol dans la Somme.

M. Michel Souplet - Dans de nombreuses régions de France, nous constatons des crues de nappe extraordinaires. Ainsi, dans l'Oise, nous n'avions jamais vu de mémoire d'homme des caves de huit mètres de profondeur qui sont encore remplies d'eau, et nous ne savons pas ce qu'il se passera lorsque l'eau se retirera. En Normandie, aux alentours de Caen, l'autoroute est inondée ou finit de l'être alors que cela ne s'était jamais produit.

M. Jean-François Picheral - Il s'agit tout de même de la même région de France.

M. le Président - Nous pouvons nous interroger, nous le verrons avec d'autres spécialistes et je ne souhaite pas déflorer le sujet. Pourquoi une telle pluviométrie a-t-elle été observée sur l'Ouest de la France ?

M. le Rapporteur - Les fluctuations sont au niveau de la nappe. En 1994, Vimieu était inondée par l'eau débordant de la nappe. En 1998, il était interdit de laver les voitures en raison d'une pénurie d'eau. En 2001, les nappes débordent à nouveau. Or le BRGM m'a signalé que la nappe a été modifiée de plus de 17 mètres en six mois. Une hauteur de 17 mètres correspond à un immeuble, ce qui est difficile à croire mais ne peut être mis en doute. Il va de soi que des fluctuations aussi rapides dans le temps suscitent l'interrogation.

M. Michel Souplet - Il est vrai que l'on nous a indiqué une hauteur de 17 mètres, ce qui nous a marqués. Lorsqu'il s'agit de 17 mètres sur un terrain en craie, cela signifie qu'il n'y avait pas d'espace vide et que la craie a fait un mouvement d'éponge et a absorbé ces montées. Ce phénomène serait susceptible d'expliquer que le niveau soit monté rapidement mais pourrait, réciproquement, expliquer que cela puisse descendre relativement vite. Il est inquiétant que nous ne soyons pas capables de savoir, dans le cas d'un retour de fortes pluviométries au cours de l'automne prochain, quelle sera l'incidence. Personne n'a été en mesure de nous répondre sur ce problème. Pour ce qui concerne la Somme, il est possible que des mesures soient mises en place de manière à évacuer les personnes plus rapidement. Il convient d'espérer que de telles mesures soient effectivement mises en oeuvre.

M. le Président - Nous assimilons la vitesse à laquelle l'évacuation peut être réalisée. Dans ces pays plats, il faut pomper, il n'y a pas d'autre alternative.

M. Hilaire Flandre - L'exemple des Hollandais nous montre que c'est possible.

M. le Président - Nous nous rendrons en Hollande dans deux mois. La défense contre la mer et contre l'eau mobilise de nombreux efforts.

M. Paul Vialle - Nous ne sommes pas confrontés à un phénomène similaire.

M. Hilaire Flandre - L'eau qui reste actuellement dans la Somme provient de la surface.

M. Paul Vialle - L'évacuation en baie de Somme est un problème différent. Je me souviens, dans mon jeune temps, avoir modélisé, dans le Marquenterre, qui n'est pas éloigné de la zone considérée, des portes à la mer afin d'évacuer des systèmes de crues. Les modèles sont aujourd'hui courants.

M. Paul Raoult - Cela existe déjà dans la plaine maritime flamande. Toutefois, la Somme n'a pas été aménagée comme la plaine maritime flamande.

M. Paul Vialle - Si vous me permettez une ultime intervention, je souhaiterais attirer votre attention sur un point important. Il s'agit de l'indemnisation des catastrophes naturelles et des assurances. Le système d'assurance est élaboré afin que le bénéficiaire n'en ait pas un avantage indu. Fort justement, dans la majorité des cas, les assureurs demandent la reconstitution de l'état initial. Cette règle est compréhensible. Dans le cas présent d'inondations et le problème surgit régulièrement dans d'autres régions de France, je crois qu'il serait important d'obtenir de la part des assureurs un degré de liberté pour que l'on ne reconstitue pas à l'identique si, par hasard, il est possible de réduire le risque, au même coût, en faisant quelque chose de différent. A titre d'exemple, si l'installation électrique a été touchée, il serait envisageable de disposer les prises de courant à un mètre de hauteur pour éviter le prochain risque. De multiples mesures permettraient, si malheureusement une telle situation venait à se reproduire, ce que personne ne souhaite, de réduire le risque de départ.

M. le Président - Nous pouvons élaborer une préconisation de ce type.

M. le Rapporteur - Nous disposons d'ores et déjà des réponses des assureurs. En effet, ces derniers nous ont indiqué qu'ils ne seraient pas favorables à de nouvelles constructions, si tant est qu'elles prennent place. Cela créera certains soucis car il est fort possible que certaines maisons ne puissent être réhabilitées.

M. Paul Vialle - Il me semble que le point majeur consiste à aller vers une réduction du risque. En effet, chaque fois qu'il est possible de diminuer le risque à coût identique, même si des mesures législatives sont nécessaires, cela mérite, à mon sens, d'être examiné. Les fonds relèvent des catastrophes naturelles. Par voie de conséquence, le législateur peut intervenir. Les assureurs, me semble-t-il, ne doivent pas être les seuls à exprimer leurs préoccupations. Il est possible de faire valoir d'autres préoccupations, qui sont extrêmement légitimes.

M. le Président - Notre règle permanente de reconstruction à l'identique pourrait ne pas automatiquement s'appliquer dans ces conditions.

M. Paul Vialle - Dans le cas d'une maison complètement détruite mais qui pourrait être reconstruite ailleurs à un coût identique, les assureurs sont très choqués mais je considère que le bon sens en sortirait gagnant.

M. le Président - Je vous remercie pour votre dernière intervention. Je vous propose, mes chers collègues de clore cette audition. M. Vialle, je tiens à vous remercier et à vous indiquer que nous allons essayer de traduire vos propos.

M. Paul Vialle - Je puis vous assurer que mes collègues ont été durement mobilisés cette année, dans l'Aude, en Bretagne et dans d'autres régions de France.

3. Audition de M. Jean-Pierre Besson, président directeur général de Météo France, accompagné de MM. Philippe Courtier et Olivier Mock, directeurs généraux adjoints de Météo France, de M. Pierre Bessemoulin, directeur de la climatologie de Météo France et M. Jean Soulier, responsable du centre départemental de la Somme de Météo France (30 mai 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui M. Jean-Pierre Besson, président directeur général de Météo France, accompagné de MM. Philippe Courtier et Olivier Mock, directeurs généraux adjoints de Météo France, de M. Pierre Bessemoulin, directeur de la climatologie de Météo France et de M. Jean Soulier, responsable du centre départemental de la Somme de Météo France.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Jean-Pierre Besson, Philippe Courtier, Olivier Mock, Pierre Bessemoulin et Jean Soulier .

Nous accueillons M. Jean-Pierre Besson, qui est président de Météo France. Le plus simple, puisque vous êtes plus nombreux que ce qui était indiqué sur nos fiches de références serait que vous nous présentiez vos collaborateurs.

M. Jean-Pierre Besson - Olivier Mock est directeur général adjoint et a en charge les questions de rapport avec l'Etat, des missions institutionnelles de l'établissement et des questions internationales. Philippe Courtier est directeur général adjoint, en charge de la coordination de l'ensemble de nos directions interrégionales et de nos centres départementaux, ainsi que du développement de Météo France. En outre, sur le plan scientifique, Philippe Courtier est un éminent spécialiste de la modélisation numérique mais occupe d'autres fonctions. M. Pierre Bessemoulin est directeur de la climatologie. Il est présent afin de répondre à l'ensemble de vos questions concernant les références et l'éventuel aspect exceptionnel des inondations de la Somme. M. Jean Soulier est responsable du centre départemental de la Somme. Il est possible que vous l'ayez d'ores et déjà rencontré.

Nous sommes venus nombreux car nous considérons que le sujet est extrêmement important. D'une part, il s'agit d'un événement tout à fait exceptionnel. D'autre part, nous nous sommes sentis solidaires des personnes qui se sont retrouvées dans des situations catastrophiques. Comme la cause en est météorologique, nous nous sentons proches de ces populations. De plus, cet événement vient, une fois de plus, conforter notre propos selon lequel le système français de surveillance des crues et d'alarme des populations ne fonctionne pas correctement. Nous pensons que nous pouvons, à cet égard, apporter quelques réflexions qui peuvent être utiles afin d'améliorer ce système. Tel est le message que je souhaiterais vous soumettre, étant entendu que nous répondrons à l'ensemble de vos questions. Notre formation sera, je l'espère, apte à répondre à toutes vos interrogations.

Je tiens à préciser que Météo France a été créée par le biais du décret du 18 juin 1973. Ce décret comporte, dans son article premier, une description de la mission de Météo France, qui se doit d'observer l'atmosphère, l'océan superficiel et le manteau neigeux afin d'en prévoir les évolutions et de diffuser les informations correspondantes. Météo France n'a donc pas vocation à observer les rivières et les cours d'eau. Nous sommes responsables de la pluie, jusqu'à ce qu'elle ait atteint le sol. Ceci correspond à une certaine logique dans la mesure où les phénomènes de crues ne sont pas seulement issus d'un phénomène météorologique. L'effet que peut avoir une certaine quantité de pluie tombée sur le sol dépend également de l'état et des caractéristiques du bassin, et en la circonstance, de l'état de la nappe phréatique. Les inondations sont dues, comme chacun le sait, non seulement au phénomène de crue de type classique mais également à la remontée des nappes phréatiques. En outre, s'additionne un phénomène de hauteur des marées. Par conséquent, le phénomène a été particulièrement complexe.

Que Météo France n'ait pas une compétence entière sur le sujet n'est pas illogique en soi mais, au regard de l'évolution, nous considérons que nous sommes en mesure d'apporter des informations supplémentaires à celles qui nous sont aujourd'hui demandées. Un réel progrès doit être réalisé en matière de gestion des crues. Il est symptomatique de noter que les services d'annonce des crues ne sont pas des services de prévisions des crues. Dans la terminologie même, nous constatons que l'appellation des services officiels chargés de ces questions n'a pas intégré les progrès qui sont intervenus, et qui permettent non seulement d'annoncer ce qu'il se passe mais également de prévoir ce qu'il va se passer. A fortiori, lorsque l'on regarde le département de la Somme, nous constatons qu'il n'existe pas de service d'annonce des crues. La Somme n'est pas couverte par un service d'annonce des crues.

M. le Président - C'est effectivement le cas.

M. Jean-Pierre Besson - Il s'agit d'un fait. Le message que je souhaite vous délivrer sera bref, afin que nous puissions répondre à vos questions.

Notre analyse est la suivante. Deux grands types de flux sont constatés.

Les crues soudaines sont très fréquentes dans le Sud-Est de la France mais également en Normandie.

Les crues plus longues de grand bassin sont identiques à celle que nous avons observée dans le cas de la Somme.

Dans les deux cas, un lien s'établit avec l'approche météorologique. Dans le cas des crues soudaines, ce lien est évident dans la mesure où l'aspect dominant de ces crues est la forte quantité de pluie qui tombe dans un temps très court sur un bassin dont les caractéristiques sont telles que la pluie provoque une crue soudaine. L'aspect dominant de ce type de crue est incontestablement un aspect météorologique. De ce point de vue, la compétence en matière de prévision est essentiellement du ressort de la météorologie. Concernant les progrès qui sont d'ores et déjà constatés, le réseau radar que nous avons fortement développé et que nous continuons à développer sur l'ensemble de la France en densifiant le réseau, permet non seulement d'alerter sur le fait que des pluies vont se produire mais également de quantifier le phénomène. Des logiciels, mis en place par Météo France ou par des concepteurs privés, permettent de doter les services de surveillance des crues d'un outil permettant d'aller au-delà de l'alerte et de quantifier la lame d'eau (soit la quantité d'eau qui va tomber). Les progrès à venir porteront sur la détection anticipée de ce phénomène et reposeront sur la détection des phénomènes, en particulier la caractérisation de la couverture nuageuse et la détection d'un certain type de nuages capables de se traduire par des phénomènes de convention et de précipitations extrêmement fortes. Ceci va reposer essentiellement sur l'utilisation des nouveaux instruments satellitaires. Un nouveau satellite météorologique européen, Météosat seconde génération, sera lancé dans les mois qui viennent et sera opérationnel à la mi-2003. Il comporte un nouvel outil qui permettra de détecter ces phénomènes nuageux susceptibles d'être dangereux. Je simplifierai en vous indiquant que cet outil s'accompagne de nombreuses avancées dans d'autres domaines. Ainsi, une organisation dite de prévision immédiate est actuellement mise en place. Il s'agit de déterminer ce qu'il se passera au cours des quatre prochaines heures et quelle quantité de pluie est susceptible de tomber entre 13 heures 30 et 14 heures 25. Nous procédons d'ores et déjà de la sorte pour Roland-Garros et étendrons ce type de système grâce à l'organisation que nous mettons en place et grâce aux instruments que je vous ai précédemment cités. Cela est directement lié à des outils météorologiques. Nous ne voyons pas d'objection à ce qu'ils soient mis en place par les services d'annonce des crues, mais il n'en demeure pas moins que les outils qu'ils utilisent vont reposer sur ces nouvelles possibilités ouvertes par les progrès de la technologie et de la science, qui sont, il faut le reconnaître, entre les mains de Météo France aujourd'hui.

En ce qui concerne les crues plus lentes, les crues de bassin, les phénomènes qui interviennent sont beaucoup plus complexes. L'aspect météorologique demeure extrêmement important dans la mesure où la pluie provoque les inondations. Toutefois, beaucoup d'autres phénomènes interviennent, notamment l'état des sols, l'interférence entre les sols et les types de végétations, la nappe phréatique comme tel a été le cas dans la Somme et le niveau de la mer. Par conséquent, la connaissance de la pluviométrie ne saurait suffire, il est nécessaire d'y apporter des connaissances plus proprement hydrologiques. En tout état de cause, il est certain que, dans les prochaines années, la véritable capacité à prévoir les inondations sur les grands bassins reposera sur la modélisation de l'atmosphère, tout comme la prévision météorologique repose sur cette même modélisation. En entrant autant de données que possible sur l'état initial de l'atmosphère, à partir des lois de la thermodynamique des flux, nous prévoyons son évolution. Ce type de simulation devra être appliqué en matière hydrologique et nous avons, sur ce point, engagé des travaux d'ordre scientifique qui sont très prometteurs. Nous avons travaillé sur la simulation des phénomènes de flux hydrologiques sur le grand bassin du Rhône ainsi que sur le grand bassin de la Garonne. Nous tenons compte non seulement des phénomènes météorologiques mais également hydrologiques (du niveau de la couche des neiges, de l'effet de la fonte nivale, de la nature des sols, de la nature de la couverture végétale sur les différents sols...) à partir d'un certain nombre de logiciels que nous imbriquons les uns aux autres. Les simulations font montre d'une bonne fiabilité et d'un bon réalisme lorsque nous confrontons les résultats obtenus à la situation constatée, aussi bien dans le flux de l'ensemble de l'année que dans les flux quotidiens. L'analyse réalisée sur le bassin du Rhône a été transposée sur la Garonne. Les travaux sur ce dernier fleuve fonctionnent correctement, le résultat est très prometteur sur les grands bassins, mais il reste de nombreuses avancées à réaliser sur les petits bassins. Quoi qu'il en soit, au cours des prochaines années, ce type d'outils permettra de progresser. D'autres méthodes, consistant à relier le passé et la situation présente, sont aujourd'hui quelque peu obsolètes. Il est indispensable d'intégrer un grand nombre d'éléments dans le calcul, ce qui peut être réalisé par un outil de simulation de prévision numérique. Notre message consiste à affirmer qu'il faut réfléchir et qu'il sera indispensable de tenir compte, d'un moyen ou d'un autre, des outils et des compétences existantes. Nous estimons que ces outils peuvent prendre différentes formes. Nous considérons qu'un grand progrès serait envisageable en tenant compte d'une idée reprise à l'occasion des retours d'expérience des inondations de l'Aude, dirigée, me semble-t-il par M. Claude Lefrou. Cette idée consiste à dire qu'un centre hydrologique national devrait être mis en place. Il s'agit d'un centre d'appui qui apporterait les outils et aurait une mission opérationnelle pour la prévision à venir tout en fournissant un soutien aux services délocalisés et centralisés existants. Nous considérons que ce centre hydrologique devrait être agrégé autour de l'aspect météorologique, qui est le plus complexe, en y additionnant des compétences hydrologiques, qui ne sont pas du ressort de Météo France. Il serait sans doute plus aisé d'agréger un certain nombre de compétences hydrologiques à un ensemble assez large et vaste.

En outre, je tiens à souligner un autre élément important. Il faut reconnaître aujourd'hui que les services d'annonce des crues, dont certains fonctionnent très bien et ont acquis de nombreuses compétences, ont le désavantage de ne pas être des services permanents. La cellule est mobilisée lorsque l'on pense qu'une crue est susceptible de se produire. Dès lors, au sein de la DDE, un certain nombre de techniciens sont affectés à ce service. Toutefois, le service d'annonce des crues n'est pas un service opérationnel fonctionnant 24 heures sur 24. L'unique service opérationnel travaillant 24 heures sur 24, présent dans l'ensemble des départements français est Météo France. De notre point de vue, il s'agirait d'un élément supplémentaire pour réfléchir à cette question.

M. le Président - Je vous remercie. Réagissons-nous immédiatement à votre exposé en vous posant des questions ? Nous pourrions procéder de la sorte à moins que les spécialistes qui vous accompagnent aient eux aussi préparé un exposé introductif. Nous pouvons vous accorder quelques minutes.

M. Jean-Pierre Besson - M. Pierre Bessemoulin pourrait répondre aux questions numéro 7 et 8 que vous nous avez soumises. Quels sont les mécanismes qui déterminent l'évolution du climat à long terme ? Peut-on parler d'un réchauffement climatique ? Quelles en sont les causes ? Quelles en sont les conséquences ?

M. Pierre Bessemoulin - Concernant les modalités du réchauffement climatique, je rappelle tout d'abord que le climat de la terre est piloté en grande partie par la position de la terre par rapport au soleil. Sans rentrer dans le détail, je vous indiquerais trois paramètres essentiels :

- l'excentricité de la trajectoire terrestre ;

- le phénomène de précession des équinoxes ;

- la variation d'inclinaison de l'axe de la terre par rapport au plan de la trajectoire.

Tous ces phénomènes modulent les épisodes chauds et froids. Chaque trajectoire a une valeur quasiment circulaire et module les grandes glaciations tous les 100.000 ans. L'utilisation de cette théorie astronomique des climats, qui s'applique extrêmement bien aux climats anciens reconstitués à partir des archives climatiques, nous permet de réaliser des prévisions. Ces dernières indiquent que nous avions atteint un optimum chaud il y a 5.000 ans, et que le retour à une petite glaciation devrait intervenir dans 6.000 ans. Nous observons, depuis l'an 1000 jusqu'à la fin du XIXe siècle, une décroissance régulière de la température globale de la terre. Puis, à l'ère industrielle, nous constatons que le phénomène s'inverse. Il existe également un consensus international s'accordant à dire que la tendance à la hausse est essentiellement imputable à l'activité humaine, au gaz à effet de serre. De plus, nous avons assez clairement évalué d'autres influences comme l'activité solaire, qui a eu une importance par le passé, notamment au XVIIe siècle durant l'épisode du petit âge glaciaire, au cours duquel l'activité solaire était quasiment nulle, provoquant des périodes froides. Toutefois, nous savons qu'au cours des cinquante dernières années, ce phénomène est de second ordre.

Nous disposons de modèles de circulation générale utilisés dans le mode de prévision climatique. Par ce biais, nous sommes en mesure de déterminer les climats des 150 dernières années. Les derniers résultats suggèrent que ces modèles ne sont capables de reconstituer le climat des 150 dernières années qu'à condition d'utiliser l'évolution des teneurs en gaz à effet de serre et des aérosols, dont l'effet est inverse au précédent. Si nous considérons ces éléments, avec les concentrations adéquates, nous disposons d'une reconstitution correcte du climat. Je vous rappelle qu'il existe trois phases :

- une phase de croissance de la température jusqu'à la guerre ;

- une phase de légère décroissance due en particulier à la croissance économique et au recours à une technologie n'étant pas forcément propre ;

- une phase de forte croissance, enclenchée depuis la fin des années 60 ou 70.

A l'échelle globale, le chiffre donné est de 0,6° d'augmentation sur le siècle. Il convient de signaler que ce chiffre recouvre de fortes disparités géographiques. Ainsi, en France, le chiffre est différent selon que l'on considère les températures minimales, maximales ou moyennes. A titre d'exemple, pour les températures minimales, il s'établit à 0,6° dans le Nord, ce qui est proche du chiffre global, mais s'élève, en revanche, à 1,2° ou 1,3° dans le Sud. L'augmentation des températures minimales a eu un effet très important dans la mesure où elle s'est traduite, en particulier, par la réduction drastique du nombre de jours de gel. A cela s'ajoute un effet qui commence à être visible sur les durées d'enneigement.

Par ailleurs, je tiens à vous signaler que nous avons récemment publié des cartes du réchauffement climatique en France.

M. le Président - Je vous remercie. Nous changeons de sujet.

M. Jean-Pierre Besson - Je souhaiterais revenir sur la structure de Météo France. Je vous ai indiqué ses missions. Nos effectifs s'établissent à 3.700 personnes. Météo France est présente dans chaque département de France et d'Outre-Mer. Ce choix est politiquement fort dans la mesure où les progrès de l'automatisation et de la modélisation numérique -nous disposons d'un modèle portant sur sept kilomètres-, nous permettrait de concevoir une concentration de notre organisation. Dans le cadre des grandes réflexions que nous avons menées sur le schéma directeur de la prévision, nous avons clairement affirmé que nous considérions que la présence locale est un élément important de notre efficacité. Nous sommes un service de proximité. Pour l'essentiel, la sécurité intervient au niveau du département. Dès lors, nous n'imaginions pas nous retirer de l'échelon départemental, même si, sur le plan technique, nous pourrions considérer que nous pourrions procéder différemment. En matière de météorologie, la plupart des pays européens ont concentré de manière extrêmement forte leur localisation et se sont centrés sur un centre unique de prévision nationale, ou sur un centre national et quelques centres régionaux. Je signale, puisque l'occasion m'est donnée, que cette organisation nous pose de nombreux problèmes de coordination. En effet, nous disposons de trois échelons : national, régional et départemental. Toutefois, nous avons mis en place des procédures afin de palier ce problème. J'estime que notre système fonctionne correctement sur ce point de vue particulier. En effet, le contrôle automatique de la qualité des prévisions montre que la prévision au niveau local est enrichie pour les échéances prochaines et de manière plus particulière dans les zones côtières, littorales ou les reliefs dans la mesure où les phénomènes locaux ont une importance particulière.

Concernant le réseau d'alerte météorologique et les instructeurs de Météo France, nous avons conclu des conventions avec les différents services de l'Etat :

- la protection civile pour les catastrophes de type météorologique ;

- la Direction de l'Eau pour les services d'annonce des crues.

Ces conventions datent de 1995 et s'appuient sur des circulaires interministérielles. Elles nous engagent, lorsque certains seuils sont franchis pour différents paramètres météorologiques (vent, précipitations...), à envoyer des messages d'alerte aux services officiels. En ce qui concerne les crues, nous réalisons des bulletins d'alertes de précipitations (BAP). S'agissant du département de la Somme, ces BAP doivent être envoyés lorsque le seuil de 20 millimètres sur 24 heures est franchi ou quand un seuil de 30 millimètres en 48 heures est atteint. Pour ce qui concerne le vent, la neige ou d'autres phénomènes météorologiques, nous fournissons un bulletin régional d'alerte météorologique (BRAM) au Ministère de l'Intérieur.

En la circonstance, il n'y a pas l'ombre d'un problème quant à l'exercice des missions qui nous ont été confiées, ce qui n'est pas toujours le cas. Nous avons émis de nombreux BAP, qui n'ont pas concerné le bassin de la Somme. En effet, nous ne savions pas où envoyer ces documents dans la mesure où la Somme ne dispose pas d'un service d'annonce des crues.

M. Soulier vous fournira l'ensemble des BAP qui ont été publiés et envoyés par la Direction départementale. Dès le mois de janvier, nous avions demandé au centre départemental un rapport de catastrophe naturelle compte tenu des fortes précipitations qui ont marqué cette région, comme de nombreuses régions de France, depuis le mois d'octobre. En effet, la pluviométrie était plus du double des normales saisonnières. Dès le mois de janvier, un rapport a été demandé concernant les conséquences de ces pluies. Ce rapport laissait clairement entendre qu'il existait un risque réel d'inondation. De manière assez paradoxale, le mois de février a, en revanche, affiché des résultats en dessous des normales.

M. Pierre Martin, Rapporteur - Monsieur le Président, je me permettrai de vous poser une question concernant le rôle que vous avez joué dans la Somme. Vous n'avez pas l'entière responsabilité, comme vous l'avez déclaré, dans la mesure où vous ne disposez pas de l'entière compétence en la matière. Vous avez transmis vos informations. S'il n'existait pas de cellule dans la Somme pour les recevoir, il n'en demeure pas moins qu'au niveau national, vous avez fourni ces informations. Vous serait-il possible de nous indiquer quelles sont les informations concrètes que vous avez données ? A quel moment les avez-vous fournies ?

M. le Président - Existe-t-il une corrélation entre lesdites informations et les annonces téléphoniques du 36.68 ? Sommes-nous correctement informés lorsque nous composons le 36.68 quotidiennement ?

M. Jean-Pierre Besson - Oui, bien entendu.

M. Soulier - Les bulletins régionaux météorologiques ou d'annonces de pluie sont répercutés, en règle générale, en début de bulletin. Lorsque vous composez le 36.68, qui est aujourd'hui le 36.92, le bulletin d'annonce ou d'alerte est mentionné. Ces bulletins sont réalisés par le centre météorologique interrégional de prévision. Notre rôle consiste à répercuter les informations transmises.

M. le Rapporteur - Pourrions-nous disposer des annonces qui ont été diffusées ?

M. Jean-Pierre Besson - Nous vous avons apporté l'ensemble des bulletins d'alerte de précipitations qui ont été émis au cours de la période et qui ont été transmis à la Direction de l'Environnement du Pas-de-Calais.

M. le Président - La DIREN Picardie a-t-elle reçu ces informations ?

M. Paul Raoult - La Direction est située à Lille.

M. Jean-Pierre Besson - Tout dépend du bassin. En fonction du bassin, nous déterminons les destinataires des BAP que nous sommes tenus d'envoyer. Par conséquent, nous adressons les documents portant sur les bassins considérés aux destinataires indiqués. Ainsi la DIREN Pas-de-Calais reçoit les informations relatives au bassin de la Ganne.

M. Paul Raoult - Pour quelle raison cette même DIREN reçoit-elle les BAP concernant la Somme ?

M. Jean-Pierre Besson - La Somme n'est pas couverte par un service d'annonce des crues.

M. le Président - La Somme est un petit territoire autonome n'ayant jamais subi d'inondation.

M. Paul Raoult - Il est important d'être aussi précis que possible. Vous déteniez une information et vous nous avez indiqué qu'il n'existait pas de service d'annonce des crues. Dès lors, que faisiez-vous de cette information ?

M. Philippe Courtier - Concernant les endroits couverts par des services des crues, nous appliquons une procédure ordinaire pour envoyer ces bulletins. La Somme n'est pas couverte par un service d'annonce des crues.

La préfecture a pris contact avec Météo France dès que les problèmes ont surgi. Monsieur Soulier pourra confirmer et expliquer dans le détail cet élément. Au-delà de ces premiers contacts, une cellule de crise a été mise en place. Nous avons, bien entendu, communiqué les informations quotidiennement.

M. Paul Raoult - Cette procédure s'est enclenchée à l'occasion de la crise. Au départ de la crise, avant même sa réalisation, c'est-à-dire lorsque l'on constate des pluies importantes, que faites-vous de l'information ?

M. Jean-Pierre Besson - L'information sur les niveaux de flux figure dans nos bulletins.

M. le Président - Quel est le destinataire du bulletin afin que l'alerte soit donnée ?

M. Soulier - Le bulletin régional d'annonce météorologique peut couvrir non seulement les pluies mais également d'autres phénomènes. Ces bulletins sont diffusés dans l'ensemble de la zone qui risque de voir des problèmes surgir de ce type de paramètres.

M. Jean-Pierre Besson - Comme je l'ai indiqué précédemment, il existe deux types de messages. Les bulletins d'annonces de précipitations, les BAP, sont spécifiques aux précipitations et, par voie de conséquence, aux risques d'inondation. Conformément aux instructions qui nous sont données et à la convention signée avec le Ministère de l'Environnement en 1995, des règles sont fixées. La convention stipule que lorsque le seuil déterminé par le Ministère est dépassé, nous sommes tenus d'envoyer un message de telle forme au destinataire, qui s'avère être le service d'annonce des crues de la zone. Il n'existe pas de service de ce type dans la Somme. Nous n'avons pas d'instruction selon laquelle nous devons envoyer ces informations au Préfet.

M. le Rapporteur - Quelqu'un doit nécessairement être informé de la situation.

M. Jean-Pierre Besson - Je vous répondrai par la négative. Un BAP est envoyé à un service d'annonce des crues qui nous est indiqué en fonction du bassin. Si le bassin concerné n'est pas couvert, deux possibilités sont offertes. Si le seuil du BRAM est dépassé, le Centre interrégional de coordination de la sécurité civile (CIRCOSC), soit le service régional de la protection civile basé à Lille, reçoit ce document. Dès lors, le Préfet de la zone reçoit le BRAM. Toutefois, se pose un problème lorsque le niveau de pluie se situe entre 20 millimètres et 30 millimètres, selon les instructions qui sont en vigueur, et nous appliquons les instructions que nous recevons...

M. Paul Raoult - Nous ne vous mettons pas en cause mais nous cherchons à comprendre.

M. Jean-Pierre Besson - Je tiens à faire preuve de clarté. Il existe une zone d'ombre. Nous considérons que le système d'alarme officiel est perfectible, notamment en ce qui concerne les crues. En effet, ce système contient des zones d'ombre, ce qui est également vrai pour les vents et les tempêtes. Dès lors, nous avons proposé au plan public, à l'issue des tempêtes de 1999, de remplacer la mécanique qui ne fonctionne pas aujourd'hui dans la mesure où la chaîne publique est trop longue, par un système de carte de vigilance que nous publierons deux fois par jour et de façon régulière. Cette carte serait accessible à tous dans les journaux et gratuite sur Internet. Nous pourrons indiquer qu'un département donné se situe dans l'un des quatre degrés de vigilance.

- Le vert signifie que l'on ne court aucun risque.

- Le jaune reflète qu'il faut faire attention et ne pas s'exposer

- L'orange suggère que la situation est sérieuse.

- Le rouge dénote une situation extrêmement sérieuse.

En principe, nous diffuserons ces informations pour chaque département dès le 1er octobre. Nous sommes prêts depuis longtemps mais le Ministère de l'Intérieur et la Direction de la sécurité civile a souhaité que nous différions la mise en oeuvre de ce dispositif. Nous avons organisé des journées portes ouvertes il y a 15 jours afin d'expliquer le fonctionnement de ces cartes. Il n'est pas nécessaire d'essayer de me convaincre des dysfonctionnements du système actuel, je suis le premier à les reconnaître.

M. Ambroise Dupont - Vous évoquiez le service d'annonce des crues sans pour autant nous indiquer de quelle initiative le service dépend. Qui doit créer ce service d'annonce des crues ?

M. le Président - Je répondrai, a priori, que le Ministère de l'Environnement doit remplir cette tâche.

M. Jean-Pierre Besson - La Direction de l'Eau est responsable du système de l'annonce des crues. Les Préfets sont théoriquement invités par la Direction de l'Eau à indiquer qu'un bassin donné est susceptible de connaître des crues.

M. Paul Raoult - Deux Ministères interviennent dans ce domaine : le Ministère de l'Environnement et le Ministère de l'Intérieur.

M. Jean-Pierre Besson - Ainsi que les Ministères de l'Equipement et de l'Agriculture.

M. le Président - Nos auditions porteront également sur trois Ministres. Je constate que nous ne nous sommes pas trompés.

M. Paul Raoult - Nous souhaiterions disposer de chiffres précis.

M. Philippe Courtier - Nous tenons à vous soumettre un rapport très précis relatant les événements.

M. le Président - Si j'osais, j'indiquerais que la Somme n'a pas été avertie par la faute des gens du Nord.

M. le Rapporteur - Les informations ont été fournies à la région du Nord. Si le bon sens pratique prévaut dans le Nord, la Somme est prévenue. Qu'y a-t-il lieu de faire en la circonstance ? Faut-il prévenir la Somme ? Faut-il conserver ces informations ?

M. Jean-Pierre Besson - Les bassins ont été divisés par zones. Chaque bassin réagit d'une manière particulière. Sachant qu'une information concernant la pluie arrive dans un bassin que l'on ne connaît pas, que souhaitez-vous que nous fassions de cette information ? Le Préfet a eu connaissance des hauteurs de pluie. Très honnêtement, il faut reconnaître que personne ne disposait de la compétence nécessaire dans la mesure où le phénomène concernait les nappes phréatiques. Même si un service d'annonce des crues avait existé, de fait, le problème se serait posé. Le problème de la diffusion des fiches n'est pas essentiel. En revanche, il est indispensable que le destinataire soit capable de déchiffrer et d'utiliser ces informations, ce qui nécessite une connaissance approfondie du bassin, ses particularités, les caractéristiques de la végétation etc. Le vrai problème consiste à s'interroger sur l'inexistence d'un service d'annonce des crues sur le bassin de la Somme.

M. le Rapporteur - Le Ministère de l'Environnement prône le principe de précaution sur un ensemble de points. En la circonstance, nous aurions pu imaginer un principe de précaution.

M. Paul Raoult - Existe-t-il d'autres régions en France qui ne disposent pas d'un service des crues ?

M. Jean-Pierre Besson - A ma connaissance, il existe une cinquantaine de services des crues en France.

M. Soulier - Je souhaitais indiquer que les bulletins d'alerte de précipitations sont destinés aux services d'annonce des crues (SAC). Afin qu'un tel service existe, il faut que la rivière considérée réagisse directement aux précipitations. Or la Somme, par définition, est une rivière qui réagit essentiellement aux phénomènes des nappes, ce qui est, en règle générale, un processus long. Les bulletins d'alerte et de prévisions, qui se basent sur des précipitations de 24 heures à 48 heures, sont inopérants. Telle est la raison pour laquelle ces services n'existent pas et que les bulletins d'alerte de précipitations ne sont pas diffusés dans la Somme.

Je tenais également à signaler que les seuils des BRAM n'ont pas été atteints. Par conséquent, il n'y a pas eu de bulletin d'alerte. Une hauteur de 20 millimètres ou de 30 millimètres est courante. Toutefois, des précipitations de 20 millimètres à 30 millimètres durant trois mois reflètent une situation totalement différente.

M. le Président - La pluie est tombée, sans discontinuer, pendant 26 jours.

M. Paul Raoult - Nous sommes sur des critères de climat méditerranéen et non de climat océanique. Dès lors, le système n'est pas adapté. En effet, 20 millimètres en climat océanique est énorme.

M. Pierre Bessemoulin - Je tiens à vous soumettre le chiffre de la durée de retour des précipitations. A Abbeville, par exemple, la durée de retour en 24 heures sur cinq ans s'établit à 39 millimètres. Nous avons constaté ce processus à une seule occasion. La durée de retour sur deux jours s'élève à 50 millimètres sur cinq ans. Ce chiffre n'est pratiquement jamais atteint. Le seuil de catastrophe naturelle considérée correspond à la fréquence décennale. Les chiffres sont de 44 millimètres sur 24 heures et de 56 millimètres sur 48 heures. Nous ne disposons pas de ces chiffres sur le terrain, ce qui corrobore les propos tenus précédemment. Les précipitations individuelles au jour le jour ne sont pas problématiques, mais le cumul était inquiétant.

M. le Président - Vos statistiques suggèrent qu'il s'agit de précipitations estivales. J'habite la région et j'ai été témoin d'orages provoquant des pluies de 45 millimètres, mais nous ne constatons pas de telles précipitations au cours de l'hiver. Vos chiffres portent sur une période de cinq années. La pluviométrie d'hiver vient compliquer le dossier.

M. Pierre Bessemoulin - Les durées de retour prennent en compte l'ensemble des données.

M. le Président - Certes, mais le dossier est aggravé par les fortes pluviométries hivernales.

M. le Rapporteur - Monsieur Soulier, Monsieur Vialle a évoqué en début d'après-midi le bassin versant de 5.500 km 2 . Il me semble que l'un de vos collègues a mené une étude afin de démontrer ce que cela représentait et que les résultats qu'il a obtenus sont impressionnants. Il serait déplacé d'affirmer que le bassin versant ne compte pas, en quelque sorte, et que seules les marges sont importantes.

M. le Président - Concernant l'amélioration du système, il convient de signaler que le Ministère de l'Environnement a décidé de quadriller la France il y a peu de temps. A quelle date le quadrillage des bassins a-t-il été introduit ?

M. Jean-Pierre Besson - La décision a été prise en 1995.

M. le Rapporteur - Vous nous indiquiez, me semble-t-il, que les mesures que vous avez réalisées laissaient présager cette crue. Si la pluviométrie laissait envisager cette crue, l'alerte a été fournie à un acteur. Quelles sont les conséquences concrètes de cette annonce ?

M. Soulier - Si nous comparons la situation avec celles constatées en 1994 et 1995, nous observons des phénomènes identiques dès le mois de décembre et janvier sur certains secteurs, notamment sur les côtes que vous connaissez.

M. le Président - Il s'agit de Vron et de Bernaville.

M. Soulier - Neuf secteurs sont concernés : Fontaine-sur-Somme, Vron, Bernaville, Abbeville, Amien-Glisy, Erondelle, Oisemont, Albert-Méaulte, Eppeville.

Nous avons connu des problèmes similaires en 1994 et 1995 sur la borne côtière, lorsque nous avons vu apparaître des sources coulant tous les 20 ans ou 30 ans. Cette année, nous avons constaté des phénomènes équivalents au mois de décembre et janvier. Le mois de février étant déficitaire, il n'y avait pas lieu de s'alarmer. Toutefois, le mois de mars a déclenché la catastrophe. En effet, les précipitations se sont élevées à 169 millimètres, voire à 220 millimètres sur certains secteurs. Elles se sont traduites par l'écoulement intégral de l'eau sur un sol complètement saturé et des étangs sur le point de déborder. L'eau est arrivée directement à la rivière. Nous avons été confrontés à une crue de flot que nous n'avons pas coutume de constater sur une rivière qui réagit aux nappes. Le phénomène s'est propagé sur Boves, puis sur Amiens, puis sur Fontaine et, enfin à Abbeville. Par conséquent, l'arrivée d'eau a réagi directement à la pluie.

M. Jean-François Picheral - N'aviez-vous pas prévu la pluviométrie exceptionnelle constatée au mois de mars ?

M. Philippe Courtier - Je souhaiterais répondre en vous indiquant quelles sont nos capacités en matière de prévision.

M. Hilaire Flandre - Les prévisions se basent sur le principe d'une chance sur deux.

M. Philippe Courtier - Je vous répondrai par la négative. Comme M. le Président vous l'a indiqué précédemment, nous sommes capables de réaliser des prévisions immédiates, à très courte échéance, en extrapolant les observations sur les prochaines heures. Ce mécanisme est typiquement le cas à Rolland-Garros, pour utiliser l'image retenue par Monsieur le Président.

De douze heures à sept jours, la prévision repose sur des techniques numériques. Nous intégrons dans des modèles simulant, dans le temps, l'ensemble de l'écoulement atmosphérique en prenant aujourd'hui en compte les aspects hydrologiques du sol. Nous sommes en mesure de réaliser des prévisions jusqu'à sept jours, étant entendu que la qualité de la prévision diminue avec l'échéance. En définitive, nous sommes capables de fournir une information pertinente sur une durée de sept jours. Entre sept jours et dix jours, il existe un potentiel mais, pour l'heure, nous ne pouvons effectuer des prévisions utiles. Au-delà de dix jours, et en particulier au-delà d'un mois, nous ne pouvons établir de prévisions. Nous ne voyons pas de pistes de recherche nous permettant de déclarer que nous serons en mesure de le faire dans dix ans.

En revanche, à l'échéance de la saison, soit de trois à six mois, il existe un potentiel de prévisibilité lié à l'océan. Il est clair que nous ne serons pas en mesure de prévoir s'il pleuvra ou non sur la Somme. Toutefois, nous pourrons annoncer que l'Europe de l'Ouest connaîtra un hiver froid ou doux, pluvieux ou sec. Actuellement, nous pouvons prévoir les grands phénomènes dans la ceinture tropicale, de type El Niño, mais ne sommes pas capables de prévoir ce qu'il se passera en Europe de l'Ouest. Néanmoins, nous disposons d'un espoir pour les dix prochaines années. Nous considérons que nous pourrons progresser.

M. Jean-Pierre Besson - Les outils de prévision saisonnière que Météo France utilise, tout comme le Centre européen de prévision météorologique, donnent des résultats quelque peu décevants. Notre capacité à utiliser ces outils est, à l'heure actuelle, très faible.

M. Philippe Courtier - Elle est en effet très faible sur l'Europe de l'Ouest, soit sur nos latitudes. En revanche, le potentiel de prévisibilité sur l'Amérique de l'Ouest est lié aux évolutions du Pacifique tropical.

M. le Président - Le phénomène qui nous intéresse porte sur l'excès de pluviométrie au cours des six derniers mois. Pouvez-vous nous indiquer la cause de cet excès ? Etes-vous en mesure de déclarer qu'un tel phénomène ne se reproduira plus ?

M. Philippe Courtier - Ce phénomène se reproduira.

M. le Président - Pouvez-vous nous apporter des éléments supplémentaires concernant les causes des inondations ? Pour quelle raison la zone pluviométrique s'est-elle installée sur le Nord de la France alors qu'elle concerne, traditionnellement, les zones plus hautes ?

M. Pierre Bessemoulin - Nous pouvons uniquement élaborer un diagnostic de la situation. Le rapport qui vous a été fourni contient une carte d'anomalie de pression, qui reflète la forte anomalie située à l'Ouest de la France.

M. le Président - Si nous nous engageons dans un changement de climat et d'effet de serre, peut-on prévoir dès aujourd'hui la périodicité des anomalies ?

M. Pierre Bessemoulin - Je vous répondrai par la négative. J'ai mentionné, en tête de ce rapport, un court couplet sur l'oscillation nord Atlantique, qui est improprement baptisé El Niño de l'Atlantique. Un indice caractérise cette oscillation nord Atlantique et reflète l'importance relative de l'anticyclone des Açores et de la zone de dépression islandaise. En régime positif, comme telle est la situation depuis près de trente ans, l'anticyclone des Açores est très puissant et les dépressions se déroulent très au nord. Or cela n'a pas été le cas en début d'année sur la zone considérée. Ainsi, lorsque nous analysons les indices, nous constatons qu'ils sont négatifs au long de la période.

Concernant votre question, dans l'hypothèse d'un changement climatique, une majorité des modèles suggèrent une tendance vers davantage de phases positives de l'oscillation, soit une poursuite de la situation actuelle.

M. le Président - La majorité des modèles connus arrivent-ils au résultat que vous indiquez ?

M. Philippe Courtier - En matière de régionalisation du changement climatique, c'est-à-dire ce qu'il se passera à l'échelle d'un pays comme la France, il faut souligner que la science est aujourd'hui loin d'être mure. Nous sommes à même de dire que l'augmentation de l'effet de serre se traduira par un changement climatique et un accroissement significatif de la température sur le globe. Toutefois, il est nécessaire de faire preuve de précautions concernant l'évolution climatique d'un pays comme la France.

M. Pierre Bessemoulin vous a expliqué que si le climat de la planète continue à fonctionner tel que nous le comprenons aujourd'hui, il y a peu de chances que nous observions ce genre de phénomène. Néanmoins le changement climatique que nous serons amenés à connaître est un changement majeur, d'amplitude majeure, et nous sommes loin de comprendre, à ce stade, ses répercussions, par exemple, sur la circulation océanique. Je considère qu'il est important de prendre ses précautions.

M. Jean-Pierre Besson - D'aucuns s'accordent à penser que cela s'accompagnera d'une désertification des zones qui sont d'ores et déjà désertifiées. L'aspect géopolitique en la matière est extraordinaire. Les pays pauvres deviendront encore plus pauvres.

Il est important de noter que les températures minimales s'élèvent davantage que les maximales. En outre, le Sud de la France est davantage affecté que le Nord de la France. En définitive, la barrière de sécheresse remonte.

M. Michel Souplet - Votre réflexion me paraît intéressante. Vous nous avez indiqué précédemment que l'axe de la terre variait, se traduisant par une incidence sérieuse sur les effets météorologiques. Or l'axe ne varie pas brutalement mais lentement. Je considère que lorsque l'Ancien Testament évoquait les années pluvieuses et les années sèches, les années de vache grasse et de vache maigre, cela correspondait à des cycles, qui sont probablement dus à cette déviation. Aujourd'hui, après six années de sécheresse extraordinaire au Maroc, les habitants déclarent qu'une période de six années humides débutera dès l'an prochain. Cette réflexion est-elle fondée ? Si l'inclinaison nous permet de dire que nous nous engageons dans un cycle d'années qui sont susceptibles d'être humides, nous risquerions de constater, en octobre prochain, un phénomène identique à celui que nous avons connu en octobre dernier.

M. Pierre Bessemoulin - Mes propos traitaient du paléo climat, ce qui correspond à une échelle de temps constituée de plusieurs dizaines de milliers d'années.

Actuellement, nous avons une connaissance importante de l'impact des oscillations australes, soit El Niño et La Niña, ainsi qu'une connaissance relative des impacts globaux, comme, par exemple, une grande sécheresse en Indonésie. Malheureusement, à l'échelle de l'Europe, et plus particulièrement pour l'Ouest de la zone, la téléconnection est très faible. En effet, la différence entre les températures observées en France au cours des années Niño et Niña sont faibles et s'établissent à 0,1.

M. Paul Raoult - Il convient de prendre en considération l'influence du Gulf Stream.

M. Pierre Bessemoulin - Concernant le Gulf Stream, certaines théories prévoient une disparition de la circulation, en particulier de la circulation profonde, ce qui mettrait fin à l'arrivée de chaleur sur les côtes de l'ouest de l'Europe. Le GIEC indique que ce mécanisme nécessite un apport très important d'eau froide qui proviendrait des fleuves du Groenland, soit de la fonte arctique. Dans ce dessein, il faudrait que le réchauffement soit beaucoup plus important que les prévisions ne l'indiquent pour la fin du siècle. En définitive, l'eau chaude est trop légère pour pouvoir plonger. Le GIEC ne prévoit pas l'occurrence d'un tel phénomène au cours du XXIe siècle.

M. Ambroise Dupont - Je souhaiterais revenir sur l'inexistence d'un service d'annonce des crues. Par conséquent, personne ne reçoit les annonces. Avez-vous modifié les destinations de vos bulletins ? Les envoyez-vous à la DDE ou au Préfet ?

M. Jean-Pierre Besson - Je me répéterai en vous indiquant que ces informations seraient, en soi, totalement inutiles. Je dispose ici d'un certain nombre de BAP datés du 8 mars, du 20 mars, du 23 mars, du 28 mars, du 24 avril et du 3 mai. Ces documents informent de la quantité de pluie attendue. Mais l'élément majeur consiste à déterminer la réaction du bassin, le temps de réponse du bassin et le niveau des sols. Il est indispensable qu'une personne dispose d'une compétence hydrologique lui permettant d'utiliser ces documents.

M. Paul Raoult - S'il tombe plus de 1.200 millimètres en six mois, il n'est pas nécessaire d'être sorti d'une grande école pour comprendre qu'une telle situation est anormale.

M. Jean-François Picheral - Concernant la légère rémission observée en février, n'avez-vous pas averti la préfecture que le mois de mars serait particulièrement pluvieux ?

M. Philippe Courtier - Nous sommes en mesure de réaliser des prévisions sur sept jours. Mais, nous ne sommes pas capables de déterminer des prévisions à un mois. Par conséquent, nous ne pouvions pas annoncer que le mois de mars serait pluvieux. Nous ne savons pas le faire.

M. Paul Raoult - Je tiens à évoquer la qualité des relations entre Météo France et les médias, notamment la télévision. En effet, le bulletin météo diffusé à la télévision joue les grands sorciers. J'estime que la médiatisation des bulletins est quelque peu irritante.

M. Philippe Courtier - Evelyne Déliat, sur TF1, présente fort correctement la météo et a d'ailleurs reçu un prix pour sa prestation.

M. Jean-Pierre Besson - Très honnêtement, il fut un temps au cours duquel nous estimions que l'information donnée était dénaturée. De nombreux efforts ont été menés afin que les présentateurs soient formés. Si vous veniez dans nos services, vous constateriez que des présentatrices telles qu'Evelyne Déliat se rendent dans nos locaux afin qu'un prévisionniste leur explique la situation. Nous avons ajouté à nos contrats le soutien permanent d'un prévisionniste afin de compléter la formation des présentateurs.

Je conçois que la météorologie serait mieux expliquée si nous disposions d'un temps d'antenne plus conséquent et si le bulletin était moins médiatisé. Toutefois, il faut reconnaître que la situation s'est véritablement améliorée. Si vous comparez les bulletins portant sur d'autres pays, vous constaterez que nos bulletins ne sont pas médiocres.

M. Paul Raoult - Il demeure à déterminer comment l'information que vous fournissez est utilisée. Les localisations géographiques sont approximatives. Le nord de la France n'est pas clairement identifié. La main des présentateurs bouge sur la carte mais n'explique pas, par exemple, la zone correspondant à l'est de la France.

M. Olivier Mock - Je souhaiterais aborder deux points. Indépendamment des difficultés de prévision, il faut noter que la France est un pays extrêmement varié. L'information doit être présentée en 45 secondes. Or la présentation synthétique de l'ensemble de la météo planant sur la France est un exercice périlleux.

En outre, concernant les procédures d'alertes, nous avons indiqué que la procédure était dédiée à la sécurité civile. La nouvelle procédure, que M. le Président a évoquée, sera plus simple dans la mesure où elle sera diffusée auprès de l'ensemble des acteurs, y compris le grand public. Elle contiendra des éléments de qualification. Ainsi nous qualifierons une zone qui, par exemple, subit un vent de 130 km/h en expliquant que ce phénomène est extrêmement rare, et se produit dans la région tous les vingt ans. Ce genre d'élément doit nécessairement être explicité. En outre, il convient de fournir des conseils de comportement à la population. Ce moyen indirect me permet de répondre à votre question. Nous fournirons cette information non seulement aux services de la sécurité civile mais également à la population.

M. Paul Raoult - Lorsque des personnes du midi portent plainte contre la météo en prétextant que cette dernière n'a pas prévu un orage qui a détruit une récolte, j'estime qu'il y a une désinformation du public. Nous sommes arrivés à un stade qui se caractérise par la recherche d'un responsable.

M. Jean-Pierre Besson - Vous avez raison de souligner que les présentateurs n'évoquent jamais qu'il fait beau dans le Nord. Les protestations des Bretons se sont traduites par l'abandon de l'information selon laquelle une dépression arrive de la Bretagne. Désormais, les présentateurs déclarent que la dépression arrive de l'Ouest.

M. le Rapporteur - Pourriez-vous nous transmettre les adresses auxquelles vos BRAM et BAP sont transmis ? En outre, pourrions-nous disposer des conventions auxquelles vous avez fait référence ?

M. le Président - Je vous remercie pour votre participation.

4. Audition de M. Pierre Pommellet, directeur général de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat accompagné de M. Bernard Thibault, directeur territorial de la France Nord et M. Jean Moussu, chef du service de l'habitat de la Somme et délégué départemental de l'ANAH auprès de la direction départementale d'équipement de la Somme (30 mai 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui M. Pierre Pommelet, directeur général de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat accompagné de M. Bernard Thibault, directeur territorial de la France Nord et M. Jean Moussu, chef du service de l'habitat de la Somme et délégué départemental de l'ANAH auprès de la direction départementale d'équipement de la Somme.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Pierre Pommellet, Bernard Thibault et Jean Moussu .

Nous recevons M. Pierre Pommellet en sa qualité de directeur général de l'ANAH ainsi que ses collaborateurs. Je vous propose de nous présenter vos collaborateurs.

M. Pierre Pommellet - M. Bernard Thibault est ingénieur général des Ponts et Chaussées et directeur territorial de la France Nord. La Somme dépend de sa circonscription et M. Jean Moussu est chef du service de l'habitat de la Somme ainsi que mon délégué départemental de l'ANAH à la direction départementale d'équipement de la Somme.

M. le Président - Je vous remercie. Monsieur le directeur, je vous suggère de commencer. Nous vous avons envoyé un questionnaire et vous soumettrons d'autres questions au fil de l'audition.

M. Pierre Pommellet - Je m'efforcerai de répondre brièvement aux quatre questions que vous m'avez soumises.

La première question est la suivante : « avez-vous procédé à un bilan du nombre des habitations sinistrées du fait des inondations et des affaissements de terrain dans la Somme et du degré de gravité des dégâts constatés ? ».

D'après les derniers chiffres communiqués par mon délégué départemental, 1.722 habitations auraient été inondées, ainsi que 1.800 caves environ. 752 habitations auraient été évacuées, ce qui correspond à 1.051 personnes. Enfin, vous le savez sans doute, 106 communes ont été déclarées en état de catastrophe naturelle. Concernant la gravité des dégâts constatés, nous sommes actuellement obligés de nous référer aux déclarations des assurances. Ces dernières se basent sur un échantillon de 25 % des maisons qui ont été expertisées. Il semblerait que 5 % des maisons devraient être démolies, soit une centaine d'habitations. Le coût moyen de réparation s'étalerait entre 25.000 francs et 300.000 francs, la moyenne s'élevant approximativement à 250.000 francs. Les dégâts sont donc relativement considérables. Par ailleurs, 20 % des habitations ne seraient, malheureusement, pas assurées.

M. le Président - Une telle proportion de maisons qui ne sont pas assurées est énorme, mais cela reflète l'état sociologique des populations.

M. Pierre Pommellet - Tels sont les éléments que nous pouvons vous fournir afin de répondre à votre première question.

M. le Président - Chers collègues, souhaitez-vous poser une question à Monsieur Pommelet ? Nous sommes quelque peu surpris par le chiffre de 20 %.

M. Paul Raoult - Il faudrait disposer des chiffres au niveau national.

M. le Président - Ce chiffre ne m'étonne pas outre mesure pour ce département. Les habitants de cette zone disposent d'un niveau de revenu moyen inférieur à la moyenne nationale.

M. Pierre Martin, Rapporteur - Je considère qu'il est nécessaire de moduler nos propos. Nous évoquons la sociologie mais force est de constater, dans nos villages, que les plus pauvres ne font pas pour autant preuve de moins de civisme. A l'heure actuelle, on prend l'habitude de ne plus faire face à ses responsabilités. Nous constatons cet état de fait par le biais de la taxe sur les ordures ménagères ou de l'eau. Comme le voisin ne paie pas, les personnes se demandent pour quelle raison elles s'acquitteraient de ces taxes. Je considère, mes chers collègues, qu'il serait judicieux de préconiser une proposition de loi stipulant qu'il est obligatoire de s'assurer afin de penser au voisin, pour les risques à autrui.

M. le Président - Si vous ne souhaitez pas poser de question supplémentaire, je vous propose de passer au point suivant.

M. le Rapporteur - Serait-il envisageable de disposer de la moyenne nationale ?

M. Pierre Pommellet - La moyenne nationale s'établit, d'après M. Moussu, entre 15 % et 20 %, soit un ordre de grandeur identique. Comme vous l'indiquiez, Monsieur le Sénateur, il est fort probable que la sociologie joue peu sur le civisme.

M. le Rapporteur - Lorsque vous déclarez que 20 % des maisons ne sont pas assurées, insinuez-vous que les habitations en question sont très mal assurées ?

M. Pierre Pommellet - Non. 20 % des maisons ne sont pas couvertes par une police d'assurance.

M. Jean Moussu - Ces données proviennent des assureurs qui sont représentés dans la cellule interministérielle de crise. Ces chiffres sont déduits d'un échantillon de 20 % des maisons.

M. Jean-François Picheral - Quel type d'habitat est voué à la démolition ? S'agit-il de torchis ?

M. Jean Moussu - Les maisons en torchis sont effectivement les plus vulnérables. Les maisons en brique ont, a priori, résisté aux inondations. Par ailleurs, il convient de signaler que certaines maisons connaissent des problèmes de fondations. Toutefois, les maisons vouées à la destruction sont essentiellement en torchis.

M. Ambroise Dupont - Le placoplâtre doit également être inadapté dans ce genre de situation.

M. le Rapporteur - Qui prouvera que ces maisons doivent être démolies ?

M. Jean Moussu - L'expertise des assurances déterminera ce qu'il adviendra des habitations. Lorsque la valeur d'indemnité est supérieure à la valeur de construction, une maison doit être détruite.

M. le Président - Un problème découle également de la valeur qui a été déclarée à l'assurance.

M. le Rapporteur - Mon inquiétude porte sur les habitants d'Abbeville qui ont regagné leur domicile et s'affairent d'ores et déjà à la réhabilitation de leur maison. Ces habitations n'auraient-elles pas mérité une analyse plus approfondie ?

M. Jean Moussu - Je vous répondrai par la positive.

M. le Rapporteur - Dès que la dernière goutte d'eau est partie, les habitants rentrent chez eux, ce qui est fort compréhensible. Mon inquiétude sur le sujet est grande.

M. Jean-François Picheral - Dans la mesure où les habitants souhaitent qu'une grande partie des travaux qu'il faut accomplir soit prise en charge par leurs assurances, ils attendront l'expert, qui leur soumettra ses conclusions.

M. Jean Moussu - Il existe plusieurs niveaux de risques. Le premier est d'ordre sanitaire. En effet, il convient de mesurer le risque d'entrer dans un immeuble qui a été exposé à différentes nuisances. Le deuxième niveau de risque concerne la sécurité, soit un immeuble menaçant de tomber en ruine. En l'occurrence, ce risque est relativement visible et nous déployons des équipes sur le terrain afin de rencontrer l'ensemble des personnes ayant été évacuées et qui nous signalent l'existence de ce risque. Par l'intermédiaire du maire ou du Préfet, nous établissons des déclarations de mise en péril. En outre, il existe un problème découlant de la réalisation immédiate de travaux dans la maison, qui s'avéreraient inutiles dans le temps. Toutefois, j'estime que les habitants effectuent, dans un premier temps, des travaux de nettoyage.

M. Hilaire Flandre - J'ajouterai que les habitants réalisent également des travaux d'assèchement.

M. Jean Moussu - Effectivement. Les premiers travaux effectués sont, somme toute, assez minimes.

M. le Président - L'échantillon que vous indiquez porte sur la zone inondée, soit Abbeville, une partie de l'environnement d'Amiens ainsi que la vallée de l'Avre. Porte-t-il également sur des inondations de nappes en plateau ?

M. Jean Moussu - L'échantillon se base essentiellement sur les zones inondées. En fait, il porte sur les premières maisons qui se sont retrouvées hors d'eau.

M. le Président - Dans la pondération, Amiens pèse donc plus lourd que son poids relatif dans la mesure où la zone est désormais sèche.

M. Jean Moussu - Cette hypothèse est concevable.

M. le Président - Il n'a pas, pour l'heure, été possible d'expertiser l'ensemble des habitations d'Abbeville.

M. Jean Moussu - En effet.

M. Pierre Pommellet - La deuxième question est la suivante : « Dans le passé, à l'occasion de catastrophes naturelles semblables, l'ANAH est-elle intervenue et dans quelles conditions ? ».

Je vous répondrai par la positive, ce qui est fort heureux. Vous savez que l'administration est plus rapide lorsqu'il s'agit de répéter que quand il s'agit d'innover des procédures. Des inondations catastrophiques et torrentielles ont touché l'Aude, l'Hérault, le Tarn et les Pyrénées-Orientales les 12, 13 et 14 novembre 1999. Comme il s'agissait d'un risque rapide, alors que le risque était lent dans la Somme, les inondations ont fait des victimes. Cela n'a pas été le cas, me semble-t-il, dans la Somme. Les dégâts ont été comparables puisque les inondations ont concerné 1.500 à 2.000 maisons. A cette occasion, nous avons mis en place, en collaboration avec les départements, une opération programmée d'amélioration de l'habitat, qui a connu un certain succès. Le conseil d'administration a délibéré. Les dispositions de l'opération programmée d'amélioration de l'habitat (OPAH) de l'Aude ont été, mutatis mutandis, appliquées à la Somme. C'est la raison pour laquelle, dès le 2 mai dernier, le conseil d'administration de l'ANAH, présidé par le Secrétaire d'Etat au logement, a pris les dispositions nécessaires permettant de mettre au point l'OPAH, qui passera le 11 juin prochain en délibération au Conseil général de la Somme. A cette date, l'OPAH sera opérationnelle.

M. le Président - Dès le mois de juin, nous disposerons des instruments afin d'intervenir.

M. Pierre Pommellet - Effectivement. L'avantage des OPAH réside dans la rapidité de mise en oeuvre, comparativement à d'autres procédures. Cette OPAH se déroulera sur une période de 18 mois et s'achèvera fin 2002. Elle nous permettra de traiter les habitations, qu'elles appartiennent à des propriétaires bailleurs ou à des propriétaires occupants.

Je souhaiterais vous délivrer une copie de la convention d'OPAH qui fera l'objet d'une délibération du conseil d'administration le 11 juin. Il s'agit d'une OPAH départementale, basée sur une maîtrise d'ouvrage départementale, comportant non seulement des primes d'Etat mais également des primes complémentaires de l'ANAH.

M. le Président - Considérez-vous, Monsieur Courteau, que ce système mérite certaines améliorations ?

M. Roland Courteau - Le recul par rapport aux inondations de l'Aude n'est pas suffisant pour que je puisse vous indiquer les améliorations qui seraient nécessaires. Je suggèrerais de déplafonner les plafonds. Dans certains cas, la somme allouée me semble quelque peu limitée.

Je tiens à déclarer que j'ai été agréablement surpris par la mise en place de cette opération, pour l'aide aux sinistrés. Vous avez évoqué les subventions d'Etat pour les propriétaires occupants ou les subventions de l'ANAH afin de vivre dans un autre lieu. Je souhaiterais préciser que ces subventions sont élaborées sur la base non couverte par les assurances.

Au-delà de cette mise en place, j'ai noté deux éléments supplémentaires intéressants. D'une part, grâce à l'OPAH, nous avons pu disposer d'opérateurs qui aident les particuliers à constituer les dossiers dans la mesure où les sinistrés ont de nombreux soucis et ne sont pas concentrés. L'aide d'opérateurs est, à cet égard, tout à fait bénéfique. D'autre part, je considère que le fait que les conditions d'octroi des subventions soient soumises à la mise en sécurité des maisons est, de mon point de vue, très positif et essentiel. Dans bien des cas, les personnes ont tendance à refaire à l'identique. En outre, les assurances sont favorables à cette pratique. Il est parfois envisageable de réaliser des aménagements d'une autre nature qui permettraient, en cas de catastrophe, de limiter les dangers. Il n'en demeure pas moins que les habitants hésitent à le faire. Par conséquent, le fait de contraindre les sinistrés à effectuer des mises en sécurité de leur habitation est un élément positif.

M. Pierre Pommellet - Monsieur le Sénateur, je confirme entièrement vos propos. Considérant la somme de 100.000 francs allouée aux propriétaires occupants, je conçois que ce montant soit faible mais il ne faut pas oublier qu'il faut déduire les sommes versées par les assurances. Ainsi, si les dégâts s'élèvent à 200 000 francs, l'assurance prend une partie à sa charge. La somme restante est généralement inférieure à 100.000 francs. Afin de vous donner une idée des dépenses engagées au cours de la catastrophe de 1999, je tiens à signaler que nous avons versé 160 subventions ANAH pour un montant total de 12,435 millions de francs ainsi que 1.000 primes pour les propriétaires occupants pour une valeur de 18,5 millions. Au total, l'ANAH a distribué près de 30 millions de francs. Les inondations de la Somme coûteront une somme identique à l'Agence. L'unité de compte est de 30 millions de francs pour des inondations, qu'elles soient catastrophiques ou lentes. Ceci peut paraître assez surprenant.

M. Hilaire Flandre - L'ANAH ne vient pas compenser l'ensemble du dispositif mais concerne uniquement l'amélioration de l'habitat. Par conséquent, le fait que les montants soient identiques me semble logique.

M. Pierre Pommellet - Concernant les Commissions d'amélioration de l'habitat, les Commissions délivrant les aides vont étudier les dossiers, notamment par l'intermédiaire d'un opérateur. Un dossier devra être fourni afin de confirmer que les équipements sont en sécurité en cas d'inondation comparable à celle qui s'est produite en 2001. La reconstruction à l'identique en espérant qu'une crue séculaire ne se reproduira pas n'est pas une solution judicieuse.

M. Paul Raoult - Pour quelle raison le Conseil général doit-il signer cet accord ? Le Conseil général va-t-il participer aux frais de l'OPAH ? Je connais quelque peu le système des OPAH, qui, soit dit entre nous, est traditionnellement très long. Vous nous avez indiqué que les procédures seraient très rapides pour la Somme, et j'en prends acte.

M. Pierre Pommellet - Votre interrogation correspond à la troisième question qui m'a été posée.

M. le Rapporteur - Au préalable, je vous demande de me confirmer si les propos de Monsieur le Ministre de l'Equipement et de Madame Lienemann sont exacts. Ils ont précisé que l'OPAH serait pris en charge par l'Etat à hauteur de 90 %.

M. Pierre Pommellet - C'est exact.

M. le Rapporteur - Ils ont en outre déclaré que l'OPAH ne serait pas seulement relative aux communes concernées par les inondations mais également aux communes se trouvant à la proximité immédiate dans la mesure où il est possible qu'il soit nécessaire de reloger des personnes dans ces communes.

M. Pierre Pommellet - Je confirme ces propos en vous indiquant que les communes à proximité concernent l'ensemble du département.

M. Ambroise Dupont - Les OPAH sont portées par les syndicats de communes qui s'engagent dans cette opération. Qui portera cette opération ? Un syndicat de communes sera-t-il mis en place ? En outre, les 90 % correspondent-ils aux frais de fonctionnement ?

M. Pierre Pommellet - La création d'un syndicat de communes requiert du temps, mais le temps presse.

Des dizaines et non des centaines de propriétaires bailleurs souhaitent reloger les sinistrés. Par conséquent, la maîtrise d'ouvrage est devenue départementale. Le Conseil général de la Somme a décidé de prendre la maîtrise d'ouvrage de l'OPAH.

Les OPAH étaient, par le passé, des procédures longues, mais tel n'est plus le cas. Des études préalables déterminent le périmètre d'intervention et l'étude opérationnelle. Généralement, la demande d'OPAH est établie lorsque l'étude préalable a été finalisée. Il convient de signaler qu'une OPAH se monte plus rapidement qu'une ZAC dans la mesure où les enquêtes d'utilité publique ne sont pas nécessaires. Il est possible de monter une OPAH en six ou neuf mois. Dans le cas qui nous intéresse, l'OPAH sera mise en place en moins de deux mois car il n'est pas nécessaire de réaliser des études préalables. En effet, le périmètre correspond à l'arrêté de catastrophe naturelle. En outre, le Conseil général a accepté d'endosser le rôle de maître d'ouvrage.

Pour répondre à votre question, Monsieur le Sénateur, je vous indiquerai que l'Etat prendra en charge 90 % de l'investissement, soit les primes et les subventions puisque les subventions de l'ANAH vont varier entre 35 % et 70 % en fonction du degré de social qu'acceptera le bailleur pour la location du logement. En effet, si le bailleur paie un loyer libre, il bénéficiera de 10 % de subvention d'ordinaire, soit 35 %. S'il accepte d'effectuer un bail conventionné, qui correspond à un logement social privé, il recevra une subvention de 45 %, à laquelle le département rajoutera 10 %, ce qui lui permettra de bénéficier d'une subvention de 55 %. Enfin, si le bailleur accepte de louer son logement aux plus défavorisés, la subvention s'élèvera à 70 %.

En ce qui concerne les occupants, la subvention variera de 25 % à 50 %. Lorsque le niveau de ressource des propriétaires sera inférieur à 80 % du niveau retenu, une subvention de 50 % sera attribuée.

Tel est le dispositif qui se dessine.

Le département va également payer une partie de l'opération. Il est important, et il me semble que vous l'avez indiqué précédemment, de disposer d'un animateur qui soit en charge de la médiation avec les propriétaires en les aidant à constituer le dossier et en les suivant jusqu'à l'engagement de paiement. Cet opérateur a d'ores et déjà été choisi. Le montant de cette animation est élevé et s'établit à 2,057 millions de francs. 90 % de cette somme est assurée par l'Etat. En définitive, de manière générale, le département paiera 10 % des dépenses de subventions, d'intervention et d'animation.

M. Roland Courteau - Afin de rassurer mon collègue, je puis attester de la rapidité de mise en place de l'OPAH, qui a été qualifiée d'OPAH sinistrée et a été accordée, me semble-t-il, à titre dérogatoire. En outre, je puis vous déclarer que, dans l'Aude, nous avons fait face dans des délais record aux obligations s'offrant à nous. L'ensemble des acteurs est satisfait de cette opération, y compris le département, qui a participé très modestement.

M. Pierre Pommellet - Vous me demandiez pour quelle raison nous mettions en oeuvre une OPAH. Je vous répondrais que l'OPAH est la procédure la mieux adaptée à ce type de situation, en particulier lorsqu'elle permet une rapidité d'exécution. En outre, l'ANAH présente l'avantage de réunir très rapidement le conseil d'administration afin de prendre les décisions urgentes. Un certain nombre de dérogations ont été prises afin de favoriser les sinistrés de la Somme.

M. Ambroise Dupont - Je souhaiterais vous poser une question fort brève. Le pacte ARIM est-il l'unique maître d'oeuvre ? Existe-t-il d'autres comités de l'habitat rural ?

M. Pierre Pommellet - Cela n'existe plus aujourd'hui. Il me semble qu'une maîtrise d'oeuvre urbaine et sociale sera mise en place.

M. Jean Moussu - Les maîtrises d'oeuvre urbaine et sociale sont d'ores et déjà en place. Un des premiers problèmes consistait à identifier la nature des besoins et d'être à l'écoute des populations qui ont été traumatisées. Trois associations sont mandatées : l'ANI, l'AGENA et la CASA. De plus, dix agents de terrains rencontrent les familles et font partie intégrante d'un réseau d'équipes mobiles pluridisciplinaires, comprenant des agents du Trésor, de la DDASS et de diverses administrations. Leur mission consiste à apporter des informations et à détecter les problèmes rencontrés par les populations. Ces équipes sont opérationnelles depuis près d'un mois.

M. le Rapporteur - Il me semble que nous retrouverons des fonds du fonds de solidarité pour le logement (FSL) qui n'étaient pas intégralement consommés par les départements.

M. Jean Moussu - Effectivement. Une cagnotte existait. Dès la mi-avril, une réunion spécifique du comité directeur du FSL a décidé de consacrer une enveloppe de 20 millions de manière à subvenir aux problèmes de précarité qui pourraient être rencontrés par les familles sinistrées. A l'heure actuelle, ce fonds n'a pas été grandement sollicité.

M. Paul Raoult - Une partie de l'argent n'était pas dépensée...

M. le Rapporteur - En définitive, vos enquêtes ne sont pas suffisamment avancées pour que vous puissiez vous prononcer sur les besoins en logement. Je suppose que les offices d'HLM vont être des partenaires de ces opérations. Si des opérations doivent être menées dans ces régions ou dans leur proximité, j'estime que cette manne supplémentaire permettra de combler les 50.000 francs ou 70.000 francs qui manquent pour que des logements se construisent aujourd'hui.

M. Jean Moussu - Il est vrai que nous avons rencontré un peu plus de 200 familles, ce qui est un faible échantillon par rapport au nombre de personnes touchées par les inondations. Il nous faut non seulement rencontrer les sinistrés mais également exploiter les données. Par conséquent, nous sommes, à l'heure actuelle, dans le flou.

En ce qui concerne l'ensemble des registres mobilisés, les bailleurs sociaux ont été sollicités d'une part pour accélérer le processus d'opération qui était déjà programmé ou prévu à court terme, sachant que deux ans sont nécessaires pour une opération HLM. Nous avons demandé que le processus soit plus rapide. D'autre part, nous avons fait appel aux bailleurs sociaux afin de rechercher des terrains dans l'éventualité de constituer de nouvelles opérations dans les plus brefs délais.

M. le Rapporteur - Le problème se pose dans une commune comme Fontaine-sur-Somme, dans laquelle nous nous apercevons que peu de terrains peuvent être mis à la disposition de la commune afin de réaliser des constructions. La zone est accidentée et il est évident qu'il ne sera plus possible d'accorder des permis pour l'ensemble des terrains.

M. Hilaire Flandre - Pour ce qui concerne les infrastructures, a-t-il été possible de réaliser une évaluation approximative des dégâts ?

M. Pierre Pommellet - Que pensent vos collègues de la DDE ? Ont-ils d'ores et déjà procédé à des estimations ?

M. Jean Moussu - Nous avons commencé à établir des estimations. Toutefois, l'ensemble des infrastructures n'a pas été découvert. Par conséquent, les investigations sont à un stade comparable à celui des habitations. Les enjeux sont relativement imprécis. Quelques chiffres ont été annoncés mais se basent sur des ratios. Il faut manifestement que nous poursuivions nos investigations.

M. Hilaire Flandre - Dans notre département, à l'issue des inondations, nous avons dû examiner l'ensemble des ponts. Ainsi, l'intégralité des ponts construits en 1920 ont dû être reconstruits.

M. Jean Moussu - Des ouvrages ont subi des dommages. En outre, il sera nécessaire de construire des ouvrages dans la mesure où ils créent des obstacles dans l'écoulement de l'eau. Dès lors, le problème n'est pas seulement lié aux dommages mais également à l'écoulement de l'eau.

M. le Rapporteur - La première estimation fait état de 350.000 francs. Toutefois, cette estimation est approximative dans la mesure où il me semble que nous n'avons pas suffisamment pris en compte les routes touchées par les inondations. Les dégâts seront très importants, non pas sur la vallée de la Somme mais dans d'autres zones. Il est nécessaire d'attendre que le phénomène se termine afin de constater les dégâts sur les routes communales, qui seront très certainement importants. Des problèmes se posent partout et il faut, comme vous l'avez indiqué, disposer de temps afin de procéder à des estimations. Le Génie militaire fera des estimations par le biais de plongeurs afin de contrôler l'état des ponts.

M. Marcel Deneux - Je vous propose de répondre à la troisième question.

M. Pierre Pommellet - La troisième question est la suivante : « Avez-vous fait un premier chiffrage de l'engagement financier correspondant ? ».

Nous avons effectivement réalisé un premier chiffrage, mais nous ne disposons pas encore des dossiers. Nous considérons que la majorité des primes sera attribuée aux occupants dans la mesure où les propriétaires occupants sont bien plus nombreux que les propriétaires bailleurs, comme tel était le cas dans l'Aude. Nous estimons que nous traiterons environ 200 dossiers ANAH, soit des subventions concernant une centaine de loyers libres, et une centaine de loyers conventionnés ou très sociaux. Notre coût est actuellement évalué à 10 millions de francs pour les propriétaires bailleurs. En ce qui concerne les propriétaires occupants, nous pensons distribuer 1.200 primes OPAH pour un montant de 14 millions de francs. Par conséquent, le coût total s'établirait à 24 millions de francs. Nous considérons que le coût sera compris entre 24 millions et 30 millions de francs.

M. le Rapporteur - Vous êtes confrontés, selon toute vraisemblance, à l'incapacité d'harmoniser l'opération, étant entendu que vous pouvez d'ores et déjà commencer la réhabilitation de certaines zones mais qu'il est nécessaire d'attendre pour d'autres.

M. Pierre Pommellet - A cet égard, nous avons profité d'une dérogation. Afin de percevoir des subventions, le système français requiert de ne pas commencer les travaux. Si nous avions appliqué cette règle, les personnes ayant commencé à travailler et à effectuer de l'auto-réhabilitation n'auraient pas pu bénéficier de l'OPAH ni de l'ANAH. Par conséquent, nous avons admis, et le décret de la loi le permet, que le dossier soit recevable même si les travaux ont été mis en oeuvre.

M. le Président - Il s'agit d'une dérogation adéquate.

M. Hilaire Flandre - Ce type de dérogation est essentiel dans des cas de ce type.

M. le Rapporteur - Je considère que votre présence est une assurance pour les personnes qui réaliseront les travaux car vous ne laisserez pas effectuer des travaux qui s'avéreraient risqués.

M. Pierre Pommellet - Vous évoquez la quatrième question.

M. le Président - En guise de transition, quel comportement allez-vous adopter pour les risques futurs ?

M. Jean Moussu - Lors des débats de la présentation de l'OPAH au Conseil général, ce sujet a été l'objet de discussions assez vives. Ne risque-t-on pas de subventionner des travaux sur des immeubles que nous serions obligés, à court terme ou à moyen terme, de remettre en cause si d'autres dommages se produisaient ?

La réflexion est assez complexe. L'idéal serait de disposer du plan de prévention des risques et inondations, qui pourrait nous renseigner sur les zones de classement et du devenir des espaces. Toutefois, ce document n'existe pas. Son élaboration se heurte à un délai correspondant à la connaissance du report des zones inondées et des hauteurs de crue. Les réflexions que nous avons menées nous ont permis de déceler qu'il suffit d'appliquer la circulaire du 24 avril 1996. Cette circulaire émane du Ministère de l'Equipement, des Transports et du Tourisme ainsi que du Ministère de l'Environnement. Le principe consiste à affirmer qu'un immeuble situé en zone inondable a droit à une pérennité. Nous ne saurions exclure les travaux d'entretien qui permettent de préserver les immeubles. En revanche, il est fortement recommandé que les travaux visent à limiter les risques pour les personnes et pour les biens. Il serait souhaitable que nous conditionnions les aides de l'ANAH afin que les travaux effectués utilisent des matériaux insensibles à l'eau et évitent de disposer d'équipements comme les chaudières ou les compteurs électriques dans les zones susceptibles d'être mouillées. Nous formulerons ces recommandations auprès de notre prestataire. Il faut noter que ces précautions sont généralement avancées par les assurances. Pour l'heure, telle est la trame de travail sur laquelle nous nous basons, sachant que ce critère est la garantie de l'habitabilité de l'immeuble.

M. le Président - Quels sont les critères sur lesquels il est opportun de se baser ?

M. Jean Moussu - Nous demandons à notre prestataire de services de nous fournir les cotes d'eau atteintes dans l'immeuble afin de disposer d'une information sur la maison et sur les précautions qui ont été prises par les personnes.

M. le Président - Une maison entrant dans votre procédure a fatalement été inondée. De quelles garanties disposons-nous pour affirmer que sa durée de vie ne sera pas écourtée ?

M. Jean Moussu - La maison en question est effectivement susceptible d'être de nouveau inondée. L'application de la circulaire que j'évoquais à l'instant n'exclut pas que nous effectuions des travaux sur un immeuble qui a été inondé et qui est susceptible d'être à nouveau inondé. Cette réflexion est appliquée au niveau national.

M. Michel Souplet - A Fontaine, nous avons visité des habitations qui ont, selon le maire, été inondées à trois ou quatre reprises durant quelques jours.

M. Hilaire Flandre - Il s'agit de mettre du carrelage sur le bas des murs et disposer les prises de courant à un mètre du sol.

M. le Rapporteur - Il convient de soumettre les maisons concernées à certaines contraintes. Les habitations ont 25 ou 30 ans. Nous nous sommes rendu compte qu'un certain nombre de ces maisons ont été construites par des personnes dont les moyens permettaient de réaliser le minimum. A l'opposé, d'autres habitants ont les moyens d'apporter des aménagements supplémentaires. Par conséquent, certaines maisons ont fait l'objet d'un vide sanitaire et pourront, à mon sens être sauvées dans la mesure où les matériaux de constructions adéquats ont été utilisés et que les dimensions permettent d'éviter les inondations. En revanche, de nombreux problèmes se posent pour les maisons de plain-pied. Quelle solution pourrait-on apporter ? L'objectif n'est pas de désertifier la vallée de la Somme. Il est nécessaire que les maisons existent dans cette vallée. Toutefois, il convient de prévoir des recommandations pour les habitants qui souhaitent rester. Il est possible qu'il y ait un coût supplémentaire qui découle des contraintes.

M. Jean Moussu - Les subventions de l'ANAH sont intéressantes parce qu'elles portent sur des travaux qui ne sont pas couverts par les assurances. Par conséquent, elles concernent les travaux d'amélioration de cette nature, qui permettent une évolution de l'immeuble par rapport à une simple reconstitution à l'identique indemnisée par les assurances. L'intérêt de l'OPAH et des aides de l'ANAH est évident.

M. Roland Courteau - Je tenais à signaler que les maisons situées dans le département de l'Aude ont reçu 2 à 2,50 mètres d'eau. Dans le cadre des travaux entrepris et subventionnés, je vous ai précédemment indiqué que les mises en sécurité faisaient l'objet de dispositions obligatoires. Dans les zones ayant subi des inondations de 2 à 2,50 mètres d'eau en toute sécurité, les propriétaires avaient l'obligation d'aménager à une hauteur suffisante un espace qui leur permettrait de se réfugier si demain l'événement se reproduisait. L'aménagement d'un escalier, mais pas d'une échelle qui sera un jour ou l'autre ôtée, soit une installation fixe, permettra de trouver refuge en cas d'inondation. Il faut noter que des hommes et des femmes sont restés des nuits entières immergés dans l'eau jusqu'au cou. Certains sont morts, d'autres ont survécu. Pour ces catégories de maisons, l'obligation est faite, si les habitants souhaitent bénéficier des subventions, d'aménager un espace à l'étage.

M. le Rapporteur - J'estime que les propos de mon collègue sont importants et je tiens, d'une façon annexe, à souligner un point. Deux mois et demi se sont écoulés depuis le départ des habitants. Au bout de trois semaines, certains déclaraient qu'ils ne rentreraient jamais dans leur maison. Je suis surpris de voir qu'au faubourg des Planches d'Abbeville les gens se réinstallent après avoir annoncé qu'ils ne reviendraient plus. Il existe un lien psychologique entre la maison et l'occupant. Il convient de tenir compte de cet élément afin d'élaborer des solutions. Si nous détruisons encore un élément psychologique, il faut considérer que certaines personnes sont au bord de la déprime. Certes, le coût sera plus élevé, mais il est important d'imaginer de sauver les habitations lorsque cela est possible. Nous ne sauvons pas uniquement la maison mais également les familles et probablement des vies.

M. Paul Raoult - J'ai constaté que des constructions avaient été réalisées dans la vallée qui a inondé Vaison-la-romaine. La ville aurait cessé d'exister si l'on avait interdit la construction dans tous les espaces qui avaient été touchés par les crues.

M. le Rapporteur - Cela étant, au niveau de la DDE, j'espère que l'on mettra en application les réglementations relatives aux habitats de loisir qui ont été installés sans aucune autorisation. Monsieur le Sous-Préfet déclare depuis quinze ans que ces maisons seront déménagées. Cependant, ces habitats perdurent. M. Jean-Claude Gayssot a indiqué que les mobile homes étaient des solutions provisoires durables. Je souscris à cette analyse à la seule condition qu'ils ne soient pas aussi durables que les baraquements de l'après-guerre qui sont encore habités à Abbeville. Je considère que si la motivation est importante pour reconstruire, cela constituerait une solution aux mobile homes. Je crains que de nombreux locataires estiment que les mobile homes sont confortables, étant entendu qu'ils sont passés d'un logement peu confortable dans lesquels ils payaient un loyer et qu'ils jouissent aujourd'hui d'une habitation gentillette sans pour autant s'acquitter d'un loyer.

M. le Président - S'il n'y a pas d'autre question, je vous suggère de clore cette audition. Monsieur Pommellet, je vous remercie.

M. Pierre Pommellet - Je tenais à vous remettre la convention.

M. le Président - Je souhaite vous demander, le cas échéant, que nous puissions reprendre contact avec vous avant la rédaction définitive du rapport.

5. Audition de M. Philippe Vesseron, directeur de la Prévention des pollutions et des risques, délégué aux risques majeurs et M. Pascal Douard, sous-directeur de la Prévention des risques majeurs (30 mai 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui M. Philippe Vesseron, directeur de la Prévention des pollutions et des risques, délégué aux risques majeurs et M. Pascal Douard, sous-directeur de la Prévention des risques majeurs.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Philippe Vesseron et Pascal Douard .

Nous vous cédons la parole. Je vous propose de nous soumettre un exposé aussi bref que possible afin que nous vous posions nos questions.

M. Philippe Vesseron - Monsieur le Président, je vous remercie. Je crois que la partie la plus concrète sera très certainement l'échange après l'exposé liminaire.

Nous parlons beaucoup de risque naturel, notamment depuis les inondations de l'Aude et des départements proches en 1999 ainsi qu'à l'occasion des inondations de Bretagne. Je souhaiterais insister sur le fait qu'un ensemble d'événements rentrent dans la catégorie de risque naturel. Nous évoquons ce terme lorsque des inondations affectent un quartier tous les cinq ans ou quand des événements tels que celui que nous venons de vivre se produisent. Je viens de rappeler les catastrophes naturelles qui mobilisent non seulement l'opinion mais également l'action des collectivités et des pouvoirs publics et dont la probabilité est généralement de 1 % par an. Je souhaiterais que vous gardiez en mémoire cet ordre de grandeur, même s'il existe des cas pour lesquels la probabilité est légèrement supérieure ou inférieure. Il s'agit également de la probabilité que l'inondation de 1910 se reproduise à Paris ou qu'un sinistre destructeur aux Antilles survienne. 1 % par an est à la fois considérable et trop long pour que la mémoire spontanée et les collectivités s'adaptent à ce type d'événement. 1 % par an signifie qu'il y a deux chances sur trois pour qu'un événement similaire se reproduise au cours des cent prochaines années. Nous qualifions cette probabilité de risque centennal. Je tiens à souligner que nous ne tenons pas compte spontanément des événements qui se produisent avec une fréquence de ce type non seulement dans notre comportement mais également dans notre culture. Dès lors, il faut des normes afin de tirer les conséquences en terme de prévention, d'organisation et de mémoire. Je tenais à souligner cet élément. Les événements qui sont considérés comme catastrophiques ne peuvent être gérés par le biais de la conscience spontanée.

Nous nous posons tous la question de savoir si les changements climatiques induisent, sont susceptibles d'induire ou induisent déjà une modification sur les événements de ce type. Je considère qu'une réflexion salutaire a été menée depuis quelques années. Elle consiste à affirmer que le changement climatique, s'il est confirmé, ne se traduira pas par une variation homothétique de la situation sur l'ensemble de la planète. L'augmentation de cinq degrés ne sera pas uniforme mais pourra se traduire notamment par l'apparition ou l'accroissement de phénomènes non linéaires, qui conduiraient à ce qu'il pleuve d'autant plus dans les régions où la pluie est d'ores et déjà abondante et qu'il pleuve beaucoup moins dans les régions arides. Cette évolution impliquerait une augmentation des phénomènes extrêmes. Il serait certainement erroné et scientifiquement non fondé de déclarer que les phénomènes que nous avons constatés en France depuis deux ou trois ans sont le signe d'un changement climatique global. En revanche, ce type d'événement est susceptible de se produire si le phénomène se confirme. A titre d'exemple, il a été calculé qu'à l'horizon de quelques dizaines d'années, le débit de la Tamise pourrait croître de 10 %.

Je souhaitais vous soumettre une deuxième réflexion. Etant considéré que le risque de catastrophe naturelle a une probabilité de ce type, il convient de procéder à une clarification des objectifs et des responsabilités. Les objectifs que l'on prend souvent en France en matière de prévention des inondations consistent à considérer l'événement de référence centennal. Il est important de garder cet élément en tête. Par exemple, les circulaires ministérielles de 1994 et de 1996 prennent cet événement de référence, que l'on retrouve également à la base de nombreux plans de prévention des risques. Cela étant dit, il convient de retenir deux idées. D'une part, il ne faut pas que nous donnions à penser à nos concitoyens que nous les protégerions intégralement de l'événement centennal. La référence que nous prenons en considération est la base des actions prévues par l'Etat notamment mais ne signifie pas pour autant que nous apportons une garantie absolue. Si la crue de 1910 se reproduisait à Paris, elle serait moins importante que par le passé mais provoquerait 50 millions de francs de dégâts. D'autre part, il faut parfois être plus ambitieux que l'événement centennal. Il me paraît important que, dorénavant, nous soyons plus vigilants pour tous les bâtiments indispensables à la gestion d'une crise éventuelle. Il ne serait pas raisonnable qu'un hôpital ou un centre de secours ne soit pas protégé. Cette thématique de protection des bâtiments de secours est maintenant bien assimilée pour les risques sismiques aux Antilles. Il convient de l'appliquer aux autres zones.

J'ai indiqué qu'il s'agissait de clarifier les responsabilités. Un acteur important à l'égard du risque de catastrophe est l'Etat. Ce point fait l'objet d'un consensus. Une demande forte est adressée à l'Etat, même s'il lui est souvent reproché d'en faire trop avant les événements et pas assez ensuite. Par exemple, après les lois de décentralisation, il a été confirmé, en 1982, 1987 et 1995, que les actions liées aux risques naturels incombent essentiellement à l'Etat. Que demande-t-on à l'Etat ? D'une part, l'Etat doit apporter des informations fiables, honnêtes et loyales à l'ensemble des acteurs : aux collectivités, aux citoyens, à l'opinion. Cette mission d'information est un élément fondamental de la gestion des risques modernes. D'autre part, on lui demande de fixer des règles de prévention. Enfin, une demande moderne, qui me paraît extrêmement importante, consiste à organiser le retour d'expérience. Un des risques de notre fonctionnement, issu de la culture de notre pays, consiste à cesser de parler d'un événement catastrophique lorsque celui-ci s'achève. S'il a été géré avec une solidarité importante, avec des gens qui paient de leurs personnes ou des élus qui travaillent à temps plein, cela peut donner lieu à une période de consensus qui s'éteindra aussi vite. Lorsque l'événement se passe mal, la même issue est constatée. En définitive, il y a, de manière générale, un désir relativement limité de procéder à un retour d'expérience et de tirer les leçons de la prévention, qui n'avait pas été suffisamment assurée. Une idée moderne est apparue après les inondations de Nîmes et consiste à organiser ce retour d'expérience. Il convient de formaliser dans les semaines suivant l'événement de mobiliser les compétences afin de procéder à une enquête sur la zone concernée.

Une seconde demande moderne consiste, me semble-t-il, à montrer l'exemple. J'évoquais à l'instant l'exemple des bâtiments dédiés au secours. Il existe d'autres infrastructures pour lesquelles l'Etat est le maître d'ouvrage. Il me paraît important que l'Etat montre l'exemple. Il serait incompréhensible que des bâtiments de ce type ne résistent pas efficacement aux catastrophes.

Nous reviendrons plus tard sur l'organisation des responsabilités entre l'Etat, les particuliers, les entreprises et la collectivité.

Je souhaiterais évoquer les plans de prévention des risques. L'idée selon laquelle il est nécessaire d'instaurer des plans de ce type, dans le cas d'inondations ou d'avalanches, n'est pas nouvelle. Toute une série de textes ont été publiés. Ainsi, un premier décret de loi a été édicté en 1935, et a fondé un support juridique au plan de surface submersible. L'intervention administrative, qui visait autant l'écoulement des eaux que la prévention des inondations, a donné lieu à de nombreux textes dont le contenu n'est pas extrêmement opérationnel. Un certain nombre de textes reposent sur l'application du code de l'urbanisme. Enfin, des textes ont été créés par des lois au début des années 1980 et concernent le plan d'exposition aux risques.

Le constat global à la fin des années 1990 consistait à déclarer que ces réglementations n'avaient pas été particulièrement efficaces. Il existait peu de plans de prévention des risques. Les plans de surfaces submersibles étaient creux. La loi a refait, en 1995, un type d'intervention qui s'est substitué au précédent et qui fonde les plans de prévention des risques. Il a été affirmé que la prévention est une responsabilité de l'Etat. Un débat s'est instauré au cours de cette période afin de déterminer si cette responsabilité serait reconduite ou transférée aux régions ou aux départements. La confirmation de la tâche de l'Etat implique un contenu technique et des procédures suffisamment contradictoires de consultation du public et des collectivités dans la mesure où cette procédure n'est pas du goût de tous. De plus, cette procédure entraîne des effets juridiques forts. La mission d'utilité publique s'impose au plan d'occupation des sols. De manière assez intéressante, cette décision a correctement fonctionné. Je tiens à vous distribuer le diagramme d'évolution. A partir de la loi de 1995, le nombre de plan de prévention des risques approuvés a considérablement augmenté. Quelle en est la cause ? D'une part parce que les lois de finances successives ont fourni des moyens financiers considérablement accrus, qui sont passés de 25 millions de francs par an à plus de 100 millions de francs. D'autre part, nous avons fabriqué de nombreux guides méthodologiques et de support et avons formé des fonctionnaires. Enfin, un certain consensus s'est créé, collectivement, autour de ces instruments, y compris de la part des élus. Je me souviens qu'à l'issue des inondations de l'Aude, un certain nombre d'élus qui résistaient au préalable aux plans de prévention des risques m'ont déclaré qu'ils avaient fait leur travail et qu'il était normal qu'ils émettent des réserves en amont. En définitive, telle est la répartition des responsabilités.

Je considère qu'un des points sur lesquels j'attends beaucoup d'une Commission d'enquête comme la vôtre, Monsieur le Président, est de contribuer à accélérer cette mécanique. A l'heure actuelle, 2.707 plans ont été approuvés sur le territoire national. Selon mon point de vue, il serait nécessaire de disposer, d'ici à 2005, de 5.000 plans de prévention des risques. Il conviendrait d'augmenter de 50 % le rythme de progression annuelle que nous avons connu jusqu'à présent.

Le dernier point de réflexion porte sur la caractéristique du système français concernant le processus d'indemnisation des catastrophes naturelles. Lorsqu'un événement anormal est reconnu comme tel par un arrêté ministériel, les dommages sont financés par un mécanisme particulier, par une surprime qui s'ajoute à l'ensemble des contrats de responsabilité civile. Ce régime a conduit à une indemnisation relativement souple et rapide de tous ceux qui subissent des inondations, des mouvements de terrain ou tout autre événement. Il me semble qu'il s'agit d'un des progrès de ces vingt dernières années en matière de gestion des risques naturels. Cela étant dit, ce mécanisme peut induire certains effets pervers qu'il nous appartient, aux uns et aux autres, de corriger. Nous constatons une déresponsabilisation à la fois des assureurs, des collectivités et des particuliers. A partir du moment où le système fonctionne, quelle est l'utilité de prendre des mesures de prévention ?

Dans certaines communes, de nombreuses déclarations de catastrophe naturelle ont été effectuées. Etant donné que le système est particulièrement mutualisé ou socialisé, il n'y a pas eu de répercutions par l'intermédiaire de l'augmentation de la prime d'assurance. Autrement dit, lorsqu'il y a des actions de protection contre le risque, d'amélioration de la prévision, de prévention, cela n'est pas pris en compte dans le contrat d'assurance de l'assuré.

Nous devrions encourager des initiatives dans ce sens. Je crois que c'est l'un des éléments sur lesquels il faudra appuyer notre démarche, afin de mieux insérer les assureurs dans le jeu. Cela devra se faire progressivement, sans détruire le système qui a été l'un des progrès de notre gestion collective des risques. Nous pourrions, par exemple, inciter les assureurs à développer un mécanisme de rachat des franchises, qui pourrait être fondé sur une tarification tenant compte de la prévention des risques. La multiplication des interventions du bureau central de tarification permettrait de réguler les tarifications, afin que chacun ne paie pas le même prix, quels que soient les efforts de prévention fournis.

Voilà, Monsieur le Président, quelques idées présentées à titre liminaire. J'aurais pu aborder d'autres sujets mais je ne suis pas le seul que vous entendrez et je me tiens maintenant à votre disposition.

M. le Président - Merci de cet exposé d'ensemble, qui a permis de soulever un certain nombre de questions. Monsieur le rapporteur, souhaitez-vous poser une question ?

M. le Rapporteur - Vous nous avez, bien évidemment, fait part des PPR ou PPRI qui existent. J'ai cru comprendre, à travers la carte que vous nous avez présentée, qu'il n'y avait pas de PPR dans la Somme mais qu'il avait été prescrit.

M. Philippe Vesseron - Non, il n'y avait ni PPR prescrit, ni a fortiori PPR approuvé dans la Somme. Il a été prescrit après les événements actuels ou plutôt pendant, puisqu'ils ne sont toujours pas finis.

M. le Rapporteur - Il est en effet annoncé le 25 mai 2001. Il est donc prescrit depuis...

M. Philippe Vesseron - Voilà.

M. le Rapporteur - Ce sont toujours les événements qui font avancer les choses.

M. Philippe Vesseron - Je trouve, Monsieur le rapporteur, cette remarque un peu injuste. Croyez-moi, pour aboutir aux 2.707 plans approuvés et autres, il faut de la ténacité. Cela ne se fait pas simplement au fil de l'eau.

M. Jean-François Picheral - Pour Aix en Provence, il a fallu cinq ans.

M. Philippe Vesseron - Oui, certes. Je passe mon temps à mettre la pression nécessaire sur chaque DDE et sur chaque Préfet.

M. Jean-François Picheral - Dans l'Oise et dans l'Aisne, vous avez réussi.

M. Philippe Vesseron - Oui.

M. le Rapporteur - Que nous aurait apporté ce PPR s'il avait existé dans la Somme ?

M. Philippe Vesseron - Le jour de son approbation, rien, sauf pour les franchises de régime catastrophe assurance. De même que pour un plan d'occupation des sols, ce type d'intervention produit ses effets au fur et à mesure que, par exemple, les décisions sont prises de construire ou de modifier un certain nombre de biens. Je serais malhonnête si je vous répondais qu'il y a un changement immédiat.

M. le Rapporteur - Pour aller dans le sens de mon collègue, qui souligne le temps que tout cela prend, ne serait-il pas possible de simplifier les procédures, afin de réduire les délais ? Il est vrai que cinq ans, c'est presque une mandature au niveau d'un Conseil municipal. Ce sont tout de même des délais très importants.

M. Philippe Vesseron - C'est vrai. J'ai dit qu'il faudrait obtenir des crédits d'étude plus importants pour que les données disponibles, permettant aux uns et aux autres de comprendre ce qui est nécessaire, soient entièrement accessibles. Ces informations pourraient être abondamment diffusées sous forme numérique, afin qu'elles puissent être reprises et réutilisées par chacun.

Il faudrait aussi motiver les gens et les former. A l'heure actuelle, un des blocages demeure le nombre encore insuffisant de personnel qui se consacre aux actions risques naturels dans les DDE. Il est donc nécessaire d'encourager la communication ainsi que la diffusion d'informations pour faciliter les choses. Je n'ai pas parlé de ces éléments, que plusieurs d'entre vous connaissaient, j'en suis sûr : les documents d'informations DDRM, dossier communal synthétique... Tous ces documents par lesquels l'Etat informe les collectivités...

M. le Rapporteur - Appliqué à la Somme, que cela signifie-t-il ?

M. Philippe Vesseron - Le DDRM est assez bien fait et parle largement des inondations. Il y a même une belle photo sur la couverture, consacrée à ce sujet.

M. le Rapporteur - Il fallait donc les inondations.

M. Philippe Vesseron - Le DDRM était fait. Les documents d'information, à l'échelle communale, pouvaient être réalisés sans difficulté. Il me semble qu'il aurait été souhaitable que l'Etat, c'est-à-dire les services, le Préfet... se rendent plus rapidement compte, d'une part, que les inondations de 1995 ne représentaient pas le risque maximum que l'on pouvait rencontrer et, d'autre part, que tout ces événements appelaient une réponse réglementaire. Nous avons tous tendance à mobiliser tous les efforts sur les actions qui peuvent mettre la vie humaine en danger mais il n'est pas amusant pour autant de voir deux mille personnes hors de chez elles pendant de longues périodes. Peut-être faudrait-il donc modifier les priorités.

M. le Rapporteur - Hormis les PPR, qui n'existaient pas, quelles mesures aurait pu prendre le Ministère de l'Environnement pour prévenir ces inondations ou tout au moins pour informer ?

M. Philippe Vesseron - Une mission a été déclenchée et je pense que votre commission comptera parmi les lecteurs les plus attentifs des conclusions de l'équipe. Je n'ai pas encore eu connaissance des résultats.

L'une des questions que je me pose est la suivante : pourquoi les crues de 1995 ont-elles été perçues comme l'événement centennal, le pire événement susceptible de se produire dans cette région ? Comment se fait-il que l'on se soit trompé d'élément de référence ? Je n'ai pas, aujourd'hui, de réponse à cette question. L'entretien des rivières avait été confié au Conseil Régional, qui l'avait délégué au Conseil Général. Je lis, comme vous, que le budget annuel est de l'ordre de dix millions de francs, ce qui ne me paraît pas critiquable a priori. En tout état de cause, étant donné l'ampleur de l'événement qui s'est produit, des modalités différentes dans l'entretien des rivières n'auraient pas significativement changé le résultat.

A mon avis, nous aurions dû mieux tirer les leçons des crues de 1995 et lancer plus tôt la prescription de réalisation des PPR dans les communes concernées. Je l'avais écrit au Préfet à l'époque.

M. le Rapporteur - Il est vrai que nous avons connu plusieurs inondations avec de plus petites crues : 1988, 1994, 1997. Je dois dire que des avertissements ont été envoyés par les communes. A-t-on véritablement entendu ces appels ? Je l'ignore.

M. Philippe Vesseron - Monsieur le rapporteur, vous savez que nous sommes dans une situation qui est complètement exceptionnelle en termes de pluviométrie depuis octobre 2000. On n'a jamais vu des volumes aussi importants sur une période de six mois. Il faut, nous dit-on, remonter au siècle précédent pour constater de pareils phénomènes.

M. le Rapporteur - A la lumière des entretiens que nous avons eus jusqu'alors, il apparaîtrait un manque de coordination évident entre certains services. Vous me direz que la zone de la Somme n'était pas couverte sur certains sujets. A priori, les informations existaient, mais les bons destinataires ne se trouvaient pas au bout de l'information pour l'analyser et en tirer les conséquences. De toute évidence, les informations qui nous ont été communiquées méritaient une attention particulière, des prises de décisions et au moins l'alerte.

M. le Président - Monsieur le rapporteur évoque l'absence, pour le territoire de la Somme et le bassin, d'un service d'annonce des crues. Les alertes ont beau fonctionner, s'il n'y a personne pour être le destinataire de ces prévisions, elles ne passent pas dans le grand public.

M. Philippe Vesseron - Nous avons tous une préoccupation commune qui est la suivante : quels sont les risques qui peuvent tuer les gens ? Cela absorbe beaucoup de notre vigilance. Il faut se prémunir contre la faute de raisonnement consistant à dire qu'un événement dont on est pratiquement persuadé qu'il ne peut pas tuer quelqu'un n'appelle pas de mesure particulière.

Ce n'est pas par hasard que je vous rappelais que la crue de 1910, à Paris, à 50 centimètres près, ne mettrait pas aujourd'hui, j'en suis à peu près sûr, de vie en danger, mais que le coût pour la collectivité serait considérable.

Je n'ai pas encore d'estimation concernant le coût des événements de la Somme. Vous avez lu, comme moi, des chiffres qui demeurent provisoires. Mais même en termes économiques, cela n'est pas entièrement négligeable. En novembre 1999, les événements de l'Aude, qui ont tué un certain nombre de personnes, ont également eu un coût considérable. L'économie fait partie des choses. Les tempêtes de Noël 1999 ont, de mémoire, entraîné la mort de quelque 90 personnes et coûté une centaine de milliards de francs au pays. Il faut donc nous méfier de situations où, parce que l'on considère qu'il n'y a pas de risques directs pour la vie humaine, le sujet est sous-valorisé.

M. le Président - Dans la pratique, nous avons un atlas des zones inondables de la Somme, que personne n'oserait regarder avec sérieux aujourd'hui. Qu'allons-nous faire maintenant ?

M. Philippe Vesseron - Monsieur le Président, j'ai oublié d'aborder la question de la coordination. Je suis loin d'être le seul acteur de la prévention des risques naturels. Une des formes de la coordination consiste à réunir les administrations concernées, à peu près tous les deux ou trois mois, pour faire le point sur un certain nombre de questions, et elles sont nombreuses.

Le gouvernement a décidé de mettre également en place une coordination au niveau politique, au niveau des ministres. Par un décret de février de cette année, il a créé un comité interministériel de la prévention des risques naturels, qui n'existait effectivement pas auparavant. Dans d'autres domaines, je vois des comités interministériels qui fonctionnent bien et qui peuvent être une mécanique par laquelle faire remonter des questions aux ministres concernés. C'est une institution qui peut s'avérer très utile. Le comité interministériel en cause sera appuyé par un conseil d'orientation, qui peut être en association étroite avec les experts et la société civile.

M. Michel Souplet - Une question va se poser tout de suite. Au niveau de la prévention des risques, il ne s'agit plus de risque majeur avec des gens qui risquent leur vie, mais on constate aujourd'hui, avec la chaleur, une invasion de moustiques, de mouches, de rats et donc une puanteur généralisée. Il ne va pas falloir attendre trois mois pour réagir. Que peut-on faire tout de suite pour régler un problème d'urgence, qui est consécutif aux inondations mais que l'on commence à vivre à partir de maintenant ?

M. Philippe Vesseron - Depuis quelques semaines, un certain nombre d'organisations se sont réunies pour anticiper sur les actions à mettre en oeuvre au fur et à mesure que l'eau se retire. Il faut nettoyer, donner des conseils pertinents à ceux qui vont devoir réparer leur maison avant d'y revenir, sachant que dans un certain nombre cas il n'y aura pas à réparer puisque les habitants devront partir ailleurs. Je ne suis pas sûr que tout soit suffisant. Je n'ai pas, moi-même, aujourd'hui, de réponse concernant les moustiques mais je sais que les questions de risques sanitaires ont été regardées de près.

M. Michel Souplet - Je pose la question parce que nous avons entendu des critiques que nous entendrons encore : « Il n'y avait qu'à, il fallait que, il faut que l'on.... ». Ces critiques sont faciles. Notre commission va rechercher s'il y a des responsables. Mais nous nous trouvons devant un problème qui se pose actuellement. Sommes-nous au moins en mesure de le résoudre rapidement ? Les moustiques et les mouches sont faciles à détruire, mais il faut faire vite.

M. Philippe Vesseron - L'une des questions que pose le retour à la normale est la suivante. En gros, nous sommes dans une situation où la nappe phréatique a atteint un niveau très important ; que faire pour gérer rationnellement la situation si les crues recommencent dans quelques mois ? Il serait assez peu satisfaisant pour les différentes autorités et pour les personnes d'avoir aidé des gens à revenir chez eux s'ils sont exposés à de nouvelles crues dans huit mois. C'est l'un des risques sur lesquels nous travaillons.

M. le Rapporteur - Que faire contre cela ?

M. Philippe Vesseron - Nous essayons notamment de permettre aux gens de partir lorsque leur maison est trop endommagée.

M. le Rapporteur - C'est facile à dire mais comment réaliser tout cela ? Nous en avons parlé. Nous sommes arrivés en juin, octobre n'est pas très loin et les choses ne se font pas si vite. Faut-il mettre des mobil homes partout ?

M. le Président - Dans l'état actuel de la logistique, nous ne pouvons pas en installer plus de douze par semaine.

M. Michel Souplet - On assiste à un phénomène psychologique que le rapporteur et le Président ont souligné tout à l'heure devant vos prédécesseurs. Il y a un mois, les gens disaient qu'ils ne reviendraient plus jamais dans leur maison, que la situation était épouvantable et qu'ils n'avaient jamais vu cela. L'eau est partie depuis trois jours, ils sont rentrés et ils sont contents de rentrer chez eux. C'est une question pour laquelle nous n'avons pas de réponse.

M. Philippe Vesseron - Comment mobiliser des mécanismes pour faciliter la réhabilitation ou le transfert chaque fois que cela est possible ? Ce n'est un secret pour personne que dans le cadre d'un CIADT, une réflexion avait été lancée.

Ma préoccupation principale consiste à ne pas pousser les gens à revenir chez eux, à remettre en état une maison et à se retrouver dans une situation où la vie risquerait d'être à nouveau gravement perturbée, dans neuf mois, par une nouvelle inondation.

M. le Président - Pour nous qui vivons cela sur le terrain, ce que vous nous dites là est quelque peu contradictoire avec ce qui se passe réellement, puisque des services de l'Etat ont pour mission de permettre aux gens de rentrer le plus vite possible. Les populations en sont heureuses.

M. Pascal Douard - Il y a deux types de maisons : celles qui ont été fortement endommagées, pour lesquelles il faut effectivement se demander si l'on doit les reconstruire ailleurs, en essayant de trouver un financement adéquat, et celles qui ont été faiblement endommagées, pour lesquelles la sagesse veut que les gens continuent de les habiter.

Pour ces maisons, je crois que l'un des enjeux consiste à parvenir à mieux les reconstruire, ce qui signifie que la construction devra être moins vulnérable aux inondations si elles se reproduisent. Cela veut dire aussi qu'il faudra combiner l'argent des assurances et des conseils techniques pour essayer de reconstruire mieux.

L'erreur consisterait certainement à refaire les papiers peints, la peinture, etc. , toutes ces choses qui ne sont pas capitales. Ceci pour deux raisons : d'une part, pour une raison technique, nous avons intérêt à laisser sécher au maximum et, d'autre part, étant donné que la nappe reste haute, nous ne sommes pas à l'abri d'un retour des inondations.

M. le Rapporteur - La vraie question est celle-ci car nos interlocuteurs nous ont précisé qu'à l'heure actuelle, personne ne peut nous affirmer que la nappe sera assez descendue pour que cela ne recommence pas cet hiver. A supposer que l'on arrive à extraire l'eau qui se trouve partout d'ici un mois à un mois et demi, que pouvons-nous faire pour éviter que cela ne recommence à l'automne ?

M. le Président - On publie un PPR ?

M. Philippe Vesseron - L'un des éléments que je regarderai dans le rapport sera l'historique de la construction. Dans d'autres régions qui ont subi des inondations, il a été très intéressant de constater que pour des lieux considérés comme dangereux dans les années soixante, la culture de ce risque avait été perdue.

Si un PPR permet par une règle claire, notamment dans le jeu entre le sinistré, l'assureur et les différents mécanismes de l'Etat, de faciliter le départ de celui dont la maison est significativement endommagée et qui se trouve en zone rouge, il serait stupide, dans ce type de situation, d'encourager la reconstruction sur place.

M. Jean-François Picheral - L'intérêt du PPR dure quatre ans parce qu'il y a un débat démocratique avec les propriétaires qui pensaient pouvoir construire et à qui l'on dit que la zone sera inconstructible car inondable. Ces gens doivent alors faire procéder à des études utiles pour l'avenir. Il est certain que cela ne va pas résoudre les problèmes dès demain.

M. Paul Raoult - Le lit mineur de la rivière a été construit par l'histoire à la fois géologique, hydrogéologique et autre pour évacuer 50 m 3 par seconde maximum. L'accident naturel fait qu'il faudrait évacuer 120 m 3 . Cela signifie que l'inondation est inévitable.

Tout ce que nous pouvons faire à partir de ce constat est nous demander, premièrement, si l'écoulement de l'eau permet d'évacuer au plus vite la masse d'eau qui est arrivée en surplus, c'est-à-dire si le curage de la rivière et de ses affluents se fait assez correctement pour évacuer efficacement ; deuxièmement, si les pratiques culturales ne font pas que le ruissellement va aujourd'hui plus vite sur le versant de la vallée. En effet, nous avions énormément de terres en herbe et, aujourd'hui, nous avons davantage de maïs. La capacité de rétention superficielle du sol a donc profondément diminué. Il faudrait alors voir du côté des bassins de rétention.

Je crois que nous ne pouvons pas inventer d'autres solutions, sinon curer l'ensemble des marais du lit majeur pour parvenir à avoir une capacité de rétention de l'eau qui n'inonde pas les villages. Il faut aussi bien se rendre compte que l'on doit faire face à des pressions des chasseurs, des pêcheurs et des riverains qui ne veulent pas que l'on touche à leur fossé.

Dans mon canton, nous sommes en train de curer une rivière et les riverains ne veulent pas nous laisser passer avec la pelleteuse et les autres engins. Or nous savons bien que si nous laissons les choses en l'état, ce sera inondé. Le jour où il y aura un gros orage, et cela s'est déjà produit, on risque des inondations catastrophiques. J'ai vu une usine textile de 400 personnes inondée, elle a été déménagée un mois après et nous l'avons perdue.

Il ne faut certes pas oublier la part de l'élément naturel. Il faut bien que l'eau s'écoule, s'en aille. Il faut bien accepter cela. Nous perdons un peu la notion d'événement naturel, non maîtrisable. Je dirais presque que c'est le fatum. Au-delà de ce phénomène, il faut savoir que cela peut arriver et se demander si nous avons la capacité de faire en sorte que les dégâts soient les moins importants possible.

M. Philippe Vesseron - Je suis assez sensible à vos propos et je les approuve. J'émettrai toutefois une réserve. Il est clair que lorsqu'une culture se met à méconnaître le fait que les risques naturels existent, on remarque des changements de comportements comme la suppression des zones inondables ou autres aménagements par les particuliers ou les communes. Cela est entièrement vrai. Il est donc nécessaire de recourir à toute la pédagogie possible, en tous lieux, afin de modifier ce type d'approche. Cependant, face à 100 m 3 /seconde, on ne peut pas faire grand chose...

M. Paul Raoult - Mais toute l'eau qui est restée depuis trois semaines aurait pu s'évacuer plus vite. En allant sur place, on voit bien que depuis qu'il ne pleut plus, l'eau a du mal à s'évacuer. Elle ne s'évacue d'ailleurs même pas. En amont de la baie de la Somme, il y a de l'eau presque stagnante, qui ne diminue que de deux centimètres par jour alors que dans la baie, il n'y a plus rien. Cela signifie bien qu'il y a un problème.

M. Roland Courteau - Pour appuyer ce qu'a dit mon collègue et à la lumière de ce que j'ai pu vivre en novembre 1999 dans mon département, je crois que nous serons dans l'obligation de modifier la loi, ne serait-ce, peut-être, que pour imposer aux communes de se regrouper au sein de structures intercommunales afin de faire face à la nécessité d'aménager, d'élargir, de creuser, de curer ou d'entretenir les rivières et les cours d'eau. Toutes les communes ont partie liée, qu'elles soient en amont ou en aval.

Par ailleurs, il faudra aussi se préoccuper d'une autre question, qui passe aussi, certainement, par une modification de la loi. Je veux parler de l'accès aux propriétés privées, qui est nécessaire à l'entretien véritable des ruisseaux, des fossés et des rivières.

M. Paul Raoult - Mon chantier est bloqué depuis six mois parce que deux agriculteurs refusent de nous laisser passer.

M. Philippe Vesseron - J'ai regardé comment les choses se passaient pour faire respecter l'autorisation de débroussailler dans les zones de forêt. Ce n'est pas dans ce palais que je dirais qu'il ne faut pas forcément bafouer les droits des communes inconsidérément. Autant que des mécanismes d'obligation de regroupement, il pourrait être utile de créer des mécanismes d'incitation au niveau des communes et départements. Je vois actuellement des formes assez originales qui se montent et qui se révèlent être de véritables substituts.

M. Roland Courteau - C'est n'est pas simple. Je crois qu'à un moment donné il faut presque imposer, et cela passe par la loi.

M. Philippe Vesseron - Au niveau des collectes d'ordures ménagères, je vois les systèmes intercommunaux s'accélérer et se moderniser de manière souple.

M. Paul Raoult - La pression de l'individualisme, des associations de pêcheurs et autres fait que cela est de plus en plus difficile. L'interaction amont-aval est difficile à mettre en oeuvre. Depuis dix ans, nous avons mis en place quatre contrats de rivière dans le Nord. Entre le moment où nous avons délibéré et le moment où les engins sont arrivés, dix ans se sont écoulés.

M. Philippe Vesseron - Il faut forcer les communes à se regrouper si besoin est ou tout au moins faciliter leur regroupement. En outre, il faut permettre la réalisation d'offices de travaux. Il s'agit de créer des mécanismes permettant aux communes de faire ce qui est nécessaire. Vous prévoirez la garantie d'un tribunal si vous le souhaitez. Il est indispensable de rendre possible les choses qui doivent être faites.

Par ailleurs, il me paraît important que l'information de celui qui achète un bien soit complète. A l'heure actuelle, la loi prévoit que celui qui vous vend un site qui a été le support d'une usine à gaz doit vous prévenir que vous habitez un sol vraisemblablement pollué. En revanche, si vous achetez un terrain qui a fait l'objet d'un arrêté de catastrophe naturelle...

M. Paul Raoult - Que faites-vous lorsque vous curez la rivière et que vous découvrez du plomb ou des métaux lourds ?

M. Philippe Vesseron - Je retire mon exemple sur les sols pollués, mais je maintiens l'idée. Il serait souhaitable que la loi prévoie que celui qui achète un bien soit informé des arrêtés de catastrophes naturelles antérieurs. A l'heure, aucune obligation de ce type n'existe et cela me semble dommage.

M. Pascal Douard - Je partage largement l'analyse concernant à la fois l'intérêt des travaux sur les crues, les difficultés et les limites. Il est évident que nous ne parviendrons pas à faire évacuer rapidement toute l'eau de crues exceptionnelles.

Partant de cette analyse, il existe un moyen d'intervention qui consiste à agir sur les biens affectés par la crue. Il faudrait essayer de construire des bâtiments qui résistent mieux, un peu à la manière de la sagesse de nos ancêtres, qui plaçaient souvent le niveau habitable au premier étage lorsqu'ils construisaient dans des endroits qui pouvaient être inondés. Nous avons un peu oublié ces choses-là.

Il y a tout une redécouverte à entreprendre dans la conception de l'habitat et des bâtiments industriels et commerciaux afin de construire des bâtiments moins vulnérables. C'est probablement un mouvement qu'il faut essayer d'accompagner. Dans le bassin Loire-Bretagne, nous avons commencé à mettre au point des études diagnostiques pour aider les gens à réfléchir. Au niveau des entreprises, c'est probablement une idée intéressante à développer car cette action va de pair avec les autres actions concernant la diminution des coûts. Avec ce qui s'est passé en Bretagne et ce qui se passe dans la Somme, nous sommes au coeur du problème car la question de l'adaptation de l'habitat se repose.

Je suis aussi frappé de constater qu'au niveau des opérations de rénovation de l'habitat, on a, à chaque fois, dû déroger aux règles. Il serait probablement nécessaire de mener une réflexion sur les règles, de façon à ce que l'on ne soit pas obligés d'y déroger à chaque fois.

M. Michel Souplet - Je suis très perméable aux idées qui sont avancées ici. Il est vrai que nous devons faire face à des obstacles, à des gens têtus qui ne veulent rien entendre et qui font valoir leur droit de propriété. C'est idiot. Mais je suis aussi viscéralement contre tous les interdits.

Au fond, il y aurait une solution simple : il faudrait que tous les Maires de France aient en mairie un registre retraçant les événements du siècle dernier, à titre de témoin, et lorsqu'une transaction aurait lieu, les notaires devraient demander aux gens s'ils sont allés consulter le registre. Cela prendrait deux heures pour confectionner ce type de registre dans chaque mairie. Les gens ne pourraient plus alors se retourner contre qui que ce soit. Cela permettrait de disposer d'informations que les gens pourraient trouver tout de suite.

M. le Président - En même temps, une action générale de pédagogie sur les choses à faire serait nécessaire. Dans le cas de la Somme, on voit des associations écologiques de défense de l'écosystème réveiller un instinct de propriété qui s'était endormi, pour pouvoir résister à des mesures qu'il faut prendre.

M. Philippe Vesseron - Encore une fois, Monsieur le Président, dans tous ces domaines, je passe mon temps à gérer des facettes contradictoires.

M. Paul Raoult - Une espèce de mitage se crée, souvent avec des petites gens. Chez moi, il y a un camping fermé l'hiver. En octobre, il reste toujours une ou deux familles qui restent et l'on découvre qu'elles n'ont pas de maison. Elles viennent à la mairie pour qu'on les reloge. Ensuite, des journaux comme La voix du Nord écrivent que le Maire ne reloge pas les gens. Je suis dans l'obligation de les reloger et ces gens s'installent, construisent leur petite maison...

M. Hilaire Flandre - On doit se garder de l'idée que le risque zéro est à portée de main. Si l'on devait interdire les constructions sur des zones qui ont eu, un jour, le malheur de subir une inondation, l'ensemble du territoire français, ou à peu près, pourrait être interdit de construction. Il existe de nombreuses zones qui ont, une fois, connu une inondation et qui n'en reverront sans doute pas avant longtemps. Ce qu'il faut, en revanche, développer, c'est l'acceptation d'un risque tout à fait calculé.

Que les gens inondés reconstruisent leur maison ne me choque pas en tant que tel. Mais je serais choqué s'ils redemandaient une indemnisation dans deux ou trois ans, suite à une nouvelle inondation. Il est important que les gens soient informés, lorsqu'ils achètent une maison, qu'il y a un risque d'inondation.

En matière d'aménagement, pour répondre à Monsieur Raoult, je tiens à préciser que les préoccupations des gens varient avec le temps. Il y a quelques années, la préoccupation première consistait à maintenir des zones inondées, humides, et à d'autres époques, on demande d'assainir ces eaux humides pour pouvoir pratiquer l'évacuation de l'eau. Nous devons donc rester cohérents dans notre manière d'aborder les choses.

En ce qui concerne la mémoire, dans une commune proche de chez moi, à cinq kilomètres, on vient de découvrir, dans un lotissement, 170 tonnes d'obus de la guerre de 1914. En fouillant la mémoire des vieilles personnes, on entend dire que cela provient des Allemands. Or ce n'est pas vrai. La mémoire disparaît donc très rapidement, sauf si on l'écrit. La mémoire orale ne dure pas plus que la vie d'un homme, même sur des choses graves.

M. Roland Courteau - J'avais noté une recommandation de M. Lefrou, dans son rapport, qui disait la nécessité de rendre obligatoire pour le propriétaire de rappeler le risque des parcelles dans le bail commercial ou dans le contrat de vente, etc. J'ajouterais qu'il faudrait peut-être rendre obligatoire la matérialisation des marques laissées par les crues. Ce n'est actuellement pas obligatoire. Il faudrait inscrire ces marques sur les bâtiments publics et sur d'autres édifices. Il serait également utile de demander aux conservateurs des hypothèques d'inscrire les risques sur le fichier immobilier.

M. Philippe Vesseron - Je reprends bien volontiers à mon compte un certain nombre de suggestions, pas forcément la dernière, sauf sous une forme un peu plus sophistiquée, qui est la suivante : il faut disposer d'un fait précis si l'on veut l'inscrire quelque part. Je suggérerais que l'on prenne alors les déclarations de catastrophes naturelles, mais votre idée ressemble assez à la mienne.

Pour ce qui est de la conservation de la mémoire, ce n'est pas si simple. Il me semble que M. Souplet va un peu vite en besogne. Nous avons besoin que la collectivité se souvienne encore, dans trente ou cinquante ans, d'un certain nombre d'événements, et nous devons réfléchir aux mécanismes permettant d'y parvenir. Un CD-Rom ne sera plus lisible dans cinquante ans. Faire des signes visibles, comme cela a été fait dans certaines villes, pour indiquer le niveau de l'inondation, est effectivement un moyen assez pédagogique, que je soutiens très largement.

J'espère vous avoir convaincus que la stratégie rationnelle ne consiste pas non plus à prétendre que nous pourrions atteindre un risque nul. Je pense que nos concitoyens sont, sur ces problèmes de risques naturels, extrêmement responsables et rationnels. Même dans des situations de catastrophes, les gens n'ont pas de réaction de panique.

M. Paul Raoult - Tout de même, la rumeur d'Abbeville...

M. Philippe Vesseron - Il s'agit simplement d'une rumeur...

M. Hilaire Flandre - La réaction n'est pas une réaction de panique. Le problème est de savoir qui va payer.

M. Philippe Vesseron - Absolument. C'est un cas où il faut prendre garde à ne pas créer de mécanismes d'affirmation de responsabilité, qui engendrent des effets pervers sur les assurances. C'est un peu ce que je disais au début. On comprend aisément qu'en cas de véritables catastrophes, qui mettent en péril des vies humaines, la collectivité soit généreuse, quelles que soient les responsabilités antérieures. Lorsqu'il s'agit d'un événement qui se produit tous les trois ans et qui conduit à rénover la moquette posée inconsidérément au rez-de-chaussée, c'est une autre affaire.

Vous parliez de risque nul. Je ne vends pas de risque nul et nos concitoyens ne s'attendent pas à cela. Il me paraît extrêmement important, et je vous rejoins ici entièrement, que l'information soit complète. Nous travaillons sur des sujets qui intéressent, qui relèvent un peu du domaine des sciences naturelles. Nous pouvons utiliser les journaux comme relais. Les mécanismes de l'enseignement véhiculent bien tout ce qui concerne le risque naturel. Je trouve que nous n'en faisons pas assez. C'est un domaine où il est nécessaire d'amplifier ce qui est réalisé par les communes, l'Etat, les départements...

Le risque acceptable est quelque chose de très compliqué. Comment les choses se décident-elle ? Comment décider sur ce qui est proposé par le technicien, sans lui demander de prendre des décisions à notre place ? Comment suivre des procédures contradictoires, amener les différentes catégories d'intérêt à s'exprimer et à reconnaître ces intérêts ? Comment amener chacun à assumer ses responsabilités ? Il faut sortir de l'indécision. Je parle, en général, de processus de décision. Cela signifie qu'à un moment donné, au niveau du législatif, de l'exécutif ainsi que dans l'administration, les gens prennent leur responsabilité.

Je vous remercie.

M. le Président - Il nous reste, Monsieur le directeur, à vous remercier.

M. Roland Courteau - Je n'ai pas très bien compris pourquoi vous n'étiez pas favorable au fait de demander aux conservateurs des hypothèques d'inscrire les risques, en cas de catastrophe naturelle, sur le fichier immobilier.

M. Philippe Vesseron - Ma proposition consiste à reporter des faits précis, pour lesquels des arrêtés de catastrophes naturelles sont intervenus. L'inscription, aux hypothèques, des endroits où un risque naturel s'est matérialisé ne donne pas de qualification assez précise pour que le dispositif soit opérationnel.

M. le Rapporteur - Je voudrais juste dire un mot sur la rumeur d'Abbeville. Elle court, elle court... et la prévention, c'est aussi, en quelque sorte, la précaution. Sachez que, pour la première fois, tous les maires inondés ont été réunis huit jours ou une dizaine de jours après les inondations. Je me souviens de cette réunion. Dans la salle, il n'y avait que des gens qui ne voulaient rien entendre de ce qui allait leur être dit, parce qu'ils étaient inondés et que rien ne leur avait été dit auparavant. Ils n'avaient pas eu d'informations. D'après eux, l'événement ne pouvait être qu'extérieur : quelqu'un venait d'inonder la vallée de la Somme. Les gens disaient à M. le Préfet : « On se fout de ce que vous dites ». La discussion partait dans tous les sens, même de la part de maires qui venaient d'être élus.

M. Philippe Vesseron - Depuis 1961, j'ai regardé différents problèmes de risques naturels et technologiques. Il me paraît évident que ce qui est complètement refusé, et de plus en plus, c'est le mépris.

Je vous renvoie ici au nuage de Tchernobyl. J'avais fait faire un certain nombre de sondages d'opinion pour comprendre comment les choses s'étaient passées. Les Français, en général, n'avaient pas eu peur, mais ils en ont voulu aux pouvoirs publics de les avoir traités comme des enfants, de manière durable. En matière de risque, les choses se passent toujours ainsi.

M. le Président - Cela produit des effets très durables. Vous savez qu'il y aactuellement dans le Vercors, une rumeur que l'on ne maîtrise pas. L'effet se propage jusqu'au Danemark, où des agences de tourisme recommandent de ne pas aller dans le Vercors.

M. Philippe Vesseron - Lorsque l'on a commis ce type de fautes, il faut ensuite des années pour les réparer.

6. Audition de M. Daniel Vaillant, ministre de l'Intérieur (31 mai 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Monsieur le Ministre, bonjour. Je vous remercie d'être venu jusqu'à nous. Vous allez déposer devant cette Commission d'enquête parlementaire du Sénat. Les inondations de la Somme sont un problème que vous connaissez, puisque vous vous y êtes consacré depuis quelques semaines. Hélas, nous qui sommes de ce pays, nous savons que ce n'est pas terminé, mais nous attendons beaucoup de la coordination des différents services et des services de l'Etat. Si vous le voulez bien, vous nous ferez un exposé d'une dizaine de minutes, puis nous vous poserons quelques questions.

M. Daniel Vaillant, ministre de l'Intérieur - Merci, Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur et Messieurs les Sénateurs.

Votre Haute assemblée a décidé la création d'une Commission d'enquête sur les inondations de la Somme afin d'en établir les causes et les responsabilités, d'en évaluer les coûts et de prévenir les risques d'inondations futures. Vous avez souhaité m'entendre sur ce sujet et c'est bien volontiers que je me trouve aujourd'hui devant vous. Comme vous l'avez souhaité, je ferai part de ma position et de mes réflexions sur ce sujet complexe qui mobilise depuis près de deux mois le Gouvernement et les services de l'Etat, comme il mobilise également les collectivités locales et le monde associatif. Je me tiens bien entendu à votre disposition pour répondre à vos questions.

Mais, tout d'abord, avant d'examiner le fond du sujet, je souhaite redire devant vous toute la solidarité et la compassion que m'inspire cette catastrophe vis-à-vis de nos compatriotes de la Somme. Tout doit être mis en oeuvre, et je crois sincèrement que c'est le cas, pour leur venir en aide tant d'un point de vue matériel que psychologique.

Ce n'est hélas pas la première fois que la France est confrontée à des inondations importantes et dramatiques. Chacun a encore à l'esprit les crues de l'Aude, du Tarn et des Pyrénées-Orientales en novembre 1999 qui, à la différence des inondations de la Somme, avaient fait de nombreuses victimes. Un récent bilan de la procédure des catastrophes naturelles a fait ressortir que les inondations constituaient en métropole le principal risque auquel peuvent être confrontés nos concitoyens. Le montant des sinistres liés aux inondations est estimé à près de 21 milliards de francs pour la période de 1989 à 1999.

De par leur intensité et surtout leur durée, les inondations de la Somme présentent un caractère particulier par rapport à d'autres phénomènes rencontrés récemment.

Durant mon intervention, j'aborderai tout d'abord les éléments d'explication qui à l'heure actuelle sont à notre disposition, puis je présenterai l'étendue du sinistre et je terminerai par l'exposé de l'action de l'Etat, et notamment du Ministère de l'Intérieur.

Tout d'abord des éléments d'explication.

Une grande prudence s'impose actuellement sur le sujet. Sous réserve des conclusions que présentera la Mission d'experts créée par le Gouvernement, on peut tenter d'avancer en l'état quelques éléments d'explication.

La pluviométrie exceptionnelle enregistrée durant les mois de mars et avril 2001 sur la moitié nord de la France a déclenché des inondations dans la majorité des départements d'Ile-de-France, de Haute et Basse-Normandie, du Nord-Pas-de-Calais et de Picardie. Dans cette région, la vallée de la Somme a été particulièrement touchée en raison principalement de la conjonction de trois phénomènes :

• une crue de la Somme et de ses affluents, provoquée par une pluviométrie exceptionnelle, aggravée par l'apparition au même moment de grandes marées ;

• une saturation des étangs et marais, très nombreux dans cette région, qui servaient jusqu'à présent de déversoirs ;

• une remontée exceptionnelle des nappes phréatiques.

En résumé, les sols et sous-sols auraient été victimes d'une saturation complète rendant impossible ou très difficile l'écoulement et l'évacuation de l'eau ; d'où l'apparition de phénomènes de stagnation pendant des semaines.

Cette triple conjonction s'inscrirait dans un contexte antérieur. Ainsi, des hauteurs de précipitations significatives ont été enregistrées dès le printemps et l'été 2000, aggravées durant l'automne et l'hiver par des cumuls mensuels trois fois supérieurs à la norme habituelle. Ces fortes précipitations ont été suivies par des pluies, que l'on peut qualifier d'exceptionnelles, en mars 2001. Les nappes phréatiques n'ont pas absorbé cet excès d'eau qui est venu alimenter les rivières, marais et étangs de la vallée de la Somme. Les débits de la Somme à Abbeville ont atteint des volumes jamais enregistrés, de l'ordre de 80 m 3 /seconde, dépassant de 10 m 3 /seconde le débit de 1995. Le système hydraulique très complexe de la vallée de la Somme, auparavant protecteur par le jeu des interactions entre rivières, étangs et nappes, est devenu lors de ces inondations un facteur aggravant du fait de la conjonction des trois phénomènes mentionnés.

Tels sont, Messieurs les Sénateurs, les premiers éléments d'explication portés à ma connaissance qui devront être validés ou complétés par les experts à qui cette mission a été confiée.

Concernant l'étendue du sinistre, la tendance générale est heureusement à la décrue. Au plus fort de la crise, on peut estimer que 1.725 habitations ont été inondées, auxquelles s'ajoutent 2.200 caves, soit un total de 3.925 bâtiments qui, à des degrés divers, ont été touchés par cette catastrophe, la majorité d'entre eux à partir du début du mois d'avril.

Les crues ont concerné 166 communes, dont 31 ont fait l'objet de mesures d'évacuation des habitants. Au total, 738 habitations ont été évacuées, représentant 1.602 personnes.

Aux inondations s'ajoutent des mouvements de terrain conduisant à des affaissements dont l'étendue précise est encore mal connue. 46 communes sont victimes de ces affaissements qui ont nécessité l'évacuation de 24 personnes.

J'ai souhaité vous communiquer ces éléments chiffrés afin que la Commission puisse disposer du maximum d'informations.

Il est clair que le bilan exhaustif n'est pas encore connu. Il faudra plusieurs semaines pour évaluer les dommages dont ont été victimes les particuliers, mais aussi les collectivités locales. Sur ce point, je peux vous indiquer que 19 routes départementales ou communales ont été coupées. La ligne SNCF Amiens-Abbeville est désormais réouverte à la circulation ferroviaire. En revanche, la ligne Abbeville-Le Tréport demeure encore interrompue. Un service de desserte par voie routière a été mis en place.

Alors, quelle est l'action des pouvoirs publics ?

Beaucoup de choses ont été dites sur ce sujet. Je souhaite aujourd'hui présenter le bilan le plus exhaustif et objectif possible, en insistant bien entendu sur les missions dévolues au Ministère de l'Intérieur.

La montée des eaux a provoqué l'inondation de nombreuses habitations à la fin de la première semaine du mois d'avril. Le Préfet de la Somme, Préfet de la région Picardie, a fait appel aux forces armées pour venir en aide aux sinistrés et consolider, quand cela était efficace, les digues.

Je tiens à rappeler que, dès le lundi 9 avril, le Premier Ministre, conscient de l'ampleur des inondations, s'est rendu sur le terrain, à Abbeville, afin de témoigner de la solidarité du Gouvernement et d'examiner, en concertation avec les élus, les mesures qui devaient être prises. J'accompagnais le Premier Ministre lors de ce déplacement. Nous avons tous pu constater la détresse, voire la colère, manifestée par une partie de la population, mais aussi l'existence d'une part d'irrationnel dans les réactions dont l'illustration la plus connue concerne ce que l'on a appelé la « rumeur d'Abbeville ». Je ne reviendrai pas sur ce point qui n'est pas à mettre au crédit de ceux qui l'ont parfois entretenu.

Il était indispensable et de notre devoir d'apporter la réponse la plus adaptée face à cette situation dramatique. Au-delà de cette mobilisation naturelle de l'Etat et des collectivités locales, il importe également de souligner le mouvement spontané en faveur des habitants de la Somme que les Français ont exprimé, le plus souvent par l'intermédiaire du monde associatif.

Face à des situations de ce type, le Ministère de l'Intérieur doit réagir dans deux directions.

Premièrement, il s'agit de l'organisation des secours et, d'une manière plus générale, de l'urgence qu'il y avait à venir en aide aux sinistrés.

Dans ce domaine, la mobilisation sur le terrain et sous l'autorité du Préfet de tous les services de l'Etat relevant des différents ministères a été d'envergure. Je pense aux moyens militaires, notamment du Génie, que mon collègue Alain Richard a mis à disposition, aux moyens du Ministère de l'Equipement et bien sûr aux moyens de la Sécurité civile que j'ai renforcés le lundi 9 avril avec l'arrivée de 150 hommes de l'unité de la Sécurité civile de Nogent-le-Rotrou.

Cette mobilisation s'est également exprimée au niveau des services des collectivités locales. Me vient immédiatement à l'esprit l'action des sapeurs-pompiers, qui participent activement aux opérations de nettoyage aux côtés des personnels de la Sécurité civile.

L'Etat a mobilisé plus de 800 personnes de tous les ministères pour porter assistance aux victimes, mais aussi, je tiens à le rappeler, pour assurer la sécurité des biens et des habitations.

Tous les efforts et les actions de ces services ont tendu vers une aide et un soutien à la population. Je pense que, face à la détresse qui a frappé nos concitoyens de la Somme, la dimension humaine était la première à prendre en considération, avant même peut-être les opérations matérielles de lutte contre les inondations.

Je tiens également à saluer le rôle des services municipaux et du Conseil général qui, chacun dans leur domaine de compétence, ont apporté soutien, aide et réconfort à la population.

Ce travail en commun s'est concrétisé par la mise en place de cellules mixtes, composées d'agents des collectivités locales - assistantes sociales, services techniques, sapeurs-pompiers -et de l'Etat- personnel du cadre national des préfectures, de l'équipement ou de la gendarmerie - ou de la caisse d'allocations familiales qui se sont déplacées auprès de la population pour répondre aux besoins, demandes et interrogations.

La solidarité s'est également traduite par la mise à disposition de crédits d'extrême urgence afin de pouvoir répondre aux demandes des personnes les plus en difficulté. A ce jour, j'ai délégué, en fonction des demandes exprimées, 2,2 millions de francs qui ont été distribués par l'intermédiaire des centres communaux d'action sociale. Les crédits du Fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce (FISAC) pour les artisans et les commerçants ainsi que la procédure des calamités agricoles ont été sollicités.

Au total et quelle que soit la ligne budgétaire concernée, le Gouvernement a mis à disposition du Préfet de la Somme dix millions de francs afin de venir en aide à la population. Ces sommes seront, bien entendu, si le besoin s'en fait sentir, abondées sur demande du Préfet.

La troisième mesure concerne la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle. Le Premier Ministre a souhaité que cette procédure soit accélérée. Alors que normalement cette procédure est lancée après la fin du sinistre, j'ai convoqué la commission interministérielle dès le 25 avril afin que l'état de catastrophe naturelle puisse être déclaré et ainsi permettre aux assureurs de verser des avances sur indemnisation aux sinistrés. Sur la base des dossiers transmis par les maires, l'état de catastrophe naturelle a été reconnu dans 107 communes au titre des inondations et dans 17 autres communes au titre des mouvements de terrain.

L'aide aux collectivités locales, deuxième aspect de l'action du Ministère de l'Intérieur, revêt également une grande importance. La solidarité doit s'exprimer à l'égard des collectivités locales. Ces inondations ont provoqué des dégâts aux biens non assurables des collectivités locales. Nous ne disposons actuellement d'aucun bilan puisque la crise n'est pas terminée. Pour autant, le Préfet dispose déjà d'une enveloppe de 20 millions de francs qui permettra de subventionner les travaux que les communes ou le département devront réaliser sur leurs infrastructures. Il s'agit d'un crédit provisionnel qui pourra être abondé si la nécessité s'en fait sentir.

Avant d'aborder les mesures en matière de logement, je souhaite mentionner deux autres mesures décidées par le Gouvernement.

Je souhaite insister sur le renforcement de la gestion interministérielle, dans la durée, de la crise. Les événements de la Somme constituent, à la différence par exemple des inondations de l'Aude, une crise dite à cinétique lente. L'évacuation des eaux va prendre plusieurs semaines et la gestion des conséquences se calcule en mois et très certainement en années. Dans ces conditions, il faut adapter notre mode de gestion de crise.

Dans cette phase d'urgence, le Gouvernement a décidé de créer auprès du Préfet de la Somme une cellule interministérielle qui regroupe tous les domaines d'intervention de l'Etat. Je sais que cette méthode de travail est localement appréciée par les élus. L'action de cette cellule est coordonnée par un sous-préfet, M. Moracchini, que j'ai spécialement nommé à cet effet.

Ainsi, toutes les compétences sont concentrées dans cette cellule, avec comme objectif d'assurer la plus grande réactivité dans les réponses. Les inondations ne connaissent pas la répartition des compétences entre les collectivités publiques. Je suis heureux de constater que les collectivités locales, et notamment le Conseil général, ont accepté de s'associer à la constitution de cette cellule et participent à ses travaux.

Il s'agit là d'un dispositif exceptionnel, adapté à la spécificité et à l'ampleur de la crise, permettant une coordination de tous les instants de l'action des collectivités publiques.

Il faut ensuite appréhender le phénomène dans sa globalité.

Chaque catastrophe naturelle présente des spécificités qui nécessitent une analyse au cas par cas. La nomination d'une mission d'expertise répond à ce besoin.

Il est souhaitable que le Gouvernement mais aussi les collectivités locales puissent disposer du maximum d'informations scientifiques et techniques qui permettront aux décideurs publics de prendre les mesures les plus adaptées. Ainsi, la Mission est chargée d'analyser les causes de ces inondations, d'évaluer l'efficacité des dispositifs de protection et de prévention et de proposer toute mesure d'amélioration. J'ajouterai que le Gouvernement a répondu à la proposition des élus locaux d'associer à la Mission un expert désigné par leur soin.

Il convient aussi de reloger dans des conditions décentes les sinistrés qui en ont exprimé le souhait

Vous aurez l'occasion d'entendre aujourd'hui mon collègue Jean-Claude Gayssot. Je ne développerai pas ce point, si ce n'est pour dresser à la Commission le tableau le plus complet de l'action du Gouvernement.

Comme vous le savez, le Gouvernement a décidé de mettre à disposition gratuitement des logements temporaires modulaires. Avec l'appui des maires, des terrains ont été rapidement identifiés et viabilisés. 59 logements temporaires ont été installés et 115 le seront dans les jours et les semaines qui viennent, permettant ainsi de satisfaire la demande.

Pour conclure, je souhaite vous faire part de quelques observations. Il est en effet prématuré de vouloir tirer des conclusions définitives alors que la Mission d'expertise n'a pas rendu ses travaux et que, surtout, certains de nos concitoyens du département de la Somme connaissent encore des situations précaires, voire extrêmement difficiles, malgré l'aide fournie. Il sera utile, ultérieurement, de dresser le bilan de cette catastrophe naturelle et de l'action qui a été diligentée par les uns et les autres.

Je livrerai donc à ce stade des réflexions qui pourront être complétées à la lumière des travaux en cours.

- S'agissant de la gestion de la crise, et notamment des crises s'inscrivant dans la durée, la dimension interministérielle doit être en permanence affirmée et confortée. Ce qui vient de se passer dans la Somme ne fait que confirmer ce que les retours d'expérience des crises précédentes ont démontré. Il convient de regrouper autour du Préfet l'ensemble des domaines d'intervention et d'action de l'Etat à travers ce que j'appelle « l'interministérialité de terrain », rassemblant tout le savoir-faire à la disposition des décideurs publics. La création de la cellule interministérielle de coordination mentionnée précédemment répond à cet objectif d'efficacité. A la création d'un véritable pôle de compétence s'ajoute, ce qui a été le cas dans la Somme, la nécessité de renforcer le dispositif humain par l'apport de spécialistes.

- L'Etat et ses représentants ne peuvent et ne doivent pas travailler seuls. Dans le respect des compétences de chacun, il est incontournable que les collectivités locales, à commencer par les communes et le département, soient en permanence associées à la gestion de crise. Les lois de décentralisation ont transféré d'importants blocs de compétences aux collectivités locales, qui doivent être mobilisées en partenariat. J'ai veillé à ce que cette recommandation, figurant dans le rapport de M. Sanson sur les tempêtes, soit effectivement mise en oeuvre à l'occasion de la crise que nous traversons.

- L'information constitue le corollaire du point précédent. Nos concitoyens et les élus ont le droit d'être informés en permanence : en amont, ils doivent être informés des risques encourus et des mesures prises pour y remédier et, pendant la crise, ils doivent être informés de l'action des collectivités publiques.

Dans la pratique, les deux points mentionnés précédemment sont heureusement mis en oeuvre, mais j'entends proposer dans le cadre du projet de loi relatif à la modernisation de la sécurité civile que le dispositif législatif puisse être précisé sur ce point. Enfin, je mentionnerai un dernier point. En matière d'inondations, la prévention doit être au coeur des préoccupations et de l'action des pouvoirs publics. L'élaboration de plans de prévention des risques doit constituer clairement une priorité de l'ensemble des acteurs publics, malgré toutes les difficultés et la complexité impliquées par ce travail.

La question du traitement des zones inondables est sous-jacente. On ne doit pas faire l'économie d'une réflexion partenariale sur ce sujet. Mais il s'agit d'une question relevant de la compétence de la Ministre en charge de l'Environnement, que vous avez prévu de rencontrer. Chacun connaît la difficulté de l'exercice, mais en tant que Ministre en charge des collectivités locales et de l'administration territoriale, ce point me semble devoir être abordé, de même que la problématique de l'application des dispositifs juridiques existants. S'agissant de la Somme, l'établissement d'un plan de prévention des risques naturels liés à des inondations et à des mouvements de terrain doit être réalisé dans les meilleurs délais. La liste des communes dans lesquelles ces plans devront être établis a été arrêtée par le Préfet.

Comme l'a souhaité le Premier Ministre, je suis persuadé que la Mission diligentée apportera tout l'éclairage sur ces points.

Je souhaite vous redire toute ma détermination à lutter contre cette catastrophe de la manière la plus positive possible en m'assurant que tout est fait pour que les sinistrés puissent bénéficier de toute l'aide et de l'attention de l'Etat, pendant et après la décrue, au moment de leur retour dans les habitations.

Voilà, Monsieur le Président, Messieurs les Sénateurs, les éléments que je pouvais porter à votre connaissance.

M. le Président - Je vous remercie, Monsieur le Ministre. Vous avez dressé un tableau qui montre que l'Etat fonctionne puisque vos informations sont bonnes et concordent avec les nôtres. Vous savez comme nous tout ce qu'il reste à faire. J'ouvre la discussion. Monsieur le Rapporteur, avez-vous des questions ?

M. Pierre Martin, Rapporteur - Si vous le permettez, Monsieur le Ministre, je voudrais, dans un premier temps, évoquer le problème de la réactivité. De mémoire d'homme, nous n'avons jamais connu ce genre d'inondations dans la Somme. Je crois que tout le monde a été surpris. Monsieur le Préfet a envoyé une note en février pour préciser qu'une crue s'annonçait, mais ce fut la seule alerte.

Aujourd'hui, à la lumière de ce que nous avons pu entendre, nous sommes néanmoins légèrement surpris d'apprendre que les indications de Météo France n'ont pas été transmises dans la Somme du fait de l'absence de service d'annonce des crues dans ce département. Il me semble que cela signifie que nous avons pris conscience tardivement de la situation. A titre d'exemple, la commune de Fontaine-sur-Somme a été inondée le 21 mars, tandis que la première réunion en préfecture s'est tenue le 30 mars. Durant cette dernière, Monsieur le Préfet, entouré de tous ceux qui avaient un rôle à jouer dans les inondations, a apporté des explications. Mais les rumeurs qui se sont propagées, et notamment celle d'Abbeville, montrent que ce fut trop tardif. Ces rumeurs persistent encore aujourd'hui. Ainsi, en ce qui concerne le déversement du canal du Nord, nous recevons des courriers de personnes qui dénoncent un rejet du canal du Nord vers la Somme. Cela pose question et nous aimerions faire le point sur le sujet.

D'autre part, durant cet intermède d'une huitaine de jours, nous avions affaire à des collectivités locales de petite dimension qui avaient peu de moyens. Faute de prendre conscience du phénomène, nous avons décidé d'installer des parpaings dans les maisons. Cette solution n'était pas mauvaise tant que l'eau se limitait à une certaine hauteur, ce qui n'a pas été le cas. L'eau a continué de monter. Or, si dès le départ une crue de cette importance avait été annoncée, la solution la plus sage aurait été de conseiller aux habitants de déménager. Personne n'était donc préparé et les gens se sont retrouvés désemparés. Psychologiquement, ils sont en train de craquer, car la commune dont je vous parle est encore inondée par 50 à 60 cm d'eau. Des décisions vont donc devoir être prises et un choix devra être fait entre une réhabilitation et une reconstruction ailleurs.

Dans un premier temps, Monsieur le Ministre, pourriez-vous nous dire pourquoi les différentes administrations semblent ne pas avoir coordonné leurs services, pourquoi elles n'ont pas pris conscience de l'événement et n'ont pas, par conséquent, pris les décisions qui s'imposaient pour faire face à cette situation ?

M. Daniel Vaillant - Monsieur le Rapporteur évoque le manque de prévision. Comme pour les autres inondations, il appartiendra à la Mission d'experts de se pencher sur le mécanisme d'annonce des crues qui, je tiens à le souligner, relève du Ministère de l'Equipement. Toutefois, il est exact que rien ne permettait d'anticiper une crue de cette ampleur. Je crois que vous-même, Monsieur le Rapporteur, dans un article publié dans Valeurs actuelles en date du 18 mai, avez déclaré que, selon les historiens locaux, il fallait remonter à 1649 pour retrouver de telles inondations. Plus près de nous, la station météo d'Abbeville n'avait pas enregistré un tel niveau de précipitations depuis 1920, date de sa création.

Cela ne veut pas dire que rien n'a été fait. Dès le mois de février, le Préfet invitait les 58 maires les plus concernés à prévenir leurs administrés du risque d'inondation en raison des mauvaises conditions climatiques et indiquait aux maires que la Direction Départementale de l'Equipement, pour le compte du Conseil général, prenait les mesures nécessaires pour une évacuation maximale des débits par l'ouverture des écluses et la suppression des barrages. Il doit être clair pour tous que cette lettre du 12 février n'annonçait pas l'arrivée de cette catastrophe, que personne ne pouvait prévoir. Mais, on peut imaginer les réactions si le Préfet n'avait pas pris soin de prévenir les maires. Je crois qu'il a fait son devoir. Les maires étaient informés du risque et les services ont répondu à la demande, même s'il aurait été préférable de tout prévoir. Malheureusement, il y a des choses que nous ne pouvons anticiper. Dans le cadre de cette Commission, les élus locaux, et vous-mêmes peut-être, pourront apporter leurs propres témoignages sur ces questions.

Concernant la lenteur de la réaction des services préfectoraux, le dispositif de lutte, d'aide, et surtout de soutien à la population a fait l'objet d'une mobilisation très importante des moyens de l'Etat et d'une montée en puissance en fonction de l'étendue de la catastrophe. Ce dispositif a été renforcé après le 9 avril par l'envoi de 150 personnes de l'unité d'intervention de la Sécurité civile en renfort des services locaux et des moyens déjà déployés par le ministère de la Défense. J'ai pu moi-même le constater sur place. Aucune demande de maire n'est restée sans réponse : j'insiste sur ce point. Elles ont toujours été satisfaites. Toutefois, chacun doit avoir présent à l'esprit qu'aucun service, aucun déploiement de moyens n'aurait pu empêcher la montée des eaux. L'eau est sans doute l'élément naturel le plus difficile à contenir, à canaliser.

Voilà, à ce stade, ce que je voulais dire. Je pense qu'il faut attendre la Mission d'expertise pour savoir si des dysfonctionnements sont à regretter et pour pouvoir en tirer les conclusions par la suite. Je n'ai pas personnellement tous les éléments en main, puisque cette mission n'a pas terminé son travail.

M. Pierre Lefebvre - Je garde le souvenir de l'intervention télévisée du maire de Fontaine-sur-Somme aux actualités régionales de Nord-Picardie. Cet homme, excédé par le poids qu'il avait à supporter, disait que depuis huit jours, il était seul, qu'il avait à régler le problème des habitants, de l'évacuation des troupeaux et que personne ne lui venait en aide. Je garde le souvenir d'une déclaration musclée, mais il faut comprendre la situation dans laquelle il se trouvait. Tout a été fait, mais n'y a-t-il pas eu certains manquements ?

M. Daniel Vaillant - J'ai également vu ces images à la télévision. Il faut comprendre cet homme, et les autres, qui ont été confrontés à cette situation. Cependant, parler devant une caméra n'est pas toujours facile et les choses ne sont pas à prendre au premier degré. A titre d'exemple, un maire, dont je ne citerai pas le nom, ne voulant pas le mettre en cause, était présent dans le car qui nous conduisait, avec le Premier ministre, sur place. Ce maire disait à Lionel Jospin qu'il fallait mettre un terme à la rumeur selon laquelle la Somme avait été abandonnée au profit de Paris et des Jeux olympiques. Le Premier ministre a répondu qu'il avait expliqué à tous que cette rumeur était sans fondement. Lorsque je suis rentré à Paris, j'ai vu sur France 3 le même maire déclarer, à propos de cette rumeur, que toute la lumière devait être faite. Mettons cela sur le compte de l'émotion ! Mais cette anecdote montre à quel point il est nécessaire de relativiser les choses. J'espère que le maire de Fontaine-sur-Somme n'a pas été seul pour affronter la situation, car sa commune a été l'une des plus touchées. Par ailleurs, je crois que c'est le maire que le Premier ministre a eu au téléphone dans le même car pour le prévenir que nous ne pouvions nous rendre dans sa commune en raison d'intempéries et d'obligations du Premier ministre à Paris. Le maire a très bien compris les circonstances, il a remercié le Premier ministre pour sa sollicitude et lui a dit qu'il n'était pas seul pour faire face à la situation. Je l'ai vécu pour ainsi dire en direct.

Sur les faits mêmes, il est difficile de reprocher au Préfet et aux services de l'Etat d'avoir insuffisamment informé les élus, et l'idée selon laquelle il y aurait un manque d'information sur la gestion du bassin ne peut être reprise. D'une part, dès le mois de février, des informations ont été données sur les risques de débordement. D'autre part, je souhaite rappeler que, du fait du transfert de compétences, que je considère par ailleurs comme une bonne chose, la gestion du bassin de la Somme ne relève plus de l'Etat. L'Etat est donc loin de posséder le monopole de l'information. Je crois même que le transfert à la Région, puis au Département, a été fait depuis 1990.

Comme je l'ai dit lors de mon intervention, l'information et l'association des élus à la gestion de crise sont indispensables. La réunion d'une centaine d'élus, tenue avec le Préfet le lundi 30 avril, l'association des collectivités locales à la cellule de crise et la constitution sur le terrain d'équipes mixtes participent de cette volonté d'information réciproque, d'échanges nécessaires à la résolution des situations de crise. Les voies et moyens de l'information réciproque peuvent toujours être améliorés. Cependant, je crois que, d'après les éléments en ma possession en tant que ministre de l'Intérieur, l'information a circulé mais que l'élément de surprise a été encore plus fort.

Il peut arriver que des phénomènes soient sous-estimés. Je l'ai vu dans une autre crise, qui s'est déroulée quelque temps après dans le Pas-de-Calais et qui ne relève pas d'un phénomène de catastrophe naturelle mais d'un problème lié aux munitions de la Première Guerre mondiale. Il y a eu une sous-estimation du risque de la part des acteurs locaux et des habitants eux-mêmes, qui ne comprenaient pas que l'Etat prenne des dispositions aussi drastiques. J'ai essayé de les convaincre que la situation était plus dangereuse qu'ils ne le subodoraient et qu'aucun risque ne pouvait être pris. Il peut y avoir un décalage entre l'information qui part et l'information reçue. Parfois, me direz-vous, l'Etat prend trop de précautions. Il lui est alors reproché de dépenser des deniers publics. Je vous rappelle l'affaire du bogue, le 31 décembre 2000. Beaucoup de moyens ont été mis en oeuvre pour une catastrophe qui ne s'est pas produite. C'est toute la difficulté entre l'information qui part et l'information reçue. Ce sont des éléments que je ne sous-estime pas. C'est à leur lumière que nous pourrons améliorer par la suite l'outil, et pas seulement pour la Somme puisqu'il y a aussi eu des crues dans d'autres départements.

M. le Président - Cela doit nous apprendre à avoir des réactivités différentes dans d'autres circonstances. Je peux témoigner que les premières semaines, les maires concernés étaient seuls car l'ampleur du phénomène n'avait pas été mesurée. Le 6 avril, j'emmenais en Angleterre une mission d'élus locaux du département, le président du Conseil général et notre rapporteur ; seul le maire d'Abbeville s'est excusé la veille en arguant un problème d'inondation. Moi-même, je n'avais pas pris conscience de l'importance des inondations, alors qu'à Fontaine-sur-Somme, il y avait déjà une hauteur d'un mètre d'eau. Nous n'avions pas pris la dimension de ce phénomène.

En ce qui concerne la lettre de février, je tiens à dire que, paradoxalement, février est traditionnellement un des mois les plus secs dans la Somme, à cause des gelées. Lorsque nous recevons une lettre du Préfet prévenant d'un risque d'inondations, nous nous disons qu'il ne sait pas que février est un mois sec. Avec le recul, nous pouvons en parler facilement. Ce qu'a dit M. Lefebvre est vrai, le maire de Fontaines était seul et pourtant, sa commune se trouve à une demi-heure de voiture d'Amiens. Je souhaite faire la part des choses, mais cela doit nous servir d'exemple.

M. le Rapporteur - Le mois de février a aussi été un mois de campagne électorale. A Fontaine-sur-Somme, c'est un nouveau maire qui a été élu, dès le premier tour. Il faut s'en réjouir : sans cela, le deuxième tour se serait passé dans l'eau, puisque Fontaine-sur-Somme a été inondée le 21 mars. Je rappelle, puisque c'est mon canton, que du 21 au 30, nous sommes restés sans aucune explication. Cette petite commune de 380 habitants a dû laisser la mairie ouverte jour et nuit afin d'accueillir les habitants. Nous ne savions plus quoi faire, jusqu'au jour où il y a eu cette réunion. M. le Préfet a compris nos soucis et a mis à notre disposition une cellule gérée par le Capitaine des pompiers d'Abbeville. S'ajoutait à cela la pression des médias, qui étaient déjà présents. Ne faudrait-il donc pas qu'il existe une cellule ouverte en permanence et qui puisse réagir le lendemain même d'un problème ?

Je m'interroge aussi sur le fait que les informations météorologiques aient été envoyées à Lille et que, par la suite, elles aient disparu. Personne ne sait si elles ont été renvoyées dans la Somme ou si elles sont restées à Lille. Qui était le dépositaire de ces informations ? Il serait important de le savoir car les conséquences ont été considérables. Si ces informations avaient été portées à la connaissance des uns et des autres, il n'y aurait pas eu cette panique. Lors de la réunion du 30, à laquelle j'assistais, je peux vous dire que les maires n'écoutaient pas les explications ; ce qui leur importait était de gérer la situation présente.

M. Daniel Vaillant - Ce que vous venez de dire témoigne qu'il faut en passer par cette situation pour avoir une pleine conscience des réalités et des responsabilités, notamment pour de nouveaux élus. Je pense que les transferts de compétences ne sont pas toujours présents à l'esprit de ceux qui détiennent des responsabilités. Nous avons une culture de l'Etat et, en période de crise, nous attendons beaucoup de l'Etat, un peu trop peut-être, notamment quand il y a eu des transferts de compétences. De plus, nous étions, comme vous l'avez dit, en période électorale. Il faut tirer les leçons de cette situation et les mettre à profit pour la prévention des risques dans l'avenir, et cela pas seulement dans la Somme, je le répète. Nous devons aussi davantage tenir compte de la solidarité qui s'exprime au niveau de nos concitoyens et assumer nos responsabilités, sans vouloir les faire porter par d'autres. Tout ce qui peut être amélioré doit l'être : c'est ma conception des choses. Il n'est pas question pour les services de l'Etat de donner dans l'autosatisfaction. Concernant la transmission des informations, vous aurez le loisir de poser ces questions à ceux qui sont en charge de ces problèmes.

M. le Président - L'évocation que vous faites de la solidarité, Monsieur le Ministre, m'incite à vous parler d'un problème qui se pose actuellement sur le terrain, à savoir le foisonnement des fonds de solidarité. Malgré les tentatives de M. Cadoux, nous n'arrivons pas à les fédérer. Il existe plus de vingt fonds de solidarité pour la Somme. Que pouvons-nous faire dans la pratique ? Il y a deux fonds très importants et, à côté, une multitude de petites solidarités. Nous allons assister à des distorsions de solidarité appliquée, puisque nous avons déjà commencé à faire jouer des fonds de solidarité dans certaines villes et non dans d'autres. Que pouvons-nous faire dans le cadre de la réglementation actuelle ?

M. Daniel Vaillant - Je pense qu'il n'y a pas de difficulté pour les fonds publics. Si des difficultés existent, il faut les résoudre, mais je ne pense pas que cela soit le cas. Il s'agit plus de la libre initiative, généreuse au demeurant. L'Etat ne peut coordonner les différentes associations sans remettre en cause gravement la liberté associative. C'est inextricable. Nous allons bientôt fêter le centenaire de la loi de Waldeck-Rousseau du 1er juillet 1901. Il faut essayer de faire en sorte, sur le terrain, qu'il y ait le moins de distorsion de solidarité appliquée. Toutefois, nous ne pouvons demander à l'Etat de faire quelque chose qu'il ne doit surtout pas faire.

M. Paul Raoult - Il faut tirer quelques leçons de ces événements, aussi bien pour votre ministère que pour celui de l'Environnement. En cas de catastrophe naturelle, notamment en ce qui concerne l'eau et la gestion des bassins hydrographiques, la décentralisation ne doit pas être prétexte à laisser les communes se désolidariser entre elles. Le pouvoir régalien de l'Etat doit pouvoir imposer à l'ensemble des communes d'un bassin hydrographique d'entrer dans un syndicat intercommunal avec pour objectif une bonne gestion du bassin hydrographique.

En tant qu'élus, nous sommes confrontés à cette difficulté. Au nom de la liberté communale, de nombreuses initiatives sont bloquées, notamment en ce qui concerne le curage et le drainage correct de bassins hydrographiques et l'entretien des rivières et de leurs affluents. Sans modification des textes, il y aura encore des drames à répétition de ce type. Je peux donner des exemples dans le Nord où faire un contrat de rivière peut prendre dix ans. Il n'est fait qu'une fois le drame arrivé, lorsque les associations de pêcheurs, qui ne voulaient pas qu'une partie de la berge soit touchée, finissent par céder. Je suis d'accord pour décentraliser mais, en cas de catastrophe naturelle, l'Etat doit pouvoir avoir une autorité suffisante pour gérer des problèmes d'aménagement de bassins hydrographiques. Le problème est devenu tel à l'échelle du territoire français - car toute rivière est inondable et peut provoquer des dégâts - qu'il paraît nécessaire d'établir un texte précis qui situerait les responsabilités.

La commission d'enquête n'est pas là pour faire le procès de l'Etat mais pour montrer qu'il aurait peut-être pu réagir plus vite, qu'une cellule d'intervention rapide dans chaque région est peut-être nécessaire. Une réflexion sur l'intervention de l'Etat me paraît indispensable. Cependant, je n'oublie pas que les collectivités locales et territoriales ont aussi des responsabilités importantes puisque ce sont elles qui prennent l'initiative de la création d'un syndicat intercommunal ou d'un contrat de rivière.

M. Daniel Vaillant - J'ai déjà abordé la question des PPRI et des limites juridiques dans mon intervention et je laisse le soin à ma collègue Dominique Voynet de répondre dans les détails à ces réflexions. Je vous donne raison, l'intérêt général doit l'emporter sur la somme des intérêts particuliers, mais ceux-ci ne sont pas forcément contradictoires. L'idée d'avoir un PPRI dans cette région s'avère aujourd'hui une nécessité. Tous les acteurs concernés doivent donc travailler ensemble. L'Etat ne pourra qu'encourager la création de ce plan.

Par ailleurs, il existe des outils juridiques, même si l'on peut s'interroger sur leur amélioration, pour éviter les égoïsmes individuels, communaux ou de collectivités. Sans tenter de me décharger de mes responsabilités sur d'autres, je pense qu'il faudrait, sur le terrain, qu'il y ait davantage de coordination et de prise de conscience collective de ces problèmes. L'Etat peut avoir un rôle d'incitation, mais les acteurs locaux doivent assumer leur rôle, en fonction des compétences qui leur sont dévolues. Des instances existent : communes, intercommunalité, Conseil général et Conseil régional. La loi peut être améliorée et j'y veille, y compris dans un texte sur lequel je travaille relatif à la démocratie de proximité. Néanmoins, le transfert de compétences s'accompagne d'un transfert de responsabilité. Chacun doit prendre sa part.

M. Jean-François Picheral - Ne pensez-vous pas, au vu de la complexité de ce type d'inondation, c'est-à-dire des pluies torrentielles sur un site spécifique, qu'au même titre qu'il existe pour les régions méditerranéennes un service permanent de prévention des feux de forêt, un service d'annonce de crues serait nécessaire ? Il semble en effet que le Préfet ait été prévenu par les services de la météo, que nous avons reçus hier, d'un risque de pluies et qu'il ait répercuté cette information début février. En région méditerranéenne, dès qu'un mistral franchit un certain seuil, toutes les communes et leurs sapeurs-pompiers sont à pied d'oeuvre. Compte tenu de la complexité du bassin de la Somme, complexité qui pourrait être gravissime durant l'été et l'automne prochain, il serait souhaitable, vis-à-vis de la population et des élus, d'envisager la création d'un service d'annonce de crues dans ce département.

M. le Rapporteur - Le CIRCOSC de Lille, structure qui dépend de vos services, a bien reçu l'information de l'annonce d'une crue. Qu'est-il advenu de cette information ? Personne n'a su répondre à cette question et nous dire où cette information avait abouti.

M. Daniel Vaillant - Je ne connais pas la réponse à cette question précise. Il y a une Mission d'expertise et d'information sur le terrain et je pense que c'est d'elle qu'il faut attendre la réponse, y compris une réponse critique. Un dysfonctionnement peut toujours survenir, et si cela a été le cas, il sera établi. Il y a des éléments qui étaient imprévisibles, tels l'ampleur de la crue et son intensité à un moment donné. Si des améliorations, comme celles suggérées par le Sénateur Picheral, peuvent être apportées, nous y travaillerons. Je suis d'ailleurs entouré ici du directeur des collectivités locales et de M. Sappin, directeur de la défense et de la sécurité civiles. Dans le cadre de notre responsabilité, nous collaborons avec d'autres ministères. Toutefois, c'est de la Mission que nous devons attendre l'information que vous souhaitez.

M. le Président - Monsieur le Ministre, je vous remercie d'être venu et d'avoir répondu à nos questions. Nous continuerons notre travail et nous resterons en contact avec votre ministère.

7. Audition de M. Eric Le Guern, directeur-adjoint du service de la Navigation de la Seine accompagné de M. Bernard Chantrelle (31 mai 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous accueillons M. Eric Le Guern, directeur-adjoint du service de la Navigation de la Seine accompagné de M. Bernard Chantrelle.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Eric Le Guern et Bernard Chantrelle.

Nous vous demandons de répondre aux questions qui préoccupent cette Commission, c'est-à-dire la façon dont se fait la circulation entre les différents biefs, ruisseaux et fleuves qui sont sous votre autorité. Je vous laisse la parole, puis vous répondrez à quelques questions.

M. Eric Le Guern - Je propose de vous faire une présentation succincte du service, de son organisation et de ses missions.

Le siège est à Paris, mais le service est divisé en quatre arrondissements territoriaux. Aujourd'hui, les deux arrondissements qui nous intéressent sont celui de la Champagne, basé à Reims, qui est le centre d'annonce des crues pour l'Aisne, et l'arrondissement Picardie, responsable de l'annonce des crues de Compiègne et de l'Oise. Il n'y a pas de centre d'annonce des crues de la Somme.

M. Paul Raoult - Donc, si la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie avait été créée, tout cela ne serait pas arrivé !

M. Eric Le Guern - Je dois apporter quelques nuances à vos appréciations. Les centres d'annonce des crues sont créés par décret. Ils ont été implantés sur des rivières considérées à risque pour les personnes humaines. La Somme n'a pas été considérée comme entrant dans ce cas de figure. Fort heureusement, nous pouvons constater que les inondations de la Somme n'ont pas fait de victimes humaines. Cela ne doit cependant pas minimiser la véritable catastrophe que la Somme a subie. Il est à noter par ailleurs que la Somme n'est pas la seule sur le territoire national à ne pas posséder de centre d'annonce des crues.

Le bassin de la Seine est drainé par l'Oise, l'Aisne, la Marne et l'Yonne. Ce bassin comporte quatre centres d'annonce des crues. Celui de la région Ile-de-France est géré par la DIREN d'Ile-de-France. Il concerne la région à l'aval de Paris et une partie de l'amont, une partie de la Marne et l'aval de l'Oise. Le centre d'annonce des crues de Compiègne est compétent pour l'Oise. Celui de Reims gère l'Aisne. Ces centres s'efforcent de travailler ensemble. C'est ce qui permet au service de la Navigation de la Seine, en tant qu'exploitant d'un réseau fluvial, d'éditer des messages internes, des synoptiques d'annonces de crues.

M. le Président - Dans le cas de la Somme, qui est le destinataire de ce document, lorsqu'il est édité ?

M. Eric Le Guern - Les destinataires sont nos subdivisions territoriales. Ce synoptique est construit sur la base des données des quatre centres d'annonce des crues, ce qui n'inclut pas la Somme, mais l'Oise et l'Aisne principalement.

M. Pierre Martin, Rapporteur - Lorsque M. le Préfet a envoyé un courrier aux maires en février, il n'y avait pas d'indication de niveau d'alerte.

M. Paul Raoult - Il faut noter que la Somme n'est pas navigable. A ce titre, elle n'est pas gérée par vos services.

M. Eric Le Guern - Nous gérons une partie des voies non navigables, pour le compte du ministère de l'Environnement. Cette gestion ne concerne pas l'aspect de l'annonce des crues, mais la police de l'eau et la protection de l'environnement. Cependant, nous ne gérons effectivement pas la Somme. Je tiens à préciser que, par navigables, j'entends les voies inscrites à la nomenclature nationale des voies navigables.

Je vais tout d'abord tenter de vous expliquer le fonctionnement hydrologique du secteur et l'impact du canal du Nord sur la Somme à l'aval de Péronne. Je vous invite pour cela à vous référer aux schémas hydrologiques qui vous ont été distribués. Nous avons quatre schémas de fonctionnement. Un schéma concerne la période dite normale. Un autre schéma a été créé après le 26 avril. Il n'existait pas avant la dernière crue de la Somme. Ces deux schémas se différencient par des pompages complémentaires. Des pompes mobiles ont été ajoutées aux pompes fixes qui préexistaient, afin de fermer le déversoir d'Epenancourt.

M. le Rapporteur - Dans la presse, il était indiqué que rien ne venait du canal du Nord. Or le lendemain, il a été annoncé qu'une pompe avait été mise en place pour pomper l'eau de la Somme et la renvoyer sur l'Oise. Cela n'a pu que provoquer des interrogations dans la population.

M. Eric Le Guern - Je suis d'accord avec vous et je pense que c'est le fondement de la rumeur. Sur le schéma de fonctionnement en période normale, il existe trois affluents, anciennement affluents de la Somme, la Beine, l'Allemagne et l'Ingon. Ils servent aujourd'hui à alimenter le canal du Nord puisque, pour fonctionner, un canal doit être rempli d'eau. Ce canal du Nord a été mis en eau en 1965.

M. Paul Raoult - Les travaux étaient déjà en cours quand la guerre de 1914-1918 a commencé. Le Général de Gaulle, lors de son retour au pouvoir, a décidé de terminer les travaux du canal, qui était à l'abandon depuis la guerre de 1914. Cette décision a eu des effets mitigés. Le gabarit qui avait été mis en oeuvre lors du début de la construction des écluses a du être repris. Il s'agit donc d'un gabarit intermédiaire qui n'existe nulle part ailleurs ; ce n'est ni le gabarit Freycinet, ni le gabarit européen. Dans le Nord, nous militons donc pour un canal Seine-Nord avec un gabarit européen. Le canal du Nord n'a été qu'une demi-mesure puisqu'il constitue désormais un bouchon entre la région parisienne et le Nord dans la mesure où il s'agit d'un gabarit intermédiaire. En 1960, il y avait déjà eu un débat pour savoir s'il fallait détruire les écluses déjà construites afin de faire un gabarit européen. Finalement, la décision n'a pas été prise et nous pouvons le regretter.

M. le Président - Je vous remercie de cette précision Monsieur Raoult. Revenons aux affluents du canal du Nord qui permettent de le mettre en eau.

M. Eric Le Guern - L'eau qui, à l'origine, était de l'eau de la Somme et qui allait en totalité d'Abbeville à Amiens est aujourd'hui captée en totalité, aussi bien en période de sécheresse qu'en période normale. En période de forte pluviosité, toute l'eau ne peut être gardée : si elle l'était, le canal déborderait. Si c'était le cas, nous prendrions le risque d'une rupture de digue avec des effets éventuellement catastrophiques sur l'aval. C'est pourquoi les concepteurs du canal ont prévu des soupapes de sécurité, qui sont notamment le déversoir d'Epenancourt, qui se trouve au niveau de l'écluse 14. Ce dernier permet d'évacuer le trop-plein d'eau vers la Somme. La Somme coule ensuite vers Péronne, puis atteint le niveau de l'écluse 12. A la jonction de la Somme et du canal du Nord, un siphon, appelé le siphon de Sormont, a été construit. Ce siphon limite le débit de la Somme, qui va passer à l'aval du canal du Nord. Je peux vous donner un ordre de grandeur car l'hydrologie n'est pas une science totalement exacte. Le débit maximum que le siphon de Sormont peut évacuer est de l'ordre de 20 à 25 m 3 /seconde. Cela signifie que même lorsque le déversoir d'Epenancourt est ouvert, il n'y aura pas plus d'eau à l'aval qui ira jusqu'à Abbeville ou Amiens. L'ouverture du déversoir ne change rien pour les habitants d'Abbeville ou d'Amiens, au contraire des gens qui habitent en amont du siphon. Ces derniers nous attaquent en justice régulièrement pour cause d'inondations. Toutefois, il s'agit là de cabanes de chasseurs et de pêcheurs ; il n'y a pas de maisons d'habitation.

Si la quantité d'eau est trop importante, il peut y avoir un débordement au-dessus du canal. C'est ce qui s'est passé. Nous n'en sommes cependant pas responsables. Avant d'arriver à ce stade, nous avons une disposition qui consiste en des lâchures d'eau sur le canal de la Somme, à l'aval du siphon de Sormont. Ce dispositif permet de maintenir le fonctionnement de la navigation. En termes de bilan hydraulique, la quantité d'eau qui arrive in fine à Abbeville et Amiens n'est pas modifiée.

M. le Rapporteur - Je ne sais pas si les contestations sont fondées ou non. Mais s'il existait un débitmètre entre l'entrée des trois affluents et un deuxième à la sortie, nous pourrions voir quel serait le différentiel.

M. Eric Le Guern - Je tiens à dire que nous ne travaillons pas dans l'intuitif. Une note de calcul interne datant de 1989 nous conduit à penser que le débit maximal théorique des trois rivières est de 3,3 m 3 /seconde. Lors de la dernière crue, pour laquelle nous n'avons pas de mesure, nous pensons, de manière intuitive, que nous avons atteint 5 à 6 m 3 /seconde. Cette estimation est corroborée par nos mesures de pompage. Nos installations de pompage fonctionnent toute l'année. A la jonction de la Somme et du canal du Nord, nous avons des pompes qui fonctionnent uniquement la nuit en période normale avec un débit de 4 m 3 /seconde et qui permettent d'alimenter le canal du Nord vers le Nord. L'eau redescend ensuite suivant le sens du trafic, par le jeu des éclusées. Nous avons également un pompage au niveau de l'écluse 15 qui fait remonter de l'eau vers le bief de partage avec le bassin versant de l'Oise vers le souterrain de la Panneterie. De la même façon, en fonction du sens du trafic, l'eau redescend par le jeu des éclusées, d'un côté ou de l'autre.

En période de sécheresse, et il s'agit peut-être du deuxième élément qui a permis d'alimenter la rumeur, nous avons souvent des soucis pour avoir une quantité d'eau suffisante dans le canal. Nous inversons donc le pompage. Il se peut alors que, par le jeu des éclusées, et cela arrive fréquemment, de l'eau pompée dans l'Oise redescende vers la Somme. Je le répète, ce dispositif n'a de sens qu'en période de sécheresse.

En période de forte pluviosité, le problème s'inverse. Nous ne pouvons avoir l'idée de faire venir de l'eau de l'Oise dans le bassin de la Somme puisque cela mettrait en péril la pérennité du canal. En effet, qui dit débordement du canal dit risque de rupture des digues. Notre souci en période de forte pluviosité est donc d'évacuer le maximum d'eau du bassin de la Somme.

Un troisième élément a pu alimenter la rumeur, bien qu'il soit plus lointain et à manier avec précaution. Au niveau de Saint-Quentin, le canal de Saint-Quentin est alimenté par une rigole qui se nomme la rigole de l'Oise et du Noirieu. A l'origine, elle s'appelait la rigole du Noirieu, mais par manque d'eau, nous avons dû aller chercher de l'eau ailleurs. Cette rigole a alors été prolongée jusqu'à la commune de Vadencourt où nous prélevons de l'eau en amont de l'Oise pour alimenter le canal de Saint-Quentin. Par le jeu des éclusées, et donc en fonction du trafic, une partie de cette eau va descendre le canal de Saint-Quentin jusqu'au canal latéral à l'Oise, c'est-à-dire que de l'eau de l'Oise revient à l'Oise, une autre partie peut se retrouver dans le canal latéral à l'Oise et, in fine, à l'aval de Sormont se retrouver dans la Somme.

A partir du début de la saison hivernale, vers le 15 novembre, nous fermons la prise d'eau dans l'Oise. Si nous ne le faisions pas, nous aurions une quantité d'eau trop importante dans le canal de Saint-Quentin, qui est en contact avec la nappe phréatique. La rigole de l'Oise et du Noirieu gonfle, bien que la prise d'eau dans l'Oise soit fermée, car il y a un ruissellement de proximité. De l'eau arrive donc à Saint-Quentin. A Saint-Quentin, par l'Etang d'Ile, 6 m 3 /seconde sont prélevés dans la Somme par une vanne automatique. En mode de fonctionnement normal, 2 m 3 /seconde sont rejetés à l'aval de Saint-Quentin. Cela permet de gérer la situation hydrologique dans la ville de Saint-Quentin elle-même. A partir du 26 avril, nous avons fermé ce rejet de 2 m 3 /seconde et nous l'avons évacué par éclusées et lâchures successives par le canal de Saint-Quentin vers le canal latéral à l'Oise. Cependant, les populations inondées ont pu penser que de l'eau de l'Oise venait par cette rigole. Il est possible que cela ait alimenté la rumeur selon laquelle de l'eau était pompée de l'Oise pour être rejetée dans la Somme.

M. le Président - Pour que cette rumeur soit fondée, il faudrait donc que votre système sécheresse ait fonctionné anormalement durant les mois de mars et d'avril. Pouvez-vous nous livrer les débits de ces pompes et les consommations de courant de ces différentes stations de pompage pour que nous puissions vérifier si ces pompes n'ont pas tourné dans le sens que la rumeur leur prête ?

M. Eric Le Guern - Cela ne pose aucun problème. Nous avons un relevé du fonctionnement de nos pompes.

M. Bernard Chantrelle - Il suffit de regarder les factures EDF de l'écluse 16 et celles des écluses 16 à 19.

Nous effectuons des lâchures à Epenancourt et à Sormont. En période de forte pluviosité, dans des débits très faibles, nous retirons de petites quantités d'eau du bassin de la Somme pour les envoyer en partie vers le bassin de l'Oise. En mode de fonctionnement normal du canal, le passage des bateaux renvoie de l'eau de l'écluse 16 vers la 19. L'écluse 15 est alors en fonctionnement à 2 m 3 /seconde, pendant 20 heures sur 24. Une moitié de cette eau, que nous pouvons évaluer à 500 l/seconde, est renvoyée sur le canal latéral. De la même façon, sur la partie du canal comprise entre l'écluse 1 et l'écluse 7, en période de forte pluviosité, nous ne pompons pas d'eau. En résumé, en mode de fonctionnement normal du canal, c'est-à-dire sans avoir pris de mesures exceptionnelles de pompage, nous renvoyons de l'eau du canal de la Somme vers les bassins de l'Oise et de la Sensée. Cela concerne des quantités précises, qui n'ont rien à voir avec les débits à Abbeville. Nous enlevons du bassin de la Somme entre 500 litres et 1 m 3 /seconde. Cela peut être démontré, comme le soulignait M. le Président, par les factures EDF de l'écluse 7, que je demanderai à mon collègue.

M. le Président - Il y a donc une certitude pour la Commission. Il existe bien des communications entre les bassins de la Somme, de l'Oise et de la Sensée. Mais, je ne préjuge en rien du sens de ces communications

M. Eric Le Guern - Je le répète, les fonctionnements hydrologiques des bassins de la Somme et de l'Oise sont indépendants. Le bassin de la Somme s'écoule d'Est en Ouest, le bassin de l'Oise du Nord au Sud. Ce ne sont pas les quelques vannes qui existent qui remettent en cause ce fonctionnement hydrologique.

M. Bernard Chantrelle - Je voudrais donner deux précisions sur les capacités de pompage. A l'écluse 16, les capacités de pompage sont actuellement de 2 m 3 /seconde, au maximum, et ils sont de 1 m 3 /seconde à l'écluse 7.

M.Paul Raoult - Le Conseiller général de Chasse, Pêche et Nature d'Abbeville, Monsieur Nicolas Lottin, disait qu'un bief aurait été vidé et que l'eau du bief serait entièrement partie vers la Somme. Est-ce exact ?

M. Bernard Chantrelle - Cette information n'avait pas été portée à ma connaissance. Nous avons baissé un bief sur la Somme pour faire une inspection d'ouvrage de deux écluses situées à 600 mètres l'une de l'autre.

M. Paul Raoult - C'est donc un des fondements de la rumeur. Il faudrait nous dire à quelle date cela s'est produit et l'indiquer dans le rapport. Il faut pouvoir répondre à cette rumeur, qui, malgré tout, repose sur une réalité concrète.

M. Bernard Chantrelle - Nous avons fait l'inspection, avant le 20 mars, des deux écluses en vidant le bief inférieur proche de Ham mais le débit n'est que de 600 m 3 /seconde.

M. Paul Raoult - Le problème météorologique était déjà important dans toute la Somme dès novembre. Il y avait eu de fortes pluies. Vous avez fait cette inspection à un mauvais moment ; la population était déjà sur ses gardes.

M. le Président - Quoi qu'il en soit, le siphon de Sormont limite tout de même le débit de l'eau qui est renvoyée. Entre Epenancourt et Sormont, il peut y avoir une inondation, mais cela ne préjuge pas de la quantité d'eau qui passe dans le fleuve par la suite.

M. le Rapporteur - En ce qui concerne l'écluse d'Epenancourt, il y a deux déversoirs pour délester l'eau vers les étangs de la haute Somme.

M. Bernard Chantrelle - Effectivement, en amont d'Epenancourt, il y a deux déversoirs. L'un se reverse directement dans les étangs de la haute Somme et l'autre est un déversoir de contournement de l'écluse qui conduit l'eau de l'amont vers l'aval du canal.

M. le Rapporteur - Un de ces deux déversoirs est un système à poutres. Or il semblerait que deux poutres aient été retirées, le 23 mars, ce qui a eu pour conséquence de livrer un plus grand passage à l'eau. Pourquoi ces deux poutres ont-elles été enlevées ?

M. Paul Raoult - Il est évident que le problème qui se pose pour ces services est de remplir le canal. Preuve en est que de Dunkerque à Valenciennes, nous sommes toujours en conflit avec les services des canaux car ils nous prennent l'eau dont nous avons besoin par ailleurs. En période de pluies abondantes, ils ne peuvent laisser déborder le canal, car il faut laisser libre court à la navigation. Il se produit alors la situation inverse.

M. Bernard Chantrelle - Je voudrais revenir sur le bief que nous avons vidé. Cela a représenté 200 l/seconde pendant 24 heures.

M. Paul Raoult - Là n'est pas la question. A ce moment, les habitants étaient déjà submergés par l'eau et vous, vous avez vidé un bief. Les gens ne pouvaient que mal réagir.

M. le Rapporteur - C'est le même problème que pour l'écluse d'Epenancourt. Vous nous dîtes que cela a été fait pour que le canal ne déborde pas. Mais, il y a bien eu des masses d'eau qui ont été déplacées. Or cette eau a été vidée dans les étangs de la haute Somme. Il ne faut pas oublier que ce sont d'abord les étangs qui ont inondé la région. Il y a des preuves que des poutres ont bien été enlevées entre le 11 et le 23 mars, puisque des traces d'engins mécanisés ont été retrouvées.

M. Bernard Chantrelle - Le maximum a été enlevé aux alentours du 23 mars. Le bief avait alors atteint sa cote de 3,40 mètres, et à 3,50 mètres, il y avait débordement. Si nous ne l'avions pas vidé, rien n'aurait pu être maîtrisé par la suite et une partie des digues aurait dû être reconstruite.

M. le Rapporteur - Quelle a été la quantité d'eau en cause à cette occasion ?

M. Eric Le Guern - Il s'agit d'environ 5 m 3 /seconde. Mais je souligne que même si le déversoir avait été fermé, ces 5 m 3 seraient allés dans la Somme. Ouvrir le déversoir sert seulement à protéger la pérennité du canal.

M. Paul Raoult - Il est difficile de l'expliquer à la population, dans la mesure où le canal est en relation avec l'Oise et avec l'Escaut. Il est aussi en relation avec le canal de Dunkerque. Dans l'esprit de la population, il y a donc des transferts d'eau entre ces différents canaux. Il en est de même pour le bief que vous avez vidé.

M. le Président - Est-ce que cette vidange du bief était programmée depuis longtemps ? Pourquoi avez-vous choisi cette date dans votre programmation ?

M. Bernard Chantrelle - Le mois de mars est une date idéale pour faire les vidanges. La quantité d'eau est alors suffisante pour que le canal du Nord fonctionne. C'est aussi une période propice en ce qui concerne la météo. Enfin, la dernière raison est une remise en eau facile. La vidange de ce bief a duré trois jours. Lors de cette opération, 18 m 3 ont été pris à la Somme puis remis.

M. Paul Raoult - Notre problème actuel est la « rumeur d'Abbeville », qui est manifestement fondée sur des éléments réellement existants. Il y a bien eu un substrat d'information réelle.

M. Bernard Chantrelle - Je viens de penser à une dernière raison pour le choix de cette date. De fin avril jusqu'au mois de septembre, il y a une navigation de plaisance. Or la navigation de plaisance est l'une des principales vocations du canal de la Somme, puisque 300 bateaux environ l'utilisent durant cette période. Il permet de faire deux boucles, une boucle du canal du Nord au canal de Saint-Quentin par Cambrai et une boucle par Noyon. Si les travaux étaient faits en août et en juin, nous serions obligés de couper la navigation et d'arrêter les ponts tournants.

M. Eric Le Guern - Je tiens à votre disposition les cours de suivi de crues sur l'Oise. Ils montrent qu'après les pompages du 27, l'eau sur l'Oise a continué à baisser à la station de Champigny, à l'aval de Noyon. L'impact de nos pompages a donc été nul.

Sur le site Internet de la préfecture de la Somme, vous pouvez trouver l'information selon laquelle, le 27 avril 2001, le débit à Péronne était de 21 m 3 /seconde avec une tendance à la baisse. Le 29 avril, les conditions étaient les mêmes. Nous avons commencé à pomper le 26 avril. Le 27 avril, l'eau a baissé de 5 cm à Abbeville et monté de 4 cm à Amiens. Le 29 avril, date à laquelle notre pompage complémentaire était en fonctionnement, le niveau à Abbeville a monté de 1 cm. Nos pompages complémentaires avaient donc, avant tout, une vocation psychologique.

M. le Président - Pourquoi ne pas avoir commencé le 4 avril ?

M. Eric Le Guern - Le 24 avril, toutes les stations de Condren à l'amont et de Pontoise à l'aval étaient encore en alerte. Le lendemain, Pontoise est tombé au niveau vigilance et Venette n'est plus qu'en pré-alerte. Trois semaines auparavant, tout le monde était en pleine alerte. C'est pourquoi le pompage n'a pas commencé à cette date. Cela aurait inquiété les populations et cela aurait eu un impact important sur la navigation. Par contre, à partir du 25 avril, la décrue a commencé. Nous avons alors mis en place des pompages complémentaires, mais ce fut sans doute trop tôt. Ce fut fait sous l'autorité du Préfet de la région Ile-de-France

M. le Rapporteur - Fontaine-sur-Somme a été inondée le 21 mars. Dès ce moment, il y avait urgence !

M. Eric Le Guern - Chaque mètre cube pompé est aussitôt remplacé par un mètre cube supplémentaire, Monsieur le Rapporteur.

M. le Président - Quelles sont vos liaisons avec le BRGM et le service de gestion des nappes ? Etes-vous en communication permanente ?

M. Eric Le Guern - Nous avons des contacts de nature scientifique. Durant cette période, nous avons décidé, afin que les messages ne se brouillent pas, que nos actions seraient répercutées à nos collègues de la DDE de la Somme. A charge de la Directeur de répercuter les informations au Préfet de Picardie.

M. Bernard Chantrelle - La subdivision de Péronne et celle de la navigation d'Amiens, qui dépend de la DDE, sont en contact permanent. Ces contacts ne se font pas au niveau des directions, mais au niveau des opérationnels. Nous sommes obligés d'assurer une chaîne hydraulique. Il s'agit d'ouvrages artificiels. Dès que nous intervenons en amont d'un ouvrage, cela a des conséquences sur l'aval. Ainsi, en ce qui concerne Epenancourt, lorsqu'une intervention est prévue, nous alertons le maire de la commune, qui gère les barrages sur la haute Somme, M. Boulanger, président de la Commission de surveillance, et la DDE de Péronne. Tous ces fax ont été envoyés. Nous n'avons rien à cacher.

M. le Président - Finalement, de Dunkerque jusqu'à Paris, c'est vous qui maîtrisez tous les étiages.

M. Eric Le Guern - Nous les maîtrisons tant que la crue n'est pas trop importante. Je voudrais dire un mot sur les barrages de navigation. Un barrage de navigation est différent d'un barrage de réservoir. A titre d'exemple, à Creil, nous régulons la ligne d'eau par des manoeuvres de barrages jusqu'à 300 litres d'eau /seconde. Au-delà de 300 l/seconde, nous enlevons les barrages. L'Oise est alors rendue à son régime de fonctionnement hydraulique normal. Nous maîtrisons donc les étiages, mais jusqu'à un certain niveau.

M. Paul Raoult - Lorsque le canal Seine-Nord sera construit, nous n'aurons plus ces problèmes.

M. le Président - Comme vous l'avez compris, nous sommes préoccupés par ces problèmes ; nous resterons donc en contact avec vos services. Je vous remercie de ces précisions.

8. Audition de M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'Equipement, des Transports et du Logement (31 mai 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous accueillons M. Jean-Claude Gayssot. Je vous donne la parole, Monsieur le Ministre, pour un premier exposé introductif, puis nous vous poserons des questions.

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'Equipement, des Transports et du Logement - Je vous remercie, Monsieur le Président. Je crois que cette Commission d'enquête est très utile, comme toutes les commissions. Elle me semble pouvoir jouer un rôle important afin que tous les éléments d'appréciation sur une situation donnée, en l'occurrence dramatique, soient fournis, mais surtout afin que ce retour d'expérience nous aide à mieux travailler à l'avenir.

Je voudrais tout d'abord signaler que je trouve stupide et dangereuse la rumeur de l'abandon du département de la Somme par Paris et par l'Etat. Elle est stupide, car il aurait fallu que nous puissions inverser les courants, faire fi de la topographie et méticuleusement organiser une catastrophe naturelle. Elle est dangereuse car nous ne pouvons laisser sans risque dégrader l'image des responsables publics.

Le Gouvernement a mandaté en avril une mission interministérielle d'expertise sur les crues du bassin de la Somme, qui devrait rendre son rapport avant l'été, afin de mieux comprendre ce qui s'est passé et comment les dispositifs de prévention et de protection ont fonctionné. Il est évident que si cette Mission relève des erreurs, nous en tirerons toutes les conséquences. Mais penser que pour préserver Paris, nous avons sciemment laissé inonder la Somme n'est pas sérieux.

J'en viens à la façon dont l'Etat s'est mis en ordre de marche, du moins en ce qui concerne mon ministère, pour apporter les réponses concrètes à une situation difficile et, pour beaucoup, inédite.

Nous avons dû faire face à deux situations distinctes. D'une part, nous avons dû gérer la crise en mettant en place les mesures d'urgence qui s'imposaient et préparer la gestion de ses conséquences une fois que la décrue sera totalement effective, ce qui a commencé mais n'est pas achevé sur toute la zone touchée. L'Etat a assumé ses responsabilités en mettant tout en oeuvre pour que les familles éprouvées par l'inondation soient rapidement relogées, lorsqu'elles le demandent, dans des conditions décentes et au plus près de leur logement d'origine. Je crois que Madame Marie-Noëlle Lienemann doit venir plus précisément faire le point sur ce sujet. Deux cent trois familles ont demandé à être relogées. 183 d'entre elles le seront en mobil homes, dans le système que nous avons mis en place. Soixante et un de ces habitats de fortune ont déjà été livrés. Le reste suit, bien que cela se fasse à un rythme moins soutenu que ce que j'avais espéré. La pression inattendue de la demande a en effet créé certaines difficultés d'approvisionnement, que nous gérons, et les prochaines livraisons s'étaleront entre le 11 juin et le 15 juillet.

Le Gouvernement a voulu que cet hébergement soit solidaire, qu'il soit effectué en logement social ou en mobil home. Il est gratuit et les charges sont assurées pour trois mois. Nous n'oublions pas que les 752 familles évacuées ont aussi pu trouver un hébergement de sauvegarde chez des amis, à l'hôtel ou dans des gîtes ruraux. Nous étudions l'aide que nous leur apporterons pour dédommager, au moins partiellement, ceux qui les ont hébergés. Je ne m'étendrai pas davantage sur cet effort exceptionnel, que Madame Lienemann abordera devant vous plus en détail.

L'intervention de nos services n'a pas uniquement porté sur l'habitat. La mobilisation a été constante depuis fin janvier pour colmater des brèches sur les berges, contenir les débordements, limiter l'érosion et rechercher les douze sites d'accueil pour les premiers mobil homes, en collaboration avec les élus locaux. La maîtrise d'oeuvre pour la viabilisation des terrains a été assurée en une semaine en passant par l'installation d'un pont provisoire, dit pont Baylet, à proximité de la commune de Pont-Rémi, pour éviter que la population fasse un détour de 50 km environ.

Les agents de l'Equipement, qu'ils soient de la DDE ou des différents services de navigation, ont partout démontré une réactivité réelle et exemplaire à laquelle j'ai eu l'occasion de rendre hommage. Cette mobilisation va se poursuivre et s'accentuer puisqu'une centaine d'agents d'autres directions départementales ont répondu positivement à la sollicitation qui leur a été faite de prêter main forte pour la réparation des ouvrages dans la Somme, dès la décrue.

Je ne voudrais pas terminer mon intervention sans parler de l'avenir.

Nous allons devoir définir une règle de conduite pour l'avenir des zones sinistrées, et notamment examiner dans quelles conditions pourra se faire le maintien des populations dans des secteurs qui viennent de démontrer une certaine dangerosité. Les collectivités locales devront en ces matières prendre des décisions de bonne gestion publique. Elles pourront s'appuyer sur les conclusions de la Mission interministérielle d'expertise et sur tous les travaux des commissions d'enquête.

La Mission interministérielle doit en effet analyser le phénomène de crue et les causes qui ont pu en aggraver les conséquences afin de proposer des améliorations à apporter en matière de prévention et de protection. La prévention du risque d'inondation, avec ce phénomène très particulier de la crue de nappe, devra faire partie des priorités de l'action publique dès le retour à la normale.

Les collectivités locales devront aussi, après la décrue, apprécier l'ampleur des besoins pour la prévention du retour du risque et la réparation des effets de l'inondation. Vous le savez, M. le Premier ministre, Lionel Jospin, a déjà annoncé que l'Etat les aidera. M. le Préfet de Région, Préfet du département de la Somme sera mandaté à cet effet.

Nous devons enfin préserver l'attractivité touristique du département pour ne pas qu'il pâtisse de l'image des inondations. C'est pourquoi, Mme Michelle Demessine, Secrétaire d'Etat au Tourisme a réuni le 15 mai les représentants du Conseil général et des professionnels pour définir les mesures les plus appropriées que l'Etat aidera, y compris financièrement, à mettre en oeuvre.

Voilà, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, ce que je voulais vous dire avant de répondre à toutes les questions que vous souhaitez me poser.

M. le Président - Monsieur le Ministre, je vous remercie pour cet exposé liminaire qui fait bien le point de la situation passée et actuelle. Nous allons passer au jeu des questions.

M. Pierre Martin, Rapporteur - Monsieur le Ministre, après les auditions que nous avons déjà organisées, nous avons ressenti un certain trouble concernant les informations données par Météo France. Il nous a été annoncé qu'il n'y avait pas de service d'annonce de crues dans le département de la Somme. Les informations relatives à ces annonces de crues se trouvaient au CIRCOSC, à Lille. Nous voudrions savoir où elles sont allées par la suite.

M. Le Président - Nous avons l'impression que l'information circule mal entre le CIRCOSC et les populations concernées.

M. Jean-Claude Gayssot - Le CIRCOSC ne relève pas de mon ministère, au contraire de la Météo. Le service d'annonce des crues est rattaché au ministère de l'Environnement et de l'Aménagement du territoire. Ces services d'annonce ont été créés pour suivre les cours d'eau sur lesquels existent des risques significatifs de crues classiques. Ils visent à anticiper les phénomènes de brusques débordements de cours d'eau immédiatement liés à des précipitations ou à des événements comme les fontes de neige. Ce type de risques majeurs n'étant pas caractéristique, aux yeux des spécialistes, de la Somme, ce service n'a donc pas été mis en place.

Une mission interministérielle a été créée au mois d'avril pour analyser le phénomène de la crue, évaluer l'efficacité des dispositifs de protection et de prévention mis en place et proposer aux pouvoirs publics les améliorations nécessaires. Il ne m'appartient pas, à cette heure-ci, de dire si les dispositifs existants ont bien fonctionné.

Sans attendre les conclusions de cette mission, nous savons déjà que la crue de la Somme est en fait une crue de nappe. La nappe est remontée sur l'ensemble du lit majeur en raison de la saturation des sols, du fait des pluviométries exceptionnelles en mars - trois fois supérieures à la normale - et en avril - deux fois supérieures à la normale. La crue est apparue progressivement, au contraire d'une crue classique et brusque, et avec un décalage dans le temps entre les précipitations et les résurgences. Les systèmes et modèles existants qui contrôlent les cours d'eau et réagissent avec une visibilité de quelques jours sont donc inopérants par rapport à ce problème. Cette difficulté d'anticipation a pu créer, légitimement, des incompréhensions de la part des personnes concernées. Dès qu'il est apparu que l'eau ne disparaîtrait pas rapidement, la préfecture et les services de l'Etat ont fait face immédiatement à la situation et à ses conséquences.

M. le Rapporteur - Je m'excuse d'insister, mais le service Météo dépend bien de votre Ministère. Or il avait établi un pronostic alarmiste. A partir de ce moment, il aurait paru, me semble-t-il, tout à fait normal que l'on suive la situation de près afin de voir si l'alerte allait arriver là où elle le devait.

M. Jean-Claude Gayssot - J'ai bien compris votre remarque. J'essayais d'expliquer qu'il s'agissait d'une crue de nappe avec un décalage entre la pluviométrie et la résurgence qui remonte par la nappe. Cela ne veut pas dire qu'il ne faudra pas à l'avenir doter la Somme d'un dispositif d'annonce des crues particulier.

Je voudrais ajouter une chose. Chaque fois qu'une commission d'enquête est constituée, elle relève un problème de coordination des services. Je suis sûr que Madame Dominique Voynet, de qui relève la politique de l'eau, vous a confirmé que des améliorations étaient dans ce domaine nécessaires.

Nous avions une situation de pluviométrie exceptionnelle dans toute la France, excepté en Corse et dans une partie des Alpes-Maritimes. Météo France a joué son rôle d'alerte mais ce n'est pas ce service qui doit indiquer la marche à suivre par la suite.

M. Jean-François Picheral - Il faudrait, vu la spécificité du contexte des nappes phréatiques et de la pluviométrie de la Somme, qu'il y ait un service d'annonces des crues. Il faut créer un tel service, propre à ce département. L'expertise le dira, mais nous sommes tous d'accord pour demander que ce soit la première démarche entreprise. La population y verra peut être quelque chose de positif pour l'avenir immédiat, puisque des difficultés sont encore prévues pour septembre et octobre.

M. Jean-Claude Gayssot - Je suis de votre avis. Je proposerai à Madame Dominique Voynet de faire évaluer la mission de ces services pour mieux tenir compte de la réalité de ce type de crues, en particulier dans la Somme. Nous ne pouvons laisser les choses en l'état.

M. le Président - A l'occasion de cette affaire, Monsieur le Ministre, les limites de la décentralisation apparaissent clairement. Les populations concernées n'ont pas encore toutes pris conscience qu'en matière d'inondation, l'Etat a de moins en moins de responsabilités, qu'il y a eu délégation aux régions et aux départements. Ne croyez-vous pas que la décentralisation a confié à des communes des compétences qu'elles ne sont pas bien en mesure d'assumer ? Nous constatons que la crue a été prise en compte progressivement. Mais l'on a toujours l'impression que c'est au moment où l'armée a pris les choses en main, c'est-à-dire au moment où aux moyens de la DDE ont été ajoutés ceux du Génie militaire, que la décrue a évolué. Des moyens matériels ont-ils fait défaut ? L'arrivée de l'armée marque un virage.

M. Jean-Claude Gayssot - Monsieur le Président, vous soulevez deux questions. Les DDE sont mises à disposition des communes pour l'exercice de leurs compétences, sous la responsabilité de ces communes. Nos services ont instruction de ne pas profiter de leur mise à disposition pour outrepasser leur rôle. En revanche, lorsqu'il y a des décisions qui pourraient manifestement paraître illégales, nous veillons à ce que les hiérarchies des DDE préviennent la collectivité locale que la DDE n'est plus en mesure d'assurer correctement sa mission. L'Etat ne s'est pas désengagé, mais il agit en soutien des collectivités locales pour l'exercice de leurs compétences. Je n'ai pas connaissance que, dans le cas de la Somme, le système de responsabilité du maire sous le contrôle de légalité des préfets n'ait pas correctement fonctionné, compte tenu des analyses de risques disponibles.

Quant à l'armée, elle a effectivement pleinement joué son rôle. Mais ce n'est pas elle qui a fait reculer les eaux. Il a fallu mettre en place des moyens d'urgence. Les populations ont noté l'effet des barrages de sacs de sable qui ont été mis en place par l'armée, mais aussi, je tiens à le souligner, par la DDE. Cependant, au début de la crue, rien ne pouvait être fait. L'efficacité de ce genre d'intervention n'était pas alors évidente. De plus, il y a eu une conjugaison de phénomènes, comme c'est souvent le cas dans ces situations, avec de forts coefficients de marées.

M. le Rapporteur - En 1987, il y avait déjà eu une crue, comme en 1994, en 1997 et enfin en 2001. Le phénomène n'est donc pas nouveau. Des études ont certainement été menées à ces occasions et j'ai devant moi un courrier adressé par le sous-préfet d'Abbeville au maire d'une commune fortement inondée. Il y déclarait ceci : « Du côté des marais et des étangs, même si les pluies cessent, le niveau d'eau monte. Cela est plus particulièrement marquant dans les habitations proches des étangs. L'eau a monté depuis le début des précipitations de près de 50 cm. J'ai envoyé un courrier aux services compétents signalant l'urgence d'agrandir la buse de la rivière du Doit, proche du passage à niveau d'Abbeville. C'est l'une des actions à mener à l'heure actuelle. En effet, toutes les eaux de la vallée passent par cette buse de 1,50 mètre de diamètre. Cela freine le débit et, de plus, s'il y a une grande marée, l'eau monte facilement de 20 cm en une journée. L'agrandissement est urgent. » Voilà l'information qui avait été envoyée à un moment donné. Aujourd'hui, cette action est menée en urgence puisqu'il est apparu, en réunissant la DDE et le Génie militaire, que le problème soulevé constituait un facteur aggravant de l'inondation. Mais, cette information date du 21 janvier 1994 !

M. Jean-Claude Gayssot - Monsieur le Rapporteur, je me demandais si vous mentionneriez la date de ce courrier et je vous aurais posé la question si cela n'avait pas été le cas. Cette lettre prouve que, depuis 1994, des éléments et des conseils avaient été donnés. La Mission d'enquête dira si nous avons tardé à les prendre en considération ou non. Votre document est de ce point de vue tout à fait précieux. Moi-même, je n'ai eu connaissance de ce document que tout à fait récemment. La Mission d'enquête a, entre autres, pour rôle de décider si nous avons tardé à prendre des décisions après des inondations qui avaient déjà eu lieu.

Cet élément pose le problème de la décentralisation et de la coordination. Les affluents de la Somme sont pour certains privés, communaux pour d'autres. La Somme relève de la région, qui l'a concédée au département. Je suis convaincu que les inondations de la Somme vont conduire à une réflexion sur la cohérence de l'intervention publique. Je crois qu'il faut veiller à ce que les responsables publics aillent jusqu'au bout dans la rigueur.

Certaines questions vont aussi se poser. Des gens veulent habiter près de l'eau, c'est une réalité. D'autres habitent près de l'eau mais n'ont pas toujours les moyens d'entretenir les berges. Il faut en tirer des leçons pour l'avenir. Un grand débat public serait peut-être utile pour que tous les intérêts s'expriment et que les bonnes décisions se prennent. J'ai mis en place dans le domaine des transports, que ce soit maritime, aérien ou routier, ce que l'on appelle le bureau d'enquête accident. Il permet de rendre les retours d'expérience les plus efficaces possibles. Je me demande s'il ne serait pas utile de créer un bureau d'enquêtes catastrophes naturelles de telle sorte qu'une recommandation qui avait été faite il y plus de huit ans ne reste pas lettre morte.

M. le Président - Vous avez dit, Monsieur le Ministre, qu'il y avait deux catégories de problèmes : la gestion de la crise et la gestion des conséquences de la crise. En ce qui concerne les conséquences de la crise, ne pensez-vous pas qu'une étude devrait être faite pour savoir à quel moment les routes inondées pourront être remises en service normal ? Les fondations ayant été rendues vulnérables, ne faudrait-il pas un délai avant de les remettre dans le flux de circulation normale, notamment pour les poids lourds ?

M. le Rapporteur - Pour compléter la question de Monsieur le Président, je voudrais ajouter que, dans certaines communes, les populations s'inquiètent du passage des poids lourds. Elles ont l'impression que les infiltrations d'eau ont pu causer un manque de stabilité qui pourrait être accentué par le passage des poids lourds.

M. Jean-Claude Gayssot - Nos services se sont penchés sur la question et nous avons été conscients, avant même la décrue, que de tels problèmes pouvaient se poser. La DDE n'a pas constaté de désordre sur les routes laissées en circulation ou remises en circulation récemment. La circulation des poids lourds ne semble pas être un facteur de risque aggravant pour les constructions riveraines. Les mouvements de nappes constituent un danger plus important. J'ai demandé que la DDE surveille, en étroite relation avec les maires, l'état des constructions riveraines et prenne les dispositions d'exploitation nécessaires.

Je tiens aussi à rappeler que l'économie locale sort de deux mois de paralysie. Il ne faut pas ralentir sans une raison assurée le redémarrage de l'activité des entreprises. Par ailleurs, le trafic local est important sur les axes considérés, qui sont exclusivement départementaux. Le pouvoir de police pour prendre des arrêtés dans ce domaine est de la compétence du maire de l'agglomération et du Conseil général hors agglomération. La circulation des poids lourds est déjà interdite à Abbeville, sauf pour la déviation locale, et la déviation des poids lourds en transit est assurée par l'A 16.

La DDE est mobilisée pour une surveillance étroite du réseau routier et nous prendrons toutes les mesures qui s'avèreraient nécessaires en la matière.

M. le Président - Pour prolonger cette question, je souhaiterais souligner la fragilité d'un des ouvrages de l'A 16, puisque la circulation a été déviée. Qui est responsable pour l'avenir et quelles dispositions seront prises ?

M. Jean-Claude Gayssot - La direction des routes de mes services est actuellement en alerte sur cette question. La priorité est donnée au rétablissement de la circulation. S'agit-il d'un ouvrage concédé ?

M. le Président - C'est un ouvrage fragilisé dont la conception est récente. Il a été mis en place il y a six ou sept ans sur une base qui avait été très fragilisée puisque le remblai atteignait dix mètres de hauteur.

M. Jean-Claude Gayssot - Je vous confirme que nous travaillons sur cette question afin de définir les dispositions nécessaires à la consolidation et au renforcement de ces ouvrages.

M. le Président - Je pense qu'il ne vous a pas échappé que durant le week-end de l'Ascension, il y a eu des embouteillages terribles sur cette partie de l'autoroute. Or le week-end de la Pentecôte interviendra bientôt, à la fin de la semaine.

M. Jean-Claude Gayssot - Je profite de cette remarque pour vous dire que toutes les propositions visant à réduire l'insécurité routière durant ce week-end de grandes mutations seront les bienvenues.

M. le Rapporteur - Dans certains secteurs de la Somme, la décrue a commencé ; dans d'autres, l'eau a disparu ; enfin, certains secteurs sont encore inondés. Dans ceux où l'eau s'est retirée, la reconquête des habitations par les habitants sinistrés a commencé. Dans ces zones, une question se pose désormais : va-t-on laisser les habitants réhabiliter leur maison ou bien va-t-on leur demander d'aller habiter ailleurs ? Quand pourrons-nous avoir des certitudes sur le sujet ? Il faudrait le savoir car de nouveaux permis de construire devront être accordés à ces gens. L'espoir de voir l'eau disparaître a rendu euphoriques quelques personnes mais de nouveaux problèmes se posent, notamment au niveau sanitaire.

M. Jean-Claude Gayssot - Dans mon introduction, j'ai dit que nous allions poursuivre le mouvement. La réhabilitation ne peut se faire sans un travail de remise en état. Nous sommes en train d'étudier, avec la Mission d'enquête interministérielle, si certains secteurs sont désormais inhabitables. Vous avez raison, Monsieur le Rapporteur, il faut faire les choses de la meilleure manière. Les décisions que nous prenons aujourd'hui risquent d'être lourdes de conséquences. Certaines personnes veulent revenir dans leurs anciennes habitations, d'autres non. Je suis allé sur le terrain et j'ai entendu les deux versions.

Un minimum de garanties doit être apporté concernant le niveau du risque. Le Préfet a prescrit des plans de prévention des risques avec des interdictions de permis de construire. Tout cela va prendre du temps. Je pense qu'il faudra faire beaucoup de pédagogie. Une réflexion est à engager pour tous ceux qui ne pourront pas revenir dans leur maison. Mais si vous le permettez, Madame Marie-Noëlle Lienemann répondra mieux à ces questions. Un travail a été engagé sur la visibilité des zones constructibles, non constructibles ou constructibles dans certaines conditions. Il y a aussi un problème de légalité. Le retour dans une maison d'habitation ne peut être interdit légalement, sauf s'il y a un arrêté de péril.

M. le Président - Nous poserons des questions plus précises à Madameme Lienemann sur les mobil homes et les parcs de mobil homes.

Les possibilités pour les communes concernées de retrouver des terrains constructibles lorsque les disponibilités foncières sont faibles constituent un autre problème. Ne croyez-vous pas qu'il nous faudrait un nouveau dispositif d'expropriation rapide en cas de risque majeur ? Nous n'avons pas d'arsenal législatif pour les problèmes que posent les maires au sujet de l'expropriation dans les 15 jours qui suivent et des terrains à bâtir. Seriez-vous opposé à ce que nous fassions des propositions de texte permettant, en cas de situation exceptionnelle, d'avoir des procédures particulières ?

M. Jean-Claude Gayssot - Pour compléter ma réponse à la question précédente, je voudrais dire que, bien sûr, ce sont les maires qui peuvent décider de prendre un arrêté de péril mais, actuellement, se met en place une aide d'experts aux maires avec des bureaux d'études. Nous avons besoin de l'aide la plus scientifique possible

Si nous possédions des mobil homes de réserve, la situation se débloquerait plus rapidement. J'ai avancé la proposition des mobil homes après avoir discuté avec tous les intéressés. Au début, la solidarité de famille et de voisins a joué à plein. Mais dans la mesure où les inondations ont continué, il n'était plus possible de s'en remettre à cette seule solidarité.

En ce qui concerne l'extension dans certaines conditions des procédures d'expropriation, je voudrais dire deux choses. Le dispositif mis en place par la loi Barnier de 1995 permet d'exproprier les biens dans certaines circonstances : un risque prévisible de mouvements de terrain, d'avalanches, de crues torrentielles, et des risques qui menacent gravement des vies humaines, lorsqu'une évacuation complète est impossible. L'expropriation se fait, en outre, sous réserve que les moyens de sauvegarde et de protection des populations s'avèrent plus coûteux que les indemnités d'expropriation. Telles sont les règles fixées par la loi. Toutefois, les descriptions de dispositif montrent que les inondations de la Somme, lentes et progressives, ne répondent pas aux deux premiers critères et n'entrent pas dans le champ du texte. L'extension de la loi Barnier, actuellement limitée aux crues torrentielles et aux situations pouvant mettre en cause des vies humaines, doit effectivement être appréciée. Il faut en mesurer les conséquences.

M. le Rapporteur - Comme vous l'avez rappelé, nous avons géré l'urgence, mais je crois que maintenant le problème va être de gérer l'impatience des habitants. Au fur et à mesure que l'eau s'en va, l'espoir renaît. Si nous n'avons pas immédiatement de solution à apporter à ceux qui veulent rentrer chez eux, nous connaîtrons des moments difficiles.

Il est bien sûr possible d'utiliser des mobil homes. J'étais à Fontaine-sur-Somme lorsque vous êtes venu inaugurer sept mobil homes. Je sais donc que vous aviez annoncé que nous en aurions dix par jour dès le lendemain. Ce n'est pas le cas, mais cela va se faire. Je comprends qu'il y ait des problèmes à ce sujet. En la matière, les décisions des personnes sont à géométrie variable. Quand l'eau était présente, des mobil homes étaient réclamés. Maintenant que l'eau se retire, les habitants sont moins sûrs de vouloir habiter dans un mobil home.

Concernant les mobil homes, vous aviez dit que c'était une situation provisoire mais durable. J'avais ajouté que cette situation était celle de l'après-guerre quand on a installé les Churchill, c'est-à-dire les baraquements en bois. Il s'agissait d'un habitat provisoire, mais des gens habitent encore dans ces baraquements à Abbeville de nos jours. Est-ce qu'un « après mobil home » a été imaginé ? Allons-nous faire en sorte qu'il s'agisse véritablement d'une solution provisoire comme nous l'avons souhaité ou alors est-ce que cette situation va devenir durable, sachant que les gens qui habitent dans les mobil homes se sont certainement habitués à ne plus payer de charges et de loyers ? Ce sont des réactions que nous avons rencontrées sur le terrain, de la part de gens qui se sont retrouvés confrontés à cette situation.

M. Jean-Claude Gayssot - Je me souviens de votre question, et de ma réponse, lors de ma venue. Je considère que cela ne peut pas être une situation durable. Lorsque j'ai utilisé les termes de « provisoire et durable », c'était pour préciser que cette situation allait durer plus de quelques jours. Je crois qu'il ne faut pas se retrouver dans la situation d'après-guerre que vous avez dénoncée. Quant à votre remarque concernant le loyer, ces gens n'y gagnent pas. Il faut considérer leur situation, qui est extrêmement difficile.

En ce qui concerne la gestion de l'impatience, je suis pour une aide maximum. Actuellement, les services de la DDE, en relation étroite avec les maires, travaillent sur un recensement des terrains susceptibles de permettre la reconstruction de logements. Ces terrains seront proposés aux services HLM, que ce soit pour le locatif ou l'accession, mais aussi aux promoteurs privés. La recherche des terrains s'étend aux communes voisines, voire limitrophes, des communes touchées par le sinistre. Cela posera de nouvelles questions.

M. le Président - Dépeupler une commune au profit d'une autre avec l'aide active des pouvoir publics posera des problèmes locaux difficiles. Je souhaiterais que vos services réfléchissent à la possibilité de transformer les terrains viabilisés pour l'accueil des mobil homes en zones de construction par la suite. Il ne faudrait pas que lorsque les mobil homes seront enlevés, les installations soient détruites.

M. Jean-Claude Gayssot - La viabilisation que nous effectuons pour les mobil homes ne correspond pas forcément à ce qui doit être fait pour les constructions durables.

Toutes les dispositions seront prises dans le cadre de la législation actuelle afin d'accélérer la révision des documents d'urbanisme lorsque cela s'avèrera nécessaire. Mais il n'est pas souhaitable de réduire le délai d'élaboration des plans d'urbanisme. Le temps de travail sur les projets, les expertises, les consultations, l'enquête publique n'est pas seulement du temps perdu. C'est le temps pour prendre de bonnes décisions. En ce qui concerne les mobil homes, effectivement, les terrains ont été choisis en fonction des endroits libres et à proximité des maisons qui avaient été abandonnées. Je ne sais pas aujourd'hui si ce sont ces terrains qui correspondront aux constructions nouvelles. Certains terrains peuvent être durablement urbanisés. D'autres ont été mis à disposition par les agriculteurs pour une situation donnée. Nous devons, avec les habitants des mobil homes, gérer la durée dans le provisoire. Chaque fois qu'ils pourront rentrer chez eux sans risque, nous les y aiderons. Mais nous n'éviterons pas de dire à certains qu'ils ne peuvent plus habiter dans leur ancienne maison sans risque.

M. le Rapporteur - L'émotion qu'ont suscitée ces inondations est au même niveau pour moi que pour M. le Ministre. J'ai vécu cela en direct. Je vous posais la question concernant les avantages pour les habitants des mobil homes car je vois fleurir certaines émotions de la part de nos concitoyens. Des commentaires se font dans nos villages ; il y a d'un côté les sinistrés et de l'autre les non sinistrés. Les sinistrés bénéficient de la solidarité totale des uns et des autres pour l'alimentation, les chèques de la cellule remis par le Trésor, etc. Mais cela fait évoluer le jugement des non sinistrés. Il faudra trouver un équilibre entre les uns et les autres.

M. Jean-Claude Gayssot - Nous devons tout d'abord avoir un souci humain. Nous sommes dans une situation de catastrophe naturelle avec des sinistrés et il est de la responsabilité des pouvoirs publics de s'engager. Il faut souligner l'engagement des pouvoirs publics, mais aussi celui des élus locaux et des populations. Nous avons assisté, à l'échelle de la France, à un véritable élan de solidarité. Des questions nous ont été posées, en ce qui concerne l'Oise, sur une situation de risque d'effondrement. Tous disaient qu'il fallait agir de la même façon que dans la Somme. Du point de vue de l'intervention publique, nous n'avons pas fait ce choix.

D'autre part, au-delà des habitants, il faut également s'intéresser aux collectivités concernées. Pour ce qui est des équipements publics, il appartient aux collectivités compétentes de dresser l'état des dommages, de proposer des mesures de remise en état et de rechercher l'aide d'autres collectivités publiques. Le Premier ministre a déjà annoncé qu'il y aurait une aide exceptionnelle de l'Etat pour aider à la mise en oeuvre de ce programme, dans les formes et les limites que le Préfet aura négociées avec les collectivités locales.

M. le Président - Je voudrais profiter de votre présence pour vous dire qu'avant de vous recevoir, nous avons auditionné des spécialistes de la gestion de ce système hydraulique qui se situe en amont de la Seine. Un de nos collègues a fait une réflexion que je voudrais relayer. Si vous preniez une décision plus rapide pour la construction d'un canal Seine-Nord, ce système hydraulique compliqué serait géré autrement et le problème serait en partie réglé. Si ce canal existait, une rumeur telle que celle d'Abbeville ne pourrait exister dans quinze ans, et cela grâce à vous. Quand prendrez-vous cette décision ?

M. Jean-Claude Gayssot - Nous discutons actuellement des schémas de services. Les confirmations, modifications et propositions des régions remontent au niveau central au cours de l'été. Nous commençons, dès à présent, à partir de ces remontées, à travailler sur tous les éléments de cohérence. Toutefois, dès lors qu'il s'agit de transports, plusieurs régions sont concernées. Parfois même toute l'Europe est concernée. En l'occurrence, pour le canal Seine-Nord, il me paraîtrait incompréhensible que nous ayons déjà dans le cadre du contrat de plan décidé des extrémités, Dunkerque, Escaut et Oise aval, et que nous ne prenions pas la décision pour la partie centrale assez rapidement. Voilà mon état d'esprit, mais je ne peux pas vous donner de date précise. La gestion du consensus sur le tracé sera le problème principal auquel nous serons confrontés.

M. le Président - Nous avons bien entendu votre réponse, mais je tiens à signaler que dans 23 jours, nous serons en été. Je vous remercie, Monsieur le Ministre, ainsi que vos collaborateurs, d'être venus jusqu'à nous.

9. Audition de M. Michel Sappin, directeur de la défense et de la sécurité civiles au ministère de l'Intérieur (6 juin 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui M. Michel Sappin, directeur de la défense et de la sécurité civiles au ministère de l'Intérieur. M. Sappin a d'ailleurs déjà accompagné le ministre de l'Intérieur devant notre commission, il y a quelques jours.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Michel Sappin.

M. le Président - Je vous laisse la parole pour votre exposé qui sera ensuite suivi de questions de la part des membres de notre commission.

M. Michel Sappin - Ma déclaration préliminaire sera relativement courte dans la mesure où M. Daniel Vaillant est déjà venu en personne devant votre commission à votre invitation et qu'il a, à cette occasion, donné la position, à l'heure où il parlait, du ministère de l'Intérieur. Je précise que sa position était celle qu'il avait à l'heure où il parlait, car il est évident que nous attendons de disposer des rapports de l'inspection qui a été diligentée pour cette affaire avant d'adopter une position définitive. Ainsi, suite à la lecture des rapports des experts, nous pourrons éventuellement avoir une position légèrement différente de celle d'aujourd'hui.

Tout d'abord, quelques précisions sur le fonctionnement du ministère de l'Intérieur.

Je voudrais vous rappeler les rôles et les limites de ma direction dans cette affaire des inondations de la Somme. En effet, nous fonctionnons au ministère de l'Intérieur sur la base d'un système fondé sur trois niveaux :

- au niveau départemental : le préfet, entouré de son équipe et de son centre d'observation départemental, a la gestion des événements dans le cadre du département en matière de sécurité et de protection civile ;

- au le niveau zonal : ce niveau a connu des évolutions depuis le 1er janvier 2001 qui ne sont pas neutres en ce qui concerne les affaires de la Somme ;

- au le niveau national organisé autour de ma direction à Asnières et notamment autour de notre Centre Opérationnel de Gestion Interministérielle des Crises, le COGIC, qui est l'élément permanent de gestion de toutes les crises de sécurité et de défense civiles sur le territoire national. Le COGIC a également la charge d'informer le gouvernement, et non uniquement le ministère de l'Intérieur, de tout ce qui se passe en France métropolitaine, dans les DOM-TOM et même à l'étranger.

Ainsi, dans cette affaire, la direction de la défense et de la sécurité civiles n'est intervenue qu'en troisième position, c'est-à-dire en tant qu'assistant et pourvoyeur de moyens. Nous n'avons jamais directement géré cette crise depuis notre site d'Asnières. Je précise ce point car il est vrai que, lors d'autres événements qui ont touché plusieurs départements à la fois, nous sommes intervenus en première ligne. Par exemple, pendant les tempêtes ou dans le dispositif de lutte contre les conséquences du naufrage de l'Erika, nous avons effectivement géré directement l'ensemble des moyens et des réponses à apporter aux problèmes soulevés.

Par ailleurs, je souhaite revenir sur le niveau zonal. En effet, lors de l'audition de M. Daniel Vaillant, vous avez, à plusieurs reprises, évoqué le CIRCOSC de Lille. Je m'empresse de préciser qu'il n'existe pas de CIRCOSC à Lille dans l'état actuel du dispositif. Il s'agit d'une anomalie de notre dispositif sur le territoire national. Nous avons dans les zones de défense des CIRCOSC partout sauf à Lille. La région Nord-Pas-de-Calais Picardie n'est pas couverte par un centre de ce type. Il s'agit d'une importante lacune de notre dispositif mise en lumière par le rapport de M. Sanson et de son équipe d'inspecteurs à la suite des tempêtes. Une des recommandations de ce rapport était d'ailleurs de revitaliser nos centres de défense et notamment de leur donner partout les moyens nécessaires à leur fonctionnement. Ainsi, nous avions prévu, bien avant les inondations de la Somme, d'installer dans le courant du mois de juillet à Lille un véritable CIRCOSC comme dans les autres préfectures de zones, doté des moyens matériels, techniques, humains et du commandement nécessaires à sa gestion. Je tenais à apporter cette précision dans la mesure où dans les questions que vous avez posées, comme dans certains de vos commentaires, une confusion perdurait. Il n'y a donc pas de CIRCOSC à Lille.

Quel substitut à ce CIRCOSC existe à Lille ? Le Centre Opérationnel du Service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Nord, le CODIS 59, joue un peu le rôle de CIRCOSC à Lille, mais sans en avoir vraiment ni la vocation, ni les moyens, ni les prérogatives. Pourtant, ce CODIS 59, lorsque l'événement est suffisamment important, joue un peu pour les départements du Nord, du Pas-de-Calais et les départements de la région de Picardie le rôle de CIRCOSC. Ainsi, dans l'affaire de la Somme, l'échelon zonal a été particulièrement absent. Je n'affirme pas cela sous forme de regret ou de critique, mais comme une simple constatation puisqu'il n'y avait pas d'état-major, ni d'officiers dans cette région.

Quel a été le rôle de la direction de la défense et de la sécurité civiles ?

Je souhaite maintenant vous expliquer comment nous avons essayé d'anticiper les conséquences de cette lacune. Ainsi, nous avons été alertés pour la première fois sur les événements de la Somme aux alentours des 12 et 13 février, lorsque le préfet de la Somme nous a adressé copie de la lettre qu'il avait envoyée aux 52 maires des arrondissements d'Abbeville, de Péronne et d'Amiens, concernés par la montée prévisible de la Somme. A cette occasion, nous avons commencé à être sensibilisés à Asnières à l'événement. Je m'empresse de préciser qu'à l'époque, d'autres régions ou départements subissaient des difficultés analogues compte tenu des fortes pluies qui se déversaient alors. Nous avons donc prêté à ce courrier une attention toute relative, ce que vous comprendrez volontiers.

Nous avons commencé à avoir une attention plus soutenue à partir du 20 mars lorsque nous avons préparé les premières évacuations, puis surtout le 23 mars, lorsque nous avons vraiment appris que le SDIS et le préfet de la Somme commençaient les évacuations dans plusieurs communes du département. A ce moment-là, ces événements sont devenus prioritaires et nous avons commencé à suivre très régulièrement le dossier. Ainsi, à partir des 22 et 23 mars, nous avons réellement mis en place un dispositif de veille et d'information au Gouvernement. Ce n'est qu'à partir de là que l'événement sortait du lot commun des événements du pays. Nous informions donc par des bulletins de situation quotidiens, puis biquotidiens, l'ensemble de nos interlocuteurs -à Matignon, dans différents ministères et, bien entendu, à tous les niveaux du ministère de la Défense, ainsi que le préfet de zone de Lille.

En même temps, nous avons appris, le 23 mars, que le préfet de la Somme mettait en place une cellule de veille interministérielle. Parce que nous avons malheureusement une certaine habitude de ce genre d'événements, nous avons commencé à réfléchir en interne aux moyens susceptibles d'être alloués au département en complément de ses moyens propres. Nous avons mis en alerte nos unités de la sécurité civile, notamment celle de Nogent-le-Rotrou dans l'Eure-et-Loir qui est la plus proche. Je rappelle que nous disposons de trois unités de sécurité civile : une unité en Corse (que nous n'allions, à l'évidence, pas mettre en oeuvre), une unité à Brignoles (qui dessert la zone sud) et une unité à Nogent-le-Rotrou qui dessert la zone nord. Nous avons donc demandé à notre chef de corps et à notre état-major d'Asnières de préparer une mobilisation et des moyens complémentaires à mettre à la disposition du préfet. Comme le veut la règle, nous attendions que le préfet nous demande le déclenchement de la mise en oeuvre de ces moyens. Une fois cette demande exprimée, nous donnons notre feu vert et mettons en marche les moyens.

Nous avons également mis en alerte nos hélicoptères de la sécurité civile. Notre préoccupation majeure en cas d'inondation concerne évidemment les sauvetages et les hélitreuillages qui sont très courants. Nous avons mis récemment en pratique ces méthodes en Bretagne, comme lors des inondations du Languedoc. Nos hélicoptères ont donc immédiatement été mis en alerte générale, notamment à Arras et à Lille. Puis, nous avons commencé à préparer la mise en place d'une Mission d'Appui de la Sécurité Civile (MASC). Je vous disais à l'instant que nous avons essayé de pallier l'absence d'un CIRCOSC à Lille : l'envoi auprès du préfet de la Somme d'une Mission d'Appui fait partie des moyens mis en oeuvre pour pouvoir l'aider comme l'aurait fait un CIRCOSC. Nous travaillons avec des officiers de sécurité civile spécialisés selon les risques. Ainsi, nous disposons de spécialistes des risques d'inondations, des risques chimiques, des risques en matière de feux de forêt, etc. Nous avons donc préparé notre Mission d'Appui et l'avons envoyée au préfet à partir du début du mois d'avril. Aux alentours du 10 avril, cette MASC était installée auprès du préfet de la Somme.

Puis, devant l'importance du phénomène -beaucoup d'élus ayant saisi le Premier ministre et le ministre de l'Intérieur- il y a eu une montée en puissance supplémentaire du côté de l'Etat et l'on a mis en place, à partir du 27 avril -alors que la crise était déjà bien engagée- de façon tout à fait exceptionnelle une cellule interministérielle confiée à un sous-préfet qui l'a traitée dans ma direction, M. Moracchini. Il a donc pris la direction de cette cellule avec des représentants d'autres administrations (logement, économie et équipement) et est venu s'installer à côté du préfet de la Somme pour gérer la sortie de crise et mettre en place tous les dispositifs d'assistance. Nous avons envoyé au total au niveau opérationnel près de 900 personnels de l'Etat. Pour notre part, nous avons envoyé 4 sections de nos Unités d'instruction et d'intervention de la Sécurité civile (UIISC) ce qui représente un effort de l'ordre de 150 personnes qui sont parties avec leur matériel, leurs moyens d'intervention et surtout leur technique (ils ont en effet une spécialisation forte en la matière). Ces spécialistes sont donc intervenus aux côtés des sapeurs-pompiers, des gendarmes, des policiers et de tous les acteurs qui se sont mobilisés sur place.

En conclusion, et avant de répondre à vos questions, je souhaite vous donner mon sentiment sur cette affaire. Nous nous sommes trouvés face à des inondations au profil très atypique, en comparaison avec les inondations de crues rapides de fleuves, comme à Vaison-la-Romaine ou à Nîmes par exemple. Là, l'eau était montée en quelques dizaines de minutes ou en quelques heures dans des conditions très dramatiques qui mettaient des vies en péril. Dans de telles situations, nous envoyons immédiatement des secours aux citoyens. Nous n'étions pas dans ce cas-là. Nous n'étions pas non plus dans le cadre d'une inondation due à des pluies torrentielles relativement courtes dans le temps et qui donnent lieu à une montée des eaux en 24 ou 48 heures. Il s'agissait à l'évidence d'une saturation des sols du fait des pluies diluviennes tombées pendant des semaines entières. Vous connaissez le caractère totalement exceptionnel et atypique de ces inondations. Ainsi, cette montée lente et régulière des eaux ne mettait pas en cause des vies humaines, ce qui explique que le plan ORSEC n'ait pas été mis en oeuvre par le préfet de la Somme. Ces inondations nous ont tout de même amenés à mobiliser de nombreux moyens sur une longue période puisque nous y sommes encore et le travail sur place est selon moi loin d'être terminé. Nous avons encore un rôle important à jouer en matière d'accompagnement des populations afin de les aider à revenir chez elles et à remettre leurs habitations en état.

Ma direction a donc joué son rôle, même modeste. En effet, puisque ces inondations ne concernaient qu'un seul département, nous n'avons été qu'un pourvoyeur de moyens. Nous n'avons fait que donner au préfet ce qu'il nous demandait. Aucune demande faite par le préfet de la Somme à mon ministère et à ma direction en particulier n'a été ignorée. Nous avons toujours répondu à ses demandes, dans des conditions qui me paraissent tout à fait satisfaisantes.

M. le Président - Je vous remercie, Monsieur le directeur, de cet exposé et de votre rappel de la chronologie. Des questions vont vous être posées sur cette chronologie et sur l'acuité de la prise en charge et de la considération de ce risque.

M. Pierre Martin, Rapporteur - Nous pensions qu'il existait un CIRCOSC à Lille. Or vous nous affirmez qu'il n'y en avait pas. Nous avons même cru au cours des auditions précédentes avoir compris qu'il en existait un. Alors, qui a eu l'information au sujet de la crue ? Vous nous dites que le CODIS du Nord jouait un peu le rôle d'avertisseur. Je pense que l'information n'a pas circulé à ce niveau, hormis le courrier de M. le préfet qui date du mois de février et pour lequel je crois savoir que M. le préfet n'a reçu aucune réponse. Il est vrai que ce courrier est arrivé à un moment où, en France, il y avait des élections et que, au-delà des inondations, les uns et les autres étaient très occupés.

A-t-on véritablement tiré la sonnette d'alarme ? Là est le problème. Selon moi, beaucoup de difficultés auraient pu être évitées si l'on avait tiré la sonnette d'alarme. En outre, qui aurait pu la tirer ? Telle aurait pu être la tâche du CODIS puisqu'il n'y avait pas de CIRCOSC. L'information est tout de même restée quelque part en stationnement !

M. Michel Sappin - En effet, j'ai ressenti lors de l'audition de M. Vaillant qu'il y avait sur ce point une certaine ambiguïté. Je ne peux vous donner que mon sentiment sur cette affaire, car, je le répète, je n'ai pas de responsabilité directe dans cette question de l'annonce. Selon moi, l'annonce n'a pas été faite comme vous l'entendez, c'est-à-dire par un bulletin d'alerte à proprement parler annonçant une forte montée des eaux de la Somme et une inondation des communes. L'affaire est un peu plus compliquée.

En effet, nous recevons des bulletins d'alerte lorsque Météo France envoie des Bulletins Régionaux d'Alerte Météorologique (BRAM) qui interviennent lorsqu'il y a un risque d'orage extrêmement violent, de pluies torrentielles, de grêle, etc. Nous recevons beaucoup de BRAM et je dirais même que nous en avons trop actuellement. Lorsque nous recevons un BRAM, la démarche est la suivante : Météo France émet un BRAM, ce BRAM est recueilli par le CIRCOSC de la zone et par ma direction. Puis, nous envoyons un message d'alerte à tous nos interlocuteurs habituels -les préfectures, les SDIS et éventuellement d'autres services de l'Etat qui peuvent être concernés- qui relaient l'information, notamment auprès des maires. Je reconnais volontiers que ce système de communication n'est pas à l'heure actuelle d'une grande efficacité. Cela fait quelques années que nous essayons de le réformer, mais ce n'est pas simple. Nous avons essayé d'introduire l'informatique dans ce système, mais cela ne fonctionne pas toujours. Comment relayer l'information auprès de tous les maires ? Il faut pour cela être capable de les joindre en permanence, or tous ne disposent pas de fax chez eux, de portables, etc. Il y a donc une vraie difficulté.

Cependant, dans le cas de la Somme, nous n'avons jamais reçu de BRAM. Je peux vous assurer que nous n'avons pas reçu de bulletin météorologique. En effet, il s'agissait d'une succession de pluies pendant de longues semaines. A mon avis, les experts montreront à la fin de leurs analyses que la montée des eaux de la Somme est due certes à des pluies, mais également à la grande saturation notamment de la nappe phréatique et au fait qu'elle n'absorbait plus cet effet cumulatif de pluie et de saturation des sols. Or aucun dispositif à l'heure actuelle n'existe pour mesurer la montée des nappes phréatiques, alors que nous disposons de systèmes d'analyse de la hauteur des nappes dirigés non pas contre la montée, mais contre la descente. En effet, le système d'alerte fonctionne en cas de sécheresse.

M. le Président - Nous avons une culture de la sécheresse et non de l'inondation !

M. Michel Sappin - Tout à fait. La saturation des nappes phréatiques n'est pas à l'heure actuelle, et à ma connaissance, mesurée. J'ignore d'ailleurs tout à fait s'il existe des systèmes de pompage de la nappe phréatique. Par ailleurs, dans cette affaire, les stations de mesure qui se trouvent sur la Somme sont tenues par la DIREN. S'il y avait eu une alerte à donner -encore une fois, j'ignore si elle a été donnée-, seule la DIREN pouvait le faire. En ce qui concerne ma direction, je n'ai jamais reçu un message de la DIREN du Nord-Pas-de-Calais pour nous annoncer une situation difficile dans ce département.

M. le Président - Cette Commission n'est pas le lieu pour une polémique. Tel n'est pas notre objectif. Nous avons cru comprendre au cours de l'audition de Météo France que des BRAM ont été émis, mais qu'ils se sont perdus entre leurs destinataires.

M. Michel Sappin - La seule affirmation que je peux vous faire suite à des vérifications que j'ai entreprises à la lecture de vos questions est la suivante : nous avons à la direction de la défense et de la sécurité civiles où nous recevons des BRAM en permanence, reçu des BRAM au sujet de pluies dans le Nord-Pas-de-Calais. Toutefois, ces BRAM étaient très vastes et concernaient tout un bassin, toute une région. Nous en avions d'ailleurs en même temps sur la région parisienne et cela a duré pendant très longtemps. Il n'y a jamais eu de message d'alerte spécifique sur la Somme ou sur une éventuelle crue.

M. François Gerbaud - S'il avait existé un CIRCOSC, la situation aurait-elle été différente ? Par ailleurs, vous avez dit que le plan ORSEC n'a pas été déclenché parce que les vies humaines n'étaient pas en danger. Ne pourrait-on donc pas envisager dès maintenant, dans les conclusions de la Commission, que le plan ORSEC puisse être déclenché même dans des situations ne mettant pas en péril la vie des citoyens ? En effet, il aurait été coordinateur et aurait peut-être pu éviter cette absence d'information dont vous semblez souffrir. Quand on sait que l'on a constaté dans l'Yonne quatre crues exceptionnelles en un mois, il est clair que certaines situations ne peuvent être résolues que grâce à un plan ORSEC mobilisé par le préfet. Ainsi, doit-on changer l'ambition du plan ORSEC ?

M. Michel Sappin - Loin de moi l'idée de dire que notre système de fonctionnement est parfait. A l'inverse, nous avons émis des propositions sérieuses de modification du système. Nous avons très souvent ce débat, notamment avec les élus, sur l'existence, l'efficacité et l'utilité du plan ORSEC. Lors des tempêtes de l'année dernière, sur 60 départements touchés dont 25 dans des conditions très graves, il y a eu 7 déclenchements de plan ORSEC. Il s'agit d'une décision propre du préfet qui peut déclencher un plan ORSEC alors que le département voisin n'en a pas déclenché. Pour autant, l'organisation des secours n'a pas été différente d'un département à l'autre. Le plan ORSEC est en fait un mot un peu magique derrière lequel souvent sont également à prendre en considération les conséquences en termes d'indemnisation. Le plan ORSEC, en lui-même, est déclenché en présence d'une catastrophe inopinée pour laquelle on a besoin de mobiliser rapidement tous les moyens des services de l'Etat, des services civils, privés, etc. Lorsque l'on dégage le plan ORSEC, cela a une conséquence financière évidente : en effet, l'Etat prend en charge le coût de la réquisition, ce qui n'est pas le cas sans plan ORSEC.

Dans le cas de la Somme, il y avait certes des évacuations de population à effectuer, sans qu'il n'y ait eu de danger de mort pour la population. Je rappelle qu'il n'y a eu aucun blessé dans cette affaire, ni parmi la population, ni parmi les sauveteurs, ce qui prouve bien qu'il n'y avait pas de risques. Le préfet de la Somme n'a jamais manqué de moyens et a même eu accès à des moyens très importants, fournis aussi bien par des services du département (sapeurs-pompiers, gendarmes, etc), par l'armée qui est venue très vite et par les UIISC. Il n'a donc pas eu besoin de recourir à des moyens privés. Ainsi, la décision de déclenchement d'un plan ORSEC qui n'appartient qu'au préfet n'a pas été prise. Je rappelle que, dans le cas de la tempête, des décisions opposées en matière de déclenchement du plan ORSEC ont été prises dans deux départements voisins touchés de la même manière, sans que ni l'administration centrale, ni le cabinet du ministre n'intervienne. Il s'agit d'une règle au ministère de l'Intérieur. Je n'ai jamais vu en bien des années de carrière maintenant le ministre téléphoner à un préfet pour lui demander de déclencher un plan ORSEC.

Ainsi, pour répondre très précisément à votre question, je pense que la coordination et la mobilisation des moyens dans l'urgence se sont très bien passées. Les évacuations ont été menées, à mon avis, à la satisfaction générale de la population. Selon moi, le plan ORSEC n'aurait donc rien amené de plus.

M. Jacques Oudin - J'ai fait partie de la commission d'information sur l'Erika et je retrouve certaines analogies entre toutes ces commissions qui s'occupent de catastrophes un peu exceptionnelles, bien que le propre d'une catastrophe soit d'être exceptionnelle ! En France, nous avons souvent l'habitude d'avoir des impréparations assez notoires dans certains cas. Dans le plan Polmar tel qu'il a été mis en oeuvre dans le cas de l'Erika, des plans n'avaient pas été réactualisés depuis 20 ans dans certains départements. Je ne sais si dans la Somme les plans étaient parfaitement à jour, toutefois, dans un plan réactualisé, comme celui de mon département, nous disposons de tous les numéros de portables des maires. La règle de base me semble donc d'avoir des plans à jour dans tous les départements.

Par ailleurs, vous dites que le préfet n'a manqué de rien. Pour mettre en oeuvre le plan Polmar, nous avons été obligés de demander aux Hollandais de nous envoyer des plateaux, aux Allemands et aux Anglais des avions. Lors des inondations de la Somme, les pompes venaient de Hollande. Nous n'avons donc jamais le matériel qu'il faut sur le territoire national, du moins pas le gros matériel. Par exemple, je vous entends dire que nous disposons d'un système d'observation des nappes à la baisse, mais pas à la hausse. Pour ma part, j'ai mis au point dans une petite région localisée un système d'observation des nappes très pratique qui mesure les variations dans les deux sens. Cela me paraît indispensable. Cela nécessite bien sûr d'investir et de disposer des moyens nécessaires. Il est évident que lorsqu'une administration demande en préventif des moyens, le ministère des Finances refuse. Se pose ensuite le problème des responsabilités, comme nous l'avons bien vu pour l'Erika. Je vous pose donc la question suivante : avez-vous fait des demandes en termes de moyens qui vous ont été refusées faute de dotation budgétaire ?

Par ailleurs, nous avons eu un débat dans l'hémicycle suite de la catastrophe de l'Aude. J'avais dit à l'époque que si nous avions investi dans la prévention, nous aurions peut-être pu éviter certains accidents ; on m'a répondu qu'on ne peut pas investir contre la nature. C'est faux. Il n'y a pas eu de crue à Paris depuis 1910 parce que nous avons investi des milliards de francs en amont pour prévenir une inondation dans Paris. On peut donc investir pour prévenir les catastrophes. J'ai le souvenir de la visite du président Mitterrand en Picardie. Il avait alors trouvé scandaleux que l'administration n'ait pas investi dans le renforcement de cette dune qui avait alors lâché.

J'ai reçu la visite du Premier ministre en décembre 1999 dans mon île. Suite à la catastrophe, il nous a promis des crédits exceptionnels. Cependant, ces crédits exceptionnels nécessitaient des études exceptionnelles qui ont duré tellement longtemps que les crédits sont arrivés avec un retard tout à fait conséquent.

Nous avons eu également l'exemple de la Camargue en matière d'inondations qui n'ont pendant longtemps pas été prises en considération en termes de prévention. Bien sûr, il s'agissait de propriétés privées, mais chez nous aussi la situation était similaire. Nous avons donc racheté les propriétés privées pour en faire des propriétés collectives. Nous connaissons donc les zones à risque ; de même, nous savons faire des plans de prévention ; nous savons également évaluer les investissements préventifs. Alors, si à chaque catastrophe, nous avons besoin d'effectuer une commission d'enquête, il ne s'agit plus d'une gestion de risque. Si nous nous décidons enfin à dresser une fois pour toutes des plans des zones à risque, nous devons le faire correctement et évaluer les risques et les nouveaux investissements nécessaires. Ainsi, le problème sera définitivement réglé, sauf bien sûr en cas de chute inopinée de météorite ! Toutefois, au moins pour les événements courants, comme les inondations, le problème sera résolu.

Nous avons envoyé une mission en Hollande. En Hollande, dans les zones agricoles, le coefficient de sécurité est de 4 000 ans ! Dans les zones habitées, le coefficient de sécurité s'élève à 10 000 ans. Ils se sont donc donné les moyens de prévenir les catastrophes. Ainsi, à chaque catastrophe maritime, nous faisons appel aux Hollandais. Je trouve cette situation un peu décevante pour la France.

M. le Président - Pour ma part, je constate qu'il y a eu une coïncidence de dates : c'est vraiment au moment où l'armée, avec d'autres moyens, prend les affaires en main que la décrue s'amorce. Cela veut-il dire en clair que la protection civile n'avait pas les moyens d'agir ? A quel moment fait-on appel à l'armée ? Quel est le critère qui déclenche l'appel aux moyens militaires qui dorment dans toutes nos casernes ? Pourquoi n'a-t-on fait appel à ces moyens que le 48ème jour de la crue et pas avant ?

M. le Rapporteur - En 1988, quand le président de la République est venu, il a dit qu'il était inadmissible que rien n'ait été fait. Aujourd'hui, en 2001, on constate que rien n'a encore été fait. Environ 100 millions de francs étaient prévus, mais l'on a d'abord discuté pour savoir de qui relevait la compétence. Parce qu'aucune réponse précise n'a été apportée, on attend toujours pour statuer et pour agir. Nous en sommes là et le département doit faire face à cette situation en transportant des galets, que l'on amène chaque automne pour les retirer ensuite. Cette opération coûte plusieurs millions de francs par an, or il ne s'agit pas d'une solution satisfaisante.

M. Jacques Oudin - Rappelez-vous qu'après la catastrophe de la Picardie, en 1988, on a pris les crédits d'urgence dans mon département pour les envoyer chez vous. J'en étais ravi pour vous, mais moins pour moi. Ainsi, au lieu de créer de nouveaux crédits, on les prend chez les uns pour les redistribuer chez les autres.

M. le Président -Nous n'avons pas non plus utilisé ces crédits chez nous ! Ils se sont donc perdus !

M. Michel Sappin - Tout d'abord, je ne suis pas d'accord avec votre critique sur notre appel à la Hollande ou à d'autres pays voisins. Nous sommes de plus en plus intégrés concrètement au niveau européen. Nous avons, dans la sécurité civile française, une habitude très forte de coopération avec tous nos voisins. Nous coopérons périodiquement aussi bien avec les Espagnols et les Italiens sur les feux de forêts, avec les Allemands sur un certain nombre de risques techniques ou encore avec les Anglais sur le nucléaire et les risques bactériologiques. Nous avons des échanges permanents. Ce n'est donc pas plus compliqué pour nous de faire venir des engins à haute puissance de la Hollande que de les faire venir du Nord de la France vers le Sud, ou vice-versa. Les délais d'attente sont les mêmes. Nous travaillons beaucoup avec mes collègues européens sur la base d'une complémentarité de nos moyens. Chaque pays ne peut pas disposer de moyens spécialisés dans tous les risques. Ainsi, au moment de la tempête de l'année dernière, nos voisins européens nous sont venus massivement en aide et nous allons chez eux de la même façon. La sécurité civile française passe d'ailleurs dans le monde entier pour être la sécurité civile la plus performante. Elle bénéficie d'une image très positive et nous entraînons avec nous les autres pays du territoire européen. Ainsi, le fait d'avoir travaillé avec des engins issus des Pays-Bas est pour moi un point très positif.

Chaque pays a développé au fil des années des moyens appropriés pour répondre aux risques les plus fréquents chez lui. Ainsi, la sécurité civile française a une dominante depuis quelques années : les feux de forêts. Nous avons beaucoup investi dans ce risque. Mon budget s'élève à 1,6 milliard de francs ; il est en augmentation de 10 % par an environ depuis trois ou quatre ans. Or à l'intérieur de ce budget, la part consacrée aux feux de forêts pèse énormément. Le résultat est que là où nous brûlions 50 à 60.000 hectares en moyenne par an, il y a encore dix ans, nous n'en brûlons plus que 17 à 18.000. Nous avons donc diminué par deux ou trois environ le nombre de surfaces brûlées, ce qui nous a demandé un important investissement. Il est vrai que les Hollandais ou d'autres pays du Nord, ont pour leur part investi sur le risque inondation parce qu'il correspond au risque dominant chez eux. Il n'y a pas de feux de forêts en Europe du Nord, sauf dans l'Europe septentrionale. Pour notre part, nous aurions peut-être dû investir dans tous les risques, mais cela posait un problème évident de budget.

Concernant la Somme, l'affaire est complexe. En effet, ce département s'est doté en avril 2000 du fameux Schéma Départemental d'Analyse et de Couverture des Risques, le SDACR. Pour l'élaborer, nous avons pris en compte dans les archives de la sécurité civile, des pompiers, de la préfecture, etc. tous les événements survenus dans le département depuis 50 ans. Nous avons découvert que les interventions sur des accidents liés à l'environnement, au cours des 50 dernières années, représentaient en volume 7 % des interventions de secours. Les risques liés à l'eau et aux inondations représentaient exactement 3 % en volume des activités de secours ou d'intervention dans le département de la Somme. Dans le SDACR, on a donc consacré un nombre de tâches extrêmement limitées à ce risque. Le préfet, ses équipes, les services de l'Etat et les collectivités locales n'ont pas élaboré de plan spécifique d'intervention pour les inondations. Nous n'avons pas cru que les inondations dans la Somme pouvaient avoir une telle gravité, malgré le cas de figure déjà survenu dans les années 1994-1995.

Ainsi, le SDIS de la Somme s'est tout de même doté de matériel (motopompes, embarcations légères). Ses moyens ont été satisfaisants. Les pompiers de la Somme par exemple disposaient de 1.000 paires de bottes hautes, soit environ une paire par pompier. Il y avait donc le matériel nécessaire pour lutter contre une inondation classique.

Enfin, je souhaite répondre à vos remarques sur le rôle de l'armée. Nous avons connu dans les dernières années, en raison de la fin de la conscription, une révolution en matière de sécurité civile. Jusqu'aux années 1999-2000, quand le préfet avait une difficulté, il faisait immédiatement appel aux régiments de la caserne de son département. Petit à petit, la situation a considérablement changé, à tel point qu'aujourd'hui, seul un tiers des départements dispose encore d'une implantation militaire et dans ce tiers des départements, il n'y a pas de grands moyens. L'armée fait donc ce qu'elle peut. Au moment de la grande tempête du début de l'année 2000, l'armée a sorti des casernes 10.000 hommes, ce qui était le maximum qu'elle pouvait atteindre. De l'autre côté, les sapeurs-pompiers représentent 220.000 acteurs de la sécurité civile. Si, à ce total, j'ajoute les associations, comme la Croix rouge, nous arrivons à un total qui est sans commune mesure avec ce que les militaires peuvent mettre sur le terrain.

Ainsi, en présence d'un événement de sécurité civile, les préfets savent parfaitement que l'armée peut intervenir mais qu'ils ne peuvent pas compter uniquement sur elle pour des opérations de grande envergure. Par ailleurs, se pose également un problème de coût. En effet, suite à chaque intervention de l'armée dans des affaires de défense et de sécurité civiles, le ministère de la Défense envoie la facture au ministère de l'Intérieur. Il faut donc relativiser le rôle des militaires dans ces affaires. Les acteurs essentiels sont les acteurs de la sécurité civile et notamment les sapeurs-pompiers.

En raison de la présence encore dense de l'armée dans le Nord de la France, le préfet de la Somme a fait immédiatement appel à elle. Dès qu'il a fallu agir dans l'urgence, les militaires sont venus. Puis, en aval, sont venus en renfort tous les autres intervenants (sapeurs-pompiers, UIISC, etc.). Fallait-il mettre en place l'armée bien avant afin de commencer à construire des digues ou des barrages par exemple ? Je n'ai pas les éléments d'information nécessaires pour répondre à cette question. Par ailleurs, y avait-il une prise de conscience sur l'ampleur du risque ? En effet, pour faire appel à des moyens militaires originaires d'autres départements, il faut être sûr que le risque est réel. Au moment où le préfet a pris sa décision, il n'y avait même pas de prévisions crédibles sur une telle montée des eaux.

M. Jean-Guy Branger - Lors de la tempête de décembre 1999, tous les moyens civils sont venus. Leur travail fut remarquable. Cependant, pour les travaux de grande ampleur, je constate que les déploiements des moyens civils, quels qu'ils soient, en qualité et en valeur des hommes ont été bien en deçà de ce qu'ont fait les militaires : il s'agit du Génie. Or, nous n'avons pas de Génie en Charente-Maritime. Nous avons eu affaire à de grands professionnels avec des moyens énormes que nous n'avions pas dans le civil. Leur compétence, leur stratégie, leur rapidité d'exécution étaient à faire pâlir les forces civiles. Il s'agit simplement d'un constat et non d'une critique.

M. Michel Sappin - Vous avez raison. Le Génie dispose de moyens, de stratégie, de matériels et de tactiques très efficaces. Malheureusement, ils ne sont pas assez nombreux pour intervenir partout. Au moment des tempêtes, vous avez eu la « chance » de pouvoir disposer du Génie en Charente-Maritime, mais tous les départements n'ont pas bénéficié de cette même efficacité.

Au sujet de la coopération entre les civils et les militaires, je souhaite préciser que mon service d'Asnières et le Centre opérationnel des armées sont quotidiennement en concertation en période de crise. Nous savons parfaitement ce que les uns et les autres peuvent entreprendre. Quand nous décidons de répondre à la demande d'un préfet, nous nous mettons d'accord avec le ministère de la Défense pour savoir si nous envoyons des colonnes de renfort d'unités ou des militaires du Génie. Cette concertation fonctionne remarquablement bien.

M. le Président - Mon sentiment est tout de même que l'armée dispose de procédures, de qualification, de personnels et de moyens que ne possèdent pas, à disponibilité égale, nos administrations civiles. Tel est mon constat sur le terrain. On pourrait croire a priori que les compétences sont égales, et pourtant ce n'est que lorsque l'armée a pris les affaires en main que la situation a évolué.

M. Michel Sappin - Je me permets de préciser que, parmi les personnes que vous croyez appartenir à l'armée, se trouvent des personnels de la sécurité civile. Ils portent les mêmes uniformes. 1.600 militaires sont à la disposition du ministre de l'Intérieur. Ils appartiennent au Génie et leur encadrement est originaire du Génie. Simplement, ils portent sur l'épaule l'inscription « Sécurité civile ». Ils dépendent donc du ministère de l'Intérieur, sont payés et équipés par lui.

M. Paul Girod - L'armée, et notamment les militaires du Génie, est préparée et organisée pour intervenir dans des situations exceptionnelles. On ne peut pas partir de l'idée que le civil est organisé de la même façon. Il y a forcément une différence d'échelle, de moyens et d'organisation.

M. le Rapporteur - Nous sommes maintenant dans la phase d'indemnisation. Des aides ont été promises. Des aides et des secours ont déjà été d'ores et déjà distribués. Est-ce que les sinistrés vont être traités d'une façon égalitaire ? En effet, cette question se pose. Sur quelle réglementation va-t-on s'appuyer pour qu'il en soit ainsi ? J'ai eu quelques échos qui me font penser que la cellule de crise mise en place a distribué des secours par chèques, mais uniquement aux personnes les plus démunies. Or ce ne sont pas les ressources des habitants qui ont décidé de leur sinistre. Certes, certains citoyens ont plus de ressources que d'autres, mais leur sinistre est également plus important. Quelles mesures seront prises pour éviter cette zizanie qui commence à apparaître dès l'arrivée des premières aides ?

M. Michel Sappin - Je ne voudrais vraiment pas avoir l'air de me défausser de votre question sur d'autres, mais je suis très sincèrement dans l'incapacité de vous répondre dans la mesure où la direction de la défense et de la sécurité civile, dans cette affaire, n'intervient que sur deux plans : nous distribuons les secours d'urgence auprès des préfets (en l'occurrence 2,2 millions de francs dans la Somme depuis le 9 avril 2001) ; par ailleurs, la Commission Catastrophe Naturelle dont ma direction assure le secrétariat a très vite fait son travail dans le cadre de la Somme et nous avons pu dans de bonnes conditions faire les déclarations que souhaitaient les élus et le préfet. En dehors de ces deux missions, la distribution des secours et ses modalités est à la charge du préfet sur la base des tarifications données par les différents ministères, pourvoyeurs de crédits. En effet, il n'y a pas que la direction générale des collectivités locales qui donne des crédits ; sont également concernés le ministère de l'Economie, le ministère du Commerce, etc. Le préfet reçoit donc cet argent et le distribue.

Dans le cadre de la Somme, nous avons mis en place cette cellule présidée par le sous-préfet Moracchini. Il s'agit là d'une décision exceptionnelle. Le fait d'avoir mis en place cette cellule est selon moi une preuve de la volonté du Gouvernement de faire des problèmes d'indemnisation, un point fort dans le traitement de la crise en Somme.

M. le Président - Je vous remercie de la manière dont vous avez pu répondre à nos questions avec une franchise et une non-réserve que nous avons appréciées. Nous comptons encore sur vous pour la suite de ce rapport.

10. Audition d'une délégation de l'Assemblée des Chambres françaises de Commerce et d'Industrie (ACFCI) et de MM. Bernard Martel, président de la Chambre de Commerce et d'Industrie d'Abbeville et Alain Longatte, directeur du service industrie (6 juin 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons maintenant une délégation à l'échelon national des Chambres de Commerce et d'Industrie : M. Bernard Martel, président de la Chambre de Commerce et d'Industrie d'Abbeville et M. Alain Longatte, directeur du service industrie, accompagnés de M. Pierre-Olivier Viac, responsable du service Environnement et Patrice Arnoux, juriste au service Environnement de l'Assemblée française des chambres de commerce et d'industrie.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Bernard Martel, Alain Longatte, Pierre-Olivier Viac et Patrice Arnoux .

M. le Président - Nous souhaitons que vous nous parliez des répercussions des inondations sur l'activité économique et la vie des entreprises de la région. Vous pouvez bien sûr nous donner également vos appréciations sur la répartition des indemnisations, après avoir présenté les personnes de vos services.

M. Bernard Martel - M. Longatte est le directeur du service Industrie de la Chambre de commerce et d'industrie d'Abbeville qui a tout de suite pris en main les difficultés des entreprises sinistrées.

M. Pierre-Olivier Viac - Je suis pour ma part responsable du service Environnement de l'Assemblée française des Chambres de commerce et d'industrie. Nous animons des réseaux de conseillers en environnement et de conseillers en qualité dans les 182 Chambres de commerce et d'industrie.

M. Patrice Arnoux - Je suis juriste, spécialisé en environnement au sein de l'Assemblée française des Chambres de commerce et d'industrie.

M. Bernard Martel - Je vais vous parler essentiellement d'Abbeville car il s'agit du secteur qui me concerne, mais il faut savoir que les difficultés sont les mêmes à Amiens et à Péronne. Nous avons vécu au mois d'avril les crues surprises de la Somme avec toutes les conséquences que vous connaissez. Notre souci principal a concerné les entreprises, leur survie et leur redémarrage. Dans un premier temps, nous avons eu comme priorité de reloger les entreprises qui ne pouvaient plus fonctionner. Nous avons par exemple hébergé une entreprise dans la Chambre de commerce. Il nous fallait aider les entreprises à continuer à fonctionner. Puis, nous avons mis en place une structure pour répertorier toutes les entreprises qui avaient besoin d'aide. Nous avons reçu des délégations et nous disposons maintenant d'une liste qui regroupe toutes les entreprises en difficulté, de la plus grosse, la COMAP avec ses 250 salariés, à l'entreprise individuelle sans salarié.

Ainsi, certaines entreprises ont directement les pieds dans l'eau et ne peuvent plus fonctionner. D'autres sont pénalisées car on ne peut plus accéder à leur site en raison des routes inondées. Par ailleurs, nous avons eu une quantité d'annulations dans le secteur touristique, notamment dans le parc du Marquenterre. La publicité faite à cette région par la presse a provoqué une perte de notoriété. On peut remercier les médias d'avoir sensibilisé l'opinion sur nos difficultés, mais on connaît les effets pervers que cela peut impliquer.

De nombreuses aides ont été mises en place par tous les organismes existants : URSSAF, EDF etc. La Chambre de commerce a lancé l'idée de la création d'une association afin de faire jouer la solidarité. Cette association a été élargie à l'ensemble du département de la Somme.

Actuellement, la vie reprend son cours. Il n'y a quasiment plus d'eau et nous commençons à évaluer les dégâts.

M. Alain Longatte - Dès les premiers jours d'avril, la CCI s'est jointe à la mairie d'Abbeville pour trouver des solutions. Nous avons recensé toutes les entreprises en difficulté et identifier leurs besoins. L'entreprise industrielle COMAP, dont les 800 m² de site se trouvaient dans l'eau, recherchait des ateliers pour effectuer du montage en urgence afin de satisfaire ses commandes. Nous avons donc trouvé des locaux disponibles et l'entreprise a pu transférer son activité de montage. Nous avons donc fait le lien entre toutes les entreprises. Pour l'entreprise Monsieur Bricolage, nous avons également trouvé des locaux de stockage.

Nous vous avons préparé un petit dossier qui recense toutes les entreprises soit touchées directement par l'eau, soit touchées d'une manière économique, sans être touchées physiquement telles que les sous-traitants d'entreprises en difficulté et d'entreprises dont l'accès était bloqué par les eaux.

Ces dernières vont se trouver particulièrement en difficulté car elles ne sont pas du tout couvertes par les assurances, contrairement à la première catégorie d'entreprises qui, généralement, étaient assurées sur leurs biens -pas toujours sur la terre d'exploitation. Or, pour certaines entreprises indirectement touchées par les inondations, la baisse de leur chiffre d'affaires a été significative. Des aides sont donc prévues.

M. Bernard Martel - Il existe pour les entreprises du commerce les aides du Fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce (FISAC) ; de même, pour l'artisanat, il existe un fond de calamités ; cependant, nous souhaiterions qu'une décision soit prise pour pouvoir affecter les fonds FISAC qui normalement ne le sont que dans le cadre d'un arrêté ministériel. Or aujourd'hui, rien n'a encore été décidé. Suite à ma rencontre avec Mme la Ministre du Tourisme, nous avons évoqué un plan de soutien au tourisme, mais nous espérons avoir également votre soutien dans le cadre des fonds FISAC.

M. Alain Longatte - Abbeville connaît un taux de chômage de l'ordre de 20 %, ce qui est considérable par rapport à la moyenne nationale. Notre grande inquiétude porte sur la société COMAP qui emploie 200 salariés et 50 intérimaires et qui appartient au groupe français Legris Industries. Ce groupe, compte tenu des risques sur le site d'Abbeville et des problèmes qu'il rencontre avec l'assurance, ne souhaite plus rester sur son site actuel. Il envisage donc de déménager. Nous espérons que ce déménagement pourra se faire sur Abbeville, mais le groupe a également des sites en Italie et nous devons donc rester attentifs. La principale difficulté vient du fait que la réglementation européenne pour les aides est limitée à 17 %, ce qui est jugé largement insuffisant par le groupe Legris.

Nous devons donc trouver des suppléments pour augmenter ces 17 % d'aides. Une des astuces serait de racheter le bâtiment actuel de l'entreprise à un prix élevé. En parallèle, la préfecture a écrit à la Commission de Bruxelles pour demander une mesure dérogatoire car rien n'est prévu pour les groupes. Le risque est donc grand pour l'emploi à Abbeville car nous connaissons la philosophie des groupes fondée avant tout sur les intérêts financiers. Le groupe Legris industries représente un chiffre d'affaires annuel de 4,7 milliards de francs avec une branche de fluides domestiques, une branche de fluides industriels et une branche logistique. Son siège se trouve à Rennes.

Tel est le message important que nous voulions vous communiquer aujourd'hui.

M. Bernard Martel - On m'a transmis les documents de M. Gaigan, ainsi que la lettre de l'ancien sous-préfet d'Abbeville, M. Emile Mocque, qui s'adressait, le 12 janvier 1994, à M. le Maire de Mareuil-Caubert pour le mettre en garde sur le mauvais entretien des marais :

« Du côté des marais et des étangs, même si les pluies cessent, le niveau d'eau monte quand même. Cela est marquant dans les habitations proches des étangs. L'eau a monté depuis le début des précipitations de près de 50 centimètres. J'ai envoyé un courrier aux services compétents signalant l'urgence de consolider la buse de la rivière du Doit en haut du passage à niveau d'Abbeville. En effet, toutes les eaux s'écoulant autour d'Abbeville passent par cette buse d'1,50 mètre de diamètre. Cela freine le débit et en cas de grande marée, l'eau monte facilement de 20 centimètres en une journée. L'agrandissement de cette buse est urgent. »

De même, M. Jean Caron avait annoncé cette catastrophe. Pour sa part, M. Gaigan exploitait une entreprise sur une zone qui est maintenant totalement inondée. On avait d'ailleurs déjà renoncé à vendre ce terrain à Intermarché. En fait, ces terrains se vendent plus au litre qu'au m². Vous trouverez tous ces éléments dans le dossier que nous laissons à votre disposition.

M. le Président - Nous sommes ici pour faire un état des lieux le plus objectif possible. Nous regardons avec beaucoup d'intérêt tous les documents qui peuvent nous être fournis.

M. Bernard Martel - Je peux parler de ma région en connaissance de cause, puisque j'habite à Abbeville depuis environ 32 ans. Or, je suis également pâtissier chocolatier et je vois la différence entre Abbeville et les villes non inondées. Il y a une trentaine d'années, les bateaux allaient jusqu'à Abbeville. Tout ce trafic a été abandonné aujourd'hui en raison de l'ensablement de la baie de Somme et des problèmes liés à l'entretien du canal de la Somme. Sans doute, les moyens de transport ont également évolué.

Nous sommes tout de même dans une région qui a toujours été très humide.

M. le Président - On parle toujours en effet de la Picardie Maritime.

M. Michel Souplet - Vous venez d'évoquer le rapport de Jean Caron. J'aimerais connaître votre point de vue sur son analyse qui est la suivante : la Somme a un débit normal de 35 à 70 m 3 /seconde. Tant qu'il y a de l'eau à ce niveau, la montée des eaux ne pose pas de problème. Quand on est en période de grande marée, l'écluse se ferme et pendant ce temps-là plus rien ne coule. Selon Jean Caron, il y a d'un côté une étendue, dénommée les Mollières, où l'on pourrait stocker 500 000 m 3 d'eau. Ainsi, au moment de la marée, ou lorsque le débit est supérieur à 70 m 3 , il faudrait pouvoir stocker de l'eau grâce à un autre système de pompe, comme une vanne par exemple, de la Somme directement dans les Mollières et, une fois la marée basse revenue, on la ferait disparaître. Il n'y aurait donc jamais d'arrêt : il s'agit d'un bassin de rétention qui se viderait régulièrement tous les jours. Pensez-vous que ce système est valable, même si son aménagement coûterait certainement cher ?

M. Pierre Martin, Rapporteur - Je crois que notre collègue parle en fait du Monel : il s'agit d'un espace marécageux utilisé pour faire paître les moutons. Il y a une digue qui sépare ce marais de la mer. Or cette digue a été crevée par la mer. Cela supposerait donc qu'il y ait une écluse. Je ne sais si le réservoir serait assez grand, mais pour y arriver, il suffirait de construire un canal latéral à la Somme qui conduirait vers ce marais ou d'installer des pompes. Cependant, les ingénieurs affirment dans leurs études que cela n'aurait pas d'effet.

M. Michel Souplet - Si pendant quatre heures la Somme n'écoule pas d'eau parce que les écluses sont fermées, mais si, dans le même laps de temps, on stocke de l'eau pour qu'elle coule au moment des marées basses, cela permet de créer un bassin permanent. Je ne suis pas un technicien, mais Jean Caron avait l'air de dire qu'il s'agirait d'un moyen qui aurait évité la situation dramatique de cette année. Il serait donc intéressant de savoir quelle proposition nous devons faire à terme pour ne plus se retrouver devant un tel cubage d'eau à évacuer rapidement.

M. Bernard Martel - L'idée mérite d'être étudiée. Jean Caron avait également fait des propositions à la ville d'Abbeville qui sont aujourd'hui mises en application : ainsi, nous installons un système de déversoir avec un bassin de rétention. A force de persévérance, les travaux ont fini par débuter.

M. le Rapporteur - Il y a un réel problème. J'en discutais ce matin encore avec des personnes du secteur. L'armée constate que l'on a construit, il y a plusieurs siècles, dans le lit majeur de la Somme. Mais quelle proposition fait l'armée ? Faut-il démolir ces constructions ? Ces réflexions sont peut-être utiles a priori, mais quelle est la solution proposée ? En effet, chacun y va de sa réflexion, de son constat or l'essentiel est plutôt de proposer des solutions !

A Fontaine-sur-Somme, grâce au pompage, il n'y a plus d'eau. Les gens rentrent donc chez eux. Or personne ne prend de décisions sur ces habitations alors que l'on avait prévu de statuer avant le retour des habitants dans cette zone. Il est vrai que les habitants ont le droit de rentrer chez eux puisqu'il s'agit de leur propriété. Il faut donc savoir ce que nous voulons. On est en train de tout mélanger et l'on ne s'y retrouve plus. En fait, seules les indemnisations préoccupent aujourd'hui les personnes concernées.

M. Ambroise Dupont - Qui fait les estimations des dégâts ? Par ailleurs, à la lumière de ces événements, que pense la CCI de la gestion des zones industrielles en place ou à venir ?

M. Jean-Guy Branger - Il nous est facile de croire que les difficultés des entreprises sont grandes et graves. Vous avez parlé d'aides. De quelles aides parlez-vous ? Vous avez raison de faire passer le message sur la gravité de la situation. Il faut faire céder la Commission de Bruxelles sur ces 17 %. Compte tenu de la gravité des dégâts, cela doit être possible selon moi. Cependant, s'il y a une concurrence avec l'Italie ou d'autres pays, il serait bon d'envisager dès à présent des montages financiers avec d'autres collectivités territoriales ou régions. A mon avis, ce défi est jouable.

Mais vous avez parlé des aides, tout en restant très vague. Certaines entreprises ne travaillent plus depuis deux mois. Elles ne sont pas reparties. Quand vont-elles repartir et avec quel plan de charge ? De quelle nature sont les aides dont vous parlez ? En effet, s'il s'agit de reports d'échéances, cela revient simplement à différer les paiements. Où en êtes-vous dans les négociations ? Ces aides seront-elles suffisamment substantielles pour sauver les entreprises qui sont tout de même la richesse du pays ?

M. François Gerbaud - Votre audition appelle une question récurrente. Vous avez dit que, sans doute les moyens de transport ont évolué et qu'il y a trente ans, on pouvait venir en bateau à Abbeville.

M. le Président - J'ai connu des caboteurs de 700 tonnes partant d'Abbeville pour se rendre sur la Tamise. Je suis âgé, mais tout de même !

M. François Gerbaud - A-t-on bien entretenu le fonds des rivières ? En effet, le grand problème est apparemment là. Par ailleurs, notre Commission devra réfléchir, dans le cadre de l'application de la loi Barnier : est-ce que les constructions doivent être édifiées sur le haut ou sur le bas des rivières ? Si les rivières remontent, il est clair que l'on peut avoir des accidents sur les terrains en aval. Va-t-on enfin donner une définition des règles à respecter en matière de permis de construire sur les berges ?

M. Bernard Martel - Chaque entreprise reçoit une aide selon le secteur dont elle dépend. La COMAP a été évoquée, mais nous avons également beaucoup de petits artisans.

M. Alain Longatte - Les experts d'assurances pratiquent les estimations. Si les entreprises contestent ces estimations, elles ont la possibilité de faire appel à des experts particuliers. Le Conseil général a mis en place des rendez-vous préprogrammés avec des experts privés pour estimer les dégâts.

M. Jean-Guy Branger - Avez-vous une réflexion sur la gestion des zones artisanales et commerciales qui se trouvent dans une situation critique ?

M. Bernard Martel - Nous n'avons pas de zones industrielles ou artisanales. La COMAP est très ancienne, il s'agit donc d'une entreprise intégrée dans la ville, entre la voie de chemin de fer et le canal. Les futures zones sont totalement à l'abri de ce genre de soucis.

M. Hilaire Flandre - Notre Commission d'enquête a pour mission de comprendre les causes de ces inondations, mais surtout de déterminer ce qu'il faudrait faire pour éviter qu'elles se renouvellent. Il me semble pour l'instant exclu que l'on élimine les zones inondées, parce que ces inondations m'apparaissent comme un accident dû notamment à un certain nombre de manquements à l'obligation d'entretien de la Somme ou des canaux parallèles. Dans mon département, suite à l'inondation de 1995, nous avons construit une digue pour protéger l'usine Citroën qui emploie 2.500 salariés. Il existe donc des moyens techniques qui empêchent les inondations. A Fontaine-sur-Somme, il suffit de pomper, d'assécher et de maintenir le sol à sec.

Par ailleurs, je ne suis pas sûr qu'il faille toujours céder au chantage d'une entreprise qui menace de partir ailleurs si elle ne reçoit pas plus d'aides que les 17 % prévus par Bruxelles. Il est normal qu'un chef d'entreprise tente de faire monter les enchères.

M. Bernard Martel - Je rejoins votre analyse sur le côté exceptionnel de ces inondations.

M. le Rapporteur - Une association a publié au début du mois de janvier une liste des inondations qui ont eu lieu dans la région depuis des siècles. Certaines ont même provoqué des morts. Cependant, il s'agissait toujours d'inondations dues au gel : en effet, la pluie tombait alors que la glace était encore là. Ce ruissellement emportait tout sur son passage dans ces basses vallées. Cela ne durait que quelques jours. J'ai également découvert qu'à Fontaine-sur-Somme, le 29 janvier 1841, 70 familles ont abandonné leurs demeures submergées et dans 20 autres maisons, les habitants ne se maintenaient qu'au moyen d'échafaudages pratiqués tant dans les habitations que dans les écuries ou les étables. Toutes ces informations reprises dans les journaux de l'époque me semblent assez utiles à connaître.

M. Bernard Martel - Certaines personnes ont également fait le choix de venir habiter près de l'eau pour des raisons de qualité de vie.

M. Alain Longatte - Compte tenu de la cartographie de la région, les entreprises en difficulté sont plutôt des petits artisans. Nous avons donc dans un premier temps mis en place des petites aides d'urgence à la personne : la Chambre des Métiers dispose d'un fond de solidarité de 5.000 francs par personne. Certaines caisses de retraites ont fait de même.

Pour les entreprises totalement inondées, les assurances joueront leur rôle. La population la plus mal lotie aujourd'hui regroupe les entreprises qui n'ont pas connu des inondations directes et ne peuvent donc bénéficier des couvertures d'assurances. Nous aimerions mettre en place pour cette population des avances remboursables à taux zéro avec différé de remboursement. Ces entreprises ont avant tout des problèmes de trésorerie car elles ont très peu travaillé durant le mois d'avril.

M. le Président - Existe-t-il des entreprises qui subissent des pertes sur des biens non assurables ?

M. Bernard Martel - Est venu par exemple me rencontrer un chef d'entreprise qui avait acheté le 1 er avril un café-PMU. Il a donc pour l'instant de nombreux remboursements d'emprunts à assumer, or il n'a toujours pas eu de clientèle.

M. le Président - Quelle est l'attitude des banques en général ?

M. Alain Longatte - Certaines banques ont autorisé des reports d'échéances -notamment le Crédit agricole- ou des prêts à taux zéro.

M. Jean-Guy Branger - Ces prêts ne riment à rien puisque l'entreprise n'a de toute façon pas de recette pour rembourser.

M. Hilaire Flandre - Si trois ou quatre mois après, l'activité reprend, l'entreprise pourra rembourser. En revanche, si elle ne réussit pas à reprendre son activité, il faudra qu'elle se résolve à mettre la clé sous la porte.

M. le Président - Quelle est l'attitude des contrôleurs fiscaux ?

M. Alain Longatte - Tous les organismes de l'Etat accordent des facilités, notamment des petits reports d'échéances s'ils reçoivent une demande écrite de l'entreprise. Nous aidons les chefs d'entreprise à rédiger leur demande. L'URSSAF par exemple accorde des délais de paiement sur les cotisations patronales, mais pas sur les cotisations ouvrières.

M. le Président - Que pouvons-nous faire pour que de telles inondations ne se renouvellent pas ?

M. Bernard Martel - La CCI de l'Ouest a édité une petite plaquette avant que ne surviennent les inondations de la Somme, et pronostiquait déjà quelques aménagements nécessaires.

M. Pierre Olivier Viac - De son côté, la CCI de Paris a publié un petit fascicule de propositions sur l'environnement afin de prévenir les risques pour les entreprises.

M. Patrice Arnoux - L'idée de départ de ce projet était de recenser et de cartographier toutes les entreprises situées en zone inondable et d'élaborer des plans d'urgence, comme pour les risques technologiques. Par ailleurs, il s'agit également d'améliorer les nombreux outils existants. En effet, face au grand nombre d'intervenants, on ne sait plus à qui s'adresser. Enfin, il s'agit de développer une véritable politique de prévention en envisageant des servitudes sur les zones de rétention des crues. Une maîtrise de l'urbanisation existe déjà pour les installations à risques ; pourquoi ne pas transférer cette idée aux cours d'eau ?

M. Pierre Olivier Viac - Les conseillers environnement des CCI font aujourd'hui de la prévention auprès des entreprises installées sur des zones inondables afin de les conseiller pour le jour où elles seront inondées.

M. le Président - Avez-vous dressé un inventaire de l'ensemble des zones à risque dans toute la France ? En fait, j'ai l'impression que, au cours des décennies récentes, pour des raisons de prix du terrain, on a créé beaucoup de zones d'activité sur des terrains restés sans acheteurs parce qu'inondables.

M. Patrice Arnoux - En effet, la plupart du temps, les zones industrielles se sont installées en bordure des cours d'eau et les collectivités locales ont incité les industriels à venir construire là. Le risque est aujourd'hui maximum pour l'industriel car on l'a incité à venir s'installer, mais on peut lui demander demain de partir.

M. le Président - Avez-vous chiffré cette vulnérabilité ?

M. Patrice Arnoux - Il faudrait effectuer un recensement auprès de toutes les CCI du territoire.

M. François Gerbaud - Si nous faisions aujourd'hui un inventaire, celui-ci serait fiable car il ferait apparaître de nouveaux risques compte tenu des pluies récentes.

M. Bernard Martel - En fait, on décidait à l'époque d'installer les entreprises le long des canaux car elles étaient approvisionnées par bateau.

M. Michel Souplet - L'Oise a débordé deux fois de suite dans les années 1990. Nous avons donc construit les zones industrielles 80 centimètres plus haut afin d'avoir une certaine sécurité. Nous n'avons pas de raison d'arrêter une zone industrielle quand cela joue sur si peu. On peut sauver ces usines.

M. le Président - Je vous remercie de votre présence aujourd'hui. Vous pourrez porter témoignage à l'extérieur du travail que mène le Sénat. Vous serez bien évidemment destinataires du rapport.

11. Audition de Mme Dominique Voynet, ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement (6 juin 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous accueillons Mme Dominique Voynet, ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement. Nous voulons parler avec elle de la manière dont son ministère a vécu cette crise et quelles conséquences elle en tire. Je souhaite que vous nous fassiez un cours exposé et que vous acceptiez de répondre à quelques questions. J'accueille également vos collaborateurs.

Mme Dominique Voynet, ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement - Je vous présente M. Christophe Chassande qui suit, dans mon cabinet, les questions d'eau et d'agriculture et qui a donc été en première ligne sur la question des inondations de la Somme. Mme Marie Gramont est ma conseillère pour les questions parlementaires. Mme Christine Fanbourg rédige pour sa part un travail personnel sur les commissions d'enquête. Je lui ai donc proposé de se joindre à nous pour parfaire ses connaissances en la matière.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Christophe Chassande, Mmes Marie Gramont et Christine Fanbourg .

Mme Dominique Voynet - Je me présente devant vous bien volontiers pour contribuer au travail que vous avez engagé afin de comprendre et de tirer toutes les leçons des inondations qui ont touché le département de la Somme. Ces crues exceptionnelles ont entraîné une grande détresse pour un nombre important de nos concitoyens : 130 communes inondées, près de 3.000 habitations touchées dont plus de 700 ont dû être évacuées et plus de 1.100 personnes qui ont dû quitter leur logement. L'impact a été d'autant plus grand que personne n'avait prévu un phénomène d'une telle ampleur. Comme vous, je comprends et je partage la détresse des personnes qui ont été touchées pendant une longue période par ces événements. Ces personnes, aujourd'hui encore, ne savent pas toujours quand et dans quelles conditions elles pourront regagner leurs habitations.

L'Etat n'a pas ménagé ses efforts pour venir en aide aux sinistrés tout au long de la crise. La présence constante de personnels de l'Etat, civils et militaires, a été appréciée par les populations, et a permis d'assurer les secours d'urgence dans un premier temps, puis d'intervenir pour accélérer l'évacuation de l'eau, dans un second temps. L'Etat a rapidement dégagé des crédits de première urgence. Il s'est engagé dans le relogement provisoire des personnes qui ont dû quitter leur domicile, soit en mettant à disposition des mobil homes, soit en trouvant des solutions de relogement dans des gîtes ruraux par exemple. L'Etat a pris également l'engagement d'assurer pour les personnes évacuées la gratuité de l'ensemble de ces logements provisoires ; enfin des crédits ont été mis en place pour aider les collectivités locales à réparer les dommages subis sur les ouvrages publics non assurés.

L'Etat a donc pleinement joué son rôle dans la gestion de la crise, mais le ministère de l'Environnement n'a ni les moyens, ni les compétences pour intervenir activement dans la gestion d'une situation de crise qui incombe pour l'essentiel au ministère de l'Intérieur et à celui de la Défense. En revanche, le ministère de l'Environnement intervient dès qu'il s'agit d'expliquer pourquoi ces crues se sont produites, d'en tirer toutes les conséquences pour éviter la répétition de la catastrophe, de clarifier les compétences des uns et des autres dans le domaine de l'entretien et l'aménagement des cours d'eau. Il intervient également afin de définir les mesures nécessaires pour améliorer dans l'avenir la prévention des inondations. C'est pourquoi, j'ai lancé avec MM. Jean-Claude Gayssot et Jean Glavany, le 13 avril dernier, une mission interministérielle d'expertise sur les inondations de la Somme, conduite par un inspecteur de l'Inspection générale de l'environnement, M. Lefroux. Il m'a remis hier ses conclusions provisoires et je m'appuierai sur celles-ci dans la suite de mon développement. Je n'ai qu'un exemplaire papier de ce document, mais vous disposerez bien sûr dans les 24 heures d'une version informatique. Ce n'est encore qu'un rapport d'étape, mais il me paraît déjà apporter beaucoup d'éléments et je crois utile que vous puissiez bénéficier de ce travail.

Revenons tout d'abord sur les causes qui permettent d'expliquer l'ampleur du phénomène. Il apparaît clairement que la cause première et principale est le caractère tout à fait exceptionnel des précipitations. Ainsi, le cumul des pluies d'octobre 2000 à avril 2001 a atteint un niveau jamais égalé depuis plus d'un siècle. Ces précipitations sont en outre intervenues après une période de pluie supérieure à la normale, d'octobre 1999 à septembre 2000, qui avait déjà entraîné un niveau élevé des nappes phréatiques. Enfin, les précipitations du mois de mars ont elles aussi été exceptionnelles puisqu'il est tombé plus de trois fois la quantité normale de pluie à Abbeville.

Tout cela a rechargé de manière spectaculaire les nappes, dont certaines sont remontées de plus de quinze mètres par rapport à la situation de 1998. La Somme constitue le drain de cette nappe, le débit de la Somme étant directement lié au niveau des nappes. Ainsi, cette montée exceptionnelle, jamais constatée jusqu'alors, a entraîné les débits de la Somme. Il s'agit de phénomènes de crues très différents de ceux qu'ont pu connaître la Bretagne cet hiver ou encore l'Aude en novembre 1999.

Toutefois, la pluie n'explique pas tout. La faible pente de la rivière rend son écoulement particulièrement sensible à tout obstacle. En outre, la Somme canalisée étant légèrement surélevée par rapport au fond de vallée, toute faiblesse dans les berges ou les digues peut contribuer à aggraver les débordements et inondations. Le rapport d'expertise met essentiellement en évidence le défaut d'entretien du contre fossé, constitué par l'ancien cours naturel de la Somme, ainsi que des nombreux fossés latéraux et affluents. Ces cours d'eau qui assuraient autrefois un véritable drainage des eaux et l'évacuation des eaux excédentaires ont été progressivement abandonnés et laissés sans entretien. Ils n'ont donc pas pu jouer leur rôle dans l'évacuation des eaux de la crue de certaines zones inondées. Ce constat pose la question des compétences pour l'entretien et la gestion des différents cours d'eau concernés.

La Somme est une rivière domaniale. La compétence pour son aménagement et sa gestion, qui appartenait autrefois à l'Etat, a été transférée à la région en 1992 ; la région en a concédé la gestion au département à la même date. En revanche, les affluents et la plupart des fossés latéraux sont propriété de leurs riverains. Il s'agit de cours d'eau non domaniaux, chaque propriétaire étant chargé de l'entretien du tronçon qui lui appartient. Certains propriétaires se sont regroupés en associations syndicales, une vingtaine ont été créées. Sept syndicats intercommunaux ont également été créés pour intervenir en substitution des propriétaires défaillants. Globalement, l'ensemble de ces structures a eu une activité très limitée et l'entretien n'a pas été correctement assuré.

Je suis convaincue que seule la mise en place d'une structure publique qui prendrait en charge de manière active l'entretien de ces ouvrages permettra une amélioration de la situation. La mise en place d'un syndicat mixte à l'échelle du bassin et de plusieurs à l'échelle des sous-bassins regroupant les collectivités concernées, voire les associations syndicales existantes, serait à mon sens une bonne solution. Le préfet aura des entretiens dans ce sens avec les responsables locaux dès cette semaine. En outre, ce document d'étape va être présenté dans les meilleurs délais aux élus locaux.

Par ailleurs, le rapport remarque que les syndicats les moins actifs se trouvent dans les zones davantage concernées par les inondations. Il y a donc bien un défaut d'entretien dans certaines zones.

Ce rapport établit donc de la façon la plus nette que c'est l'eau du bassin de la Somme qui s'est écoulée dans la Somme, contrairement aux allégations fantaisistes qui ont pu être faites à un certain moment de la crise. L'ampleur de ces inondations a surpris tout le monde. Il convient désormais d'en tirer les leçons et de préparer l'avenir. Cela se fera de manière cohérente, avec l'ensemble de la politique conduite par le ministère dans le domaine de la prévention des risques.

Concernant la politique de prévention des risques du ministère, le premier axe de cette politique est de limiter les implantations nouvelles en zone inondable et d'assurer l'information préventive des populations concernées par les risques d'inondation afin de limiter les dommages lorsque les crues surviennent. Il est en effet illusoire de croire que des ouvrages de stockage ou de protection rapprochée protègent de manière absolue. S'agissant de la Somme, on ne peut pas exclure, compte tenu du niveau élevé de la nappe phréatique, que surviennent de nouvelles inondations, si l'hiver prochain est très humide, quels que soient les travaux engagés d'ici là. La spirale, ouvrage de protection, construction nouvelle dans les zones ainsi protégées, conduit à une aggravation des dommages lors d'événements extrêmes. Il convient d'y mettre fin.

En outre, l'accélération des écoulements pour protéger un lieu donné provoque souvent une aggravation des débordements en aval.

Les deux outils correspondant à cette politique sont d'une part les plans de prévention des risques d'inondation (PPRI) et d'autre part, les réseaux d'annonce de crues. Concernant les plans de prévention des risques, j'ai fortement renforcé les moyens qui y sont consacrés depuis 1997 : mon ministère y consacrait 30 millions de francs en 1997, il y consacre 110 millions de francs en 2001. Plus de 2.700 plans de prévention des risques d'inondation ont ainsi été élaborés. L'objectif est de mettre en place 5.000 plans de prévention des risques d'ici l'an 2005 et donc de poursuivre au même rythme, dans les années à venir, la mise en place de ces documents.

J'ai également assuré un développement et une modernisation des réseaux d'annonce de crues en y consacrant 53 millions de francs en 2001 contre 38 millions de francs à mon arrivée au ministère. Pour ce qui concerne la Somme, l'élaboration des plans de prévention des risques a été prescrite pour l'ensemble des communes touchées. Les moyens seront renforcés pour permettre leur élaboration rapide.

La question de l'annonce de crue est, elle, plus spécifique : la nature même du phénomène présenté précédemment est très différente des situations pour lesquelles nos services d'annonce de crues sont organisés. Les informations disponibles dans ce cadre sont apparues peu pertinentes puisque ce qui importe le plus concerne le niveau des nappes phréatiques et non celui des précipitations quotidiennes. Je prévois donc la mise en place d'un outil adapté permettant de suivre à la fois le niveau des nappes, le débit des cours d'eau et la pluviométrie afin de pouvoir assurer une prévision des risques de crues adaptée à la situation particulière de ce système hydraulique. Un premier outil relativement rustique sera mis en place dès les mois d'automne pour être opérationnel dès l'hiver prochain. Il sera ensuite affiné.

Bien entendu, cette priorité à la maîtrise des nouvelles urbanisations d'une part et à la prévision des crues d'autre part n'exclut pas la nécessité de travaux de protection pour les zones déjà bâties et de travaux d'entretien des rivières pour améliorer les écoulements ou préserver les zones d'expansion des crues. Au niveau national, plus de 1,7 milliard de francs ont été attribués entre 1994 et 2000 par l'Etat pour réaliser ou subventionner de tels travaux. Cet effort est encore amplifié dans les contrats de plan inter-régions 2000-2006. J'ai décidé, pour 2001, d'augmenter de 40 millions de francs les crédits consacrés aux travaux de protection rapprochée des lieux. En 2001, les crédits consacrés par mon ministère aux travaux liés à la prévention atteignent ainsi 290 millions de francs. Mon ministère intervient donc activement dans ces domaines, mais uniquement en soutien financier des maîtres d'ouvrage compétents pour l'entretien et l'aménagement des rivières. Cela suppose donc que des programmes soient établis par ces maîtres d'ouvrage et donc, en premier lieu, que ces maîtres d'ouvrage existent. Cela nous renvoie à la nécessité d'une structuration des collectivités pour assurer la maîtrise d'ouvrage des parties non domaniales.

Sur la base de tous ces éléments, je proposerai au Comité interministériel à l'aménagement et au développement du territoire (CIADT) au mois de juillet prochain de prendre plusieurs décisions relatives à la prévention des inondations dans la Somme. Il s'agira tout d'abord de participer à l'effort des collectivités territoriales maîtres d'ouvrage dans la réalisation des travaux d'urgence, permettant d'améliorer les écoulements, de consolider certaines berges et certaines digues pour améliorer la protection des populations. Je souhaite également que soient précisées les incitations qui pourront être mises en place pour aider les personnes dont les habitations ont été le plus endommagées à pouvoir se reloger hors de la zone inondable. Il s'agira enfin de donner un mandat au préfet pour établir rapidement, en liaison avec les collectivités territoriales, un programme global de travaux de prévention des inondations sur le bassin de la Somme.

Plus généralement, et au-delà du cas particulier de la Somme, j'envisage plusieurs actions pour renforcer la politique de lutte contre les inondations : le premier axe d'action consiste à améliorer la connaissance des zones inondables et de renforcer les incitations à la définition de stratégies globales de prévention par bassin. Il sera demandé au préfet coordonnateur de bassin, ainsi qu'au préfet de région plus particulièrement concerné, de mobiliser les services de l'Etat compétents, les organismes publics, scientifiques et universitaires pour rassembler les connaissances disponibles pour chaque bassin. Ils définiront les moyens permettant d'en améliorer la diffusion auprès de l'ensemble des acteurs publics et privés concernés conformément aux recommandations du rapport établi par M. le député Eric Doligé. Cette diffusion pourra faire largement appel aux nouvelles technologies de communication.

En outre, le ministère de l'Environnement et de l'Aménagement du Territoire et les agences de l'eau encourageront, par des aides financières, la réalisation, sous la maîtrise d'ouvrage des groupements de collectivités locales constitués à l'échelle du bassin, des études nécessaires pour mieux connaître, à l'échelle de chaque bassin fluvial, les mécanismes de formation des crues. Enfin, il s'agira également d'identifier les stratégies les mieux adaptées, à l'instar des études engagées ces dernières années sur la Loire, la Seine, le Rhône, la Meuse et l'Oise. Le deuxième axe porte sur l'amélioration de l'annonce des crues et de l'alerte des populations situées en zone inondable, le long des grandes vallées fluviales. Il s'agit en particulier de compléter la couverture du territoire par de nouveaux radars hydrométéorologiques pour assurer une meilleure prévision des crues liées à des phénomènes de météorologie et par la création d'un Centre technique national d'appui au service de l'annonce des crues rassemblant des experts en météorologie rattachés à mon ministère.

Enfin, le projet de loi sur l'eau qui sera adopté en Conseil des ministres avant la fin du mois, comporte plusieurs mesures destinées à renforcer l'efficacité des capacités d'intervention des collectivités locales et des agences de l'eau dans le domaine de la prévention des inondations. Il ouvre la possibilité d'instituer au profit des collectivités locales, sur des zones non constructibles naturellement inondables, des servitudes indemnisables visant à permettre une rétention temporaire des eaux excédentaires en période de crues pour retarder et réduire la submersion des bâtiments construits en zones exposées. Il élargit les possibilités de décentralisation de la gestion des cours d'eau domaniaux au profit des départements et des institutions interdépartementales pour permettre à ces autorités locales de maîtriser de façon plus complète les actions de gestion des bassins. Il prévoit la création de redevances sur les nouveaux aménagements provoquant des réductions importantes des surfaces modérément inondables. Les agences pourraient également apporter leur concours financier aux actions publiques ou privées ayant pour objectif d'accroître les capacités de rétention des eaux des champs d'expansion des crues et de réduire les effets de l'imperméabilisation de sols par des grands aménagements urbains. Il permet enfin à l'Etat d'utiliser le fonds de prévention des risques naturels majeurs alimenté par une contribution des sociétés d'assurance sur les surprimes perçues auprès des assurés pour assurer l'indemnisation des dommages provoqués par les catastrophes naturelles et compléter les moyens utilisés par les agences de l'eau pour financer les actions entreprises en matière de prévention.

Tels sont les éléments d'information que je suis en mesure de vous fournir à ce jour. Nous continuons bien sûr à travailler pour approfondir votre compréhension des événements et nous préparons pour le CIADT du 9 juillet un ensemble de mesures qui permettront de répondre à l'attente des populations.

M. le Président - Je vous remercie. Vous avez répondu en grande partie à nos attentes sur des points qu'il nous fallait préciser, mais je voudrais vous rappeler que la mission de notre Commission d'enquête porte en particulier sur les causes et les responsabilités. Or en matière de causes, voire de responsabilités administratives, nous avons encore quelques questions à vous poser.

M. Pierre Martin, Rapporteur - Nous avons beaucoup regretté que vous n'ayez pu venir dans la Somme. En effet, au-delà du réconfort que vous auriez pu apporter aux populations, la situation étant exceptionnelle, nous pensions que vous auriez souhaité la voir.

Par ailleurs, vous avez dit qu'il n'y a pas dans la Somme de structures pour annoncer les crues. Nous sommes, à ce propos, restés un peu sur notre faim. Les auditions que nous avons eues nous démontrent que les annonces ont été faites par Météo France, mais qu'il y a une différence entre l'annonce et la prévision. Nous avons appris que les bulletins régionaux d'alerte météorologique, transmis à Lille n'ont pas été répercutés dans la Somme. On aurait peut-être pu, à la lumière de ces informations, prévoir une crue importante qui aurait suscité des réactions différentes.

M. le Président - Pourquoi le territoire du département de la Somme n'est-il pas inscrit dans le maillage mis en place par votre ministère il y a six ans, de prévision d'inondations ?

Mme Dominique Voynet - Il m'est difficile rétrospectivement de reconstituer le raisonnement qui a conduit il y a six ans à ce que soient retenus de façon prioritaire un certain nombre d'équipements. La priorité de nos plans est avant tout la préservation des vies humaines et donc la possibilité en cas de crues torrentielles de mettre à l'abri les habitants des zones dangereuses. J'ai inauguré récemment un radar météo à Bollène qui correspond tout à fait à cette commande traditionnelle. Nous ne sommes cependant pas équipés pour donner une évaluation quantitative. Ainsi, le rapport d'étape insiste sur le fait que le risque d'une inondation était sorti de la mémoire collective dans la Somme. Or, on retrouve dans les interrogatoires des populations de nombreux témoignages d'inondations de caves qui interviennent pratiquement chaque hiver ou chaque automne en Picardie. En revanche, la crue la plus importante depuis pratiquement un siècle est datée de l'hiver 1994-1995 et elle n'avait pas non plus été anticipée.

M. Claude Lefrou a bien reconstitué les épisodes : le préfet de la Somme a adressé le 12 février une lettre de sensibilisation de pré-alerte aux 52 maires des arrondissements des villes d'Amiens, d'Abbeville et de Péronne en leur demandant de prévenir les habitants des zones les plus exposées. Puis, les événements ponctuels n'ont pas donné l'aspect d'une véritable crise jusqu'au 23 mars. Les interventions des sapeurs pompiers ont en effet été, jusqu'à cette date, inférieures à 20 par jour pour l'ensemble du département. Ainsi, c'est seulement à la fin du mois de mars, que les autorités administratives et opérationnelles définissent le phénomène comme une réelle catastrophe départementale. Le dispositif monte alors en puissance avec l'intervention des services de l'Etat.

M François Gerbaud - Vous avez dit que l'on a pu constater que la nappe phréatique est montée de 15 mètres par rapport à 1998. Or, on nous a dit que l'on ne mesure les nappes que lorsqu'elles baissent. Quelle est donc la procédure exacte ?

M. le Président - Quelles sont les liaisons inter-services avec le BRGM ? Qui s'occupe de la coordination entre les différentes informations ?

M. le Rapporteur - En 1994, la nappe phréatique avait augmenté de 14 mètres et nous avions des crues à Limeux. Mais nous avons appris cela suite à une convocation des agents du BRGM. Aucune information préalable ne nous avait été donnée. En avril 1997, les informations sont arrivées par anticipation et nous précisaient l'utilisation limitée de l'eau.

Mme Dominique Voynet - Il serait intéressant, si vous en avez le temps, qu'une délégation de la Commission d'enquête vienne visiter les installations de la direction de l'eau au ministère. En effet, nous suivons un nombre de cours d'eau considérable. Il est vrai que nous sommes bien mieux armés pour suivre la hauteur des cours d'eau grâce aux jaugeurs que pour suivre l'évolution des nappes. L'idée des missions interministérielles de l'eau est bien de mettre ces informations en cohérence. Nous avons l'intention de poursuivre ce travail. Sur certaines zones où la mesure des nappes est un phénomène ancien, où les systèmes hydrologiques sont simples, nous n'avons pas de difficulté à suivre les évolutions. A l'inverse, la complexité du système d'eau dans le bassin de la Somme m'a frappée. Toutes les évaluations de l'impact de la pluviométrie sur la hauteur des nappes y sont alors assez grossières.

Dans le bureau qui jouxte le mien, je reçois tous les messages d'alerte. Hélas, je constate le brouillage complet de ces messages en raison de leur nombre. Nous n'avons pas de précision quant à la gravité de ces messages d'alerte. Or quand l'alerte devient-elle plus pressante ? Quand devons-nous prévenir les maires ?

Nous travaillons donc sur ce point, mais je ne suis pas certaine que ce travail réponde à votre demande : dans la Somme, l'eau est montée progressivement et personne n'a jamais été capable de se projeter dans l'avenir.

M. le Président - Il s'agit en effet d'un système hydraulique très compliqué qui est un système hydraulique de pays plat. En Seine maritime, on retrouve le même. Or depuis un siècle, il ne s'est rien passé dans cette région car les fossés sont maintenus en état et l'eau retourne régulièrement à la mer.

Mme Dominique Voynet - Je me suis en effet demandé si l'entretien des fossés a été correctement assuré. Le rapport dit que le contre fossé est dans un très mauvais état et qu'il a même été « pour partie confisqué par les propriétaires privés pour l'alimentation et l'évacuation d'étangs ». On se rend donc compte que l'on a besoin en priorité d'une organisation territoriale permettant de lancer un programme d'entretien du système hydraulique. Le département doit faire des propositions à l'Etat qui pourra ensuite répondre, mais ce dernier n'a pas légitimité pour prendre tout en main.

M. Jean-Guy Branger - Si l'état des canaux avait été bon, nous aurions eu moins d'ennuis.

Mme Dominique Voynet - Le rapport est assez disert sur le mauvais entretien des cours d'eau, sur le mauvais entretien des affluents de la Somme, sur le fait que la plupart des associations inactives se trouvent dans les secteurs sensibles aux inondations. Il insiste sur le fait que la partie la mieux entretenue est le canal maritime. Le contre fossé du canal maritime a été curé il y a cinq ans avec en plus une restauration des portes d'évacuation à la mer. On n'a donc pas le sentiment que les problèmes se posent dans ce secteur. Il s'agit plutôt d'un défaut général d'entretien.

M. Ambroise Dupont - Les associations syndicales qui prennent en charge cet entretien ont fixé des cotisations trop élevées en rapport du revenu agricole. Or, il existe un autre usage qui est celui de zones inondées en permanence où l'on ne prend pas en compte l'entretien des canaux.

Le rapport d'étape précise-t-il si un bon entretien aurait suffi à éliminer cette pluviosité exceptionnelle ? Ce n'est pas certain. Si ces années de pluviosité continuent, nous allons nous retrouver dans cette situation de façon récurrente, sauf si nous éliminons mieux les eaux en surface. Pensez-vous que le réchauffement de la planète est la cause de cette pluviométrie exceptionnelle ?

Mme Dominique Voynet - M. Lefrou insiste énormément sur le fait que l'alimentation de la rivière est assurée à 80 % par la nappe, ce qui permet d'assurer les débits tout au long de l'année. Par voie de conséquence, il insiste sur l'importance de la climatologie des années antérieures quant à la formation de la nappe. Je ne sais ce qu'il faut dire à la population : il n'est pas question d'affoler les habitants, ni de sous-estimer les risques. Cependant, compte tenu du niveau très élevé des nappes, il n'est pas exclu que les inondations se reproduisent si la pluviosité est forte en automne. Il paraît évident que même si nous mettons en place des stratégies très déterminées d'entretien des cours d'eau et de protection des zones habitées, nous n'aurons pas une efficacité imparable en automne.

Un bon entretien aurait-il suffi ? Il aurait limité le phénomène, mais personne ne peut assurer que l'on aurait échappé entièrement aux inondations. Le plaidoyer de M. Lefrou est assez insistant sur la nécessité de donner des moyens pour l'entretien de ces cours d'eau.

Enfin, il faudrait être bien audacieux pour affirmer que ces inondations sont dues au réchauffement climatique ; cependant, la répétition dans les pays tempérés de phénomènes climatiques exceptionnels peut tout de même nous interpeller sérieusement.

M. Jean-François Picheral - Depuis le début de nos travaux, il s'agit de la première fois que nous insistons autant sur l'entretien des canaux et des voies navigables. Nous avions évoqué cette question lors de notre premier voyage à Amiens et le Conseil Général nous avait dit qu'il investissait 10 millions de francs par an. Il faudrait donc savoir à quoi ces 10 millions de francs ont servi.

M. le Président - Nous poserons cette question à Amiens.

Mme Dominique Voynet - Je ne mets pas en doute la parole du département. Il me paraît clair que ces millions ont été investis prioritairement sur les canaux, sur la partie maritime, sur les ouvrages et non sur l'entretien du chevelu ou des affluents.

M. Hilaire Flandre - Il est évident que le rapport que vous évoquez (comme d'ailleurs celui que nous établirons) ne saurait être une accumulation de certitudes. Personne ne peut être persuadé de détenir toute la vérité. Toutefois, je pense tout de même que le manque d'entretien du bassin concerné est un point important. Nous pouvons nous interroger sur des intérêts contradictoires qui ont pu se manifester entre ceux qui souhaitaient que le bassin reste sec et ceux qui préfèrent le voir humide. La nécessité d'entretien va un peu à l'encontre de l'idée souvent développée sur le maintien des zones humides. Selon moi, il faut aussi savoir de temps en temps évacuer l'excès d'eau dans les zones considérées.

En outre, vous venez d'évoquer le renouvellement des phénomènes exceptionnels. Au regard de l'histoire, je ne suis pas sûr que ces événements soient si exceptionnels. Dans la mémoire des habitants, on retrouve des cas d'inondations.

Enfin, vous avez évoqué l'obligation d'être plus sévère sur l'urbanisation des zones à risque, donc inondables. Mais, si l'on élimine toutes les zones qui ont été un jour ou l'autre inondées, nous pouvons rayer l'ensemble de notre territoire. Toute la vallée de la Meuse serait par exemple rayée de la carte.

Mme Dominique Voynet - Si vous espérez que je montre du doigt tout usager de zone humide, surtout en Picardie, vous ne devez pas compter sur moi. Personne ne souhaite être déraisonnable. Votre discours sur l'urbanisation correspond au discours tenu par tous les élus locaux dès qu'on leur demande de tirer des conséquences à long terme de l'événement dramatique qu'ils viennent de vivre. Je ne dis pas que nous pourrons déplacer toutes les constructions situées dans des zones inondables, cependant je plaide pour que l'on prenne conscience du fait que, lorsque l'on réalise des équipements de protection de zones habitées, ce n'est pas pour justifier l'intensification de l'urbanisation dans ces zones, mais pour protéger ceux qui ont eu le malheur d'être historiquement à cet endroit. Je plaide également pour une cohérence et une solidarité à l'échelle des bassins. En effet, un maire qui réalise imprudemment des opérations visant à accélérer l'écoulement de l'eau en amont d'une rivière sans prendre en compte les conséquences pour les personnes habitant en aval me paraît adopter une attitude irresponsable. A l'échelle de chaque commune, on doit avoir conscience des conséquences que des constructions peuvent entraîner sur d'autres. Je ne désignerai pas ici du doigt certains membres du Sénat, mais il se trouve que l'un des premiers gestes officiels que j'ai été amenée à faire consistait en l'inauguration d'une magnifique station d'épuration dans le département du Doubs et l'un de vos collègues n'a pas trouvé de meilleur endroit pour sa station d'épuration qu'une zone inondable ! L'Etat l'a autorisé à installer sa station sur ce site, mais lui a demandé en échange de réserver une zone importante permettant l'expansion des crues. Cela me paraît être une décision juste.

On pourrait également imaginer une évolution des systèmes d'indemnisation. En effet, dans certains endroits, l'inondation est devenue rituelle. On mobilise les primes d'assurance, les aides publiques et l'on attend la prochaine crue. Si je mets de côté certaines zones touristiques, on pourrait imaginer un système d'indemnisation dégressif dans le temps qui incite au financement des équipements de protection pour mettre à l'abri les installations les plus sensibles au moins, comme cela s'est fait dans le bassin de la Loire par exemple où deux usines ont été déplacées.

M. Michel Souplet - Qu'avez-vous l'intention de faire dans les quatre mois qui viennent pour que le même phénomène ne se reproduise pas dès l'automne prochain ? Je crois que l'on va faire sauter les bouchons, aménager des pompes provisoires, etc. Ainsi, on va essayer de faciliter l'écoulement. Or il faut utiliser pour ce faire toute la période estivale. Cependant, à la fin de l'année, si l'eau coule mieux, elle va tout de même arriver à Saint-Valéry. A-t-on prévu quelque chose sur ce site ?

Mme Dominique Voynet - Je ne crois pas avoir dit que nous allions accomplir dans l'urgence des actions qui préviendront les risques de reproduction des inondations. Concrètement, dans l'urgence, des infrastructures qui pouvaient freiner l'écoulement des eaux ont été supprimées. Il s'agit d'une mesure d'urgence qui ne porte que sur une toute petite partie du problème de l'écoulement : une grande partie de l'eau se trouve dans les nappes et nous n'avons pas les moyens de l'aider à s'écouler.

Par ailleurs, je vous ai annoncé que nous allions nous doter d'un système un peu rustique de mesure du phénomène pour tenter d'alerter au maximum les populations. Cependant, nous n'aurons pas terminé l'élaboration des 108 plans de prévention des risques que nous avons prescrits le 24 avril. Nous ne disposerons pas non plus d'un dispositif de surveillance et d'alerte face au risque d'inondation qui soit complètement opérationnel et assez fin pour répondre à vos préoccupations.

Quant à la politique de réduction de la vulnérabilité, il s'agit d'un programme engagé sur plusieurs années. Je ne sais pas encore comment nous allons travailler. Nous attendions le rapport d'étape de la mission afin de connaître les axes prioritaires : nous travaillerons à la fois sur le logement, les entreprises, le transport, etc. Un plan d'action sera sans doute proposé à la contractualisation entre l'Etat, la région et le département. Nous savons d'ores et déjà que certains logements devront être reconstruits ailleurs, soit pour des motifs objectifs de dangerosité, soit pour des motifs plus subjectifs -j'ai bien noté que M. Lefrou était attentif à cette dimension: quand des personnes sont durement traumatisées par les événements, il faut éventuellement savoir leur proposer des alternatives au retour à la maison si les travaux sont trop conséquents. Tous ces points demandent bien sûr une réflexion et des négociations qui sont à peine ébauchées à cette heure.

M. le Président - Puis-je vous demander que nous soyons des destinataires privilégiés de ce rapport ? Quand rendrez-vous public ce rapport ?

Mme Dominique Voynet - Ce rapport est public. Je l'ai eu hier en main et nous l'avons immédiatement envoyé au préfet. Vous l'aurez dans les prochaines 24 heures.

M. le Rapporteur - Vos propos sont assez paradoxaux. Vous nous parlez de l'amont, de l'aval et de la solidarité. Or vous savez très bien qu'il faut des contraintes pour permettre la solidarité et, dès qu'il y a des contraintes dans ce pays, on se mobilise contre tout ce qui est proposé et l'on n'agit plus. Tel est le cas dans les marais : on y trouve depuis longtemps des habitats de loisirs que les préfets promettent depuis dix ans de faire démolir ; or tous ces habitats de loisirs sont encore en état. Il est donc bien facile d'énoncer la règle du jeu si elle n'est finalement pas appliquée ou du moins si les moyens nécessaires à son application ne sont pas donnés.

Par ailleurs, qui va diffuser l'information sur les zones où l'on ne pourra plus habiter ? En effet, depuis plusieurs jours, les habitants reprennent possession de leurs maisons parce que l'eau a disparu. Il est inenvisageable de leur demander dans quelque temps de repartir alors que des travaux auront déjà été entrepris !

Mme Dominique Voynet - Pour avoir été souvent la victime d'allégations visant à faire de moi une méchante femme qui inventait semaine après semaine des contraintes insupportables pour les élus locaux, je peux vous dire que j'essaie au mieux d'utiliser l'incitation et la dissuasion, les encouragements et les interdictions. Ainsi, dans ce domaine comme dans d'autres, nous devons allier l'éducation, la formation et la prise de conscience des élus locaux, mais aussi des habitants au sens large. Il est très difficile pour le maire d'une petite commune de résister à l'un de ses administrés qui veut construire en zone inondable. Beaucoup de volonté politique, de ténacité et une certaine imperméabilité à la critique sont nécessaires pour surmonter ces difficultés. En fait, en pratique, dès l'arrivée d'une catastrophe, les maires se tournent vers le Gouvernement.

Concernant la délocalisation des habitations, le rapport propose à la cellule de crise de la préfecture de formaliser un dispositif de constat d'habitabilité des habitations. On touche là à la question de la sécurité. Cependant, les critères de choix ne sont pas uniquement techniques : les préférences des sinistrés comptent également. Ainsi, on sera tenté de proposer un nouveau logement à une personne très âgée dont la maison est sinistrée, même si le coût en est un peu supérieur. Elaborer un ensemble de règles précises sera évidemment difficile, mais nous réussirons à arrêter des règles de bon sens, commune par commune.

M. le Président - Je vous remercie de votre présence et de celle de vos collaborateurs.

12. Audition de M. Vincent Jacques Le Seigneur, directeur de l'Institut français de l'environnement (6 juin 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui M. Vincent Jacques Le Seigneur qui est le directeur de l'Institut français de l'environnement.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Vincent Jacques Le Seigneur.

M. le Président - Je vous laisse la parole et nous vous poserons ensuite quelques questions.

M. Vincent Jacques Le Seigneur - Je vais tenter de répondre à vos questions en vous présentant tout d'abord l'Institut de l'environnement afin que vous compreniez la nature des informations que je peux vous transmettre, avec tout de même beaucoup d'humilité, car j'ai bien compris que vous étiez très renseignés sur ce sujet.

L'IFEN est un institut très jeune qui fête ses dix ans cette année. Il n'a donc pas encore atteint la maturité. Il est le service statistique du ministère de l'Environnement depuis 1993 et le point focal national de l'Agence européenne de l'environnement, basée à Copenhague.

Nous avons à l'IFEN, quatre grandes missions :

- la gestion et l'administration des données dans le domaine de l'environnement.

Nous commençons à peine à produire des données ; généralement, nous allons les chercher chez les autres, nous les analysons, nous les comparons, nous les traitons de façon statistique et géographique, puis nous les proposons sous forme de banques à différents partenaires.

- les observatoires

Ces structures sont concernées par des domaines très différents (zones humides, littoral, etc.) ; elles sont une manière un peu originale pour l'Etat de travailler sur ces sujets. Ces observatoires reposent sur la compétence d'un expert à l'IFEN qui travaille en réseau avec d'autres services déconcentrés de l'Etat. Ce réseau réussit à mutualiser les données et à produire un certain nombre de documents de synthèse. Il n'en existe pas dans le domaine du risque. Toutefois, si vous aviez besoin par exemple d'un recensement précis des zones humides d'une région, je pourrais le faire.

- le reporting

Nous produisons un certain nombre d'indicateurs, c'est-à-dire l'état des lieux de ce que les pouvoirs publics font en matière d'environnement et de ce qu'ils devraient faire en termes de moyens pour atteindre leurs objectifs.

- le secrétariat de la Commission des comptes de l'économie de l'environnement, vice-présidée par Mme Nicole Questiaux

Chaque année, nous produisons l'état des dépenses de la nation en matière d'environnement.

Mon établissement dispose d'un budget de 50 millions de francs et compte 50 agents basés à Orléans. Nos agents sont des experts, économistes et statisticiens venant pour la plupart de l'INSEE, mais également des thématiciens. Réunis, ces agents sont censés produire une information construite et comparative sur différents sujets environnementaux. A notre grand regret, nous n'avons encore personne qui travaille sur les risques, quels qu'ils soient.

Concernant notre vision des inondations de la Somme, vous avez bien voulu m'adresser une série de dix questions pour me permettre de préparer cette audition. La première série de questions concerne tout d'abord la prévisibilité des catastrophes comme celle de la Somme. Sur ces points, nous ne faisons rien à l'IFEN. Notre métier n'est pas de travailler sur la prévision. On pourrait peut-être envisager de le faire, mais cela reviendrait tout de même à modifier de façon substantielle l'organisation de cet établissement public. Les crues précédentes de 1995 avaient déjà mis en évidence une certaine méconnaissance des zones à risque et avaient provoqué à l'époque la création d'un atlas des zones inondables. Je crois savoir que l'atlas concernant la Somme était en cours d'élaboration  au printemps ; il va donc falloir le modifier en fonction de ce qui vient de se produire. Sur ce terrain, l'IFEN agit puisque nous avions proposé à la direction de la Prévention de la Pollution et des Risques d'établir un référentiel national au 1/100.000 e pour l'ensemble de ces atlas. Nous nous sommes donc engagés dans ce travail, qui est encore loin d'être terminé.

Nous contribuons tout de même à la fourniture de données. Nous sommes un partenaire important du Centre National des Données sur l'Eau (CNDE). Dans cette base, vous trouvez tous les relevés d'hydrométrie, d'hydrologie, etc.

Votre deuxième série de questions portait sur les causes de la catastrophe : pratiques agricoles, gestion des cours d'eau, etc. Là encore, je n'ai pas compétence sur l'identification des causes. En revanche, nous pouvons, à l'IFEN, comparer des situations, même si malheureusement il s'agit toujours de comparaisons a posteriori. Nous produisons notamment une base de données dénommée Corine land cover qui est une carte d'occupation des sols pour l'ensemble de l'Europe. Elle s'avère très utile car elle permet de savoir précisément sur votre département la localisation des forêts, des pâturages, etc. Ce programme européen existe depuis dix ans ; nous sommes en train de l'actualiser et nous disposerons de la nouvelle couverture d'occupation des sols européens en 2003. L'inconvénient de ce système est que nous ne descendons pas en dessous de 25 hectares. Or pour la première fois, nous avons convaincu l'Institut géographique national (IGN) de produire sa base et la nôtre en même temps. Cet outil permettra aux élus locaux d'identifier précisément l'occupation des sols.

L'une de vos questions portait sur la complexité administrative et les coûts. Je n'ai pas compétence pour vous répondre au sujet de la complexité administrative. En revanche, en matière de coûts, nous avons été interrogés pour la première fois suite aux tempêtes de 1999 et au naufrage de l'Erika. En effet, la ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement, qui préside la Commission des comptes de l'économie de l'environnement, a demandé à la celle-ci un calcul sur le coût pour la collectivité de ces catastrophes en 2000. Nous nous sommes aperçus qu'il s'agissait d'une tâche extrêmement complexe. Pour connaître un coût, il faut disposer de la valeur de départ du bien, or nous ne connaissons pas la valeur initiale des biens naturels. Par ailleurs, il s'agit de biens communs sans propriétaire réellement identifié. Enfin, il s'agit d'usages : comment évaluer l'usage récréatif par exemple ? Nous avons donc buté sur des principes méthodologiques en voulant évaluer l'impact économique des tempêtes et du naufrage de l'Erika. Maintenant que nous disposons d'une méthodologie, nous espérons pouvoir établir prochainement un bilan économique précis des inondations.

En matière de risque, nous avons produit un certain nombre de documents. Lorsque les pouvoirs publics s'étaient donné comme objectif de lancer les PPR, la question de la répartition sur le territoire s'est posée. L'IFEN a donc essayé de calculer de façon statistique les moyennes -en sachant que si les statistiques fonctionnent pour les moyennes, elles ne signifient rien pour les médianes- afin de comprendre où se situaient les zones à risque dans notre pays : notre premier bilan est que l'effort de la nation a été important en matière d'adoption de plans de prévention des risques dans le domaine des inondations (80 à 85 % des plans). Cependant, à l'échelle du pays, la Somme représente 783 communes, 301 arrêtés de catastrophes naturelles sur les dix dernières années et aucun plan de prévention des risques, jusqu'à la décision récente. Le nombre des catastrophes naturelles se révèle donc faible : en comparaison, les Pyrénées Atlantiques représentent 780 arrêtés de catastrophes naturelles et l'Aude 1.758.

M. Hilaire Flandre - Un certain état d'esprit ou une mentalité des communes peut également conduire à plus de déclarations de catastrophes naturelles.

M. Vincent Jacques Le Seigneur - Tout à fait, mais dans une première étape, ces chiffres permettent tout de même de dresser une cartographie et de répartir l'effort de planification. Ces missions sont confiées à l'IFEN à la demande des ministères de tutelle.

Nous travaillons également sur des bases de données accessibles au public et nous disposons d'un abrégé statistique. Cependant, par rapport à vos questions, cette approche reste nationale et statistique. Il m'est apparu que notre approche de la question environnementale était trop nationale. J'ai donc lancé une entreprise importante qui débouchera en 2002 sur un état régional de l'environnement avec une base statistique associée. Nous ne le faisions pas car, il y a quelques années, nous travaillions sur papier ce qui était relativement coûteux et rapidement obsolète. Aujourd'hui, grâce à l'informatique, nous sommes en mesure de procéder rapidement à des actualisations qui rendront l'outil bien plus performant pour les élus locaux.

Vous m'aviez posé une question sur la coopération avec d'autres organismes internationaux. Il est dans notre vocation de travailler en coopération avec d'autres organismes comparables, mais il est vrai que l'Agence européenne de l'environnement n'a encore jamais travaillé sur le risque inondation. En effet, il n'y a pas encore de programme statistique au niveau européen sur les inondations. Cela n'exclut cependant pas un travail bilatéral avec tel ou tel pays, même si nous ne l'avons pas encore fait.

En conclusion, suite aux événements de 1999 et aux inondations dans la Somme, il est urgent de créer au sein de l'IFEN une compétence risque -pas uniquement sur les inondations- afin de créer un réseau et de centraliser l'information en vue de la fournir au bon moment, d'autant plus que nous avons maintenant des contraintes fortes. Une convention a été signée en 1998 et une directive européenne sur le devoir et le droit d'information en matière d'environnement est en préparation. Il est donc nécessaire que nous mettions en route ces outils d'information.

M. le Président - Je vous remercie. Je vais tout de suite ouvrir la discussion.

M. Pierre Martin, Rapporteur - On parle beaucoup des crues dans la Somme durant ces quinze dernières années. Nous nous demandons même si elles ne faisaient pas, en fait, partie du paysage traditionnel, tous les ans, tous les deux ans. On trouvait cela normal alors qu'elles étaient plutôt à prendre comme une alerte. Pourquoi n'a-t-on pas réagi ? Si des précautions avaient été prises, on aurait essayé tout d'abord de déterminer les causes de ces petites crues : selon moi, l'addition des critères a provoqué la catastrophe. Le manque d'entretien devient en fait de plus en plus flagrant avec le temps. Les responsabilités seraient à la limite partagées entre ceux qui n'ont pas fait l'entretien et ceux que l'on n'a pas prévenus que l'entretien était nécessaire. Avons-nous pris toutes les précautions, avons-nous été assez vigilants ?

M. le Président - Qu'est-ce qui aurait pu nous alerter davantage dans les travaux que vous conduisez ?

M. Vincent Jacques Le Seigneur - Je suis un peu gêné pour vous répondre : l'IFEN n'exerce pas le rôle d'alerte, ne serait-ce que parce qu'il ne dispose pas de services en département ou en région. Nous sommes obligés d'attendre la demande publique ou la demande des élus pour mettre en chantier des travaux. Néanmoins, deux alertes commencent à bien fonctionner : la demande d'information publique -et la pression est de plus en plus forte dans ce domaine- et la donnée économique en matière de coûts. Malheureusement, je n'ai pas les moyens aujourd'hui de travailler étroitement avec des personnes du terrain.

M. le Rapporteur - En effet, les informations semblent être là. Mais l'information doit conduire la réflexion et la réflexion doit conduire aux conclusions. Il semblerait qu'il n'existe pas de liaisons entre les différentes structures qui permettent de tirer la quintessence des informations réalisées par vos services.

M. Vincent Jacques Le Seigneur - Nous pouvons produire des données à la demande de l'Etat, comme nous l'avons fait récemment pour le schéma collectif d'aménagement des espaces naturels ruraux. Là nous sommes dans le domaine de l'IFEN.

M. Ambroise Dupont - Votre évocation du cloisonnement entre les services me pose un problème. Pourquoi ne pas institutionnaliser un lien avec les DIREN ? Les DIREN travaillent sur le terrain. Elles pourraient vous faire remonter des informations. Apparemment, des bulletins météo sont envoyés, mais ne sont pas traités parce que personne n'est capable de faire la multiplication entre le nombre de millimètres tombés le mardi et les 180 jours précédents. Je voudrais également savoir qui prescrit les plans d'exposition aux risques.

M. Vincent Jacques Le Seigneur - Notre tutelle, le ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement doit prendre l'initiative. Grâce aux outils que nous possédons, nous pouvons mettre en perspective les travaux du ministère ou d'autres sources. Nous sommes un institut public.

M. Ambroise Dupont - Peut-on imaginer une évolution de l'IFEN ?

M. le Président - Des études sont-elles commandées par d'autres ministères que celui de l'environnement ?

M. Vincent Jacques Le Seigneur - L'exemple que j'ai présenté était une commande conjointe du ministère de l'environnement et du ministère de l'agriculture. Pour répondre à M. Dupont, je voudrais souligner que l'IFEN est une toute petite maison qu'il faut d'abord consolider, avant de s'aventurer à élargir son champ de compétence.

Je voudrais également dire que je n'ai pas la capacité de saisir les DIREN ou de travailler de façon hiérarchique avec elles. En revanche, nous allons, dans huit DIREN sur vingt-deux, travailler avec des correspondants IFEN. Cependant, ces correspondants sont des statisticiens. Ces liens sont donc utiles mais insuffisants. L'idéal serait que nous soyons en relation à la fois avec un statisticien et avec un thématicien. Cela prendra sans doute quelques années. Nous travaillons également suivant un deuxième axe avec les DIREN. Il s'agit du chantier que j'ai évoqué plus haut : la réalisation d'états régionaux de l'environnement. Cela concernera les DIREN mais également les observatoires régionaux ou les agences régionales émanant des collectivités locales ou territoriales. Nous n'avons donc pas de services de terrain, mais, peu à peu, nous arrivons à travailler de façon efficace en collaboration avec des équipes de terrain. Enfin, je voudrais indiquer que c'est le préfet qui prescrit les plans d'exposition aux risques.

M. Michel Souplet - Le préfet est alors conseillé par le directeur départemental de l'équipement.

M. le Président - Je dois confesser que j'ai découvert votre structure il y a moins d'un an.

M. Vincent Jacques Le Seigneur - Je suis navré. Je vous enverrai avec plaisir nos dernières publications ainsi que les CD-ROM que nous éditons.

M. le Président - La prise en compte de l'environnement en tant que donnée objective est récente. En outre, vous travaillez sur des domaines dans lesquels les évolutions sont difficiles.

M. Vincent Jacques Le Seigneur - Il ne s'agit pas vraiment d'une difficulté de travailler ensemble entre différents services mais plutôt d'un problème culturel. Deux cultures commencent à fusionner depuis deux ou trois ans : une culture de spécialistes de l'environnement et une culture économique et statistique. Cette dernière est toute nouvelle. La commission des comptes dont je parlais tout à l'heure est très récente. Il nous faut encore quelques années pour avoir la maîtrise totale des outils. Dans deux ou trois ans, nous pourrons évaluer les coûts, fixer les objectifs et croiser toutes ces données de façon pertinente.

M. le Président - Un autre organisme vivant également sur des crédits publics a des problèmes de la même nature que les vôtres : la Commission des comptes de l'agriculture. Elle ne parvient à évaluer un certain nombre de fluctuations parce que les critères objectifs, notamment pour les comptes de patrimoine pour les sols, n'existent pas. Vous pouvez avoir un appauvrissement des sols pendant quinze ans qui apparaît comme un revenu. Prenons l'exemple des comptes de capital du cheptel bovin. Une année difficile, où beaucoup de bovins sont vendus, apparaît l'année suivante comme une très bonne année pour les éleveurs en termes de revenus, même s'ils ont perdu 30 % de leur cheptel. Les producteurs sont alors soumis à un important impôt sur le revenu. Il n'existe pas de compte de capital. Le président de la Commission des comptes de l'agriculture réfléchit sur cette question.

M. Vincent Jacques Le Seigneur - J'ai oublié un point important concernant les sols. Ce qui pose un problème pour les inondations, comme pour les sols pollués, c'est la méconnaissance des sols, voire des sous-sols. L'information est éclatée entre différents acteurs et elle est imparfaite. 50 % du sol français est bien connu. Ce n'est donc pas énorme. Or le sol est une ressource non renouvelable. Il faut 100.000 ans pour constituer un mètre de terre rouge de la Méditerranée. Il y a donc urgence. Forts de ce constat, les pouvoirs publics ont donc décidé de créer une structure originale et partenariale. Le Groupement d'intérêt scientifique (GIS) Sols rassemble, outre le ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement et le ministère de l'Agriculture, deux acteurs de terrain que sont l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et l'IFEN. Nous avons signé la convention de ce GIS il y a quatre semaines. Nous avons deux programmes de travail précis : un inventaire des sols et un réseau de mesures. Nous allons diviser la surface du sol en maillages de seize kilomètres. Chaque maillage sera surveillé en particulier. Imaginons qu'une menace, quelle qu'elle soit, survienne sur votre territoire, on pourra vous dire précisément comment est le sol à cet endroit. Cet outil nouveau pourra être précieux pour les mois ou les années à venir. Le BRGM n'est pas parmi les membres fondateurs de ce GIS. Cependant, il en sera le premier partenaire. Cela permettra de nous intéresser aux sous-sols sur des bases uniques, compréhensibles et accessibles à tous.

M. le Rapporteur - M. Yves Dauge a rédigé un rapport sur les inondations. A-t-il pris en compte les problèmes de la Somme dans ce rapport ? Le risque d'inondation était méconnu alors que des inondations avaient eu lieu de façon répétée. La situation est donc paradoxale. Psychologiquement, cette méconnaissance rend les populations plus vulnérables. En effet, pourquoi se préoccuperaient-elles de risques sur lesquels on n'a pas attiré leur attention ?

M. le Président - Il me semble que cela correspond à l'absence de prise en compte des valeurs incorporelles. Lors de la détermination des zones inondables, seuls sont pris en compte les risques pour les vies humaines. Le fait qu'une zone inondée puisse perdre son patrimoine touristique n'est pas pris en compte. Il faudra modifier ces critères d'appréciation démodés, au fur et à mesure que la société évoluera.

M. Ambroise Dupont - Peut-on évoluer dans ce sens-là car le coût pour la société sera tel qu'il faudra peut-être s'en tenir au risque humain ?

M. le Président - En effet, nous devrions avoir un débat au Parlement sur ce sujet. Jusqu'à maintenant, la situation est claire : en l'absence de risque humain, aucun programme de prévention des risques n'est adopté.

M. le Rapporteur - Pourquoi ne pas modifier l'habitat pour que l'on puisse rester dans ces zones ?

M. Ambroise Dupont - Il s'agit d'un problème d'assurance.

M. le Président - D'autres valeurs peuvent être évoquées. Quelle est la valeur de la perte de la faune ou de la flore sauvages en cas d'inondation ?

M. le Rapporteur - Une question posée au préfet de la Somme rejoint un peu vos interrogations. L'Association des pêcheurs a demandé comment elle serait indemnisée.

M. le Président - Les chasseurs n'ont pas le même problème !

M. Hilaire Flandre - Si les pêcheurs sont indemnisés, il faut pénaliser les chasseurs. On ne peut pas dire que, d'un côté, certains ont perdu quelque chose, sans dire que, de l'autre, d'autres en ont profité.

M. le Rapporteur - Dans ces zones, certaines personnes savaient qu'elles couraient un risque. Or quand on court un risque, on l'assume.

M. Hilaire Flandre - Ma région a connu deux inondations successives : une en décembre 1993 et l'autre en janvier 1995. Certains ont vendu leur propriété pour un prix dérisoire. Les acheteurs ont donc profité de prix bas. Si une nouvelle inondation survient dans vingt ans, il ne faudrait pas que ces nouveaux propriétaires réclament une indemnisation.

M. Vincent Jacques Le Seigneur - La modeste contribution de l'IFEN dans ce débat consiste à rendre publiques des données. Si nous parvenons à construire ce référentiel national à partir des atlas régionaux, nous aurons beaucoup gagné. Sur les sols pollués, il était exclu il y a quatre ans que l'on donne l'information au public sur les risques potentiels de pollution dus à l'industrie. Nous nous sommes battus pour que l'information soit donnée. Le climat a aujourd'hui changé. Maintenant que l'information est transparente, la polémique est retombée d'elle-même. Pour moi, nous aurons beaucoup gagné lorsque l'information sur les risques inondations sera plus transparente.

Le rapport sur les tempêtes et sur l'Erika sortira dans quelques jours. Je vous l'adresserai car je pense qu'il contient des informations qui vous intéresseront.

M. le Président - Je vous remercie de votre venue et de votre contribution. J'ai noté que vous pouviez nous fournir une étude sur les zones humides de la région qui nous intéresse.

M. Vincent Jacques Le Seigneur - Nous avons la cartographie des zones humides en France sous forme informatique.

13. Audition de Monsieur Pierre-Eric Rosenberg, directeur de l'espace rural et de la forêt au ministère de l'Agriculture et de la Pêche (6 juin 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui M. Pierre-Eric Rosenberg, directeur de l'espace rural et de la forêt au ministère de l'Agriculture et de la Pêche, et je lui donne la parole.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Pierre-Eric Rosenberg

M. Pierre-Eric Rosenberg - Je souhaite tout d'abord dresser le tableau des principales missions de la direction de l'espace rural et de la forêt (DERF). La DERF, en tant qu'opérateur principal, est en charge de la forêt. Elle accomplit une mission de protection des sols et de protection des eaux. Ses actions de protection sont bien identifiées. Il peut s'agir de la restauration des terrains en montagne ou de la politique de lutte contre les incendies. Les incendies ne sont d'ailleurs pas sans effet sur les inondations. En effet, les sols dénudés par les incendies sont dangereux en matière d'inondation. La politique de défrichement est strictement encadrée, puisque le code forestier nous préserve d'actions de déforestation non maîtrisées. Ainsi, la forêt en l'an 2000 a retrouvé sa superficie de l'an 1000, après avoir connu des réductions relativement sensibles.

Le deuxième volet d'action de la DERF concerne sa participation à la politique de gestion et de mise en valeur des espaces ruraux et d'aménagement du territoire en relation avec la DATAR. La DERF a également en charge l'élaboration du cadre juridique de l'aménagement foncier. Ce secteur est fortement lié aux inondations même si on a parfois surestimé les effets du remembrement sur la dégradation des sols ou sur les problèmes d'inondations. Enfin, la DERF a pour vocation au sein du ministère de l'agriculture, en lien avec le ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement, de promouvoir des pratiques agricoles plus respectueuses de l'environnement.

Ainsi, la DERF n'a pas d'action directe dans la gestion directe des crises. En revanche, elle est mobilisée sur les actions de prévention visant à réduire les risques dans les espaces agricoles et forestiers.

Les inondations sont classées en trois catégories :

- les grandes inondations à cinétique très lente telles que celles qui ont eu lieu en Bretagne ou dans la Somme. Elles sont liées à une saturation plus ou moins durable de l'ensemble des sols et à un débordement des nappes. Les pratiques agricoles ou les aménagements agricoles ont un effet quasi nul sur ces phénomènes.

- les inondations de type torrentiel comme les inondations récentes dans l'Aude rentrent dans cette catégorie. Il faudrait lier ces inondations à des réflexions de nature hydrographique d'identification de zones à risque et de gestion d'ouvrages.

-  et enfin, les inondations à ampleur plus limitée dont la grande presse parle en général beaucoup moins. En revanche, ces inondations nous préoccupent beaucoup, puisque les effets des aménagements fonciers agricoles et des pratiques agricoles peuvent être significatifs.

Tous ces phénomènes sont bien connus dans leurs principes. Les sols nus accentuent les phénomènes de ruissellement. De même, dans les zones où les pentes sont relativement fortes, le mauvais positionnement des parcelles peut jouer un rôle. Par ailleurs, les arasements de talus et les suppressions de haies réduisent la fonction de pompe à eau des espaces naturels agricoles.

Face à ce problème, nous pouvons participer à trois niveaux d'actions. A un niveau très global, la question des inondations est un problème technique. Mais il s'agit également d'un problème de prise en charge collective par l'ensemble des partenaires sur un territoire donné. Les réflexions engagées, soumises à consultation parlementaire en ce moment, créent une nouvelle dynamique dans la manière dont l'Etat s'implique et cherche à impliquer ses partenaires des collectivités territoriales. La question des inondations est traitée à travers une approche méthodologique qui n'aura de sens que lorsque l'ensemble des partenaires territoriaux sauront prendre en compte des problématiques et les intégrer dans les politiques d'aménagement. A un niveau global, notre rôle d'administration centrale est donc de promouvoir ce type de démarche d'action partenariale entre l'Etat, les partenaires économiques et les élus nationaux et locaux.

La deuxième action porte sur l'aménagement foncier et le remembrement, qui sont sous notre responsabilité. Certaines opérations de remembrement ont pu être critiquées à juste titre. Des excès ont sans doute été commis. Depuis la loi sur l'eau de 1992 et la loi sur le paysage de 1993, l'opération de remembrement intègre de manière forte les préoccupations de préservation de l'environnement et de gestion des espaces au regard des risques, notamment d'inondation. Désormais, toute opération de remembrement fait l'objet d'une étude préalable se traduisant par un arrêté initial de remembrement. Le préfet met en place un certain nombre de prescriptions. Il peut s'agir de la nécessité de maintenir des talus, lorsque ces derniers jouent un rôle particulier dans la rétention d'eau. Le préfet peut également imposer qu'à chaque fois que, pour des raisons techniques, une haie ou un talus est supprimé, une compensation équivalente soit effectuée. L'arrêté de clôture du remembrement permet de vérifier que ces prescriptions initiales ont bien été respectées. C'est un outil réglementaire fort en matière de prévention.

Souvent, les opérations de remembrement développent, au-delà de ces mesures réglementaires, des actions volontaires, telles que les bourses aux arbres ou la reconquête par création de haies, de talus, de bassins de rétention d'eau. Le remembrement offre un outil juridique puissant pour dégager les superficies nécessaires à l'implantation de ces structures de prévention des inondations. Par exemple, en prélevant 1 % sur la surface d'un remembrement, il a été possible de dégager facilement des superficies permettant l'implantation d'ouvrages à fonction préventive.

Le dernier élément d'action se situe au niveau des outils de politique agricole. La politique agricole aujourd'hui est constituée de deux grands blocs. Le premier est la gestion des marchés, à travers la PAC. Il s'agit d'une organisation commune de marché fondée sur des aides destinées à assurer les revenus des agriculteurs filière par filière, indépendamment des conditions et des pratiques agricoles. Le second existe depuis 1992 avec les mesures agro-environnementales et surtout depuis 1999 avec l'Agenda 2000 défini à Berlin. Le deuxième pilier de la politique agricole commune est le règlement du développement rural. Il prévoit -certes encore de manière minoritaire par rapport au premier bloc- une série d'actions en faveur des exploitations considérées dans leur environnement technique et écologique et plus seulement dans l'approche de la filière économique.

La France a traduit cela par le fameux contrat territorial d'exploitation (CTE) qui rencontre des fortunes diverses selon les départements. La Somme n'est probablement pas le département où le CTE est le plus développé. Le CTE est un outil d'aide à l'exploitation cumulant une aide à l'investissement, c'est-à-dire une aide à un projet économique, et des aides visant à améliorer les performances environnementales. Des aides agro-environnementales peuvent être distribuées indépendamment de cet outil. Il est donc possible aujourd'hui de développer des actions environnementales notamment dans les zones dont on veut suivre la sensibilité aux inondations ou à un autre phénomène, pour améliorer de manière préventive la situation. Ces mesures agro-environnementales peuvent faire partie d'un CTE-type. Les exploitants d'un même bassin hydrographique seront alors très fortement incités à prendre en compte ces mesures. Si les mesures agro-environnementales sont prises hors du CTE, elles n'ont de sens que si elles s'inscrivent dans une approche territoriale. Si un agriculteur isolé décide de semer une bande d'herbe le long d'une rivière et que ses cinq voisins ne font pas de même, cette mesure perd de son intérêt.

Nous faisons tout ce que nous pouvons sur le terrain pour donner de la cohérence territoriale à ces actions. Le premier domaine concerné est l'utilisation des sols. Un effort de reconversion des sols est effectué. Ainsi le retour aux prairies permanentes est préconisé lorsque cela paraît utile. Nous proposons également l'implantation de cultures intermédiaires en période automnale et hivernale, de façon à éviter de laisser des sols nus durant ces périodes de forte pluviométrie. Dans le cas de la Somme, ces mesures sont importantes. J'ai déjà évoqué les bandes enherbées le long des cours d'eau. Il existe également des incitations à des modes de travail simplifié du sol, de façon à éviter des effets de percolation. Il existe donc toutes sortes de pratiques liées à la conduite même de l'exploitation. Puis, une série de promotion d'investissements est liée à des actions volontaires un peu en dehors des pratiques agricoles : implantation de nouvelles haies, création de talus ou de mares, réalisation de fossés dans l'exploitation, remise en état des berges. Ces opérations ne sont pas liées à la production elle-même, mais elles conduisent l'agriculteur à répondre à une demande exprimée par les partenaires non agricoles au niveau territorial.

M. le Président - Je vous remercie pour votre exposé. Nous savons mieux à présent ce que fait votre direction.

M. Pierre Martin, Rapporteur - Il me semble, Monsieur le directeur, que vos dernières paroles correspondent plus à un message d'espoir qu'à une réalité dans la Somme. Les exploitations ayant évolué vers des superficies agricoles très importantes, de nombreux pâturages et de nombreux éléments que vous avez évoqués ont disparu. En effet, aussi paradoxal que cela puisse paraître, la conjugaison de deux intérêts -l'intérêt environnemental et l'intérêt des chasseurs- a fait que l'on retrouve ces créations dans nos grandes plaines. Cela nous réjouit un peu. En effet, lors d'orages importants, nous constatons l'intérêt de ces éléments, puisque lorsqu'une prairie vient d'être retournée, beaucoup de terre se retrouve sur la route. Cela montre bien qu'il n'y a plus rien pour retenir l'eau et l'empêcher de ruisseler. Le ruissellement plus rapide abonde plus rapidement les rivières, dont la Somme, remplit plus rapidement les nappes et provoque les inondations. Si la politique impose ces mesures dans nos campagnes, cela va selon moi dans le bon sens, mais je me souviens avoir fait la même réflexion en 1965, lors d'un remembrement où tout le monde se réjouissait de l'arasement des talus, de la destruction de haies et de pommiers. En effet, une prime était distribuée pour l'abattage des pommiers. Cette politique a été menée à un moment donné. Elle comporte des aspects positifs dans la façon d'exploiter. Mais elle comporte également des aspects négatifs à terme. Quels sont les aspects qui l'emportent ? Il serait bon de pouvoir en juger.

Ces éléments ont peut-être une petite influence dans les événements de la Somme. En effet, il faut tenir compte de la capacité de rétention d'un territoire mais également de sa capacité d'absorption. Or ces plantes, pour résister, doivent consommer de l'eau. L'agriculture intensive a peut-être montré ses limites. Le phénomène des jachères accentue encore le problème. Certaines terres, qui n'avaient jamais été exploitées et qui servaient à parquer les animaux, ont été subitement exploitées pendant un ou deux ans, afin de les intégrer dans le cycle des terres soumises à subvention.

Compte tenu de tout cela, votre direction pourra émettre des préconisations pour les remembrements à venir. Nous avons la chance de voir arriver des autoroutes dans le département de la Somme à l'heure actuelle. Ces autoroutes suscitent des remembrements en chaîne. Or, à travers ces remembrements, les communes sont dotées de chemins de remembrements équivalant à des chemins départementaux de l'avant-dernière classe. Le ruissellement est d'autant plus important avec des chemins tels que ceux-ci. Dans nos communes, on se demande s'il faut encore bordurer et effectuer les autres travaux traditionnels, car il faut des surfaces qui vont retenir l'eau. Il serait judicieux de la part de votre direction qu'il y ait véritablement des préconisations et qu'elles soient respectées, en particulier dans les départements comme le nôtre où un risque existe.

M. le Président - Réfléchissez-vous, à moyen ou long terme, avec le Centre national du machinisme agricole du génie rural des eaux et forêts (CEMAGREF) sur ces questions ? En effet, c'est le système de mécanisation qui a amené le remembrement et dicté la forme des parcelles. Ce système nous vient des Etats-Unis. Le plan Marshall a conditionné l'agriculture française, telle qu'elle est aujourd'hui. Les Américains nous ont dotés de matériel, sans que nous ayons réfléchi à la question. Les Japonais, à l'inverse, ont su mettre en place un système de mécanisation des petites parcelles. Il faudrait sans doute réfléchir avec le CEMAGREF à la mécanisation des décennies à venir pour définir quel type de matériel utiliser. Dans la pratique, les agriculteurs sont prêts à coopérer à condition qu'on leur fournisse clé en main des méthodes d'entretien mécanisées. Or nous n'avons pas ce matériel. Le CEMAGREF n'a pas été conditionné de la même façon que votre direction pour réfléchir sur l'avenir. Nous avons évoqué tout à l'heure la forme des parcelles. La position du CEMAGREF à ce sujet est la mécanisation de grande ampleur. Autrefois, avec des chevaux, vous ne pouviez pas labourer en montant et en descendant, car vous n'aviez pas la force de remonter. Il me semble qu'on n'a pas fourni un système de mécanisation adapté. Le CEMAGREF a davantage réfléchi sur la machine à vendanger que sur la moissonneuse batteuse.

M. Pierre-Eric Rosenberg - Ces questions sont importantes et il ne faut pas faire l'économie de la réflexion sur le modèle agricole que nous souhaitons promouvoir. Je pense néanmoins que, même si la Somme avait été entièrement couverte de prairies permanentes, nous aurions eu à peu près le même phénomène. Les nappes sont complètement saturées. Cependant, ce commentaire ne doit pas nous conduire à éviter la réflexion sur des cas de moindre ampleur. Certaines zones agricoles sont fréquemment inondées. Nous devons y réfléchir, ne serait ce que dans le but de protéger la production agricole.

Nous travaillons beaucoup avec le CEMAGREF puisque ma direction est son premier client. Nous travaillons sur les questions de machinisme agricole. Mais nous devons également avoir une réflexion sur la nécessité d'éviter que différents outils de politiques publiques se télescopent. La politique agricole commune, telle que je la schématisais à l'extrême tout à l'heure, a conduit à un agrandissement accéléré des exploitations, à une course à la mécanisation, à la rentabilité vue sous le prisme des productions de masse. Les céréales françaises ne sont pas aujourd'hui les céréales les mieux valorisées au monde. Il faut donc mener une réflexion sur le modèle agricole. Peut-on avec d'autres itinéraires techniques produire autant de valeur ajoutée en préservant autant l'emploi et en nous désintéressant de la partie environnementale ? Nous sommes aujourd'hui dans la situation de mettre en cohérence la politique agricole avec les attentes des citoyens en matière de préservation des milieux naturels.

La Commission européenne mène une réflexion pour basculer dans une logique plus cohérente alliant souci de marché et préservation de l'espace. La crise de la vache folle et l'image dégradée de l'agriculture ont contribué au renversement de l'opinion au sein de la Commission. Ce renversement conduira à déplacer le curseur financier. Les aides à l'agriculture se porteront vers le modèle de développement rural. Dans ce cadre, se posera la question d'un appui technique aux exploitants, différent de celui que nous avons connu pendant trente ou quarante ans. Cependant, je me garderais bien d'accuser nos nombreux prédécesseurs qui, des années 1960 aux années 1980, ont permis cette formidable explosion de la production agricole. Nous sommes actuellement dans un virage. Sans doute avons-nous pris un peu de retard dans la formulation d'une politique agricole par rapport aux attentes exprimées par la société.

M. le Président - Le décalage est grand entre les attentes de la société et les agriculteurs. La crédibilité de l'administration qui viendra donner des conseils est en cause. Certaines personnes en place aujourd'hui ont touché des subventions pour faire le contraire de ce qui est actuellement préconisé. Demain, il faudra aller conseiller aux agriculteurs d'aménager leurs fossés alors qu'on leur a donné des primes il y a quelques années pour assécher les marais.

M. Henri Torre - Je suis d'une région qui a beaucoup contribué au déboisement et à l'arasement des talus. Je ne suis pas sûr que l'incidence soit si grande. Le ruissellement est lié aussi à la pente et à la perméabilité des sols.

M. le Président - Existe-t-il des études sur les conséquences du remembrement ?

M. Pierre-Eric Rosenberg - Pour la Bretagne, comme pour la Somme, deux missions interministérielles ont été mises en place. J'ai lu le rapport d'étape avec un certain soulagement. C'est pour cette raison que je suis aussi affirmatif. L'effet des pratiques agricoles et l'effet des modes d'aménagement des surfaces agricoles n'est pas avéré. Cependant, la question du ruissellement et des inondations est également liée, indirectement, à la gestion de l'eau d'une manière générale et donc à la qualité de l'eau. Or tout ce qu'on peut faire pour maîtriser la rétention de l'eau est également favorable à l'amélioration de la qualité. Dans les zones que vous évoquez, tout ce que nous ferons en matière de couverture d'hiver aura des effets positifs sur les sols.

La généralisation, dans la Somme en particulier, des plans de prévention des risques, avec la cartographie des zones inondables par bassin versant, me paraît un bon outil de prévention. Il me semble que l'ensemble des outils de prévention sont, pour l'instant, insuffisamment mis en oeuvre. Cette affaire doit mobiliser l'ensemble des partenaires. Cela concerne de nombreuses administrations : les administrations déconcentrées s'occupant de l'agriculture, les DIREN, le ministère de l'équipement, le BRGM. Nous aurions besoin, sur des zones à risque comme la Somme, de modèles, même rustiques, qui permettraient d'améliorer la connaissance des phénomènes et leurs prévisions. Ces modèles permettraient d'orienter les décideurs.

M. Jean-Guy Branger - Le registre de votre intervention me fait penser à la réflexion que l'on doit conduire au niveau des structures intercommunales avec les plans paysages qui seront obligatoires pour les contrats en 2003 entre l'Etat, la région, le département et le pays. La réflexion doit obligatoirement être conduite au niveau de l'aménagement sur un territoire donné reconnu comme pays non seulement en vertu de la loi Pasqua mais également en vertu de la loi Voynet. Votre direction me paraît tout à fait orientée sur les réflexions que l'on devra tenir.

Cependant, concernant les répercussions sur les inondations, je reste très dubitatif. Le déboisement et la forme des parcelles ont certainement eu des conséquences non négligeables. Mais il faut également évoquer le manque d'entretien des petits canaux et des petits ruisseaux situés en contrebas des champs, qui conduisent l'eau vers un canal ou une rivière et qui permettent l'évacuation. Les canaux n'ont pas été entretenus depuis parfois plus d'un quart de siècle. Je ne sais pas si la direction de l'espace rural et de la forêt a un droit de regard là-dessus. Mais il me semblerait important que cette dernière se préoccupe de cette question. Il s'agit en effet indiscutablement d'une des causes potentielles d'inondations.

Enfin, je constate que l'on reboise beaucoup plus depuis dix ans. Si une autoroute ou une route départementale sont créées, on est obligé de replanter. Pour l'instant, le reboisement paraît faible car une durée de dix années est courte pour de jeunes arbres. Mais il faudrait souligner davantage ce phénomène car de réels efforts sont accomplis.

M. Pierre-Eric Rosenberg - Au sujet des relations entre la politique territoriale et la politique d'aménagement, nous essayons, d'une part, de faire comprendre aux exploitants agricoles que cette dimension territoriale mérite qu'ils mobilisent leurs partenaires non agricoles, comme les associations environnementales. D'autre part, nous sommes en train de lancer, en lien avec la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR), une série de réunions interrégionales sur le thème de la politique agricole, du contrat territorial d'exploitation, de la politique des pays et des communautés de communes, afin que les partenaires des pays intègrent à la fois les contraintes et les apports du secteur agricole. Je ne suis pas sûr que cela ait un effet direct sur la prévention du risque d'inondation mais cela participe d'une réflexion commune et concertée sur l'ensemble des enjeux d'un territoire, y compris la prévention des risques naturels.

En ce qui concerne votre remarque sur l'entretien des cours d'eau, je voudrais dire que je n'ai aucune compétence en matière de gestion des fleuves et des rivières. Celle-ci relève de la compétence du ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement. En matière de canaux privés dans les exploitations agricoles, je serais plus prudent que vous. L'entretien des canaux accélère formidablement la circulation de l'eau et dégage la parcelle agricole. Cependant, quelques kilomètres en aval, cela peut accélérer de façon fantastique l'arrivée des eaux dans les lits majeurs des rivières et canaux. Ainsi, ces canaux peuvent être perçus dans certains cas comme des zones de rétention, plus que comme des zones de circulation. On sait que certaines crues ne peuvent être évitées, sauf à construire des murailles sans relation économique avec la probabilité de survenance des événements. Ainsi la crue de la Somme serait un phénomène qui reviendrait tous les cinq cents ans. Le projet de loi sur l'eau prévoit la mise en place de nouvelles servitudes pour zone d'expansion des eaux. Effectivement, certains terrains agricoles pourraient être grevés d'une servitude de façon à organiser ces bassins d'expansion. La gestion des zones d'expansion pose la question de la rémunération d'un service qu'un agriculteur peut apporter à la collectivité. Il faut ouvrir le débat sur la rémunération de services non marchands.

M. le Président - Je vous remercie et nous garderons contact avec vous.

14. Audition de M. Thierry Franck, sous-directeur des assurances à la direction du Trésor au ministère des Finances (7 juin 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons M. Thierry Franck, sous-directeur des assurances.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Thierry Franck .

Vous êtes venu vous exprimer sur un problème qui intéresse notre commission : les inondations de la Somme. Je pense que la manière la plus simple de procéder consiste à vous laisser la parole dans un premier temps. Nous allons vous écouter puis nous vous poserons des questions ensuite. Vous avez la parole.

M. Thierry Franck - Merci, Monsieur le Président. Vous m'aviez envoyé quelques questions en préparation de notre discussion. Je vais rapidement y répondre.

Le premier point de mon exposé concernera l'évaluation des dégâts provoqués par les inondations de la Somme. Il s'agit de resituer cet événement par rapport aux catastrophes passées que nous avons déjà connues en France. Aujourd'hui il est encore très difficile d'estimer les dégâts en raison de la spécificité de cette inondation : sa longueur. L'évaluation n'est pas possible tant que l'eau ne se sera pas complètement retirée. Même lorsque cela sera le cas, l'estimation restera assez délicate pour certaines habitations en raison de la durée inhabituelle de l'inondation. A ce jour, nous disposons d'une fourchette d'estimation assez large pour les risques assurés, comprise entre 600 millions et un milliard de francs. Je parle uniquement de risques assurés car je ne possède pas d'estimation sur les sinistres non assurés.

Par rapport aux autres catastrophes de la catégorie inondation, celle de la Somme est significative mais reste inférieure à la moyenne. Je vais vous citer quelques exemples récents que nous avons encore en mémoire. L'inondation de Nîmes, en 1988, avait causé 1,9 milliards de francs de dégâts assurés. Vaison-la-Romaine, en 1992, avait coûté 1,6 milliards de francs. En novembre 1999, l'inondation dans l'Aude, l'Hérault, les Pyrénées-Orientales et le Tarn avait représenté 2 milliards de francs de dégâts assurés. Ceci peut vous donner un ordre de grandeur. Pourquoi cette inondation spectaculaire de la Somme est-elle a priori d'un coût moins élevé ? Cela s'explique notamment par le fait que le nombre de communes concernées est comparativement moins important. Par exemple, en Bretagne, au cours de l'hiver 2000-2001, 326 communes ont été affectées par un tel sinistre. Ce nombre est moins important dans la Somme avec 107 communes concernées. Par ailleurs, les inondations de plaine occasionnent en règle générale beaucoup moins de dégâts que les pluies torrentielles de montagne. Ceci étant, il est probable que le coût par sinistré de l'inondation de la Somme sera plus élevé que la moyenne, la longue durée d'une crue provoquant des dommages plus importants. Même si cela reste encore incertain, on peut penser que le coût sera d'environ 150.000 francs par sinistré alors que sur les douze dernières années, le coût moyen d'un sinistre se situait à 33.000 francs par personne. J'ai également oublié de citer le coût de la l'inondation la plus récente avant la Somme, celle de Bretagne. Elle a, pour sa part, représenté 450 millions de francs de sinistres assurés.

L'inondation de la Somme se trouve donc en deçà du coût moyen des inondations, qui se situe à 1,5 milliards de francs. Cependant, les inondations ne constituent pas le principal poste de dépense du régime des catastrophes naturelles. Le poste le plus important est lié à la sécheresse et plus spécifiquement au risque de subsidence. Ce phénomène concerne les habitations en sols argileux. Pour vous donner un ordre de grandeur, entre 1989 et 2000, son coût s'est élevé à 22 milliards de francs alors que les inondations n'ont coûté que 12,7 milliards de francs pendant la même période.

Le second point de mon exposé portera sur le bilan financier global du régime des catastrophes naturelles et, plus généralement, son fonctionnement. Ce dispositif repose avant tout sur les mécanismes de marché : l'assurance est réalisée par les sociétés d'assurance. L'assurance sur les catastrophes naturelles est obligatoirement accessoire à celle portant sur les habitations. Les sociétés sont libres de se réassurer ou de ne pas le faire. Elles sont également libres de se réassurer auprès de la Caisse Centrale de Réassurance ou auprès d'un autre établissement. Quelques-unes, principalement d'origine étrangère, le font ailleurs. Mais pour l'essentiel, les sociétés d'assurance se réassurent auprès de la Caisse Centrale de Réassurance. Cette dernière joue le rôle normal et traditionnel de réassureur. Néanmoins, le dispositif est encadré par les pouvoirs publics, qui apportent la garantie de l'Etat à cette caisse. Ils décident également du taux de prime qui doit lui être payé. Le deuxième rôle des pouvoirs publics réside dans la déclaration de catastrophe naturelle. Les maires préparent des dossiers qui passent par la préfecture puis sont transférés au ministère de l'Intérieur. Une commission interministérielle statue, d'un point de vue technique, afin de déterminer s'il y a état de catastrophe naturelle. Enfin, un arrêté est publié spécifiant toutes les communes concernées. Pour des catastrophes d'une certaine ampleur, telle que l'inondation de la Somme, qui ont un impact particulier sur les personnes, la pratique est maintenant assez bien établie. Les assureurs, lorsqu'il n'existe pas de doute sur le caractère de catastrophe naturelle, proposent en règle générale des avances, sans attendre l'expertise finale.

En termes financiers je vais vous citer quelques ordres de grandeur pour les compagnies d'assurance. En 1999, l'ensemble des primes qu'elles ont encaissé au titre des catastrophes naturelles s'élevait à environ 780 millions d'euros. Sur cette somme, les sociétés ont cédé 364 millions d'euros de prime aux réassureurs, c'est-à-dire, pour l'essentiel, à la Caisse Centrale de Réassurance. Pour les sinistres de l'année 1999, exceptionnelle par le nombre de catastrophes naturelles de grande importance qui s'y sont produites, les assureurs ont directement payé ou mis en provision avant le paiement un montant de 1.045 millions d'euros. Au total, pour l'ensemble des sociétés d'assurance françaises, on aboutit à un résultat technique, qui correspond au résultat d'exploitation des entreprises traditionnelles, de 21 millions d'euros. Par exemple, l'année précédente, il s'élevait à moins 23 millions d'euros. A la fin des années 1990, on peut donc constater que globalement, le régime des compagnies d'assurance est tout juste équilibré en terme d'exploitation. Evidemment, la Caisse Centrale de Réassurance, notamment au cours de l'année 1999 a comblé la différence existant entre les charges conséquentes et les primes reçues. Sa situation s'est donc sensiblement détériorée au cours de l'année 2000 et la garantie de l'Etat a dû être mise en oeuvre.

M. le Président - Pour quel montant ?

M. Thierry Franck -La somme finale est encore difficile à préciser au million d'euros près car les sinistres ne sont pas encore tous décomptés. Normalement, le coût pour l'Etat devrait avoisiner les 400 millions d'euros. C'est la première fois que cette clause a joué depuis l'instauration du régime sur les catastrophes naturelles.

Le Gouvernement a pris des mesures pour pallier à des dérives au sein de ce régime. Des mesures techniques ont été adoptées afin d'améliorer la mesure de l'intensité de l'anormalité du phénomène de sécheresse préalablement à l'éventuelle déclaration de catastrophe naturelle. A l'avenir, le régime sera probablement un peu moins généreux pour le risque de subsidence car nous avons amélioré l'évaluation du caractère exceptionnel de l'événement. Au-delà de cette mesure, nous sommes évidemment attentifs à l'évolution des sinistres et des catastrophes naturelles. Il est aujourd'hui difficile d'affirmer que leur fréquence et leur intensité augmentent. Pour l'instant, nous ne pouvons pas prétendre détenir une preuve scientifique de l'accroissement de ces risques. Je crois également savoir que si les météorologues ont quelques présomptions concernant une future modification du climat qui viendrait accroître les évènements d'intensité extrême, rien n'est encore démontré. Mais nous restons attentifs à ce point.

En tout état de cause, le régime a été malmené en raison de la sécheresse et de l'année exceptionnelle qu'a constitué 1999. D'autres mesures ont donc été prises. La première est uniquement d'ordre financier. Elle a consisté à relever le taux de prime « catastrophes naturelles » d'un tiers, passant de 9 à 12 %. Nous avons également supprimé la participation du régime aux dépenses d'administration des sociétés d'assurance, ce qui représente une économie de 53 millions d'euros par an. Mais la mesure financière la plus importante reste l'augmentation du taux de prime.

Par ailleurs, le deuxième volet de la réforme correspond à l'introduction d'incitations à la prévention avec la modulation des franchises depuis le 1 er janvier 2001 -réévaluation de son montant en fonction du nombre de sinistres et de l'existence ou non d'un PPR. Je viens donc de vous citer l'essentiel des dispositions prises. Aujourd'hui, il est encore un peu tôt pour juger si cet ajustement est suffisant. On peut néanmoins noter que la situation de la Caisse Centrale de Réassurance devrait s'améliorer significativement cette année. Il semble que l'on retrouve une situation satisfaisante. Concernant la prévention des risques, nous constatons depuis le début de l'année une multiplication considérable des plans de prévention des risques. Les crédits pour les PPR ont quadruplé entre 1997 et 2000. Cette année, ils s'élèvent à 100 millions de francs. Les assureurs financent les plans de prévention par l'intermédiaire du fonds de prévention des risques majeurs. Dans la Somme, les règles de modulation des franchises ont manifestement stimulé la prescription de plans de prévention dans le département. Ce mouvement est loin d'être achevé. Aujourd'hui, un tiers des communes particulièrement sujettes à des risques naturels bénéficient d'un plan de prévention des risques. Il reste donc encore du chemin à parcourir. A ce stade, nous restons attentifs à l'évolution du régime. Il n'est pas envisagé de réforme supplémentaire à court terme.

Dans vos questions préparatoires, vous mentionnez le rapport de la Cour des Comptes. Une partie de ses recommandations a déjà été mise en oeuvre. Cependant, une proposition n'a pas été retenue par le gouvernement. Il s'agit de la modulation des primes en fonction du risque. Cette décision s'explique par deux raisons : une raison de principe et une raison pratique. La première tient au fait que ce régime d'assurances catastrophes naturelles repose sur un mécanisme de solidarité nationale. Il est vrai qu'un ménage parisien habitant au troisième étage d'un immeuble est très peu susceptible de subir une catastrophe naturelle. Ce ménage est donc a priori moins sujet que des personnes en milieu rural, qui habitent à proximité d'une rivière. Mais le législateur a choisi en 1982 d'introduire dans le dispositif une certaine solidarité entre les personnes plus ou moins sujettes au risque de catastrophe naturelle. Il existe également une raison d'ordre pratique : pour être véritablement efficace, la modulation doit être extrêmement précise. En d'autres termes, un système de bonus-malus ne fonctionnerait pas car il n'y a pas suffisamment de sinistres pour que le système renseigne correctement les risques. Il faudrait que ces derniers soient analysés habitation par habitation, ce qui occasionnerait des dépenses extrêmement élevées.

Cette notion constitue d'ailleurs un des éléments clefs du rapport de la Cour des Comptes. Les mesures sur la prévention et les franchises vont évidemment dans ce sens. Cependant ce type de risque possède une caractéristique : la prévention relève pour un part importante des pouvoirs publics et non pas des assurés eux-mêmes. De ce point de vue, d'autres mécanismes jouent. Sur le marché de l'assurance qui n'est pas encadré réglementairement et où, notamment, il n'y a pas pour les sociétés d'assurance d'obligation d'assurer, les personnes qui s'offrent au risque sans prendre de mesures ne trouveront pas d'assureur tant qu'elles n'auront pas donné satisfaction en matière de prévention. Mais en matière de catastrophes naturelles, il y a obligation d'assurer à titre accessoire un bien lui-même assuré. Je connais l'exemple d'un assuré particulièrement exposé. Il s'agit d'un supermarché installé trop près d'une rivière. En 1999, il avait obtenu 100 millions de francs de primes de la part d'un assureur, qui ne voulait plus l'assurer. En toute logique, le supermarché aurait dû déménager mais il s'y refusait. Comme il ne trouvait plus d'assureur, le mécanisme du bureau central de tarification s'est enclenché. Si le bureau peut exiger qu'une société d'assurance accepte de couvrir le supermarché il est également habilité à prendre des mesures tarifaires compte tenu de la particularité du dossier. Il a renforcé les franchises, ce qui va rendre les conditions d'assurance économiquement non viables pour le supermarché et le poussera sans doute à déménager.

Par ailleurs, les assureurs eux-mêmes sont plus sensibles qu'auparavant au régime des catastrophes naturelles et ils commencent petit à petit à jouer un rôle plus actif. Ils réalisent une approche dossier par dossier, notamment par rapport aux entreprises. Ils ont donc une démarche plus active vis-à-vis des assurés. En conclusion, ce régime ne déresponsabilise pas financièrement les compagnies d'assurance.

Je crois que vous souhaitiez également avoir un aperçu des mécanismes existant dans d'autres pays. Le régime français des catastrophes naturelles constitue une sorte d'exception dans le monde actuel mais ne le sera sans doute plus dans le futur. Aujourd'hui, à ma connaissance, il existe des dispositifs du même type dans certains états des Etats-Unis particulièrement exposés à des risques naturels, notamment les ouragans. Mais ils sont un peu moins ambitieux que dans notre pays, puisqu'ils ne concernent qu'une seule catégorie de sinistres. Ce sont des programmes publics, qui se traduisent souvent par des subventions aux primes d'assurance. Mais en contrepartie, la couverture du risque est plafonné et ne porte pas sur les pertes d'exploitation. Ce mécanisme est donc limité.

Il est intéressant de noter que dans un pays comme l'Allemagne, les gens ont jusqu'à présent été peu assurés contre les risques de catastrophes naturelles. Mais le pays réfléchit actuellement à la mise en place d'un dispositif qui pourrait s'apparenter au nôtre. La Belgique va également bientôt annoncer son projet qui devrait être très proche du régime français. Il existe aussi des réflexions dans ce sens en Italie. Au Royaume-Uni, à ma connaissance, il n'existe pas de mécanisme public à ce jour, ce qui n'étonnera personne.

Je clos cet exposé pour vous laisser à présent poser des questions.

M. le Président - Je vous remercie monsieur le directeur. Je voudrais vous poser une question qui nous préoccupe. Qui prend la décision de ne plus assurer un bien qui a été inondé ? Comment est-elle signifiée à l'assuré ?

M. Thierry Franck - Le dispositif repose sur un mécanisme de marché. En d'autres termes, les assureurs sont individuellement libres d'accepter ou de refuser d'assurer une personne. Cependant, collectivement, il existe une obligation d'assurer, ce qui renvoie au système du bureau central de tarification, qui désigne un assureur et fixe un prix en tenant compte du risque.

Soit les pouvoirs publics compétents décident qu'une maison n'est plus habitable et dès lors la question ne se pose plus, soit les services de l'Etat la déclare habitable et l'habitant pourra automatiquement se faire assurer.

M. le Président - C'est une décision redoutable. La mise à l'index par rapport aux sociétés d'assurance peut éventuellement condamner l'existence d'un immeuble. Dans le cas d'inondation, est-il courant que des logements soient déclarés non habitables ?

M. Thierry Franck - J'ai cité l'exemple du supermarché...

M. le Président - C'est un exemple d'entreprise, mais qu'en est-il pour les habitations ?

M. Thierry Franck - Le mécanisme pour les habitations est le même que celui en vigueur pour le supermarché précédemment cité. Si, après plusieurs tentatives, une personne ne trouve aucun assureur, cela semble démontrer que son habitation présente un problème sérieux. En effet, les assureurs restent des commerçants et ils cherchent à réaliser des bénéfices. Si plusieurs assureurs refusent un client, nous pouvons présumer que l'habitation en question se trouve beaucoup trop exposée au risque. Cependant, l'assuré trouvera finalement un assureur puisque le bureau central de tarification y veille. Mais si les risques s'avèrent effectivement très élevés, il en subira le coût en terme de tarif et de franchise. Ce mécanisme à double détente permet de faire pression en faveur de la prévention mais il comporte, en dernier recours, un filet de sécurité. Logiquement, il devrait inciter les personnes à faire un choix : payer des tarifs d'assurance très élevés ou quitter leur logement.

M. Pierre Martin, Rapporteur - Vous venez de nous décrire le système existant pour le citoyen mais je souhaiterais savoir comment il fonctionne pour les communes. Le problème peut également se poser pour elles. Pourquoi, en effet, ne pas assurer certains biens communaux ? Cette question a-t-elle déjà été soulevée ? Comment les communes sont-elles assurées ? Peuvent-elles être assurées contre les catastrophes naturelles ?

M. le Président - Elles peuvent évidemment être assurées contre les catastrophes naturelles.

M. le Rapporteur - J'aimerais avoir des précisions car il semblerait que dans la circonstance on ne soit pas très sûr de ce point.

M. Thierry Franck - Il existe une subtilité : l'assurance catastrophe naturelle est un accessoire obligatoire de l'assurance dommage aux biens. Cependant, cette dernière n'est elle-même pas obligatoire. Dans les faits, pour les particuliers, la plupart d'entre eux la possèdent et sont donc automatiquement assurés contre les catastrophes naturelles. C'est en revanche moins courant pour les entreprises et les communes. Il semblerait que les communes n'ont pas toutes le réflexe d'assurer leurs biens. Nombre d'entre elles ne s'assurent pas et ne sont pas couvertes contre les catastrophes naturelles. Elles subissent donc de plein fouet les sinistres. A mes yeux, la plupart des collectivités locales devraient raisonner de la même manière que les particuliers. Mais ce n'est pas le cas. Je crois qu'effectivement certaines communes de la Somme ne sont pas assurées.

M. le Président - Qu'en est-il des biens non assurables ?

M. Thierry Franck - Effectivement, il existe quelques types de biens des collectivités locales qui ne sont pas assurables. Il s'agit principalement de la voirie. En effet, pour assurer un bien, il faut que l'assureur puisse valider son état. Or, il n'est pas imaginable de compter tous les nids de poule d'une voirie afin d'estimer son état de dégradation. Il en va de même pour les ouvrages d'art, les stations d'épuration, les jardins publics et les aires de jeu. Pour des raisons techniques, il n'est pas possible d'évaluer donc d'assurer ce type de biens. Mais l'essentiel des biens immobiliers des collectivités sont assurables.

M. Michel Souplet - Vous avez déjà partiellement répondu à la première question que je souhaitais poser. Nous allons nous trouver dans le cas de figure suivant dans le département de la Somme : des personnes vont retourner dans leurs maisons, or nous savons qu'elles devraient être démolies. Mais comme les gens souhaiteront à nouveau vivre chez eux, il va être excessivement difficile de leur expliquer qu'ils ne peuvent y rester. L'indemnité qui va leur être accordée va donc constituer une indemnité de reconstruction. Elle sera donc lourde. Sera-t-elle obligatoirement liée à la démolition ou permettra-t-on à ces personnes de reconstruire ailleurs sans contrepartie ?

Deuxième question, j'aimerais savoir si l'on connaît, au niveau national, la capitalisation totale des sociétés d'assurance. Combien représente-t-elle ?

M. Hilaire Flandre - Ma première question porte sur l'évolution de la prime catastrophe naturelle depuis la création du régime. Vous nous avez dit que le taux était passé de 9 à 12 %. A l'origine, il me semble qu'il était de 6 %. Cela semble démontrer que la montée en puissance du régime engendre un certain laxisme dans la déclaration de catastrophe naturelle. Qu'en pensez-vous ?

Deuxième question, pensez-vous que la création d'un système d'assurance récolte dans le régime agricole peut soulager le régime catastrophe naturelle ?

M. Thierry Franck - Pour répondre à la première question de Monsieur Souplet, il faut distinguer deux cas. Dans le premier cas, si on constate un danger pour la vie humaine, les habitants sont expropriés par l'Etat et indemnisés par l'Etat au titre de l'expropriation. Le régime des catastrophes naturelles n'est alors plus concerné. Mais dans l'autre cas, les contrats d'assurance, en règle générale, remboursent le montant correspondant à la réparation des dommages, dans la limite de la valeur du bien réparé.

M. le Rapporteur - Mais qu'en est-il du terrain ?

M. Michel Souplet - Le prix du terrain dans ces zones est en train de s'effondrer : il a brusquement été divisé par trois.

M. Thierry Franck - Effectivement, si mes propos s'appliquent au bâti, on peut penser que pour le terrain il reste globalement un coût subsistant pour l'assuré. Nous ne pouvons nier qu'il existe des coûts de friction qui ne sont pas négligeables.

Je ne comprends pas ce que vous entendez par le terme « capitalisation » dans votre deuxième question.

M. Michel Souplet - Vous avez dit par exemple que le résultat financier de l'ensemble des produits financiers s'élevait à 100 millions d'euros, par rapport à 780 millions d'euros d'encaissements. A quel volume de capitalisation correspondent ces 100 millions d'euros ?

M. Thierry Franck - Je n'ai pas le chiffre précis que vous demandez, à savoir l'ensemble, en régime de croisière, des provisions sur les sinistres. Mon ordre de grandeur est très approximatif. Comme ce sont des risques à développement court, les assureurs doivent avoir en provision environ un an de sinistres. En outre, le chiffre peut varier considérablement d'une année sur l'autre et aller du simple au double. Je ne connais pas la réponse exacte mais je pourrais vous la communiquer ultérieurement.

M. Hilaire Flandre - Il s'agit simplement de faire la balance entre les entrées et les sorties.

M. Thierry Franck - Concernant la question de monsieur Flandre, le premier taux, à la mise en place du régime, s'élevait à 6 %. Les personnes ayant réalisé les estimations de l'époque se sont rendu compte assez rapidement qu'elles avaient pêché par optimisme. Il y a notamment eu des inondations conséquentes dès 1982 et 1983, ce qui a immédiatement déséquilibré le système. Nous sommes donc très vite passés à 9 %, dès 1983.

M. Hilaire Flandre - N'avez-vous pas le sentiment que l'on déclare maintenant plus facilement des évènements comme catastrophes naturelles par rapport au début des années 80 ?

M. Thierry Franck - Cela correspond sans doute à deux phénomènes. Initialement, certaines communes ne constituaient sans doute pas de dossiers alors qu'elles auraient pu le faire. Un tel dispositif nécessitait une information des élus et une mise en place progressive avant d'atteindre son régime de croisière. Mais il me semble qu'il est à présent suffisamment connu depuis plusieurs années.

Par ailleurs, nous avons effectivement constaté une dérive du risque de subsidence. Nous ne l'avions pas anticipée. Nous avons clairement le sentiment que des exagérations ont eu lieu petit à petit car nous ne disposions pas d'une technique suffisamment fine pour déterminer l'intensité exceptionnelle de l'événement. Aujourd'hui, nous possédons une telle méthode et elle est assez efficace. Des départements et des communes avaient, semble-t-il, pris l'habitude d'un certain laxisme en raison de ce problème technique.

M. le Président - Merci monsieur le directeur pour ces précisions.

15. Audition de M. Michel Champon, sous-directeur de la défense civile et de la prévention des risques au ministère de l'Intérieur, accompagné de M. Antoine Marchetti, chef du bureau des risques naturels et technologiques et M. Jean-Claude Geray, chef du bureau de l'analyse et de la préparation aux risques (7 juin 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons M. Michel Champon, sous-directeur de la défense civile et de la prévention des risques au ministère de l'Intérieur, accompagné de MM. Antoine Marchetti, chef du bureau des risques naturels et technologiques et Jean-Claude Geray, chef du bureau de l'analyse et de la préparation aux risques.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Michel Champon, Antoine Marchetti, et Jean-Claude Geray .

Je vous laisse la parole, Monsieur le directeur pour un bref exposé liminaire. Nous vous poserons des questions adaptées ensuite.

M. Michel Champon - Monsieur le Président, Messieurs les sénateurs, permettez-moi, en mon nom et en celui de mes deux collaborateurs, MM. Marchetti et Geray, de vous dire que nous sommes à la fois émus, impressionnés et très honorés de comparaître devant cette commission d'enquête sénatoriale. Elle nous permet de faire un tour d'horizon sur la manière de gérer les crises que nos compatriotes de la Somme ont malheureusement dû subir. Je crois que c'est également le moment de clarifier un certain nombre de procédures et de modes d'approche sur ces dossiers délicats et compliqués.

Si vous me le permettez, Monsieur le Président, je recadrerai la gestion des affaires liées à la prévention des risques et à la planification des secours et je veux également mettre en perspective certaines idées toutes faites dans un contexte administratif et organisationnel.

Ainsi que vous l'avez indiqué en préambule, je suis effectivement sous-directeur de la défense civile et de la prévention des risques au ministère de l'Intérieur. Comme notre ministre, Monsieur Daniel Vaillant, l'a déjà expliqué, derrière le terme « prévention des risques » se cachent des réalités qui sont fondamentalement diverses. En effet, il faut savoir que le ministère de l'Intérieur et en particulier ma sous-direction n'a de responsabilité totale et réelle en termes de prévention que par rapport au risque incendie et au risque de panique dans les établissements recevant du public et aux immeubles de grande hauteur. Ce sont des sujets très difficiles que certains d'entre vous, en tant que maires, connaissent bien par le biais des commissions de sécurité. Dans la mesure où le ministère de l'Intérieur, en particulier par le réseau des préfets, a la responsabilité d'anticiper, d'organiser et de gérer la crise, ma sous-direction a pour tâche de s'occuper de la mise en oeuvre de la planification d'urgence. Je rappelle qu'elle est établie par des textes législatifs telle que loi du 22 juillet 1987 sur la sécurité civile, qui prévoit deux points. Sur un plan pratique, elle stipule que les plans de secours appartiennent à deux familles : une famille de plans généralistes et anciens, les plans ORSEC et celle des plans d'urgence, notion apportée par la loi en 1987 à la suite de directives européennes traitant spécifiquement des risques technologiques. Les plans d'urgence se déclinent en trois sous-familles : les plans particuliers d'intervention, qui concernent des sites à risques, les plans rouges, à forte dominante hospitalière et médicale puisqu'ils permettent de porter secours à des blessés et la sous-famille des plans de secours spécialisés, dont les inondations font partie, au niveau de leur traitement et de leur planification.

La loi de 1987 et son décret d'application du 6 mai 1988 ont été très clairs : la rédaction et la mise en oeuvre des plans de secours appartiennent aux préfets de département ou des zones de défense qui constituent une structure opérationnelle originale de notre administration. Cela signifie qu'en réalité, le niveau central ne possède ni la capacité ni les moyens de tenir la plume et de vérifier dans le détail ce qui est réalisé au plan local. Notre mission consiste davantage à établir la doctrine, à réfléchir sur les modes opératoires et les processus de riposte opérationnels et à donner le cas échéant des outils aux préfets. Mais la logique de notre système consiste à laisser au pouvoir local à la fois l'appréciation du risque et l'organisation de la riposte en fonction des moyens dont il dispose et à l'environnement politique, social, culturel, etc. On constate ainsi dans nos services que les réactions de la population sur un type de risque identifié ne sont pas gérées obligatoirement de la même manière en Alsace, en Bretagne ou dans le Sud-Ouest.

A partir du moment où cette logique de planification de l'urgence a fait place à des développements scientifiques, d'expertise et de recherche tout à fait considérables, nous avons été amenés à nous préoccuper des aspects de prévention, même si cela ne correspondait pas initialement à notre vocation. En effet, il est clair qu'il faut connaître un risque, l'avoir préalablement analysé et avoir vérifié que toutes les mesures de prévention ont été prises pour que la planification puisse servir à gérer l'urgence et ce qu'il n'était pas possible d'anticiper. C'est un des éléments essentiels qui anime notre discussion aujourd'hui. Nous prenons donc en compte cet aspect prévention, à forte dimension interministérielle, même si nous ne le gérons pas en direct.

Le deuxième aspect de la prévention qui nous intéresse au niveau central concerne la prévention des crises. C'est la tâche et la noblesse du bureau que M. Jean-Claude Geray dirige depuis moins d'un mois. Nous nous sommes aperçus récemment qu'au sein de notre culture administrative, nous ne pouvions pas gérer une crise de manière amateur. Il faut de plus en plus installer nos échelons centraux, nos décideurs de terrains, les préfets, les sous-préfets et les Services interministériels régionaux des affaires de Défense et de protection civile (SIRACED-PC) que vous connaissez dans vos départements pour anticiper la crise. Il faut s'y préparer et s'y entraîner pour y faire face le moment venu. Cette notion de prévention des crises est très importante pour nous. Nous pourrons bien entendu y revenir puisque cela fait partie de vos questions. Nous vous indiquerons et M. Jean-Claude Geray le précisera, que depuis cinq ans environ, le ministère de l'Intérieur consacre des efforts très importants pour conduire l'adaptation des responsables de terrain à leurs postes et leurs responsabilités tout en ayant le souci permanent, avec humilité et modestie, d'actualiser nos doctrines, nos discours et nos modes de réaction. C'est ainsi que nous associons aux stages d'adaptation aux crises les grands partenaires des réseaux : France Telecom, EDF, la SNCF, etc. Nous tenons également à y faire intervenir un nombre croissant d'élus. A cet égard, lors des inondations de l'Aude, très différentes de celles que connaît la Somme, nous avons demandé à ce que le sénateur des Pyrénées Orientales, M. René Marquès, également maire de Saint-Laurent-de-la-Salanque, intervienne devant les sous-préfets pour leur communiquer les préoccupations, les soucis et les questionnements d'un grand élu local dans cette problématique de gestion de crise.

Par conséquent, nous sommes confrontés aux sujets que vous traitez au sein de votre commission : la planification de l'urgence, la gestion de la crise et l'information, y compris l'alerte de la population. Ces thèmes sont au coeur de nos préoccupations. Je me permettrais aussi d'indiquer que nous avons eu depuis trente quatre ans de multiples motifs de revoir nos discours et de travailler sur un certain nombre de sujets qui nous ont motivés. On a oublié que nous avons passé un an à préparer le passage à l'an 2000, qui a donné lieu à un travail considérable, source de véritables soucis. Même si cela n'est plus qu'un souvenir car tout s'est correctement déroulé, nous avons beaucoup travaillé avec les préfectures sur ce sujet. Nous avons également traversé les tempêtes de décembre 1999, les inondations de l'Aude mais également le dossier de l'Erika et de la réforme totale des plans Polmar, sans compter les interventions que nous avons réalisées sur les risques cycloniques et sismiques dans les départements et territoires d'Outre-mer. Je passe également sur l'aspect du risque technologique qui nous a beaucoup occupés avec l'accident du tunnel du Mont Blanc : nous sommes en train de revoir complètement l'appareillage législatif sur la sécurité des infrastructures françaises.

Les inondations de l'Aude nous ont permis de souligner un point essentiel, que votre commission a déjà traité : la problématique de l'alerte météorologique. Je crois que dans certains de vos travaux vous avez déjà évoqué des bulletins régionaux d'alerte météorologique (BRAM). Certaines de vos questions portent sur la gestion de ce système. Celui-ci remonte à une dizaine d'années. Il n'était pas satisfaisant car il n'anticipait pas suffisamment, manquait de clarté dans ses informations et ne qualifiait pas l'événement auquel nos compatriotes allaient être confrontés. Par conséquent, depuis un an et demi nous sommes en train de revoir de fond en comble la procédure d'alerte météorologique. M. Antoine Marchetti pourra développer ce point si vous le souhaitez. Les BRAM doivent disparaître à partir du 1er octobre. Nous allons passer à une autre dimension, qui s'appuiera sur deux innovations principales. La première consiste en l'émission, deux fois par jour, d'une carte de vigilance par Météo France. Elle permettra d'avoir une vision d'un phénomène météorologique avec douze heures d'avance au moins et sera diffusée immédiatement à tous les médias et à toutes les populations. Dans un deuxième temps, les cartes de vigilance seront accompagnées de bulletins de suivi qui permettront aux élus et aux citoyens d'être informés en permanence sur les moyens mis en oeuvre et les comportements à adopter.

Concernant la gestion de crise et l'information, M. Jean-Claude Geray pourra vous préciser le développement de notre CD-Rom de gestion de crise, en préparation depuis un an. Le hasard veut que nous avons choisi pour ce support un thème qui nous tenait à coeur : le risque inondation. Nous pensons sortir ce CD-Rom d'ici la fin de l'année.

Nous pourrons également évoquer la refonte des plans de secours. Elle constitue une nécessité absolue à laquelle nous réfléchissons depuis au moins trois ans. En effet, comme je l'indiquais précédemment, la loi de 1987 et le décret de 1988 ont mis en place des familles de plans d'action et de réponse opérationnelle destinés essentiellement à porter secours à des victimes. La plupart du temps, ils constituent d'ailleurs davantage des schémas d'organisation opérationnelle qu'un détail des actions à mener sur le terrain. Nous voulons absolument modifier ces plans car ils ne nous paraissent plus satisfaisants. Deuxièmement, les crises deviennent de plus en plus diffuses et multiformes, comme l'illustre l'exemple de la Somme, et nous revenons à une idée d'organisation opérationnelle générale permettant aux préfets, en partenariat avec les élus locaux, de faire face à tous les types de situation. Nous nous sommes aperçus lors d'expériences récentes que l'on demandait aux préfets de mettre en place des systèmes de gestion de crise pour la vache folle ou la fièvre aphteuse alors qu'il n'y a pas de secours organisés.

Pardonnez la longueur de mon exposé mais je souhaiterais également indiquer un point important pour l'actualité de nos travaux : toutes ces réflexions se déroulent au moment où deux réformes très importantes ont lieu concernant l'organisation territoriale des secours. D'une part, la départementalisation des services d'incendie et de secours a complètement bouleversé notre paysage. Les maires le savent bien puisque auparavant leurs centres de secours étaient à leur disposition. A présent, ils ont conservé leurs responsabilités mais ne détiennent plus les moyens. Cette logique de départementalisation des sapeurs pompiers est mise en place avec la notion du Schéma départemental d'analyse et de couverture des risques (SDACR). D'autre part, la professionnalisation des armées a obligé nos organisations et la coopération civilo-militaire de terrain à revoir complètement leurs modes de fonctionnement. Dans beaucoup de départements, il n'y a à présent plus de régiments, alors qu'auparavant la majorité des départements avaient des régiments d'appelés à disposition que les préfets pouvaient utiliser très facilement. Cette époque est révolue. En raison de la professionnalisation et du formatage des armées qui a placé le ministère de l'Intérieur dans une logique de « verticalisme » vis-à-vis du ministère de la Défense. Certes, le préfet peut localement faire part de ses demandes via le délégué militaire départemental qui lui-même peut s'adresser au niveau zonal à l'officier général de zone de défense. Mais finalement, tout est décidé par le Centre Opérationnel Inter-Armées (COIA), au ministère de la Défense. Nous devons donc nous habituer au nouveau processus de décision.

J'aborderai très rapidement un chantier que nous allons essayer de concrétiser en 2001. Il s'agit du dispositif d'alerte aux populations. En France, il me semble que nous avons quelque peu oublié depuis plusieurs années la nécessité absolue d'alerter et d'informer les populations en cas de crise. Or, notre réseau national d'alerte, comme vous le savez, est très ancien avec ses sirènes testées tous les premiers mercredi du mois. C'est un dispositif de défense passive qui ne correspond plus à la réalité des risques nouveaux que nous devons gérer. Nous avons en projet pour cette année la refonte totale de ce réseau, qui constitue une nécessité absolue pour nos citoyens, comme nous pouvons le constater lors de certains évènements. Les populations doivent non seulement être alertées mais accompagnées dans leurs démarches par une information immédiate.

Par ce propos liminaire, monsieur le Président, je tenais surtout à resituer le paysage qui relève de ma responsabilité, que j'assume totalement et avec beaucoup d'enthousiasme. Nous nous trouvons au coeur de véritables enjeux pour nos concitoyens, l'Etat et ses partenaires au plan local, les élus. A moins que vous ne souhaitiez que mes collaborateurs et moi-même développions certains points, nous sommes prêts à répondre à vos questions.

M. le Président - Merci Monsieur le directeur pour votre description du système qui nous permet de mieux comprendre ses tenants et ses aboutissements. Nous allons passer immédiatement aux questions. Je laisse la parole à monsieur le rapporteur.

M. Pierre Martin, Rapporteur - J'ai une question très simple à vous poser. Vous nous avez signalé que vous gérez le risque incendie. Mais de qui dépend donc la prévention du risque inondation ?

M. Michel Champon - La prévention du risque inondation revient clairement au ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement et en particulier à la direction de la prévention des pollutions et des risques dont le directeur est par ailleurs délégué aux risques majeurs. Nous collaborons avec eux car leurs réalisations en matière de prévention, de culture du risque et de travail sur le terrain, avec notamment les PPR nous intéressent car elles nous permettent de déterminer l'organisation de la réponse opérationnelle. Mais la dimension de prévention du risque inondation ne nous appartient en aucune manière.

M. le Rapporteur - A travers une audition précédente, nous avons constaté que l'état de catastrophe naturel était déclaré de plus en plus souvent. Peut-être la fréquence des catastrophes s'accroît-elle. Si tel est le cas, pourquoi ne pas imaginer une cellule capable, à tout endroit du pays, de faire face lorsque l'événement se produit ? Dans la Somme, qui comporte de nombreuses petites communes, des moyens ont été mis en place mais pas de manière immédiate car ils ont dû être organisés dans un premier temps. N'est-il pas possible de mettre en place une structure capable d'intervenir immédiatement pour ce genre de risque ?

M. Michel Champon - On peut bien entendu tout imaginer. Je ne comprends néanmoins pas bien ce que vous entendez par le terme « cellule. » Dans l'organisation actuelle des choses, il revient au préfet d'organiser cette symbiose autour de lui et d'assurer, lors de crises, la liaison avec les élus, les entreprises et les populations. Par définition, la cellule dont vous parlez est le centre de crise du préfet.

M. le Rapporteur - Je prendrai un exemple qui a eu lieu à Lille. Après l'annonce de crue, nous nous sommes interrogés sur la destination de cette information. Dans un premier temps, monsieur le préfet n'a pas pu, me semble-t-il, signaler l'information et mettre en place cette cellule pour faire face, le cas échéant au problème quand il allait se poser.

M. Michel Champon - Votre question, monsieur le rapporteur, comporte deux dimensions différentes. Effectivement, j'ai entendu lors de certaines auditions que certaines personnes parlaient de BRAM et d'autres de CIRCOS concernant cette affaire. Il faut premièrement savoir qu'il n'y a pas de CIRCOS à Lille.

M. le Rapporteur - Nous l'avons découvert à cette occasion.

M. Michel Champon - Oui, c'est malheureusement un maillon encore faible de notre dispositif mais le CODIS 59 joue le rôle de remplaçant. Deuxièmement, il faut être extrêmement clair par rapport au BRAM. Dans l'affaire qui nous préoccupe, nous avons vérifié qu'il n'y a pas eu de BRAM et ce, pour une raison très simple : les précipitations qui se sont abattues dans le département de la Somme ont pris de l'importance en raison de leur durée et non pas de leur intensité. Météo France nous l'a expliqué. Or, à l'heure actuelle, aucun service n'est, à ma connaissance, capable de modéliser l'effet d'une précipitation sur un bassin. Le maréchal Joffre a un jour dit : « Je ne sais pas qui a gagné la bataille de la Marne mais je sais très bien qui l'aurait perdue. » De fait, à présent on sait que le niveau de la nappe phréatique était élevé, qu'elle avait déjà débordé et que les précipitations n'ont fait qu'aggraver la situation. Mais je veux être très clair sur le processus que nous gérons : il n'y a pas eu d'alerte météorologique sur le bassin de la Somme.

M. le Rapporteur - Si, ils nous ont avertis début février.

M. Michel Champon - Effectivement, ils nous ont avertis que cela pouvait arriver.

M. le Rapporteur - Non, ils ont dit que cela allait arriver. Il faut être clair sur ce point.

M. le Président - Nous approfondirons cette affaire. Jean-Pierre Besson nous a déclaré qu'un BRAM a été émis mais que personne ne l'a reçu.

M. Michel Champon - Nous avons vérifié au centre opérationnel du ministère de l'Intérieur : aucun BRAM n'a été émis. En revanche, il y a eu des Bulletins d'Alerte Précipitations (BAP) que ni les CIRCOSC, ni le ministère de l'Intérieur ne reçoivent car ils sont uniquement destinés à informer les départements. Les BAP constituent un dispositif très particulier. Ils sont corrélés par rapport à des systèmes d'annonce des crues. Or, vous savez que ces derniers n'existent pas dans la Somme puisque vous avez interrogé mon ministre et M. Jean-Claude Gayssot à ce sujet.

M. le Rapporteur - Cela nous a été déjà expliqué. Mais on nous a également déclaré qu'il y avait eu des BRAM.

M. le Président - Il est certain que ces bulletins d'annonce des précipitations se perdent puisqu'il n'existe pas de système d'annonce des crues dans la Somme.

M. Michel Champon - Vous parlez de BAP. Le cas du BRAM est complètement différent. Lors d'une véritable alerte météorologique, validée et qualifiée, comme par exemple un cyclone dans les départements d'Outre-mer, la chaîne d'alerte publique se met en place et les BRAM passent alors par le CIRCOSC, qui le répercute immédiatement dans toutes les préfectures, dans tous les centres opérationnels d'incendie et de secours mais également dans toutes les cellules d'astreinte des DDE. Lorsque l'alerte est claire et ciblée et qu'un BRAM est réellement émis, une chaîne d'alerte publique est immédiatement mise en place. Certes, elle est perfectible et c'est pourquoi je vous ai expliqué précédemment que nous organisions sa refonte mais je vous assure que tout BRAM émis est exploité par les services en charge de la vigilance opérationnelle.

M. Jean-Guy Branger - Le BRAM est un signal qui déclenche la mise en oeuvre du dispositif, puisque le CIRCOSC le répercute. En revanche, le BAP est informatif.

M. Michel Champon - Je suis assez mal placé pour parler de ce sujet car le ministère de l'Intérieur ne reçoit pas les BAP. Nous ne connaissons donc pas cette procédure. Mais je vous en ai déjà expliqué la logique et la cohérence : le BAP est destiné à informer les systèmes d'annonce de crue.

M. le Rapporteur - Lors des auditions d'hier, il nous a été dit que l'information, si elle avait été envoyée, devait arriver au CODIS 59.

M. Michel Champon - Je maintiens que si un BRAM avait été réellement émis dans la Somme, il serait arrivé à la préfecture, au CODIS 80 et à la DDE, qui détient de nombreuses autres responsabilités que le risque inondation.

M. Jean-François Picheral - Nous avons beaucoup avancé. C'est la première fois que nous entendons parler des BAP.

M. Hilaire Flandre - Si vous me le permettez, il faut rester réaliste. Dans mon département, nous sommes régulièrement informés des risques de crue. Mais la population ne s'en préoccupe pas. Même si la crue est annoncée, les citoyens ne réagissent pas car il est déjà arrivé qu'il ne se passe rien après une alerte. Le même phénomène se produit lors des avis de tempête. En décembre 1999, les pompiers sont passés dans les rues pour demander à la population de fermer fenêtres et volets. Si la tempête n'avait pas eu lieu le lendemain, les gens n'auraient plus pris l'avis au sérieux à l'alerte suivante. Dans la Somme, les habitants ont été avertis du risque d'inondation. Le préfet avait communiqué l'information aux maires mais comme cela ne s'était jamais produit, ils ne s'en sont pas préoccupés.

M. Jean-Guy Branger - Nous n'avons pas été prévenus de la tempête de décembre 1999.

M. Hilaire Flandre - La tempête a commencé le dimanche dans le Nord de la France. Toutes les chaînes de télévision ont averti qu'elle allait toucher le Sud du pays le lendemain.

M. le Président - Je pense que ce n'est pas le lieu approprié pour en discuter.

M. Michel Champon - Il est frappant de constater que dans la Somme il est souvent question d'inondations mais ces dernières n'apparaissent pas sous le titre de risque majeur. J'ai plusieurs documents qui étayent mes propos. Elles semblent être devenues un élément routinier. Mais de fait, sans vouloir en rien minimiser la détresse des habitants et des entreprises qui ont subi l'inondation, il n'y a pas eu de victimes. Certes, cet événement est dramatique sur le plan humain et social puisque des personnes sont obligées de vivre hors de leur logement. Je pense néanmoins que nous ne pourrons pas échapper à la vraie question que nous devrons trancher : ce type de situation nécessite-t-il vraiment la mise en place d'un système d'annonce des crues et une force d'action rapide ? Je pose clairement la question. Comme je vous l'ai indiqué précédemment, les évènements se bousculent dans notre paysage quotidien et il faut parfois garder son sang-froid pour analyser correctement un phénomène. Je suis très honnête avec vous. J'espère que vous me comprenez : je ne nie pas la détresse des familles ni les difficultés matérielles auxquelles elles se trouvent confrontées. Je rappelle simplement qu'il est nécessaire de faire la part des choses sur le plan opérationnel.

M. le Président - Par exemple, monsieur le directeur, il semble que la crise n'ait pas été suffisamment prise en compte à ses débuts. Si le plan Orsec avait été déclenché, les services du département et de la météorologie auraient été mobilisés. Or, après deux semaines, peu de personnes étaient conscientes du problème de la Somme. Pourquoi le plan Orsec n'a-t-il pas été déclenché pendant cette période ?

M. Michel Champon - Je vous rappellerai que si l'inondation de la Somme a fait de nombreux malheureux, il n'y a pas eu de victimes. D'autre part, il faut être clair : le plan Orsec est un schéma d'organisation opérationnel qui remonte aux années 50. Il est très généraliste : adaptable à toutes les situations, il prévoit essentiellement l'organisation de cellules de crise et la diffusion de l'information. En réalité, comme vous l'avez dit vous-même, son impact est essentiellement psychologique et il fait partie d'une certaine mythologie : « Si on déclenche le plan ORSEC, alors tout ira bien. » Dans la pratique, il ne change strictement rien à la situation. Je crois que le ministre de l'Intérieur vous a d'ailleurs bien précisé que les inondations constituent un phénomène très spécifique en termes d'organisation opérationnelle car si la prévention n'est pas réalisée en amont et si les mesures adaptées n'ont pas été prévues à l'avance, les moyens d'actions sont très limités. On ne peut que sortir les bottes et les barques et empiler les parpaings chez les gens. On ne peut rien faire d'autre dans la pratique.

M. le Rapporteur - Mais cela n'a pas suffi.

M. Michel Champon - Cela n'a pas suffi, effectivement. Cela ne peut suffire.

M. le Président - A la lueur de cette crise, il me semble, monsieur le directeur, qu'au fur et à mesure de la prise de conscience de l'événement les moyens ont été accumulés. Il y a eu notamment un tournant dans la gestion de la crise au moment où les militaires sont intervenus sur le terrain avec des moyens en hommes et en matériel. Vous nous avez indiqué que la coordination était désormais militaire et que les effectifs requis n'étaient plus dans le département. Ne pourrait-on pas prendre une décision afin de ne pas passer par Paris pour déclencher l'intervention des militaires ? Comment serait-il possible que chaque préfet ait des moyens militaires à disposition ?

M. Michel Champon - Je peux vous donner deux éléments de réponse. Premièrement, notre ministère et plus particulièrement notre direction disposent de régiments militaires de la Sécurité civile. Ce sont des unités militaires du Génie sous le commandement personnel du ministre de l'Intérieur, mis à disposition des préfets en cas de besoin. Cela a d'ailleurs été fait immédiatement dans le cas de la Somme, puisque les unités de sécurité civile sont montées en ligne dans ce département. Il faut également rappeler qu'ils étaient en même temps pris ailleurs à Vimy.

Concernant votre deuxième question, monsieur le président, vous devriez plutôt vous adressez au ministre de la Défense. La professionnalisation et le reformatage des armées, la disparition des régiments dans les chefs-lieux de départements me semblent obliger le ministère de la Défense à gérer son dispositif au niveau central. Il y a un problème de disponibilité opérationnelle, ne serait-ce que par rapport aux engagements internationaux de la France. Au niveau intellectuel, je suis tout à fait d'accord avec vous mais je ne suis pas sûr que votre idée soit réalisable dans la pratique avec la nouvelle politique de défense établie par le Gouvernement.

Cependant, le ministère de l'Intérieur et la direction de la défense civile en particulier explorent en profondeur une troisième dimension, encore sous-estimée et qui fait rire certains : l'utilisation intelligente des réserves de l'armée. Nous disposons nous-mêmes de réservistes que nous utilisons dans la gestion de crise. Ce sont des officiers d'état-major. Cela ne répond pas à votre question mais il faut que vous le sachiez. Ils jouent un rôle important en assurant les relais et en étant présents. Cela correspond aussi à l'engagement citoyen de personnes très motivées et disponibles pour soutenir les actions de la République. Deuxièmement, la gendarmerie lève des réservistes : des escadrons de gendarmerie mobile qui ne réalisent pas spécialement du maintien de l'ordre mais occupent de nombreuses fonctions militaires. Je crois que cette utilisation intelligente des réserves pourrait être un complément innovant dans notre disponibilité opérationnelle.

M. le Président - Y a-t-il d'autres questions ?

M. Michel Souplet - Sur le même thème, je me demande si ce dossier ne devrait pas quand même constituer une occasion très forte d'améliorer le système, pas seulement sur le problème qui nous concerne aujourd'hui, les inondations, mais sur la responsabilité des fonctionnaires. Dans beaucoup de cas, on constate l'impossibilité, pour des gens qui détiennent des responsabilités, de décider car ils sont dans l'obligation de transmettre d'abord. Quelque chose ne fonctionne pas dans le système. A partir de cet exemple de la Somme, il faudrait que nous parvenions à accorder aux personnes du terrain la possibilité de mieux exercer leurs responsabilités.

M. Michel Champon - C'est une véritable réflexion qui est en cours. Mais si on la met en perspective on s'aperçoit que lorsque des vies humaines sont en cause et qu'il y a une véritable situation d'urgence, personne ne refuse de prendre des décisions. Cela me semble clair. Même les militaires réagiront si une nécessité évidente et immédiate de porter secours surgit. Certes, il faut songer à réduire la chaîne de commandement comme vous le proposez. Mais quand on met en oeuvre des moyens lourds pour la collectivité, il est logique que cette dernière puisse essayer d'évaluer le rapport coût-avantage et le niveau de priorité de l'affaire qui lui est soumise.

M. Michel Souplet - Certes, mais de nos jours les médias nous fournissent l'information avant même qu'elle n'ait eu lieu. Cela crée une psychose. Prenons le cas de la vache folle : elle a fait trois morts en France. Mais la télévision n'a jamais annoncé que douze éleveurs s'étaient suicidés depuis. Elle n'a parlé que des trois cas d'infection. Quand un événement extraordinaire a lieu, si une information tronquée est immédiatement communiquée à la population, le refus des responsabilités devient plus grave.

M. Hilaire Flandre - Concernant la remarque de M. Michel Champon sur l'utilisation des réserves de l'armée, la fin de la conscription ne fera que les diminuer. En revanche, il ne faut pas négliger la mobilisation civile des bénévoles. Dans la Somme, les principaux problèmes rencontrés par les sinistrés étaient simples : mettre à l'abri leur mobilier, éventuellement évacuer leur habitation et pouvoir se reloger à un autre endroit. Ce genre de difficultés peut être réglé spontanément par un maire qui mobilise autour de lui l'ensemble de la population et tous les volontaires civils qui peuvent se présenter. Il ne faut pas utiliser des marteaux pilons à chaque fois que l'on veut écraser une mouche !

M. le Rapporteur - Si vous me le permettez, monsieur le Président, je vais rappeler la situation que nous avons connue en prenant pour exemple la commune de Fontaine-sur-Somme qui fait partie de mon canton. Une fois l'inondation constatée, on m'a emmené immédiatement voir la Somme et on y a trouvé une brèche. Tous les gens de bon sens ont pensé qu'il fallait la boucher car elle amenait de l'eau. Nous avons donc commencé à poser des parpaings. Mais pendant une dizaine de jours, on nous a dit qu'il ne fallait pas boucher la brèche et que nous ne pouvions pas intervenir. Au bout de cette période, l'armée est arrivée et a décidé de le faire en mettant des sacs de sable dans toutes les brèches. Nous avons été étonnés puisqu'on nous avait interdit de le faire. Ce genre de contradiction a duré un certain temps, ce qui explique les interrogations de la population. Mon exemple concerne une commune de 380 habitants. Mais il en existe bien d'autres qui ont rencontré le même problème et qui se sont retrouvées seules. Au bout d'une dizaine de jours, monsieur le Préfet a mis à disposition un coordinateur : le capitaine des pompiers. A partir de cette nomination la situation a changé. Mais auparavant, chacun s'imaginait qu'il allait devoir résoudre les difficultés seul. Je viens de vous résumer ce qui s'est passé sur le terrain.

M. le Président Nous arrêtons ici cette audition. Monsieur le directeur, MM. Marchetti et Geray, je vous remercie pour votre présence.

16. Audition de M. Pierre-Yves Givone, directeur scientifique adjoint au CEMAGREF et M. Bernard Chastan, adjoint au chef du département Gestion des milieux aquatiques (7 juin 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons M. Pierre-Yves Givone, directeur scientifique adjoint du CEMAGREF et M. Bernard Chastan, adjoint au chef du département Gestion des risques aquatiques.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Pierre-Yves Givone et Bernard Chastan .

Vous venez aborder le thème des inondations dans la Somme dans les domaines liés à votre compétence. Vous pouvez commencer l'exposé que vous avez préparé ; nous vous poserons des questions ensuite sur divers points.

M. Pierre-Yves Givone - Je vais rapidement présenter le CEMAGREF. Auparavant, je voudrais vous remercier, Monsieur le Président, de nous donner l'occasion de déposer devant vous. Le CEMAGREF est un centre de recherche qui a un statut d'établissement public à caractère scientifique, comme le CNRS ou l'INRA en France. Il est sous la double tutelle des ministères de la Recherche et de l'Agriculture et de la Pêche. Historiquement, le CEMAGREF était un centre technique du ministère de l'Agriculture, ce qui explique son positionnement en termes de recherche, plutôt lié à l'environnement et à l'agriculture au sens large. A présent, les recherches sont recentrées sur les impacts des activités entropiques sur le régime des eaux et les inondations en particulier. En effet, l'une de nos deux orientations stratégiques porte sur les risques naturels en général. Nous couvrons ainsi quatre risques principaux. Trois d'entre eux ne nous concernent pas aujourd'hui : les avalanches, les feux de forêt et les crues torrentielles en montagne. Le quatrième porte sur les inondations de plaine. Le CEMAGREF emploie 1.000 personnes sur neuf implantations en France métropolitaine, avec un budget annuel de 400 millions de francs, ce qui représente un potentiel scientifique de 600 ingénieurs chercheurs. Entre 100 et 120 thèses sont poursuivies. Si cette présentation succincte du CEMAGREF vous convient, je vais à présent passer au thème qui vous préoccupe.

Nous sommes sollicités depuis longtemps sur les inondations et plus récemment sur celle de la Somme. Concernant cette dernière, nous ne sommes pas intervenus avant les évènements mais après, à la demande de l'inspection générale de l'environnement. Nous avons donc à la fois fourni des experts et transmis un certain nombre d'informations. Même si nous n'avons pas traité le département de la Somme avant les inondations, nous sommes intervenus en réalisant des études de modélisation hydraulique dans des cas similaires concernant le Nord de la France. En particulier, nous avons étudié les problèmes d'écoulement dans un réseau complexe, maillé et proche de la mer, qui se retrouvent dans la Somme. Nous avons donc déjà traité des cas de même nature.

Nous vous avons amené plusieurs documentations qui ont toutes en commun d'être ciblées sur les inondations. Elles insistent sur la spécialité du CEMAGREF, c'est-à-dire l'étude de la prévention contre les crues. Pour faire une séparation thématique, nos recherches et études ne sont pas engagées sur la prévision en temps réel. Notre effort porte essentiellement sur les méthodes de prévention des crues en lien avec la gestion intégrée. Ces recherches se concrétisent à l'aval par des opérations d'appui aux politiques menées, et plus spécifiquement celles concernant l'aménagement du territoire : la gestion intégrée, le développement durable, la prise en compte du phénomène des crues dans la durée, la nécessaire intégration entre les dispositifs techniques et réglementaires et la capacité de négocier avec les facteurs du terrain.

A ce stade, je peux répondre aux questions que vous m'avez adressées mais peut-être préférez-vous que notre discussion soit un peu plus interactive.

M. le Président - Effectivement, il vaut mieux que nous vous les posions directement afin de ne pas manquer de point important. Monsieur le Rapporteur, vous pouvez commencer par la première question.

M. Pierre Martin, Rapporteur - Si vous le permettez, Monsieur le directeur, je souhaiterais vous demander si vous avez été sollicité dans le cadre des inondations de la Somme et avec quels objectifs.

M. le Président - Avez-vous été sollicité avant la crise ou après ?

M. Pierre-Yves Givone - Nous avons été sollicités à partir du moment où l'Inspection générale de l'environnement a mis en place sa mission, qui s'est entourée d'un certain nombre d'experts scientifiques dont nous faisons partie.

M. le Président - Pour prolonger la question du rapporteur, si on vous avait demandé d'intervenir sur l'ensemble du système du Nord, le pouviez-vous ? Etiez-vous un service d'Etat disponible ? Cela aurait-il coûté de l'argent ? Cela fait-il partie de vos attributions ? Si un président de Conseil Général d'une région ne sait pas gérer 200.000 hectares, êtes-vous capable de lui fournir un plan de gestion ?

M. Pierre-Yves Givone - Oui, sous réserve de deux points. Premièrement, il faut que la demande soit compatible avec notre programmation scientifique. Deuxièmement, sur nos 400 millions de budget, nous avons environ 80 millions de ressources propres. Ce genre d'action, proche de l'ingénierie nécessite donc l'établissement d'un contrat. Il y a donc un facteur financier.

M. le Président - Mais cela relève de vos missions.

M. Pierre-Yves Givone - Oui.

M. le Président - Avez-vous des concurrents dans le privé à compétence égale ?

M. Pierre-Yves Givone - C'est une très bonne question. Je vais y répondre franchement. Sur des études hydrauliques standards il existe effectivement une capacité d'ingénierie en France et donc plusieurs grands concurrents. Pour des études hydrauliques plus complexes, les concurrents deviennent plus rares. Pour les études extrêmement sophistiquées, les donneurs d'ordre préfèrent faire appel aux centres de recherche plutôt qu'à l'ingénierie quand ils estiment que la complexité du problème n'est plus du ressort de cette dernière.

M. le Rapporteur - Une étude pourrait-elle résoudre le problème de cette crue de nappe phréatique ? Pouvez-vous faire des propositions dans ce sens ?

M. Pierre-Yves Givone - Sans vouloir rentrer dans des problèmes techniques trop complexes, je voudrais simplement souligner qu'il est nécessaire d'expliciter le terme de « crue de nappe phréatique ». En fait, les inondations de la Somme correspondent à un mécanisme relativement standard de stockage d'eau par refus d'infiltration. L'eau ne remonte pas du centre de la Terre par un procédé « magique ». Nous ne nous trouvons absolument pas dans un tel schéma. Dans le cas de la Somme, il a plu et, par refus d'infiltration, l'eau s'est stockée où elle le pouvait, c'est-à-dire dans les accidents topologiques. Ce terme doit donc être explicité car il existe des cas où, par effet de vases communicants, il pleut à un endroit mais la nappe déborde ailleurs. Cette situation correspond réellement à une crue de nappe. Mais ce n'est pas le cas pour les inondations de la Somme, dont le scénario devient malheureusement courant depuis quelques années : la pluviométrie et les infiltrations ont été considérable et l'on se trouve dans une situation d'éponge pleine qui finit par déborder. Les vitesses d'écoulement relatives en infiltration et en ruissellement étant extrêmement différentes, il n'est pas possible d'évacuer par la nappe ce qui arrive par la pluie.

M. le Président - C'est un point d'explication dont le public devrait être informé.

M. Pierre-Yves Givone - Je pense effectivement qu'il faut tenir un langage très clair. Il ne faut pas qu'il y ait de confusion, d'autant plus que de nombreux débordements du réseau hydrographiques de la Somme ont eu lieu. Ils ont d'ailleurs été suffisamment violents pour que des « robinets » aient été ouverts ou fermés à certains endroits.

M. le Président - On a assisté à une conjugaison de plusieurs facteurs.

M. Pierre-Yves Givone - Effectivement, le paysage de la Somme a été de tout temps façonné par le rapport de l'homme à l'eau. C'est un facteur prépondérant et très ancien dans ce département. L'existence d'un réseau artificiel, maillé, complexe et comportant de nombreux ouvrages rend difficile l'arrivée d'un grand volume d'eau à fort débit. Il est alors extrêmement compliqué de réagir de manière pertinente puisque les capacités d'évacuation sont complètement déterminées par le réseau. Les marges de manoeuvre actuelles des ouvrages reliés à la mer et du réseau sont relativement limitées.

M. le Président - Elles sont limitées dans l'état actuel de l'ouvrage.

M. Pierre-Yves Givone - Oui. Il est clair que le système n'est pas dimensionné pour faire face à ce type d'événement.

Deuxièmement, je tiens également à signaler que dans une situation d'immersion généralisée, la topologie des écoulements devient complètement différente de celle que l'on connaît lorsque le réseau hydraulique fonctionne correctement. On se trouve alors à une hauteur qui dépasse de deux mètres le terrain habituel et les cheminements empruntés par l'eau ne sont absolument plus les mêmes qu'en temps normal. Cela explique que l'armée a dû intervenir en supprimant ou en modifiant des ouvrages qui bloquaient le système mis dans un contexte de submersion généralisée. La topographie d'écoulement s'est trouvée entièrement changée par rapport à la topographie naturelle et connue du réseau.

Je serai clair : je crains qu'il n'existe pas d'aménagement ou de solution technologique à ce problème. Les progrès ne peuvent être réalisés qu'à la marge. Il est possible d'améliorer la gestion de l'eau ou d'autres éléments du système. Mais technologiquement, dans les temps impartis pour le confort des riverains, nous ne possédons pas les moyens de supprimer les effets de ce phénomène. En clair, le seul moyen acceptable de résoudre le problème réside dans la gestion de l'occupation des sols.

M. le Président - Il s'agirait d'empêcher de construire à certains endroits.

M. Pierre-Yves Givone - J'irais même jusqu'à dire qu'il faudrait même détruire et ne pas reconstruire un certain nombre d'habitations existantes, ce qui, je l'admets, est une décision extrêmement lourde à prendre. C'est la seule réelle solution de long terme. On ne trouvera pas de réponse satisfaisante au niveau de l'équipement.

M. le Président - Autrement dit, même si on modifiait très fortement les possibilités d'écoulement, dans une hypothèse de pluviométrie comparable au dernier semestre 2000, nous serions à nouveau confrontés à la même situation d'inondation qu'actuellement.

M. Pierre-Yves Givone - Selon nos calculs, oui.

M. le Président - Avez-vous examiné le système de gestion des étangs de Haute-Somme dans vos calculs ? Ils jouent un rôle qui n'est pas très bien connu.

M. Pierre-Yves Givone - Nous n'avons pas de calcul précis à ce sujet. Mais si vous faites, grosso modo, le rapport entre le volume de ces étangs et celui de l'ensemble des cours d'eau, vous trouvez un chiffre entre 100 et 1.000. La nature s'est créée, seule, des bassins de rétention dans les situations de stockage normales. Si d'autres possibilités topographiques existaient, elle les aurait déjà mobilisées avant que les zones les plus hautes ne soient inondées.

En revanche, si vous voulez dire qu'il existe des possibilités de stocker l'eau en amont, de manière bien distribuée dans le paysage, afin de soulager le réseau, je suis d'accord avec vous. Cela correspond même tout à fait au type de méthode que nous préconisons, qui consiste à distribuer dans le paysage de petits ouvrages pour stocker l'eau le plus en amont possible. La lutte contre les crues ne se gagne plus en aval mais en amont des bassins, dès le début du ruissellement. C'est à cet endroit que nous pouvons réellement agir. Dès que nous nous trouvons à l'arrière, nous devons faire face à une masse d'eau trop importante.

Tout ce qui peut contribuer au stockage amont de l'eau, de manière compatible avec le réseau actuel, va dans le bon sens. Il s'agit d'optimiser la distribution et de mobiliser la diversité des paysages et des cultures pour concevoir un grand nombre de petits ouvrages.

M. le Rapporteur - Existe-t-il une solution permettant de gérer ce débordement de nappe ? Au-delà de l'inondation que nous connaissons, il existe également ce problème de débordement de nappe qui crée des préjudices considérables dans des communes à l'heure actuelle. Or, cette situation dure depuis près d'un mois et demi. On m'a posé la question il y a trois ou quatre jours : comment canaliser ou plutôt gérer, cette nappe qui déborde à n'importe quel endroit, dans des maisons, des étables, etc ?

M. Pierre-Yves Givone - Pour être exact, ce n'est pas la nappe qui déborde : c'est l'eau qui ne s'infiltre plus. Ce n'est pas tout à fait la même situation. Il existe effectivement des cas où la nappe déborde, par effet de vases communicants. Mais nous ne nous trouvons pas dans cette situation : nous sommes dans le cas où tout est saturé. L'eau, ne pouvant plus s'infiltrer, reste en surface. Dès lors, elle mobilise la micro topographie et le micro relief. Par conséquent, elle inonde une étable ou une maison qui se trouvent légèrement en contrebas par rapport au terrain. Mais on ne peut pas aller jusqu'à dire qu'il y a un débordement de nappe. Certes, on a l'impression que l'eau vient du bas alors que, fondamentalement, elle vient de la pluie.

M. le Président - Il y a des résurgences qui proviennent du bas dans certains marais.

M. Pierre-Yves Givone - Oui.

M. le Rapporteur - Ma question va sans doute vous paraître naïve, mais comment faire pour que l'eau puisse s'infiltrer ? Durant cette période, nous avons reçu plusieurs écrits des uns et des autres proposant de nombreuses solutions. Je me souviens de l'une d'entre elles, qui nous avait fait quelque peu rire, qui suggérait que nous creusions des trous de 400 à 500 mètres afin que l'eau puisse s'infiltrer.

M. Pierre-Yves Givone - Si mes souvenirs sont exacts, une telle solution a été mise en oeuvre dans le Sud-Ouest de la France, sur les terrasses alluviales d'un affluent de la Garonne. Elles ont été utilisées pour stocker l'eau en cas de fortes pluies puis la mobiliser l'été afin d'irriguer les terres. Mais pour mettre en place une telle solution, il faut qu'il reste une tranche de sol dont on puisse utiliser la porosité pour stocker de l'eau. Quand on se trouve dans une situation de saturation générale, ce n'est malheureusement plus possible. Cependant, la solution que vous évoquez a été envisagée, y compris avec l'idée de fracturer le rocher avec des explosifs.

M. Bernard Chastan - C'est une solution assez périlleuse à mettre en oeuvre.

M. le Président - Cela ne vous paraît pas techniquement être l'un des éléments de réponse aujourd'hui.

M. Pierre-Yves Givone - Non. D'autre part, je souhaiterais souligner un point important : si on parle beaucoup de quantité d'eau, il ne faut pas négliger l'aspect qualitatif. D'ailleurs, les problèmes sanitaires que nous commençons à rencontrer en sont la preuve. Si vous mettez en communication de l'eau des nappes et de l'eau de surface, vous induisez des problèmes de pollution que nous maîtrisons très mal. La situation mérite non seulement une analyse quantitative mais une analyse qualitative de l'eau. Il n'est pas neutre de vouloir mettre en rapport l'eau de différentes nappes et l'eau de surface. On risque des problèmes de pollution.

M. Jean-Guy Branger - Je suis originaire du Sud Ouest. Le problème y était assez semblable. Il y avait une grosse couche d'argile imperméable, profonde de 500 à 600 mètres. Elle a été percée avec des explosifs afin de favoriser l'écoulement de l'eau. Cette solution était loin d'être idéale. En outre, elle a complètement désorganisé les nappes phréatiques. Les différents puits se sont trouvés à sec car le réseau souterrain a été perturbé. Plusieurs kilomètres plus loin, on a constaté une évolution sur des nappes qui ont été polluées. L'ensemble du système a été désorganisé. Mais nous n'avions pas d'autre solution.

M. Pierre-Yves Givone - Certes, il n'y avait pas d'autre solution dans le champ de la technologie. Mais il en existe d'autres au niveau de l'aménagement du territoire et de la gestion des sols, même si le prix politique à payer est lourd pour l'Etat. Mais elles existent quand même.

M. le Rapporteur - Existe-t-il dans la Somme un dispositif de lutte contre les inondations ? Si oui, qu'en pensez-vous et comment souhaiteriez-vous qu'il soit modifié afin d'être plus efficace ? Il me semble que c'est l'un des objectifs que nous recherchons.

M. Pierre-Yves Givone - Dans la Somme, il existe des marges de manoeuvre liées à la capacité de gérer les ouvrages, d'organiser le réseau, qui sont utilisés avec compétence par les services locaux. Evidemment, le fonctionnement peut être amélioré mais tout est potentiellement améliorable. Le véritable problème réside dans le fait que le dispositif actuel n'est pas adapté au phénomène d'inondation constaté. J'ajouterais en outre qu'il n'est sans doute pas économiquement viable d'imaginer des dispositifs dimensionnés, si tant est que cela soit possible, pour gérer ce type d'événement. Le coût en serait absolument exorbitant.

M. le Président - Même si cette question ne concerne pas directement l'objet de votre audition, ne pensez-vous pas que dans le cas particulier du département de la Somme, la DDA devrait être équipée d'ingénieurs de haut niveau étant donné les problèmes qui doivent y être gérés ? Croyez-vous que du personnel de très haut niveau soit nécessaire dans les départements, alors qu'il n'existe pour l'instant que dans les directions centrales ?

M. Pierre-Yves Givone - Autant, en termes d'hydraulique, la science de l'écoulement dans les rivières, les connaissances sont bonnes, autant, en matière d'hydrologie, qui décrit les relations entre la pluie et les rivières, la situation générale n'est pas bonne. Les connaissances en la matière sont en France insuffisantes. Il existe un réel problème de compétences hydrologiques en général, aussi bien au niveau des DDA que des DDE. Il suffit de regarder les programmes des cours dans les écoles d'ingénieurs pour s'en apercevoir. L'hydrologie n'a certainement pas la place qu'elle devrait se voir accorder, ce qui se traduit ensuite dans toute la chaîne de décision. Pour répondre très précisément à votre question, les compétences hydrologiques disponibles sur le terrain, en service et en personnel, sont insuffisantes, dans la Somme et dans les autres départements. Cette situation a un impact en termes d'anticipation et d'analyse.

M. le Président - Pourquoi cet état de fait ? Dans les administrations qui s'occupent de l'eau et au sein même de l'opinion publique, nous avons une culture du risque de pénurie d'eau mais pas une culture de l'inondation. Tout le monde pense que nous pouvons en manquer mais personne ne réfléchit au fait qu'il puisse y en avoir trop. Comment l'expliquez-vous ?

M. Pierre-Yves Givone - Je vais vous répondre dans les domaines qui relèvent de ma compétence. Premièrement, le problème est extrêmement compliqué, bien plus qu'on ne peut l'imaginer. Les infiltrations découlent de la topologie et de nombreux autres facteurs et il faut prendre en compte l'ensemble. La complexité hydrologique s'accroît d'autant plus que le bassin de la Somme jouit d'une grande diversité. Les outils de modélisation hydrauliques passent de mieux en mieux des laboratoires vers le terrain. Ce n'est pas le cas de l'hydrologie. Les outils hydrologiques utilisés en service opérationnel sont actuellement loin d'être parfaits parce que les gens ne possèdent pas la formation adéquate pour se poser les bonnes questions au bon niveau du dispositif. Par ailleurs, vous vous rendez compte que ce problème est intimement lié à l'aménagement du territoire, avec la question de la gestion de l'occupation des sols. La technique pure ne dispose pas toujours de toutes les connaissances nécessaires pour gérer toute la complexité du problème.

M. le Président - Si nous voulons prolonger le raisonnement, que faut-il faire pour nous rattraper en termes d'hydrologie ? Rien n'est perdu, encore faudrait-il que nous décidions de nous mobiliser.

M. Pierre-Yves Givone - Nous devons être un des rares pays au monde à ne pas disposer d'un service hydrologique national.

M. le Président - Nous sommes pourtant dans un pays où il y a quelques systèmes hydrauliques à gérer.

M. Pierre-Yves Givone - L'essentiel, pour ne pas dire la totalité des pays du monde disposent soit d'un service hydraulique national, lieu de capitalisation technique de toutes les compétences, y compris celles du terrain, soit d'un service hydro-métérologique national, où les deux domaines sont associés. Certes, la France a un système d'agences mais ne dispose pas d'un dispositif national de capitalisation technique. Nous sommes vraiment une exception en la matière.

M. le Rapporteur - Dans le cas de la Somme, y a-t-il eu suffisamment d'harmonisation des compétences ? Les actions entreprises ont-elles été assez coordonnées ?

M. Pierre-Yves Givone - Les actions ne seront jamais assez coordonnées, elles pourraient par définition toujours l'être davantage. Les services météorologiques ont fourni un travail excellent.

M. le Président - De manière précise et opérationnelle, quelles sont les relations entre votre service et le BRGM ?

M. Pierre-Yves Givone - Nous avons un accord cadre à partir duquel nous traitons en commun un certain nombre de questions. Pour simplifier, nous avons deux grands axes de collaboration : les déchets et les relations entre eaux de surface et eaux souterraines.

M. le Président - Est-il besoin d'améliorer vos relations ? Le fait que les deux entités dépendent de ministères différents pose-t-il un problème ?

M. Pierre-Yves Givone - Nous ne dépendons pas de ministères fondamentalement différents puisque le BRGM est un organisme de recherche. Je ne pense pas que ce dispositif soit à revoir ; il fonctionne bien. Nous dépendons de la même direction du ministère de la Recherche.

M. le Président - Le BRGM est-il un Etablissement public à caractère industriel et commercial ?

M. Pierre-Yves Givone - Oui, c'est aussi un EPIC.

M. le Président - C'est également le cas du CNRS.

M. Pierre-Yves Givone - Non, le CNRS et le CEMAGREF sont des établissements publics à caractère scientifique et technique. Cela induit une difficulté, dès lors qu'un EPIC, à caractère industriel et commercial, doit chercher à équilibrer son budget dans des contrats industriels et commerciaux. Ce n'est pas le cas des EPST.

M. le Président - Quelle expérience votre service a-t-il tiré de cette crise ? Quel type de réflexion vous a-t-elle inspiré ?

M. Pierre-Yves Givone - J'en retire deux éléments. Premièrement, malgré une culture du risque relativement importante, les gens ont la mémoire courte. Ils oublient très vite. Il n'y a aucun dispositif de capitalisation des expériences antérieures. Nous avons réédité un certain nombre de documents sur le sujet. Historiquement, aux 16ème, 17ème, 18ème et 19ème siècles des inondations plus ou moins similaires ont dû avoir lieu. Mais il n'existe aucune capitalisation de la mémoire du risque. Face à ce type d'événement exceptionnel, alors que le terrain devrait être favorable car préparé, nous nous trouvons sérieusement démunis. La notion de risque est débattue d'un point de vue intellectuel mais elle n'est absolument pas acceptée en pratique. On parle beaucoup de la culture et de l'acceptabilité du risque mais concrètement cela n'aboutit pas. Quand on lit le rapport de la Cour des Comptes, on s'aperçoit bien que le problème du risque est un sujet brûlant que se renvoient élus locaux et nationaux.

M. le Président - C'est l'antithèse de l'harmonisation. En tous cas, cela ne va pas dans son sens.

M. Pierre-Yves Givone - Vous êtes mieux placés que des scientifiques pour analyser cet enjeu. Mais je crains qu'il ne constitue le fond du débat.

Deuxièmement, cet événement exceptionnel a duré très longtemps. Or, cela fait un certain temps que nous militons d'un point de vue scientifique pour que les crues ne soient pas seulement considérées à la seule aune de leur débit maximum. Il faut également prendre en compte leur durée. Nous affirmons depuis longtemps que la vulnérabilité réside aussi dans la durée.

Dans notre pays, toute la panoplie des évènements existants, des torrents de montagne à la crue de nappe, peut se produire. Il faut que nous nous mettions en ordre de bataille pour répondre à l'ensemble de ces problèmes. Si vous prenez les trois dernières grandes inondations, l'Aude, la Bretagne et la Somme, elles sont de natures extrêmement différentes. Il faut donc se mettre en ordre de bataille pour répondre aux trois types de phénomènes.

M. le Président - Si je peux encore me permettre une question, dans l'hypothèse d'un changement de climat avéré et d'une répétition plus forte des phénomènes extrêmes, considérez-vous que la Somme constitue l'un des départements les plus vulnérables de la France ?

M. Pierre-Yves Givone - Sans doute pas. En revanche, c'est certainement une région où l'occupation des sols est assez mal adaptée à la mobilisation contre ce type d'évènements puisque c'est un pays très plat où les habitants ont l'impression d'être protégés par ses ouvrages, ses collines, ses rivières, ses ponts, etc. Sans en faire un reproche, ils ne prennent pas en compte le risque existant dans leur occupation du terrain.

M. le Président - Il y a évidemment une aspiration des hommes à vivre près de l'eau, sans parler de la civilisation des loisirs...

M. Pierre-Yves Givone - Tout à fait. Dans la Somme, la culture maraîchère est quand même née de l'eau.

M. le Rapporteur - Pensez-vous que toutes les compétences puissent être décentralisées ?

M. Pierre-Yves Givone - Je ne sais pas car ce sujet est vraiment éloigné du domaine scientifique. Néanmoins, pour répondre à votre question, je soulignerais qu'il existe aux Etats-Unis une agence fédérale qui édite un grand nombre d'ouvrages extrêmement basiques destinés à expliquer aux gens, avec leur vocabulaire, la prévention et la manière de réagir en cas de crise. Par exemple, il les renseigne sur la façon d'aménager leur réseau électrique, leur chauffage, leur garage ou leur sol. Ces éléments sont très utiles au quotidien pour améliorer le confort des personnes. Cet effort indispensable est très peu consenti en France. Il est évidemment hors de question qu'il soit réalisé par les instances nationales. Mais il pourrait être pris en charge par les collectivités locales, qui constituent le niveau adéquat pour ce type d'action.

M. le Rapporteur - Dès le début de l'inondation, j'avais posé une question dans ce sens à monsieur le préfet. Je lui avais demandé s'il ne pouvait pas éditer un guide « inondation, mode d'emploi » pour expliquer aux gens touchés comment réagir pendant et après la crise.

M. Pierre-Yves Givone - Vous pouvez trouver sur un site Web américain des explications sur la manière de réagir au quotidien avant, pendant et après la crise et sur les démarches à réaliser, notamment auprès des assurances. Ce sont des informations basiques mais utiles. Vous pouvez également y trouver des images des catastrophes précédentes, afin que les gens les mémorisent.

M. le Président - Jusqu'à présent, il n'existait pas de demande d'information du public par rapport aux catastrophes naturelles. La civilisation urbaine éloigne de plus en plus la population de ces préoccupations. Il n'y a plus de contraintes ; l'homme croit avoir dominé la nature.

M. Pierre-Yves Givone - Effectivement, il y a une illusion technologique générale.

M. le Président -Messieurs, nous vous remercions. Nous continuerons à garder contact avec vous si nous avons besoin d'informations complémentaires. Merci pour votre information.

17. Audition de Madame Marie-Noëlle Lienemann, secrétaire d'Etat au Logement (13 juin 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui Madame Marie-Noëlle Lienemann, secrétaire d'Etat au Logement

Bonjour Madame la Ministre. Je rappelle que vous êtes auditionnée par une Commission d'enquête du Sénat mais que la tradition n'oblige pas le Président à faire témoigner les ministres sous serment. En revanche, vos collaborateurs n'en seront pas dispensés s'ils prennent la parole.

Mme Marie-Noëlle Lienemann, secrétaire d'Etat au Logement - Monsieur le Président, messieurs les sénateurs, mesdames et messieurs, cette audition a pour objectif de faire le point sur la situation des sinistrés de la Somme et sur l'action de l'Etat afin de leur venir en aide dans le domaine du logement et de l'urbanisme. La première préoccupation est celle du bilan que l'on peut faire afin de tirer des leçons pour l'avenir et avoir un éclairage sur les dispositions qui sont prises. En effet, il faut que nos concitoyens et les collectivités soient accompagnés par l'Etat dans le cadre de la solidarité nationale, jusqu'à ce que leur soient restitués leurs droits, leurs maisons, leur rythme normal de vie.

L'analyse sur les raisons des inondations ne relève pas de mes fonctions. En revanche, je peux me demander si l'urbanisation et les constructions réalisées sur les territoires inondés l'ont été conformément aux règles en vigueur et avec toutes les précautions nécessaires. Dans ce domaine, il semble qu'il n'y ait pas eu de dysfonctionnements constatés par nos services en matière d'urbanisme ou au niveau du plan d'occupation des sols (POS). Nous n'avons constaté aucun pouvoir intempestif des maires depuis la décentralisation. Dans tous les cas, nous n'avons pas encore effectué de recensement pour savoir à quel moment ont été délivrés les permis de construire. Globalement, les collectivités locales et les services de l'Etat (dont le contrôle s'exerce a posteriori) n'ont constaté aucune négligence particulière de quiconque.

Néanmoins, la question posée est celle de la mise en oeuvre du PPRI concernant l'inondabilité. Le préfet de département avait indiqué aux maires, notamment après les inondations de 1993, des périmètres où étaient définis des risques. En effet, depuis la nouvelle loi Barnier, un changement de stratégie est intervenu : les périmètres de risque n'ont pas de valeur contraignante du point de vue de l'urbanisme. Ils ne peuvent devenir contraignants qu'en cas d'existence d'un PPRI, ce qui n'était pas le cas dans la Somme puisque le préfet n'a engagé la procédure qu'en 2000, en commençant par l'ouverture d'une enquête publique. Nous ne pouvons donc pas dire qu'il y ait eu des dysfonctionnements et des négligences majeurs.

Pour ce qui est de la prise en charge de l'hébergement et du logement durant les inondations, il semble que les problèmes rencontrés ont résulté de la mauvaise évaluation de l'ampleur du phénomène et de sa durée. Il ne me revient pas d'évaluer les mécanismes d'alerte dont disposent les collectivités locales et l'Etat. Sur le terrain en tout cas, nous n'avions pas imaginé que les inondations seraient aussi amples et durables. Des mesures d'urgence ont été prises, prenant la forme d'hébergement chez les familles, dans les gîtes ruraux, dans les locaux sociaux, même si ces derniers sont principalement situés dans les zones urbaines et que cette solution était donc mal adaptée au mode de vie des villageois concernés. En effet, les gens avaient envie de rester près de chez eux.

J'ai été nommée ministre le 27 mars, au moment où les inondations ont débuté.

En tant que ministre, j'imaginais que les problèmes allaient surtout porter sur la reconstruction et la rénovation. J'ai d'ailleurs pu constater qu'il existait des dispositifs, créés après les inondations de l'Aude, qui nous ont été utiles. Ainsi, nous avons pu utiliser les mesures particulières dans le cadre de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (ANAH), ainsi que l'Allocation de logement temporaire (ALT), qui permet une amélioration du remboursement pour l'hébergement temporaire. L'Etat était donc préparé au suivi des périodes post-inondation.

Ensuite, j'ai demandé aux différents représentants de l'Etat de m'indiquer s'ils avaient constaté des problèmes d'hébergement ; toutefois, ils étaient accaparés par le suivi des crues elles-mêmes. J'ai donc insisté pour la mise en place d'une démarche en direction des habitants, afin d'évaluer leurs besoins d'hébergement dans la durée et de relogement éventuel ultérieur. L'un de mes collaborateurs s'est donc rendu dans la Somme, le lundi 23 avril.

En effet, grâce à mon expérience d'élue locale, je sais que l'Etat a parfois des difficultés à se rendre compte des disparités individuelles de traitement, dans des cas aussi complexes. C'est pourquoi nous avons constitué une Mission de maîtrise d'oeuvre urbaine et sociale (MOUS), regroupant des spécialistes du logement ayant une orientation sociale et pouvant aller à la rencontre des personnes sinistrées, afin de leur apporter du réconfort et de les accompagner pour trouver des solutions adaptées.

De plus, la visite effectuée sur place m'a confortée dans l'idée qu'il fallait trouver des solutions temporaires durables. C'est pourquoi nous avons pensé à utiliser des mobil homes. Toutefois, nous n'avions aucune structure ni ligne budgétaire prévue pour ce type d'actions. Nous avons donc contacté plusieurs opérateurs, dont les PACT ou la Sonacotra. En fait, il n'était pas difficile de trouver des vendeurs de mobil homes. En revanche, il était plus délicat de rencontrer des sociétés prêtes à proposer des solutions clefs en main allant de la vente à l'installation sur le terrain. Nous avons donc choisi la Sonacotra, sachant que nous avions une connaissance très réduite des besoins réels des populations.

A l'avenir, nous pouvons nous poser la question du déclenchement rapide et quasi-systématique des MOUS en cas d'inondations, même si nous estimons qu'elles ne seront pas de longue durée. Dans tous les cas, il est toujours possible de renouveler les MOUS si les inondations se prolongent. En effet, dans ces circonstances, les élus locaux et les services déconcentrés de l'Etat ne disposent pas des moyens pour appeler toutes les familles une à une afin de recenser les besoins. Or ce travail en amont est indispensable pour la mise en place par la suite des hébergements transitoires ou des aides spéciales, sachant que notre dispositif de financement du logement et de l'accompagnement d'urgence est assez complexe. De plus, il n'existe pas de ligne budgétaire spécifiquement attribuée à des opérations de cette nature. Or la mobilisation des lignes classiques de l'Etat nécessite une gymnastique technique très complexe, ce qui ne peut que retarder les actions à mener. A l'avenir, il faudrait donc utiliser les règles normales de crédit ou prévoir des enveloppes, au moins pour le démarrage, qui puissent être mises en oeuvre rapidement.

Nous avons donc installé les mobil homes mais nous n'avons pas encore répondu à l'ensemble de la demande, qui évolue en permanence ; certains retournent dans leur maison mais d'autres hésitent à le faire étant donné l'état des habitations. En fait, nous avons besoin aujourd'hui de 160 à 180 mobil homes, alors que nous n'en disposons que de 62. En effet, nous avons dû trouver des petits mobil homes car les personnes concernées ne sont pas toujours des grandes familles. Nous avons aussi dû trouver des terrains, qui ont dû être viabilisés rapidement, par des entreprises déjà largement accaparées par d'autres travaux. A partir du 18 juin, 20 mobil homes supplémentaires seront disponibles, puis 25 autres à partir du 25 juin, 25 encore le 9 juillet et 40 au cours du reste du mois de juillet. Nous pensons que ces 172 mobil homes nous permettront de répondre à la demande.

La position de l'Etat a été de dire que l'hébergement d'urgence devait être totalement gratuit durant les trois premiers mois, charges d'eau et d'électricité incluses. A partir du quatrième mois, seule l'électricité sera à la charge des occupants. En effet, l'installation de compteurs individuels d'eau coûterait plus cher que la consommation elle-même. Lors de ma visite dans la Somme en compagnie de M. Jean-Claude Gayssot, j'ai cru comprendre que les élus étaient très soucieux, ainsi que l'Etat, de l'égalité de traitement des personnes hébergées dans les mobil homes, dans d'autres familles, dans les gîtes ruraux ou les logements sociaux... Mises à part celles qui sont dans les mobil homes, elles bénéficient donc toutes de l'ALT, qui a été revalorisée depuis les inondations de l'Aude. Il me semble que le système d'hébergement temporaire et de la prise en charge durant trois mois est une mesure appréciée, même si l'impatience de certaines familles est réelle.

Pour l'avenir, nous devons nous interroger sur la stratégie à mettre en place pour pouvoir mobiliser rapidement un parc de logements temporaires. Il existe plusieurs possibilités. Nous pouvons prévoir un parc dédié, qui deviendrait assez vite vétuste et difficile à entretenir ; nous pouvons aussi conventionner avec différents organismes. Dans ce cadre, je souhaite confier une mission à une personnalité pour travailler aux différents scénarios envisageables, en lien avec les acteurs concernés. Je ne pense pas que l'on puisse dire qu'il suffira de refaire la même chose la prochaine fois. Nous pouvons faire mieux et plus vite.

Nous ne pouvons que souligner que les actions menées dans la Somme ont été de grande ampleur. Le financement de la MOUS a été de 7 millions de francs. La viabilisation des terrains d'accueil a coûté de 15 à 20 millions de francs, uniquement pour l'Etat ; l'entretien des fosses septiques est à la charge des collectivités locales, ainsi que l'électricité par exemple. Les modulaires et les mobil homes ont coûté 50 millions de francs. L'allocation de logement temporaire est estimée entre 10 et 20 millions de francs, versés pour moitié par l'Etat et pour moitié par la Caise d'allocation familiale. Nous avons aussi dégagé des crédits publics, gérés par l'ANAH, pour 30 millions de francs ; une Opération programmée d'amélioration de l'habitat (OPAH) particulière est en conventionnement avec le Conseil général de la Somme.

La question importante est de savoir comment les gens vont pouvoir rentrer dans leurs maisons. Le 11 juin dernier, le recensement faisait apparaître que 182 maisons avaient été inondées, dont 177 avaient été évacuées. Actuellement, les experts des assurances visitent les maisons qui ne sont plus inondées. Nous avons donc cherché à donner aux habitants une information assez complète sur les dispositions et les principes de précaution qu'ils devaient appliquer. Un dépliant est distribué, mis au point en relation avec le Centre technique du bâtiment, établissement public indépendant.

Nous avons envisagé d'offrir aux habitants un accès à une expertise contradictoire, sachant qu'ils ont été très touchés par les évènements, ce qui les conduits à douter de la prise en compte de leurs problèmes par les pouvoirs publics. Toutefois, cela nous pose un problème déontologique : en effet, on imagine mal que la puissance publique puisse engager sa responsabilité dans une expertise. Nous nous sommes donc attachés à multiplier les contacts avec l' Association départementale d'information sur le logement (ADIL) pour la mise en place de contre-expertises.

En revanche, nous n'avons envisagé aucune prise en charge financière, ce qui constitue pourtant le principal obstacle pour ceux qui n'ont pas les moyens de payer une contre-expertise. Nous avons donc essentiellement un rôle de conseil et non d'accompagnement des expertises concernant la solidité à venir des habitations. Aujourd'hui, il semble que peu de maisons soient menacées d'effondrement. Néanmoins, les experts ont rappelé que ces risques pouvaient apparaître à moyen terme, en raison de l'alternance entre les périodes d'humidité et de sécheresse, des mouvements de terrain, de l'évolution de la nappe phréatique. Nous ne pouvons pas être catégoriques dans ce domaine. Nous devons donc poursuivre le travail de partenariat sur le terrain -collectivités locales, MOUS, populations-, afin que la moindre manifestation d'un danger puisse donner lieu à une véritable mobilisation. Aujourd'hui, je n'ai pas de solution concernant la gestion de ces éventuels problèmes futurs.

Pour les lieux sans risque, l'OPAH et l'intervention de l'ANAH vont pouvoir agir rapidement, tant pour les propriétaires occupants que pour les propriétaires bailleurs. Toutefois, certaines personnes ne souhaitent pas retourner dans leur ancienne habitation, du fait du choc psychologique qu'elles ont subi. Nous devons donc construire de nouveaux logements. Pour cela, dans le cadre du PPRI, nous allons édicter des contraintes d'urbanisme adaptées aux risques d'inondation. Je rappelle que toute zone inondable n'est pas forcément inconstructible. L'inconstructibilité se mesure en fonction des risques pour la sécurité des personnes ; pour les biens, un parallèle est effectué entre leur valeur et le coût des inondations. Ensuite, il existe aussi des règles plus souples, notamment de hauteur des habitations ou de consolidation des fondations, permettant d'éviter les perturbations majeures de la vie des gens, et pour le moins les menaces sur la vie des habitants.

Tout ce travail va être engagé avec les collectivités locales et le préfet. Pour la construction des logements, nous aurons des besoins urgents. J'ai donc demandé la signature d'un contrat de relance du logement social au niveau national, ainsi qu'une contractualisation particulière avec le Conseil général de la Somme. Pour l'instant, nous étudions des dossiers qui étaient déjà dans les cartons : l'instruction de 22 logements sociaux est terminée à Ailly-sur-Somme ; 25 logements sont concernés à Pont-Rémy et 31 logements à Corbie. D'autres dossiers sont en cours d'instruction pour 21 logements à Abbeville, sachant que 33 nouveaux dossiers devraient être déposés avant le début de 2002. Toujours à Abbeville, un terrain a été repéré où la construction de 60 logements pourrait être lancée assez rapidement. Parallèlement, nous allons mobiliser nos services afin qu'ils cherchent les possibilités de rénovation dans le parc vacant.

La situation urbanistique des différentes communes est variable, notamment pour des raisons géographiques. Ainsi, à Fontaine-sur-Somme, se juxtaposent un plateau agricole et une zone traditionnellement urbanisée fortement touchée par les inondations. Il faut donc que l'Etat trouve une stratégie de développement compatible avec les inondations et, sans doute, d'urbanisation des zones périphériques. Dans ce domaine, la philosophie de l'Etat est d'accompagner la volonté et les choix d'une population et de ses élus, en prenant en compte les risques et les règles majeures de protection du patrimoine. Une fois que les questions les plus urgentes auront été réglées, nos services travailleront donc avec le maire de Fontaine sur Somme pour rendre au village sa capacité normale de développement et rétablir l'équilibre de sa population. En effet, nous souhaitons éviter que les populations soient obligées de changer de village. Il est vrai que les habitants sont parfois conduits à déménager d'un village à l'autre, surtout lorsqu'ils sont proches. Pour autant, nous ne pouvons pas déséquilibrer le poids relatif des différentes communes. Dans ces conditions, je souhaite que chaque village retrouve une constructibilité qui lui assure sa pérennité et son développement. A Fontaine-sur-Somme, les contraintes géographiques sont un peu particulières ; j'ai donc assuré au maire que mon bureau lui était ouvert, comme aux autres élus d'ailleurs.

Le directeur départemental de l'équipement estime qu'il n'est pas forcément nécessaire de faire appel à des réglementations d'urbanisme exceptionnelles. Toutefois, je sais que les élus locaux doutent quelque peu de cette position. Je lui ai donc demandé de reprendre la concertation avec les élus. Cela dit, il est très compliqué de prendre des mesures exceptionnelles en matière d'urbanisme. En effet, les lois ne nous permettent pas grand-chose dans ce domaine. Les programmes d'intérêt généraux existent mais il est très difficile de s'exonérer des clauses d'urbanisme, protection prévue pour les citoyens et les propriétaires. Je serais très intéressée si le Sénat avait quelques idées pour adapter la loi en vigueur, sans pour autant tomber dans le laxisme.

Pour terminer, je tiens à vous dire que mon ministère restera, en matière d'hébergement et d'urbanisme, un partenaire permanent des élus locaux et des citoyens jusqu'à ce que nous ayons réglé tous les problèmes.

M. Pierre Martin, Rapporteur - Il est vrai que les inondations ont touché principalement des petites communes, sans plan d'urbanisme ou de POS, mais comprenant des constructions dans des zones inondables. Comment le maire peut-il refuser de nouvelles constructions dans ces zones, alors que certaines ont déjà été édifiées ? Je pense que la décentralisation a sans doute laissé trop de pouvoirs aux maires, qui n'ont pas les moyens de les assumer. En effet, ils ne disposent pas de structures sur lesquelles s'appuyer -la DDE notamment. Des efforts ont-ils été réalisés pour que les risques soient pris en compte dans les zones inondables ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann - Si la Somme disposait d'un PPRI, 80 % des problèmes posés seraient réglés. En effet, la prescription de la contrainte d'urbanisme serait incluse dans le PPRI. De plus, la DDE peut aussi jouer un rôle de conseil.

Pour moi, l'objectif est plutôt d'encourager la vigilance sans pour autant tomber dans l'obsession. En effet, il ne faut pas qu'un endroit devienne totalement désertique sous prétexte qu'il est inondable. Je suis élue historique d'une commune située en bord de Seine, au Sud de l'aéroport d'Orly, le long de la RN7. Si je prends en compte les contraintes d'inondabilité, le plan d'exposition au bruit et les règles qui concernent la route nationale, la part de la commune restant constructible va se réduire à un confetti. Il faut donc trouver un équilibre entre les contraintes imposées. Dans l'immédiat, je vous suggère que le travail se fasse avec la DDE, qui possède une cartographie des risques permettant d'effectuer une hiérarchisation. Il va de soi qu'il faut agir avec la plus grande prudence dans les zones les plus exposées au risque.

Je suis prête à écouter les autres hypothèses qui pourraient conduire à se doter d'un outil d'accompagnement technique momentané -au niveau de la DDE et des collectivités locales- notamment, pour établir des documents d'urbanisme, pour anticiper les contraintes. Dans tous les cas, et sans vous donner de date puisque ce n'est pas de ma compétence, je souhaite que l'Etat fixe un calendrier précis pour l'établissement du PPRI, et que des premières indications soient envoyées pour consultation aux maires. J'ai constaté par le passé que les premiers documents servaient souvent à définir le cadre de précaution. Ensuite, il est possible d'affiner lors des discussions, en fonction des territoires et des contraintes.

Je pense que nous devrons aider la DDE et le préfet de la Somme en termes de moyens humains. Pour le PPRI, il faut disposer de la juste estimation de la nature de l'inondation. C'est pourquoi nous attendons avec impatience le rapport de la mission interministérielle. Les inondations classiques sont provoquées par le ruissellement, ce qui a conduit à la fixation de la majeure partie des contraintes. En revanche, l'émergence d'une inondation de nappe phréatique modifie l'établissement des contraintes, qui doivent prendre en compte la déstabilisation des sols.

Globalement, le sujet de l'urbanisation ne sera pas le plus simple et le plus rapide à résoudre. Je pense que la première chose à faire est de favoriser un travail efficace entre les élus locaux et les représentants de l'Etat, en dotant les acteurs de moyens intellectuels et de savoirs faire pour accompagner la réflexion. Si les élus et le Conseil général ont des idées, je suis ouverte à la discussion.

M. le Rapporteur - Dans la vallée de la Somme, la tradition est à l'installation sauvage de caravanes depuis des années. Depuis plus de dix ans, les sous-préfets indiquent qu'ils vont faire déménager ces caravanes par la police. Cela ne se fera jamais. Dans ces conditions, comment les maires peuvent-ils interdire à certains de construire, alors que d'autres sont dans une situation irrégulière depuis des années ?

M. le Président - Que pouvons-nous faire ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann - Cette situation ne concerne pas simplement la Somme. Normalement, une caravane stationnée plus de trois mois peut être verbalisée par le maire.

M. le Rapporteur - Elle doit alors être déménagée.

Mme Marie-Noëlle Lienemann - Cela peut se faire avec l'aide des forces de l'ordre.

M. Hilaire Flandre - Elle peut revenir à la même place par la suite.

Mme Marie-Noëlle Lienemann - En effet, il suffit parfois de déplacer la caravane de 50 mètres, avant de la ramener à sa place d'origine. Cela décourage les maires qui se disent que ce n'est même pas la peine qu'ils verbalisent. Cela pose d'ailleurs un vrai problème de droit, que le législateur pourrait prendre en compte. La véritable difficulté est qu'il n'est pas précisé pendant combien de temps la caravane doit être partie, ni où elle doit aller. Il est donc très difficile de faire appliquer la loi sans se décourager, sachant que le préfet indique de son côté qu'il n'a pas été saisi de verbalisations.

Je suggère donc que nous améliorions les dispositifs légaux en la matière, ce qui n'est pas simple, notamment parce que nous touchons à la liberté de nos concitoyens sur leurs parcelles. Je suis favorable à une modification législative pour encadrer la présence des caravanes.

Parallèlement, les inondations nous ont permis de constater que nombre de nos concitoyens n'étaient pas assurés, ce qui est très alarmant.

M. le Président - On nous a dit que 20 % des personnes inondées n'étaient pas assurées. Connaissez-vous la moyenne nationale ? Personne n'a pu nous la fournir jusqu'à présent.

Mme Marie-Noëlle Lienemann - Je ne la connais pas. La seule façon serait de connaître le chiffre qui avait été mis en évidence lors des inondations de l'Aude. En revanche, comme il me semble que l'assurance est une obligation, je ne pense pas que nous disposions de données à l'échelle du pays.

M. le Rapporteur - C'est en effet une obligation.

M. le Président - Qui doit contrôler ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann - En France, nous disposons de nombreuses lois qui imposent des contraintes mais nous ne contrôlons que le dysfonctionnement lorsqu'il est constaté.

M. Hilaire Flandre - Pour ma part, je pense que l'obligation ne concerne que les locataires.

M. le Rapporteur - Dans certains villages, les caravanes sont raccordées à l'électricité et à l'eau.

M. le Président - Pour contourner la loi, des déplacements sont organisés tous les trois mois entre voisins, chacun prenant la place de l'autre pour trois nouveaux mois.

Mme Marie-Noëlle Lienemann - Je suis convaincue que ce sujet doit être traité, sachant qu'il se pose aussi en zone urbaine sous d'autres formes. En tant qu'élue locale, j'ai sollicité plusieurs fois les parlementaires sur ces questions, notamment parce que ma commune est concernée puisqu'elle accueille des forains. Toutefois, j'ai rencontré un succès très limité auprès des parlementaires de tous bords. Je suggère donc que nous reprenions collectivement ce travail. La direction générale de l'urbanisme, de l'habitat et de la construction est prête à collaborer avec vous.

Par ailleurs, lorsque le maire ou le préfet constate que des constructions sont prévues dans des zones de forte inondabilité, il pourrait refuser de délivrer le permis de construire. En particulier, l'article R 111-2 du Code l'urbanisme peut être appliqué lorsque la sécurité des biens est en cause.

M. Louis Gruillot - Il est très important pour nous de savoir ce qu'il va falloir faire pour travailler de façon plus intelligente dans ce pays. Dans le cadre de notre Commission d'enquête, nous cherchons donc à savoir quelles sont les causes et les responsabilités. Pourquoi le PPRI n'a-t-il pas été mis en oeuvre beaucoup plus tôt par les responsables locaux, d'autant plus que les inondations sont fréquentes dans cette zone ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann - Je me pose la même question que vous. J'ai d'ailleurs été étonnée que notre pays ait été si peu sensible au rapport annuel sur l'état de l'environnement en France. Le dernier que j'ai lu, qui date de deux ans, indiquait que le nombre de PPRI établis en France était dérisoire au regard des contraintes prévues par la loi. Je sais que Mme Voynet avait donné des instructions pour accélérer la mise en place des PPRI. Toutefois, le bilan annuel, pour être meilleur, n'est pas encore satisfaisant.

En fait, j'observe une faible mobilisation des élus locaux et de nos concitoyens pour faire appliquer les lois de cette nature. Dans le domaine de l'environnement, nous disposons de nombreuses réglementations et de directives européennes. Ainsi, en 2002, seuls les déchets ultimes devront être déposés dans les décharges. Ces lois sont connues de tous mais l'on ne sent pas une grande effervescence collective pour les faire appliquer.

Je pense que pour les inondations, nous serons conduits à prendre des décisions compliquées. En effet, nous avons souvent tendance à prévoir une certaine souplesse en matière d'urbanisation. Parallèlement, les défenseurs de l'environnement exigent des protections nombreuses. Ces sujets sont encore relativement conflictuels dans la société française et font souvent appel au non-dit. Les préfets sont donc prudents, parfois à l'excès, avant d'engager des PPRI, alors que c'est une obligation. Pour ma part, je ne trouve pas normal que tous les PPRI n'aient pas encore été mis en oeuvre. Le préfet aura beau jeu de dire qu'il n'a été saisi par aucun citoyen. Dans la Somme, le préfet avait rédigé une lettre précise en mars 1994 sur l'inondabilité, sans toutefois édicter la contrainte.

M. le Président - Ne croyez-vous pas qu'il faudrait prévoir des procédures pour que le départ des préfets et des sous-préfets n'arrête pas la réalisation des actions qui ont été lancées ? Dans la Somme, tous les représentants de l'Etat étaient très zélés en arrivant mais ils sont repartis sans avoir mis les plans en oeuvre.

M. Hilaire Flandre - La responsabilité reste toujours aux élus.

Mme Marie-Noëlle Lienemann - L'Etat doit se poser la question de l'efficience de la continuité de l'Etat. Toutefois, je ne sais pas comment se transmettent les consignes et les dossiers.

M. le Président - Il n'y a pas de transmission puisque les préfets se croisent sans se rencontrer !

Mme Marie-Noëlle Lienemann - Pour leur part, les ministres se transmettent les dossiers et récupèrent également des informations de la part de l'administration. Peut-être faut-il travailler sur la transmission au sein du corps préfectoral. Toutefois, je souhaite insister sur le point suivant : plus les élus locaux et l'Etat sont associés tôt à l'élaboration d'une contrainte qu'ils doivent appliquer et plus nous sommes certains que la continuité de l'effort sera assurée, notamment si une commission est mise en place pour le suivi du PPRI.

Pour ma part, je m'interroge sur l'empilement des contraintes. Dans tous les cas, nous devons faire en sorte que les délais fixés soient respectés. Ainsi, pour les gens du voyage, il faut impérativement que les schémas départementaux soient achevés en janvier 2002. Pour autant, je ne suis pas certaine que tous les préfets seront prêts dans les temps. Le législateur et l'Etat doivent être soucieux d'un meilleur pilotage des contraintes.

M. Jean-François Picheral - A Aix-en-Provence, nous avons rédigé un PPRI sur proposition du préfet et du DDE, qui nous avaient demandé de prendre une délibération. Entre le moment où le préfet a exprimé sa volonté et la délibération que nous avons prise, aucun permis de construire n'a été accordé le long du fleuve, période durant laquelle la population poussait le maire à prendre une décision. A notre niveau, nous avons mis cinq ans pour démocratiser la procédure et pour rencontrer tous les propriétaires.

Mme Marie-Noëlle Lienemann - Il est vrai que si le préfet bloque l'urbanisation, totalement ou partiellement, cela accélère la prise de décision.

M. Jean-François Picheral - Lorsqu'un terrain est déclaré inondable, aucun promoteur n'est plus intéressé.

Mme Marie-Noëlle Lienemann - Parallèlement, les élus ne souhaitent pas que le préfet prenne des mesures coercitives en même temps qu'il engage la procédure de discussion. En effet, dans ce cas, les élus font valoir leurs projets d'urbanisation ou d'implantation d'activités économiques.

M. Hilaire Flandre - Je pense qu'il faudrait débaptiser Fontaine-sur-Somme pour la renommer Fontaine-sous-Somme. En effet, la commune est située sous le niveau du fleuve. Il est donc normal que des inondations se produisent de temps en temps. Dans de telles communes, si l'on souhaitait respecter le PPRI, toute construction devrait être interdite ; cela serait une erreur monumentale. En effet, les habitants de la commune connaissent les risques et vivent avec depuis longtemps. Dans d'autres communes, les populations ont toujours des parpaings sous la main, des bottes, des barques. Il faut donc plutôt responsabiliser les occupants et les propriétaires en leur demandant de ne pas réclamer l'indemnité à laquelle ils pensent avoir droit lorsqu'une inondation se produit tous les 50 ou 100 ans.

De plus, lorsque l'on fait le calcul du coût des mobil homes, de la viabilisation, des allocations de logement, on se demande s'il n'aurait pas été moins coûteux de payer trois mois de vacances aux populations sinistrées. C'est évidemment une boutade mais le coût doit nous faire réfléchir.

Mme Marie-Noëlle Lienemann - Je pense que la réponse n'aurait pas satisfait les habitants. En effet, ils doivent continuer à travailler et leurs enfants doivent aller à l'école. De plus, psychologiquement, ils pensent toujours que l'inondation ne va pas durer, ce qui se vérifie heureusement dans la plupart des cas.

Il faut aussi prendre des précautions pour que tout ce qui est nécessaire soit facilement mobilisable lors des crues. Ainsi, dans le cadre des PPRI, il est possible d'indiquer qu'il faut mettre en place des cheminements pour sortir en cas de petite inondation et rejoindre les zones non inondées. Il faut donc prévoir des systèmes de planches et de passerelles, procédures qui sont d'ailleurs très vite acceptées par les collectivités. En fait, il existe une culture de l'inondation, qui a commencé à se réintroduire dans les secteurs où les PPRI existent, mais pas suffisamment dans les autres.

Par ailleurs, je rappelle que les PPRI ne sont valables que pour les nouvelles constructions. De plus, les zones inondables ne sont pas forcément inconstructibles. Dans le cas contraire, cela ne pourrait que déclencher une psychose. Ainsi, comment serait-il possible de prévoir un dégagement de 100 mètres de part et d'autre de la Seine à Paris ? Dans ma région, toutes les caves ont été recouvertes de carrelage et les prises de courant ont été supprimées. Vivre dans une zone inondable nécessite donc un certain savoir faire. Pour autant, les dégâts ne sont pas remboursables si la conformité aux contraintes du PPRI n'est pas respectée. Je pense que nous devons développer une pratique de précaution aux niveaux local et individuel.

M. Fernand Demilly - Vous avez dit que les populations se déplaçaient facilement d'un village à l'autre. Je peux vous affirmer que les Picards sont peu mobiles, surtout lorsqu'ils sont installés dans des communes de vallée.

A l'avenir, l'objectif est d'éviter que des maisons ne restent dans une situation de risque d'inondation. Il faut donc établir rapidement le PPRI, mais aussi adapter les documents d'urbanisme ; cela suppose également des reconstructions en dehors des zones inondables, avec des participations financières des assureurs et des collectivités. Au niveau de l'Etat, existe-t-il un fonds spécial de reconstruction en dehors des zones inondables ? Si ce fonds n'existe pas, avez-vous l'intention de le créer ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann - Concernant la mobilité des populations, je pense que ce que vous dites est vrai pour toute la France. Je suis née dans le Territoire de Belfort et je peux vous assurer que nous ne passons jamais la frontière du Doubs, qui est pourtant très proche ! Toutefois, des cas précis m'ont été donnés de familles qui avaient déjà déposé des demandes pour des logements sociaux en construction dans d'autres villages, notamment pour se rapprocher d'autres membres de la famille. Dans tous les cas, l'objectif est de conserver l'équilibre, sans s'opposer évidemment à tous les déplacements.

Par ailleurs, nos crédits normaux de reconstruction doivent permettre de régler le problème. Il faut pour cela sortir l'enveloppe nécessaire à la Somme. J'ai proposé au Conseil général de mobiliser la ligne fongible « Prêts locatifs aidés-reconstruction-amélioration ». Nous pouvons aussi utiliser les crédits de l'ANAH. Enfin, l'accession à la propriété peut être favorisée, grâce au prêt à taux 0, ainsi que l'accession sociale à la propriété, qui peut être accompagnée dans certains cas.

Je n'ai donc pas imaginé de ligne budgétaire particulière. En revanche, je suis très favorable à ce que l'on relance le logement social dans la Somme, dans le cadre de l'enveloppe habituelle, sous la forme d'une contractualisation avec le Conseil général, comme je l'avais annoncé à son Président. Dans tous les cas, je rappelle que je souhaite favoriser la relance du logement social à l'échelle du pays tout entier.

M. Fernand Demilly - Il faut aussi prévoir la démolition des maisons construites dans les zones inondables, afin d'éviter qu'elles ne soient squattées.

Mme Marie-Noëlle Lienemann - Nous cherchons principalement un opérateur foncier. En effet, avant de reconstruire, les personnes concernées doivent récupérer des fonds de leur ancienne habitation. Nous pensions que l'établissement foncier de la basse Seine, qui possède une expérience dans ce domaine, pourrait éventuellement travailler dans ce secteur. Il existe aussi un établissement foncier dans le Nord Pas-de-Calais dont l'expérience est toutefois plus urbaine. Par ailleurs, une fois que l'établissement aura fait une évaluation précise, il faudra que l'Etat participe au financement.

M. le Rapporteur - On m'a dit qu'aucune solution n'était possible s'agissant de mobil homes avant trois semaines. Cela pose des problèmes. En effet, l'un des cas que je connais concerne une famille située dans un village qui subit une crue de nappe et dont l'un des enfants est gravement malade. Ce dernier a besoin d'un lit médicalisé ; le mobil home ne semble donc pas particulièrement bien adapté à la situation.

Mme Marie-Noëlle Lienemann - De quoi souffre cet enfant ?

M. le Rapporteur - Cet enfant est atteint d'une leucémie et il doit rester sous assistance respiratoire. Or ses parents sont obnubilés par l'obtention d'un mobil home. Parallèlement, sur la côte picarde, de nombreux mobil homes sont inoccupés sur les terrains de camping. Même s'il est vrai qu'ils ne sont pas neufs, ils vont rester inoccupés tout l'été. Par ailleurs, pour les secours d'urgence, des chèques sont donnés à certains par la cellule de soutien mise en place et pas à d'autres. Des gens sont donc relogés sans obtenir d'aide. Or, dans le cadre de l'ALT, tout le monde doit être aidé en cas de relogement. Cela ne semble pas être le cas, ce qui est difficilement acceptable.

Enfin, certaines communes ont eu des équipements inondés, par exemple les terrains de football mais aussi les vestiaires et les tribunes. Quid de la reconstruction de ces équipements, qui ne doit évidemment pas se faire au même endroit ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann - Il semble difficile de dire à la famille que vous avez évoquée que la bonne solution n'est pas celle du mobil home, si elle s'est mise dans la tête que c'était ce qu'il fallait. En fait, il existe des habitations modulaires, qui sont adaptées aux handicapées mais qui risquent d'arriver sur place tardivement. Je verrais s'il n'est pas possible de trouver une solution adaptée au cas que vous avez cité. Je précise que les règles d'urbanisme sont aussi plus contraignantes pour les habitations modulaires que pour les mobil homes.

Par ailleurs, il est vrai que des places existent dans les campings. Toutefois, je vous rappelle que selon la loi, les réquisitions ne peuvent concerner que les personnes morales et non les personnes privées.

M. le Rapporteur - Ces personnes sont tout à fait d'accord pour les mettre à disposition.

Mme Marie-Noëlle Lienemann - Dans ce cas, je vous demande de me fournir les coordonnées des personnes en question. Enfin, je vous suggère de me transmettre le courrier de la personne qui s'est plainte de la façon dont les aides sont attribuées. J'ai rappelé aux services de l'Etat que nous avions affaire à des victimes et que nous devions faire preuve de compréhension et d'écoute. Pour autant, il faut respecter les règles qui sont fixées.

M. le Rapporteur - Je suis tout à fait d'accord avec ce que vous dites, à ceci près que durant les auditions, nous entendons beaucoup parler des secours et du FSL mais pas tellement de l'ALT.

Mme Marie-Noëlle Lienemann - Elle ne pourra être attribuée que sur décision d'une Commission d'attribution, qui doit veiller à ce que l'égalité des citoyens soit garantie. De plus, il ne faut pas que les familles s'installent dans les mobil homes pour le long terme. En effet, les conditions sont bonnes pour l'instant parce qu'il fait beau mais elles deviendront nettement plus difficiles à partir de l'automne prochain. Néanmoins, la MOUS va étudier tous les cas pour voir si les personnes bénéficient ou non de l'ALT.

M. le Président - Madame la ministre, je vous remercie pour votre intervention.

18. Audition de MM. Alain Perret, sous-directeur de l'organisation des secours et de la coopération civilo-militaire au ministère de l'Intérieur, Jean-Bernard Bobin, chef du bureau de coordination interministérielle de défense et de sécurité civiles et Patrick Sauvage, responsable du Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC) (13 juin 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui MM. Alain Perret, sous-directeur de l'organisation des secours et de la coopération civilo-militaire au ministère de l'Intérieur, Jean-Bernard Bobin, chef du bureau de coordination interministérielle de défense et de sécurité civiles et Patrick Sauvage, responsable du Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC).

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Alain Perret, Jean-Bernard Bobin et Patrick Sauvage.

M. Alain Perret - Je tiens à commencer par rappeler la mission qui m'a été assignée au sein de la direction de la défense et de la sécurité civiles. Ma sous-direction est celle de l'expression de la solidarité nationale. En fait, je dispose de certains moyens (avions, hélicoptères, services de déminages, unités militaires mises à la disposition du ministre de l'Intérieur, sapeurs pompiers territoriaux), qui relèvent de l'autorité opérationnelle des préfets et du ministre de l'Intérieur. Ces moyens constituent un dispositif qui peut être mis en oeuvre en fonction de la gravité de la situation constatée.

Pour cela, il existe un Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises, qui fonctionne 24 heures sur 24 et qui rassemble à la fois des sapeurs pompiers territoriaux, des militaires -Génie, Aviation, Marine-, des policiers, des gendarmes. Ce dispositif est chargé de recueillir en France les informations sur tous les évènements touchant à la sécurité et à la défense civiles, qui doivent être portés à la connaissance du ministre de l'Intérieur. Entre 70 et 90 % de l'information opérationnelle délivrée au ministre de l'Intérieur proviennent du Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises, qui est placé sous l'autorité du colonel Patrick Sauvage.

Ce dispositif est récent puisqu'il fonctionne depuis le début de l'année 1998, à la suite d'une réforme dont la sécurité civile a bénéficié, et qui concerne la fusion des compétences de défense civile et de sécurité civile. Il permet l'envoi d'un renfort national auprès des préfets, lorsque ceux-ci ne peuvent plus gérer une crise, qu'il s'agisse d'avalanches, d'inondations ou d'accidents industriels. Nous sommes dans un domaine où le spectre est particulièrement large, puisqu'il va de la catastrophe naturelle au risque industriel. Les moyens, notamment en matière Nucléaire Bio Chimique (NBC), permettent d'intervenir en milieu particulièrement sensible. Ce dispositif est interconnecté avec de nombreuses structures nationales, notamment avec Météo France. En effet, nous avons une lourde responsabilité vis-à-vis des départements d'Outre-mer pour les risques cycloniques ou volcaniques.

Au niveau national, notre pluralité de moyens nous conduit aussi à aider les préfets qui doivent faire face à une situation de crise. Si un préfet est confronté à des inondations, la loi de 1987 lui permet de déclencher un plan de secours spécialisés. Nous sommes ici dans un schéma qui est particulièrement rigoureux ; les préfets ont une responsabilité particulière pour la sauvegarde de nos concitoyens. Parallèlement au préfet, nous déclenchons également le plan de secours au Centre opérationnel, grâce à un système informatique très élaboré, qui nous permet de savoir à quel moment un préfet est susceptible de solliciter le concours d'hélicoptères ou d'avions, en renfort des moyens locaux.

La structure la plus élaborée du système est sans conteste la Mission d'appui aux situations de crise. Elle regroupe des officiers des sapeurs pompiers, de l'armée de terre mais aussi des experts. Ces hommes peuvent être détachés en trois heures auprès du préfet qui en fait la demande ; ils sont immédiatement opérationnels. Pour autant, l'objectif n'est pas qu'ils se substituent aux moyens locaux. Leur rôle est plutôt celui du « poil à gratter ». En effet, en situation de crise, les préfets sont conduits à gérer de multiples problèmes, ce qui les conduits parfois à oublier la stratégie. Dans ces conditions, les hommes de la Mission doivent permettre d'engager un débat contradictoire préalable à la décision que le préfet prendra en matière opérationnelle. Ce dispositif rencontre un grand succès depuis sa mise en place. En 2000, nous avons constitué une trentaine de Missions d'appui, dans des domaines très diversifiés -avalanches, inondations, risques industriels...

La palette des moyens de réponse dont le ministre de l'Intérieur dispose pour aider au niveau local à une meilleure prise en compte du risque est donc très large. Dans la Somme, dès que le préfet l'a demandé, un groupe de sapeurs pompiers et de militaires est intervenu, afin de mettre en oeuvre le dispositif opérationnel. Comme nous avons pu le constater lors du naufrage de l'Erika ou lors de la tempête, les moyens dont dispose le ministre de l'Intérieur se révèlent parfois un peu limités par rapport à l'expression du besoin. C'est pourquoi une coopération civilo-militaire est nécessaire.

J'ai la charge de cette coopération et je dois reconnaître que nous faisons tous preuve d'un engagement de service public qui fait plaisir à voir. Nous l'avons déjà mise en oeuvre dans des situations très variées et nous savons que son potentiel est énorme, grâce aux unités militaires et aux conseils que les militaires peuvent nous apporter. Les militaires ont un dispositif sans doute moins rapide que celui des unités militaires de la sécurité civile, dont les deux régiments doivent pouvoir mobiliser 100 hommes en une heure et 300 hommes en trois heures, ce qu'ils ont toujours réussi à faire jusqu'à présent. Toutefois, les 1.600 hommes des unités militaires de la sécurité civile ne peuvent pas toujours suffire. C'est pourquoi les autres militaires nous apportent une aide au sein d'un deuxième échelon d'intervention, dans le cadre du dispositif prévu par l'ordonnance de 1959 et les décrets de 1965 et de 1983.

L'expérience que nous avons retirée du naufrage de l'Erika ou de la tempête, ainsi que de la mission nationale de retour d'expérience des tempêtes de décembre 1999 à Monsieur l'Ingénieur général Sanson, nous ont permis aujourd'hui de définir des mesures à mettre en oeuvre pour mieux sensibiliser les élus aux risques de crise majeure et pour mieux organiser la gestion de la crise au niveau départemental, indépendamment des capacités dont dispose le niveau national. La coopération civilo-militaire a donc pris des contours différents.

Après le naufrage de l'Erika et la tempête, le Gouvernement a été conduit à modifier le contour des zones de défense. En effet, nous sommes passés de 9 à 7 zones puisque les zones Centre-Ouest à Orléans et Centre-Est à Dijon ont été supprimées. La première a été rattachée à Rennes et la seconde à Metz. Nous nous sommes rendus compte qu'il existait un seuil critique à la mutualisation des moyens de secours. La zone de défense nous a semblé être un niveau pertinent pour que le préfet de zone puisse engager des moyens supérieurs à ceux du département, sans pour autant générer l'intervention massive du niveau national.

De fait, le Gouvernement réfléchit à un dispositif qui permettra aux préfets de zone de disposer d'une responsabilité et d'outils juridiques plus efficaces qu'aujourd'hui, afin de mieux coordonner l'action des pouvoirs publics en matière de secours aux personnes, lorsque plusieurs départements sont concernés par une crise majeure. Dans le cas de Vimy, la zone de défense a joué son rôle : nos collègues militaires sont intervenus en force parce qu'ils disposaient de matériels et de compétences d'une autre nature que ceux dont disposait le ministre de l'Intérieur.

Il y a eu une sorte d'apprentissage, une reconnaissance mutuelle, qui fait qu'aujourd'hui, on constate une forte solidarité, qui a très bien joué lors des inondations de la Somme. En effet, les militaires disposent de moyens lourds de génie, que les pompiers et les unités militaires de la sécurité civile ne possèdent pas. Il s'agit donc d'un dispositif permanent de réponse à une attente locale. Ainsi, les 230.000 sapeurs pompiers constituent aujourd'hui la première armée de France ; grâce aux lois de 1996, ils sont structurés dans le cadre départemental, avec un nouveau niveau de formation modifié, et ils bénéficient de l'effort des collectivités territoriales en matière de rénovation du matériel. Ces hommes sont immédiatement disponibles, qu'il s'agisse des professionnels ou des volontaires.

Parallèlement, des moyens de renfort nationaux sont prévus, qu'il s'agisse des unités militaires de la sécurité civile ou des deux autres structures sur lesquelles le ministre de l'Intérieur a une autorité naturelle : le bataillon des marins pompiers de Marseille et la brigade des sapeurs pompiers de Paris. En tout, 12.000 hommes peuvent intervenir dans des délais très rapides : ainsi, les feux de forêt de Vivario ont nécessité l'engagement de plusieurs centaines d'hommes -1.000 hommes sont partis pour la Corse en l'espace de 24 heures. Le dispositif est donc interconnecté avec l'autorité militaire ; il est échelonné, afin de dimensionner la réponse des pouvoirs publics à la nature réelle du danger et du sinistre.

La direction de la défense et de la sécurité civiles répond de manière satisfaisante et de façon diversifiée à toutes les sollicitations. Pour autant, tout ne dépend pas seulement des moyens. En 1997, une fusion est intervenue entre les compétences du haut fonctionnaire de défense, c'est-à-dire le dépositaire de la coopération civilo-militaire et la sécurité civile, qui était surtout assimilée aux hommes qu'elle regroupe et qui interviennent dans le cas d'inondations, de feux de forêt ou de catastrophes.

Aujourd'hui, le dispositif permet d'apporter des « bras » mais aussi des conseils et des experts. Ainsi, pour le risque chimique (à Rouen ou à Fos-sur-mer), le Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises a la possibilité de solliciter les conseils des experts, notamment ceux qui sont dans des entreprises privées ; ils peuvent même être agrégés au sein des missions d'appui sollicitées par les préfets pour jouer le rôle de conseils et de débatteurs.

Les missions d'appui en situation de crise ont toujours été transférées auprès des préfets en moins de trois heures. Depuis trois ans, la réactivité des unités n'a jamais été prise en défaut et nous sommes toujours parvenus à mettre en ligne 300 hommes en trois heures. Les avions de la sécurité civile sont pilotés par des hommes hors du commun, tout comme les hélicoptères rouges. Ces derniers ont sauvé 10.000 personnes en 2000, que ce soit en montagne, sur les routes ou dans les campagnes. Cela montre l'aspect positif de l'action que nous menons. La défense civile est un concept mais sa matérialité est la possibilité qu'ont les préfets de solliciter le concours des forces armées dans la diversité des spécialités qu'elles recèlent. Dans la Somme, nous avons pu constater la capacité des forces armées, sous l'autorité des préfets, qui sont intervenues positivement pour nos populations.

Pour terminer, je tiens à rappeler que nous avons perdu neuf hommes au cours de l'été dernier -pilotes d'hélicoptères, sapeurs pompiers, soldats-, notamment lors de la lutte contre les feux de forêt. En tout, ce sont vingt-trois hommes qui sont morts en deux ans. Cela montre le sens du dévouement et de la solidarité des équipes, ce qui est rassurant : dans un système où les valeurs sont chamboulées, il existe donc encore certains hommes qui ont leurs points de repère. De plus, cela montre que la réactivité de l'Etat constitue aussi un élément très fort pour la sauvegarde des populations.

M. Pierre Martin, Rapporteur - Lors de nos précédentes auditions, il nous a été précisé que l'annonce de la crue avait été effectuée mais que les structures n'étaient pas suffisantes pour recueillir cette annonce. Néanmoins, je suppose que l'annonce est arrivée sur le bureau du sous-préfet puisque ce dernier a envoyé le 12 février une note aux maires des communes concernées pour les prévenir de l'imminence du danger. A-t-on vraiment pris conscience de ce danger ? A votre niveau, étiez-vous directement prêt à y faire face ?

M. Alain Perret - Le premier point concerne la transmission de l'information opérationnelle. Le Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises a été informé par Météo France d'un risque de précipitations importantes. En revanche, nous ne savions pas que le risque pouvait provenir d'une remontée de la nappe phréatique. En effet, cette possibilité n'est pas mentionnée dans les éléments d'information qui sont transmis par Météo France. Le Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises est un élément de transmissions. Sa première mission est de retransmettre l'information donnée par les bulletins régionaux et nationaux d'alerte météorologique, selon un schéma réglementairement définie par la sécurité civile et Météo France, au niveau des Centres interrégionaux de coordination de la sécurité civile, en sachant qu'il appartient aux préfets de diffuser ensuite les informations aux maires et à toutes les structures susceptibles d'être concernées.

Dans ce cas précis, le COGIC a retransmis l'information, non pas au CIRCOSC de Lille, pour lequel la formalisation ne sera mise en oeuvre qu'à partir du 1 er août prochain, mais au CODIS 59, qui assure une coordination zonale. Le dispositif indique que l'information sur le risque n'a pas engendré une mise en alerte de nos unités, pour la simple et bonne raison qu'elles sont toujours en alerte. En effet, à Brignoles (unité n°7) et à Nogent-le-Rotrou (unité n°1), 100 hommes sont toujours prêts à partir en une heure. L'information n'a donc pas eu d'incidence sur notre mécanique opérationnelle. En cas de problème majeur, nos hommes auraient pu être détachés dans la Somme.

Le schéma nous paraît donc avoir fonctionné dans des conditions satisfaisantes, au regard de la transmission de l'information et de ses modalités de répercussion aux niveaux souhaités, tels qu'ils avaient été définis par le préfet. Au niveau national, de toute façon, nous étions déjà dans un schéma d'intervention pour répondre aux sollicitations du terrain. Nous sommes en alerte permanente mais nous ne pouvons être engagés qu'à la demande des autorités préfectorales ; il va donc de soi que nous sommes à leur disposition, dans un cadre d'alerte, d'évaluation d'un risque, mais aussi dans un cadre opérationnel, sur la base d'une méthodologie d'engagement définie par ces autorités.

M. le Rapporteur - Sur le terrain, l'impression des élus a été qu'ils sont restés seuls, durant les huit premiers jours, face à la réalité de la situation. Il est vrai qu'il s'agissait de petites communes, qui n'ont peut-être pas été informées assez rapidement ou de façon assez précise. Toujours est-il que durant la première semaine, c'est le bon sens qui a gouverné. Les pompiers étaient en première ligne ; ont-ils informé leurs supérieurs ? Tous ceux qui étaient présents ont-ils eu la bonne réaction ?

M. Alain Perret - Je suis gêné pour répondre à cette question. En effet, nous ne pouvons agir que sur sollicitation du corps préfectoral. Les moyens que nous engageons répondent donc à des besoins avérés. Je pense malgré tout que les sapeurs pompiers volontaires engagés dans les premières communes touchées ont fait remonter l'information au CODIS, en soulignant que le schéma pouvait devenir dramatique. Entre le 13 et le 15 avril, nous avons constaté une baisse des eaux brutale, qui a pu laisser penser que le plus difficile était passé ; en fait, le 22 avril, les pluies ont été de nouveau catastrophiques. Je ne pense donc pas que l'information ne soit pas remontée.

Ces inondations se répètent avec une certaine occurrence. Dans certains départements, il existe un risque d'inondation, chaque année à la même époque. Les procédures sont donc préparées par les sapeurs pompiers. Leur mode d'engagement et les mesures prises sont aujourd'hui tout à fait ordonnancées. Toutefois, pour les sapeurs pompiers engagés à la demande des maires dans les communes qui commençaient à souffrir des premiers effets de la remontée des nappes phréatiques, il a peut-être pu apparaître qu'il s'agissait d'un événement banalisé.

C'est le risque que nous encourons : nous devons donc toujours nous demander si la situation est la même que l'année d'avant. Ici, le phénomène était exceptionnel car il ne s'agissait pas d'inondations à cinétique lente mais de remontées de nappe phréatique. Dans ces conditions, la capacité réactive a été plus longue que d'habitude, tout simplement parce que l'amplitude du phénomène n'a pas été parfaitement perçue dès le départ. Toutefois, je suis convaincu que l'information est remontée.

A notre niveau, nous avons compris qu'il s'agissait d'un phénomène nouveau, ce qui a généré la mise en alerte et l'engagement progressif des moyens de sapeurs pompiers et des formations militaires de la sécurité civile. Lorsque la situation a pris les proportions que vous connaissez, les militaires ont été engagés à leur tour. Il ne s'agissait plus simplement de déposer des sacs de sable mais de mener une réflexion hydrologique globale, qui a permis finalement d'assainir la situation, grâce au déverrouillage des goulets d'étranglement.

M. le Rapporteur - Différentes alertes ont eu lieu au cours des années précédentes -1988, 1994, 2000-, ce qui conduisait d'ailleurs les habitants à dire qu'une catastrophe allait se produire. Malheureusement, la situation a été banalisée. Si la prise en compte avait été plus importante, notamment par la mise en place d'un plan ORSEC, n'aurait-il pas été possible de réduire l'ampleur des dégâts ? Je rappelle que durant huit jours, les équipes communales n'ont fait que remonter les meubles à l'aide de parpaings, pensant que le problème allait se résoudre rapidement. Pourquoi une autre solution n'a-t-elle pas été choisie dès le départ ?

M. Alain Perret - Le plan ORSEC n'aurait pas donné au préfet des moyens supplémentaires. En effet, il n'est pas un dispositif opérationnel technique de terrain ; il s'agit d'un dispositif financier. Les dispositions qui ont été prises par le préfet, notamment le fait de solliciter les forces armées, ont constitué une réaction positive, dès que la dimension de la catastrophe a pris de l'ampleur.

Le plan ORSEC n'aurait rien apporté de plus en termes de moyens. Ces derniers peuvent être engagés totalement en dehors du plan ORSEC, comme cela a d'ailleurs été fait avec le succès que l'on connaît. Si le plan ORSEC avait été déclenché, l'incidence n'aurait été que budgétaire, sous la forme de la prise en charge par l'Etat des moyens publics ou privés engagés par les collectivités.

Le rapport Sanson sur la tempête insiste sur la nécessaire refondation du plan ORSEC. On se rend compte que le traitement de cette tempête ont été de même nature dans tous les départements touchés, que le plan ORSEC ait été déclenché ou pas. De surcroît, l'aspect budgétaire a été balayé par un lourd dispositif de solidarité pris en charge par l'Etat.

Dans la Somme, nous nous sommes posé la question de savoir s'il fallait déclencher le plan ORSEC. Cette compétence ne relève pas du niveau central mais de l'autorité préfectorale locale. Toutefois, en aucune manière le plan ORSEC n'aurait apporté un supplément de moyens. Nous aurions peut-être pu affecter des hommes plus nombreux mais cela aurait pu être contre-productif au-delà d'une certaine limite.

M. le Rapporteur - Avec l'arrivée de l'armée et la création d'une cellule de crise, nous avons eu l'impression que beaucoup de choses changeaient, le tout en l'espace d'une semaine. Que ce soit pour l'une ou l'autres des raisons, nous avons constaté que l'affaire était prise en compte. Ainsi, les premiers magistrats de nombreuses communes faisaient part de leur besoin en sacs de sable depuis plusieurs jours mais on leur répondait que cela était inutile. Or la première action de l'armée a été de mettre en place ces sacs de sable. Les sinistrés ne comprenaient plus rien ; ils ont même pensé qu'on leur avait caché quelque chose. C'est ce qui a déclenché ce que l'on a appelé la rumeur d'Abbeville. Comment était-il possible que l'eau monte à un mètre, alors qu'aucune annonce n'avait été effectuée ? S'agit-il d'un manque d'information, de coordination ?

M. Alain Perret - Le concours des militaires et des UIISC auprès de la population a été déterminant pour produire des mesures de prévention immédiates mais aussi pour jouer ce rôle de conseil en vue du déverrouillage des goulets. De manière lourde, il a fallu que les moyens en hommes soient engagés. Je pense que nous devons saluer cette démarche.

M. le Rapporteur - Quelle conséquence la professionnalisation de l'armée a-t-elle eu sur les mesures prises ?

M. le Président - Le fait que nous n'ayons plus un régiment disponible dans chaque département a-t-il joué un rôle ?

M. Alain Perret - Le concept qui conduit au reformatage des forces armées est celui de la projection intérieure. Si un problème survient à Marseille ou à Aix-en-Provence, il est donc possible que ce soit un régiment de Lille ou de Verdun qui descende pour intervenir, et pas forcément celui qui est basé à trois kilomètres. Le nouveau mode de gestion des forces armées intègre donc ce concept, qui a d'ailleurs donné pleinement satisfaction à l'autorité militaire jusqu'à présent.

M. le Président - Quelle liaison existe-t-il entre le BRGM et votre cellule d'alerte ? Etes-vous alerté des situations critiques par ce biais ?

M. Alain Perret - Il n'existe pas de connexion permanente avec le BRGM, qui est simplement l'un des conseils que nous pouvons solliciter le cas échéant. Toutefois, le dispositif opérationnel ne prévoit pas une information spontanée de la part du BRGM. Le schéma est très orienté vers Météo France.

M. le Président - Le contact avec Météo France est évidemment nécessaire mais nous pensons que le BRGM pourrait aussi être utile.

M. Alain Perret - Juste avant la tempête en 1999, à 6 heures 30 du matin, nous avons reçu un appel apeuré du prévisionniste de permanence de Toulouse, nous annonçant qu'une catastrophe allait se produire à Paris. Nous avons immédiatement téléphoné à l'Agence France Presse pour diffuser une dépêche ; nous avons contacté le préfet de police pour lui dire qu'il fallait décréter une alerte générale. A 7 heures 25, la catastrophe s'est produite. En fait, le modèle informatique de Météo France, Arpège, n'avait pas prévu des valeurs de vents supérieures à 220 km/h.

Avec nos amis de Météo France, nous produisons un fascicule qui contient une carte de vigilance météorologique. C'est l'une conséquences de la tempête, à la suite de laquelle Météo France a reconnu que son dispositif pouvait être perfectionné. Le dépliant, qui sera diffusé par les communes et les préfets, fait apparaître les différents risques au niveau français, en distinguant leurs intensités. Il s'agit donc de favoriser la prise de conscience de chacun d'entre nous. Nous le ferons aussi à l'avenir pour les zones sismiques, comme nous y encourage l'incident qui s'est produit récemment en Vendée.

Dans notre pays, certaines structures disposent d'une information opérationnelle qui doit être diffusée. Il est vrai qu'il existe des informations théoriques sur lesquelles nous avons peu de prises. En revanche, la vulgarisation de l'information opérationnelle doit permettre à cette dernière d'être transmise à l'ensemble des acteurs responsables que sont les préfets. Plus encore, il nous appartient d'aller de l'avant : nous l'avons fait pour le risque météorologique ; nous le ferons pour le risque sismique. En effet, nous considérons que la prise en charge d'une évaluation d'un risque est possible par chacun de nos concitoyens. Ces derniers ne doivent pas obligatoirement être pris au piège par les feux de forêt ou les risques de tempête. Outre-mer, il existe des graduations de risque, qui permettent à chacun de savoir ce qu'il a à faire.

Dans le domaine des inondations, notamment torrentielles, nous devons être en mesure de sensibiliser nos concitoyens. Des progrès extraordinaires ont déjà été effectués en quelques années en matière d'imagerie satellitaire. Il y a peu, les opérateurs nous vendaient des images, dont nous souhaitions disposer directement dans les camions de pompiers. A l'époque, un traitement de 48 heures était nécessaire. Aujourd'hui, on constate que le traitement de l'image informatique se fait dans des délais nettement plus courts. Dans deux ou trois ans, il sera possible de recevoir les images en temps réel. Il nous appartient donc de pouvoir traduire l'information en actes simples de précaution, de prévention, d'alerte et d'engagement opérationnel, sous l'autorité des préfets. Le système fonctionne pour les cyclones ; il doit pouvoir fonctionner pour les inondations.

M. Hilaire Flandre - Pour les inondations de la Somme, le préfet a indiqué aux maires, dès le mois de février, qu'il existait un risque d'inondation.

M. le Président - 56 maires sur 783 ont été avertis.

M. Hilaire Flandre - Tous les maires n'étaient évidemment pas concernés par les inondations.

M. le Rapporteur - 107 communes ont été sinistrées.

M. Hilaire Flandre - Les réactions ont été pratiquement nulles. Je suis d'un département qui est soumis régulièrement aux inondations ; nous avons même vécu des crues centennales de la Meuse deux années de suite. Aujourd'hui, nous disposons d'un système d'alerte plus performant, qui nous permet d'anticiper. Toutefois, les gens ont pris en compte les annonces la première fois. Ensuite, comme il ne s'était rien passé, ils les ont ignorées. Lorsque l'on crie au loup trop souvent, les gens ne réagissent plus. Aux Antilles, les gens sont plus vigilants parce qu'ils connaissent les effets d'un cyclone. Pour autant, le dernier étant passé à côté des îles, il est probable que les précautions prises seront moins importantes lors de la prochaine alerte.

Par ailleurs, en France, la tradition est celle des secours gratuits. Or les imprudences de certains conduisent les simples citoyens ou les responsables de la gestion des lieux publics à s'interroger. Est-il bien normal que la personne qui descend dans un gouffre et à qui l'on sauve la vie, au risque d'en perdre d'autres, ne soit pas sanctionnée ? La réflexion est la même pour quelqu'un qui part en mer sans en avoir les compétences. Est-il bien normal que l'on aille le secourir sans lui faire supporter le risque ?

M. Alain Perret - Ce problème est au centre d'une réflexion que le ministère de l'Intérieur nous a demandé de mener et qui devrait se traduire par un ensemble d'actes législatifs. Les secours portés par les hélicoptères de la sécurité civile sont gratuits, alors que l'intervention d'un hélicoptère privé, pour lequel une convention a pu être passée avec la mairie, coûte 1.200 francs de l'heure. Cela génère un facteur de discrimination au regard du secours et une injustice par rapport à la nature du risque que prennent les sauveteurs.

Il y a plus de deux ans, pour sauver les gens qui s'étaient réfugiés dans un igloo, le maire avait été obligé de payer l'hélicoptère d'une société privée, alors que les moyens publics qui avaient été engagés étaient gratuits. Je crois qu'il y a une réflexion à mener, notamment avec les autorités sanitaires. En effet, les hélicoptères rouges transportant une personne gravement blessée de Marseille à Nice sont gratuits, alors même que l'hôpital de départ est remboursé par la Caisse primaire d'assurance maladie lorsque c'est un hélicoptère blanc qui effectue le transfert.

La mission de solidarité ne se discute pas. Toutefois, en fin d'année, nous avons parfois des difficultés de gestion. Dans tous les cas, nous devons être attentifs à la règle d'équité. C'est pourquoi le Parlement sera conduit à évoquer certaines orientations en cours de discussion au sein des services. L'objectif est de bien distinguer ce qui doit faire l'objet d'un remboursement par celui qui est secouru, de ce qui fait partie du service public et qui doit rester gratuit.

M. Michel Souplet - Ces oppositions d'intérêts ne sont pas nouvelles.

M. Alain Perret - Le problème est le même pour les véhicules de sapeurs pompiers qui sont de plus en plus sollicités au regard de la raréfaction des moyens dont sont dotés les SAMU. Je crois que nous devons poser les problèmes.

M. Fernand Demilly - Pour bien organier les secours, il faut anticiper les catastrophes. Est-il possible de déterminer des indicateurs pour ce faire, notamment pour les inondations ?

M. Alain Perret - Normalement, il existe des plans de prévention des risques naturels, qui sont mis en oeuvre sous l'autorité du ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement. En liaison avec les moyens de secours à la disposition du préfet, ces documents doivent pouvoir donner une information réaliste et forte à la population sur la nature du risque encouru. Actuellement, de plus en plus de PPRI sont mis en oeuvre.

M. Fernand Demilly - Un directeur du Laboratoire du contrôle des eaux avait constaté des variations très anormales des paramètres physico-chimiques de l'eau six mois avant les inondations. Il souhaite d'ailleurs que des études soient faites à partir de ses observations, qui pourraient apparaître comme un élément prédictif.

M. Alain Perret - Il faut certainement faire en sorte que toutes les structures de nature scientifique qui disposent de résultats pouvant intéresser l'autorité responsable de la sauvegarde de la population soient mieux centralisées, afin que des analyses communes soient effectuées. Au ministère de l'Intérieur, nous sommes capables de le faire ; nous le faisons d'ailleurs déjà dans de nombreux domaines, notamment en matière d'inondation, lorsque les phénomènes sont moins pervers que ceux que nous avons connus dans la Somme. En effet, peu de personnes ont pu dire dans les premiers jours que les inondations étaient dues à des remontées de la nappe phréatique.

M. le Rapporteur - Dans la Somme, étant donné que l'événement s'est produit, nous n'allons plus analyser la situation de la même façon. La crise aura donc eu au moins un aspect positif.

M. Alain Perret - Toute situation de crise contient toujours un aspect positif. Nos concitoyens ont donc tout à gagner de notre capacité à mener des retours d'expérience, à améliorer nos procédures et à accroître notre vigilance, que ce soit au niveau des préfets territoriaux ou de l'administration centrale.

Par ailleurs, je peux vous assurer que les comparaisons avec les pays étrangers, notamment la Grande-Bretagne, montrent que la solidarité, la mobilisation des moyens, l'investissement des hommes au contact de ceux qui souffrent restent une spécificité française.

M. le Président - Nous vous remercions pour votre intervention.

19. Audition de M. Régis Thépot, directeur de l'Établissement public d'aménagement de la Loire et de ses affluents (EPALA) et Secrétaire général de l'association des Établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) (13 juin 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui M. Régis Thépot, directeur de l'EPALA et secrétaire général de l'association des EPTB.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Régis Thépot.

M. le Président - Je vous laisse évoquer l'expérience que vous avez des questions qui nous préoccupent.

M. Régis Thépot - C'est un honneur pour moi d'être auditionné par votre commission. Je tiens à rappeler que l'EPALA et l'Association française des établissements territoriaux de bassin sont présidés par M. Eric Doligé, qui est Président du Conseil général du Loiret. Je suis prêt à répondre à toutes vos questions. Toutefois, je crains que vous ne soyez quelque peu déçus. En effet, je n'ai pas d'expérience particulière s'agissant des inondations de la Somme. Toutefois, je peux éventuellement faire des commentaires très généraux sur ce thème. J'ai prévu d'articuler mon exposé autour de la présentation de l'EPALA et de l'Association française des EPTB. J'évoquerai aussi la méthode que nous avons adoptée pour la protection contre les inondations sur le bassin de la Loire, notamment en évoquant les exemples du réseau Cristal et du projet Osiris. Je dirai ensuite quelques mots sur la Somme, en répondant si vous le souhaitez à vos questions concernant l'influence des pratiques forestières et agricoles sur l'ampleur des inondations. Enfin, je vous ferai part de mon point de vue de représentant de l'Association française des EPTB, qui a adopté des recommandations à l'unanimité. Je précise que vous pouvez obtenir de plus amples informations concernant l'EPALA sur son site Internet, dont l'adresse figure dans les dossiers que je vous ai distribués.

L'EPALA est une institution au statut juridique de syndicat mixte, le plus grand de France puisqu'il regroupe 6 régions, 7 départements, 19 villes et 10 syndicats départementaux. Comme son nom l'indique, son objectif est d'avoir une action sur l'aménagement de la Loire et de ses affluents. Cet établissement a été créé à l'initiative de Jean Royer, à l'époque député-maire de Tours, dans le mouvement général de la décentralisation, à la fin 1983, après la publication d'un rapport qui fait toujours référence aujourd'hui, rédigé par Jean Chapon, ingénieur général des Ponts et Chaussées. L'EPALA a pris la suite de l'Institution interdépartementale pour la protection du Val de Loire contre les inondations. Pour l'EPALA, l'amélioration de la protection contre les inondations est donc une priorité.

Pour sa part, l'Association française des établissements publics territoriaux de bassin est une association de type loi 1901, créée en janvier 1999. Elle comprend une vingtaine de structures du même genre que l'EPALA (EPIDOR pour la Dordogne, le Léman, l'Institution départementale de la Haute-Saône, le SMEAG pour la Garonne...).

M. Hilaire Flandre - On peut citer aussi l'EPAMA.

M. Régis Thépot - En effet. L'EPAMA est d'ailleurs calqué sur le modèle de l'EPALA en termes de statuts. L'association regroupe d'abord des élus (2 par établissement public). Pour ma part, je suis fonctionnaire et l'association peut être comparée à l'association des élus de montagne. En fait, la notion EPTB n'est pas inscrite dans la loi mais elle apparaît dans le prochain projet de loi sur l'eau. En effet, l'objectif de ces établissements publics est d'obtenir une reconnaissance institutionnelle dans le domaine de la gestion de l'eau. A l'heure actuelle, les EPTB prennent la forme de syndicats mixtes ou d'institutions interdépartementales.

Nous vivons une phase d'intégration croissante. Après avoir organisé des échanges avec des techniciens, nous avons constaté que les élus souhaitaient aussi échanger, ce qui nous a conduits à mettre ces clubs en place, regroupant des institutions de trois origines différentes. Les premières sont celles du type de l'EPALA ; les deuxièmes sont plus environnementales ; les troisièmes ont une vocation de développement. Aujourd'hui, nous constatons une phase de convergence très forte entre toutes ces structures puisque près de vingt membres deviennent peu à peu des acteurs à la fois de l'aménagement, de l'environnement et du développement. Ainsi, depuis l'année dernière, une commission de l'EPALA s'intéresse à la culture et au tourisme, ce qui constitue une évolution très importante par rapport à la mission d'origine. Ces institutions se veulent des acteurs de la gestion de l'eau mais aussi de l'aménagement du territoire, alors que d'autres sont encore trop orientées uniquement sur le premier domaine. Nous sommes pourtant des émanations de collectivités territoriales, dont les membres sont des régions, des départements ou des communes.

Certains pourraient penser que notre action est efficace puisqu'il n'y a pas d'inondations autour de la Loire. Je dois donc rappeler que cela s'explique d'abord par le fait que nous avons eu de la chance.

Pour autant, les pluies sont largement tombées dans notre région et les sols étaient saturés il y a un mois, ce qui nous a inquiétés, d'autant plus que le risque naturel sur le bassin de la Loire est l'un des trois premiers en France qui soit identifié par les assureurs, après l'inondation de la région parisienne, même s'il est occulté par les habitants de cette belle cité et le tremblement de terre dans la région niçoise. Une inondation provoquée par la Loire pourrait provoquer une catastrophe entraînant 40 milliards de francs de dégâts, pour 13.000 entreprises et 300.000 habitants sinistrés.

M. Hilaire Flandre - La hiérarchie des assureurs est donc celle du coût des dégâts.

M. Régis Thépot - D'autres risques particuliers existent sur l'amont, notamment en Ardèche, où les crues sont extrêmement rapides et torrentielles. La prévention des inondations est donc une priorité de l'Etat et des collectivités, qui était comprise dans le plan Nature, initiative commune de l'Etat et des collectivités locales faisant suite à une décision du Gouvernement Balladur, dont la charte d'exécution a été signée en juillet 1994. Cette initiative a été reprise dans le programme interrégional, suite à une décision du gouvernement Jospin en juillet 1999, qui a fait l'objet d'une convention cadre d'exécution signée récemment entre l'Etat et l'EPALA.

Dans ce cadre général, l'EPALA joue notamment le rôle d'exploitant de barrages. Nous gérons également en commun le réseau Cristal. Nous menons des démarches pour l'amélioration de l'information des services gestionnaires, des élus et des riverains, dans le cadre du projet Osiris. De plus, sur le bassin de la Loire, nous avons la chance de disposer d'une équipe pluridisciplinaire, composée de sept agents de haut niveau, qui sont basés administrativement au sein de l'Agence de l'eau. Le 3 mai dernier, le Président de la République est d'ailleurs venu à Orléans pour assister à la réunion du Comité de pilotage de l'équipe. Cette dernière, cofinancée par l'Etat, l'EPALA et l'Agence de l'eau, a été mise en place dans le cadre du plan Loire, à partir de 1995. Elle a été reconnue grâce à la qualité de ses agents mais aussi parce qu'elle était partenariale. Si cela n'avait pas été le cas, elle aurait sans doute été moins bien acceptée. Aujourd'hui, le travail technique est reconnu par l'ensemble des intervenants sur le bassin de la Loire, ce qui est absolument nécessaire, mais pas suffisant, pour construire des politiques de prévention dignes de ce nom. De plus, on ne peut pas prétendre s'intéresser à la prévention des inondations si l'on ne dispose pas d'équipes pluridisciplinaires.

Par ailleurs, nous avons fait prendre un virage très important, au niveau du bassin de la Loire, sur la façon de traiter la question de la prévention des inondations. Il y a quelques années, pour assurer la protection contre les inondations, nous pensions qu'il fallait construire un ouvrage. Depuis, nous avons suivi une autre optique, de réduction des inondations. Cela passe par la mise en place d'une démarche hydraulique, de tentatives de guidage de l'eau dans des zones où elle n'est pas gênante, mais aussi par l'étude de l'interaction entre l'eau et les territoires, les biens et les personnes.

Nous avons donc lancé des stratégies innovantes de réduction de la vulnérabilité des biens et d'évaluation des dommages. Un travail de fourmi a été effectué pour convaincre les acteurs de terrain de participer à la réduction du risque. En effet, la catastrophe peut toujours se produire : si le niveau de la Loire était supérieur à celui de la crue deux-centennale, nous savons que le système exploserait. Nous devons donc plutôt mettre en place les dispositions permettant de réduire ce risque à la probabilité très faible. En fait, c'est le croisement du faible risque et du coût élevé qui justifie parfaitement l'irruption du politique dans la décision. En effet, l'évaluation des actions à mener ne peut résulter d'un choix technique mais politique, les techniciens devant simplement fournir des éléments facilitant la prise de décision.

Sur l'ensemble du bassin, nous lançons des démarches, notamment en Sarthe et en Mayenne pour le bassin de la Maine. Nous avons mené une étude globale de gestion des crises hydrologiques (crues et étiages), sur la base des démarches de type 3P (prévision, prévention, protection). Enfin, nous suivons une démarche équivalente sur le haut bassin de la Loire.

Pour sa part, le réseau Cristal, mis en place au début des années 1980, est géré en commun par l'Etat et l'EPALA, avec l'appui financier de l'Agence de l'eau. Dès le départ, ses concepteurs ont estimé qu'il était préférable de fusionner les deux réseaux qui existaient alors. Le réseau Cristal permet de fournir aux services d'annonce des crues des informations fiables en temps réel. Il permet aussi de piloter la gestion des retenues d'eau. Les sommes en jeu sont tout à fait considérables : dans le cadre du plan Loire, nous avons engagé l'opération Cristal 2, qui sera d'ailleurs inauguré la semaine prochaine, et dont le montant est de 36,6 millions de francs.

Par ailleurs, nous sommes les pilotes du projet européen Osiris, qui réunit une douzaine de partenaires en France, en Allemagne, en Pologne et en Italie. Ce projet résulte d'un appel à projet lancé par la Commission européenne et vise à améliorer l'information des citoyens, notamment en utilisant les nouvelles techniques de communication. Sur la base d'un retour d'expérience au niveau de la Loire moyenne et des crues de l'Oder, nous essayons d'améliorer l'information des élus, des citoyens et des services gestionnaires. Lancé au début de l'année 2000, le projet prendra fin en 2002. Toujours dans ce cadre, deux cent entretiens ont été menés pour voir comment les agriculteurs percevaient l'annonce des crues, la gestion des inondations...

Actuellement, nous développons des projets pour mettre à disposition des services gestionnaires, des élus et des citoyens de l'information sous forme conviviale. En effet, en France, nous disposons de systèmes de transmission de l'information qui sont aujourd'hui dépassés et qui sont très éloignés des attentes des citoyens. Nous développons donc des projets, en concertation avec les services de l'Etat, d'abord en Loire moyenne, puis sur l'ensemble du bassin. Cela pourrait permettre de servir de norme au niveau européen.

Pour la Somme, je peux simplement dire que j'ai été très surpris par le type d'inondation rencontré. En effet, j'ignorais que les inondations de nappe pouvaient exister. Dans le bassin de la Loire, les inondations sont torrentielles ou surviennent par ruissellement. Il semble évident que la cause principale est la densité phénoménale des pluies qui sont survenues. Toutefois, il existe tout une chaîne de responsabilités sur laquelle mes compétences ne me permettent pas d'apporter un éclairage.

La semaine dernière, au Mans, j'assistais à des assises régionales sur la prévention des inondations, organisées par la région des Pays de la Loire. Autour du Mans, il se produit des inondations régulières, ce qui entraîne une incompréhension très forte des populations. A cette occasion, j'ai découvert une polémique scientifique sur l'impact des pratiques agricoles (déforestation, remembrement...). J'ai pu lire un extrait d'un rapport du CEMAGREF qui fait le point sur le sujet. Or il semble très hésitant sur l'influence de la façon de cultiver la terre sur les crues. Pour sa part, le maire du Mans m'a dit qu'il ne s'agissait que de propos de techniciens et que tout le monde savait que les crues survenaient plus fréquemment que par le passé. Pour ma part, je considère que ces faits ne sont pas avérés.

Dans tous les cas, il ne faut pas privilégier les approches scientifiques au mépris des sciences humaines et sociales. Il est vrai que les personnes qui s'occupent des inondations sont des techniciens et non des sociologues ou des historiens. Or la perception des inondations peut tout à fait évoluer au fil du temps. Un même niveau de crue ne sera donc pas ressenti de la même manière par les populations touchées. Concernant la responsabilité du remembrement, je n'ai pas de réponse précise. Les choses ne sont pas aussi simples que l'on pourrait le penser.

En conclusion, les préconisations qui pourraient être formulées à la suite des inondations peuvent être regroupées en trois catégories : il faut intervenir à l'échelle du bassin de risque, c'est-à-dire les bassins hydrographiques (Somme, Allier, Maine...) et non des six grands bassins français ; il faut clarifier les compétences de l'Etat et des collectivités territoriales, et identifier les personnes chargées de mettre en application la politique de prévention globale ; ces politiques de prévention n'ont de sens que si elles sont partenariales. A ma connaissance, il n'existe que deux politiques de ce type en France : l'une dans la Loire et l'autre dans l'Oise, où une charte tout à fait remarquable de gestion du risque d'inondations sur le bassin versant de l'Aisne et de l'Oise a été adoptée le 8 janvier dernier. L'Association des établissements publics territoriaux de bassin recommande d'ailleurs de mettre en oeuvre ce type de charte au niveau des différents bassins.

Par ailleurs, il est important que l'Etat et les collectivités agissent intelligemment. Toutefois, il est aussi essentiel de mobiliser le citoyen, qui doit être au coeur de la politique de prévention, cette dernière ne devant pas être uniquement institutionnelle. Dans ce cadre, les assureurs pourraient jouer un rôle essentiel puisqu'ils sont en relation avec des clients. Il serait aussi possible de s'appuyer sur les chambres de commerce par exemple. En revanche, si les politiques ne sont qu'institutionnelles, il est certain qu'elles échoueront.

Enfin, si vous souhaitez renforcer notre capacité nationale à réduire le risque d'inondations, il faut renforcer le potentiel technique du pays. Pour cela, il pourrait être possible de mettre en place dans les six grands bassins français des équipes pluridisciplinaires, avec l'appui d'un pôle national sur la prévention des inondations. Nous traitons d'ailleurs le même genre de questions à titre expérimental au niveau du bassin de la Loire. Ainsi, notre équipe pluridisciplinaire a défini des méthodes concernant les audits relatifs aux inondations dans les entreprises. Cette démarche aurait dû être nationale, d'autant plus que les sommes nécessaires ne sont pas très importantes. Il suffit d'environ cinquante personnes de très haut niveau, qui pourraient être formées en quelques années.

Dans le cadre du futur projet de loi sur l'eau, nous pourrions aller plus loin dans la mise en oeuvre de la directive cadre européenne qui préconise la mise en place de plans de gestion à l'échelle des districts hydrographiques. En effet, cette directive est très discrète en matière de prévention des inondations. En revanche, elle indique clairement qu'il faut gérer l'eau à l'échelle des districts hydrographiques et des bassins. Nous pourrions donc mettre en oeuvre des plans de gestion, tels qu'ils sont préconisés par la directive cadre, portant notamment sur les étiages et les inondations. Nous ferions ainsi un grand pas en avant en matière de prévention.

M. Pierre Martin, Rapporteur - Existait-il un partenariat entre le Bassin parisien, et ceux de la Somme et de l'Oise ? Si oui, comment s'articulait-il ? En effet, les informations qui ont été divulguées ont mis en cause les uns ou les autres. Existe-t-il une gestion globale de ces trois bassins, sachant que les liaisons physiques sont une réalité entre les cours d'eau concernés ?

M. Régis Thépot - Je pense qu'il faudrait auditer les acteurs concernés. Toutefois, je connais les questions qui ont été posées dans ce domaine sur la fameuse gestion coordonnée de la Seine et de la Somme. Il est vrai que l'institution des grands lacs de Seine est historiquement plutôt au service de la région parisienne et non du bassin de la Seine. Pour sa part, l'EPALA est un outil plus élaboré. D'ailleurs, si la loi va dans ce sens, je pense qu'il faudra favoriser la mise en place d'institutions de proximité sur certains affluents de la Loire. L'institution de bassin aurait alors une mission de portage d'actions, notamment par le biais de réseaux du même type que Cristal. Dans tous les cas, je suis convaincu qu'une bonne gestion ne peut qu'être de proximité. Pour répondre plus précisément à votre question, je pense que vous pourriez auditionner les responsables du bassin des grands lacs de Seine, qui mènent d'ailleurs des initiatives tout à fait intéressantes. Ils ont notamment un projet complémentaire pour essayer d'améliorer la protection de la région parisienne contre les inondations.

M. le Rapporteur - La gestion du risque au niveau de la Seine n'influe-t-elle pas de façon négative sur la gestion de la Somme ?

M. Régis Thépot - Je ne suis pas mandaté pour vous répondre.

M. François Demilly - Le lit de la Somme et la Somme canalisée sont domaniaux ; c'est donc le Conseil général, en tant que concessionnaire, qui en assure l'entretien. En revanche, tous les affluents relèvent de la propriété privée ; l'entretien revient donc aux particuliers qui sont regroupés en association syndicale, sur la base d'un statut qui date de Louis-Philippe. Le Conseil général a souhaité moderniser la gestion des cours d'eau dans le département, en regroupant les collectivités et les associations syndicales concernées. L'objectif était de créer puis de fédérer des syndicats mixtes et de mettre en place une cellule rivière avec des techniciens... Dans ce domaine, nous nous heurtons à l'opposition des associations syndicales, qui refusent de s'organiser, qui rencontrent parfois des difficultés financières pour remplir leur mission mais qui ne souhaitent pas perdre leurs prérogatives. Comment avez-vous procédé à votre niveau ? Rencontrez-vous les mêmes problèmes de statut pour les rivières et les affluents ?

M. Régis Thépot - Il est vrai que l'on ne peut pas parler de la gestion des cours d'eau si l'on ne s'intéresse pas à leur domanialité. A ce niveau, chaque cas est particulier. Toutefois, il existe indéniablement une différence considérable entre les réseaux domaniaux et non domaniaux, ces derniers étant les plus nombreux. La difficulté est de faire bouger les acteurs locaux privés. Comment parvenir à faire mieux entretenir les cours d'eau ? Le législateur le permet, notamment grâce à l'article 31 de la loi sur l'eau, après enquête et déclaration d'intérêt général. Pour autant, cela pose des problèmes aux riverains concernés en ce qui concerne le financement.

L'EPTB ne regroupe que des institutions ou des syndicats mixtes couvrant au moins deux départements. Toutefois, le gros de l'entretien du fleuve se fait avec des syndicats intercommunaux et des associations. Il faut donc parvenir à une bonne coordination. Les EPTB demandent d'ailleurs que l'Etat conserve sa responsabilité pleine en matière de prévention des risques. Ensuite, il faut améliorer la gestion sur les six grands bassins, puis au niveau des 50 à 60 bassins hydrographiques. Au sein de l'EPALA, les syndicats pourraient constituer un bon moyen de progresser dans ce domaine.

Il faut utiliser toute la palette des actions publiques. Actuellement, il est vrai que les carottes ou les bâtons ne sont sans doute pas assez nombreux. Pour autant, les maires ont toujours la possibilité d'imposer certaines choses, sachant qu'ils font ensuite face aux citoyens mécontents. C'est pourquoi je pense que les décisions doivent plutôt être prises par des acteurs un peu en retrait géographiquement. En effet, il est plus difficile pour le maire de prendre une décision que pour une structure éloignée qui revendique le respect de l'intérêt général. Pour sa part, l'EPTB milite fortement pour une future loi sur les fleuves et les rivières car c'est à ce niveau que les difficultés se posent. Je connais des exemples, notamment celui de la Sèvre nantaise, où un travail extraordinaire est mené sur le terrain. Dans tous les cas, ces politiques ne peuvent pas être imposées.

M. François Demilly - Vous rencontrez les mêmes problèmes en matière de domanialité.

M. Régis Thépot - Certains EPTB interviennent essentiellement sur le domaine public, comme l'EPALA. Il est vrai que l'une des difficultés de la gestion est que les structures de type EPTB n'ont pas de territoire mais n'interviennent qu'en appui à des politiques. Est-ce pour autant la seule cause des phénomènes d'inondation ? Dans tous les cas, je pense qu'il faut tout faire techniquement pour réduire le risque, sachant que ce dernier existe de toute façon. Toutes ces politiques, comme l'amélioration de l'entretien des cours d'eau, demanderont près de dix ou vingt ans. En revanche, mieux gérer le risque peut être fait immédiatement, en mettant en oeuvre des plans de secours spécialisés au niveau des préfectures et des communes et en responsabilisant les acteurs locaux. En effet, il est aberrant de constater qu'un assureur rembourse une chaudière située dans la cave à chacune des inondations.

M. Hilaire Flandre - En général, les assureurs ne couvrent plus ce genre de risque... Quelle est la date de création de l'EPALA ? Quelle est la part de chance et d'intervention de l'EPALA dans le fait que les inondations n'ont pas été importantes depuis la création de l'établissement, au niveau du bassin de la Loire ? Les habitants de Charleville disent que c'est la création de l'établissement public de bassin qui a permis d'arrêter les inondations de la Meuse. Il est vrai que le curage a certainement joué un rôle mais pas à ce point.

M. Régis Thépot - L'EPALA a été créé à la fin 1983. Le fait que nous n'ayons pas eu de crue ces derniers temps est principalement dû à la chance. En fait, les inondations atlantiques n'ont pas été renforcées par des inondations venant du Sud. Nous disposons d'un barrage écrêteur, mis en service en 1985, qui a servi une seule fois depuis, le 13 novembre 1996. Ce jour-là, il a permis de réduire de moitié le débit de la Loire à l'aval du barrage.

Il existe une ambiguïté en matière de prévention car tous les acteurs ne la définissent pas de la même façon. Cette notion doit aussi intégrer la protection. Sur la Loire moyenne, notre stratégie complète sur une vingtaine d'années coûte 3 milliards de francs, ce qui est raisonnable au regard des 40 milliards de dégâts potentiels. Toutefois, c'est aux politiques d'apprécier ce rapport.

M. Hilaire Flandre - La mobilisation financière sera de plus en plus difficile à faire admettre au fur et à mesure que la crue s'éloignera dans le temps.

M. Régis Thépot - C'est vrai. Nous l'avons d'ailleurs constaté lors du projet de construction du barrage écrêteur. Le propre des pouvoirs publics est justement de mettre en place des structures permettant de dépasser ces problèmes. Peut-être que dans deux ans, le Sénat créera une commission d'enquête sur des sécheresses exceptionnelles. Nous ne savons pas si les phénomènes seront plus fréquents ; en revanche, il semble évident qu'ils seront plus marqués.

Notre rôle est de mettre en place des cadres qui nous permettront de continuer à travailler sur les dossiers, indépendamment de la sensibilité de l'opinion. En effet, les cycles de l'opinion publique sont beaucoup plus rapides que ceux qui sont nécessaires à la réalisation d'une action.

M. le Président - Pourriez-vous nous dire de quelle nature sont les redevances de l'EPALA ?

M. Régis Thépot - Nous ne bénéficions pas de recettes propres ; nous devons donc négocier en permanence avec nos membres. Nous avons trois postes de dépenses : des dépenses de fonctionnement de l'ordre de 5 millions par an pour un effectif de 10 personnes ; des dépenses d'exploitation pour 10 millions par an ; des dépenses liées à des actions précises dont le montant peut aller jusqu'à 100 millions de francs. Le financement de ces trois types de dépenses se fait en fonction de clefs adoptées par l'assemblée délibérante.

Pour le fonctionnement, les départements membres nous financent grâce à une clef basée sur la richesse fiscale, sachant que les régions participent aussi éventuellement à ce niveau. Pour les dépenses d'exploitation, nous montons des partenariats avec l'Etat et l'Agence de l'eau -le réseau Cristal est financé par l'Etat et l'EPALA, un refinancement étant prévu par l'Agence de l'eau, ce qui nous laisse une part de 27 %. Pour les actions, nous disposons d'un double critère : 10 % de la dépense sont financés en solidarité et 90 % en critères techniques.

Ainsi, pour un ouvrage écrêteur de crue, nous allons faire payer plus cher les sites qui en sont proches puisque l'effet du barrage se réduit au fur et à mesure que l'on s'en éloigne. L'intérêt des EPTB est justement de pouvoir faire entrer la solidarité dans le jeu politique. Les élus de l'EPALA ont toujours travaillé de façon solidaire sur les dossiers prioritaires, en privilégiant toujours la sécurité.

M. le Président - Nous vous remercions pour votre participation.

20. Audition de M. Claude Lefrou, président, accompagné de M. Jean-Louis Verrel, secrétaire général de la mission d'expertise interministérielle sur les inondations de la Somme (13 juin 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui M. Claude Lefrou, président de la mission d'expertise interministérielle sur les inondations de la Somme.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Claude Lefrou et Jean-Louis Verrel .

Tout le monde a déjà entendu parler de la mission Lefrou, qui existait même avant notre Commission d'enquête. Vous avez rendu un premier document le 31 mai dernier, en prenant la précaution de dire qu'il ne s'agissait que d'un rapport d'étape. Pouvez-vous commenter ce rapport ?

M. Claude Lefrou - Notre mission est interministérielle, commandée par quatre ministres, Environnement, Intérieur, Equipement, Agriculture et composée de membres des Inspections générales de chacun des ministères. J'en assure la coordination. Notre cahier des charges était assez complet et il ne nous était pas possible de répondre à toutes les questions dans le délai fixé à la fin du mois de mai. Nous avons donc remis un rapport d'étape, qui correspond à nos connaissances actuelles ; des précisions devront encore être apportées dans les mois qui viennent. Notre rapport définitif devrait être disponible au début de l'automne ; il fournira notamment une évaluation des dégâts, ce que nous ne sommes pas capables de faire aujourd'hui. Pour les inondations de l'Aude, je rappelle que nous avions encore des incertitudes sur l'évaluation des dégâts six mois après la catastrophe.

Il nous a été demandé de caractériser l'événement, notamment sa cause. Il est évident que l'inondation est due à une pluie exceptionnelle. En effet, depuis que des observations sont effectuées à Abbeville, c'est-à-dire 1945, les quantités n'avaient jamais été aussi importantes entre octobre et avril : il est tombé le double de ce qu'il tombe normalement durant la période. La première cause est donc une pluie jamais connue au niveau du bassin. La plus récente inondation datait de 1994-1995 : les quantités d'eau avaient été importantes mais la différence est que les pluies ont été cette année plus abondantes et qu'elles ont concerné l'ensemble du bassin, alors qu'elles n'avaient concerné que la partie aval du bassin en 1994-1995.

De plus, l'événement a concerné un bassin à la géologie particulière. La même quantité de pluie est tombée en Bretagne mais dans cette région l'eau ruisselle, ce qui permet une évacuation plus importante. Au contraire, le bassin de la Somme est très perméable, du fait de la craie. Il se constitue donc une nappe qui accueille la quasi-totalité de l'eau, qui ne ruisselle pas comme en Bretagne. L'eau s'accumule donc dans la nappe, qui se vide en permanence dans les rivières. Plus la quantité d'eau accumulée est importante, plus le niveau de la nappe est élevé et plus le débit de sortie de cette nappe est fort. A la fin du mois de février, le niveau de nappe était de l'ordre de grandeur de celui de 1994-1995. A l'époque, au cours de l'automne, Abbeville était la seule ville à avoir reçu des quantités d'eau élevées, contrairement au Centre et à l'Est. En 2000-2001, les quantités ont été plus importantes et elles ont concerné l'ensemble du bassin. De janvier à avril, tout le bassin a été concerné dans les deux cas mais les quantités ont été supérieures en 2000-2001 par rapport à 1994-1995.

Il est possible de simuler le fonctionnement du système en prenant l'exemple de trois réservoirs. Le premier est constitué par les premiers décimètres du sol ; il s'agit de la zone du sol agricole, dans laquelle les plantes puisent leur eau. Le troisième réservoir est celui de la nappe d'eau souterraine, où l'eau remplit tous les vides de la roche. La partie intermédiaire, appelée zone non saturée par les géologues, est remplie à la fois d'air et d'eau. En été, l'évapotranspiration est supérieure à la pluie. Tout ce qui est tombé sur le sol est donc repris par les plantes et l'évapotranspiration. Evidemment, la façon dont ce réservoir fonctionne est variable d'une année à l'autre en fonction de la sécheresse ou de l'humidité. Toutefois, du mois de mai au mois de novembre, ce réservoir n'est pas plein et il ne se produit donc aucune infiltration vers la zone inférieure.

A partir du mois de novembre, le premier réservoir est plein. Le ruissellement est donc possible, ainsi que les infiltrations. On enregistre une augmentation relative de l'eau par rapport à l'air dans la zone non saturée. L'eau atteint alors la nappe dont le niveau monte et dont le débit de sortie augmente aussi. Lors des années exceptionnelles, le réservoir amont est toujours plein, le ruissellement peut être plus important et l'eau descend toujours dans la zone non saturée. En revanche, dans de telles circonstances, le niveau de la nappe atteint des niveaux exceptionnels, ainsi que le débit de sortie dans les sources souterraines. De plus, il apparaît des sources temporaires, qui coulent dans des valons normalement secs, et qui contribuent à accroître le débit des eaux superficielles. Au cours des premières pluies d'automne, l'impact est donc nul et le débit du cours de la rivière peut continuer à descendre. En revanche, à partir de novembre ou de décembre, on constate une augmentation progressive du débit de la rivière, sans que le ruissellement ne soit pour autant très important.

A la fin de l'année 1995, les niveaux des nappes étaient élevés, avant de décroître par la suite, notamment en raison d'années sèches qui n'ont pas permis de l'alimenter de nouveau. Au contraire, dans les deux années qui ont précédé l'automne 2000, l'humidité a été relativement importante. Le niveau de la nappe est donc remonté, chaque fois à un niveau supérieur à celui de l'année précédente. A la fin de l'été 2000, le niveau de nappe était déjà relativement élevé et bien plus élevé que les années précédentes. C'est dans ces conditions que se sont accumulées les pluies exceptionnelles au cours des sept mois qui ont suivi.

En février, le niveau des nappes était élevé mais nous n'avons enregistré aucune inondation. Ce n'est qu'à la fin du mois de mars que les inondations sont intervenues, sachant qu'il est tombé trois fois les quantités normales de pluie en mars et deux fois en avril. Cette accumulation de pluie sur un niveau de nappe à la limite du débordement a fait que les débits des rivières ont été supérieurs à la capacité d'écoulement, notamment du canal de la Somme et de la rivière Somme. C'est à la fin mars et au début du mois d'avril que nous avons dépassé un seuil au-delà duquel les rivières n'étaient plus capables d'écouler dans leur lit mineur les débits qui se présentaient. L'eau a donc débordé dans le lit majeur, en passant par-dessus les berges et les digues. Le lit majeur a été envahi, sachant qu'il contient un réseau de fossés qui a pour fonction de ramener l'eau dans le bief inférieur. Toutefois, compte tenu d'un entretien insuffisant de ces fossés et de la construction d'ouvrages par-dessus, limitant ainsi les capacités d'écoulement, les fossés et les affluents n'ont pas été capables de ramener dans le bief aval, l'eau qui débordait du bief amont. Il s'est donc accumulé environ 90 millions de m 3 dans le lit majeur.

Lorsque la pluie s'est arrêtée au début du mois de mai et que l'évaporation s'est développée, la nappe a continué à se déverser dans la rivière avec des débits qui sont restés constamment élevés, environ 100 m 3 /seconde à Abbeville. Comme la nappe continuait à alimenter la rivière, la possibilité d'éliminer l'eau qui s'était accumulée était relativement faible, d'autant plus que les ouvrages dont nous parlons continuaient à réduire les possibilités. Durant cette période, certains obstacles ont été supprimés par le Génie, en accord avec les services de l'Equipement et le Conseil général, afin de faciliter la décrue et l'évacuation des eaux.

Enfin, en matière de relation avec les bassins voisins, il faut rappeler que l'eau de la Somme vient du bassin de la Somme et que l'eau circule toujours du haut vers le bas. En dehors des ouvrages de navigation, elle ne peut donc pas passer d'un bassin à l'autre. Les seules relations qui existent sont ces ouvrages de navigation, qui sont constitués d'un certain nombre de paliers horizontaux. Chaque fois qu'un bateau passe une écluse, l'eau descend d'un bief dans l'autre. Pour que le principe puisse fonctionner, il faut donc alimenter ce que les spécialistes de la navigation appellent le bief de partage, situé sur le point haut. Dans le cas du Canal du Nord, le bief de partage peut être alimenté à partir de l'Oise ou de la Somme pour le versant Sud et à partir de la Sensée ou de la Somme pour le versant Nord, grâce à des pompes installées à chacune des écluses.

Des consignes de fonctionnement des ouvrages font que l'alimentation se fait plutôt à partir de l'Oise en période de basses eaux, afin de ne pas réduire le débit de la Somme. Au contraire, en période de hautes eaux, la consigne d'exploitation est de pomper dans la Somme pour alimenter le bief de partage. Il n'est donc pas possible que l'eau soit passée du bassin de la Seine au bassin de la Somme, compte tenu de l'exploitation prévue. Il est vrai que dans le dernier bief du canal du Nord avant la traversée de la Somme, il existe le déversoir d'Epénancourt, dans lequel sont passés des débits importants. Toutefois, l'eau présente dans ce déversoir provient des écluses mais aussi des affluents de la Somme.

M. le Président - L'eau du déversoir est évacuée en cas de montée trop forte du niveau du canal du Nord.

M. Claude Lefrou - Plus le niveau de l'eau est élevé dans les affluents et plus le débit de ce déversoir est important. Certains ont pensé qu'il s'agissait d'eau en provenance du bassin de la Seine.

M. le Président - De plus, le bief de Ham a été vidangé par hasard le 23 mars, alors qu'une information aurait dû être effectuée auparavant. En tout, 650 mètres de canal ont été mis à sec pour faire des réparations. Ces travaux étaient prévus depuis plusieurs mois. Pour les gens qui ont vu l'eau partir, il était difficile de s'empêcher de faire le lien.

M. Hilaire Flandre -Les quantités d'eau étaient ridicules.

M. le Président - En effet, 350.000 m 3 ne représentent rien par rapport aux quantités en cause dans les inondations. Toutefois, les gens ne font pas ces calculs.

M. Hilaire Flandre -Il faut leur expliquer.

M. Claude Lefrou - Le système est compliqué et il n'est donc pas facile de l'expliquer. Les schémas qu'il est possible de trouver par ailleurs sont très difficiles à comprendre.

La première conclusion est que la nappe ayant une grande inertie, nous avons toutes les chances de nous retrouver à un niveau de nappe exceptionnel à la fin de l'été prochain. Les risques d'inondation pour l'hiver prochain sont donc plus importants que lors d'une année normale. Il faut prendre des précautions pour l'hiver prochain.

M. Jean-François Picheral - Il faut prendre ces précautions dès cet été.

M. Claude Lefrou - Jusqu'à présent, les nombreuses informations disponibles (Météo France, BRGM, service des ministères de l'Environnement, de l'Equipement...) n'étaient pas regroupées. Or, en faisant la synthèse de toutes ces sources, il est possible de comprendre comment fonctionne le système et de définir des scénarios d'évolution, en fonction d'hypothèses quant aux quantités de pluie qui peuvent tomber. Il est donc possible de définir des seuils d'alerte. Le 12 février, après la réception d'une information du BRGM, le préfet de la Somme avait écrit à certains maires pour les prévenir du haut niveau de la nappe et des risques d'inondation qui en découlaient. Pour autant, personne ne savait à quoi correspondaient ces risques et personne n'a pris de dispositions pour traduire l'information de façon opérationnelle.

Nous devons être en mesure de construire des scénarios pour savoir à partir de quel moment nous risquons de nous retrouver dans la même situation. Nous devons aussi être capables d'avoir une idée de l'évolution de cette situation. En effet, il existe un décalage entre la pluie qui tombe et ses conséquences. Avec un modèle permettant de combiner toutes les données, en fonction de la pluie qui est tombée, nous devons être capables de dire si un problème va survenir dans un mois ou si le délai est plus important. Dans tous les cas, il faut pouvoir anticiper. Evidemment, l'outil sera encore relativement rudimentaire à la fin de l'année. Par la suite, nous pourrons mettre au point des outils plus sophistiqués qui nous permettront d'atteindre une précision plus grande.

Deuxièmement, l'une des causes de renforcement du risque et des durées des inondations est le drainage du lit majeur. Nous avons donc pris certaines dispositions en urgence. Toutefois, d'autres actions peuvent encore être menées au cours de l'été prochain. Une conception parfaitement rationnelle de la gestion du lit majeur nécessite la réalisation d'études hydrauliques et des décisions politiques quant aux zones qui resteront inondées et celles que l'on souhaite protéger ; il s'agit donc d'une approche à plus long terme, qui ne peut pas être suivie dès l'été prochain. En revanche, il est possible de restituer rapidement à certains fossés leur capacité d'écoulement normale ; il est aussi possible de retirer les canalisations qui sont sous les ponts, mais également d'installer des buses sous des routes pour accroître les capacités d'écoulement.

Pour autant, se pose le problème de la maîtrise d'ouvrage de ces travaux. La gestion du réseau hydrographique est assurée par des associations syndicales autorisées ou par certains syndicats intercommunaux dont les moyens financiers sont limités. Jusqu'à présent, ces acteurs engageaient des travaux mais pas à une échelle suffisante. Il faut donc trouver des maîtres d'ouvrage disposant des moyens financiers et techniques pour intervenir rapidement. Le Département a d'ailleurs déjà annoncé son intention de s'engager dans cette voie.

Pour sa part, le canal est un ouvrage qui fait partie du domaine public fluvial de l'Etat. Dans le cadre de la loi de décentralisation, il a été transféré à la Région, qui en a donné la concession au Conseil général. Ce dernier a consacré 10 millions de francs par an à son exploitation et à son entretien, ce qui est supérieur à ce que l'Etat mettait en oeuvre auparavant. Ce canal a souffert durant les inondations, notamment les berges, les digues et les ouvrages de génie civil. Des travaux de restauration doivent donc être effectués si l'on souhaite qu'il puisse continuer à jouer son rôle d'écoulement, au moins au même niveau que cette année, voire à un niveau supérieur si des travaux de renforcement sont effectués...

Le canal dispose d'une branche maritime, qui se termine à Saint-Valéry et qui constitue l'exutoire du bassin. Les ouvrages de Saint-Valéry ont permis d'évacuer toute l'eau qui arrivait à ce niveau. Ainsi, le canal maritime a pu ne pas déborder. Le problème d'évacuation ne se situe donc pas à ce niveau pour les eaux du bassin de la Somme. Toutefois, en période normale de hautes-eaux, le niveau du canal est en permanence supérieur à celui de la mer. Les portes de l'écluse de Saint-Valéry sont donc ouvertes, ce qui permet à l'eau de s'écouler par gravité. En période de vives-eaux, c'est-à-dire de fortes marées, pour éviter l'introduction d'eau de mer dans les terres, les portes doivent être fermées à Saint-Valéry durant quelques heures. Cette procédure n'a pas d'impact à long terme sur l'ensemble du bassin ; en revanche, elle fait remonter l'eau d'environ 30 centimètres à Abbeville tant que les portes sont fermées.

M. le Président - Jusqu'à présent, tout s'est bien passé.

M. Claude Lefrou - Il est possible de concevoir un autre ouvrage à Saint Valéry ou en amont, permettant d'éviter cette répercussion. L'eau serait stockée dans les basses terres, tant que les portes seraient fermées, avant d'être vidée dans la mer lors du retrait de cette dernière. Cette solution doit être étudiée et un choix doit être effectué pour savoir ce qui doit être inondé afin de protéger Saint-Valéry. Techniquement, nous pouvons faire quelque chose dans ce domaine.

Par ailleurs, il existe un contre-fossé le long du canal dont le double objectif est de récupérer les eaux d'infiltration du canal, mais aussi les eaux des basses terres environnantes. Ce fossé est muni de portes à la mer qui sont ouvertes lorsque le niveau du fossé est supérieur à celui de la mer et qui sont fermées lorsque le niveau de la mer est supérieur. Toutefois, le fossé étant situé nettement plus bas que le canal, les portes sont fermées beaucoup plus longtemps. Par conséquent, l'évacuation de ces eaux qui ne passent pas dans le canal est donc limitée. Les capacités de ce fossé pourraient être améliorées en modifiant l'ouvrage à la mer mais aussi en ajoutant une pompe permettant d'évacuer les eaux. Si le contre fossé était aménagé jusqu'à Abbeville, nous devrions pouvoir faciliter l'écoulement des eaux stockées en rive gauche du canal de cette ville. Cela pourrait permettre d'éviter à ces quartiers d'être noyés, ou au moins d'évacuer plus rapidement les eaux qui s'y sont accumulées.

Évidemment, parmi les dégâts qui n'ont pas encore pu être évalués, il faut citer les routes, inondées ou qui ont subi les effets de la remontée du niveau de la nappe. Parallèlement, d'autres équipements publics ont souffert, comme les réseaux d'eau, d'assainissement, de gaz, d'électricité. Des terrains de sport ont aussi été touchés. De nombreux équipements publics sont donc à réparer ; certains sont assurés alors que d'autres ne sont pas assurables. Les collectivités ont donc ces dépenses à leur charge, le problème étant de savoir si elles ont les moyens de les assumer seules ou si elles ont besoin d'une aide.

Concernant les dommages aux activités économiques, nous avons identifié des difficultés entre ce qui est indemnisable au titre des calamités agricoles ou des procédures de catastrophe naturelle. Certaines difficultés proviennent du fait que les gens étaient mal assurés, notamment contre les pertes d'exploitation, mais aussi parce que des dommages ne sont pas pris en compte dans le cadre des procédures existantes. En effet, certaines activités économiques ont souffert des conséquences des inondations sans avoir été inondées. Elles ne sont donc pas indemnisables, même si elles bénéficiaient d'une assurance contre les pertes d'exploitation. De même, dans le domaine agricole, certaines pertes ne sont pas prises en compte au titre des calamités. Les conséquences de l'événement ne sont d'ailleurs pas limitées à la seule inondation. Dans l'ensemble du bassin, des problèmes ont été rencontrés du fait de la saturation des sols ; les semis n'ont pas pu être faits à la période habituelle. Il faut donc tenir compte de l'événement mais aussi de ses conséquences en dehors de la zone inondée elle-même.

Le dernier problème pour lequel nous n'avons pas pu faire des propositions précises est celui des habitations. En effet, lorsque nous avons rédigé notre rapport, les maisons étaient encore nombreuses à être inondées. Dans ce domaine, il faut tout d'abord se demander si elle étaient correctement assurées. Il faut ensuite se demander s'il faut les reconstruire à l'identique ou s'il est possible d'améliorer leur capacité de réaction aux inondations. Enfin, certaines personnes doivent-elles être déplacées ? Il est évident que pour les deux dernières solutions, les indemnités des assurances ne seront pas à la hauteur des dépenses nécessaires. Nous devons donc imaginer des systèmes d'aides complémentaires si nous souhaitons réduire la vulnérabilité des habitations.

Par ailleurs, concernant la prévention réglementaire, il n'existait à l'époque aucun plan de prévision des risques inondations dans le département de la Somme. Toutefois, suite à la crue de 1994-1995, un atlas des zones inondables venait d'être établi sans avoir été encore diffusé. Cet atlas était basé sur une crue légèrement supérieure à celle de 1994-1995 ; en effet, personne ne pouvait imaginer les niveaux qui ont été finalement atteints. Aussitôt après la crue de 1995, des dispositions avaient été prises pour inclure dans les POS des dispositions tenant compte de cette inondation.

Devons-nous prendre dorénavant ce nouveau risque en compte ? La réponse renvoie au principe de précaution. Un tel risque est très exceptionnel puisque ce niveau de pluie est sans doute plus que centennal. Toutefois, dans le cadre de l'évolution climatique, on peut penser qu'il n'est pas déraisonnable de penser que cet événement constitue la référence à partir de laquelle des dispositions doivent être prises. Il faut pour cela faire quelques aménagements mais aussi protéger les habitations d'un risque de déversement du canal ou d'une inondation par le lit majeur. Parallèlement, il faut prévoir des systèmes de pompage pour évacuer les eaux de pluie et les eaux d'infiltration qui remontent du sous-sol.

Nous devons donc imaginer des dispositifs protégeant les zones inondables où des habitations seront maintenues. Tant que nous n'aurons pas réfléchi à tous ces éléments, nous pensons qu'il ne faut pas accorder de nouveau permis de construire dans les zones où le niveau de l'eau était supérieur à 50 centimètres. Cela peut se faire d'autant plus facilement que la pression foncière n'est pas très importante dans cette région.

M. le Président - Dans votre rapport, vous avez largement traité le cas d'Abbeville mais moins celui d'Amiens. Considérez-vous qu'il n'y a pas grand-chose à faire dans cette ville ? Plus précisément, avez-vous étudié l'ouvrage de la rue de Verdun, qui recouvre la rivière ?

M. Claude Lefrou - Personnellement, je ne connais pas la réponse à cette question. La seule impression que j'ai est qu'à Amiens, il était plus difficile d'imaginer des solutions.

M. le Président - La zone est nettement plus urbanisée et la rivière traverse la ville.

M. Claude Lefrou - A Fontaine-sur-Somme, nous avons souligné que certaines solutions étaient évidentes. Pour Amiens, le raisonnement n'est pas aussi simple. Même dans notre rapport définitif, je pense que nous n'aurons pas d'études qui nous permettront de proposer des solutions pour Amiens.

M. Jean-Louis Verrel - Certains des travaux sont évidents et leur lancement peut faire l'objet d'un consensus pour l'hiver prochain. En revanche, d'autres travaux méritent de faire partie d'un plan plus large, sur la base de différents scénarios et d'éléments de modélisation hydraulique.

M. le Président - Dans le rapport, vous dites à un moment : « la solution retenue consiste en... ». Cela signifie-t-il qu'une solution a déjà été retenue ? A-t-elle été chiffrée ?

M. Claude Lefrou - Non. Cette phrase ne concerne pas les solutions permettant de résoudre le problème des inondations mais à améliorer les chasses en baie de Somme. Il s'agit d'un projet qui a déjà été étudié et pour lequel une solution a été retenue. En fait, nous nous sommes demandé ce que la construction de cet aménagement, qui a pour objet de permettre aux bateaux de mer de remonter jusqu'au port Saint-Valéry, avait comme conséquences sur la possibilité d'évacuer l'eau lors d'inondations.

M. Jean-Louis Verrel - Nous devons préciser que cette solution n'a pas été retenue par la mission.

M. Claude Lefrou - Le projet existe et nous avons étudié son effet sur l'évacuation des crues.

M. le Président - J'ai l'impression que la porte à la mer pourrait être améliorée, notamment en s'inspirant des systèmes en vigueur aux Pays-Bas. Dans ce pays, l'ouverture de la porte est réglée en fonction du débit, ce qui permet de moduler la capacité d'entrée et de sortie.

M. Claude Lefrou - C'est exactement ce qui est prévu dans le projet. Ceci étant, l'effet concernera essentiellement Abbeville mais il ne permettra pas de supprimer le problème dans son ensemble. Nous ne pourrons donc pas faire l'économie du bassin intermédiaire que j'ai évoqué.

M. le Président - Quelle est la cascade des responsabilités, de la Région au Département ? Des conventions règlent-elles les relations ?

M. Claude Lefrou - Un transfert a été effectué entre l'Etat et la Région, dans le cadre de la loi de décentralisation. D'autre part, une concession a été signée par la Région au Département. De plus, dans la Somme, les relations entre la DDE et le Département sont particulières puisque la séparation n'a pas été faite. La DDE est donc à la disposition du Département et fait office de service technique.

M. le Président - La responsabilité technique ne revient donc pas au Conseil général mais à la DDE.

M. Jean-Guy Branger - Il s'agit d'une mise à disposition de la DDE au Département. L'organe responsable reste donc le Département. Les subdivisionnaires sont notés par le directeur départemental de l'équipement mais ils sont mis à la disposition du Département, sur la base d'une convention revue tous les ans.

M. Claude Lefrou - C'est la DDE qui fait les propositions techniques mais c'est le Département qui décide des fonds à affecter.

M. le Président - Dans la pratique, peu d'élus politiques sont capables de discuter des projets sur le plan technique.

M. Claude Lefrou - Le Département dispose de services qui contrôlent la DDE. Le Directeur général des services est un ingénieur du génie rural ; son adjoint est ingénieur des Ponts. Le Département a donc les moyens de contrôler la mise à disposition.

M. le Président - Lorsque l'on fait des travaux importants sur les chemins de halages et que les berges ne sont pas remises en état, qui en a la responsabilité ? A Fontaine-sur-Somme, des trous ont été creusés pour installer la fibre optique mais ils n'ont pas été remblayés. Cette dépense énorme a été financée sur fonds publics.

M. Claude Lefrou - Etes-vous certain que la dépense n'a pas été financée par l'opérateur de fibre optique ?

M. le Président - Je ne crois pas. Le Département est impliqué. Qui doit vérifier à la fin des travaux que tout a été remis en place ?

M. Jean-François Picheral - C'est celui qui paye qui doit vérifier.

M. Pierre Martin, Rapporteur - Cela peut aussi être son conseil technique.

M. le Président - Comment fait-on lorsque les participations sont croisées et que l'on distingue trois maîtres d'oeuvre ?

M. Jean-Guy Branger - Le maître d'ouvre est toujours unique. C'est lui qui commande.

M. le Président - La dilution de la responsabilité est tout de même plus importante lorsqu'il y a trois maîtres d'oeuvre. Certaines populations locales souhaitent avoir des explications dans ce domaine. J'ai apprécié le ton très mesuré de votre rapport ; il permet de dire les choses sans « incendier » personne.

M. Claude Lefrou - De toute façon, personne n'avait imaginé ce qui s'est produit. Il y a six mois, nous n'aurions donc pas recommandé les actions que nous préconisons aujourd'hui. A posteriori, nous ne pouvons que constater que les responsabilités sont nécessairement partagées, en fonction d'une approche consensuelle du non-risque.

M. le Président - Quels sont vos axes de travail aujourd'hui ? Quels nouveaux points seront ajoutés à votre rapport définitif ?

M. Claude Lefrou - Des évaluations chiffrées seront effectuées, comme cela nous a été demandé, en fonction de toutes les expertises qui vont être réalisées. Pour autant, il est évident que des incertitudes subsisteront, d'autant plus qu'il est difficile d'obtenir des chiffres précis de la part des assurances. De plus, nous allons aider les services à élaborer le cahier des charges de l'Observatoire d'observation et de prévision. La mise en place de ce dernier dès l'hiver prochain nous semble indispensable. Nous devons aussi définir les informations qui doivent être fournies à l'Observatoire par Météo France, par le BRGM...

Parallèlement, des mesures complémentaires peuvent être prises en matière de débit. En effet, le bassin est très bien couvert en matière de climatologie et d'hydrogéologie ; il l'est beaucoup moins en matière de débit.

M. le Président - Les points d'observation ne sont pas assez nombreux.

M. Claude Lefrou - En effet, les points d'observation ne sont pas assez nombreux. Nous pouvons donc compléter le dispositif. De plus, il faut pouvoir disposer d'un endroit permettant de rassembler l'information et de la traiter rapidement. Nous allons aider à la mise en place de cet outil. Enfin, des expertises et des travaux seront effectués au cours de l'été. Notre rapport bénéficiera de ces avancées.

M. le Président - Pour l'instant, il faut donc affirmer que des mesures doivent être prises avant l'automne, afin de ne pas connaître une nouvelle situation difficile si la pluviométrie était encore une fois supérieure à la normale. Pour l'instant, nous sommes en dessous de la normale puisque, au cours des cinq dernières semaines, les pluies ont été inférieures de 30 % aux niveaux habituels.

M. Claude Lefrou - Toutefois, il y a encore beaucoup d'eau dans la rivière.

M. le Président - D'ailleurs, les nappes continuent à déborder.

M. le Rapporteur - Nous parlons des causes mais derrière les causes, nous recherchons les responsabilités. En 1992, aucun état des lieux n'a été effectué sur la situation du canal. C'est d'ailleurs la même chose pour les collèges et pour tous les autres équipements. Depuis 1992, les travaux sont pourtant passés de 2 à 3 millions à 12 millions de francs par an. Il semble donc difficile d'assumer la responsabilité étant donnés les efforts qui ont été consentis au cours de ces dernières années.

M. Jean-Guy Branger - L'intervention de M. Claude Lefrou a été très intéressante. En effet, elle permet de comprendre l'essentiel. Je suis élu de Charente-Maritime, département qui possède 90.000 hectares de marais. Partout, je constate que le bon sens est le même. Quelles que soient les responsabilités, et sans faire de procès à l'Etat ou à mes collègues élus, l'eau doit normalement se jeter dans la mer. Si le chevelu puis les canaux sont entretenus, nous devons constater une bonne évacuation de l'eau vers la mer. Parallèlement, il faut adapter les écluses à la hauteur de la mer et des fleuves. L'ensemble du réseau hydraulique est-il bien entretenu ? Chacun fait-il ce qu'il doit faire ?

Par ailleurs, il semblerait qu'il ne soit pas facile de faire réaliser des travaux et de faire collaborer des associations syndicales. D'ailleurs, lors des assemblées, les séances sont plutôt houleuses, chacun se renvoyant la responsabilité des problèmes constatés. C'est humain. Je rappelle que nous disposons d'un organisme départemental, qui travaille pour l'Etat, pour le département, pour les associations de marais, pour les communes. Dans ce domaine, le Conseil général est l'autorité compétente. Il faut donc une harmonisation et une cohérence au niveau du département. Cela est nécessaire ; sinon, les mêmes problèmes se reposeront. L'instauration d'une bonne coordination constituerait une première piste de réflexion.

M. Claude Lefrou - La question des réseaux et des fossés du lit majeur est sous la responsabilité des associations de riverains ou de syndicats intercommunaux qui consacrent peu de moyens à l'entretien. Le Conseil général avait essayé d'inciter au développement de cet entretien, sans succès. Il faut donc réfléchir à une approche institutionnelle plus rigoureuse du type de celle que vous proposez.

M. Jean-Guy Branger - Le problème d'entretien est évident.

M. le Président - M. Claude Lefrou, nous vous remercions de votre participation.

21. Audition de M. Jean-Michel Delmas, membre du bureau de la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et chargé du dossier Calamités agricoles (13 juin 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui M. Jean-Michel Delmas, membre du bureau de la FNSEA et chargé du dossier Calamités agricoles.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Jean-Michel Delmas

M. Jean-Michel Delmas - Je vais vous présenter la position de la FNSEA sur le problème des inondations.

Vous nous avez demandé dans quelle mesure les pratiques agricoles constituaient une aggravation des inondations constatées. Nous connaissons tous la réponse. En fait, les comportements mis en cause, même s'ils ont existé ici ou là par le passé, ne sont plus aujourd'hui que des caricatures. En effet, les agriculteurs ont arrêté d'arracher les haies, d'assécher les marais. Aujourd'hui, ils font tout ce qui est nécessaire pour suivre les bonnes pratiques, qui ont d'ailleurs été adoptées par l'ensemble du monde agricole comme étant la condition du respect de l'environnement.

Dans tous les cas, les comportements incriminés n'ont pas concerné toute l'agriculture française. En effet, le système de remembrement a fait son temps dans la révolution agricole. Aujourd'hui, on assiste à une remise en place des haies, ne serait-ce que parce que les agriculteurs ont compris l'intérêt qu'elles avaient pour les chasseurs. Les critiques qui peuvent être faites sur les risques aggravants de la pratique de l'agriculture dans le domaine des inondations ou de la gestion de l'eau naturelle me semblent donc décalées. Cela existe encore dans l'inconscient collectif mais plus dans les faits.

Malheureusement, comme d'habitude, on entend principalement des critiques, alors que les faits sont ignorés. Ainsi, personne ne met en avant ce que les agriculteurs ont réalisé dans les départements, avec l'aide de l'Etat. Pourtant, les réserves constituées grâce aux lacs collinaires permettent d'écrêter les crues des ruisseaux ou des rivières. Ces travaux de génie rural sont effectués selon une pratique tout à fait nouvelle. Si certains peuvent considérer, à tort, qu'il y a un certain frein à l'usage des pratiques des lacs collinaires -à flanc de coteaux- pour des raisons d'irrigation, nous pensons pour notre part qu'ils ont une fonction tout à fait nouvelle. En effet, les lacs collinaires permettent de maintenir l'étiage tout au long de la saison, ce qui permet de faire en sorte que la flore et la faune puissent vivre dans de bonnes conditions.

D'ailleurs, on peut regretter que de tels systèmes n'existent pas au niveau de la Garonne. Dans cette région, nous attendons la mise en place d'un grand bassin de rétention d'eau d'hiver pour réguler les eaux d'été qui sont très basses. Si ce bassin existait en amont de Toulouse, il régulerait tout l'étiage de la Garonne, ainsi que les risques d'inondations. De plus, il approvisionnerait les villes, qui s'alimentent en eau potable grâce à la rivière, ainsi que l'industrie et l'agriculture. Le problème de l'enjeu des pratiques doit donc être envisagé sous un jour très différent. A ce titre, l'aménagement des lacs est très positif car il permet de réguler et d'offrir de meilleures conditions à la faune, à la flore, à l'environnement et à l'agriculture.

Je pense qu'il vaut mieux avoir une position très positive et prospective à l'égard de l'environnement, au regard des crues, des marais et des lacs. En effet, aujourd'hui, nous savons que la ressource est rare. Avant de parler de pénurie, nous devons donc organiser la ressource, comme cela a déjà été fait pour un grand nombre de fleuves français. Dans ces conditions, nous pensons que l'on ne peut que regretter qu'il n'y ait pas de politique plus ouverte à des aménagements de ce type, englobant à la fois l'environnement et l'économie.

Vous connaissez aussi bien que nous le drame qu'ont connu les agriculteurs et les entreprises de votre département. Le bilan que nous avons pu faire au niveau national de la Commission des calamités est que les éleveurs ont été les plus gravement touchés, puisqu'ils ont perdu la totalité de leur chiffre d'affaires de l'année. En effet, les inondations ont conduit à la destruction totale des cultures servant à l'alimentation mais aussi des prairies et des pâtures. Il s'agit donc à la fois d'une perte de récolte et de fonds, qui ramène à zéro le chiffre d'affaires de l'année. Devant cette situation très exceptionnelle, nous avons demandé au ministère de l'Agriculture de prendre des mesures très particulières, dont nous craignons pourtant qu'elles soient insuffisantes.

J'ajoute que les pertes ont aussi été très importantes pour l'hortillonnage, pratique particulière et très chère à votre département, dont le revenu annuel a disparu avec les inondations. Néanmoins, toutes les grandes cultures ont souffert de la remontée des nappes phréatiques. Nous allons donc faire une première observation pour les vallées qui ont été très fortement inondées, en totalité ou en partie. En fait, nous avons demandé au ministère de l'Agriculture de faire en sorte que la Commission des calamités, qui se tiendra en septembre, puisse dresser un bilan des récoltes, ces dernières ayant été affectées par l'excès d'eau mais aussi par la remontée des nappes.

Il est donc possible de distinguer deux effets. Le premier est immédiat ; il est plus ou moins grave selon les exploitations. Les conséquences du deuxième effet ne pourront être mesurées qu'après la levée des récoltes, ce que nous ferons à partir du mois de septembre.

Sensibilisé par la médiatisation opportune de l'événement, le ministre de l'Agriculture a agi vite. Dès le 15 mai, la Commission des calamités a été saisie de manière exceptionnelle, afin de prendre en compte la question de la Somme. En effet, il était nécessaire de porter secours à des gens qui étaient dans des situations préoccupantes depuis déjà longtemps, situation dont nous savions qu'elle allait se prolonger. Dans ces conditions, il faut rappeler que le fonds des calamités agricoles n'est pas une assurance mais un fonds de solidarité, géré de manière paritaire et alimenté par des fonds en provenance des organisations professionnelles et des pouvoirs publics. Or la parité prévue dans la loi de 1964 a été abandonnée depuis longtemps par l'Etat : ce sont uniquement les versements des organisations professionnelles qui alimentent le fonds des calamités. Pour autant, il est vrai que l'Etat a toujours accepté de faire des efforts exceptionnels face à des situations particulières (très grandes sécheresses ou très grands gels). A chaque fois, l'Etat est allé au-delà des besoins. De même, lorsque le fonds a été en très grande difficulté, l'Etat a fait ce qu'il fallait pour continuer à aider les agriculteurs. Toutefois, comme la loi a prévu que le fonds devait être paritaire, il serait normal que les montants versés par la profession au travers des taxes additionnelles sur les assurances, soient également versés par l'Etat. Nous pourrions ainsi mieux indemniser les agriculteurs. Actuellement, les moyens sont parfois insuffisants pour que cela soit le cas.

Lorsque nous avons étudié le dossier de la basse Somme, nous avons constaté qu'une vingtaine d'exploitations vivait une situation difficile et que quatre étaient dans une situation véritablement dramatique. Nous devions donc apporter un secours immédiat aux éleveurs, sachant que les troupeaux avaient été mis à l'abri depuis déjà un moment, que la totalité des pâtures seraient perdues et que les récoltes seraient inexistantes.

Nous avons proposé au ministère de l'Agriculture de déroger aux pratiques habituelles. En effet, les fonds étant insuffisants, même si la gestion paritaire est effectuée de façon très sage pour éviter la rupture des fonds en fin d'année, les taux d'indemnisation sont plutôt faibles. Cela entraîne des incompréhensions de la part des agriculteurs. Il s'agit d'une gestion de prudence en raison d'insuffisance financière. Nous avons donc demandé que la contribution de l'Etat, et principalement de la profession, se fasse sur des taux plus élevés d'indemnisation. Ces derniers sont normalement de 25 % pour les risques d'incendie à 35 % maximum en cas de double assurance.

Dans ce cas, nous nous sommes inspirés de ce qui est pratiqué en matière viticole et arboricole. Dans ces domaines, il existe un barème proportionnel à l'importance de la perte. C'est la première fois que nous avons dit à l'Etat que ceux qui avaient beaucoup perdu devaient être indemnisés plus fortement que ceux qui avaient perdu plus relativement. En effet, nous savons que certains seront touchés d'une manière insuffisante pour atteindre les seuils d'indemnisation. Finalement, nous sommes parvenus à faire passer les taux à des niveaux de 50 à 60 %. Je vous enverrai le détail des taux afin que vous puissiez les intégrer à votre rapport.

Parallèlement, il fallait apporter un secours rapide à tous les sinistrés. Comme nous l'avions déjà fait à la suite à la tempête, nous avons donc demandé que des prêts sinistrés soient accordés à un taux de 1,5 % pour une durée de sept ans. Je ne sais pas si l'Etat a donné suite à cette demande mais nous avons pensé que l'apport immédiat de trésorerie était vital. Nous pensions également par ailleurs que les collectivités locales pourraient prendre en charge ce prêt, afin que le taux soit finalement nul pour les agriculteurs les plus sinistrés.

D'autre part, il faut reconnaître l'insuffisance des indemnisations accordées aux agriculteurs, notamment en matière d'inondations. En effet, dans le dossier d'un agriculteur qui est touché par une calamité, le fonds n'intervient que pour 27 % de perte par type de production et pour 14 % de perte dans l'exploitation tout entière en termes de chiffre d'affaires. Il faut donc atteindre ces deux paramètres pour obtenir une indemnisation. Or, ceux qui ont tout perdu atteindront évidemment les seuils, et les dépasseront d'ailleurs trop largement. En revanche, les agriculteurs qui ne sont atteints que partiellement, mais qui ont perdu la totalité d'une parcelle ou d'une récolte qui ne représente pas 14 % de l'exploitation, n'auront pas droit à une indemnisation. C'est pourquoi ces taux qui datent de 1964 diminuent largement l'indemnisation des agriculteurs lorsque des inondations se produisent. Encore une fois, cela ne concerne pas ceux qui sont touchés à 100 %. En revanche, très souvent, dans les dossiers que nous examinons, en Normandie, dans le Calvados ou dans le Cher, les règles d'indemnisation sont inadaptées. En effet, le fait que l'exploitation n'ait été touchée que pour une petite partie interdit de prendre en compte le dossier d'indemnisation.

Nous avons proposé des mesures exceptionnelles aux éleveurs  afin que l'Etat demande aux offices de venir au secours des éleveurs dans deux domaines. La première aide concerne le transport de fourrage et de paille destinée à la reconstitution des stocks ; le seconde concerne la présentation des factures dans le cadre d'un dossier constitué avec la DDA, sous contrôle des offices et du ministère de l'Agriculture, pour l'achat d'alimentation complémentaire pour les élevages (aliments complets ou céréales), comme nous le faisions auparavant avec Unigrain, qui n'intervient plus aujourd'hui. A ce jour, je ne sais pas si une suite a été donnée à la demande que nous avons déposée en ce sens. Je sais simplement que le ministère de l'Agriculture n'y était pas hostile.

Pour leur part, les mesures concernant la grande culture font directement suite aux règles de la PAC adoptées en 1992. Dans ce domaine, nous avons joué sur une clause qui avait été autorisée par le ministre de l'Agriculture : tous les agriculteurs qui sentaient que leur culture avait été affectée, soit par l'humidité excessive, soit par la remontée des nappes, devaient pouvoir profiter du bénéfice du gel. Ils devaient pouvoir transformer leurs cultures en jachère et bénéficier ainsi de l'aide qui permettait de ne pas perdre les droits aux primes et de sauvegarder une partie des récoltes. En effet, une intervention par le biais du fonds des calamités sur la base des taux de 27 et 14 % ne pouvait pas permettre à tous les agriculteurs d'être indemnisés, soit parce qu'ils ne dépassaient pas les seuils, soit parce que le taux d'indemnisation était trop faible. Il valait donc mieux les faire bénéficier de cette mesure et conserver le droit au gel, ce qui leur permettait d'obtenir un minimum couvrant une partie des charges fixes de l'exploitation.

A ce moment de mon exposé, je souhaite ouvrir une parenthèse. Cela fait très longtemps que nous demandons aux ministères de l'Agriculture et des Finances l'application de la clause particulière, prévue dans le texte de réforme des grandes cultures de la PAC, qui stipule qu'il doit être possible de conserver le bénéfice des aides de la PAC dans des cas exceptionnels. Jusqu'à présent, pour des raisons financières, le gouvernement s'est toujours opposé à la prise en compte de la condition exceptionnelle dans le cadre des grandes cultures. Dans le cas qui nous occupe, suite à l'intervention du ministère et des parlementaires, nous avons pu obtenir un accord momentané, ainsi qu'une certaine souplesse s'agissant des contrôles pour tous les départements qui ont été affectés.

Les calamités locales peuvent être de plusieurs types : inondations, orages, dégâts de gibiers... Pour ces derniers, il faut savoir que les dégâts provoqués par des lapins sur une partie d'un champ de colza ou de tournesols peuvent concerner la totalité de la parcelle et conduire à une aide égale à zéro sur 20 hectares. En effet, lorsque 20 % d'une parcelle sont considérés comme non cultivés, la totalité de l'îlot est considérée dans le même cas, ce qui fait perdre la totalité des aides. Cela semble insupportable puisque que l'agriculteur n'est pas directement responsable de ce cas de force majeure, qui est d'ailleurs prévu par les textes mais qui n'est jamais appliqué. Si l'état des cultures n'est pas convenable jusqu'au moment de la floraison, la totalité des aides peut disparaître. Je pense que nous pourrions obtenir que les ministères de l'Agriculture et des Finances se mettent d'accord sur l'application du cas de force majeure, sous le contrôle du DDA et du préfet, et reconnaissent par une déclaration la perte locale de la récolte, le tout permettant de maintenir les aides avant le stade de la floraison.

Aujourd'hui, un agriculteur qui est victime d'une calamité locale ne fait plus de déclaration. Il préfère prendre le risque de subir un contrôle. En fait, s'il n'est pas contrôlé, il touchera son aide ; s'il est contrôlé, il perd la totalité de l'aide. Nous entrons donc dans un système pervers. Pour notre part, nous préférerions évoluer dans un système transparent, qui autorise la déclaration. En effet, les DDA et les préfets sont au courant des orages ou des inondations qui surviennent. Il est donc facile de certifier la zone sur laquelle l'incident s'est produit.

Toutes les grandes cultures ont pu être sauvées par le recours à la jachère. Néanmoins, si les contrôleurs prennent strictement en compte les remontées de nappe qui sont intervenues sur les plateaux, il est certain que des îlots seront déclassés, ce qui serait injuste, insupportable pour les agriculteurs et totalement incompris. C'est d'autant plus absurde que si la calamité intervenait après la floraison du tournesol ou du colza, l'aide serait maintenue, alors que l'agriculteur n'y est pour rien.

A ce titre, nous avons demandé au ministère de l'Agriculture que tous les dossiers concernant les grandes cultures puissent être étudiés après les livraisons des cultures, pour connaître l'état précis des récoltes et pouvoir ainsi ouvrir un dossier calamité pour les pertes constatées dès le mois de septembre.

Un éleveur qui a perdu sa récolte est indemnisé sur la base du barème départemental. Ce barème est forfaitaire ; il correspond à une moyenne mathématique des cinq dernières années, hors de la meilleure et de la moins bonne. Au niveau économique, ce barème est toujours très faible par rapport à la réalité des quantités fourragères produites à l'hectare. Très souvent, surtout lorsque l'exploitation a subi une perte de 100 %, les éleveurs sont véritablement désappointés de constater l'insuffisance de l'indemnisation par rapport à la réalité économique de la perte.

Bien que nous ayons augmenté de manière exceptionnelle le taux d'indemnisation, qui pourra aller jusqu'à 60 % dans les cas les plus extrêmes, nous attendons beaucoup de votre part concernant le traitement du dossier des agriculteurs de la Somme. En effet, avec le ministère de l'Agriculture, nous avons prévu d'étudier la réalité de ce que toucheront les agriculteurs. En fait, même si nous avons augmenté les taux, ce qui constitue un geste de solidarité, nous craignons que le résultat soit très insuffisant par rapport à la perte réelle subie. Nous devrons donc revoir le sujet. En effet, de nouvelles aides seront certainement nécessaires si les premières sont insuffisantes pour certains. Nous nous méfions beaucoup de l'écart qui existe à cause du taux des barèmes. Pour les grandes cultures, le barème est de 5.000 francs par hectare ; il est de 2.000 francs par hectare pour l'élevage (prairie annuelle ou prairie permanente). Si l'on applique le taux de 60 %, les indemnités ne correspondront pas à grand-chose.

L'Etat s'est mobilisé pour faire du mieux possible, le plus rapidement possible. Néanmoins, alors que la Commission des calamités s'est réunie le 15 mai, nous attendons toujours la signature de l'arrêté ministériel qui permettra aux agriculteurs de remplir leurs dossiers de demande d'indemnisation. Or si le ministère de l'Agriculture a signé l'arrêté dans la journée, ce qui avait déjà été fait pour les tempêtes et pour les inondations dramatiques du Sud de la France au cours des années passées, et si le ministère de l'Economie et des Finances est toujours relativement rapide, un retard important est toujours constaté au niveau du secrétariat d'Etat au Budget, ce que nous ne comprenons pas. Pourtant, un représentant de la direction du Budget siège à la Commission des calamités, où la décision est prise collectivement. La signature n'est donc qu'une pure formalité administrative. Or le secrétariat d'Etat au Budget exerce une prérogative d'examen, qui relève sans doute de l'habitude mais qui retarde considérablement la mise en place des aides. Ainsi, après la signature du 17 mai par le ministère de l'Agriculture et du 25 mai par le ministère des Finances, nous avons dû attendre le 1 er juin pour que le secrétariat d'Etat au Budget signe l'arrêté. Or il s'agit là d'un délai extrêmement réduit. Il est vraiment dommage de perdre deux ou trois semaines pour une signature. Je signale ce cas parce qu'il se répète régulièrement.

Nous avons avancé dans le dossier de l'assurance récolte et de la mise en oeuvre du rapport Babusiaux avec la loi d'orientation. Cependant le Gouvernement a pris un retard. En effet, le système de l'assurance récolte prendrait avantageusement le relais dans le type de situations que nous évoquons aujourd'hui. Je pense donc qu'il serait opportun que la Commission que vous présidez puisse aussi contribuer à une accélération dans la mise en oeuvre du rapport Babusiaux. Cela permettrait d'avoir une approche plus pragmatique de la mise en place de l'assurance récolte. Dans ce domaine, les professionnels ont besoin d'une expérimentation sur le terrain, durant plusieurs années, avant de trouver un régime de croisière. En effet, le rapport Babusiaux prévoit à la fois le maintien du fonds des calamités et la mise en place du système d'assurance récolte, ce dernier devant s'exercer avec une aide du premier. Cette assurance obligatoire permettra probablement de prendre en compte plus rapidement les besoins, le tout de façon complémentaire avec le fonds. Ce dernier ne prendra en charge que les risques qui ne seront pas couverts par l'assurance. Il sera donc important de savoir si cette dernière couvrira l'inondation. Dans tous les cas, comme le fonds n'aura plus à verser la part des indemnisations qui reviendra à l'assurance, nous aurons une capacité d'intervention plus massive et plus rapide.

Le dernier point est plus prospectif ; il concerne les pistes de réforme. A propos des inondations, on entend souvent dire que les exploitations doivent servir de bassins d'expansion naturelle et que la culture doit subir ce que les gens des villes en amont n'ont pas à subir. Or, dans les vallées, les agriculteurs subissent déjà l'application du plan sur les hauts risques, ce qui n'est pas neutre. Plutôt que d'imposer des contraintes supplémentaires pour prévenir les risques, nous pensons qu'il serait préférable de faire preuve d'imagination. Aujourd'hui, il existe des projets pour imperméabiliser artificiellement certaines zones (nouveaux parkings notamment). On constate donc le recours à la contrainte d'un côté, et l'utilisation de vases d'expansion d'un autre côté, tout en prévoyant des aides inadaptées et insuffisantes.

Pour notre part, nous préférerions que soit effectuée une véritable pédagogie de l'environnement. Il faudrait mieux expliquer ce que l'on souhaite et mettre en place une approche positive, d'encouragement et de concours mutuel. L'environnement doit faire partie de la formation des élèves. Au contraire, il ne faut pas l'inventer par la contrainte ; cela serait le pire service que nous pourrions lui rendre. A ce titre, nous pensons que la mise en pratique d'une fiscalité allégeant les contraintes de l'environnement serait positive. Il pourrait même être possible d'envisager une fiscalité négative, sous la forme d'avoirs fiscaux, en fonction des efforts effectués par les agriculteurs, les déductions pouvant alors concerner les impôts nationaux ou locaux. Il y aurait ainsi une reconnaissance de la société à l'égard du déversement des inondations dans les cultures. Les avoirs fiscaux constitueraient des outils adaptés et seraient très appréciés par les agriculteurs.

M. Pierre Martin, Rapporteur - Vous avez été très technique, ce qui reflète la complexité de la situation. Je pense connaître l'un des quatre éleveurs qui sont dans une situation très dramatique. Cet éleveur avait demandé des aides pour la mise aux normes de ses bâtiments, aides qu'il a obtenues. Comment cela va-t-il se passer ? L'hiver va arriver et cet éleveur aura besoin de locaux pour abriter ses animaux. Va-t-on le laisser construire les nouveaux bâtiments là où les anciens sont déjà implantés, en zone inondable, ou les bêtes vont-elles devoir rester dehors ? Il me semble que les piliers ont déjà été coulés.

M. le Président - Il faudra poser la question au DDA. Ce serait trop bête qu'il construise au même endroit.

M. Hilaire Flandre - S'il laisse son bétail dans l'eau, il risque d'avoir la SPA sur le dos.

M. le Président - Les gens de la Somme connaissent-ils bien les dérogations obtenues par la Commission nationale ? Qui est le correspondant de la Commission dans la Somme ?

M. Jean-Michel Delmas - Il s'agit de Jean-Michel Serre, qui est le Président de la Fédération. Aujourd'hui, nous devons attendre de connaître le résultat de l'application des solutions au cas par cas. En effet, nous pourrions avoir des surprises, désagréables ou pas. De même, pour l'hortillonnage, nous avons fixé un taux maximum. En effet, il faut reconstituer les dossiers sur les pertes de fonds.

M. le Président - L'hortillonnage est un cas très particulier.

M. Michel Souplet - Vous avez évoqué le problème des grandes cultures qui jouent sur le gel. Il est vrai qu'il est possible de jouer sur le gel cette année.

M. Jean-Michel Delmas - C'est exceptionnel.

M. Michel Souplet - En effet. Le problème est que les agriculteurs dont les exploitations ont été noyées ont commencé à pouvoir rentrer dans les terres à partir du 15 mai. Ils ont donc planté les semis mais depuis, il n'est pas tombé une goutte d'eau. Normalement, ils auraient déjà dû faire le choix entre la jachère et la culture ; ils en sont aujourd'hui incapables.

M. Jean-Michel Delmas - Nous en avons parlé avec les responsables des contrôles. En fait, au moment du dépôt du dossier PAC -pour lequel nous avons obtenu un délai supplémentaire-, il aurait fallu déclarer un maximum de jachères en surface. Puis, au fur et à mesure que l'éleveur semait, il aurait dû écrire au DDA pour lui signaler sa progression.

M. Michel Souplet - Ils ont semé mais rien ne pousse. Ils ne savent donc plus quoi faire : déclarer la zone en jachère ou pas. S'ils le font et que les semis poussent un peu, ils seront en infraction en cas de contrôle. S'ils ne le font pas et que rien ne pousse, ils n'auront plus rien.

M. Jean-Michel Delmas - Il a été convenu qu'un blé noyé pouvait être classé en jachère. Si la levée est insuffisante, jusqu'au 15 juin, il est encore temps de déclasser la parcelle pour la faire passer en jachère ; le DDA en tiendra compte. En fait, la gestion locale avec le DDA passe par une application du principe de la jachère dans l'intérêt de l'agriculteur. Après une certaine date, les 5 % de contrôles tiendront compte de la situation. En l'absence de contrôle, les aides seront obtenues ; si les éleveurs peuvent encore retourner la terre pour la cultiver, ils peuvent essayer. La gestion au jour le jour de ces questions doit être effectuée en relation avec le DDA. J'ajoute que si le cas de force majeure était appliqué, comme cela est prévu par les textes communautaires, ces problèmes ne se poseraient plus. Tout serait beaucoup plus clair. Au lieu de cela, les services du ministère de l'Agriculture tremblent face à ce principe, ce qui nous paraît absurde. En effet, l'agriculture est faite de cas de force majeure.

M. Michel Souplet - De toute façon, dans un département où les rivières ont débordé, le nombre d'agriculteurs concernés par le problème que je viens d'évoquer est relativement faible. Les contrôleurs pourraient donc décider de ne pas en rajouter cette année.

M. Jean-Michel Delmas - Nous pouvons le souhaiter en effet.

M. Hilaire Flandre - Cela ne me choque pas que l'on n'indemnise pas si le taux de 14 % n'est pas atteint sur l'ensemble de l'exploitation. Lorsque l'on se revendique chef d'entreprise, il est normal de supporter une part de risque. Ce serait donc une erreur de vouloir compenser les pertes à 100 %, y compris par le système de l'assurance récolte que vous appelez de vos voeux et qui est expérimenté actuellement.

De plus, vous dites que vous souhaitez des incitations fiscales sur les contraintes d'environnement. Je pense qu'il faudrait examiner ce qu'étaient les terres qui pouvaient être soumises à l'expansion des crues il y a trente ans. En effet, les vallées de l'Aisne et de la Marne, terres de prairies il y a vingt ans, sont devenues aujourd'hui des terres à maïs. Il n'est donc pas normal de dire qu'il faut prévoir des indemnités si ces terres redeviennent simplement ce qu'elles étaient auparavant, c'est-à-dire des zones d'expansion des crues.

Par ailleurs, je crois que nous devons faire très attention. En effet, l'agriculture ne paye pratiquement plus d'impôts sur son activité : les taxes pour le foncier non bâti ont été supprimées pour les départements et pour les régions. Nous risquons donc d'enregistrer une demande pour la création d'une taxe professionnelle sur l'activité agricole. Je ne suis pas certain que cela constitue une avancée. Nous devons donc être très prudents.

Enfin, je pense que l'agriculture aura une meilleure image dans l'opinion publique lorsque tous les agriculteurs fonctionneront selon le principe du bénéfice réel, sur la base de la production d'une comptabilité. De nombreuses mesures qui visent à créer des solidarités supplémentaires, y compris dans le monde agricole, ne pourront passer que si la transparence est faite sur la réalité des revenus de l'agriculture.

M. Jean-Michel Delmas - Dans les textes, il existe une vieille pratique qui n'est plus usitée : lorsque l'on entretient le chemin communal, il est possible de déduire les journées de prestation effectuées du montant de l'impôt foncier. Toutefois, comme le barème date de 1830, le jeu n'en vaut plus la chandelle...

En nous inspirant de ce texte de bon sens, nous disons que l'approche par la fiscalité négative, le crédit d'impôt, ne doit pas être écartée de la réflexion sur l'environnement. Cette approche pourrait d'ailleurs être valable dans le cadre de Natura 2000. En effet, les aides ne sont pas très substantielles et les contraintes devraient l'emporter au global. Pour autant, il s'agit d'une protection de certaines zones de flore et de faune qui bénéficie à chacun. On pense donc que son acceptation, par rapport à une approche de point, mérite réflexion. En effet, ce serait une sorte de retour de la société civile vers celui qui participe à la protection de l'environnement.

M. Hilaire Flandre - Je ne suis pas loin de penser qu'il faudrait plutôt creuser du côté des aides communautaires à l'agriculture, plutôt que de prévoir des aides de 2.500 francs sur une part de jachère. En effet, il serait préférable de dire que pour tout hectare occupé une aide peut être obtenue. Cela supprimerait tous les problèmes de déclaration de récolte car tous les hectares seraient éligibles, de destruction de récolte et d'entretien des espaces naturels. Il est vrai qu'il s'agit d'un autre débat.

M. le Président - Monsieur. Jean-Michel Delmas, nous vous remercions pour votre participation.

22. Audition de M. Bernard Baudot, directeur de l'eau et M. Noël Godard, sous-directeur de la protection et de la gestion des eaux au ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement (14 juin 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui M. Bernard Baudot, directeur de l'eau et M. Noël Godard, sous-directeur de la protection et de la gestion des eaux au ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Bernard Baudot et Noël Godard .

Vous travaillez au ministère de l'Environnement en qualité de directeur de l'eau et de sous-directeur de la protection et de la gestion des eaux. Vous avez vécu les inondations de la Somme. Nous avons auditionné Madame Voynet. Nous souhaitions vous entendre pour connaître les détails de l'organisation de votre direction.

M. Bernard Baudot - Suite aux question que vous nous avez transmises, il nous semble bon de vous présenter l'organisation de direction de l'eau, son action dans le dispositif de prévention des inondations, ses moyens financiers et leur utilisation. Ces points me paraissent importants pour mettre en oeuvre un dispositif de prévention des inondations efficace.

La direction de l'eau est compétente pour élaborer les règles relatives à la prévention des risques naturels liée aux inondations fluviales et à l'annonce des crues. Vous avez dû auditionner mon collègue Philippe Vesseron de la direction de la prévention des pollutions et des risques majeurs. Nos attributions sont complémentaires. La DPPR coordonne l'action de l'Etat en matière de prévention des risques majeurs. A ce titre, elle est chargée de l'ensemble de ces risques, notamment celui des inondations. Elle doit mener une politique générale et élaborer les plans de prévention des risques contre les inondations (PPRI).

La DPPR assure la coordination avec les autres ministères. Plusieurs ministères sont concernés par le problème des risques majeurs et en particulier des inondations :

Sur ce problème, sont associés le ministère de l'Agriculture pour la restauration des terrains en montagne, la direction des transports maritimes, des ports et du littoral, la direction de l'eau pour ce qui concerne les inondations fluviales et le ministère de l'Intérieur pour l'ensemble des questions relatives à la sécurité.

Au niveau national, la coordination entre la direction de l'eau et la DPPR est satisfaisante. Concernant les relations avec les autres ministères, plusieurs réunions sont organisées régulièrement sous la présidence du Délégué aux risques majeurs.

Au plan local, l'organisation est différente. Il faut distinguer entre le département et la région. Au niveau départemental, la direction de l'eau, et le ministère de l'Environnement en général, ne disposent pas de services propres. Les agents sont mis à disposition du ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement par la direction départementale de l'équipement et la direction départementale de l'agriculture. Dans le cas de la Somme, sept services de l'Etat étaient concernés dans le domaine de la gestion et de la police de l'eau.

Ces services agissent sous l'autorité du Préfet. C'est à lui de coordonner l'ensemble de ces services. Cette situation nous pose des difficultés. En effet, la coordination n'est pas simple face à une dispersion des services et des agents. Les inondations ne sont pas des évènements réguliers. Ces agents travaillent sur d'autres opérations.

Au niveau régional, nous disposons des directions régionales de l'environnement (DIREN) à l'intérieur desquelles figurent les services de l'eau et des milieux aquatiques. Elles ont pour but de coordonner l'action des départements à l'échelon de la région de manière à assurer une animation et un appui technique aux services départementaux de l'Etat. La tête de réseau nous permet d'assurer la meilleure coordination entre les différents services. Nous trouvons une application privilégiée dans le domaine de l'annonce des crues et de la surveillance des fleuves au niveau des bassins. Ce n'est pas le cas de la Somme mais de la Garonne, la Loire, le Rhône, la Seine, la Meuse ou encore la Moselle.

Concernant l'engagement des moyens financiers, nous privilégions trois types d'actions qui constituent le fondement de la politique de prévention et de protection contre les crues et les inondations : la prévention, la prévision et la protection.

La prévention nous permet d'apprécier à leur juste valeur les moyens à mettre en oeuvre. Nous devons accentuer la connaissance des risques. A cette fin, nous appliquons deux procédures.

L'une d'entre elles est du ressort de la direction de l'eau et concerne la mise en place d'atlas des zones inondables. Ces atlas sont élaborés à partir du relevé des anciennes inondations. Ils constituent des aides à la compréhension pour les élus, les services de l'Etat et les citoyens. Ils permettent de cartographier les éléments connus au moment de leur élaboration. Cette opération est financée par la direction de l'eau. Depuis janvier 1994, le gouvernement Balladur a mis en place, sous l'impulsion de Michel Barnier, un plan décennal de prévention et de lutte contre les inondations dont les dispositions relèvent des observations formulées par la Cour des comptes. Ce programme est relativement récent. Avant 1994, notre politique était faible dans ce domaine. Elle a été actualisée en 1997, notamment pour le plan Loire-Grandeur-Nature, dans le cadre des contrats de plan entre l'Etat et les régions. De nombreuses régions se sont associées à l'Etat pour apporter une contribution financière et accentuer cette politique sur leur territoire.

Je n'aborderai pas la seconde procédure. Les PPRI constituent un outil de connaissance important. Ils permettent un débat avec les citoyens.

La prévision concerne le système de modernisation et de fonctionnement des services d'annonce des crues. Ces services traitent les principaux cours d'eau. Ils ne concernent pas la Somme. Nous disposons de cinquante-deux services d'annonce des crues sur l'ensemble du territoire. Ces services sont gérés par l'Etat à la demande des préfets et des élus. Depuis 150 ans, ces services, qui couvrent 6.300 communes, permettent de relever les cotes et les hauteurs d'eau superficielles. Dans la Somme, il ne s'agissait pas du même type de crue.

Il existe plusieurs types de crues :

- les crues torrentielles ;

- les crues de vallées ;

- les crues de nappes.

Ces services sont très importants. En 2001, nous mobilisons 53 millions de francs de crédits pour leur fonctionnement et les investissements. Nous y avons consacré 300 millions de francs depuis 1994. Ces crédits sont importants pour moderniser ces services et les rendre plus efficaces et pour rendre l'information plus intelligible vis-à-vis des préfets et des maires. Nous souhaitons que ces informations soient le plus accessible possible de façon à ce que les citoyens puissent se déterminer sur les risques encourus. Nous avons des progrès à faire dans le domaine de la qualité des documents que nous fournissons, tant au niveau de la visibilité que de la vitesse de transmission. Les services d'annonce des crues travaillent à partir des notions de cotes des eaux superficielles. Nous procédons à des renforcements, notamment avec Météo France, pour délivrer des informations plus fiables. Nous avons couvert l'ensemble du territoire de radars.

Nous y avons consacré 40 millions de francs au cours des trois dernières années. Nous allons ajouter la même somme pour achever ce programme. Ces radars nous permettront de disposer d'une information très rapide. Par ailleurs, nous devons progresser dans le domaine des modèles de prévision pour les services d'annonces des crues classiques. Je comprends qu'un préfet ou un élu demande à disposer d'une fourchette de risques. Il faut que nous allions au-delà de la notion d'informations statiques. Nous devons développer des modèles quand bien même ceux-ci aient toutes les incertitudes des modèles mathématiques.

Enfin la protection concerne les travaux d'entretien et de restauration des cours d'eau. Dans le domaine public, nous sommes responsables de l'entretien des cours d'eau, des zones naturelles d'expansion des crues, notamment en amont des villes et des zones habitées. Nous voulons renforcer ces zones au risque de créer des servitudes. Il s'agit de l'une des dispositions du projet de loi portant réforme de la politique de l'eau. Nous avons pris note des remarques de plusieurs parlementaires dans ce domaine. Nous apportons des moyens financiers pour protéger les ouvrages de protection des lieux habités.

La protection couvre trois domaines :

- l'entretien et la restauration des cours d'eau ;

- l'entretien et la restauration des zones naturelles d'expansion des crues ;

- la protection des lieux habités.

En 2001, nous consacrons 300 millions de francs à ces opérations. Pour l'heure, ces crédits sont suffisants au regard des demandes. Je pense que le vrai débat porte sur l'identification des maîtres d'ouvrage. Ce type d'opérations est toujours très long. Elles nécessitent une concertation locale. Il importe d'appliquer des dispositions réglementaires qui sont assez lourdes. Malgré l'augmentation significative des moyens financiers au cours des trois dernières années, la consommation des crédits n'est pas à la hauteur de leur inscription. Les demandes ne nous parviennent pas.

Nous consacrons 130 millions de francs à la protection des lieux habités et 80 millions de francs à la restauration et à l'entretien des cours d'eau relevant du domaine public. Le solde, dont le montant est de 80 millions de francs, est consacré à la restauration des cours d'eau et des champs naturels d'expansion des crues. Il faut savoir que certaines agences de l'eau participent à ce financement, notamment dans le cadre des contrats de rivière.

M. Pierre Martin, Rapporteur - Monsieur le directeur, à chaque fois qu'un événement imprévisible se produit, nous pouvons renforcer et créer des dispositifs adéquats. Pour la Somme, rien n'était prévu. Je me mets à la place de Monsieur le Préfet qui devait gérer un problème alors que les informations qui lui étaient transmises n'étaient pas suffisamment précises. Lors d'une enquête parlementaire en 1994, il a été affirmé qu'« on peut déclencher une alerte avec 24 heures d'avance, ce qui permet aux habitants de mettre à l'abri leurs biens ». Je pense que cette remarque est judicieuse. Toutefois, a-t-elle été adoptée ? Nous réunissons de nombreuses commissions. Elles travaillent fort bien. Elles permettent d'apporter des préconisations et des suggestions. Nous prenons conscience du fait que le travail des commissions est bien vite oublié. Nous sommes obligés de reprendre nos travaux lors de chaque catastrophe. Je pense qu'il est important de le dire à ceux à qui s'adressent les conclusions de ces commissions. Les préconisations ne sont parfois pas prises en compte. Je le regrette infiniment. Si ces recommandations étaient davantage prises en compte, nous pourrions améliorer sensiblement certaines situations.

M. Bernard Baudot - Le ton est donné ! mais je souhaite nuancer vos propos. En 1994, nous avons élaboré un plan décennal de prévention. Avant cette date, je reconnais que l'Etat ne produisait pas les efforts nécessaires. Nous avons focalisé nos efforts sur les territoires potentiellement les plus sujets aux inondations et aux risques mettant en cause des populations. Pour être honnête, j'avoue que la Somme ne figurait pas parmi les départements auxquels devaient s'appliquer ces mesures.

A partir de 1994, nous avons renforcé les services d'annonce des crues. Or un tel service ne servirait à rien dans la Somme. En effet, ces services ne traitent pas les crues de nappes. Nous avons focalisé nos efforts sur les deux millions de personnes qui habitent dans des zones à risques. Pour cela, nous avons couvert le territoire. Nous mesurons les cotes. Dans ce domaine, le service d'annonce des crues a toute sa signification. Je crois que depuis 1994, les commissions et les rapports ont été pris en compte. Concernant la Somme, nous avons été pris de court. Cette crue est plus que centennale. Certains pensent qu'une telle crue ne survient que tous les cinq cents ans. Cette situation est tout à fait exceptionnelle. Elle est liée à un phénomène de précipitations qui depuis l'automne, est le double des précipitations habituelles. En outre, ces précipitations font suite à deux années particulièrement humides. Cette conjonction de phénomènes a entraîné une remontée de la nappe. L'excédent d'eau a créé la crue. Ce phénomène est complètement différent.

M. le Président - Il est clair que nous commençons à comprendre les causes de ce phénomène. Pour l'avenir, votre service envisage-t-il de créer un système d'alerte pour les territoires potentiellement sujets aux crues de nappes ? Si ce système avait existé, peut-être aurions-nous pu mettre en place une politique de prévention qui dans le cas de la Somme, a fait défaut. Avez-vous réfléchi à ce problème ? Un tel système est-il techniquement réalisable ? En préconisez-vous la création ?

M. Hilaire Flandre - Ce système sera-t-il suivi par la population ?

M. le Rapporteur - Nous avons constaté cette accumulation de phénomènes. La remontée de la nappe et les précipitations ont duré pendant plusieurs mois. Quelles conclusions en a-t-on tiré ?

M. Bernard Baudot - Soyons honnêtes. Nous sommes tous responsables. Le Préfet nous a prévenus le 12 février. Nous sommes face au problème de la culture des crues. Personne n'a cru à une inondation. Je veux bien que la responsabilité soit imputée à la non-existence d'un service d'annonce des crues ou à la non-coordination des services de l'Etat. Je pense, quant à moi, que le mea culpa doit être collectif. Il s'agit d'un événement exceptionnel. La culture de crues n'existe pas dans la Somme. Personne n'y a cru.

M. le Président - De façon générale, les messages en provenance de votre ministère insistent davantage sur la pénurie d'eau. Les Picards ayant bien écouté ce que disait Mme Dominique Voynet, n'avaient pas la culture des inondations. Nous pensions que l'eau était rare. Nous n'avons pas imaginé les risques de débordement. Vos services ne nous ont jamais dit que la Somme pouvait déborder.

M. le Rapporteur - Vous dites que le Préfet vous a prévenus le 12 février. Or personne n'a suivi. Quels moyens fallait-il mettre en oeuvre pour suivre ?

M. Bernard Baudot - Dans le domaine des inondations, les maires sont autant responsables que les préfets. Nous pouvons considérer que les services d'annonces des crues sont placés sous leur responsabilité. En menant le raisonnement à son terme, nous prenons conscience de l'absurdité d'une telle mesure. En effet, les inondations vont au-delà des limites territoriales des communes. Nous devons raisonner par bassin ou par sous-bassin et non pas par collectivité locale. Je me permets d'insister sur le fait que nous devons tirer les leçons des évènements. Dans ce domaine, je suis les recommandations du Rapport Lefroux. Je crois que nous devons mettre en place un service spécifique pour la Somme. Ce service nous permettra de collecter l'ensemble des données hydrologiques, hydro-géologiques et hydrauliques. Il faut reconnaître que le système hydraulique de la Somme est particulièrement complexe. Il faut réunir l'ensemble des compétences et mettre en place un service qui sera placé sous l'autorité du Préfet. Sur le plan technique, ce service sera mis en place dès cette année. Il est très important que nous donnions aux services les moyens de travailler et de recenser les données nécessaires. En effet, il n'est pas sûr qu'il n'y ait pas de nouvelles inondations en 2002, compte tenu de la saturation de la nappe. Nous devons le dire à la population sans pour autant l'effrayer. Nous devons prendre les dispositions nécessaires en termes de connaissances. Certains aménagements doivent être réalisés sans tarder. Parallèlement, nous proposons de constituer un comité rassemblant les collectivités, les chambres consulaires et les différents partenaires pour suivre la mise en place de ces dispositifs et s'inscrire dans une approche de risques renouvelés en 2002.

M. Michel Souplet - Je ne souhaite pas jeter d'anathèmes. Nous vivons dans une société où nous devons identifier les responsables. Nous pouvons commencer par examiner le cas de ceux qui ont construit leurs habitations dans les zones à risques. Ils ont construit leurs maisons quand bien même ils connaissaient les risques. En effet, certains d'entre eux souhaitaient habiter près de l'étang. Ils sont responsables. Vous avez déclaré que vous aviez l'ambition de créer un service spécifique dans la Somme. Etant élu du département voisin, je pense que ce service doit être étendu au bassin picard. Le cours de la Somme a des répercussions dans l'Aine et dans l'Oise. Il faut distinguer deux phénomènes. Concernant les nappes, nous n'avions jamais connu d'accidents d'une telle ampleur. Ce matin, le Rapporteur me citait le cas de deux villages. Le premier village, Fontaine-sur-Somme, est situé dans la vallée. L'inondation était prévisible. L'autre village est situé sur la colline. Du fait des nappes, il connaît les mêmes problèmes et les mêmes difficultés. Personne n'aurait imaginé qu'une nappe puisse causer tant de dégâts. Nous sommes face à des problèmes qui ne sont pas de même nature. Lorsqu'ils se cumulent, nous courons à la catastrophe.

M. le Président - Dans l'hypothèse où des mesures particulières doivent être prises dans la Somme, avez-vous prévu des crédits exceptionnels sur le budget 2001 ?

M. Bernard Baudot - Nous les dégagerons. Ce problème est en cours de résolution. Pour l'heure, nous discutons avec l'ensemble des ministères. Un comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT), qui se tiendra au début du mois de juillet, arrêtera les mesures prises par l'Etat à travers les contributions des différents ministères. Me concernant, je puis vous affirmer que la direction de l'eau dégagera les moyens nécessaires. Nous considérons qu'il s'agit d'une opération prioritaire.

M. le Président - Cette opération sera menée à titre expérimental. En la matière, vous ne bénéficiez pas de beaucoup d'expérience.

M. Bernard Baudot - Oui. Il faut mettre en place un modèle. Pour l'heure, nous ne le connaissons pas. Le travail à réaliser est complètement différent des missions classiques que doivent remplir les services d'annonce des crues. Dans le cadre de ces missions, nous devons élaborer des modèles de prévision. Pour autant, ils sont plus simples à réaliser dans la mesure où nous les connaissons mieux que les principes qui régissent la nappe. Pour concrétiser cet investissement intellectuel, nous nous entourerons de partenaires extérieurs et d'établissements publics comme le CEMAGREF.

M. le Rapporteur - Il ne faut pas oublier que de nombreuses communes n'ont que 200 à 300 habitants. De façon générale, les questions administratives relèvent de la compétence d'une seule personne. Je l'ai constaté à Fontaine-sur-Somme. Lorsque les inondations ont commencé, seuls le maire, les membres du conseil municipal et la secrétaire de mairie étaient présents. Ils essayaient de faire face. N'ayant pas la culture des inondations, ils ont réalisé un travail qui souffrait d'un manque manifeste de coordination. La Préfecture leur recommandait d'utiliser des parpaings. Nous comprenons que d'autres actions n'aient pas été menées. A Fontaine-sur-Somme, le maire sortant n'avait pas été reconduit. Le maire élu n'avait pas l'expérience nécessaire. Il ne pouvait pas connaître l'ensemble des mesures à prendre. Les connaissances à acquérir sont très nombreuses. Tous ces phénomènes sont liés. De nombreux services sont concernés. Or pour que le système fonctionne, il faut nommer un seul responsable. Nous avons le sentiment que les informations émanaient de différents services.

M. Bernard Baudot - Je partage votre avis en partie. Dès lors qu'un événement de ce type survient, il convient de renforcer la coordination. Parallèlement, l'accent est mis sur la complexité de ces phénomènes. Leur traitement nécessite plusieurs compétences. Je reconnais que l'Etat doit accomplir des progrès dans le domaine de l'eau. En qualité de directeur de l'eau, je ne peux que constater la dispersion des services. Certains départements ministériels sont en charge du domaine marin. D'autres sont en charges du domaine public fluvial navigable. Pour ma part, je ne suis en charge que du domaine public fluvial non-navigable. En termes de police de l'eau, j'ai proposé que les services du ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement soient mieux coordonnés au plan territorial. Ce point concerne essentiellement le niveau départemental. Notre organisation est le fruit de deux siècles d'organisation de la puissance publique. Je reconnais que la segmentation des compétences doit être réformée.

Dans le domaine du risque, je partage votre avis. Nous devons coordonner l'action des services et repenser la répartition des compétences. Le responsable doit être clairement identifié. En revanche, il faut reconnaître qu'il appartient au préfet de coordonner les services de l'Etat. A mon sens, le préfet doit assurer la coordination en relation avec les élus locaux. Il doit en tirer les conséquences en termes de préconisations. Jamais un maire ne sera capable d'assurer la sécurité au niveau du département, et, a fortiori, au niveau de la région. Le maire est concerné au plan local.

Pour renforcer les appuis techniques, il est temps, en matière de risque, de mettre en place des groupements de collectivités. Il faut prendre en compte les problèmes relatifs à la maîtrise d'ouvrage, à l'appui technique et à l'assistance. A terme, il faudra organiser, sous la forme la plus pertinente en termes géographiques et hydro-géographiques, les collectivités pour assurer les maîtrises d'ouvrage nécessaires à la prévention des risques. Cette remarque ne vise pas à dédouaner l'Etat. Je crois que les efforts à réaliser concernent tous les acteurs.

Les partenaires privés sont également responsables. Par-delà la dispersion des compétences, nous sommes face à une multiplicité d'acteurs qui sont responsables à des titres divers. Le particulier est propriétaire de son terrain. Il a des droits, mais il a aussi des devoirs. Sur ce plan, certaines précautions doivent être prises. Les pouvoirs publics doivent l'informer et lui donner tous les moyens techniques pour ne pas reproduire les constructions à l'identique. En Bretagne, nous allons demander que les matériaux et la façon de construire soient pris en compte. Concernant les réaménagements, les propriétaires seront aidés financièrement. Les personnes qui résident dans les zones inondables doivent intégrer ces obligations. Les habitants doivent prendre conscience du risque et assurer leurs devoirs.

M. Michel Souplet - Je partage votre avis. Toutefois, nous devrons donner de la souplesse aux agents et aux responsables des collectivités locales. Par exemple, l'Oise a débordé deux fois dans le courant des années 1990. Nous avons mis en place un PPRI en prévoyant une marge de trente centimètres au-dessus du niveau le plus élevé que nous avons connu. En conséquence, les plans d'aménagement de la région relatifs à la mise en valeur de carrières et aux implantations touristiques ont été supprimés. La zone est protégée. Elle constitue une réserve possible d'expansion des eaux. Selon moi, une solution aussi abrupte est absurde. La zone industrielle existe. Il suffit de remonter les bâtiments de quarante centimètres. Il faut rendre possible, sur le plan local, une possibilité d'aménagement à la fois raisonnée et raisonnable. Autour des étangs, il a été décidé de mettre un terme aux projets touristiques. Or pourquoi ne pouvons-nous pas installer des mobil homes sur des parpaings de cinquante centimètres ? Il est vrai que nous devons nous prémunir contre de telles situations. Pour autant, les personnes qui ont l'expérience du terrain devraient pouvoir agir. Il faut accorder une marge de manoeuvre aux responsables territoriaux. Sans cela, aucune politique de décentralisation ne sera possible.

M. Hilaire Flandre - Je partage l'avis de Monsieur Michel Souplet. Je suis élu des Ardennes. Je distingue deux types de crues. Certaines crues sont sans danger pour les humains. Elles sont lentes dans leur manifestation. Le problème concerne la protection des biens matériels. Les habitants n'ont perdu pas la mémoire des crues. Lors de nos auditions, nous avons pris conscience du fait que les crues sont relativement fréquentes. Lorsque les habitants perdent la mémoire des évènements, ils ne prennent pas les précautions nécessaires. Lorsqu'ils ont vu les eaux monter, les habitants ont pensé que elles ne monteraient que de quelques centimètres. In fine , l'eau est montée à un mètre dix. Ils ne pouvaient plus évacuer leurs habitations. Qui aurait pu prendre la décision des les évacuer ? Personne n'est en mesure de prendre une telle décision. Quand bien même l'ordre leur aurait été intimé, les habitants n'auraient pas obéi. A Charleville-Mézières, nous avons observé un autre type de crues. L'eau est montée brutalement, de plus d'un mètre par jour. Face à ce genre d'évènement, les habitants sont en danger. Nous donnons les avis d'évacuation. De nombreux habitants préfèrent ne pas quitter leur domicile. Les pompiers sont obligés de se hisser sur des cabines téléphoniques pour s'assurer de l'état de santé des personnes qui habitent au premier étage. Les citoyens ne veulent pas quitter leur habitation. Ils attendent que la situation ait atteint un niveau critique pour mettre leurs biens à l'abri.

M. le Rapporteur - Ces crues sont tellement exceptionnelles que nous ne pouvons pas tirer d'enseignements. Toutefois, nous devons trouver des solutions. Pour cela, nous devons déterminer les causes de ces situations. J'ai rencontré des habitants découragés. Dans un premier temps, ils avaient pris la décision de ne plus retourner dans leurs habitations. Or ils sont les premiers à y retourner. Ils sont prêts à réinvestir dans cette maison. Va-t-on les laisser réinvestir sans décision définitive ? Il va falloir rapidement donner des conseils. Qui va les donner ? Nous sommes actuellement dans une situation difficile. A Mareuil-Caubert et Abbeville, les habitants ont nettoyé leurs habitations. Ils n'ont pas conscience des préjudices qui vont apparaître dans les semaines à venir. Ils commencent à réoccuper les lieux. Ils sont très heureux. Le moment venu, ils se demanderont comment ils seront indemnisés. Ils considèrent qu'ils vont pouvoir reconstruire leurs maisons et épargner.

M. Bernard Baudot - Cette question ne concerne ni le ministère de l'Environnement ni la direction de l'eau. Nous n'avons jamais dit qu'il fallait supprimer l'existant qui se trouve sur les zones inondables. Nous devons agir en connaissance de cause et sur la base de PPRI qui mettent en avant les règles applicables. Il faut reconnaître que de nombreuses collectivités ont mis des installations et des équipements sur ces terrains. Cette situation pose le problème de la responsabilité de l'Etat et des élus. Tout doit se faire avec de la concertation dans le cadre d'un débat public local. La mémoire humaine est faillible. Notre rythme de vie est différent de celui des inondations. Il faut être conscient des risques. Les installations demeureront au-delà de l'activité qui y est développée. Il faut être prudent dans l'implantation des installations dans les zones inondables. Je vous recommande d'éviter de multiplier les installations dans ces zones. Même si elles permettent de résoudre des problèmes immédiats et conjoncturels, il faut chercher, au plan de la prévention et de la sécurité, à sauvegarder les zones de prévention contre les inondations. A Redon, l'une des préconisations du rapport est de procéder à des délocalisations lorsque la zone industrielle est située dans une zone à risques. Dans certains domaines, il faut réduire la vulnérabilité des zones de crue.

M. Michel Souplet - Je partage votre avis. Toutefois, je pense qu'il ne faut pas que les décisions soient prises arbitrairement à l'échelon plus élevé. En d'autres termes, il faut privilégier la concertation locale. Les décisions ne doivent pas s'appliquer uniformément à l'ensemble du territoire.

M. Jean-François Picheral - Je suis un élu du sud de la France. Hier, dans l'Hémicycle, nous avons débattu de la forêt. Nous responsabilisons considérablement les propriétaires privés. Dans le domaine de la police de l'eau, je pense qu'il faudrait responsabiliser les collectivités territoriales et les exploitants privés. Les obligations devraient être semblables à celles que nous avons votées pour la forêt. Il faut surtout coordonner l'action publique.

M. Bernard Baudot - Nous allons essayer de coordonner l'action des services. De nombreuses Associations syndicales autorisées (ASA) ne fonctionnent plus. Je crois que nous avons besoin de la volonté des élus d'accepter de remettre en cause l'existence de certaines ASA et de regrouper l'ensemble des collectivités sur un territoire pertinent, c'est-à-dire sur un bassin hydrographique. Cela permettra d'apporter l'appui technique sur les aménagements nécessaires. Nous avons besoin d'un lien fort avec les collectivités. Concernant la responsabilité des propriétaires privés, nous devons aller plus loin. Il faut signaler dans les actes de cession et de location les obligations et les informations portant sur la zone inondable. La responsabilité ne concerne pas que les pouvoirs publics. Pour les propriétaires riverains, le problème porte sur la gestion et la restauration des cours d'eau. Au terme du projet de loi sur l'eau, nous avons pris plusieurs dispositions. En cas d'urgence, les collectivités auront le droit, par arrêté préfectoral et sans enquête publique, d'intervenir sur le long des cours d'eau. En outre, le projet de loi prévoit que par enquête publique, des servitudes soient créées au long des cours d'eau pour permettre aux collectivités d'entretenir et de surveiller. Le coût sera réparti sur chacun des riverains. Ce point est important. Par ailleurs, une décentralisation est prévue sur le domaine public fluvial. Elle permettra aux départements ou aux ententes interdépartementales de gérer et d'entretenir les cours d'eau. Concernant les zones d'expansion naturelles ou les zones de surinondation, nous avons proposé d'instituer, à la demande des collectivités, des servitudes de surinondabilité en amont des zones habitées. Nous allons accentuer l'inondabilité sur ces zones. Nous n'allons pas nous contenter de les laisser telles qu'elles sont. Si une personne n'accepte pas les contraintes de la servitude, elle pourra demander le rachat de son terrain. Le Conseil d'Etat a trouvé cet équilibre raisonnable. Nous pourrions concevoir que la loi fasse obligation d'informer lorsqu'une personne achète ou loue sur une zone qui est susceptible d'être inondée. Toutefois, nous sommes confrontés à des problèmes relatifs au cadastre et à la modernisation de la conservation des hypothèques. Enfin, nous avons prévu des interventions plus fortes des agences sur les zones d'expansion des crues et sur les zones qui ont subi des imperméabilisations. A ce titre, des redevances concerneront les imperméabilisations et les grands aménagements. En contrepartie, les agences pourront intervenir sur les zones d'expansion et leur aménagement et sur l'entretien et la restauration des cours d'eau.

M. le Président - Monsieur le directeur, je vous remercie.

23. Audition du colonel Lagrange, responsable du Centre d'opérations interarmées, chargé du territoire national (COIA) (14 juin 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui le colonel Lagrange, responsable du Centre d'opérations interarmées, chargé du territoire national.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment au colonel Lagrange .

Je vous donne immédiatement la parole. Nous vous poserons nos questions ensuite.

Colonel Lagrange - Au sein du Centre Opérationnel Interarmées, où je suis en poste depuis six ans, je suis chargé de la coordination entre le domaine politique et militaire. Concrètement, je transforme les directives du ministre et du Gouvernement en ordre d'opérations pour les armées. Au nom du chef d'état-major des armées et sous les ordres de l'amiral qui commande le COIA, il m'appartient de fixer le volume des renforcements, les règles selon lesquelles les militaires sont engagés et les conditions de soutien nécessaires pour l'engagement des armées.

Vous m'avez transmis une première question sur les procédures régissant l'engagement des armées. En dehors des cas d'urgence, il existe sur le territoire national deux modes d'engagement :

- la réquisition générale au titre de l'ordre public, qui est généralement ordonnée par les préfets - elle résulte d'une ancienne loi sur l'engagement de la force armée ;

- un « contrat » entre l'autorité civile et l'autorité militaire pour l'engagement, sous forme de concours, des armées -cette procédure repose sur une instruction interministérielle signée par le Premier Ministre en 1984 et qui détermine non seulement les conditions et les responsabilités selon lesquelles les militaires sont engagés au profit des autorités civiles, mais aussi les conditions financières et les responsabilités administratives.

Ce sont les deux grands modes qui prévoient l'engagement des forces armées sur le territoire. La demande de concours, qui ne fait l'objet d'aucun document formalisé, donne lieu à un protocole co-signé par le préfet qui a émis la demande et l'officier général de la zone de défense qui, par sa signature, engage le ministre de la Défense. De manière générale, ce protocole a besoin d'être signé avant l'engagement, sauf cas d'urgence. Or dans la Somme, nous étions face à un cas d'urgence, ce qui n'a pas permis d'établir les protocoles au préalable.

Dans les faits, les armées ont été engagées largement avant la demande formelle du préfet, qui a été signée le 3 avril. Devant l'ampleur de la catastrophe, nous avions en effet placé des forces en état d'alerte. Dès le 3 avril, nous avons donc pu organiser une reconnaissance aérienne, pour avoir une idée précise de l'ampleur des dégâts. Cet engagement s'est fait à la suite d'une demande téléphonique, confirmée par message. La procédure de demande de concours, qui peut paraître lourde, peut donc être anticipée en cas d'urgence. Nous avons en effet de fréquents contacts téléphoniques et nous pouvons le cas échéant placer nos unités en état d'alerte. De ce fait, les délais d'intervention ont été largement réduits lorsque le préfet nous en a fait la demande. Je précise que ce sont les préfets qui doivent formuler une demande de secours. Il n'est pas prévu que le président d'un conseil régional, d'un conseil général ou qu'un maire puisse lancer un appel de ce type.

Je souhaiterais brièvement revenir sur les conditions dans lesquelles les armées interviennent. Les armées interviennent sur le territoire national en complément des unités dont cela est la vocation. Notre rôle n'est pas de remplacer les pompiers, les unités de la Sécurité civile ou le SAMU, mais d'intervenir en cas d'urgence, pour manifester la solidarité nationale ou lorsque l'Etat décide d'affirmer sa position. Nous intervenons dans des domaines qui nous sont particuliers : défense nucléaire, bactériologique et chimique, transport aérien, surveillance, organisation en état-major, etc.

Revenons à présent sur la chronologie des événements. Dès le 3 avril, on nous a demandé un concours pour deux sections. Ce même jour, une section de l'armée de l'air a effectué des reconnaissances, ce qui nous a permis d'engager la réflexion dès le 4 avril. Dans un deuxième temps, sur réquisition du préfet, nous avons engagé des unités pour renforcer les polices urbaines dans la surveillance des zones abandonnées par la population, à Abbeville puis à Amiens. Enfin, compte tenu de l'ampleur des difficultés rencontrées par la population, nous avons été sollicités vers le 15 avril pour lui apporter de l'aide, en assurant notamment son ravitaillement et en évitant son isolement. Le 27 avril, à la suite d'une réunion interministérielle à l'Hôtel Matignon, il a été demandé aux armées de mettre en place une participation militaire à la cellule interministérielle de préparation et de planification pilotée par le préfet Moracchini. Nos officiers ont donc rejoint la préfecture d'Amiens le 30 avril et ont commencé à travailler, dans un premier temps pour définir des axes d'efforts, puis pour les exécuter.

A ce jour, 15.000 journées de travail ont été fournies dans le cadre de cette action, pour plus de la moitié par des unités spécialisées du Génie qui ont engagé des moyens très lourds. Les unités venaient essentiellement de l'armée de terre, mais aussi de l'armée de l'air. Le commandement de ces unités était assuré par le général Gaubert, l'officier général de la zone de défense Nord. Il est le représentant du chef d'état-major des armées auprès du préfet.

Sur le terrain, le délégué militaire départemental a été associé très rapidement à la conduite de la crise et c'est sans doute pour cela que la coordination civilo-militaire s'est aussi bien déroulée. Pour nous, la zone de défense est le point de coordination civilo-militaire. Le rôle du préfet de zone a d'ailleurs été clairement mis en exergue dans l'affaire de Vimy puisque c'était le préfet du Nord qui pilotait l'ensemble de l'opération. Mais dans le cas de la Somme, puisqu'un seul département était concerné, il était normal qu'il se « décentralise » auprès du préfet de ce département.

Vous m'avez posé une question sur la satisfaction des élus et de la population. Cette satisfaction tient à plusieurs facteurs, notamment la rapidité d'engagement. Nous avons également beaucoup aidé la population, ce qui est toujours très gratifiant, surtout dans cette région qui a été privée de ses troupes depuis les récentes réorganisations et où la population garde un fort lien affectif avec l'armée. De manière générale, nous avons d'ailleurs été très contents de nos contacts avec la population et les élus locaux. Mais nous avons aussi rencontré des difficultés. Nous avons par exemple mis beaucoup de temps pour trouver avec la direction départementale de l'équipement une solution hydraulique au problème posé par les inondations.

Concernant un éventuel allégement de la procédure, je ne sais pas s'il serait possible. Avant d'engager nos armées, nous avons en effet besoin d'un document écrit. Mais il est aussi important d'établir des contacts téléphoniques avant de prendre une décision d'engagement. Même lorsque la crise ne semble pas concerner l'armée, il est très important que les autorités locales pensent à l'impliquer dans leurs réflexions. C'est sans doute là, dans ces contacts personnels, que la procédure pourrait être allégée, plutôt que dans un engagement formalisé. On pourrait évidemment imaginer, dans les zones fréquemment touchées par les inondations ou les feux de forêt, des protocoles selon lesquels l'armée mettrait un certain nombre de moyens à disposition des préfets et de la Sécurité civile. Mais il ne faut sans doute pas abuser de ces protocoles dans une armée à la recherche d'un nouvel équilibre. De plus, la multiplication des papiers ne remplacera jamais les relations humaines.

Revenons à présent sur la question des unités en état d'alerte. Il serait évidemment souhaitable de disposer d'unités en état d'alerte sur l'ensemble du territoire national pour répondre aux besoins des autorités civiles. Nous avons une longue expérience en la matière. Jusqu'à l'année dernière, nous avions toujours une section en état d'alerte dans chaque zone de défense. Mais hormis pour des incidents mineurs, je ne vois pas très bien ce que nous pourrions faire avec trente hommes, surtout lorsqu'ils sont à Colmar et qu'ils doivent intervenir à Charleville. Nous préférons donc jouer aujourd'hui sur la notion de pré-alerte et d'engagements des moyens disponibles. Nous connaissons ces moyens et nous choisissons les mieux adaptés à la situation. Nous avons donc abandonné l'idée d'un système d'alerte sur l'ensemble du territoire national car elle était inefficace et il ne me semble pas nécessaire de faire une proposition dans ce sens.

Le dernier point sur lequel je voudrais revenir est celui de la professionnalisation des armées. Depuis deux ans, 2.000 militaires ont été engagés chaque jour dans des actions de participation à la défense civile. Plus de la moitié d'entre eux sont des professionnels. Or, durant cette période je n'ai pas ressenti de modification, ni dans les conditions ni dans l'efficacité de la coordination civilo-militaire. Il est certain qu'une armée professionnelle a, par habitude, plusieurs métiers, ce qui n'était forcément pas le cas d'une armée composée d'appelés. Le changement se fait plutôt ressentir dans le format de nos unités. L'armée est en effet passée de 200.000 à 130.000 hommes. Nous n'avons donc plus les mêmes capacités d'intervention qu'auparavant, surtout lorsque l'on connaît l'ampleur de nos interventions au Kosovo, en Bosnie, en Afrique ou dans les départements d'outre-mer.

Je n'ai pas d'avis à donner sur un éventuel changement des mesures d'alerte ou sur la professionnalisation. Cela n'est pas mon rôle. On pourrait en revanche imaginer de renforcer les unités militaires de sécurité civile -des militaires mis à la disposition du Ministère de l'Intérieur. Ce sont en effet des spécialistes des catastrophes, avec lesquels nous travaillons très souvent, en particulier à l'étranger. Il ne serait donc pas très utile de les utiliser pour remplir des sacs de sables et renforcer des digues. Quant à les renforcer, tout dépend de l'origine des renforts. Il faudrait peut-être mieux conserver quelques unités du Génie, aptes à utiliser des engins très lourds, plutôt que d'augmenter le nombre d'unités militaires de sécurité civile. Je ne vois donc pas l'intérêt de trop modifier le dispositif actuel.

Concernant enfin les charges financières, elles sont essentiellement dues à la nourriture. J'ignore exactement comment elles seront remboursées, mais je sais qu'un groupe interministériel travaille sur cette question. Nous avons également dépensé pour environ 500.000 francs de carburant et pour à peu près autant de frais aéronautiques. Il faut enfin intégrer les indemnités de service en campagne. Néanmoins, les charges financières liées à cette opération ne devraient pas être énormes.

M. le Président - Merci pour cet exposé précis. Nous allons maintenant vous poser nos questions.

M. Pierre Martin, Rapporteur - Dans la Somme, nous avons effectivement ressenti votre présence, même dans les locaux de la Préfecture. Je dois dire que vous avez été particulièrement efficaces dans la gestion de cet événement, notamment sa gestion médiatique. En effet, si les sinistrés se sont dits aussi satisfaits de votre action, c'est non seulement par ce qu'ils en vivaient, mais aussi par ce qu'ils en lisaient dans la presse.

Vous avez parlé tout à l'heure des sacs de sable. Beaucoup de personnes se sont interrogées sur le rôle des militaires du Génie. Etait-ce vraiment à eux de remplir des milliers de sacs de sable ? N'aurait-il pas été possible de mieux harmoniser votre action et celle de la DDE ? Quel était le rôle de ces deux partenaires ?

M. le Président - Il nous a semblé que, dans cette affaire, l'apport essentiel de l'armée a été sa capacité à travailler en état-major, ce que ne savent pas faire les civils. C'est lorsque l'armée a pris les affaires en main qu'un plan global a pu être établi et qu'une autorité s'est mise en place.

M. le Rapporteur - Pour schématiser, hormis celui du préfet, tous les autres bureaux de la préfecture étaient occupés par l'armée...

Colonel Lagrange - Nous ne devons tout de même pas trop en faire. Nous ne pouvons en effet pas entrer en force dans un système qui n'est pas le nôtre. Nous ne pouvons qu'y participer.

Concernant nos rapports avec la DDE, je suis incapable de vous dire comment ils devraient se dérouler. Je sais simplement que c'est par l'intermédiaire de la DDE que nous avons été sollicités. Dans sa demande du 3 avril, le préfet nous a demandé de participer au renforcement des digues avec des unités du Génie, des bateaux à fond plat et de la main d'oeuvre. Nous avons donc demandé à des militaires de remplir des sacs de sable, comme nous l'avions fait il y a trois ans à la frontière germano-polonaise. Par la suite, une coordination s'est instaurée. Nous avons notamment placé auprès du préfet un officier chargé de sa communication et le 27 avril, l'ensemble des interlocuteurs avait déjà étudié toutes les possibilités.

M. le Président - Il y avait eu une première réflexion mais cela a éclaté au grand jour le 27 avril.

Colonel Lagrange - Cela est certain. Nous avions formalisé les différents plans pour trouver les personnes nécessaires.

M. le Président - Et vous avez bien fait les choses puisque vous avez même fait venir le Ministre.

Colonel Lagrange - Le ministre tenait à être présent.

M. le Rapporteur - Vous avez quitté les lieux depuis quelques jours. Il était prévu que le Génie réaliserait certains travaux, en particulier le démontage de ponts et leur remplacement. Or du jour au lendemain, l'armée est partie. On nous avait pourtant dit que le Génie s'en chargerait. Je m'interroge sur cette interruption alors que les travaux pour lesquels votre intervention était prévue ne sont pas achevés.

Colonel Lagrange - Je ne suis pas sûr que le Génie ait été mandaté pour réaliser ces travaux. Pour moi, le seul travail que le Génie doit encore réaliser consiste en l'aménagement d'une plate-forme. Ce travail est le seul qui nous a été demandé de manière formelle. Si aucune demande formelle ne nous est faite, il est évident que nous ne pouvons pas rester au-delà d'un certain temps. Nous sommes sur place depuis le 3 avril mais ce n'est pas notre rôle que de remplacer les personnels de la DDE. Nous savons par exemple faire des ponts, mais ce n'est pas notre rôle.

M. Hilaire Flandre - Cela semble logique.

M. le Président - Je le comprends parfaitement, mais les populations locales imaginaient que l'armée resterait pendant plusieurs mois pour participer aux travaux qui ont été programmés. On a par exemple annoncé que l'armée et la DDE feraient sauter des goulots d'étranglement mais les travaux n'ont toujours pas été réalisés et l'armée est partie. Nous ressentons donc une sorte de frustration psychologique.

M. le Rapporteur - C'était justement le sens de ma question sur le pont Belley de Pont-Rémy. Il a été annoncé que ce point serait détruit avec l'aide de l'armée, mais il ne l'a pas été et nous ne savons toujours pas s'il le sera.

M. le Président - Cela étant, pendant la période de crise, la communication a été particulièrement bien faite, ce qui a contribué à maintenir le moral des sinistrés. Pour l'action psychologique, l'armée est bien meilleure que les civils.

M. le Rapporteur - Cela est peut-être dû à ce que qu'évoquait le colonel Lagrange tout à l'heure. Cela fait longtemps qu'il n'y a plus de militaires dans la Somme. Quand ils arrivent, on leur déroule le tapis rouge...

M. Hilaire Flandre - Cela était certainement aussi dû à leur unicité de commandement et à leur rapidité d'exécution.

M. Jean-Guy Branger - Je tiens à dire au colonel Lagrange que j'ai particulièrement apprécié son exposé. Vous êtes resté très modeste eu égard à l'engagement de l'institution militaire dans cette affaire. Certes, vous avez bien rappelé que votre rôle consistait à intervenir en complément des unités civiles, mais il faut rendre hommage à l'action spectaculaire conduite par les armées. Nous avons eu affaire à de grands professionnels. Aucune autre institution que l'armée me semble à même d'engager autant de moyens dans un délai aussi court. Votre action a été exemplaire et nous ne pouvons que nous en réjouir.

M. Jean-François Picheral - De quel ministre dépendez-vous ?

Colonel Lagrange - Du ministre de la Défense.

M. Jean-François Picheral - Je m'associe au propos de Monsieur Branger sur votre action.

M. Michel Souplet - Je crois moi aussi que l'armée s'est montrée particulièrement efficace. Cela m'amène d'ailleurs à me poser une question. Si l'action de l'armée a été aussi efficace, c'est parce que le préfet de la Somme l'a appelée et qu'elle est arrivée immédiatement. Cette expérience ne devrait-elle pas nous amener à réfléchir sur la mise en place d'une procédure d'intervention aussi rapide dans d'autres domaines ? Pour prendre un exemple, il y a deux ans, à Compiègne, un malfaiteur s'était échappé après avoir tué plusieurs personnes. Il s'était caché dans un marais et la police avait besoin de le retrouver rapidement. Or nous avons dû attendre trois heures et demie avant qu'un hélicoptère de la police n'intervienne, alors qu'il y a, à Compiègne, des hélicoptères militaires. Dans un cas de ce type, le sous-préfet aurait-il pu demander à l'armée d'intervenir ?

Colonel Lagrange - L'emploi des moyens aériens est complexe car nous avons besoin dans ce domaine d'une décision du cabinet du ministre. Si le général qui commande la zone de défense est convaincu de l'urgence d'une situation, il peut téléphoner à la base pour lui demander de se préparer à intervenir, mais le problème est de faire comprendre à nos interlocuteurs du cabinet du ministre la réalité de cette urgence.

M. le Président - Mon colonel, nous vous remercions pour votre intervention. Nous nous permettrons, le cas échéant, de vous téléphoner pour compléter notre rapport.

24. Audition de M. Bernard Rousseau, président de France Nature Environnement (14 juin 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui M. Bernard Rousseau, président de France Nature Environnement.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Bernard Rousseau .

Monsieur Rousseau, vous êtes le président de France Nature Environnement. De quelle structure s'agit-il exactement ?

M. Bernard Rousseau - France Nature Environnement est une fédération nationale d'associations de protection de la nature et de l'environnement. Il s'agit aussi bien d'associations nationales -comme la Ligue pour la protection des oiseaux ou Espaces naturels de France- que régionales -comme Nord Nature ou la FRAPMA- ou départementales. France Nature Environnement regroupe au total 130 organisations. Notre objectif est de réduire ce nombre en favorisant les regroupements régionaux. L'idéal serait en effet de ne plus avoir qu'une trentaine d'organisations.

Si nous comptons toutes les associations fédérées directement ou indirectement par France Nature Environnement, cela représente environ 3.000 organisations et 90.000 adhérents. Au niveau du « chevelu » associatif, nos adhérents sont probablement sept ou huit fois plus nombreux mais nous n'avons pas d'estimation exacte de leur nombre. Dans un seul département, on peut en effet trouver 300 à 400 associations environnementales à un titre ou à un autre.

L'action de France Nature Environnement se situe au niveau national. Nous avons une assemblée générale annuelle, un conseil d'administration et un président élu chaque année. Pour ce qui me concerne, je suis président depuis trois ans.

Nous tirons nos ressources de cotisations, d'expertises associatives, d'aides du ministère de l'Environnement et des autres ministères -dans le cadre des emplois-jeunes notamment. Notre fédération joue un rôle d'animation au niveau national. Elle assure l'interface entre les différents acteurs. De manière générale, je dirais qu'aujourd'hui, les organisations non gouvernementales sont de plus en plus sollicitées et par de plus en plus de monde. J'en veux pour preuve la référence du président de la République à France Nature Environnement lors de son discours d'Orléans, ville dans laquelle se situe notre siège administratif.

Nous sommes organisés en réseaux thématiques transversaux par rapport aux associations fédérées et à leurs militants. Il existe, par exemple, un réseau sur le milieu naturel, un autre sur la chasse et la protection des grands carnassiers et d'autres sur les déchets, la santé, l'énergie ou l'eau, chacun d'entre eux étant animé par un pilote et par un directoire désignés par le conseil d'administration de France Nature Environnement. J'ai personnellement la responsabilité du réseau Eau qui regroupe environ 250 spécialistes associatifs sur cette problématique. La plupart d'entre eux participent aux conseils d'administration des agences de l'eau, des comités de bassin ou des commissions départementales des carrières. Les membres du mouvement associatif français sont d'ailleurs de plus en plus souvent sollicités pour participer à des structures de concertation dans lesquelles ils rencontrent des socioprofessionnels, des élus ou des représentants de l'administration. Nous jouons donc un rôle de régulation à ce niveau.

Concernant les problèmes d'inondations, ils relèvent bien évidemment des compétences du réseau Eau. A ce titre, je me suis moi-même occupé longuement du problème de la Loire. J'ai notamment travaillé sur les différents plans Loire et sur les problèmes d'inondations. J'ai d'ailleurs eu l'occasion d'écrire des articles dans diverses publications sur ce sujet.

M. le Président - Nos investigations portent sur les inondations de la Somme. Quelle appréciation portez-vous sur ces inondations ?

M. Bernard Rousseau - Ce problème est complexe. Il n'existe pas de solution simple. Pour s'en convaincre, il suffit de recenser l'abondante littérature en la matière. D'excellents auteurs ont en effet répertorié les précédentes crues. Le premier problème est donc sans doute celui de la mémoire humaine. En règle générale, on a tendance à rechercher des références dans l'histoire. Par rapport aux évènements climatiques, l'échelle d'observation humaine n'est souvent pas adaptée pour élaborer des référentiels fiables.

Pour prendre le cas de la Loire, on n'a pas enregistré de crue majeure depuis 1866. La mémoire de ces évènements s'estompe donc progressivement et il faut chercher sur les berges des fleuves les marques des crues précédentes. Ces marques laissent souvent sceptiques les personnes qui ne les ont pas vécues. Dans le cas de la Loire, nous avons même noté que ces marques pouvaient être remises en cause par des personnes qui pensent que de telles crues ne pourront plus jamais se reproduire parce que le Massif central a été végétalisé et parce que l'on a construit des barrages.

Il faut aussi tenir compte des lits et des bassins versants. Ces derniers peuvent en effet restituer les crues, mais de manière différente. Dans la Loire par exemple, l'abaissement du lit du fleuve peut favoriser le passage des crues. De ce fait, des crues qui auraient pu déclencher autrefois un état d'alerte n'ont plus aucune conséquence et l'on a tendance à perdre la mémoire du danger. Mais nous avons également noté que l'abaissement du lit de la Loire avait des inconvénients -qui ne se révèlent pas dans les crues petites ou moyennes mais qui peuvent se révéler lors de crues importantes- comme la végétalisation des parties qui ne sont plus submergées. En outre, du fait de l'abaissement du lit de la Loire, certaines digues de protection se sont retrouvées « suspendues » et se sont affaiblies. Leur risque de rupture s'est donc considérablement aggravé. Or il vaut toujours mieux une inondation programmée plutôt qu'une inondation due à la rupture d'une digue.

M. le Président - Quel jugement portez-vous sur la politique d'aménagement des cours d'eau en France ?

M. Bernard Rousseau - De manière générale, l'action en faveur des fleuves me semble délaissée. Pendant longtemps, le discours officiel avait pour seule orientation le développement urbain. On a souvent tendance, en effet, à penser que si une commune située en zone inondable émet des règles de non-urbanisation, cela sera pénalisant pour son développement économique. Le problème, c'est que notre société ne sait pas raisonner selon une échelle temporelle d'un siècle et demi. Au fond, si nous nous occupons des inondations, c'est parce que la nature nous rappelle à l'ordre. Mais c'est avant l'inondation qu'il faut conduire une stratégie de développement, en décidant notamment de ne pas urbaniser certaines zones, ce qui pose toutes sortes de problèmes.

Il existe un autre débat sur ces inconvénients qui peuvent apparaître de manière aléatoire mais je n'ai pas la prétention d'apporter des solutions en la matière. Je sais seulement que la politique d'aménagement des fleuves n'a pas pris en compte ce risque. Ainsi, dans le bassin de la Loire, tous les fossés qui servent à évacuer les eaux après les crues ont été calibrés en fonction de la plus forte crue décennale. Par conséquent, s'il y avait une inondation importante, nous risquerions d'avoir dans cette région des eaux stagnantes.

Dans la Somme, il y a peut-être aussi eu un défaut d'entretien ou de prospective. Des zones humides ont été urbanisées alors qu'elles n'auraient pas dû l'être. On peut aussi noter la surprenante variabilité du climat, qui est peut-être liée à l'effet de serre. Mais comme des incidents de cette nature se sont déjà produits par le passé, il faut en transmettre la mémoire pour en tenir compte dans les schémas d'aménagement des communes.

M. le Président - Vous avez évoqué l'effet de serre. Quel est votre sentiment sur les changements climatiques actuels ? Sommes-nous en train de vivre un changement profond ? Des inondations exceptionnelles telles que celles de la Somme pourraient-elles se reproduire plus fréquemment ?

M. Bernard Rousseau - Si l'on observe la série de catastrophes qui ont affecté notre pays, on pourrait avoir tendance à conclure en ce sens mais, comme ces évènements se sont déjà produits par le passé, je ne pense pas que l'on puisse conclure de façon aussi directe. Toutefois, de plus en plus de scientifiques se rallient à l'hypothèse du changement climatique. On observe en effet des sécheresses surprenantes dans certaines régions et une réalimentation rapide des nappes phréatiques dans d'autres. Ces phénomènes pourraient très bien se reproduire, ce qui nous amène à nous poser la question suivante : socialement, serait-il acceptable qu'une crue de la Loire détruise le potentiel économique acquis depuis cent ans ? Cela serait bien sûr inacceptable. Nous devons donc réfléchir à des solutions.

Personnellement, je pense que nous avons besoin d'une prise de conscience pour favoriser le traitement de cette question. Le problème, c'est que nous avons un lourd « passif » dans ce domaine. On a urbanisé à outrance, sans respecter les principes élémentaires de précaution et la situation risque d'être longue à rétablir. C'est un travail de longue haleine, mais je ne vois pas d'autre solution. Il faut travailler au cas par cas et le plan Loire est un bon exemple de ce qui peut-être fait. C'est en effet grâce à la mobilisation des associations que ce plan a pu être établi. Nous avons pu développer une réflexion sur les savoir-faire, les méthodes et la manière de travailler. Des groupes de ce type devraient, peut-être, être créés dans des zones particulièrement vulnérables.

M. Hilaire Flandre - A vous écouter, il existerait deux types de société : la première serait marquée par le principe de précaution et le risque zéro ; la seconde accepterait le risque. Or, si nous avions opté pour le premier choix, nous aurions laissé la Gaule telle qu'elle est décrite dans les manuels d'histoire. Elle serait toujours un pays de forêts et de marécages.

M. Bernard Rousseau - Si vous avez vu dans mon point de vue une invitation à la première de vos propositions, c'est que je me suis mal exprimé. Pour moi, le risque zéro n'existe pas. Malheureusement, dans la région de la Loire, certains élus locaux ont utilisé cet argument, contribuant ainsi à l'accréditer. Or, notre société ne doit pas seulement se préoccuper du court terme ; elle doit aussi prendre en compte le risque aléatoire à long terme. Il faut donc inverser la tendance et étudier sérieusement les problématiques avant que les catastrophes se produisent, pour en minimiser les conséquences sociales et économiques.

M. Pierre Martin, Rapporteur - Ma question porte sur la gestion des bassins, en particulier ceux de la Seine, de l'Oise et de la Somme. Pensez-vous que cette gestion est suffisamment coordonnée ? Pensez-vous qu'elle ait pu avoir une influence sur les inondations de la Somme ?

M. Bernard Rousseau - Nous avons un dispositif de gestion des bassins avec les Agences de l'eau. Malheureusement, leurs compétences ne sont pas suffisamment précises en matière d'inondations. De plus, j'ai l'impression que la gestion inter-bassins est très peu développée, ce qui n'est pas une bonne chose. Il semble en effet qu'il y ait des problèmes d'interface entre ces bassins. C'est d'ailleurs pour cela que France Nature Environnement a réclamé, dans le cadre de la nouvelle loi sur l'eau, de nouveaux outils transversaux, pour faire face notamment aux inondations.

Quant aux rumeurs faisant état d'un déversement des eaux du bassin de la Seine dans celui de la Somme, je ne me prononcerai pas sur ce sujet. Il s'agit en effet d'une question scientifique très complexe. Je crois savoir qu'un rapport a été publié sur ce sujet. Je crois également savoir qu'il n'y a pas de connexion entre les deux bassins. J'attends donc d'avoir tous les éléments en main pour me faire une opinion. Ce qui est sûr, c'est que nous devons faire progresser la gestion inter-bassins et qu'il faut lancer des politiques transversales. C'est d'ailleurs pour cela que je suis favorable au Fonds national de solidarité pour l'eau.

M. Hilaire Flandre - Est-il possible d'envisager que des nappes d'eau souterraines puissent interférer les unes par rapport aux autres ? Le fait de conserver des nappes d'eau importantes en Champagne pour protéger Paris peut-il avoir des conséquences sur le niveau des nappes de Picardie ?

M. Bernard Rousseau - A mon sens, seuls les géologues peuvent répondre à cette question. Mais il faut bien voir que les quantités d'eau présentes dans ces nappes sont considérables. Certaines d'entre elles représentent jusqu'à 10 milliards de m 3 d'eau. A une telle échelle, l'homme ne peut donc avoir aucune influence.

M. le Président - Merci Monsieur Rousseau pour votre intervention. Vous nous avez apporté quelques éclaircissements précieux. Nous nous permettrons peut-être, si vous nous y autorisez, de reprendre contact avec vous avant de rédiger notre rapport.

25. Audition de M. Bruno Ledoux, consultant dans le domaine de la prévention des risques et de l'inondation, auteur du rapport « Les catastrophes naturelles en France » (27 juin 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui M. Bruno Ledoux, consultant dans le domaine de la prévention des risques et de l'inondation, auteur du rapport « Les catastrophes naturelles en France », qui a créé un cabinet d'études sur les risques naturels. Monsieur Ledoux, nous allons vous entendre sur les inondations dans la Somme, problématique qui fait l'objet d'une enquête menée par notre commission.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Bruno Ledoux .

M. Bruno Ledoux - Je suis consultant indépendant dans le domaine de la prévention des risques naturels. J'ai maintenant une expérience d'une dizaine d'années dans ce domaine. J'ai débuté dans une filiale d'ingénierie technique chez un courtier d'assurance, qui s'intéressait aux risques industriels et qui a souhaité développer des compétences dans le domaine des risques naturels. J'ai ensuite travaillé deux ans dans un centre de recherche sur l'aménagement du territoire à Montpellier, et depuis six ans, je suis installé comme consultant sur les problématiques de prévention des risques naturels. Je me suis adjoint l'assistance d'un juriste car comme vous avez pu le constater, le domaine de la prévention des risques naturels fait de plus en plus appel à des problématiques relevant du domaine juridique. Je travaille essentiellement pour les services de l'Etat (services centraux du ministère de l'Environnement, du ministère de l'Equipement, du ministère de l'Intérieur...), mais également pour les services déconcentrés de l'Etat (DIREN, DDE...). Il m'est par ailleurs arrivé de remplir des missions pour le compte de compagnies d'assurance. Je travaille toujours en étroite collaboration avec les collectivités locales, mais celles-ci ne sont jamais maîtres d'ouvrage de mes études. Toutes les études que je suis amené à conduire, dans des domaines que je vous décrirai très rapidement, font essentiellement l'objet de financements et de maîtrises d'ouvrage de l'Etat.

J'interviens principalement dans trois domaines.

Tout d'abord sur l'approche socio-économique du risque inondation.

Je conduis des réflexions a posteriori sur des catastrophes récentes, afin d'évaluer leurs impacts socio-économiques. Ces catastrophes sont essentiellement des inondations, même s'il m'arrive d'intervenir sur les écoulements de terrain. Mes réflexions permettent de procéder à des simulations a priori, c'est-à-dire de procéder à une modélisation des conséquences des grandes crues. J'ai ainsi travaillé sur la simulation des grandes crues dans la région parisienne ou sur la Loire moyenne qui se sont produites au cours de ces dernières années. Depuis quelque temps, je travaille aussi sur la problématique de la vulnérabilité, qui est une approche plus qualitative. Elle permet notamment de déboucher sur des stratégies de diminution des risques.

Mon intervention porte ensuite sur la gestion des zones inondables.

Il s'agit de la gestion des zones inondables en milieu urbain ou périurbain, à travers notamment les fameux outils PPR (Plans de prévention des risques naturels prévisibles), mais également en milieu rural ou naturel, sur la thématique de la préservation et de la restauration des champs d'expansion des crues.

Elle porte enfin sur la gestion des crises ou de la phase post-crise.

Dans ce domaine, j'interviens à la fois en France et à l'étranger, parfois dans le cadre d'un programme de recherche financé par le ministère de l'Environnement. Je travaille actuellement sur le Québec et la Pologne, mais j'ai aussi travaillé auprès de la commission de retour d'expérience de Monsieur Lefrou sur les départements de l'Aude et du Tarn, à la suite des crues de la fin 1999.

Enfin, je suis l'auteur d'un ouvrage de vulgarisation intitulé « Catastrophes naturelles en France », publié il y a cinq ans aux éditions Payot. Il y a deux ans, j'ai publié, en collaboration avec un chercheur de l'Ecole des Ponts, un ouvrage destiné à un public d'initiés et de spécialistes sur les différentes méthodes mises en place en France en matière d'évaluation des impacts socio-économique des crues. Pour terminer, depuis deux ans, mon bureau d'études publie une petite lettre d'information -tirée à 500 exemplaires- destinée à tous les gestionnaires du risque inondation en France sur le thème de la prévention des risques naturels. Je vous ai apporté le dernier numéro, qui traite des inondations en France et dans le monde au cours de l'année 2000.

M. le Président - Je vous propose de nous exposer, en quelques minutes, ce que vous pensez des inondations en France. Vous avez donc été associé au rapport de retour d'expérience de Monsieur Lefrou.

M. Bruno Ledoux - Je n'ai pas travaillé avec Monsieur Lefrou sur la Somme. En revanche, j'ai travaillé avec la commission d'enquête sur les inondations en Bretagne. Je tiens à préciser qu'en dix ans, je n'ai jamais eu l'occasion de travailler sur le département de la Somme. En outre, je n'ai jamais été confronté à la problématique des risques d'inondation par remontée de nappes. En 1995, le ministère de l'Environnement avait demandé à mon bureau d'études de réaliser une étude sur le dispositif d'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles. Dans ce dessein, nous avions récupéré le fichier de tous les arrêtés de catastrophes naturelles et analysé les nomenclatures. La nomenclature « Inondation par remontée de nappe » existait bel et bien, mais entre 1982 et fin 1994, seul un arrêté de reconnaissance de catastrophe naturelle portait sur ce type d'inondation.

Je ne m'exprimerai pas expressément sur la situation particulière de la Somme dans la mesure où, encore une fois, je ne suis pas intervenu en tant qu'expert dans cette région. Je tiendrai donc un discours général sur la prévention des inondations en France. Le fait de travailler dans un bureau d'études me place en position intéressante pour apprécier l'intérêt que les pouvoirs publics portent à cette question. Depuis dix ans que j'exerce dans ce domaine, les études sur les inondations ont été en augmentation constante.

Comme vous avez pu le comprendre, je ne suis pas un spécialiste de l'hydraulique au sens strict du terme. Je suis plutôt un expert, qui tente d'intervenir à l'interface entre la gestion du risque, d'une part, et les problèmes d'aménagement du territoire, d'urbanisme et de développement économique local, d'autre part. Sur cette thématique, et à partir des différents angles d'approche -économique, sociologique, juridique...-, se développent des réflexions et des études opérationnelles. Cela signifie que l'on est en train de passer de modalités de gestion du risque dites classiques ou structurelles -mobilisation d'ingénieurs pour mettre en oeuvre des méthodes lourdes de luttes contre l'inondation, mesures structurelles par endiguement, par recalibrage des rivières...- à des approches non structurelles, qui consistent à rendre compatibles la gestion et l'aménagement des territoires, en tenant compte de leurs particularités, notamment l'inondabilité. Encore une fois, les études dans ce domaine ont été en progression constante.

Au cours de mes expériences, j'ai accumulé une documentation très riche sur les risques naturels. La production de connaissances est impressionnante : on a en effet accumulé des connaissances sur l'origine des phénomènes, leurs conséquences, les différentes modalités de la gestion du risque, etc. Cela étant, l'on peine à passer aux actes, à mettre en oeuvre des mesures encore plus efficaces. A mon sens, l'on a encore tendance à aborder le problème exclusivement sous un angle technique, en oubliant que la gestion du risque est également un problème de choix de société. Le risque zéro n'existe pas, mais le degré de protection résulte d'un choix de société. A un moment donné, le technicien doit laisser sa place au politique, à qui il revient de prendre la décision finale. Cette décision traduit un choix de société. Cela n'est certes pas simple, d'autant que nous nous situons dans un cadre réglementaire, le PPR, qui se heurte à la volonté des élus locaux de définir par eux-mêmes le risque acceptable.

M. le Président - Que pensez-vous de l'organisation et du fonctionnement du système de prévision et d'annonce des crues en France, et éventuellement du système en vigueur dans la Somme ? Le PPR en matière d'inondation répond-il aux besoins exprimés sur le terrain ?

M. Bruno Ledoux - S'agissant du PPR, deux types de critiques sont possibles, selon le côté où l'on se place. De son côté, l'Etat présente cet outil comme étant une panacée. A l'inverse, d'autres ont tendance à le fustiger. J'essaie, pour ma part, d'adopter une position intermédiaire. Je pense que le PPR est indispensable car il est, à ce jour, le meilleur outil qui permette d'éviter les dérives comme celles que nous avons connues ces trente dernières années. Je pense notamment à l'urbanisation imprudente, voire dangereuse, dans les zones inondables. Bien entendu, pour éviter d'urbaniser dans les zones inondables, il convient, au préalable, d'apprécier l'aléa, c'est-à-dire à la probabilité de survenance de l'inondation. On est au coeur du problème de la Somme, où certains phénomènes sont tellement peu fréquents qu'ils sont sortis de notre mémoire. Parfois, nous ne les avons simplement pas suffisamment étudiés. Je pense que ceux qui se sont installés dans ces zones inondables l'ont fait en toute bonne foi. Je crois aussi que les permis de construire ont été délivrés en toute conscience. S'agissant d'inondations plus classiques -inondations de plaines, inondations torrentielles...-, nous avons accumulé en dix ans des connaissances poussées sur les risques. Ces connaissances reposent sur un nombre important de cartographies de risques. Le PPR permet, par cette connaissance, de mettre un frein au processus d'urbanisation dans les zones à risques. En ce qui concerne le département de la Somme, et compte tenu du dispositif de retour d'expérience, l'outil PPR devrait permettre, dans le futur, d'inscrire de manière pérenne dans les plans d'occupation des sols, les zones où l'on évitera dorénavant de construire.

En revanche, le PPR est très souvent présenté par les services de l'Etat comme l'unique réponse à la gestion du risque, ce qui me semble prétentieux car si cet outil permet d'agir sur le futur, n'étant pas rétroactif, il ne permet cependant pas d'agir sur l'existant. Or une grande partie du développement urbain des Trente Glorieuses ou de ces trente dernières années s'est faite dans les zones les plus faciles à urbaniser, proches des anciens bourgs historiques, c'est-à-dire des zones planes et inondables, situées dans les lits majeurs des rivières. C'est un état de fait, que nous devons accepter, d'autant que nous n'allons pas extraire de ces zones des dizaines de milliers de maisons. Au XIXème siècle, dans la Loire moyenne, autour de Tours et d'Orléans, on comptait 30.000 personnes habitant dans les zones inondables. Aujourd'hui, ce nombre est passé à 300.000. Le PPR permet de mettre fin aux constructions dans les zones exposées, mais ne permet pas de répondre au problème posé par les maisons déjà construites en zones inondables. Il importe donc de mettre en oeuvre d'autres types d'outils, pas nécessairement réglementaires, mais incitatifs, qui reposeraient sur des partenariats entre l'Etat et les collectivités locales. Ensemble, ces deux partenaires pourraient mettre en oeuvre une approche dite de « réduction de la vulnérabilité », qui consisterait à la fois à préserver l'existant dans la zone inondable et à diminuer les impacts des inondations et des crues le jour où elles surviennent. Tel a été le cas en Bretagne, où j'ai travaillé sur la zone industrielle de Redon. Les industriels qui étaient déjà implantés en 1995 avaient acquis une culture de la prévention des risques. Ils avaient ainsi pris un certain nombre de mesures d'aménagement de leurs installations, ce qui a diminué l'ampleur des dommages au moment des crues. C'est la démonstration que des entreprises peuvent vivre en zone inondable, tout en réduisant leur vulnérabilité à ce risque.

En conclusion de ce point, le PPR est un outil efficace en ce qu'il permet d'agir sur le futur, mais il n'est pas une panacée. Par ailleurs, le PPR est un outil régalien, qui est mis en oeuvre à l'initiative de l'Etat, ce qui est parfois mal vécu par les élus locaux. Cela a été le cas avec son ancêtre, le PER, qui avait été créé en même temps que l'on mettait en oeuvre les lois de décentralisation. A mon sens, les services de l'Etat devraient faire un effort supplémentaire, pour rapprocher cet outil régalien des autres outils d'aménagement du territoire et d'urbanisme. Cependant, c'est une démarche qui s'inscrit dans la durée. L'Etat a affiché la volonté de réaliser un grand nombre de PPR dans les prochaines années, ce qui est incompatible avec la démarche que je préconise. Cette démarche passe par une concertation en amont avec les collectivités locales et suppose que le ministère de l'Environnement affiche une forte volonté politique dans ce sens.

M. le Président - Si vous étiez amené à formuler des recommandations en matière de protection contre les inondations dans la Somme, quelles mesures préconiseriez-vous ? Ces mesures prendraient-elles en compte le mécanisme de remontée de la nappe phréatique ? Faut-il construire des bassins de rétention, faut-il remonter les digues ? Quels types d'ouvrages faut-il prévoir ? Les contre-fossés sont-ils des mesures efficaces ?

M. Bruno Ledoux - A mon sens, un approche globale est nécessaire, qui consisterait à mettre en oeuvre l'ensemble des mesures susceptibles de converger vers une réduction du risque. Il convient de gérer tout à la fois l'aspect temporel et l'aspect spatial. Par gestion temporelle, j'entends la mise en place de dispositifs de surveillance du risque d'inondation -surveillance de l'évolution de la nappe phréatique sur plusieurs années-, de façon à pouvoir anticiper le phénomène du mieux possible. Ainsi, outre la nécessité d'améliorer les connaissances sur le fonctionnement de la nappe, il faut améliorer les dispositifs de suivi. S'agissant de la gestion spatiale, je pense qu'il faut tirer des enseignements en matière d'occupation des sols, et éviter de développer les secteurs les plus exposés. En outre, et c'est là que j'atteins les limites de mes compétences, il faudra peut-être envisager la délocalisation de certains secteurs. Pour d'autres, il faudra envisager une gestion plus efficace des différents réseaux hydrographiques, afin de mieux drainer les secteurs, limitant ainsi les phénomènes de ruissellement, lorsque les sols sont saturés, et de remontée de nappe. Cependant, je ne me fais pas trop d'illusions quant à la possibilité de résoudre le problème des inondations par des mesures techniques d'ordre structurel.

M. le Président - Je crois que vous n'avez jamais travaillé sur le territoire de la Somme...

M. Bruno Ledoux - En effet.

M. le Président - Dans ce département, la remontée de la nappe pose problème. Avez-vous eu l'occasion de travailler sur une telle problématique dans d'autres régions ?

M. Bruno Ledoux - Je rentre d'une mission de quinze jours en Martinique, où j'ai travaillé sur la commune qui concentre toutes les activités économiques de l'île. Cette commune, qui est menacée par les inondations, est proche de la nappe. Tous les exutoires qui traversent la commune sont déversés dans la baie de Fort-de-France, qui s'envase. La mangrove progresse donc de manière significative.

Je vis à Montpellier, et je peux vous dire que les étangs du Languedoc sont sous-colmatés. Mais c'est un phénomène naturel : si on voulait lutter contre les millions de tonnes de sédiments qui sont régulièrement arrachés des versants, il faudrait se lancer dans un travail titanesque, allant d'ailleurs à l'encontre d'un phénomène naturel. On peut toutefois ralentir ce phénomène, en déterminant les origines et les causes de ces apports, en étudiant l'impact de certaines pratiques culturales... A mon sens, les populations et les collectivités locales doivent distinguer entre ce qui relève d'un phénomène naturel, qui est par définition inéluctable, et ce qui résulte de l'action humaine. On peut agir sur les facteurs d'aggravation du risque, en tentant de quantifier la réduction attendue, mais de manière générale, on sera réduit à constater le fonctionnement des milieux naturels.

M. le Président - Que pensez-vous de l'impact des techniques agricoles et forestières sur les risques d'inondation ? Dans le cas de la Somme, je ne pense pas que ces techniques aient eu une influence majeure sur ce qui s'est produit, mais j'aimerais malgré tout connaître votre point de vue.

M. Bruno Ledoux - Tous les études scientifiques convergent pour dire que les techniques agricoles et forestières et les risques d'inondation ne sont pas indépendants. Cela étant, ces techniques jouent pour des événements de petite ampleur. Bien entendu, cela ne diminue pas le choc psychologique de la population. Pour les événements majeurs, l'argument des techniques agricoles et forestières s'efface devant l'ampleur des écoulements qui se sont produits. A ce niveau, je pense que la communication à l'attention des habitants installés dans les zones à risque est fondamentale. Il importe de bien expliquer les enjeux ainsi que l'effet attendu de chaque action en matière de réduction du risque. L'on pourra peut-être améliorer les phénomènes de faible ou moyenne ampleur, mais il existe un seuil à partir duquel, quelles que soient les pratiques culturales et forestières, l'eau s'écoulera parce qu'elle ne peut plus s'infiltrer, ou parce que la nappe est complètement saturée.

M. le Président - En 1999, la Cour des Comptes a publié un rapport sur les inondations et la gestion des risques. Je présume que vous en avez eu connaissance. Quel est votre sentiment ?

M. Bruno Ledoux - En toute modestie, et pour un expert qui travaille sur les risques naturels depuis dix ans, je pense que la Cour des Comptes ne fait qu'écrire et formaliser ce qui est publié depuis une dizaine d'années. Elle a notamment mis en évidence le fait que la problématique de la gestion des risques était très éclatée, entre un très grand nombre de ministères. Selon elle, il faudrait introduire davantage de cohérence et une meilleure articulation entre les actions des différents intervenants. Pour ma part, tout ceci touche à une question fondamentale : la gestion de l'eau. Ces questions sont transversales et nécessitent, à ce titre, une approche interministérielle. Par ailleurs, on doit s'interroger sur l'organisation la plus efficace et la plus optimale des différentes compétences au sein des services de l'Etat, mais également entre les collectivités territoriales d'une part, et les services de l'Etat d'autre part. La Cour des Comptes a également attiré l'attention sur la question récurrente, depuis dix ans, du système d'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles. C'est un sujet fort méconnu. J'ai pu constater, au cours de mes interventions, notamment auprès des acteurs locaux, que le dispositif « CatNat » était peu connu. C'est un dispositif certes complexe, mais à mes yeux, il est unique au monde. Il importe d'en comprendre les tenants et les aboutissants. La Cour des Comptes, à l'instar de nombreux experts avant elle, avait attiré l'attention sur le fait que ce dispositif était quelque peu déresponsabilisant, dans la mesure où les seuils à partir desquels les assureurs sont autorisés à indemniser les victimes sont relativement bas. En ce qui concerne les inondations, la commission de l'eau qui examine les dossiers a fixé ce seuil à ce qu'on appelle la « crue décennale ». On peut se demander si cela répond à la volonté initiale du législateur lorsqu'il avait voté, en 1982, la loi sur l'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles. En particulier, on peut se demander si le législateur ne visait pas plutôt des événements exceptionnels que des événements récurrents. Par ailleurs, la Cour des Comptes a attiré l'attention sur un certain nombre de points, sans formaliser cependant les directions dans lesquelles il fallait clairement travailler. Globalement, je ne peux qu'adhérer à l'essentiel de ce qui a été dit.

M. le Président - Vous avez évoqué un seul cas d'arrêté d'inondation dû à la remontée de la nappe phréatique. Quelle commune cet arrêté concernait-il ?

M. Bruno Ledoux - De mémoire, cet arrêté a concerné deux communes de la Seine-Maritime. Cette information peut être retrouvée assez aisément, soit en interrogeant la Caisse centrale de réassurance, soit, si l'événement n'est pas trop ancien, en consultant le fichier des arrêtés de catastrophes naturelles, qui est mis en ligne sur le site du Ministère de l'Environnement. Il est probable qu'entre 1995 et 2001, d'autres communes ont fait l'objet d'un arrêté similaire.

M. le Président - Il n'en demeure pas moins que c'est un phénomène assez rare.

M. Michel Souplet - L'expérience de la Somme nous montre que nous tendons de moins en moins à accepter, au niveau individuel, ce qui aurait pu résulter de notre propre responsabilité. Aujourd'hui, il faut toujours trouver un responsable ! On se retourne ainsi contre les ingénieurs, contre les maires, et d'autres encore. A Roissy, par exemple, au moment des expropriations, un cahier des charges précis avait été élaboré : dans un rayon bien défini, on ne devait construire aucune habitation. Aujourd'hui, force est de constater que les habitations foisonnent dans cette zone. Pour revenir au contexte de la Somme, je pense que nous vivons un phénomène exceptionnel, qui dépasse le cadre de ce département. Vous disiez vous-même que vous n'aviez jamais eu l'occasion de travailler sur les remontées de nappes phréatiques. Or dans la Somme, les accidents résultent d'une conjonction d'événements, dont celui-là. J'habite dans l'Oise où le phénomène de remontée de nappe est connu, notamment dans les zones crayeuses. Au moment des inondations, la craie, comme une éponge, s'est gorgée d'eau. De mémoire d'homme, on n'avait jamais vu un tel phénomène. On est donc confronté à un cas d'exception auquel on ne peut pas trouver, je crois, de réponse totalement satisfaisante en matière de gestion du risque, à moins de geler des surfaces importantes. On ne comprendrait d'ailleurs pas ce gel de surfaces si l'on considère que c'est un événement exceptionnel, se produisant une fois tous les cent ans. Cette obsession à trouver un responsable -je m'en suis entretenu avec mon propre préfet il y a quelque temps- s'accompagne de réactions perverses : dans les administrations, on tend à ramifier les responsabilités, à « ouvrir le parapluie » afin de ne pas être traduit, un jour, devant les tribunaux. Où trouver le point d'équilibre, qui permette de répondre au risque récurrent ou exceptionnel, sans se réfugier dans des positions extrêmes ?

M. Bruno Ledoux - Vous avez posé, je crois, la bonne question. J'imagine que si le service de l'Etat avait proposé la cartographie correspondant à ce qui vient de se passer dans la Somme, avant que ne survienne l'inondation, cela aurait causé un tollé. Depuis dix ans que je m'interroge, je n'ai toujours pas la réponse : quel dispositif doit-on mettre en place pour aboutir, à l'échelle locale, à la notion de risque « acceptable » ou « socialement accepté » ? Pour ma part, je ne sais comment m'y prendre. L'Assemblée nationale et le Sénat ont voté la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement. C'est peut-être là qu'on ressent un vide politique : la loi n'a pas affiché le risque de référence qu'il fallait prendre en compte dans les documents d'urbanisme. C'est une réflexion qui a été laissée aux techniciens, qui ont statué pour la crue centennale. Or rien ne justifie, dans chaque cas, que l'on retienne le critère de la crue centennale plutôt que la crue cinquantennale. Cela signifierait que l'on pourrait ne pas traiter de manière uniforme les différents risques et les différents territoires. Il faudrait initier un débat local aboutissant, in fine , à un choix de société vis-à-vis du risque socialement acceptable. C'est, bien entendu, un dossier très délicat. On pourrait très bien se dire que le phénomène de la Somme est tellement exceptionnel qu'il est « acceptable », économiquement et socialement. On vient de démontrer que la crue de 1910 en région parisienne coûterait entre 50 à 70 milliards de francs. Cela fait deux ans que cela se sait, mais depuis, je n'ai pas l'impression que le politique s'en préoccupe. Implicitement, cela ne rentre-il pas dans le cadre du risque acceptable ? Encore une fois, et sans prendre parti, je pense que ces problématiques devraient donner lieu à un vrai débat politique.

M. Michel Souplet - Dans ce cas, pourrait-on s'orienter vers une politique à plusieurs vitesses ? En France, nous nous dirigeons de plus en plus vers une politique d'interdits. Ne pourrait-on pas imaginer, à l'inverse, que le maire, étant prévenu de l'occurrence du risque, même à un horizon lointain, puisse dire à ceux qui sont demandeurs de permis de construire de signer une décharge, interdisant ainsi à l'habitant de se retourner contre le maire ou le préfet. Parallèlement, l'assureur augmenterait la prime d'assurance, du fait même de la signature de la décharge par le demandeur de permis de construire. A mon sens, une telle approche garantirait davantage de liberté. Or aujourd'hui, l'on se retrouve devant des positions rigides, qui ne peuvent être remises en cause.

M. Bruno Ledoux - Je pense qu'il faut distinguer le risque pour la vie humaine du risque économique. Ce sont deux éléments qui ne peuvent être traités de la même façon. Tout le monde s'accorde à dire que le risque humain doit être traité dans un souci de protection maximale. S'agissant du risque économique, votre proposition pose un problème juridique. En effet, quelle serait la valeur d'une telle décharge ? Par ailleurs, se pose le problème du dispositif d'indemnisation des catastrophes naturelles. Si ce dispositif n'existait pas, votre proposition pourrait être mise en oeuvre dès demain. Aujourd'hui, 90 % des Français ont souscrit une assurance multirisques habitation, qui finance les dommages d'à peine 10 % des Français qui sont régulièrement sinistrés. C'est grâce à la solidarité nationale que cette couverture d'assurance a pu être mise en place. Par le passé, les compagnies d'assurance n'assuraient pas ce type de risque. On pourrait porter le risque d'inondation à la connaissance de l'industriel qui souhaite s'installer dans une zone inondable, lui demandant de prendre les mesures nécessaires avec son assureur. Dans le cas qui nous concerne, il s'agit d'un système pseudo-assuranciel. Hormis la préfecture et l'industriel, un troisième acteur, l'Etat, est garant de la solidarité nationale au travers du système « CatNat ». En résumé, on ne peut pas laisser l'industriel et l'assureur régler le problème entre eux, dans la mesure où le jour il y a aura un dommage, les primes d'assurance de tous les Français serviront à indemniser l'industriel. Cette logique explique que l'Etat tente, notamment à travers l'outil PPR, de faire en sorte que le système « CatNat » ne dérape pas. En moyenne, sur vingt ans, les dommages représentent 1,5 milliard de francs par an, et ce chiffre va croissant. Le PPR permet de stabiliser cette progression.

Dans un système pseudo-assuranciel, l'Etat définit le montant de la prime ou de la franchise. L'assureur n'a donc pas de marge de manoeuvre directe sur le montant de la prime catastrophe naturelle puisque c'est une prime qui est fixée par l'Etat. L'assurance peut soit refuser d'assurer un industriel qui souhaite s'installer dans une zone à risque, soit accepter de le couvrir, auquel cas une prime, uniforme sur tout le territoire national, lui est appliquée. Il n'existe donc pas de levier de prévention, par le biais de l'assurance. Certains ont préconisé l'assouplissement du dispositif, le maintien du cadre de solidarité nationale, tout en laissant la possibilité à l'assureur de fixer le montant de la prime en fonction du niveau d'exposition. Pour l'instant, la voie retenue, à travers le décret de septembre 2000, consiste à moduler les franchises en fonction du nombre d'arrêtés de catastrophes naturelles, si la commune n'a pas adopté de PPR.

Vous venez de décrire une démarche qui consisterait à faire payer en fonction du niveau d'exposition, en l'occurrence en fonction du risque assumé par l'industriel ou par le particulier. Or notre dispositif d'indemnisation des catastrophes naturelles repose sur le principe de la solidarité nationale. A mon sens, on ne peut pas demander à la solidarité nationale de financer le risque que les industriels ou les individus prennent en toute conscience.

M. Michel Souplet - Vous avez indiqué tout à l'heure que vous aviez déjà travaillé sur la gestion de la phase qui suit la crise. Aujourd'hui, c'est la situation dans laquelle nous nous trouvons. Un certain nombre de personnes ont été inondées, ont pu être déménagées, et maintenant réintègrent leurs maisons ou leurs appartements. Ce sera un travail lourd que de les déménager à nouveau, si l'on s'aperçoit que les immeubles doivent finalement être détruits.

M. Bruno Ledoux - A Vaison-la-Romaine, dans l'Aude et dans le Tarn, des problématiques similaires se sont posées...

M. Hilaire Flandre - On dispose donc de retours d'expérience...

M. Bruno Ledoux - En effet, mais les expériences montrent que ce n'est pas une tâche aisée. En l'absence de dispositifs et de lignes financières ad hoc , l'on est contraint de « jongler » par des mesures dérogatoires, par des dispositifs de concertation avec les services fiscaux... pour adapter les dispositifs existants (l'aide au logement, par exemple) à ces cas particuliers. On devrait peut-être opter pour des dispositifs ad hoc , adaptés à des situations particulières, de façon à soutenir et à accélérer les procédures de relogement, de délocalisation, de rachat du bâti endommagé... La loi Barnier de 1995, qui porte sur le risque humain, ne pourra pas être appliquée en matière d'aide au relogement des sinistrés. Il convient de faire appel à d'autres montages financiers, de procéder à des tours de table... C'est une démarche très consommatrice de temps et d'énergie. Encore une fois, il faudrait envisager, avec les différents ministères concernés, de mettre en place un dispositif ad hoc , adapté aux situations particulières.

M. François Gerbaud - Il faut distinguer entre les dispositifs de prévention et les dispositifs curatifs. Certains endroits sont dangereux, comme la vallée de la Loire, et dans ce cas, la prévention est nécessaire. Mais il faut aussi se prémunir contre les événements ordinaires. Monsieur Ledoux, vous avez indiqué dans votre exposé que l'on a laissé aux seuls techniciens le soin de prendre la décision de refuser ou d'accepter. Je me demande s'il ne serait pas possible, afin de délier les maires des obligations auxquelles ils sont soumis, de confier la responsabilité qui incombe à l'architecte des bâtiments pour les sites protégés. Ils auraient cette rigueur extérieure nécessaire dans le cadre des PPR, qui leur permettrait de dire « non ». Peut-on imaginer cela ? Encore une fois, je pense qu'il faut une autorité extérieure -peut-être que le préfet pourrait assumer ce rôle- ayant l'autorité nécessaire pour dire aux particuliers et aux industriels qu'ils ne peuvent pas construire dans une zone parce qu'elle est dangereuse.

M. Bruno Ledoux - Certains textes de loi sont fondamentaux. Si les maires et les préfets faisaient correctement leur travail, nous n'en serions pas là. Une loi de 1987 oblige le maire à prendre en compte le risque dans les documents d'urbanisme dont il est aujourd'hui responsable, une fois que le préfet a porté celui-ci à sa connaissance. Depuis dix ans, on a multiplié les atlas de risques. Un certain nombre de maires ne peuvent donc pas valablement soutenir qu'ils n'ont pas connaissance du risque. Inversement, un certain nombre de préfet n'osent pas, face à des élus de poids, aller au champ de bataille. Ils endossent donc une part de responsabilité. Je ne sais pas s'il faut créer un nouveau corps, mais il me semble que si l'on appliquait la législation existante, on pourrait déjà faire avancer les choses. Il s'agit, après, de gérer les rapports de force et d'avoir la volonté politique de le faire.

M. Jean-François Picheral - L'avenir immédiat nous préoccupe. Aujourd'hui, la grande crainte des élus et des représentants de l'Etat dans la Somme est que la catastrophe ne se reproduise en 2002. Pensez-vous que l'on puisse, d'ici là, formuler des propositions ?

M. Bruno Ledoux - Encore une fois, je ne suis pas spécialiste de la Somme. Cela étant, je suis intimement convaincu que l'on n'arrêtera pas la remonté de la nappe, qui est un phénomène naturel, d'ici à septembre. En revanche, je pense que les gens sont très sensibilisés à ces enjeux. Tous s'accordent sur la nécessité de renforcer le dispositif de surveillance de la nappe. Il faut donc préparer les populations, pour atténuer l'ampleur de situations qui sont difficiles et intenables.

M. le Président - Avez-vous connaissance d'un système efficace et opérationnel permettant de faire la synthèse de l'observation du niveau de la nappe, de la pluviométrie et de l'état des rivières concernées ? Si l'on pouvait modéliser ces trois éléments, je pense que l'on disposerait d'un outil performant de prévision.

M. Bruno Ledoux - De tels outils informatiques existent certainement. Dans la région de Montpellier, l'on a procédé à une modélisation en trois dimensions de la nappe de Bastien, en multipliant les plans de surveillance. On sait ainsi qu'il faut éviter d'aller prendre de l'eau dans tel secteur...

M. le Président - Je faisais pour ma part allusion à un outil qui permettrait de prévenir les inondations provoquées par la nappe.

M. Bruno Ledoux - Nous n'avons pas l'habitude de gérer des inondations provoquées par la nappe. Je pense néanmoins que grâce à des outils de modélisation comme celui que je viens de décrire, on est capable de mieux prévoir l'occurrence de ces risques.

M. le Président - Ce modèle est donc opérationnel. Est-il récent ?

M. Bruno Ledoux - Ce modèle a moins de dix ans. La modélisation d'une nappe phréatique est une tâche très complexe. Dans ma région, cela est encore plus complexe puisque nous avons à prendre en compte un réseau particulier. Encore une fois, je ne suis pas spécialiste des problématiques d'inondations provoquées par des remontées de nappe, mais je pense qu'il serait pertinent de concevoir un outil de modélisation permettant de suivre l'évolution de la nappe de la Somme.

M. le Président - Ce type d'outils n'existe pas dans la Somme.

M. Bruno Ledoux - Certes, mais le BRGM a déjà mis en place un réseau de suivi de la nappe, même s'il n'est pas initialement destiné à la prévision des inondations. Il faudrait densifier ce réseau, en l'intégrant dans une démarche de prévention des risques d'inondations.

M. Jean-François Picheral - Quelle institution est chargée de la modélisation à Montpellier ?

M. Bruno Ledoux - C'est la DIREN qui a piloté la mise en oeuvre de l'outil de modélisation.

M. François Gerbaud - En 1960, j'ai vécu une terrible inondation après que le barrage du Luzon ait lâché. Puis, une concertation importante, et permanente, a été mise en place avec les représentants du Bas-Rhin. Nous avons ainsi pu éviter d'autres catastrophes de cette nature. Cela montre que l'acte prévisionnel, lorsqu'il précède l'acte de précaution, peut résoudre de nombreuses situations.

M. Bruno Ledoux - Il faut établir une distinction claire entre le dispositif de surveillance qui va permettre de prévoir le phénomène, d'une part, et le dispositif physique qui va permettre de l'atténuer, d'autre part. Dans le cas que vous venez de décrire, le barrage n'avait pas vocation à atténuer les crues, mais pouvait y contribuer. En ce qui concerne la Somme, j'ai le sentiment qu'un dispositif de suivi plus efficace de la nappe pourrait être mis en place.

M. Hilaire Flandre - Le risque zéro n'existe pas, même si notre inconscient fonctionne selon cette règle. Par ailleurs, je crois qu'il faudra que l'on perde, en France, l'habitude de faire supporter par d'autres les conséquences de ce qui nous arrive, et de faire appel à une solidarité nationale qui connaît aujourd'hui ses limites. A mon sens, il faut mettre fin aux dérives procédurales : il suffit pour cela que l'on qualifie un incident de catastrophe naturelle lorsque cela est avéré. Par ailleurs, je pense qu'il est ridicule de vouloir déplacer tous les parisiens, par exemple, même si on sait que se produira, dans dix siècles, une nouvelle inondation. Il suffit de prendre les précautions nécessaires.

M. Bruno Ledoux - En 1982, la méconnaissance des phénomènes était telle que les assureurs ont refusé de couvrir le risque inondation. Depuis, la situation a évolué. En vingt ans, on a accumulé une masse considérable de connaissances sur ce risque. Si l'on met en place un système strictement assuranciel, seules les personnes exposées devront s'assurer. Ce n'est certes pas choquant, mais je parie que personne ne s'assurera parce que le coût de cette assurance sera rédhibitoire. Seules les mutuelles ont osé assurer le risque inondation en 1982. Elles répercutaient sur l'ensemble des adhérents le coût de ce risque. C'est un dispositif similaire qui a été mis en place. Aujourd'hui, si l'on ne faisait payer que les parties de la population qui sont exposés au risque inondation, il faudrait fixer des montants de primes très importants. En collaboration avec un autre bureau d'études, je viens de calculer le nombre de personnes exposées au risque inondation sur les quatre départements de la Bretagne : ce nombre atteint à peine 50.000 personnes ! Parallèlement, les dernières inondations ont causé des dommages s'évaluant à des dizaines et des dizaines de millions de francs. La prime permettant de couvrir ce type de dommages serait hors de prix si seules les personnes exposées devaient la payer. J'en appelle donc à la responsabilité de chacun.

Par ailleurs, je pense qu'il faudrait traiter différemment les gens qui se sont installés en toute bonne foi dans des zones inondables, à une époque où l'on méconnaissait le risque, et ceux qui font pression auprès de la DDE et des maires pour s'installer en zone inondable. Après les catastrophes de l'Aude, certaines personnes sont venues déposer des permis de construire ou encore racheter des maisons qui avaient été inondées par deux mètres d'eau !

M. le Président - Merci M. Ledoux, je vous remercie pour ces précisions..

26. Audition de M. Luc Guyau, président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), accompagné de M. Guillaume Baugin (27 juin 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui M. Luc Guyau, récemment élu président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Luc Guyau et Guillaume Baugin .

Ces formalités dûment accomplies, je vous laisse la parole, puis nous vous poserons des questions ensuite.

M. Luc Guyau - Je vous remercie de m'accueillir ici pour parler des inondations, qui concernent notamment l'agriculture. Avant de parler des inondations, il faut parler de l'excès d'eau que nous avons connu durant tout cet hiver. Sur une grande partie de la France, nous avons été dans une situation de forte pluviométrie qui, de mémoire d'homme et à l'échelle de ma courte vie, n'avait pas été vue depuis très longtemps. D'autant plus que cette situation a concerné pratiquement tout le territoire, avec des durées et des intensités de pluviométrie très importantes.

Je crois qu'il faut accepter, dans notre société, que la nature ne constitue pas un élément régulier et stable. On parle du réchauffement de la planète, mais quand on se penche sur le passé, on retrouve des moments tout aussi difficiles. On ne maîtrise donc pas la nature. Il faut savoir, par ailleurs, que l'absence d'eau est aussi dommageable que l'excès d'eau. En effet, les conséquences d'une sécheresse prolongée sont souvent redoutables. En particulier, et là, je parle en ma qualité d'agriculteur, la sécheresse qui suit un excès d'eau est plus difficile à vivre pour les agriculteurs qu'une sécheresse qui s'est installée progressivement. C'est aussi en ma qualité d'éleveur que je vous indique que les sécheresses sont difficilement vécues par les animaux. En Vendée, d'où je suis originaire, les céréales ont eu du mal à pousser cet hiver en raison de l'excès d'eau. Etant faiblement enracinées, elles résistent beaucoup moins aux fortes chaleurs que nous connaissons actuellement. Ces différents éléments vous prouvent, encore une fois, qu'on ne maîtrise pas la nature.

Les inondations que nous avons connues, en plus de la pluviométrie, ont été accentuées par une évolution globale des comportements de l'ensemble de la société, et non pas exclusivement de l'agriculture. La sur-urbanisation, l'arrachage des haies dans certaines régions, le changement de configuration des paysages sont autant d'éléments qui accentuent les inondations. En Bretagne, le ministre de l'Environnement de l'époque avait indiqué que les inondations étaient dues à la suppression des haies. Quelques grands-mères, qui avaient été interrogées par la presse, avaient indiqué que le niveau de l'eau était monté à 20 cm au-dessus du niveau constaté. Or à cette époque, on n'avait pas arraché de haies.

Dans le cas de la Somme, et cela pourrait concerner d'autres régions, peut-être n'avons-nous pas été suffisamment vigilants sur l'entretien des canaux ou de certaines rivières pour l'évacuation de l'eau à la mer. L'eau s'évacuant à un rythme moins rapide, cela peut contribuer à créer des inondations. Quand on étudie aujourd'hui le système hydraulique de la Vendée, on constate une remontée de la baie de l'Aiguillon, qui s'ensable régulièrement chaque année. L'on peut s'attendre, dans les quinze ou vingt ans à venir, à des inondations, si l'on ne permet pas à l'eau de la mer de s'évacuer. Ces risques sont d'autant plus imminents que l'on prend en compte d'autres facteurs comme le coefficient de marée ou les vents qui viennent de la mer...

Les inondations de la Somme nous ont interpellés à plusieurs égards. Tout d'abord, il faut prendre en compte la remontée de la nappe phréatique qui est, je le rappelle, un phénomène naturel. Au-delà de l'excès d'eau, l'on se demande s'il ne faut pas prendre en compte des problèmes d'ordre mécanique. Je ne suis pas un scientifique, je ne peux donc en dire davantage. On peut malgré tout regretter que, au-delà du caractère exceptionnel du phénomène, l'on ait été impuissant pendant huit à dix semaines.

Au regard de ces différents éléments, il faut se pencher, à mon sens, sur les remèdes, ou plutôt les palliatifs, que l'on peut y apporter. Les agriculteurs, en particulier, mais aussi les citoyens, en général, ont été victimes d'une situation qui a échappé à leur contrôle. Pourtant, ils avaient obtenu soit l'autorisation d'exploiter, soit l'autorisation de construire. La solidarité nationale, par ses différents aspects, ou au travers des différentes commissions de soutien, doit pouvoir jouer pleinement. Globalement, cela a été le cas pour les pertes dites « premières ». Il est possible d'indemniser, pour les pertes immédiates, l'agriculteur qui a vu son exploitation (mais aussi ses bâtiments) inondée pendant sept à huit semaines, et qui a été contraint de reloger ses animaux à l'extérieur. Il reste néanmoins des pertes de second niveau, qui ne sont pas couvertes. J'ai visité une exploitation dont les bâtiments faisaient l'objet d'une mise aux normes. L'agriculteur m'a demandé la chose suivante : « quand l'eau est retirée, que fais-je ? ». Il s'est aussi demandé s'il devait tout remonter de 50 cm, pour prévenir une éventuelle inondation du même type dans cinquante ou cent ans ; mais ayant déjà commencé à construire, il aurait été contraint de se lancer dans un chantier lourd. Des gens comme cet agriculteur ne sont pas en mesure de prévoir l'avenir de manière satisfaisante. S'agissant des zones qui ont été particulièrement touchées, on pourrait très bien envisager de tout reconstruire ailleurs. Mais qu'en est-il des zones qui ne sont pas considérées, de prime abord, comme inondables ? J'ai d'ailleurs cru comprendre que cette partie de la Somme n'était pas classée parmi les zones inondables « premières ». Une autre solution pourrait consister à tout mettre en oeuvre pour limiter les impacts des inondations, et faire en sorte que la Somme évacue plus rapidement l'excès d'eau.

Par ailleurs, le dispositif des calamités agricoles actuel n'est pas à la hauteur des dommages qui peuvent être occasionnés dans des situations d'inondation comme celles de la Somme. Pour une exploitation de plaine qui est en partie inondée, le système des calamités, avec les doubles taux de pertes, reste insuffisant. Lorsque les prairies sont couvertes durant huit à dix semaines, ce qui implique que même les prairies permanentes doivent être refaites, nous sommes face à une situation de perte de fonds, qui est insuffisamment couverte, même si les mesures de catastrophes naturelles peuvent jouer.

Plusieurs mesures devront être étudiées. A cet égard, on peut citer le dossier sur les calamités agricoles et le rapport Babusiaux sur les conditions de mise en oeuvre d'un mécanisme assurance-récoltes. On peut aussi mentionner les moyens de soutien immédiat pouvant être déployés dans le cadre de la solidarité aux agriculteurs. Par ailleurs, il faut prendre en compte les différentes mesures découlant du régime de la PAC. Lorsque j'étais encore président de la FNSEA, j'avais déclaré que si l'on ne nous autorisait pas à utiliser les jachères des plateaux pour nourrir les animaux, nous outrepasserions cette interdiction, et que cette action serait soutenue au niveau syndical et professionnel. Nous avons obtenu gain de cause, il y a seulement dix jours, mais pas pour l'intégralité des dérogations que nous avions sollicitées. Nous avons besoin davantage de souplesse, me semble-t-il, sur ces différents sujets. Enfin, je pense que nous devrions nous pencher, avec plus d'attention que nous l'avons fait jusqu'à présent, sur les schémas d'aménagement des bassins versants, sur les plans d'utilisation des sols et les constructions. Bien entendu, il y aura toujours des impondérables, qu'il conviendra de gérer au mieux. Toutes les communes qui étaient noyées sous 1,5 mètre d'eau avaient obtenu des permis de construire, sous différents régimes politiques et administratifs, ce avec la responsabilité des maires, de la DDE... Que leur dire, si ce n'est qu'on peut les indemniser ? Dans une certaine mesure, il s'agit d'une responsabilité commune. Les schémas d'aménagement suffiront-ils, à eux seuls, pour gérer ces différents aspects ? Personnellement, j'en doute. Il me semble important, plus que jamais, d'interdire la construction d'habitations ou de sites industriels dans certaines zones du pays ayant été identifiées comme à risque. C'est, à mon sens, une mesure prioritaire qu'il faudra prendre le plus tôt possible.

Sans entrer dans le détail, voilà les principaux éléments que je voulais vous exposer. L'enquête de la Commission est intéressante et je pense qu'il est judicieux, dans ce cadre, d'aborder les enjeux de la maîtrise de la nature, et en particulier de l'eau. Je pense, en revanche, que ce n'est pas la loi sur l'eau qui va diminuer l'ampleur du problème.

Je résumerai mes propos par ces quatre points :

- il faut faire preuve d'humilité face à la nature ; à ce propos, très peu de gens ont osé dire que les inondations de la Somme étaient le fait des agriculteurs et de leurs pratiques ;

- il faut aussi prendre des mesures préventives, autant en ce qui concerne les ruisseaux, les fleuves que les habitations ;

- il faut mettre en oeuvre des mesures de régulation ; néanmoins, je pense que même dans le cas de la Somme, les barrages n'auraient pas suffi à contenir l'eau ;

- enfin, il faut se donner les moyens de traiter les difficultés auxquels pourraient être confrontés les agriculteurs en cas d'inondation.

Je vous ai apporté quelques exemplaires d'un document d'approfondissement des différents éléments que je viens de présenter. Nous y avons recensé les propositions que nous pouvons formuler sur les schémas d'aménagement des bassins versants, la protection des eaux, l'utilisation des terres agricoles, l'entretien des cours d'eau, etc... Sur ce dernier point, un projet de loi vient d'être présenté, qui permet d'approcher les berges pour nettoyer les rivières. Il faudra sans doute aller plus loin dans ce domaine car au-delà de l'absence de volonté politique, on peut parfois être confronté à des blocages individuels. Je rappelle que 65.000 hectares sont exclus de l'agriculture en France, dont 60.000 sont soit couverts de tôle, soit bétonnés ou goudronnés. A cet égard, l'eau qui tombe sur une surface goudronnée ou bétonnée s'achemine plus rapidement vers le ruisseau. J'ai eu l'occasion de dire à certains journalistes, car il faut ne pas hésiter à expliquer certains mécanismes, que lorsqu'une terre est gorgée d'eau, l'eau supplémentaire tombe comme sur une surface bétonnée ou goudronnée. L'eau ne peut ainsi pénétrer dans le sol. C'est ce mécanisme qui s'est produit durant l'hiver : les sols étant gorgés d'eau, chaque nouvelle averse était à l'origine d'une inondation. Cet argument peut être opposé aux pourfendeurs du drainage : le drainage en période de pluviométrie normale est un facteur de régulation des inondations puisqu'il donne au sol une certaine capacité de rétention. Bien entendu, le drainage ne joue ce rôle régulateur que lorsque la terre n'est pas gorgée d'eau.

Je suis maintenant ouvert à vos questions.

M. le Président - Je vous remercie pour cet exposé, qui cerne bien la problématique des inondations.

M. Hilaire Flandre - Il y a eu des inondations par le passé, qui n'ont duré que deux ou trois jours. Je pense notamment aux inondations de Fontaine-sur-Somme. Je pense que la dernière inondation s'est distinguée par sa durée, sept semaines voire davantage, élément principal, auquel s'ajoute une défaillance du dispositif d'évacuation des eaux.

M. Luc Guyau - Il y a, certes, eu des inondations par le passé, mais elles ont été partielles et n'ont jamais eu cette ampleur. Il me semble que nous avons visité les mêmes endroits. Vers la Somme, quand on arrive juste après le pont, il me semble que cinq ou six maisons avaient été inondées, tandis que le reste du village était resté intact.

M. le Président - Il conviendrait d'approfondir, à cette occasion, mais pas uniquement pour cette raison, le problème du régime des calamités agricoles. Nous vous avons auditionné et avons pris bonne note des carences du système. Il faudrait aussi se pencher plus attentivement sur l'indemnisation des pertes indirectes. Avez-vous des propositions à formuler en ce sens ?

M. Luc Guyau - Tout d'abord, je voudrais formuler deux constats :

Tout d'abord, suite aux lois de 1964, le fonds de calamités doit être financé à parité -et nous ne cessons de le répéter- par la profession agricole (taxe sur les assurances) et par les crédits de l'Etat ; or, globalement, sur les dernières années, l'enveloppe de l'Etat n'a pas été au même niveau que celui des agriculteurs.

Par ailleurs, le système des calamités a commencé à déraper dans les années 1975 et 1976, lorsqu'une partie de la production agricole a pu accéder au fonds de calamités, alors qu'auparavant, ne pouvaient en bénéficier que des productions telles que les fruits, les légumes et les vins.

Une deuxième évolution est relative à la réforme de la Politique agricole commune (PAC). Ainsi, aujourd'hui, les productions végétales sous aide communautaire ne peuvent quasiment plus bénéficier du fonds de calamités. Le régime d'aide directe apportée à la culture du tournesol, du colza ou du blé est tel qu'on ne satisfait jamais aux critères pour pouvoir en bénéficier. Cela fait dire à certains que le fonds de calamités est plutôt en bonne santé, ce qui, dans une certaine mesure, explique que les pouvoirs publics n'aient pas respecté le critère de parité des enveloppes. Pour ma part, j'estime que cette situation n'est pas satisfaisante, d'autant qu'elle ne compense que partiellement la perte. Cela est d'autant plus insuffisant que les exploitations sont de plus en plus diversifiées. D'où la nécessité de mettre en place le dispositif que nous avons évoqué. A cet égard, nous avons contribué très fortement au rapport sur l'assurance-récolte. Il importe de ne pas confondre l'assurance-récolte avec l'assurance-revenu. Nous souhaitons que les calamités ne remettent pas en cause, par ordre de priorité, l'équilibre des exploitations, puis le revenu des exploitants. Il faut donc que les coûts de production soient au moins couverts dans ce cadre. Le système d'assurance-récolte, pour nous, doit être affiné. Les propositions préconisées dans le rapport sur les assurances-récoltes tardent à être publiées, ce qui est le signe d'une certaine hésitation des pouvoirs publics à procéder à des arbitrages. Par ailleurs, la mise en oeuvre d'un dispositif d'assurance-récolte ne doit pas conduire à abandonner le dispositif de solidarité, dans le cadre d'un fonds de calamités plus large. En effet, l'on sera toujours confronté à des situations exceptionnelles, qui devraient pouvoir être compensées.

Enfin, dans le système des assurances-récoltes, qui existe déjà pour certaines productions et pour certaines calamités, il ne faut pas que la cotisation soit telle que les agriculteurs ne puissent pas y accéder. En effet, si chaque année ils sont contraints payer entre 10 et 30 % de leur produit brut pour s'assurer pour une calamité pouvant survenir tous les dix ans, ce sera la source d'un déficit considérable pour leurs revenus. A l'inverse, si cette cotisation n'est pas obligatoire, les plus faibles s'abstiendront de s'assurer. Tel est le cas de l'assurance grêle où, dans certaines, zones, les primes d'assurance ont été telles que certains agriculteurs n'ont pas contracté une assurance. Ils ont ainsi couru le risque, en cas de grêle, de subir des dommages considérables sans être indemnisés. Il convient de trouver un mécanisme qui permette de ne pas trop renchérir les coûts de production des agriculteurs. Nous aurons sans doute l'occasion d'en reparler devant les deux assemblées, mais sachez d'ores et déjà que plusieurs systèmes ont été mis en place en Espagne, au Canada ou encore aux Etats-Unis. Les Etats-Unis en ont d'ailleurs fait un objet de politique, mais c'est grâce à cela qu'ils ont triplé les aides à leur agriculture. Ils se sont rendu compte que le mécanisme d'assurance-récolte, en période de catastrophe globalisée, ne pouvait pas couvrir les difficultés de l'agriculture.

Comment mettre en place un système assuranciel global ou par secteur ? En ce qui nous concerne, nous appuyons toutes les réflexions allant dans ce sens, car elles portent sur la sécurisation des agriculteurs. Je regrette, pour ma part, que des exploitations disparaissent à chaque fois que survient une catastrophe naturelle. Cela ne pourra pas se faire sans un minimum de soutien, au moins temporaire, de l'Etat, même si ce soutien est dégressif.

Je ne citerai pas le département, même si vous m'avez demandé de dire la vérité, mais je crois que c'était en 1975 qu'un département, ayant subi une grosse calamité, avait sollicité des aides supérieures au produit brut du département. Depuis, il y a eu davantage de « rigueur ». Globalement, les secteurs à culture saisonnière ont bénéficié du gros des aides. L'année 1976 a marqué un dérapage : dans mon département, jamais avant cette année les éleveurs n'avaient demandé à entrer dans le système des calamités. Quand on a autorisé les éleveurs à entrer dans ce système, on a alors pris la pleine mesure de ses limites. Je ne peux pas m'appuyer sur des données statistiques, et je ne voudrais pas donner de fausses informations, mais je dirais que toutes les productions spéciales ont émargé beaucoup plus que les autres productions au système des calamités, notamment dans les départements où les exploitations sont à production unique. Je me souviens des propos du ministre Nallet, à l'époque, qui disait que si un agriculteur se lançait dans la culture de la banane dans le Pas-de-Calais, on ne pouvait pas non plus le couvrir contre le gel. Le système des calamités, voire d'assurance, ne doit pas couvrir ce qui est quasiment programmé. Dans certaines zones, il y a eu trois à quatre gels successifs : on doit alors s'interroger sur les productions engagées dans ces zones. A ce propos, je tiens à préciser que certains dossiers ne correspondent pas forcément à de véritables calamités.

S'agissant de l'hiver qui vient de s'écouler, si l'on déclinait les comptes par secteur, l'on constaterait qu'une grande partie de la France a accusé des pertes sur les céréales, y compris celles qui n'ont pas été comptabilisées. Par pertes non comptabilisées, j'entends les céréales qui n'ont pas été ensemencées, ou celles qui ont été ensemencées, mais qui ont été retournées. Hier, j'étais en compagnie de Dominique du Potier, du Pas-de-Calais. D'après ses dires, avec la conjugaison de l'excès d'eau et de chaleur, 80 % du lin de son entreprise semé dans la zone risque d'être retourné. En fait, le lin a été cultivé trop tard, en raison de l'humidité, et la très forte chaleur de ces derniers jours l'a fait fleurir. Il est donc devenu inutilisable. Il sera certainement retourné pour cultiver des haricots, mais la perte en culture ne sera jamais compensée car elle ne pourra pas être enregistrée comme culture. On pourrait le faire, mais alors on ne pourrait rien semer à la place.

M. Hilaire Flandre - Lorsqu'on fait ce métier, l'on doit accepter de supporter les risques inhérents. Vous avez cité l'exemple de la grêle. J'estime que c'est un système pertinent puisque l'on met en face un rendement prévisionnel. Ainsi, en cas de catastrophe, on peut vérifier que les estimations étaient justes. C'est un système équilibré.

Par ailleurs, je me demande si l'on ne devrait pas tenter, par l'intermédiaire des chambres d'agriculture, de faire passer le message suivant : il s'agit de constater la part de responsabilité du monde agricole dans les évolutions qui ont pu se produire dans la société, tout en reconnaissant les efforts qui ont été déployés pour les corriger. Je pense qu'il faut aussi mentionner, et cela ne relève pas de la responsabilité du monde agricole, la transformation de terres agricoles en surfaces bétonnées et en constructions. C'est un message fondamental, qui mériterait d'être vulgarisé.

M. Luc Guyau - Je partage ce point de vue. Nous envisageons, à partir des résultats du recensement agricole, de pouvoir mettre en exergue les différentes évolutions de ces surfaces. Par ailleurs, si nous avons tous arraché des haies, nous en avons également replantées. Dans mon département, près de 1.700 à 1.800 kilomètres de haies ont été replantés, en l'espace de dix ans. Bien entendu, ces haies n'ont pas été replanté dans la même configuration qu'il y a vingt ans. L'un de mes frères est géomètre. Il a contribué au remembrement de la commune de Poiré-sur-Vie, qui s'est achevé en 1985. Il a retrouvé la carte de la commune en 1910 : ils ont constaté qu'il y avait moins de haies dans la commune à cette époque qu'après le remembrement en 1985. Cela peut s'expliquer par le système de propriété, notamment par la division des propriétés dans l'héritage, comme cela s'est vu entre les années 1910 et 1950. Bien entendu, je ne nie pas qu'il n'y a pas eu, à un certain moment, un arrachage excessif de haies dans certaines régions.

La communauté des agriculteurs doit communiquer sur les excès dont elle a été la cause, mais également sur les efforts qu'elle a su déployer. Elle doit aussi communiquer sur les projets réalisés dans le cadre des équipements collectifs.

Comme vous l'avez si bien indiqué, le métier d'agriculteur est un métier à risques. Il ne s'agit donc pas de solliciter à tort et à travers des mécanismes de compensation. Pour nous, il importe que les calamités, qu'elles soient climatiques ou sanitaires, ne remettent pas en cause la vie de l'entreprise ou de l'exploitation agricole. C'est davantage une question de survie de l'entreprise que de revenu, même s'il importe également d'assurer un minimum de revenus aux agriculteurs.

M. Michel Souplet - Je voudrais intervenir sur l'estimation exacte du revenu des agriculteurs et la nécessité d'abandonner le système forfaitaire.

M. Luc Guyau - Nous sommes loin de notre sujet. Les premiers chiffres du recensement agricole font état de 630.000 exploitations, dont quelque 400.000 à temps plein. Aujourd'hui, de mémoire, à l'intérieur des 400.000 exploitations, entre 270.000 et 280.000 exploitations sont soumises au régime de TVA, et entre 180 000 et 190 000 sont soumises au régime de bénéfices réels. Je conviens avec vous qu'il faut établir la vérité sur les revenus des agriculteurs. En effet, nous ne pourrons pas indéfiniment demander à l'opinion publique de nous soutenir, notamment pour obtenir une baisse des impôts, si celle-ci est convaincue que les agriculteurs n'en paient pas. Pourtant ils en paient. Par ailleurs, il est vrai que le système du bénéfice forfaitaire permet d'accompagner des agriculteurs devant partir en retraite. Il faut reconnaître que pour certaines régions, la suppression de ce mécanisme, si elle n'était pas compensée par d'autres mesures de nature sociale (pour permettre à un grand nombre d'agriculteurs d'exister), serait catastrophique. Ma réponse n'est peut-être pas satisfaisante. Dans mon département, 85 % des agriculteurs sont au bénéfice réel. La meilleure façon de faire passer les agriculteurs au bénéfice réel est d'améliorer le bénéfice réel, de permettre qu'il soit davantage lié à l'activité agricole, mais aussi d'encourager une meilleure tenue des comptes. Sur ce dernier point, nous avons fait des avancées considérables grâce aux deux assemblées, depuis maintenant une quinzaine d'années, sur les provisions pour investissement, sur l'étalement de revenus, etc. Il faut encore aller plus loin, notamment dans la séparation de l'imposition sur le revenu disponible et le revenu non disponible. Je ne vous cache pas que ce qui occasionne le plus d'injustice et de difficultés dans le monde agricole, ce n'est pas tant l'impôt que les cotisations sociales aujourd'hui. Si l'on ajoute entre 40 % et 42 % de cotisations sociales sur un impôt fondé sur le revenu réel ou sur un impôt forfaitaire, cela crée des distorsions entre, d'une part, l'agriculteur producteur de lait qui réalise 480.000 francs de chiffre d'affaires et d'autre part, celui qui réalise 520.000 francs de chiffre d'affaires. Nous nous prononçons pour faire évoluer le système des revenus, mais il faut faire évoluer le régime fiscal qui est appliqué aux agriculteurs. Depuis que Michel Souplet a pris ce dossier en charge, il y a eu de nombreuses avancées, mais cela n'est encore pas suffisant.

M. François Gerbaud - M. Guyau a indiqué qu'il avait guerroyé pour pouvoir obtenir l'autorisation d'occuper des jachères en substitution. Quels étaient les obstacles ? Qui a décidé en dernier ressort d'accorder cette autorisation aux agriculteurs ?

M. le Président - J'ajouterai une troisième question : quelle est la cohérence du résultat obtenu ?

M. Luc Guyau - L'obstacle a été clairement la politique et l'administration européennes. La France, au plan réglementaire, ne peut pas prendre cette décision seule, au risque de se faire rappeler à l'ordre par les autorités de Bruxelles. Elle risque en effet un rappel à l'ordre budgétaire en cas de contrôle. La France demande donc une expertise et une contre-expertise, ce qui est perçu par Bruxelles comme une tentative de détournement. Dans la Somme, j'avais rencontré un agriculteur qui avait 60 hectares de prairies couvertes par les eaux depuis huit semaines, et 15 hectares en jachère sur les coteaux. Dans ce cas, nous avons obtenu -j'espère que ce n'était pas trop tard pour lui- qu'il mette en jachère des terres qui étaient couvertes à la place des autres. Au niveau national, en revanche, nous voulions obtenir que l'on puisse utiliser toutes les jachères, y compris dans le cadre de la solidarité, c'est-à-dire sans acte de vente, pour répondre à la demande des agriculteurs, en particulier des éleveurs, qui manquent cruellement de foin ou de paille. Cette année, pour les éleveurs de ma région, le déficit en paille sera important. Nous sommes obligés d'acheter de la paille à 300 ou 400 kilomètres et malgré tout, les quantités seront insuffisantes. Parallèlement, on broie de la jachère. C'est un exemple flagrant du manque de souplesse de la politique agricole. Après une demande déposée au début du mois de mai, nous avons obtenu une autorisation partielle au mois de juin. Par ailleurs, il faut savoir que chaque année, les pouvoirs publics ont quelques centaines de millions de refus d'apurement.

M. le Président - Les parlementaires, y compris ceux qui sont chargés de suivre les affaires budgétaires, sont rarement informés par les gouvernements des refus d'apurement trimestriels par le Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA), qui règle parfois des comptes antérieurs de plusieurs années.

M. Luc Guyau - Ils le font bien souvent de façon forfaitaire. Par ailleurs, ils appliquent un raisonnement exponentiel.

M. François Gerbaud - Considérez-vous que votre démarche, qui est difficile, a valeur d'exemple ? En situation d'urgence, l'on pourrait envisager une simplification du droit à déroger, d'autant plus que d'autres catastrophes naturelles pourraient survenir. Cela pourrait-il constituer une base de travail pour la Commission d'enquête, qui pourrait introduire une demande de dérogation systématique ?

M. Luc Guyau - Il faut profiter de toute brèche réglementaire, mais une telle démarche ne concernerait qu'un nombre infime d'exploitations. Vous devez être en zone d'inondation et votre exploitation doit avoir été inondée pour pouvoir bénéficier de cette dérogation. Dans la vallée de la Somme, je crois que seuls 17 ou 20 éleveurs sont concernés. Dans la vallée de la Loire, seuls quelques éleveurs pourraient être éligibles. Tel doit être le cas dans le marais breton. La population qui pourrait en bénéficier est donc limitée. En revanche, il faudrait que les mesures de cette nature soient prises dans le cadre d'une procédure d'urgence, et non pas deux mois après la catastrophe. Sur ce point, on ne peut pas dire que la France ait obtempéré aussitôt après notre demande.

M. le Président - Monsieur Guyau, au cours de vos visites dans la Somme, avez-vous observé des comportements anormaux chez les représentants de la DDA de la Somme, ou chez les responsables de la police des eaux ?

M. Luc Guyau - Je ne peux pas véritablement me permettre de porter des jugements car je n'ai pas eu suffisamment de contacts avec ces gens. Cela étant, j'ai cru comprendre, par mes interlocuteurs, que les relations avec l'administration départementale avaient été satisfaisantes. Il m'a semblé aussi que les agriculteurs et les gens de terrain appréciaient peu que, plus de trois mois après avoir été inondés sous 1,5 mètre d'eau, le ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement ne soit pas venu leur rendre visite. Outre l'aspect budgétaire et financier, au-delà de la solidarité, les agriculteurs et les habitants de cette région avaient besoin d'être soutenus moralement par les pouvoirs publics. La solidarité professionnelle a été exemplaire à cet égard : elle a permis de reloger les animaux des agriculteurs, d'apporter du fourrage dans le cadre d'échanges interdépartementaux... Une difficulté cependant : lorsqu'une calamité est étendue sur une région, les solidarités s'amenuisent.

M. le Président - Très souvent, les situations nuisibles à l'environnement, qui conduisent à dénoncer les pratiques agriculturales, ont été encouragées à l'origine par les subventions publiques. Je suis un ancien exploitant agricole. En 1961, j'ai arraché 518 pommiers autour de mon village, sachant que 70 % des travaux étaient subventionnés. Le même bureau d'ingénierie agricole me dit, quarante ans après, que cela avait été une erreur. Pourtant, telle était la politique des pouvoirs publics de l'époque. Les exploitants agricoles de ma génération disposaient de trop peu de formation technique pour pouvoir se forger leur propre jugement. Ainsi, ce que disait un ingénieur agricole de l'Etat était considéré comme vérité suprême.

M. François Gerbaud - Je voudrais revenir sur ce qu'a dit M. Guyau. Il a indiqué que l'agriculteur dont l'exploitation avait été inondée s'était interrogé sur l'intérêt de prendre en compte le risque d'inondation dans la reconstruction de ses installations, notamment en rehaussant tout de 50 centimètres. N'y a-t-il pas lieu d'intervenir financièrement pour se prévenir contre l'occurrence d'une nouvelle inondation ? Cela été fait dans le Doubs, mais on pourrait appliquer une démarche similaire dans la Somme. L'effort financier serait ainsi compensé par le gain tiré de la précaution.

M. Luc Guyau - Il faut distinguer entre l'aspect financier, d'une part, et la rapidité, d'autre part. Pour reprendre l'exemple de l'agriculteur, je crois que les travaux de mise aux normes avaient déjà commencé. Il se demandait, en revanche, où il pourrait bien installer ses animaux si une nouvelle inondation survenait durant l'hiver. Il voulait savoir s'il allait être subventionné pour rehausser ses installations, ou s'il fallait tout arrêter pour aller reconstruire ailleurs. Ces décisions importantes ne doivent pas être prises tardivement, car l'agriculteur ne peut pas se permettre d'attendre.

M. le Président - La routine administrative permanente de notre pays génère des inerties qui ne sont pas favorables à ses citoyens.

M. Paul Raoult - Au-delà de ce cas, il faut se poser une question fondamentale : un agriculteur ou un particulier doit-il se réinstaller dans la zone inondable où il vivait ? Un certain nombre de maisons et de fermes avaient au moins deux siècles. Si l'on considère que c'est un événement exceptionnel, pourquoi interdirait-on aux gens de se réinstaller ? Si, on contraire, on estime que le phénomène risque de se reproduire, il ne faut pas hésiter à leur dire qu'ils agissent de manière inconsciente.

M. Hilaire Flandre - Prenons le cas d'un habitant souhaitant faire des travaux, et qui sollicite un permis de construire. Qui, aujourd'hui, aura le courage de lui refuser l'autorisation de construire ? Par ailleurs, outre l'inondation, d'autres types de phénomènes naturels peuvent survenir (phénomènes climatiques de toutes sortes). A mon sens, il faut prendre le maximum de précautions possibles. Malheureusement, on constate que de nombreux lotissements ou de nombreuses habitations ont été construits dans des zones pour lesquelles le risque d'inondation était connu.

M. Paul Raoult - Pour prendre l'exemple de Vaison-la-Romaine, on a bien reconstruit dans la vallée de l'Ouvèze depuis l'inondation. Il y a eu une montée d'eau de 11 mètres. De mémoire d'homme, cela ne s'était jamais produit. Considère-t-on que l'inondation de la Somme est un phénomène aussi exceptionnel ? Si on empêche l'agriculteur de continuer ses travaux, on paralyse le développement économique d'Abbeville jusqu'à Amiens !

M. Hilaire Flandre - Dans mon département, il y a eu deux inondations : l'une en 1993, l'autre en janvier 1995. En raison du principe de précaution, toutes les communes de la vallée ont été interdites de construction. Il est vrai que la zone avait été inondée. Cela étant, à mes yeux, cette décision est ridicule parce que le phénomène ne se reproduira peut-être pas avant deux siècles. Il n'est pas forcément dangereux d'être inondé sous deux ou trois mètres d'eau.

Par ailleurs, si l'on remonte un bâtiment de 50 centimètres pour le mettre à l'abri de la crue, cela signifie que l'on enlève un volume d'expansion de la crue. Je citerai l'exemple d'une exploitation qui était au milieu d'une cuvette, mais qui était volontairement située sur un monticule. Outre l'humidité, l'exploitation a fini par être inondée, sans aucune possibilité d'évacuation. Les habitants de cette exploitation ont pu passer sur une digue avec un tracteur, non sans mal. Cet exemple montre que le rehaussement des bâtiments n'est pas une panacée, notamment s'il y a encore de l'eau.

M. Paul Raoult - Monsieur Guyau, je n'ai pas bien compris votre explication sur les vertus du drainage. Il me semble que nous en avons fait beaucoup (parfois, cela a même été excessif), ce qui a contribué, dans certains secteurs, à la disparition de zones humides. Les tuyaux du drainage arrivent bien souvent dans le fossé de la voie communale ou de la voie départementale, et contribuent à une arrivée d'eau brutale et rapide. Je tiens à préciser que je ne suis pas foncièrement opposé au drainage. Cependant, dans le parc naturel régional de l'Avenois, nous avons en quelque sorte des relations conflictuelles avec les agriculteurs sur ce point. Il faudrait que notre discours soit plus prudent que par le passé.

M. Luc Guyau - Je maintiens ce que j'ai dit, avec les précautions que cela suppose. Le drainage n'est pas un outil de régulation lorsqu'il y a excès d'eau. Au contraire, il a un effet « retard ». En l'absence d'excès d'eau dans la terre, le drainage joue un rôle régulateur car il permet au sol de maintenir l'eau en son sein. Le drainage, avec un apport d'eau mesuré, permet d'obtenir une structuration du sol propice à la rétention d'eau. L'eau est restituée de façon plus équilibrée. Bien entendu, tout dépend de la situation. J'ai eu l'occasion, il y a une quinzaine d'années, de défendre les opérations de drainage. Le conseil régional avait considéré, pour sa part, qu'il fallait les arrêter. Il a alors fallu expliquer les vertus potentielles du drainage, dans certaines conditions. Je conviens, toutefois, que suite au drainage, on n'utilise pas le sol de la même façon (érosion du sol possible...).

M. Michel Souplet - On oublie de mentionner l'exigence du consommateur en bout de chaîne, qui oblige le transformateur, en particulier dans le secteur de la conserve, à assurer une certaine régularité de ses fournitures et de ses résultats. De son côté, le transformateur se tourne vers l'agriculteur et ne signe des contrats qu'avec ceux qui peuvent irriguer ou assainir.

M. le Président - Monsieur le président de l'APCA, je vous remercie à la fois pour la qualité de votre exposé et pour la qualité des documents remis..

27. Audition du Professeur Henry Maillot, hydrogéologue agréé, directeur adjoint de l'Ecole universitaire d'ingénieurs de Lille et coordonnateur auprès du Préfet de la Somme (27 juin 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui M. Henry Maillot, directeur adjoint de l'Ecole universitaire d'ingénieurs de Lille et coordonnateur auprès du Préfet de la Somme.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Henry Maillot .

M. Henry Maillot - Je suis professeur d'université et détaché dans une école d'ingénieur, l'Ecole universitaire d'ingénieurs de Lille. Depuis maintenant trente ans, j'y anime et dirige le laboratoire Sites urbains et pollution des eaux. En outre, je suis responsable du Mastère spécialisé en Génie bio, accrédité par la Conférence des grandes écoles. Ce mastère accueille des ingénieurs généralistes de toute la France, pour une spécialisation dans le domaine de la gestion des eaux, en particulier sur les problématiques d'assainissement, de gestion de l'eau potable, etc. Voici l'essentiel de mes fonctions au niveau de l'Education nationale.

Le nombre de spécialistes dans ces domaines étant relativement limité, j'ai été amené à assumer d'autres fonctions. En 1996, les préfets du Nord-Pas-de-Calais et de la Somme m'ont demandé d'être coordonnateur départemental des hydrogéologues agréés dans la Somme. C'est un mandat de cinq ans, non renouvelable, qui arrive donc à échéance en août 2001. Par ailleurs, en ma qualité d'hydrogéologue agréé en matière d'hygiène publique, j'assume des fonctions d'agent coordonnateur dans le Nord et le Pas-de-Calais. Il s'agit de missions qui me sont confiées aux côtés des préfets, exclusivement dans le domaine de la qualité des eaux. Nous n'intervenons donc pas sur les problèmes de quantité d'eau, mais les problèmes de qualité de l'eau (eau potable, protection de captage, etc.) suffisent pour nous occuper pleinement.

Je suis également expert auprès de la Cour d'appel de Douai, notamment auprès des tribunaux administratifs, dans le domaine de la géologie, de l'hydrologie et des mines et carrières. J'émets des avis et conduis des expertises judiciaires dans ces domaines.

Je suis membre du conseil d'administration de l'Association des hygiénistes et techniciens municipaux dans le domaine de l'eau et de l'assainissement. Cette association fait référence dans la profession et je suis fier de participer aux opérations qu'elle conduit. Enfin, je fais partie des commissions de certains ministères (ministères de l'Equipement, de l'Agriculture, de la Santé, de l'Environnement...), notamment dans le cadre du débat sur la directive cadre sur l'eau. Je représente, dans ce cas, les hydrogéologues de France.

Je tiens à préciser que je ne suis quasiment pas intervenu dans les opérations concernant les inondations au niveau de la préfecture de la Somme. Encore une fois, je n'ai pas été consulté car je ne fait que donner une assistance dans le domaine de la qualité de l'eau, et non de la quantité. Tout à l'heure, je répondrai très librement à vos questions, mais ne soyez pas étonné si pour certaines d'entre elles, je vous livre plus un point de vue de citoyen que de spécialiste, puisque je n'ai pas assisté les autorités compétentes dans toutes ces opérations.

Je vais maintenant vous présenter mon point de vue sur le but et les enjeux de votre commission : causes, effets, coûts et, le cas échéant, les mesures qui permettraient d'améliorer la situation si celle-ci se reproduisait. J'insisterai davantage sur le premier et le dernier point, les autres points étant plus obscurs à mes yeux.

La cause unique des inondations de la Somme est liée à un problème de nappe. On peut distinguer, sur le territoire métropolitain, deux types de roches et de sous-sols. D'une part, on retrouve les zones où les terrains et le sous-sol sont, au moins à 80 %, perméables, fissurés, permettant ainsi de stocker les eaux. La Somme est exactement dans cette configuration. D'autre part, on retrouve des zones où 80 % des terrains constituant le sous-sol sont imperméables. Lorsqu'il y a une forte pluviométrie, il se produit un ruissellement important, qui va alimenter les cours d'eau et des fleuves. Dans la Somme, le sous-sol est presque exclusivement crayeux, pour la partie qui nous intéresse. C'est le seul cas de figure en France où un département est constitué, dans sa quasi-totalité, par une roche homogène et crayeuse. Cette roche est très perméable à l'eau. L'eau peut donc être stockée au-dessus d'un niveau imperméable. Le bassin Artois-Picardie, qui rassemble les trois départements de la Somme, du Pas-de-Calais et du Nord, est alimenté à 95 % par les eaux souterraines, essentiellement par la nappe de la craie. En Picardie et dans la Somme, c'est la totalité de l'adduction en eau sous pression qui est réalisée à partir des captages à la nappe de la craie.

Une carte géologique plus ciblée met en évidence l'homogénéité des assises du sous-sol de la Somme. Ce département est presque entièrement constitué d'un sous-sol crayeux, qui est parcouru par la Somme et ses affluents. Il importe de prendre en compte ces caractéristiques topographiques pour cerner la cause, unique, des inondations de la Somme. Force est de constater que durant la crise, les services, les administrations et les différents intervenants n'avaient pas véritablement perçu cette cause unique. Je crois, à ce propos, qu'une pédagogie répétitive est nécessaire.

M. le Président - A quoi correspondent les zones blanches dans les vallées ?

M. Henry Maillot - Elles représentent les alluvions. Il s'agit d'un tapissage de matière organique, de vase, généralement à la base des silex plus ou moins roulés. Le cours d'eau, dans cette zone, avait une structure torrentielle. On retrouve ce type de configuration dans les Alpes et dans les Pyrénées. Le rééquilibrage du niveau de la mer a contribué à affiner les alluvions, ce qui en a fait une substance plus vaseuse.

M. le Président - Cette partie ne correspond-elle pas aux zones inondées par les rivières non majeures de la Somme ? Je pense notamment à la vallée de la Hue et à la vallée de la Nièvre, qui ont été inondées, mais dont on a peu parlé.

M. Henry Maillot - Tout à fait. En 1994-1995, le préfet du Pas-de-Calais, dans un petit fleuve voisin, avait rencontré le même type de problème. La pluviométrie, à l'époque, avait alimenté essentiellement les petits fleuves du département du Pas-de-Calais. La même cause avait conduit aux mêmes effets, mais avec une moindre ampleur. Dans la Somme, le problème s'est posé au niveau du bassin versant dans sa totalité.

La nappe crayeuse est une réserve essentielle pour l'économie du bassin Artois-Picardie, en particulier pour la Somme. Cependant, elle peut être à l'origine de dommages considérables. Comment fonctionne-t-elle ? Une partie des eaux de pluie, que l'on appelle pluie efficace (pluies de fin d'automne, d'hiver et du début de printemps), s'infiltre dans les pores et les fissures de la roche (par effet de pression) et conduit une certaine quantité d'eau vers les zones vides. Ces pluies efficaces ne sont pas réparties de manière homogène sur le bassin Artois-Picardie. Dans la Somme, selon la période, les variations sont importantes : de 300 à 350 millimètres de pluie efficace au Nord d'Abbeville à 100 millimètres d'eau, voire un peu moins, pour les mêmes périodes hivernales sur le secteur de Roye. En d'autres termes, dans le département de la Somme, la pluie efficace moyenne est déjà à un niveau élevé par rapport à d'autres secteurs.

J'ai repris un schéma qui a été publié dans une revue agricole au moment de l'inondation de la Somme. Il illustre parfaitement le fonctionnement de la nappe.

M. le Président - Sur le précédent transparent, à quoi correspondent les 250 millimètres d'eau ? Est-ce le cumul des pluies efficaces ?

M. Henry Maillot - Ce nombre correspond à la moyenne annuelle, sur trente ou quarante ans, de pluies efficaces. Cela ne concerne pas l'événement que nous venons de vivre qui a été beaucoup plus important et beaucoup plus répétitif.

Revenons au fonctionnement de la nappe de craie. Sous une couverture limoneuse peu épaisse (entre 5 à 10 mètres), on retrouve un terrain calcaire micro-fissuré, fissuré ou dissout, qui peut, selon les plateaux, présenter un coefficient de vide de l'ordre de 1 %. Dans les fonds de vallée, ce coefficient peut osciller entre 5 et 10 %. Ainsi, le stockage d'eau, sous les fonds de vallée et dans la roche crayeuse, est plus important en volume que sur les plateaux. Quant au niveau du toit de la nappe, il va varier au cours du temps. Sous les plateaux, après les périodes d'automne, d'hiver et de début de printemps, le niveau de la nappe va remonter jusqu'à atteindre un maximum vers le mois de mai. Parallèlement, la charge hydraulique au niveau de l'aquifère, en fonction de la pente du niveau imperméable sous-jacent à la structure crayeuse va conduire à des écoulements souterrains qui permettront, à leur tour, d'alimenter l'eau des fleuves ou des rivières, via les alluvions. Dans certains cas, et cela s'est produit dans des secteurs qui avaient été jusque-là à l'abri de ce genre de phénomène, ces écoulements peuvent aller dans des sources de débordement à mi-pente, notamment si le niveau du toit de la nappe remonte de façon démesurée. C'est donc un écoulement souterrain lent qui est à l'origine d'une inertie du système, qui alimente bon an mal an les cours d'eau, ceci jouant le rôle de drain pour la nappe de craie.

Le fonctionnement que je viens de décrire se résume par ces trois mécanismes :

- des possibilités de stockage importantes au niveau de la roche ;

- un écoulement lent mais continu, qui conduit, après les fortes pluies d'hiver, à ce que la nappe se ressuie vers les fonds de vallée ;

- une inertie du système, de sorte que l'écoulement souterrain conduit aux plus hautes eaux de la vallée, deux ou trois mois après le début de fortes pluies.

Généralement, les plus hautes eaux de nappe se constituent vers le mois de mai. Cependant, en raison des effets retards, les cours d'eau peuvent être alimenté au-delà de cette période. Quand on se réfère aux forages de suivi, on s'aperçoit qu'on a vécu l'hiver dernier, et jusqu'au mois de mai dernier, une période tout à fait exceptionnelle. De mémoire d'archive, un tel phénomène ne s'était pas produit depuis au moins un siècle et sans doute davantage. Peut-être même qu'un tel phénomène ne s'était jamais produit.

En conclusion de cette première partie, je dirais que la cause des inondations de la Somme est unique et naturelle. Quoi que l'on fasse, il ne faut se faire aucune illusion : nous ne pourrons pas agir sur la cause, mais sur l'accompagnement des effets pour essayer, dans la mesure du possible, de les minimiser et de les rendre plus acceptables.

M. François Gerbaud - Ce phénomène est donc répétitif ?

M. Henry Maillot - C'est l'une de nos craintes majeures. Au cours des dernières années, nous avons vécu successivement des « saccades ». En 1988, suite à un hiver très pluvieux, les nappes sont remontées à un haut niveau. De 1989 à fin 1991, nous avons connu, au contraire, des hivers très secs. Aux sécheresses de surfaces sont venues s'ajouter des sécheresses de nappes, ce qui a posé des problèmes d'adduction d'eau dans un certain nombre de secteurs, et pas forcément ceux qui sont alimentés par la nappe de la craie. Il a fallu, en urgence, créer des ouvrages, voire mettre en place des tuyaux d'incendie pour alimenter les populations. J'y reviendrai ultérieurement car l'une de mes propositions portera sur la manière de traiter les problèmes de sécheresse hydrogéologique. Pour revenir à notre chronologie, entre 1993 et 1995, nous avons à nouveau connu une période d'excès d'eau, jusqu'à 1997. En 1997, la nappe s'est gorgée d'eau. Depuis 1997 et 1998, on a assisté à l'effet cumulatif de pluies hivernales dans certains secteurs, notamment celui d'Abbeville. Nous avons été témoins d'un phénomène naturel que l'on avait déjà rencontré, mais qui devient exceptionnel par l'effet cumulatif, notamment dans le secteur d'Abbeville. Notre crainte est que l'hiver prochain soit à nouveau pluvieux et que, à nouveau, l'effet cumulatif ne joue pleinement. Si ces deux conditions sont réunies, une nouvelle inondation est à craindre. Il est donc urgent de prendre un certain nombre de mesures. S'agissant du long terme, je formulerai des propositions visant à mieux informer les acteurs, ou encore à se doter d'outils de modélisation qui permettront de mieux gérer et de mieux prévenir le risque d'inondation.

M. le Président - Je vous remercie pour cette présentation. Passons maintenant aux questions.

M. François Gerbaud - Je voudrais compléter mon propos de tout à l'heure. Vous venez de dire que la pluviométrie reste élevée, et si les effets cumulatifs jouent, une nouvelle inondation pourrait survenir. Comment peut-on lier la prévision météorologique aux prévisions du risque d'inondation ?

M. Henry Maillot - On peut suivre rigoureusement la météorologie. C'est ce que fait Météo France. On peut aussi suivre les effets sur des piézomètres. Un certain nombre de petits forages, de petits puits, qui sont de fait déjà réalisés en France, permettent de mesurer en continu les effets de la pluviométrie sur la remontée de la nappe. Vous connaissez tous, au moins par la presse, celui de Senlis-le-Sec, qui a été un des secteurs suivi notamment par le BRGM et l'Agence de l'eau. Dans ce cas, les mesures sont réalisées jusqu'à 17 mètres de profondeur. Le piézomètre est installé sur un plateau qui se trouve au nord d'Abbeville.

Les épisodes de 1994 et de 1995 montrent que l'on a connu une période de forte remontée de nappe, notamment vers les mois de mai et de juin, ce qui est tout à fait naturel. Ensuite, les hivers secs qui ont suivi ont, au contraire, contribué à diminuer le niveau de la nappe dans les secteurs concernés, de l'ordre d'une dizaine de mètres. A partir de 1998, les hivers à nouveau pluvieux ont contribué à faire remonter le niveau de la nappe au printemps. Dans le cas qui nous préoccupe, la nappe est remontée à des niveaux sans précédents, puisqu'elle est arrivée quasiment au niveau du sol. A l'heure actuelle, on est timidement en train de réamorcer la descente. C'est la raison pour laquelle je crains que l'hiver prochain, qui pourrait être pluvieux, ne conduise à nouveau à cet effet cumulatif.

Comment améliorer la situation ? Les outils existent, ou doivent être adaptés, mais à la marge. En revanche, et je parlerai en ma qualité de citoyen, le dispositif d'information en temps réel et la formation des services, restent encore insuffisants. Une grande partie des actions a été confiée à des services ayant l'habitude de conduire des travaux, mais pas du tout à des hydrauliciens. La cause principale de l'inondation n'a donc pas pu être cernée dès le départ. Il faut savoir que les effets ne sont visibles que lorsqu'il est déjà trop tard. Tout en étant conscient que l'on ne pourra pas combattre la cause, il faudrait accompagner les effets par des mesures efficaces, améliorer le dispositif d'information des services (à commencer par les DDE, les services préfectoraux, les autres unités administratives participant à la gestion des travaux...), des maires et de la population. Sans pour autant multiplier les intervenants, on pourrait également créer une structure, qui pourrait être placée sous tutelle de la DIREN et de l'Agence de l'eau, comme cela s'est fait dans le Nord. Parallèlement, l'on pourrait s'attacher à mieux utiliser les services existants. Enfin, l'on pourrait mettre en place un modèle mathématique, qui permettrait de faire des modélisations. Cet outil, qui n'est pas destiné à faire de la recherche scientifique, doit être simple car il est destiné à être un outil de travail. Les bureaux d'études -je penche pour ma part pour un groupement de bureaux d'études- devront être soigneusement sélectionnés. Très clairement, le moins-disant ne pourrait pas être retenu. Au plan organisationnel, un groupement de bureaux d'étude présente l'avantage de multiplier les canaux d'acquisitions de données hydrogéologiques, de les répercuter sur l'ensemble du bassin versant de la Somme. Grâce à des suivis hebdomadaires, l'on pourrait faire des prévisions, qui seraient transmises beaucoup plus rapidement aux acteurs. Il ne faut pas sous-estimer les délais de transmission d'informations. Pour l'anecdote, j'ai reçu les relevés du mois de décembre au mois de mars ! Les informations doivent parvenir aux services compétents chaque semaine.

M. le Président - A ma connaissance, dans le Nord, les relevés sont faits chaque semaine.

M. Henry Maillot - Il s'agit davantage de mieux utiliser les outils existants, et de mettre en place un outil de modélisation hydrodynamique et hydrologique.

M. Michel Souplet - Selon vous, la DIREN pourrait jouer un rôle de vigie...

M. Henry Maillot - Il ne s'agit que d'une proposition. D'autres structures peuvent jouer ce rôle.

M. le Président - Le système que vous venez d'évoquer serait-il automatisé ? Si tel est le cas, il sera possible d'avoir en permanence des lectures quotidiennes et centralisées à Amiens...

M. Henry Maillot - Ces lectures peuvent être au moins hebdomadaires. En revanche, le modèle n'existe pas encore.

M. le Président - Certes, on nous a indiqué que tous les samedis matin, dans la région d'Amiens, le cantonnier, en dehors de ses heures de travail, parce qu'il est payé pour cette activité, va relever le niveau de la nappe. Puis, tous les trois ou quatre semaines, il envoie ces relevés à Amiens.

M. Henry Maillot - On peut envisager d'améliorer ce dispositif en mettant en place des enregistreurs automatiques. Actuellement, tous les forages sont équipés d'enregistreurs automatiques qui renvoient les données en temps réel. En revanche, il reste à créer le modèle. A ce propos, le cahier des charges doit viser à en faire un outil de décision, et non pas un outil scientifique de recherche. Par ailleurs, d'expérience, je ne saurais que vous exhorter à être extrêmement vigilants dans le choix des bureaux d'études. Il vaut mieux, à mon sens, investir des moyens importants et choisir des professionnels. Le préfet du Pas-de-Calais m'a demandé de l'assister pour l'aménagement de la région de Douvres. Dans les délais requis, on a pu diminuer la pollution des sols, mais aussi recueillir des indications fiables. Nous n'avions pas choisi le moins-disant, et n'avions pas donné suite à certaines propositions.

Au cours de ces dernières années, nous avons subi les conséquences de la politique du moins-disant, au détriment de la qualité des études. Sur des opérations de cette importance, il faut placer des professionnels, parmi les meilleurs dans ce domaine. Il ne faut pas faire confiance à une structure, mais tenter de faire collaborer plusieurs bureaux, afin qu'ils soient critiques les uns vis-à-vis des autres. Il faut mettre en place un outil hydrologique et hydrogéologique (des outils de cette nature existent déjà) fiable, utile, simple, permettant de faire des prévisions hebdomadaires. C'est la plus importante proposition que j'ai à vous faire.

M. le Président - Vous venez de dire que des outils de cette nature existent aujourd'hui, et sont opérationnels. Faut-il copier un modèle ou concevoir notre propre modèle expérimental ?

M. Henry Maillot - Il importe d'adapter son modèle aux particularités géographiques, géologiques, hydrauliques et hydrogéologiques de son territoire. En revanche, les clés de la thématique existent déjà. Sur le marché, au moins trois à quatre bureaux d'études sont tout à fait compétents en la matière. S'agissant du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, nous avons eu besoin, sous la tutelle du préfet de région, de mettre en place un modèle. Nous sommes arrivés à des résultats tout à fait intéressants.

A mon sens, il convient d'être critique en ce qui concerne la conception du modèle car il ne s'agit en aucun cas de concevoir un outil de recherche scientifique. Cela doit se refléter dans le cahier des charges.

M. Michel Souplet - Selon vos dires, la cause de l'inondation de la Somme est unique et naturelle. Elle peut se reproduire l'hiver prochain, et cela est sans doute peu probable au-delà.

M. Henry Maillot - Tout à fait. Le risque s'amenuise au fur et à mesure que les hivers pluvieux s'éloignent de nous.

M. Michel Souplet - La situation peut néanmoins se reproduire dans quinze ans. Admettons qu'aux mois de novembre et décembre prochains, l'on s'aperçoive que le niveau de la nappe est en train de remonter. On est donc en position de prévenir le risque avec un mois d'avance. Durant ce mois, on aurait donc intérêt à dégager le plus d'eau possible dans la Somme.

M. François Gerbaud - Les volumes concernés ne sont pas comparables.

M. Henry Maillot - Si je compare le système à une baignoire, la Somme représente la bonde de la baignoire, qui permet d'évacuer le trop-plein des eaux, par rapport au volume d'eau de la baignoire. Parmi les questions que vous m'avez envoyées, certaines concernaient l'ensablement de la baie de Somme, les problèmes de pompe, etc. Il est vrai qu'il faut montrer aux habitants que l'on agit. Mais il faut prendre en compte le temps de transfert et l'inertie du système. Oui, il faut éviter que le canal ne déborde dans les bas-fonds, il faut reconstruire les berges et améliorer l'écoulement... Un meilleur entretien est un bon moyen d'accompagnement, de même qu'une meilleure canalisation du cours d'eau, avec un exutoire qui permette de mieux évacuer l'eau. Si ces mesures sont indispensables, ne serait-ce qu'au plan psychologique, il ne faut cependant pas nourrir trop d'illusions.

Les autres propositions que je veux formuler portent sur l'actualisation des plans de prévention aux risques d'inondation dans les secteurs où l'inondation paraît importante. Des réflexions pourraient être initiées sur l'aménagement, voire la constructibilité de certaines zones (campings, maisons, etc.). Par ailleurs, l'atlas des zones inondables doit être révisé, en tenant compte de l'épisode que l'on vient de vivre. Enfin, il faut pouvoir gérer la crise. Si la nappe remonte, dans certains secteurs, l'on risque de voir apparaître, sous des maisons et des routes, des sources qui soit n'ont jamais existé, soit n'étaient pas remplies depuis très longtemps. Il s'agit de sources à flanc de coteaux. Cela s'est déjà vu.

M. le Président - Avez-vous des exemples où la nappe est située sous la mer ? L'on pourrait pomper l'eau pour qu'elle nous revienne...

M. Henry Maillot - A ma connaissance, dans la Somme, les nappes sont davantage à l'intérieur des terres qu'en frange de la zone littorale. M. François Blain, de l'Agence de l'eau, m'a été d'une aide précieuse, notamment pour rassembler les données que je vous présente aujourd'hui. Sur cette photo, on voit une source qui, sous une chaussée, est soumise à une poussée d'archimède. De mémoire, jamais ce problème ne s'était posé.

M. François Gerbaud - Si le niveau de la mer remonte, notamment en raison de l'effet de serre, et si la pluviométrie est à nouveau exceptionnelle, comment pourrons-nous nous prémunir contre le risque d'inondation, même si nous l'avions prévu ? Doit-on s'attendre à l'apocalypse ? Doit-on faire comme Noé et construire une arche ?

M. Henry Maillot - Je suis géologue de formation. Les géologues ne raisonnent pas à l'échelle de la vie humaine, mais à l'échelle de millions, voire de centaines de millions d'années. En revanche, les hydrologues raisonnent à l'échelle de la vie humaine. A mon sens, nous ne disposons pas du recul suffisant pour voir derrière les inondations de la Somme la manifestation de transformations climatiques à l'échelle de la planète. Nous avons connu des glaciations. A l'évidence, les glaciers des Alpes tendent à fondre, ce qui contribue à faire remonter le niveau de la mer. Ce phénomène va-t-il persister ? Aujourd'hui, peu de gens osent se prononcer, sur la base d'arguments scientifiques. La carte qui est projetée sur l'écran vient de sortir...

M. le Président - Que représentent les traits en pointillé ?

M. Henry Maillot - Ce sont les limites de bassins versants souterrains. A partir de ces zones, vers la Bresle ou vers l'Authie, l'écoulement de la nappe s'effectue dans l'autre sens. A partir des traits en pointillé, l'écoulement s'effectue vers le drain que constituent le cours d'eau et ses affluents.

M. le Président - Si j'ai bien compris, c'est la ligne de partage des eaux entre la Somme et la Bresle.

M. Henry Maillot - Il s'agit en réalité de la ligne de partage souterraine des eaux. Quant aux couleurs, plus elles virent vers le rouge, plus l'épaisseur de la partie non saturée au-dessus du toit de la nappe est importante. En revanche, plus elles sont bleues, notamment dans les fonds de vallée, plus cette épaisseur est faible, voire nulle.

Ce schéma illustre parfaitement l'homogénéité de la craie dans le secteur qui nous concerne. En outre, il met en évidence les problèmes de pente hydrogéologique, et surtout les phénomènes de drainage des cours d'eau vis-à-vis de cette nappe. On peut enfin y observer le chevelu des nappes.

M. le Président - Cette carte est-elle fiable ?

M. Henry Maillot - Elle a été conçue par le bureau d'études Anthéa, à la demande du Conseil général, dans le cadre de l'identification de terreaux propices à la création de parcs hydrogéologiques. Pour pouvoir faire des réserves hydrogéologiques, l'étude d'aujourd'hui doit être achevée.

M. le Président - Par qui votre étude a-t-elle été financée ?

M. Henry Maillot - Cela vient d'être financé par l'Agence de l'eau. Pour une meilleure compréhension de la carte, les points rouges correspondent aux lieux de prélèvement d'eau. Plus les cercles sont importants, plus le volume d'eau moyen prélevé est important.

M. Paul Raoult - Dans le Santerre, les prélèvements sont importants, que ce soit pour l'irrigation, pour l'agroalimentaire ou pour d'autres fins.

M. Henry Maillot - Outre l'inondation, qui est due à un excès d'eau, il ne faut pas oublier de mentionner les problèmes de sécheresse hydrogéologiques. En fait, des hivers successivement secs peuvent provoquer l'affaissement du toit de la nappe, sachant que l'essorage de cette nappe est continu. Outre le secteur de Santerre, les secteurs se situant sur le dôme piézométrique sont concernés par ce phénomène. Imaginons que sur le secteur de Roye ou de Santerre, les hivers soient secs. La nappe ne se rechargerait donc pas. Il me semble, au regard de ces éléments, qu'il faut alerter les services compétents sur les risques d'inondation ou de sécheresse hydrogéologique, tant les conflits d'usage résultant de l'assèchement d'une nappe sont importants. Il me semble qu'il faut aussi faire des choix d'équipements et d'orientation. Il est utile de mettre à profit les enseignements de la crise que l'on vient de vivre, pour rebondir sur d'autres méthodes de prévision et de gestion du risque d'inondation ou de sécheresse hydrogéologique.

Je tiens à préciser que la carte que je viens de projeter n'est pas finalisée. Y figure, entre autres, l'ensemble des captages.

M. Paul Raoult - Sous les fonds de vallée, notamment la vallée de la Sensée, l'on a procédé à un maillage des captages, afin d'alimenter en eau les collectivités de taille importante.

M. le Président - Le maillage n'est pertinent que lorsqu'il concerne des utilisateurs de même nature.

M. Henry Maillot - Cela est vrai. Mais selon les procédés, on peut très bien concevoir un maillage des captages en vue d'une distribution publique et d'une distribution industrielle.

M. François Gerbaud - Si je résume le remarquable exposé de Monsieur Maillot, nous sommes devant une situation qui est exceptionnelle à trois égards : la nature du département de la Somme, la nature de son sous-sol et enfin, son exceptionnelle pluviométrie.

M. le Président - Parmi ces trois éléments, deux sont constants. Le renouvellement de la pluviométrie peut être exceptionnel.

M. François Gerbaud - Dans un contexte aussi particulier, la prévision présente donc un intérêt incontestable.

M. Henry Maillot - Le seul élément sur lequel on puisse réellement intervenir est l'accompagnement des effets. La prévision permet d'informer et de mettre en oeuvre des mesures d'accompagnement. Il est impossible d'intervenir sur la cause, à moins d'être capable de dériver les nuages et modifier la météorologie !

M. le Président - Les spécialistes de Météo France savent nous dire où se positionnera un anticyclone. En revanche, ils restent muets sur le renouvellement de la pluviométrie.

M. Henry Maillot - Il faut aussi savoir que les prévisions météorologiques ne portent que sur une courte période.

Je tiens à préciser que les sécheresses de sous-sol, de nappe, sont différentes des sécheresses de surface. En 1974, par exemple, on a connu une sécheresse de nappe, mais une pluviométrie de surface en été.

M. François Gerbaud - Quelle était la situation en 1976 ?

M. Henry Maillot - En 1976, on a connu une sécheresse de surface, mais les nappes avaient déjà été rechargées par deux hivers successivement pluvieux, qui ramenaient leur niveau à des niveaux moyens. Globalement, en 1976, dans le Nord, dans le Pas-de-Calais et dans la Somme, nous n'avons pas été confrontés à des problèmes de sécheresse au niveau des adductions publiques. Nous avons connu des situations de sécheresse en 1990 (problème de sécheresse de nappe et de surface), en 1991 (sécheresse de surface de moindre ampleur, mais constitution d'une sécheresse hydrogéologique). En 1992, les nappes se sont rechargées. En 1993 et 1994, les hivers ayant été très pluvieux, le niveau des nappes a remonté, pour baisser en 1996 et 1997. En 1998, l'effet cumulatif dans la Somme a été à l'origine des inondations. L'on s'est posé la même question pour l'Authie et la Canche, ce qui avait conduit le préfet du Pas-de-Calais à mettre en place une cellule de crise en 1993 et 1994.

Mes propositions sont simples :

- donnons-nous les moyens de concevoir un modèle hydrodynamique et hydrogéologique prévisionnel ;

- confions la gestion de l'ensemble de cette opération à une structure centralisatrice, ou à un couple de structures ; je pencherais pour le couple DIREN-Agence de l'eau, ces structures présentant l'avantage d'être déjà sur place ;

- une fois l'outil mis en place, faisons des prévisions hebdomadaires ;

- mettons en place une information répétitive ;

- améliorons les dispositifs d'accompagnement (endiguement des canaux, apurement et canalisation des exutoires, etc.) ; à ce niveau, nous ne pourrons que jouer à la marge, compte tenu de l'importance du volume d'eau accumulé dans l'éponge que représente le sous-sol de craie.

M. le Président - Au plan administratif, pouvons-nous n'observer que le département de la Somme dans son territoire, ou alors observer un pan de chaque département voisin ?

M. Henry Maillot - Les limites du département de la Somme, les limites du bassin versant superficiel et du bassin versant souterrain, à quelques différences près, coïncident. C'est d'ailleurs là que se concentre la grande majorité du problème.

M. Hilaire Flandre - Pouvez-vous expliciter le lien entre l'infiltration et l'action sur la nappe ?

M. Henry Maillot - Cela dépend de la teneur en eau des sols. Je suis obligé, à ce niveau, de rentrer dans des détails techniques. Il faut que les terrains de surface aient un certain niveau d'imprégnation d'eau, de manière à ce que les pluies de surface exercent une pression par le bas, conduisant l'eau dans la partie non saturée du terrain. Cette année, dans le secteur de Senlis-le-Sec, ainsi que dans d'autres secteurs voisins, il n'y a plus eu de zones non saturées. C'est ainsi qu'en avril et en mai, l'on a commencé à observer des ruissellements, alors que pour l'essentiel du département, l'infiltration était très prépondérante. L'éponge de craie étant imbibée jusqu'en haut, le ruissellement ne pouvait plus s'effectuer.

M. Hilaire Flandre - Comme vous l'avez expliqué, il arrive que la nappe dépasse le niveau du sol. C'est ce qui s'est passé à Senlis-le-Sec, comme vous l'avez si bien montré sur une carte. Je pensais, pour ma part, que ce phénomène était généralisé à l'ensemble du département.

M. Henry Maillot - En fait, le ruissellement s'est toujours effectué à Senlis-le-Sec.

M. Hilaire Flandre - On savait donc que la nappe était saturée, puisqu'un schéma existe. Qui avait-on informé de ce phénomène ? Quelles décisions avaient été prises ?

M. Henry Maillot - Ces informations ont été communiquées, y compris à la presse, au moment où les relevés ont été faits. La nappe n'a commencé à redescendre que vers la fin du mois de mai. Les effets différés de l'inondation se poursuivent encore aujourd'hui. La nappe continue à s'essorer.

Il faut être prudent en ce qui concerne les canaux. Selon toute vraisemblance, il y a eu quelques délestages, qui restent insignifiants par rapport à la masse d'eau concentrée dans l'éponge de craie. A la télévision, j'ai entendu dire que si l'on prouvait qu'aucune goutte d'eau provenant du canal du Nord n'avait contribué aux inondations de la Somme, certaines personnes seraient amenées à faire des excuses. A l'évidence, quelques gouttes d'eau de ce canal ont contribué aux inondations de la Somme.

M. le Président - Monsieur Maillot, je vous remercie pour votre exposé.

28. Audition de M. Yves Dauge, député-maire de Chinon, auteur d'un rapport au Premier ministre en 1999 sur les politiques publiques de prévention des inondations en France (27 juin 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui M. Yves Dauge. Il est l'auteur d'un rapport sur les inondations, paru en 1999, sur les politiques publiques de prévention des inondations en France métropolitaine et Outre-Mer . Outre son mandat de député, il est maire de la ville de Chinon, dans l'Indre-et-Loire.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Yves Dauge .

M. Yves Dauge - Je suis l'auteur d'un rapport sur les politiques publiques de prévention des inondations en France métropolitaine et Outre-Mer, qui avait été commandé par le Premier ministre en février 1999. Ce rapport a été remis juste avant les inondations de l'Aude. Si je devais faire une boutade, je dirais : « pour une fois qu'un rapport est publié avant l'événement ! ».

Notre travail a consisté principalement à constater la richesse des connaissances sur la problématique des inondations, notamment les connaissances scientifiques, mais aussi à rappeler que la « mémoire » a été perdue. Nous avons mis l'accent sur la nécessité absolue de créer un lieu de collecte des mémoires et des informations scientifiques. Il faut rassembler toutes les connaissances sur les inondations en un lieu, qui deviendrait un lieu de mémoire, grâce aux moyens modernes de stockage et de diffusion de l'information. Ce lieu de mémoire permettrait, par ailleurs, d'articuler les connaissances entre différentes disciplines qui ne sont pas habituellement connectées. En amont de nos politiques, nous aurions ainsi une base de données immédiatement mobilisable, au service de tous. C'est une innovation. Partout où nous sommes allés, toutes les personnes interrogées ont reconnu que la création d'un lieu de mémoire était une nécessité. J'aimerais que vous puissiez nous aider à approfondir nos idées dans ce domaine.

Par ailleurs, il nous a semblé utile de traiter la question des responsabilités : « qui fait quoi ? ». Loin de moi l'idée de dire que tout est simple, et qu'il n'y a qu'à prendre des mesures, tant le champ de réflexion est vaste et les enjeux complexes. Cela suppose, néanmoins, une certaine organisation au niveau étatique, notamment au niveau interministériel. J'ai clairement identifié un ministère. Certains considèrent que ce rôle doit revenir au ministère de l'Intérieur, car il s'agit après tout de la sécurité du territoire. D'autres estiment que le ministère et de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement serait plus approprié, parce que la volonté de faire baisser la vulnérabilité au regard du risque d'inondation doit être au coeur des politiques de prévention. Il s'agit là clairement de la prévention du risque. Mais il faudra aussi réfléchir à une meilleure intervention des services au moment des crises. Pour ma part, je pense que nous pouvons beaucoup avancer sur le terrain de la réduction de la vulnérabilité. Il nous faudrait un ministère leader, jouant le rôle de chef de file dans ce domaine : le ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement, avec son relais régional, pourrait jouer ce rôle. Il conviendrait, par ailleurs, de se caler sur la géographie des bassins. Il faut travailler jusqu'au territoire le plus proche. A ce propos, avant même de parler de la commune et du plan d'exposition aux risques, nous avons affirmé la nécessité de développer les schémas d'aménagement et de gestion des eaux. Je pense que des actions doivent être entreprises au niveau territorial le plus proche des bassins versants. Dans la chaîne, c'est, je pense, le maillon manquant. Nous n'avons pas critiqué le fait d'élaborer des plans d'exposition aux risques. Cela étant, nous estimons que si l'on veut traiter efficacement des problèmes d'inondation, il n'est pas nécessaire de se précipiter pour élaborer des plans d'exposition au risque. Il faut, au préalable, définir une stratégie géographiquement pertinente. Les comités de bassins existent. Pourquoi ne pas revenir à des pratiques d'antan ?

Je tiens à préciser qu'au niveau des SAGE, nous n'avons pas de maîtres d'ouvrage. De manière générale, on nous rétorque qu'il suffit aux communes de se regrouper. Vous connaissez bien le sujet : au niveau du PER, c'est l'Etat qui est prédominant en matière de prise de décision, même s'il le fait en collaboration étroite avec les élus locaux. Dans le fond, on nous renvoie à l'initiative communale. Cela est certes intéressant, mais en toute honnêteté, cela pose problème.

Il faudrait que nous insistions sur le niveau géographiquement pertinent, sur la définition des stratégies, en mettant à profit les connaissances et la mémoire. Le schéma que nous proposons repose sur des mécanismes simples :

- la collecte et la diffusion d'informations ;

- la capacité de disposer en temps réel de l'information scientifique et de la mémoire perdue ;

- la mise du système sous l'autorité d'un ministère unique ;

- la déclinaison dans les régions ;

- la définition de territoires pertinents.

Le schéma d'aménagement viendrait sous-tendre tout ce dispositif. Je me demande, pour ma part, si l'intervention de l'Etat ne devrait pas être plus dirigiste. L'on risque en effet d'attendre longtemps avant que quelqu'un ne se décide à mener une étude ! Il faudrait que l'Etat mobilise des crédits d'études très importants, sans oublier que nous manquons de maîtres d'ouvrage. L'on pourrait, éventuellement, se tourner vers les comités de bassin.

Bien entendu, il faudrait se pencher attentivement sur les enjeux de la vulnérabilité et de la prévention. A cet égard, il faut comprendre qu'aucune commune ne pourra traiter ces deux problématiques dans sa propre géographie. L'échelle du bassin serait plus pertinente. Le SAGE présenterait, à notre sens, l'intérêt de déboucher tout à la fois sur un programme de prescriptions pour la planification et sur un programme de servitudes. A ce propos, il faudrait pouvoir imposer l'indemnisation des habitants soumis à une servitude. En effet, il serait anormal d'imposer des servitudes à un territoire et à des propriétaires, s'ils ne sont pas indemnisés. Il faut construire de grands réservoirs ainsi que des déversoirs. Dans la Loire, de nombreux ouvrages de déversoirs sont en cours. A cet égard, l'intérêt porté à la réfection et à l'entretien des ouvrages est récent. Dans les vallées qui devaient servir de déversoirs, l'on a tout de même construit. Il faudrait, dans ces cas, instaurer un régime de servitudes. Les SAGE pourraient jouer un rôle actif en ce sens. Ils pourraient aussi déterminer les fondements de nos travaux préventifs. Pour ma part, je considère que ce serait un « grand programme de petits travaux », englobant des travaux nouveaux, des travaux de restauration et d'entretien. Il n'est pas trop tard, mais il faudrait que l'Etat détermine, en collaboration avec les régions bénéficiant des dispositifs du FEDER, s'il est possible de relancer la deuxième moitié des contrats de plan, pour mener à bien un certain nombre de travaux préventifs, définis dans les SAGE. Je suis conscient qu'il y a des impondérables, mais je reste convaincu que l'on peut prendre un certain nombre de mesures pour réduire la vulnérabilité au risque et entretenir nos ouvrages.

Nous avons abordé la question des assurances. Notre régime d'assurance est tellement parfait qu'il déresponsabilise les acteurs ! De surcroît, la banalisation de la notion de catastrophe naturelle aboutit à des dérives : tout le monde prétend avoir été victime d'une catastrophe naturelle, et s'attend à être indemnisé. Nous sommes au coeur d'un vrai débat politique. J'ai plaidé, pour ma part, pour que l'on ne qualifie de catastrophe naturelle que les événements qui le sont véritablement. En France, l'on recense 600 catastrophes naturelles par an (par arrêté préfectoral). Soit on instaure un système de couverture pour des risques naturels qui ne seraient pas qualifiés de catastrophes naturelles, soit on n'assure que ce qui est véritablement une catastrophe naturelle. Il faudrait mieux gérer l'argent correspondant à la surtaxe sur nos feuilles d'assurance (actuellement de 12 points). Il serait alors utilisé pour couvrir les vraies catastrophes naturelles. Très franchement, le système, tel qu'il est actuellement, est voué à l'implosion. Il fonctionne comme la sécurité sociale : à un moment le trou devient intenable, et le système ne fonctionne plus.

Par ailleurs, nous pensons qu'il faudrait dire aux gens que pour être couverts une seconde fois, ils doivent avoir entrepris des travaux pour diminuer leur vulnérabilité. Cela revient à instaurer un mécanisme incitateur. Certains habitants vivent en zone inondable, et sont régulièrement inondés. Ils plaident à chaque fois la catastrophe naturelle -ce qui n'est pas systématiquement le cas- et se font régulièrement indemniser. Parallèlement, ils ne prennent aucune mesure de protection. Encore une fois, outre la définition de la notion de catastrophe naturelle, il faut associer la couverture du risque à un mécanisme incitateur. C'est ainsi qu'on luttera contre les dérives actuelles.

J'en reviens à la question du niveau de couverture et de risque. Le risque zéro n'existant pas, il faut, à notre sens, développer une culture du risque, si possible maîtrisé. Cette culture serait perçue non pas comme un élément contraignant et négatif, mais comme un élément positif de la politique d'aménagement du territoire, de l'élaboration d'un schéma d'aménagement, d'une politique de développement... Se pose alors la question du risque socialement acceptable. Dans le contexte actuel, le maire et le préfet sont les principaux acteurs. Ils ont tendance, l'un et l'autre, mais surtout le préfet, à fixer le risque au niveau le plus haut. Ils se disent que s'ils ne mettent pas la barre très haut, ils seront tenus pour responsables en cas d'inondation. Dans la vallée de la Seine, j'ai pu me rendre compte que la ville de Vaudreuil n'aurait jamais dû être construite.

Dans le système actuel, où l'on tend à fixer un haut niveau de risque, on dérive vers des situations aberrantes. Pour notre part, le préfet ne doit pas être seul décideur en la matière. Nous préconisons un vrai débat public. Une mission avait été mise en place, suite à l'adoption de la loi Barnier, sur la question du débat public. Il faut organiser le débat à différentes échelles, notamment à l'échelle du SAGE, et favoriser l'intervention d'un médiateur. L'ensemble des connaissances et la mémoire seraient ainsi mis sur la table, pour travailler sur des données objectives. Nous sortirions ainsi de l'atmosphère tendue et polémique dans laquelle nous sommes plongés actuellement. C'est dans cet esprit, et c'est suite à nos travaux, que l'ouvrage de M. Champion a été publié par le CEMAGREF.

Nous avons demandé que soient systématiquement réalisés des retours d'expérience sur les inondations. Il faut absolument fixer un niveau de risque acceptable, en mettant sur la table des données objectives. Les bassins et les communes doivent s'entendre pour déterminer ce niveau de risque acceptable. L'on pourrait autoriser la construction d'une route, de maisons ou d'entreprises dans une zone sous certaines conditions, sous certaines prescriptions. Mais chacun doit savoir qu'une route, à tel endroit, n'a pas été rehaussée à un niveau suffisant pour la protéger contre les inondations. Chacun doit en être informé parce que le même citoyen qui insiste pour obtenir un permis de construire viendra, demain, vous attaquer parce que sa maison a été inondée. Il faut sortir de cette contradiction une fois pour toutes. De toute façon, en Val-de-Loire, on ne peut pas garantir le risque zéro. Le jour où surviendra une grande catastrophe, tout le monde sera inondé. Il vaut mieux dire aux habitants que l'on a défini un périmètre à risque. A cet égard, l'atlas du risque est un excellent outil.

Encore une fois, il faut rassembler toutes les parties autour d'une table et discuter, sous l'autorité d'un médiateur, de ce qui s'est passé, de ce qui est souhaitable. Je pense qu'il faut laisser des marques visibles dans le paysage. J'ai fait installer, dans toutes les communes du Val-de-Loire, des repères en tuffeau sur lesquels on mentionne les crues. Ces sortes de totems rappellent à chacun où il vit, et le risque qu'il court. Nous sommes allés encore plus loin en disant que lors d'une vente, une indication sur la vie de la propriété doit être portée à la connaissance de l'acquéreur. Je serais par ailleurs favorable à ce que l'on indemnise les servitudes dans certaines zones.

Le système que je viens de décrire est cohérent, depuis l'amont jusqu'à l'aval : traitement de la connaissance et de l'information, rôle des SAGE, retour au débat public au niveau local... Quel est le rôle du préfet ? S'il n'y a pas de consensus, le préfet est celui qui prend une décision, en dernier ressort. Sa décision, dans ce cadre, sera plus légitime et plus sûre au plan juridique. Les juges diront que le préfet a pris sa décision au terme d'un processus de médiation et de confrontation. Il aura ainsi pris une décision raisonnable, qui sera moins maximaliste, mais plus sûre au plan juridique. De leur côté, les citoyens auront en principe accepté une certaine part de risque en retour. Au préalable, la collectivité leur aura exposé le risque encouru collectivement, ainsi que les prescriptions permettant de limiter les effets du risque.

En résumé, je pense que je suis en mesure de développer un nouveau type d'aménagement, fondé sur un nouveau mécanisme de décision, sur la connaissance scientifique et la mémoire. En d'autres termes, un aménagement beaucoup plus transparent et objectif. C'est ainsi que l'on pourra sortir du débat passionné et tendu du moment.

Je dirai, pour finir, un mot sur le système d'alerte et de traitement des crises. De manière générale, la gestion des crises en France n'a pas fait l'objet de critiques virulentes. Dans l'ensemble, on estime que les préfets, les services et les différents acteurs font un travail satisfaisant. En revanche, le système d'alerte est désuet : il est impossible d'alerter les citoyens en temps réel, sans parler des contraintes techniques. Pourtant, un système d'alerte efficace est nécessaire dans la gestion des crises. La encore, il faut faire jouer le couple préfet-maire. Le maire est en première ligne pour faire un travail psychologique avec les habitants, mais il a besoin du préfet pour traiter d'autres problèmes, à l'échelle du département. L'information continue et en direct des citoyens pendant la crise est aussi fondamentale. L'inondation de l'Aude en est un exemple pertinent, mais aussi terrifiant. De nombreux habitants, paniqués, ont pris leur voiture, allant droit vers le danger. Si on avait pu les informer des risques qu'ils couraient en prenant la voiture, si on avait pu communiquer avec eux, on aurait évité un grand nombre de morts. Malheureusement, les lignes étaient cassées, il n'y avait pas d'électricité. Comme en temps de guerre, seule la radio était en service, mais personne n'avait utilisé la radio. Il fallait leur intimer l'ordre de rester chez eux. C'est ce qui me fait penser que l'on devrait se fixer un objectif « zéro mort » et que, pour cela, tout réside dans la communication et l'information en temps réel. Dans ma région, on nous ressasse sans arrêt la perspective d'une catastrophe. Il y a eu deux catastrophes au siècle dernier, à deux années d'intervalle. Des villes dont le chiffre de la population équivaut à celui de Roanne avaient alors disparu de la carte. Imaginez alors les effets d'une nouvelle catastrophe ! Je me suis enquis auprès du préfet d'Orléans sur ce qui était fait pour simuler les catastrophes. En réalité, rien n'est mis en place. Ce serait donc un véritable exercice d'improvisation. Comment évacuerait-on les habitants ? Les routes sont coupées. A Tours, il y a un mètre d'eau. Sur le Val-de-Loire, que ferait-on ? Je recommande une extrême vigilance sur la gestion des crises. Je reconnaît que les préfets, les services et l'armée, pour ne citer que ces acteurs, font de leur mieux, mais il faut encore s'améliorer.

Il faut ensuite gérer la période qui suit la crise, notamment au plan psychologique. Il convient aussi lancer des programmes de reconstruction (d'installations, de logements...), et élaborer des plans de réaménagement. Il ne s'agit pas uniquement d'indemniser les sinistrés, mais aussi de partager avec eux une nouvelle vision du département. Il faut, après la catastrophe, concevoir un nouveau projet de développement du territoire. Si on ne s'inscrit pas dans une démarche constructive, porteuse d'avenir, on se contente, au bout du compte, d'indemniser les habitants, les abandonnant ensuite à leur traumatisme.

M. le Président - Je vous remercie pour cette présentation, qui a éclairé certains passages de votre rapport.

M. Hilaire Flandre - Je voudrais intervenir sur l'importance du dispositif de communication durant la crise. Dans les Ardennes, on a eu à déplorer cinq décès. Trois décès étaient dus à un accident de voiture (des jeunes ont percuté un parapet et sont passés par-dessus) dans les zones inondées. Les deux décès restants étaient dus à la disparition du pont, durant l'inondation. Je ne suis pas sûr, pour ma part, que le fait d'annoncer le danger peut contribuer à réduire le nombre de morts.

Par ailleurs, concernant le système d'alerte, je suis, comme vous, assez sceptique. Dans notre département, on annonce les crues de la Meuse, qui viennent de l'amont. On sait, dans les cinq heures qui suivent, à quel niveau elles devraient être. Mais il faut tenir compte d'une force d'inertie absolue, qui est d'autant plus accentuée que nous n'avons pas la culture du risque.

Enfin, s'agissant de la gestion de la période qui suit la crise, je ne suis pas sûr qu'il faille recourir pour autant à un escadron de psychologues, éparpillés dans le département de la Somme.

M. Yves Dauge - Je ne faisais pas tant allusion au recours à des psychologues, mais à une mobilisation autour d'un projet, qui va au-delà d'un simple projet de réparation. L'ampleur des dommages causés par les inondations de l'Aude doit contraindre chacun à réfléchir à un projet commun, pour commencer une nouvelle histoire commune. Dans l'Aude, les habitants se sont tous accordés pour dire qu'une catastrophe de cette ampleur ne s'était jamais vue, de mémoire d'homme. Or depuis 1950, on recense au moins cinq crues de cette nature. Pourquoi la mémoire collective est-elle aussi courte ? Non seulement beaucoup ont oublié ces événements, mais certains habitants se sont installés il y a peu de temps dans le département. Lorsque ces catastrophes surviennent, chacun a envie de partir. Je n'insisterai jamais suffisamment là-dessus : il faut leur notifier de rester chez eux, d'attendre qu'on leur donne des instructions, avant de se lancer sur les routes.

M. Roland Courteau - Pour avoir des crues de l'ampleur de celles que nous avons connues en 1999, il faut remonter à un voire deux siècles en arrière. Je le disais d'ailleurs devant le responsable de d'Office national des forêts : les mêmes causes ont produit les mêmes effets, et produiront les mêmes effets demain. Je voudrais revenir sur les décès en voiture. Ceux qui ont été noyés sur les routes étaient dans des départements limitrophes à l'Aude, dans le Tarn par exemple. A Cuxac-d'Aude, les morts que l'on a déplorés étaient essentiellement des personnes âgées, qui avaient été piégées par la remontée brutale des eaux, par l'effet de vague qui avait été provoqué par la rupture des digues. Ainsi, ces gens se sont noyés parce qu'ils ont été piégés, et non pas parce qu'ils se sont précipités sur les routes. Par ailleurs, si ces personnes avaient été prévenues une demi-heure avant de l'arrivée d'une vague, causée par la rupture des digues, elles auraient pris la route, et c'est alors que l'on aurait eu à déplorer des dizaines, voire des centaines de morts.

Un autre point me paraît essentiel : durant la crise, les réseaux de télécommunications ne sont pas fiables. Les téléphones fixes et portables ne marchent pas, il n'y a pas d'électricité... Il faudrait peut-être penser à remplacer les matériels de communication (par un système de radio, comme durant les périodes de guerre). Il faudrait aussi disposer d'un réseau d'alerte fonctionnant en continu, et permettant d'alerter le plus en amont possible. Enfin, il faudrait évacuer la population tant qu'il n'y a pas de danger immédiat.

M. Ambroise Dupont - Je voulais revenir sur l'un des aspects évoqués par Monsieur Dauge, que j'ai écouté avec beaucoup d'intérêt. Dans son propos, on perçoit une connaissance poussée du terrain et l'on reconnaît le travail rigoureux du rapporteur. Le partage des responsabilités entre les représentants de l'Etat qui décident de l'octroi d'un permis de construire, d'une part, et le pétitionnaire, qui sollicite cette autorisation, d'autre part, m'a beaucoup interpellé. La procédure d'information sur la vie de la parcelle a-t-elle déjà démarré ? Commence-t-on par le SAGE, par le plan d'exposition au risque, ou commence-t-on simplement par l'information du maire sur le risque d'inondation d'une voie ? Il me paraît important de travailler sur les dispositifs d'indemnisation. A mon sens, il faudrait s'accorder sur un système qui donne une plus grande responsabilité au pétitionnaire, qui prend le risque de construire dans une zone dont il sait pertinemment qu'elle peut être inondée. Les assurances doivent-elles couvrir tous les risques et à quel niveau ? Faut-il, au contraire, mettre en place un système dégressif, en fonction des travaux entrepris ? Bien évidemment, les travaux n'empêcheront pas l'inondation à certains endroits. A mon avis, ces deux pistes doivent être approfondies, et c'est sur cette base qu'il faut formuler des propositions.

M. Yves Dauge - Il faut en effet approfondir ces pistes de réflexion. Je suis membre d'une commission d'enquête, présidée par M. Eric Doligé, et nous travaillons dans cette direction. Il faut certes aller vite, mais le Gouvernement tarde à passer aux actes, même si je reconnais qu'il faut s'accorder le temps de la réflexion avant de rédiger des textes. Parallèlement, je ne comprends pas certaines mesures. Récemment, j'ai revu des interlocuteurs du service de l'aménagement du territoire. Je les ai vivement encouragés à formuler des propositions au prochain comité d'aménagement du territoire, qui doit se tenir le 9 juillet. Je dois l'avouer, je suis quelque peu agacé de constater que depuis février 1999, notre rapport n'a pas encore été suivi d'effets. Je ne prétends pas que les pistes figurant dans le rapport sont abouties. Il revenait, à mon sens, à la structure interministérielle de travailler en relation avec les élus pour les affiner, car l'opinion est dans l'expectative. Des mesures de bon sens pourraient être prises : l'adoption de mesures législatives sur les indemnisations, l'identification des catastrophes, l'appui sur les SAGE, le passage à une action plus directive de l'Etat, si cela est nécessaire, l'élaboration d'une politique d'aménagement du territoire plus respectueuse des zones inondables, la fixation d'un niveau de risque acceptable.... Ce sont autant de pistes de réflexion, qui font la richesse du débat public sur la prévention et la gestion des inondations. Un dossier de conflit pourrait devenir un dossier de débat et de confrontation positives. Les catastrophes doivent être l'occasion de revenir à un débat politique associant tous les acteurs. Il faut pour cela responsabiliser nos concitoyens, qui croient qu'ils sont couverts et qu'ils seront toujours indemnisés en cas de catastrophe.

M. Ambroise Dupont - Dans nos zones rurales, l'avis du maire, qui connaît l'histoire de la voirie de sa commune, pourrait-il suffire à responsabiliser le pétitionnaire ? J'avais donné un avis favorable à un permis de construire, parce que j'estimais qu'il n'y avait pas de risque humain. Le chemin pouvait certes être inondé, mais au bout de deux heures, l'eau était évacuée. Par la suite, la DDE a donné un avis défavorable. Dès lors, je ne peux plus outrepasser cette décision.

M. Yves Dauge - Soit vous êtes dans le cadre du plan d'occupation des sols, soit vous êtes dans le cadre du plan d'exposition au risque. Dans le premier cas, c'est le maire, bien que l'Etat soit associé à cette décision, qui rend son verdict. Un plan d'occupation des sols bien élaboré permet de gérer une bonne partie de la question des responsabilités. Le maire est en mesure d'arrêter un niveau de risque acceptable, après avoir mis sur la table toutes les informations, pour que tout le monde prenne conscience que l'on va construire dans une zone présentant un risque d'inondation. Dans le second cas, c'est le préfet qui est en cause. Mais sa démarche doit être similaire à celle du maire, pour sécuriser juridiquement sa décision. Cette sécurité juridique est liée au processus de débat, d'information et d'explication préalables. Les décisions doivent être prises en toute connaissance de cause. Il est intéressant de lier la notion de risque acceptable à la sécurité juridique des décisions.

M. Ambroise Dupont - Il y aura toujours un problème : un pétitionnaire qui aura obtenu un permis de construire dans une zone à risque, et qui aura été informé du risque qu'il encourt, pourra toujours trouver des circonstances aggravantes (irrigation des fermiers en amont, construction d'un barrage...) pour se retourner contre la commune.

M. le Président - Vos différents propos montrent qu'il faut se pencher attentivement sur la question des responsabilités.

M. Ambroise Dupont - Dans ma commune, on a dûment informé les habitants qui souhaitaient construire dans une zone à risque. Une fois que la maison a été construite, la situation n'était pas alarmante tant que l'eau ne dépassait pas le niveau de la rampe d'accès. Cependant, de l'eau coulait dans le garage. Ils nous ont demandé une pompe d'assèchement, mais nous leur avons répliqué que ces travaux leur incombait. Dans ce cas précis, nous avons été heureux que tout se passe sans heurts, mais cela aurait pu ne pas être le cas.

M. Paul Raoult - Je voudrais intervenir sur les syndicats intercommunaux, que l'on parvient difficilement à mettre en place. Dans le Nord-Pas-de-Calais, nous avons négocié d'importants contrats de curage des rivières, mais il reste encore quelques communes, au milieu du cours d'eau, qui font blocage. De manière générale, les communes amont ne comprennent pas pourquoi elles devraient payer. Le pouvoir régalien doit avoir la capacité, à un moment donné, de s'imposer à tous, au nom de l'intérêt public. Je ne nie pas le principe fondateur de la liberté communale, mais cette liberté signifie-t-elle pour autant que l'on doit inonder son voisin ? Dans le cas que je viens de décrire, si on n'arrive pas à débloquer la situation, on va, dans les dix prochaines années, au-devant de catastrophes.

M. Yves Dauge - On peut apporter plusieurs éléments de réponse à ce problème. Le statut des cours d'eau peut être un facteur de blocage. A l'évidence, on ne peut pas s'attendre à ce que les propriétaires privés gèrent des travaux de curage de cette envergure.

M. Paul Raoult - Les travaux de curage de nos rivières sont pris en charge par le syndicat intercommunal. Malgré cela, certains propriétaires font blocage : au beau milieu du cours d'eau, on ne peut pas curer certains tronçons, simplement parce que le propriétaire s'oppose à ce que nous passions. Nous nous retrouvons ainsi avec 3 millions de francs, que nous ne pouvons pas dépenser entièrement.

M. le Président - S'il n'y a plus de questions, je vous propose de clore cette série d'auditions.

29. Audition de MM. Bernard Cabaret, président, Yves Caristan, directeur général et Thierry Pointet, membre du Bureau de recherches géologiques et minières (28 juin 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons ce matin, en qualité de représentants du BRGM, Monsieur Bernard Cabaret, président, Monsieur Yves Caristan, directeur général, et Monsieur Thierry Pointet.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Bernard Cabaret, Yves Caristan et Thierry Pointet.

M. Bernard Cabaret - Merci Monsieur le Président. Avant de rentrer dans le vif du sujet, j'aimerais dire quelques mots à propos du BRGM. Celui-ci est un établissement public industriel et commercial, dont la tâche initiale était d'assurer le suivi des mines. Il a ensuite été chargé de la tenue de la carte géologique, et très récemment son activité s'est orientée vers l'environnement, notamment les aménagements, les risques naturels, les problèmes de sites pollués et l'eau. Le BRGM travaille dans le secteur de l'eau, et plus particulièrement de l'eau souterraine. Il a d'ailleurs reçu des missions du ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement propres à ce sujet, ayant pour objet le suivi des nappes souterraines, pour en permettre une meilleure gestion. Nous ne procédons formellement qu'à une analyse de l'eau souterraine. Jusqu'à une date récente, les organismes en charge de la partie hydrographique et des eaux superficielles estimaient que notre rôle devait se limiter à l'examen des eaux souterraines, leurs agents pensant sans doute que l'indépendance relative des deux éléments était suffisante pour justifier cette répartition des tâches. Il me semble que les événements récents ont montré que tel n'est pas le cas, et qu'il est nécessaire de prendre en compte les eaux souterraines dans l'ensemble des problèmes de crue et d'inondations. Je pense que la suite de cette réunion permettra en effet de montrer qu'une part notable des événements que nous avons vécus vient de l'évolution des nappes phréatiques.

Monsieur Yves Caristan, directeur général de l'établissement, vous exposera un certain nombre de principes généraux, et Monsieur Thierry Pointet, spécialiste de ces problèmes, et qui a collaboré aux travaux spécifiquement menés dans la Somme, pourra en préciser certains points.

M. Yves Caristan - Monsieur le Président, j'aimerais rappeler quelques uns des travaux faits par le BRGM, au-delà de sa contribution à l'analyse des phénomènes qui se sont produits dans la Somme. Nous travaillons effectivement en France sur deux missions principales : une mission de recherche pour comprendre les phénomènes, et une mission d'appui aux politiques publiques, à travers nos implantations dans chacune des régions. C'est à ce dernier titre que le BRGM est intervenu au moment des inondations dont nous allons traiter plus spécifiquement ici.

J'aimerais dire quelques mots sur les travaux de recherche qui ont lieu sur ces phénomènes de transit souterrain. Nous travaillons effectivement sur les problèmes d'infiltration de l'eau, en amont, sur la relation entre les eaux de surface et les eaux souterraines. Nos terrains d'études, en ce qui concerne la recherche, sont par exemple le marais de Rochefort, les nappes alluviales de l'Hérault, ou les karsts des Corbières. Nous travaillons également sur les problèmes de transit et de stockage souterrain dans le cadre des karsts de Nîmes, et, par ailleurs, sur les relations entre les nappes et les rivières, notamment, bien sûr, sur la Somme, mais aussi sur l'Aisne et l'Oise, sur des problèmes qui sont davantage de surface, de dynamiques fluviales, de transports solides, enfin sur des problèmes de déstabilisation de levées, dues aux transits souterrains.

Ces travaux nous permettent d'avoir une certaine vision des phénomènes de migration de l'eau en sous-sol.

Nous travaillons actuellement avec le ministère de l'Environnement sur une meilleure synthèse des informations de nos bases de données sur les phénomènes phréatiques et l'état des nappes souterraines. Suite à la prise de conscience des relations entre ces dernières et l'eau de surface dans les phénomènes d'inondation, nous avons pour objectif de développer des synergies, en particulier au niveau des équipes présentes sur notre site d'Orléans (monitoring des eaux de surface au sein de la DIREN, l'équipe Loire et le BRGM). Il s'agit d'orienter les programmes de recherche, de développement et de monitoring de sorte qu'ils soient bien adaptés aux problématiques en causes, et complémentaires les uns des autres.

Je passe la parole à M. Thierry Pointet, qui a suivi, en relation avec M. Marcel Caudron, les phénomènes qui ont eu lieu dans la Somme, et qui a préparé un document à partir du questionnaire que vous nous aviez fait parvenir.

M. Thierry Pointet - Je commencerai par quelques généralités, puis je propose que nous répondions aux questions que vous voudrez bien nous poser.

Nous avons commencé à travailler sur le bassin de la Somme après avoir été sollicités par les collectivités locales, qui constataient des dégâts apparemment dus à la montée de la nappe phréatique. Nous sommes intervenus au cas par cas, et lorsque les phénomènes se sont précisés, nous avons échantillonné des eaux sur la Somme en crue elle-même. Nous avons récolté des informations collectées sur des ouvrages qui étaient initialement destinés à surveiller, non pas les crues, mais les nappes. A ce moment s'est constituée la Commission présidée par Claude Lefrou, et les travaux se sont engagés de manière concrète sur des cartographies et autres documents de comparaison des données dont disposaient la Météo nationale et les services chargés de suivre les débits des cours d'eau.

La crue, à un endroit donné, est la résultante des apports de la rivière, qui vient de l'amont, de l'apport latéral lent des nappes, de l'effet du simple ruissellement sur les versants de la pluie tombée dans les trois jours précédant la mesure, de la capacité du milieu à absorber ou résorber une partie de ces flux -en l'occurrence, la nappe alluviale, à proximité du cours d'eau, était totalement saturée-, enfin de la capacité de la vallée aval à évacuer l'eau suffisamment rapidement pour prévenir des accumulations. Il est à noter qu'il a été démontré que dans le bassin de la Somme les nappes contribuent très fortement à ces phénomènes de crue, du fait de la nature même des massifs qui en constituent les versants -la craie, très poreuse et assez perméable.

Dans le cas présent, l'ensemble de ces composantes sont intervenues. En ce qui concerne la contribution des eaux souterraines, deux effets ont été mis en évidence. D'une part un effet lent, qui trouve son origine à l'automne 2000. De novembre à février, puis en avril et début mai, les pluies ont été de deux fois, et par endroits de trois fois, supérieures à la moyenne saisonnière. La lente percolation de l'eau dans le sous-sol a réapprovisionné les nappes, qui sont montées lentement pour atteindre des seuils extrêmement élevés. D'autre part, un phénomène local, déjà observé et présentant un temps de réponse de l'ordre de trois semaines, de mise en saturation de certains compartiments du sous-sol situés entre la surface et les nappes proprement dites. La nappe s'étend donc d'un volume qui peut être considérable, ce qui accentue très fortement le drainage, la vidange naturelle, de la nappe vers les points bas que sont les vallées. L'addition de ces deux phénomènes explique presque en soi le caractère exceptionnel des crues observées.

M. le Président - La combinaison de ces deux facteurs ne nous avait pas été présentée jusqu'alors de façon aussi compréhensible. Si j'ai bien compris vos propos, vous êtes intervenus uniquement après les inondations, et au cours des années passées, aucune collectivité publique de la Somme n'a chargé les service concernés, dont les équipes de M. Marcel Caudron, d'observer ces phénomènes. Ce comportement particulier du bassin de la Somme était donc ignoré jusqu'aux récents événements.

M. Thierry Pointet - La montée subite du niveau de la nappe, se déclenchant avec un temps de réponse relativement rapide par rapport à ce qui est connu de la dynamique des nappes, est un phénomène que nous soupçonnions depuis trois ans environ. Mais si la surface du sol est un objet d'intérêt de la part des professions agricoles, si les nappes constituant des ressources sont étudiées par les services concernés, l'espace intermédiaire, ne recelant aucune ressource exploitable, n'intéresse personne. Ce dernier est pourtant essentiel : il s'agit en effet d'une zone de transition pour l'eau des nappes.

M. le Président - Personne n'a jamais demandé à ce que cet espace soit observé, analysé ?

M. Thierry Pointet - Si nous considérons les courbes d'évolution sur les sites qui ont fait l'objet de mesures depuis plusieurs années, nous nous apercevons que le phénomène en question s'était déjà produit en janvier 2000, et en mars 1999 à un moindre degré, mais il ne s'additionnait alors pas à l'état de très hautes eaux que nous avons connu cette année, et il est passé totalement inaperçu.

M. le Président - La Somme reste-t-elle votre bassin expérimental privilégié, ou disposez-vous de travaux portant sur d'autres régions et permettant des comparaisons ?

M. Thierry Pointet - Notre base prospective initiale était constituée par les affluents de l'Oise et de l'Aisne. En effet, en 1995 et 1996, des phénomènes similaires avaient été observés dans les régions où sont situés ces cours d'eau. Nous souhaitions travailler sur ce problème de crues de fin d'hiver, qui peuvent être la conséquence d'une recharge hivernale additionnée d'un effet accidentel saisonnier. Des phénomènes similaires peuvent être envisagés dans la vallée de la Marne, puisque la couche de craie affleure, dans le bassin de Paris, comme une couronne dans laquelle, si les conditions météorologiques sont similaires, les crues peuvent se produire de la même façon.

M. le Président - Nous comprenons bien pourquoi l'activité des collectivités publiques par rapport aux contrats de rivières est un peu plus avancé dans les régions où il a été fait appel à vos compétences que dans la Somme. Mais pour entrer dans le détail, expliquez-nous comment se fait une observation de nappe. Nous avons appris par la presse que la Somme comptait une bonne soixantaine de points d'observation. Nous avons en tête le cantonnier mesurant la longueur de corde qu'il laisse glisser jusqu'à ce qu'il rencontre une résistance. Existe-t-il d'autres systèmes scientifiques, plus développés ?

M. Thierry Pointet - Oui, mais ces systèmes sont fondés sur le même principe.

M. le Président - Il s'agit donc uniquement de mesurer la distance entre la nappe et la surface du sol ?

M. Thierry Pointet - Prenons garde de bien définir la nappe. Celle-ci existe pour ainsi dire « par défaut ». En effet, si les vides microscopiques (pores, microfractures, etc.) des roches communiquent les uns avec les autres, l'eau peut y séjourner ou y circuler. La nappe n'est que l'addition de ces petits volumes d'eau occupant ces vides. Elle naît de l'infiltration des eaux de pluie qui ne sont pas évacuées par ruissellement (surtout dans le cas d'un plateau où le relief est quasiment nul) : l'eau percole dans la roche, et, par l'effet de l'attraction terrestre, est stockée plutôt en profondeur. Au fur et à mesure qu'elle s'accumule, elle sature davantage de vides, et monte dans la roche.

La craie est une roche constituée de particules agrégées entre lesquelles il y a énormément de vides. La nappe se définit donc comme la saturation de ces vides par de l'eau. Au-dessus, la roche est la même, mais les vides sont remplis par de l'air. L'eau n'étant pas un fluide compressible, nous sommes en présence d'un milieu capable de transmettre des pressions.

M. le Président - J'imagine que cette propriété d'absorption de l'eau n'est pas la même dans tous les sous-sols.

M. Thierry Pointet - Elle est en effet dépendante de la nature du sous-sol. D'une manière générale, elle est assez forte dans les roches carbonatées, telles que le calcaire ou la craie. Elle est extrêmement plus faible, mais non nulle, dans des roches très dures comme les granits et les schistes (présents par exemple en Bretagne ou dans le Massif Central), où les espaces sont des fractures bien plus que des pores. La craie a des caractéristiques particulières, notamment observables à la faveur des remontées de ces nappes. Lorsque, sur un cycle hydrologique, entre l'été et l'hiver, a lieu une fluctuation de deux ou trois mètres en Beauce qui est aussi un plateau calcaire, la craie du Pays picard et de l'Artois peut connaître, elle, une fluctuation de vingt-cinq mètres.

M. le Président - Comment mesurez-vous la circulation de l'eau d'une région à une autre ? Lâchez-vous des traçeurs ? Comment prouvez-vous que l'eau que vous avez mesurée est de l'eau de précipitation s'étant infiltrée ?

M. Yves Caristan - En ce qui concerne la hauteur de la nappe, les piézomètres peuvent être de simples cordes ou des systèmes un peu plus complexes, mais le principe est le même. La mesure de la circulation de l'eau dans les formations géologiques est plus difficile. A cet effet, nous disposons de techniques de traçage chimiques ou isotopiques, ces dernières étant bien plus précises puisqu'elles permettent d'identifier la source de l'eau.

M. Thierry Pointet - L'eau de pluie comporte une « signature », une marque caractéristique qui tient à la distance entre le lieu de précipitation et la mer. Lors de son périple dans l'atmosphère, l'eau se charge en effet de particules solides, en particulier de sel marin -qui contient du chlore-, ainsi que de strontium, élément chimique présent dans les roches et comportant deux variétés isotopiques différentes dont le rapport, à l'instar du chlore, est un marqueur permettant une mesure précise des voies de passage. Par ailleurs, le poids des isotopes d'hydrogène et d'oxygène de la molécule d'eau est un indicateur de la provenance de celle-ci. Enfin, certains isotopes connaissent une désintégration nucléaire progressive selon une courbe invariable, dont la mesure indique depuis combien de temps l'eau a quitté l'atmosphère pour s'isoler dans un milieu où elle n'a plus été renouvelée. Dans la Somme, une proportion assez forte de l'eau des rivières comportait la même signature chimique que l'eau échantillonnée dans les nappes voisines. Inversement, la signature des eaux de surface était celle de l'eau de pluie, différente de celle des nappes.

M. le Président - Avez-vous procédé à de nombreuses observations de ce type ?

M. Thierry Pointet - Nous avons procédé à une douzaine de prélèvements, à la fois sur des nappes franches, dans des ouvrages, et sur des cours d'eau plus ou moins hauts dans le bassin versant. La comparaison de ces analyses a permis d'affirmer que dans tel ou tel compartiment la nappe avait pratiquement saturé le milieu, l'eau de précipitation étant restée en surface et ayant fortement ruisselé -comme dans le cas de la terminaison du plateau du Santerre, en amont. Inversement, pour tout le cours moyen de la Somme, la rivière recevait de l'eau presque exclusivement originaire de la nappe. De l'amont à l'aval, la rivière recevait au fur et à mesure un flux très important provenant des nappes.

M. Yves Caristan - En quelque sorte, l'analyse de la chimie des eaux nous a permis de mettre en évidence que les eaux de la Selle et de l'Hallue étaient des eaux ayant une très forte composante phréatique.

M. le Président - La Selle, affluent de la rive gauche, et l'Hallue, affluent de la rive droite, ont effectivement connu des débordements en plateau.

Vous en êtes à vos premières observations. En tant que scientifiques, considérez-vous que vos travaux présentent une fiabilité suffisante pour que des conclusions puissent être formulées ?

M. Thierry Pointet - Oui. Nous avons en effet constaté une récurrence des observations sur des zones voisines, ainsi que dans le temps (certaines zones se comportent de façon identique d'une année sur l'autre). Si nous avons encore des incertitudes sur le phénomène de saturation de la zone située au-dessus de la nappe, les analyses des fluctuations de niveaux ont été confirmées par les études isotopiques, qui procèdent d'une approche tout à fait différente. Ce faisceau de présomptions aboutit donc à une quasi certitude.

M. Michel Souplet - Je commence à mieux comprendre les phénomènes qu'a connus la baie de Somme. J'étais agriculteur, et mon fils l'est aujourd'hui, en bordure de la rivière Oise où nous avons souvent des terres inondées. Les ouvriers de la ferme ne comprennent pas qu'à la suite d'une longue période de pluie, le sol peut à nouveau être trop sec après huit jours.

Nous allons nous trouver demain devant la situation, maintenant bien connue, de post-inondation. Abbeville est à nouveau au sec. Dans certains villages, les habitants ont réintégré les maisons, probablement à tort dans certains cas - mais il est difficile de les empêcher de rentrer chez eux. Qu'allons-nous leur dire si le phénomène se reproduit dans six mois ? En effet, nous disposons dorénavant d'éléments suffisants pour prévenir rapidement du risque. Hier, M. Henry Maillot nous a dit que la prévision d'un débordement pourrait avoir lieu deux ou trois semaines avant qu'il soit effectif. En revanche, nous ne disposons d'aucun moyen de protection. Il nous a notamment été expliqué à de nombreuses reprises que les pompages n'avaient aucune utilité.

Dans les zones reliant Péronne à Amiens, et Amiens à Abbeville, en cas d'inondation les marais ne peuvent que monter. Notre action ne peut donc que se limiter à inciter les habitants à ne plus construire là où ils sont victimes d'inondations, et à mettre en place des systèmes de protection, puisque les eaux ne débordent que de quelques centimètres. Des bacs de rétention et des fossés parallèles permettraient effectivement de stocker davantage d'eau et de la faire s'écouler mieux et plus vite. Mais à Abbeville, le problème est plus grave, puisque jusqu'à 500 habitations peuvent être noyées de concert. Dans ce cas, il ne me semble pas qu'un système de pompage puisse être utile.

M. le Président - Quels sont les volumes de la nappe, en comparaison du débit de la rivière et du pompage potentiel de cette dernière ?

M. Michel Souplet - Si nous sommes prévenus d'une crue quinze jours à l'avance, le pompage de l'eau durant cette période ne se révèlerait-t-il pas utile, avec un débit de pompage de 1,8 million de mètres cubes par jour ? Il est vrai que cela représenterait un investissement lourd. Par ailleurs, nous pourrions envisager de laisser se remplir les marais, (rois ou quatre communes seraient alors, certes, plus inondées que les autres, pour permettre de désengorger bien plus rapidement la zone d'Abbeville

M. Yves Caristan - Nous n'avons pas fait les calculs dans le cadre d'une telle hypothèse, lesquels ne sont d'ailleurs peut-être pas de notre ressort et ne relèvent pas de notre responsabilité.

Cependant, en premier lieu, la capacité d'alerte n'en est pas moins un élément capital pour les élus et les populations, qui pourraient prendre les dispositions adéquates en fonction de la gravité du phénomène annoncé. En second lieu, en ce qui concerne le pompage, je ferai référence aux Pays Bas, dont le sous-sol est une gigantesque nappe phréatique : depuis des siècles, les polders permettent de pomper l'eau grâce au vent. Avant de proposer des solutions définitives, allons donc observer comment les hollandais gèrent le problème.

M. le Président - Nous avons effectivement décidé de nous rendre aux Pays-Bas pour observer leur méthodes. Leur sous-sol est-il le même que celui de la Somme ?

M. Yves Caristan - Le sous-sol hollandais est, lui, presque toujours entièrement saturé ; il est en outre constitué d'alluvions, qui sont probablement encore plus poreux que la craie.

M. Jean-François Picheral - Il s'agit également de savoir où serait déversée l'eau pompée.

M. Yves Caristan - Nous la déverserions dans la mer.

M. le Président - Avez-vous une idée de la communication entre la nappe se trouvant sous la mer et celle de la baie de Somme ?

M. Yves Caristan - Oui, nous connaissons les modalités de l'interface entre l'eau océanique et les nappes phréatiques.

M. Thierry Pointet - L'eau reviendrait dans la nappe si le niveau de celle-ci était plus bas que celui de la mer, et si cette dernière voyait son niveau remonter dans l'hypothèse où y serait déversée l'eau pompée. Aucune de ces deux conditions n'est réalisée. De fait, la modification du régime d'écoulement des nappes vers la mer ne présente aucun risque. Les nappes s'écoulent vers le point le plus proche, c'est-à-dire vers la rivière, puis vers la mer dès que leur distance à celle-ci est de moins de dix kilomètres environ. En ce qui concerne la Somme, la majeure partie des nappes s'écoule donc vers la rivière.

Au demeurant, il s'agit de prendre garde à ne pas comparer des chiffres de débit et des chiffres de volume. Un petit débit de 1,5 m 3 pendant des jours peut engendrer un volume colossal. Il s'agit de savoir si notre intention est de nous attacher à restreindre des débits, par le pompage, ou des volumes, par le stockage dans des réservoirs.

J'aimerais vous exposer une autre idée, peut-être utopique pour l'heure. La montée de la nappe depuis l'automne représente une composante latente, insidieuse. Si nous parvenions, par des moyens modestes que sont les réseaux superficiels de drainage, à dériver vers la rivière, tant qu'elle n'est pas en cru,) une partie de cette eau de pluie arrivant au sol et ayant tendance à s'infiltrer en grande proportion vers la nappe, nous pourrions prévenir des situations de très hautes eaux de nappes.

M. Michel Souplet - Durant l'hiver, nous pourrions effectivement utiliser des stations de pompage à cet effet.

M. Yves Caristan - De fait, il s'agit là du moyen de contrôle à l'oeuvre aux Pays-Bas.

M. Jean-François Picheral - Le maire d'Abbeville ne comprend pas comment la nappe a pu l'inonder dans de telles proportions. Il prétend qu'en une nuit, l'eau est montée de 70 centimètres. La nappe en est-elle seule responsable ?

M. Thierry Pointet - Il a déjà été observé des augmentations de niveaux de nappes de dix mètres en trois jours. Dans le cas présent, la nappe est en position haute -en élévation de 70 à 100 mètres par rapport au fond de la rivière, sur les versants, et sous le plateau. Or, 100 mètres ne représentent quasiment rien par rapport aux 40 kilomètres de la largeur du bassin versant. Néanmoins, un effet moteur est à l'oeuvre, et la pression dans la nappe provoque une sortie d'eau bien plus abondante. Mais l'élévation de 70 centimètres du niveau de l'eau est certainement due aussi à d'autres facteurs, tels que les précipitations. Il s'agirait également d'intégrer dans les calculs l'influence d'éléments limitant l'écoulement spontané dans la vallée, comme les constructions.

M. Bernard Cabaret - En vérité, il est possible de suivre les nappes, et avec suffisamment de précision pour savoir à quel moment elles deviennent potentiellement dangereuses, et si le phénomène d'apport subit qui pourrait se produire peut devenir catastrophique. Nous pouvons donc mettre au point un système d'alerte du niveau des nappes, qui nécessiterait sans doute un complément au dispositif de collecte d'informations, et des outils de modélisation. La prévention est donc possible, mais suppose un travail de fond, que nous sommes capables de faire, en liaison avec d'autres services.

M. le Président - Il vous paraît donc imaginable de mettre en place un système faisant la synthèse de multiples informations sur le sol, le sous-sol et la pluviométrie, mettant en synergie différents services publics, et permettant de donner des signaux d'alerte.

M. Bernard Cabaret - Nous nous occupons du sous-sol, domaine pour lequel un tel système est possible. Il s'agit donc d'y intégrer les autres aspects en jeu.

M. Jean-François Picheral - Nous parlons d'une région d'agriculture intensive, fournissant l'agro-industrie, qui, elle, demande une sécurité d'approvisionnement. J'ai rencontré dernièrement un marchand de matériel d'irrigation, qui m'a rapporté l'indécision des exploitants agricoles entre le choix du goutte à goutte et celui, plus ancien et plus coûteux, de l'arrosage par aspersion. Quelles sont les conséquences économiques de la gestion de l'eau telle que nous pouvons l'envisager pour sécuriser la zone ?

M. Yves Caristan - Cette question demanderait une autre étude.

Dans la pratique, Monsieur le Président, votre suggestion est tout à fait envisageable. Elle est en tout cas souhaitable. Un tel système nécessiterait d'avoir une meilleure collecte et une meilleure synthèse de l'information. Peut-être faut-il qu'une mission soit officiellement donnée en ce sens.

M. le Président - Vous êtes en effet pour l'instant cantonné à un rôle de stockage d'informations.

M. Jean-François Picheral - Le département de la Somme, qui est pourtant une véritable éponge, ne possède pas de service d'annonce de crue. S'impose la création d'une cellule susceptible de recevoir les avis du BRGM sur le sous-sol, ceux de la Météorologie quant aux précipitations, et ceux des services ayant la charge de l'observation des phénomènes fluviaux.

M. le Président - Au demeurant, la pluviométrie reste l'élément central dans ce genre de phénomènes, et nous le contrôlons très mal.

M. Michel Souplet - Le problème du transfert des eaux, par des pipe-lines ou autres moyens, est déjà celui qui se pose à la Réunion, où il est envisagé de transférer l'eau, en surabondance dans une partie de l'île, vers l'autre partie où elle fait défaut.

M. Yves Caristan - Effectivement.

M. Thierry Pointet - Sur la région picarde et sur l'Artois, la difficulté est que la côte présente la même formation géologique sur 150 kilomètres. Nous ne pouvons donc transférer l'eau d'un bassin à un autre.

M. le Président - Les nappes de Douvres, et de la Picardie, par exemple, communiquent-elles ?

M. Thierry Pointet - La communication n'a pas la forme d'un échange d'eau. Sous chaque interfluve (le plateau séparant deux vallées contiguës), existe une sorte de ligne de séparation des eaux souterraines, qui ne coïncide pas nécessairement, d'ailleurs, avec la ligne de partage des eaux de surface. Par exemple, dans la partie Nord, sur la rive droite de la Somme, un petit ensemble fait partie du bassin versant s'il est considéré sous l'angle des rivières, mais est extérieur à ce bassin considéré sous l'angle des nappes.

M. le Président - Comment pouvez-vous être certain d'une telle affirmation ?

M. Thierry Pointet - Par le réseau des soixante points de mesure des réseaux de suivi régulier, augmentés d'au moins 1.200 points sur lesquels nous avons des mesures singulières (isolées dans le temps), nous pouvons avoir une idée très précise de la forme de la surface de la nappe. Or cette forme conditionne très étroitement les directions d'écoulement.

M. le Président - Il s'agit donc pour nous de préconiser un système intégré, reliant tous les services publics concernés, avec un échelon de synthèse et un service de surveillance permanente. Une telle proposition ne vous paraît-elle pas utopique ?

M. Yves Caristan - Non, il s'agit d'une proposition vraiment pertinente et importante.

M. le Président - Des systèmes de ce genre sont-ils déjà en genèse ailleurs en France ? Si nous vous le demandons, disposerez-vous du temps nécessaire à la mise en place d'un tel système, en relation avec d'autres services ?

M. Yves Caristan - Nous travaillons sur beaucoup de nappes phréatiques : dans la Beauce ; dans le bassin aquitain où les problèmes sont un peu différents car si la nappe descend trop, elle subit une intrusion d'eau salée. Ce travail est effectué en relation notamment avec les collectivités locales, la DIREN et l'Agence de l'eau. Nous avons donc déjà l'habitude d'oeuvrer sur des systèmes intégrés.

M. le Président - J'ai une dernière question à vous poser : qu'est-ce, exactement, qu'une vallée sèche ?

M. Thierry Pointet - Il s'agit d'une surface topographique résultant d'un processus d'érosion, dû à une action de l'eau (un cours d'eau ayant existé autrefois). L'alimentation de la rivière est pour une bonne part le fait d'un drainage de la nappe. Le recoupement de la surface de cette dernière et de la surface du sol donne naissance à une source. Si la surface de la nappe est en dessous du fond de la vallée sèche, il n'existe aucune source d'alimentation autre que le ruissellement ; et s'il s'agit d'un milieu très infiltrant (comme c'est le cas, souvent, en présence de vallées sèches), le ruissellement ira à la nappe, qui s'évacuera de manière occulte en milieu souterrain. Par exemple, tout le pourtour du plateau beauceron est constellé de vallées où apparaissent des cours d'eau temporaires : quand la nappe monte, les sources renaissent et les nouveaux cours d'eau évacuent le trop plein de la nappe, et dès que la nappe descend, ces cours d'eau tarissent, laissant des vallées sèches.

M. le Président - Nous vous remercions de vos interventions et des documents que vous nous avez amenés.

30. Audition de Monsieur Paul-Henri Bourrelier, ancien membre du Commissariat général au Plan, auteur du rapport « La prévention des risques naturels (28 juin 2001)

M. le Président - Nous recevons M. Paul-Henri Bourrelier, auteur d'un rapport sur la prévention des risques naturels.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Paul-Henri Bourrelier

M. Paul-Henri Bourrelier - Je suis ingénieur des Mines. J'appartiens donc à un corps qui s'occupe davantage de risques technologiques que de risques naturels. J'ai cependant été directeur général du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) pendant dix ans, et étant revenu à la fin de ma carrière au Conseil général des Mines, j'ai été chargé par le Gouvernement de faire une évaluation de la politique publique de prévention des risques naturels. La procédure d'évaluation d'une politique publique est une procédure centralisée : le Gouvernement, dans le cadre d'un Comité interministériel, décide des sujets donnant lieu à évaluation. Cette instance, composée d'experts, d'élus et de représentants des diverses administrations en faisant partie, a remis son rapport en 1998.

J'ai pris ma retraite il y a trois ans de cela, et l'année dernière j'ai publié un livre, en collaboration d'ailleurs avec pratiquement les mêmes rapporteurs, s'intitulant « Les catastrophes naturelles : le grand cafouillage ». Depuis, j'ai constitué, également avec le concours d'anciens rapporteurs, et sous la présidence de parlementaires (le député Yves Dauge en est le Président, et le député Christian Kert le vice-président), une association pour la prévention des catastrophes naturelles.

Dans le cas de la Somme, à l'instar du médecin qui n'a pas vu le malade, je ne vous apporterai rien d'aussi pertinent que les experts qui ont enquêté sur les lieux.

Quelles ont été les constations de notre évaluation, qui a duré quatre années et mobilisé plus d'une centaine d'experts et membres de la société civile ? 1982 a vu l'adoption de la loi sur l'indemnisation des catastrophes naturelles ; 1987 celle sur la sécurité civile. Le système, très étatique, déresponsabilisait la société et ne faisait pas participer les entreprises et les élus locaux. Sur l'action propre de l'Etat, nous avons constaté un certain nombre de faiblesses et d'insuffisances, et formulé des recommandations.

L'absence de participation est un trait spécifique à notre culture. Aux Etats-Unis, en Angleterre, en Allemagne, la prise en charge des risques est tout autre. Le système d'indemnisation des catastrophes naturelles a aggravé cette situation, dans la mesure où il a établi un système hybride, produit d'un compromis entre l'Assemblée nationale et le Sénat -ce dernier était opposé à la proposition très étatique que faisait la première-, partageant les rôles entre l'Etat et les assureurs. Ce système a certainement été utile. Mais, comme tout système d'économie mixte, il a dérivé. Les assureurs ont considéré qu'il revenait à l'Etat de prendre en charge l'intégralité de la prévention, et ont agi en simples exécuteurs, percevant l'équivalent d'une surtaxe, la gérant et reversant des indemnités sans se préoccuper de prévention. L'Etat fixant les taux, décidant seul de la déclaration de catastrophe naturelle est certes tout puissant, mais prisonnier de sa rigidité. En effet, il ne peut que refuser ou accepter de déclarer l'état de catastrophe naturelle, et modifier les taux de primes et de franchises, ce qu'il a d'ailleurs fait récemment. Mais ce système global, rigide, ne permet pas une liaison avec une politique de prévention. Or, la loi que vous avez votée en 1982 prévoyait explicitement un lien étroit entre la prévention et la réparation, qui a cependant été totalement ignoré. Nous avons conclu sur la nécessité de modifier ce système pour le rendre souple, lui permettre de mieux gérer la prévention, de réparer de façon intelligente et de constituer un retour d'expérience.

Sur le dispositif de connaissances, nous avons constaté un grand nombre de points faibles, qui avaient toujours pour origine le fait que l'Etat voulait se charger de tout, sans en avoir les moyens. Par exemple, à l'époque, l'Etat avait pour intention de faire des Plans de prévention des risques naturels prévisibles (PPR) dans le détail, déterminant quelles parcelles étaient constructibles et quelles parcelles ne l'étaient pas, ce qui était totalement aberrant selon les propos mêmes de M. Haroun Tazieff, d'autant qu'une loi de décentralisation avait été votée. Nous avons donc demandé un changement radical de conception, c'est-à-dire que l'Etat se concentre sur son rôle de délimitation du risque en général, en faisant par exemple un PPR à une échelle du 1/25.000ème, de façon à laisser aux communes l'interprétation de détail, l'application et le débat local. Parmi les critiques que nous avions formulées, nous avions insisté très clairement sur le fait que le système d'expertise en matière de surveillance des phénomènes météorologiques et de leurs suites, n'était pas cohérent. En effet, pour la surveillance hydraulique, la compétence est fragmentée entre plusieurs experts. Nous avons souligné que l'alerte devait être reconçue, le système actuel étant complètement obsolète, dans la mesure où, s'il existe des instruments de surveillance hautement performants, la transmission de l'alerte laisse fortement à désirer. A l'heure des nouvelles technologies, le système de transmission de l'information au maire par un gendarme à motocyclette apparaît comme totalement absurde. Tous les retours d'expérience auxquels nous avons procédé en matière d'alerte rapide montrent que la population est informée par des voies bien plus rapides que celle passant par le préfet datant du système napoléonien.

Les lois de 1982 et 1987 s'appuient sur une notion d'équité ; tout citoyen a droit à une sorte d'équivalence d'information. A l'époque, 300 PPR avaient été faits. Or environ 10.000 communes présentent un risque assez fort, attesté par le fait qu'elles ont été déclarées plusieurs fois en état de catastrophe naturelle. Il s'agissait donc de les couvrir toutes par des PPR, en prenant soin de leur laisser une part d'autonomie, et non de se concentrer sur 300 communes, en les couvrant par des PPR pénalisants, extrêmement détaillés, qui dépossédaient les maires de leur pouvoir. L'équité renvoyait donc à la couverture générale du territoire, le rôle de l'Etat étant de dire le risque et d'offrir des instruments scientifiques, en considérant les communes comme des relais.

J'ai réagi assez vivement il y a un an de cela, en constatant que, si un certain nombre de dispositions avaient été prises, bien des points étaient restés en l'état, et que le système restait donc incohérent. Mon livre, qui est en premier lieu un résumé du rapport d'évaluation, auquel s'ajoutent notamment un rapport du député Yves Dauge et une allocution de Mme Dominique Voynet, présente deux axes majeurs. Le premier est celui de la surveillance et de l'alerte. Lors des crues de l'Aude, en novembre 1999, et de la tempête en décembre de la même année, notre système d'alerte a été quasiment nul. Or, l'alerte suppose d'une part une surveillance appropriée, d'autre part une transmission dans le cas de l'avènement d'un danger. Le système de prévention relatif aux cyclones de la Réunion ou des Antilles, par sa hiérarchisation de la menace, est par exemple très efficace. L'alerte de la population n'est efficace que si le danger se révèle être réel. Il s'agit d'éviter les « fausses » alertes. En décembre 1999, par exemple, les maires des 10.000 communes considérées comme à risque avaient déjà reçu vingt-et-un messages RAM de Météo France avant celui annonçant la tempête, qu'ils ne prirent donc pas en compte.

En amont de l'alerte, la surveillance d'un bassin de risque suppose une coopération entre les divers organismes compétents pour les eaux souterraines, les eaux de surface, les sols, la météorologie. Or les progrès dans ce domaine depuis 1998 sont insignifiants ; l'intégration n'existe pas. Comme il était souligné dans le rapport, le système hydraulique est morcelé et le système de surveillance est incorrectement géré.

Au regard de la spécialisation scientifique des différents organes de surveillance (Météo France, le BRGM, etc.), je ne pense pas que le système puisse beaucoup changer à l'échelle nationale. Le principal progrès serait la définition de la mission de service public qui incombe à chacun de ces organes. Ceci étant, c'est à l'échelle des bassins de risques qu'il s'agit de constituer des équipes polyvalentes, travaillant de façon conjointe. En outre, la population locale a la mémoire des événements passés.

Cette question d'échelle est extrêmement importante. En effet, les risques dont nous sommes menacés évoluent à des échelles très diverses. Le changement climatique, naturel mais peut-être influencé par l'action de l'homme, se fait à l'échelle du siècle ou de la décennie. Il existe des échelles de temps plus restreintes ; les inondations, par exemple, déterminées par le volume des précipitations, mais aussi par l'état de saturation du sol, relèvent d'une échelle saisonnière ; le phénomène de la crue, d'une échelle de quelques jours en plaine - une crue de la Seine à Paris se prévoit à dix centimètres près au moins quatre jours à l'avance. Enfin, les crues éclair, en montagne, relèvent d'une échelle de temps horaire. Les dispositifs de vigilance doivent être adaptés en conséquence. Or les différents organismes disposent de la compétence nécessaire à cet effet ; il nous reste à mettre en place une couverture nationale de surveillance et de vigilance.

Je maintiens totalement les critiques formulées dans mon rapport : notre système d'annonce des crues est totalement caduc, l'appellation de crue désignant d'ailleurs un ensemble de phénomènes forts différenciés. En outre, le système de surveillance des crues est juridiquement extrêmement bizarre, l'Etat étant désigné comme l'acteur unique de cette surveillance mais ne se voyant attribuer aucune obligation. Enfin, nous avons constaté que des zones importantes ne sont pas couvertes par un système d'annonce des crues.

Par la télédétection, par des instruments de modélisation géographique tout à fait au point (SIG...), les zones de risques peuvent parfaitement être déterminées. Il y aura toujours des aléas, mais il est possible d'avoir une idée de leur imminence ou de leur aggravation, et d'établir un système de vigilance approprié.

La planète Terre est un système très instable, qui connaît des sauts brutaux, et qui doit être surveillé, compris. Tout indique que nous sommes entrés dans une période relativement instable - quelles qu'en soient les causes. Il s'agit donc d'être vigilants, non seulement sur les phénomènes isolés, mais aussi sur leur combinaison.

Je crois qu'au niveau des inondations, de nombreuses actions peuvent être menées. A la faveur des réparations après inondation, il est en effet possible d'utiliser des matériaux résistant à l'humidité, de surélever les prises de courant, de prévoir les règles d'évacuation, etc. Ces mesures, qui permettraient de réduire les dommages de façon très importante, devraient être l'objet d'incitations, par exemple par le biais d'indemnisations supérieures. De même, des incitations financières seraient bien plus efficaces que des mesures d'expropriation pour déplacer les populations se trouvant sur des zones à risques.

Le constat que je viens de vous exposer est aussi celui de l'Office parlementaire, qui a rendu un excellent rapport, sous la signature de M. Christian Kert ; il rejoint également les conclusions de la commission d'enquête sur les inondations de l'Assemblée nationale de 1994 ; et est conforme à toutes les comparaisons internationales faites dans le cadre de la Décennie de la prévention qui s'est achevée l'an dernier.

M. le Président - Des changements sont en cours. En ce qui concerne l'indemnisation, par exemple, des arrêtés ont modifié les franchises et les taux. Ces mesures vont-elles dans le bon sens ?

M. Paul-Henri Bourrelier - Oui, mais le temps presse.

M. le Président - Par ailleurs, les financements ont été augmentés. La prévention des risques fait davantage l'objet de l'attention générale. Il existe une demande pour une accélération de l'élaboration des PPR. Au niveau des quelques PPR qui ont été publiés, avez-vous des erreurs à dénoncer ?

M. Paul-Henri Bourrelier - Non. Mais le problème principal est l'urgence : nous devons couvrir l'ensemble des zones à risque le plus rapidement possible, au besoin avec une échelle un peu lâche, quitte à la corriger par la suite. Tant que la moitié ou les trois quarts des communes ne sont pas couvertes, nous sommes au milieu du gué. Il s'agit d'accélérer le processus, et d'utiliser l'ensemble de l'information disponible.

En matière d'alerte, nous devons constater que les moyens ont évolué. La population, aujourd'hui, a un niveau de connaissance bien plus élevé qu'auparavant, et dispose d'outils nouveaux (Internet) ; il est logique que sa frustration par rapport au système s'accroisse. Je fais aussi partie du Comité de la prévention et de la précaution, qui s'occupe de la santé. J'ai un débat presque permanent avec un certain nombre de médecins qui affirment que la santé n'a jamais été aussi bonne en France qu'aujourd'hui. Ceci n'empêche pas des phénomènes de panique. Le problème de la sécurité doit, en fait, être appréhendé compte tenu de l'attente des populations.

M. le Président - De même, la sécurité alimentaire n'a jamais été aussi bonne. Or, nous constatons, dans ce domaine également, des phénomènes de panique de grande ampleur.

M. Paul-Henri Bourrelier - En effet, il s'agit de faire comprendre très rapidement aux gens les capacités des systèmes, mais aussi leurs limites, et de les impliquer. La sécurité ne peut être absolue. Les gens perçoivent ce qu'est un risque ; il reste à leur donner un système cohérent, par rapport auquel ils puissent prendre leurs responsabilités. Je ne crois pas qu'il faille interdire la construction des maisons près des rivières ; sinon, il serait logique d'interdire également la construction en montagne, sur le littoral, dans les départements d'outre-mer, etc. Les avertissements doivent être clairs, les signaux nets. Il s'agit effectivement de ne plus construire là où le risque est vraiment fort. Mais il faut aussi laisser les gens assumer leurs responsabilités de façon intelligente.

M. le Président - Sur les systèmes d'alerte décentralisés, je pense qu'il nous faudra réfléchir aux moyens d'alerter les populations, y compris dans le cas d'interruptions de courant électrique. J'avais participé, avant le bug annoncé, à deux séances organisées par EDF ; il avait été préconisé, dans quelques grandes villes, la mise à disposition de véhicules équipés de hauts parleurs, qui permettaient d'alerter la population en cas de coupures de téléphone et de courant.

M. Paul-Henri Bourrelier - Les crues de la Loire du siècle dernier faisaient à chaque fois des centaines de morts. Nous n'en sommes plus là, mais il faut en effet faire très attention aux vulnérabilités nouvelles.

M. le Président - Les moyens existent, encore faut-il les mettre en concordance.

M. Paul-Henri Bourrelier - L'intercommunalité est également un point important. Des grandes villes comme Marseille, Nîmes ou Avignon ont quasiment leur propre service météo, et peuvent informer des communes voisines. Mais des questions de responsabilités les incitent à la prudence quant à la diffusion de l'information. Il s'agit donc de repenser ces systèmes, à mon avis sous l'égide des conseils généraux, voire des conseils régionaux. Il est d'ailleurs à remarquer que les systèmes d'information n'ont qu'un faible coût par rapport à celui d'ouvrages en durs (barrages..).

M. Jean-François Picheral - Il nous faut vraiment créer un système d'alerte dans la Somme, et en faire un exemple.

M. Paul-Henri Bourrelier - J'ajouterai qu'en matière de sécurité, il me semble que c'est le ministère de l'Intérieur qui peut être le garant d'une coordination générale. Le préfet, quant à lui, a plus que jamais un rôle d'animation, et de coordination également. Le ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement est habilité et pertinent lorsqu'il s'agit de l'aménagement général du territoire, c'est-à-dire de l'aménagement des bassins et de la loi sur l'eau.

M. Jean-François Picheral - Il me semble que le ministère de l'Environnement est un charmant ministère, mais qui est encore dans son adolescence. Le ministère de l'Intérieur est l'un des plus anciens, et emploie de très hauts fonctionnaires qui disposent d'un savoir plus important. Il est normal que le ministère de l'Environnement participe au système de surveillance et d'alerte, mais lui en laisser la responsabilité entraînerait à mon avis une perte de temps.

M. le Président - Dans certaines régions, les DIREN en sont encore à leurs balbutiements.

M. Paul-Henri Bourrelier - Je suis allé à de très nombreuses reprises aux services centraux de la Sécurité civile. Il s'agit d'un petit poste du ministère de l'Intérieur, qui dispose de très peu de moyens au niveau central. Il s'agirait d'instituer réellement une direction de la Sécurité, qui dispose d'outils modernes et fonctionne conjointement avec la Santé - de fait, le ministère de la Santé dispose d'un certain nombre de moyens, mais il doit s'appuyer sur les préfets.

M. Jean-François Picheral - La Sécurité civile est constituée pour une grande partie par des militaires. Nous avons eu à nous féliciter, dans la Somme, de la qualité technique de l'apport de l'armée. D'une manière générale, il s'agirait de donner davantage de pouvoirs à M. Michel Sappin, directeur de la défense et de la sécurité civiles.

M. Paul-Henri Bourrelier - Je partage votre sentiment sur ce point.

M. le Président - Monsieur Bourrelier, je pense que nous avons bien compris l'orientation de vos travaux, et nous en tirerons profit.

31. Audition de MM. Bernard Menasseyre, président de la 7ème Chambre de la Cour des Comptes, et Marc Le Roux, rapporteur des affaires d'inondation à la Cour des Comptes (28 juin 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons MM. Bernard Menasseyre, président de la 7ème chambre de la Cour des Comptes, et Marc Le Roux, rapporteur des affaires d'inondation à la Cour.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Bernard Menasseyre et Marc Le Roux

M. Bernard Menasseyre - Je tiens à préciser que j'ai bien pris connaissance des questions que vous m'avez transmises, et je vais limiter mon propos liminaire à l'exposé de la nature des contrôles que la Cour a pu faire, et dont vous avez pu constater qu'ils avaient abouti à une insertion à notre rapport public général de 1999.

M. le Président - Avec quelques préconisations et critiques, que nous avons relevées.

M. Bernard Menasseyre - Faire des critiques et, autant qu'il lui est possible, des recommandations, relève du rôle de la Cour des comptes.

Cette partie limitée du rapport public, vous l'avez constaté, ne comporte qu'un nombre restreint de pages (une vingtaine, non comprises les observations que les Ministres ont pu faire en réponse aux observations de la Cour). L'exercice est contraint dans son énoncé, et dense. De nombreuses observations qui y figurent mériteraient d'être développées et suivies d'explications plus complètes. Néanmoins, le mérite de ce type d'intervention est de pouvoir faire une synthèse - il s'agissait de notre objectif. J'ai bien relevé, Monsieur le Président, que la Commission d'enquête que le Sénat a constitué, avait insisté sur un certain nombre de points, qui correspondent pour partie au sujet que nous avons traité. J'ai bien relevé que vous aviez noté la complexité de l'organisation administrative en matière de lutte contre les inondations, et qu'il était nécessaire que vous puissiez faire des recommandations qui impliqueraient les collectivités territoriales. J'ai noté également que vous aviez souhaité qu'il y eut une analyse et une évaluation des dispositifs existants en matière de prévention des risques d'inondation et, en particulier, de leur mise en oeuvre dans le bassin de la Somme. Enfin, vous souhaitez que les responsabilités en matière d'entretien des rivières, de maîtrise de l'urbanisation, d'aménagement de l'espace, ou d'évolution des pratiques agricoles, soient aussi traitées par votre commission. C'est en connaissance de cause que je vous livre ces quelques éléments d'information.

Je vais presque directement aux conclusions de la Cour, quitte à revenir sur la manière dont nous avons travaillé. Je serai très bref. Nous avons, en conclusion de notre insertion, relevé que, incontestablement, depuis 1994, des efforts financiers avaient été accomplis. Ceci s'exprime par exemple dans l'élaboration et la mise en oeuvre d'un plan décennal de lutte contre les inondations qui représente quelques dix milliards de francs. Nous avons bien pris en considération cette aide financière, ce qui n'a pas apaisé les critiques que nous avons formulées. En effet, il nous semble que les aspects financiers sont loin, bien qu'ils soient utiles, de régler le problème dans sa complexité et dans sa nature.

Nous sommes arrivés à trois constats essentiels. D'une part, le risque d'inondation est mal connu. D'autre part le cadre juridique dans lequel il est traité est obsolète. Enfin, l'organisation administrative, au sens large, de l'Etat, est défaillante.

J'insisterai sur trois points : Pourquoi la Cour a-t-elle traité ce sujet ? Comment l'a-t-elle traité ? Quelles sont la portée et la limite de ce contrôle ?

Pourquoi la Cour a-t-elle traité ce sujet ? La Cour n'est pas une société académique d'hydrographes ou de géographes. La Cour est chargée du contrôle de la régularité des opérations, et comme l'a écrit, d'ailleurs, Napoléon en 1807, du contrôle du bon usage des deniers publics. La 7ème Chambre, à laquelle j'appartiens, et que je préside, peut, dans la limite de ses compétences, toucher d'assez près les différents aspects relatifs à la prévention des inondations - puisque nous avons compétence pour contrôler les crédits du ministère chargé de l'environnement et de ses établissements publics, ceux du ministère chargé de l'équipement, de son administration centrale et de ses services déconcentrés, et pour examiner tout ce qui concerne le ministère chargé de l'agriculture.

Sur cette base, trois considérations ont guidé la Cour pour choisir de traiter ce sujet, hormis l'importance du risque d'inondation pour les biens et les personnes, qui est fondamentale. Nous avons constaté que le problème que nous avions à traiter était d'une incidence potentielle considérable sur les finances publiques, sur les finances de l'Etat, qui est l'assureur en dernière analyse des dommages que les inondations peuvent susciter, mais aussi sur les finances des collectivités territoriales, pour lesquelles nous n'avons pas compétence. Le deuxième élément était que nous souhaitions porter un diagnostic sur l'usage du crédit et l'organisation administrative, en termes d'effectifs, d'articulation des services, pour pouvoir apprécier, à travers une situation de cette nature, comment l'Etat et ses service pouvaient agir pour parvenir au meilleur résultat possible. La troisième considération, qui est à mon sens tout aussi essentielle, est que nous avons été frappés, au cours de l'enquête, par l'absence de suite réservée à des grandes enquêtes qui ont eu lieu sur ce sujet. Quand nous avons commencé à explorer cette question, en 1996, nous avons observé qu'il y avait eu des travaux de très grande importance et de portée très significative (une enquête du Conseil Economique et Social de 1957, une enquête de M. Haroun Tazieff de 1983, une enquête de l'Assemblée nationale de 1994, une autre de 1997), qui n'avaient pas été suivis d'effets. D'où cette idée que bien souvent, en matière de risque naturel, et en particulier d'inondation, l'oubli de ce qui est arrivé ou de ce qui a été prescrit, est un élément dont il faut tenir compte. En effet, en ce domaine, il ne semble pas que l'expérience instruise suffisamment. Voilà les raisons pour lesquelles la Cour s'est penchée sur le sujet.

Quelles méthodes d'élaboration la Cour a-t-elle mises en oeuvre ? Il faut savoir que la Cour procède de façon contradictoire et collégiale. Ce point est important pour la suite des observations et l'usage que l'on pourrait en faire. Nous avons en effet travaillé par rapports successifs, qui ont conduit à l'élaboration d'un document que nous avons appelé « Relevé de constatations provisoires », que nous avons adressé, comme il convient, aux différents services des ministères que j'ai cités, en y ajoutant, d'ailleurs, les ministères de l'Intérieur et des Finances. Nous avons complété les réponses écrites qui nous ont été données par des auditions, où les représentants des différents services sont venus devant nous. Cette procédure étant achevée, il a été possible au Premier Président d'adresser un référé aux ministres - ceci a eu lieu fin 1998 -, avec copie au Premier ministre. C'est après ces réponses que nous nous sommes décidés collégialement à prévoir une insertion au rapport public. Je crois que nous devons souligner que ce travail, qui a donné lieu à une publication, ne peut être séparé des réponses que l'administration lui a apporté. Or, il est souhaitable, et même indispensable, que l'on puisse lire d'un même oeil les observations de la Cour et les réponses qu'elles ont suscitées. En effet, il y a là autant de traces des accords sur les points qui nous ont rapproché, que des désaccords qui y figurent - et les désaccords sont souvent source d'interrogations pour le lecteur. Nous n'avons pas, bien évidemment, eu la possibilité de discuter ultérieurement, mais j'appelle votre attention sur la nécessité de relier les observations et les remarques qui nous été faites. Il s'agit, non pas d'un travail pouvant être identifié comme celui d'un rapporteur ou d'une Chambre, mais d'un travail engageant la Cour, c'est-à-dire celui d'une institution collégiale qui s'est prononcée au plus haut niveau par le rassemblement de tous les conseillers, et présidée par le Premier Président.

Quelles sont la portée et la limite de ce contrôle ? Bien évidemment, la publication de la Cour a une visée exhaustive, et ceci en dépit du faible nombre de pages qu'elle comporte ; elle est nécessairement synthétique, sur des sujets complexes, en particulier pour ce qui concerne l'analyse juridique des responsabilités qui peuvent être mises en cause, qui demanderaient des développements beaucoup plus importants que ceux que nous avons pu leur donner. Par ailleurs, cette publication avait pour objet d'informer les pouvoirs publics, mais aussi l'opinion publique. Nous avons constaté, sans y attacher une importance considérable, parce que malheureusement nous savons quel est le sort que l'actualité réserve à quelques publications, que cette insertion au rapport public avait été abondamment citée. Pour tempérer cet acte de satisfaction, j'observe qu'après la publication, il n'y a pas eu beaucoup de mesures précises qui ont été prises, autant qu'on puisse en juger. Les membres de cette juridiction sont animés par une forme de scepticisme actif - nous pensons que nous sommes fort utiles, mais à long terme. Sur ce sujet, seuls les sinistres donnent en quelque sorte un écho particulier aux observations de la Cour. Car, juste avant la publication de la Cour, mais après que celle-ci eut été finalisée, nous avons connu dans l'Aude des inondations très graves, meurtrières, et qui malheureusement ont constitué une manière d'introduction à la lecture, par les destinataires du rapport public, de ce que nous y avons écrit. Et ce qui s'est passé depuis est l'illustration malheureuse de ce que nous avons énoncé, que nous avons tenté de mettre en application.

En ce qui concerne la Somme, il faut se référer à l'annexe de l'insertion au rapport public : vous pourrez observer que dans le cas de la Somme, le plan de prévention des risques ne présente aucune prévision, ni aucune exécution. Le plus simple est que M. Marc Le Roux puisse brièvement vous donner les réflexions qu'il a pu faire sur la situation spécifique de la Somme, mais néanmoins éclairante du point du vue d'une réflexion générale.

M. Marc Le Roux - Les inondations très graves de la Somme sont un exemple dramatique, mais ne sont hélas qu'un exemple parmi d'autres de ce qui peut se reproduire ailleurs.

Je souhaiterais à la fois souligner les éléments qui sont tout à fait communs aux inondations de plaine et à ce que la Somme a subi, et les éléments qui pourraient être considérés comme plus spécifiques, sans pour autant annihiler ou modifier fortement la présentation générale du problème.

Les grandes inondations de la Somme ont été la conjonction de deux phénomènes naturels : une pluviométrie exceptionnelle dans les quelques semaines qui ont précédé la montée des eaux, mais aussi - ce qui est très important puisqu'on le retrouve dans l'histoire des grandes inondations - une situation de saturation profonde des sols, dont la nappe phréatique affleurait depuis déjà plusieurs mois. Les années précédentes, il était pourtant craint une situation de grande sécheresse. Les évolutions naturelles peuvent donc être très fortes et inversées. A titre de comparaison, cette conjonction, et notamment l'effet de saturation des sols, se retrouve dans la grande inondation de la Seine de 1910, dans celle du Mississippi de 1993, et en partie dans celle de l'Oder, en Pologne, en 1997.

Il est clair que l'action de l'homme, lorsqu'il imperméabilise les sols, a une incidence négative ; mais celle-ci apparaît de second ordre dans le cadre d'une grande inondation de plaine, puisque les sols étaient eux-mêmes devenus imperméables du fait de leur saturation.

La Somme est très représentative des grandes inondations de plaine. Ses particularités tiennent d'une part à la faiblesse de l'écoulement naturel du fleuve, qui est un fleuve côtier. La proximité de la mer (et notamment l'influence des marées hautes) a entravé l'écoulement des eaux ; il s'agit là d'un facteur explicatif de la longue durée de l'inondation de la Somme. Une seconde caractéristique très particulière de la Somme est l'absence de culture d'inondation, qui semble pouvoir se déduire du défaut de plan de risque d'inondation dans la Somme. Nous avons établi en quelque sorte un palmarès de l'élaboration des plans de risques d'inondation, dont les premiers remontent à 1935 (il s'agit des PSS, plans de surfaces submersibles), suivis des périmètres de risque (art. R 103 du Code de l'urbanisme), puis des plans d'exposition aux risques de 1982, le Parlement s'étant à plusieurs reprises penché sur la question pour mettre en oeuvre de nouveaux instruments. Dans le cas de la Somme, non seulement les plans n'ont pas été élaborés, mais n'ont pas même été prescrits.

Les PSS répondaient à un double objectif essentiel : assurer l'écoulement des eaux et aménager des aires d'expansion aux crues. Il se trouve qu'aucune des régions de l'Ouest, de la Vendée à la Picardie, n'a donné lieu à prescription de ce type de plan. On peut considérer que les services de l'Etat, mais aussi les collectivités locales, n'ont pas été conscients du risque d'inondation de la Somme. La précédente grande inondation remontait à 1939, période trouble, au regard de laquelle l'on peut comprendre que la mémoire se soit un peu estompée.

Un érudit du 19ème siècle, Monsieur Champion, avait fait un inventaire de l'ensemble des inondations en France depuis le 6ème jusqu'au milieu du 19ème siècle. Son ouvrage vient d'être réédité.

Se pose notamment la question du choix de l'aléa de référence, c'est-à-dire du niveau de la crue qui va être pris comme référence, s'il s'agit de trouver un dispositif de protection du patrimoine existant. Les constructions en zone inondable, certes, n'ont pas été maîtrisées pendant de nombreuses années, notamment en raison de l'oubli de la menace.

Nous pouvons aussi mentionner, comme l'a fait M. Haroun Tazieff, qu'il est impossible de neutraliser une grande zone (500 mètres) sur chaque rive d'un grand fleuve. La protection des grandes cités urbaines mérite donc une approche particulière. Si pour le futur il s'agit de juguler l'urbanisation de ces zones, il est nécessaire d'imaginer pour aujourd'hui des formes de prévention mais aussi de protection. Parmi les formes de prévention imaginées, l'une des questions de votre Commission traite notamment de l'annonce des crues. Cette dernière, en régime de crue de plaine, permet d'évacuer en temps utile les populations, et de remonter les meubles à un niveau suffisant.

Dans le cas de la Somme, dont le sol est friable, ont eu lieu des tassements différentiels, des affaissements de maisons, dont certaines ne sont plus habitables, à tout le moins vendables. Il semble que la quantité d'eau qui devait être évacuée était trois fois supérieure à la capacité d'écoulement du fleuve. Un défaut de curage éventuel du fleuve et du réseau afférent a été mis en cause. Mais un rapport du Gouvernement semble démontrer que le conseil général, qui avait la responsabilité, après transfert, de la gestion de l'entretien du fleuve, a parfaitement assumé son obligation. Au demeurant, face à l'ampleur des débits à écouler, un défaut de curage ne peut être considéré comme une cause décisive de l'ampleur de l'inondation. En outre, l'Etat a, au titre de la police des eaux, la responsabilité de veiller à ce que les responsables de l'entretien des cours d'eau pratiquent les actions adéquates.

En conclusion, la Somme nous paraît bien être un exemple assez représentatif de la situation des inondations de plaine.

M. le Président - Merci de cet exposé.

M. Jean-François Picheral - Nous abondons tout à fait dans votre sens, si ce n'est que nombre de personnes que nous avons entendues nous ont exposé des causes beaucoup plus nombreuses. Le curage, comme la prévention, par exemple, méritent d'être affinés. Notre travail en commun devra apporter une grande pierre dans cette grande mare...

M. Marc Le Roux - J'aimerais revenir, Monsieur le Président, sur l'analyse multicausale. L'une des grandes difficultés de votre Commission et de celle de l'Assemblée nationale, ainsi que des commissions précédentes, est l'identification d'un grand nombre de causes, sans qu'il soit possible de hiérarchiser précisément celles-ci.

M. Jean-François Picheral - Depuis 48 heures, nous avançons énormément sur la connaissance de l'évolution des nappes phréatiques, et nous pourrons dès demain mettre en oeuvre des procédés de prévention adaptés.

M. le Président - Il apparaît que la zone qui nous intéresse ne présente pas une culture du risque d'inondation. Dans les travaux que vous avez conduits, quelles sont vos réflexions actuelles quant à la diffusion de la connaissance du risque ?

M. Bernard Menasseyre - D'une manière générale, nous avons constaté sur ce point, d'une part l'existence, dans le temps, d'instruments juridiques d'information extrêmement variés, disparates, dont la qualité est pour le moins variable -nous sommes en présence de strates successives de documents qui, au fond, correspondent aux préoccupations successives du législateur- ; d'autre part le retard important qui a été pris dans la prescription de ces documents. La prescription, la connaissance du risque, relèvent indiscutablement de la responsabilité de l'Etat. Nous sommes cependant loin d'en être restés à un stade rudimentaire. Nous avons bien noté qu'après l'intervention de la Cour, des mesures avaient été prises, des crédits octroyés ; un effort a été accompli pour accélérer la mise au point des instruments nécessaires à l'information et à la connaissance du risque. Néanmoins, d'après les informations que nous avons pu rassembler, en dépit d'efforts très importants, récents et moins récents, nous n'aurons pas une couverture ou une connaissance du risque suffisante à l'échelle de la France avant presque deux décennies. J'observe à regret que bien souvent les catastrophes les plus importantes se sont produites dans les zones où il y aurait eu nécessité d'une bonne connaissance du risque. Nous avons par exemple constaté que dans l'Aude, les documents étaient insuffisants.

Nous avons aussi constaté que les grandes cités fluviales étaient souvent dans l'ignorance du risque qu'elles encouraient, ce qui est très inquiétant, en particulier pour tout ce qui touche l'Ile-de-France. Nous avons également relevé l'insuffisance des documents disponibles pour une large partie de l'Ouest et du Nord de la France. Nous sommes dans une situation où un redressement à cet égard a incontestablement lieu, lequel, cependant, ne permet pas, dans l'état actuel des choses, de garantir une connaissance suffisante du risque.

Aurait-on une connaissance satisfaisante du risque, encore faudrait-il en tirer, pour ce qui concerne les documents d'urbanisme, les conséquences adéquates. Nous constatons en effet que la traduction de l'information en prescription est aussi un sujet d'inquiétude. Nous avons relevé, après la décentralisation, et au regard des compétences données aux collectivités territoriales en matières de plans d'occupation des sols et de permis de construire, une difficulté incontestable pour tirer de la connaissance du risque les conséquences qui s'imposent pour l'urbanisme et l'urbanisation. Nous avons ainsi été amenés à souligner qu'il y avait une responsabilité conjointe des élus locaux et de l'Etat -et en particulier des Directions départementales de l'Equipement et des préfets-, qui a un rôle à jouer pour porter le risque à la connaissance des élus locaux ; obtenir de ces derniers qu'en soient tirées les conséquences ; et dans l'hypothèse où cela ne suffit pas, mettre en jeu, par le contrôle de la légalité, les décisions que les collectivités territoriales pourraient prendre. Je constate qu'il s'agit là d'un jeu difficile, où la responsabilité de l'Etat est essentielle, mais également partagée.

M. le Président - Quant à l'indemnisation des sinistrés, quel est votre avis sur l'état actuel de la réglementation ?

M. Bernard Menasseyre - Notre position sur ce point était clairement exposée dans le rapport public. Nous avons affaire à un mécanisme qui, au fond, par le jeu de la déclaration de l'état de catastrophe naturelle d'une part, le rôle donné aux compagnies d'assurance d'autre part, est un système dans lequel a été organisée une forme de déresponsabilisation, et dans lequel les assureurs sont réduits à un rôle de guichetiers, très éloigné de leur fonction naturelle. Ce mécanisme apparaît ainsi plutôt comme une forme de fiscalité déguisée, avec un système de redistribution, alors que la loi (qui date de 1982) avait un volet préventif qui a été totalement abandonné. Nous nous sommes inquiétés de savoir, par exemple, s'il n'y avait pas un moyen, qui nous paraît indispensable, de faire supporter les conséquences à ceux qui, en connaissance de cause, prennent le risque d'installer leur bien (habitation ou entreprise) sur une zone à risque. Il s'agirait notamment de mettre en oeuvre un système de surprime, qui n'est pas, aujourd'hui, véritablement modulé et ne présente aucun caractère conduisant à une forme de dissuasion pour le risque en cause.

J'aimerais rapprocher l'observation de la Cour et la réponse du ministère de l'Economie et des Finances, qui, au nom de la solidarité nationale, refuse l'idée d'une modulation de la surprime.

M. Paul Raoult - Votre raisonnement, effectivement, semble juste. Mais lorsque, par exemple, par suite de pratiques culturales en amont ayant provoqué une érosion des sols, une inondation a lieu, il me semble abusif que les habitants de l'aval en assument les conséquences en termes financiers. Il est impossible d'échapper à une réflexion d'ensemble sur le bassin hydrographique tout entier, où s'impose la mise en oeuvre d'une solidarité de l'amont vers l'aval, ou de l'aval vers l'amont. La recrudescence des inondations témoigne bien, par ailleurs, de l'apparition de nouvelles causes.

Il s'agit notamment d'imposer à l'ensemble des communes, par le biais de la loi, l'obligation d'entrer dans un jeu d'action intercommunale dans le cadre d'un espace donné. Il s'agit d'une responsabilité de l'Etat. Nous sommes là à la croisée de la puissance régalienne et de l'action « normale » de ce que doit être la commune ou l'intercommunalité.

M. Bernard Menasseyre - Monsieur le Sénateur, vous offrez là un champ de réflexion important, qui déborde évidemment le cadre de l'assurance, et qui a retenu l'attention de la Cour. Nous avons en effet qualifié le dispositif juridique d'archaïque, d'obsolète. Nous avons jeté un oeil sur les textes qui définissent les responsabilités respectives de l'Etat, des collectivités locales et des riverains. Nous avons constaté que le texte de base est une loi de 1807 sur le dessèchement des marais, qui a pris naissance dans un cadre juridique, historique, sociologique, qui n'existe même plus, aujourd'hui, à l'état de vestige. Il est cependant toujours considéré que ni l'Etat, ni les collectivités locales ne sont responsables de la protection des eaux non domaniales, et que seuls les propriétaires riverains le sont. Cette loi a été l'objet de critiques et de rectifications dès le 19ème siècle. Nous sommes, dans un tel système, en présence d'une forme juridique d'irresponsabilité organisée et intangible. La Cour a affirmé la nécessité de revoir le dispositif juridique d'ensemble. Au demeurant, ce domaine relève du législateur.

M. le Président - Merci Messieurs.

32. Audition de M. Claude Allègre, ancien ministre, ancien président du Bureau de recherche géologiques et minières (10 juillet 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui M. Claude Allègre, ancien ministre, ancien président du Bureau de recherche géologiques et minières.

Nous l'interrogerons sur le rôle du Bureau de recherches géologiques et minières et sur la question des nappes phréatiques. Mais nous parlerons de bien d'autres choses, puisque la parole est libre, et, monsieur le ministre, vous nous direz tout ce que vous pensez du dossier « inondations ».

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Claude Allègre .

M. Claude Allègre - Il faut d'abord savoir, c'est un point important, que les inondations de la Somme relèvent d'un type particulier qui n'est pas celui que l'on rencontre généralement en France.

Cela étant, j'écris depuis des années dans mes livres qu'il est absolument inéluctable que les inondations aillent en augmentant.

Quand j'étais président du BRGM, j'ai écrit au ministre de l'Intérieur de l'époque, qui préparait un plan d'aménagement du territoire, en insistant sur la nécessité d'aménager également le sol et le sous-sol. Je n'ai eu aucune réponse. J'ai ensuite écrit à tous les présidents de région -qui, eux, m'ont répondu- pour leur proposer de passer avec le BRGM un contrat portant à la fois sur la prévention et sur l'aménagement du territoire proprement dit. Des discussions ont eu lieu, qui n'ont pas abouti. Je m'étais pourtant donné beaucoup de mal !

Par la suite, lorsque j'ai été ministre, qui plus est chargé de la recherche et de la technologie, j'ai suggéré au ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement de se préoccuper du sol et du sous-sol. J'ai été gentiment écouté, mais cela n'a servi strictement à rien.

J'insisterai sur plusieurs points.

Premièrement, les intempéries vont s'accentuer, notamment parce que le climat de type cyclonique, qui ne concernait jusqu'à présent que la zone intertropicale, monte maintenant dans l'Atlantique nord : la semaine dernière encore, une trombe a frappé un village et un seul. Ce type d'événements va se généraliser, et c'est un fait nouveau.

Deuxièmement, si rien n'est fait, la fréquence des inondations va augmenter.

Troisièmement, et c'est là une prédiction, les glissements de terrain vont devenir catastrophiques.

Je suis fatigué de dire tout cela et que cela ne serve strictement à rien parce que, en France, on se gargarise avec le principe de précaution, mais la prévention n'existe pas. Il existe bien un plan d'organisation des secours, le plan ORSEC, mais il n'y a pas de plan de prévention : on passe son temps à gérer les crises. On le fait d'ailleurs très bien, mais cela continuera si rien n'est fait.

Quatrièmement, vous savez que le BRGM était, lorsque j'en ai pris la présidence, un organisme hybride - c'était une de ces fameuses constructions des années 1970 ! -, à la fois service public et entrepreneur. Je l'ai ramené, non sans mal, au sein du service public pour qu'il y fasse ce que précisément il doit faire, c'est-à-dire jouer le rôle de service géologique national -on en trouve dans d'autres pays- et s'occuper du sol, du sous-sol, des mines abandonnées, etc.

Je voudrais insister sur ce dernier point : l'unicité du service géologique national.

Aux États-Unis, par exemple, le cycle de l'eau est entièrement entre les mains de l'US Geological Survey, l'USGS. En France, il concerne cinq ministères : l'eau qui tombe relève de la météorologie nationale, c'est-à-dire du ministère de l'Equipement ; l'eau qui ruisselle sur le sol, du ministère de l'Agriculture ; l'eau qui est collectée en rivières, du ministère de l'Environnement ; l'eau souterraine, du ministère de l'Industrie. Enfin, le ministère de la Recherche est également plus ou moins concerné à divers titres. Or, tant que nous ne disposerons pas d'un organisme unique, nous n'avancerons pas.

En outre, la France n'a pas de service hydrologique. Elle a des services hydrogéologiques, qui s'intéressent aux nappes souterraines - et je pense que le BRGM fait bien son travail -, mais elle n'a pas de service hydrologique pour étudier les rivières de manière régulière, même si cette question, bien sûr, est liée à l'hydrogéologie, puisque l'eau qui coule dans les rivières provient des nappes phréatiques, il n'y a pas de mystère.

Par ailleurs, des lois invraisemblables ont été adoptées. Par exemple, il est interdit de draguer les rivières sous prétexte que l'on en modifie ainsi le lit.

La Somme est à moitié ensablée. Si elle avait été draguée, l'eau se serait très rapidement évacuée ! La Loire connaîtra également des problèmes, car elle est complètement ensablée. Qui plus est, si on la draguait, le secteur des travaux publics aurait probablement suffisamment de sables et de graviers pour au moins cinq ans, ce qui éviterait les ouvertures de nouvelles carrières et les manifestations et autres qui les accompagnent. Les entrepreneurs de cette branche avec lesquels je discutais récemment aimeraient bien draguer le fleuve, mais la loi le leur interdit.

Si l'on veut éviter les dégâts provoqués par les inondations, il sera très important de faire un bilan de l'ensablement des fleuves français et de ceux - c'est le cas pour plusieurs d'entre eux - qui doivent être dragués. C'est tout bête : si les tuyaux sont bouchés, l'eau ne s'évacue pas !

Mais je crains de continuer à prêcher dans le désert, pour des raisons inexplicables.

Je pourrais vous tenir de grand discours sur les idées socialistes ; je ne le ferai pas. Elles comportaient cependant une notion intéressante - le général de Gaulle lui-même en était tout à fait partisan -, c'était la notion de plan, l'« ardente obligation ». Aujourd'hui, toutes les grandes entreprises ont un plan à quatre ans, mais l'État n'en a plus.

M. François Gerbaud - Tout à fait !

M. le Président . Sous un gouvernement socialiste !

M. Claude Allègre - Sous un gouvernement socialiste, mais surtout sous un gouvernement qui, comme les précédents, est un gouvernement énarchique dans lequel c'est la technostructure qui gouverne, c'est tout !

Ce problème d'aménagement du territoire me taraude, parce qu'il est lié à celui des sols. Il faut entre 5.000 et 10.000 ans pour faire un sol. Or on est en train de perdre environ deux ou trois millimètres de sol par an. Comment va-t-on les reconstituer ? Va-t-on fabriquer des sols artificiels ? Que va-t-on faire ?

Ce sont des problèmes sérieux, qu'il faut traiter. De vous à moi, j'ajouterai que, si on le faisait, on verrait apparaître une véritable industrie écologique qui créerait des entreprises et des emplois en province, à la campagne, au lieu que les habitants de ces régions viennent s'accumuler dans les villes. Ce serait donc extrêmement utile. Mais j'ai l'impression de prêcher dans le désert. On m'écoute poliment, on me dit : « Oui, c'est bien, vous êtes un grand savant... Mais parlons un peu de choses sérieuses, par exemple de prolonger telle autoroute. »

Voilà pour les inondations : vous pouvez vous préparer à constituer une commission d'enquête permanente, parce qu'elles vont continuer.

M. le Président - Je vous remercie de ces propos préliminaires. Vous ne pratiquez pas la langue de bois, nous le savions, et vous confirmez un certain nombre de lignes de force que nous avons découvertes depuis deux mois que nous traitons de ce sujet.

Avant de laisser la parole au rapporteur, je souhaiterais revenir sur quelques-uns des points que vous avez développés.

Les intempéries, les phénomènes extrêmes, dites-vous -et je pense comme vous-, vont s'accentuer.

Je travaille par ailleurs à un rapport sur les climats, et je n'ai pas encore trouvé de météorologue qui accepte d'écrire autrement qu'au conditionnel ce que vous venez de dire. Votre réflexion est-elle le résultat d'un constat, part-elle d'une base scientifique qui nous manquerait, ou bien est-ce plutôt une prémonition ?

M. Claude Allègre - Ce n'est pas une prémonition, c'est un raisonnement scientifique !

De la même manière, j'ai dit et je répète que la prétendue augmentation de la température moyenne du globe est un phénomène très secondaire. J'ai fait remarquer à mes collègues météorologistes qui font des statistiques entre 1820 et aujourd'hui pour montrer que la température moyenne du globe a augmenté de 1°C en un siècle que cela impliquait de mesurer la température au dixième de degré près. Or, le seul enregistrement que l'on ait en 1820, c'est celui du parc Montsouris ! Ils se moquent du monde ! Définir la température moyenne du globe avec cette précision-là, cela n'a pas de sens.

Ce qui est en revanche scientifiquement incontestable, c'est que la teneur de l'atmosphère en gaz carbonique a augmenté - elle a pratiquement doublé - et que la distribution des climats a radicalement changé, ce qui entraîne un certain nombre de phénomènes simples : on constate par exemple une concentration de la pluie et de la sécheresse à la fois dans l'espace et dans le temps ; autrement dit, pendant que la France faisait face à la pluie et à des inondations, la Turquie était confrontée à une intense sécheresse.

M. Michel Souplet - Le Maroc aussi !

M. Claude Allègre - De même, il y a deux ans, les États-Unis ont connu une sécheresse épouvantable. L'année suivante, il a plu pendant l'été. Je ne suis pas capable aujourd'hui de vous donner la liste exacte de ces modifications, mais on les constate.

Par ailleurs, l'hémisphère Nord est bien évidemment celui qui dégage le plus de gaz carbonique. C'est donc logiquement celui où sont perceptibles les effets thermiques les plus forts. Ainsi, cette espèce de cyclone qui a provoqué la tempête de décembre 1999 est un phénomène qui se reproduira : nous avons maintenant des cyclones, c'est tout nouveau. Il ne pleut pas davantage, mais la pluie est répartie différemment.

Cependant, les inondations sont liées à deux types de causes. Il y a bien sûr le climat, mais il y a aussi la réponse du sol et du sous-sol. Or le ruissellement a considérablement augmenté.

On n'est pas encore à même de modifier le climat, bien que l'on sache faire certaines choses, et je vous donnerai un exemple qui peut sembler n'avoir aucun lien avec les inondations dans la Somme.

Paris est la seule grande capitale qui admette les cars de touristes étrangers, alors que c'est interdit à Londres, à New York, etc. Ces cars fonctionnant nuit et jour, Paris subit, l'été, un dégagement de gaz carbonique qui dépasse tout ce que peuvent connaître les autres grandes capitales du monde. Le résultat, c'est une augmentation de 1,5°C de la température à Paris et des perturbations de son climat estival - vous le constatez aujourd'hui -, perturbations qui vont s'installer ; ce que sachant, on continue de laisser les cars circuler dans la capitale.

On fait aujourd'hui de grands discours, on proteste parce que le président des Etats-Unis n'a pas signé le protocole de Kyoto, etc. Très bien ! Mais nous ne prenons pas des précautions pourtant indispensables.

Aménager le territoire, aujourd'hui, cela implique probablement de faire des perforations en certains endroits pour permettre à l'eau de s'infiltrer. Cela veut dire aussi draguer les rivières, etc. Il faut faire un plan sur cinq ans pour prévoir tout cela !

Dans la Somme, la nappe phréatique est dans la craie, et il n'y a pas de piézomètre pour la contrôler. Si on en installe un, cela coûtera de l'argent, il faudra l'entretenir, cela fera du travail... Le fait-on ? Non, et je vous garantis qu'on ne le fera pas, j'en suis sûr !

M. Pierre Martin, rapporteur - Je voudrais d'abord vous féliciter, monsieur le ministre, pour votre franc-parler, qui vous est d'ailleurs habituel. C'est important.

M. Claude Allègre - Monsieur le rapporteur, permettez-moi de vous interrompre. Je n'ai pas de « franc-parler » !

M. Hilaire Flandre - C'est un « parler-franc » !

M. Claude Allègre - Vous me demandez de dire la vérité. Si je me mets à mentir, je ne dis pas la vérité ! Je n'ai pas de franc-parler, je vous dis la vérité.

M. le Président - Vous avez un « parler-vrai » !

M. Jean-François Picheral - Scientifiquement vrai !

M. le Rapporteur - Je suis cependant étonné que nous ne parveniez pas à vous faire entendre, comme vous le soulignez, car, par moments, nous entendions même ce que vous ne disiez pas : c'était en fin de compte très désagréable.

Vous prédisez que les inondations catastrophiques qui se sont produites dans la Somme recommenceront si l'on ne fait rien. Que faut-il faire ? Vous avez parlé de plans de prévention, préférables au principe de précaution. Pouvez-vous détailler ce que vous imaginez, au-delà du curage de la rivière ? Car, lorsque vous parlez de curer les rivières, sans véritablement m'inquiéter, je ne peux m'empêcher de penser que, si on le fait pour la Somme, compte tenu de la faible déclivité du fleuve, celui-ci sera, à l'embouchure, beaucoup plus bas que le niveau de la mer. Or, la mer remonte !

M. Claude Allègre - Je dois d'abord préciser que je n'ai pas eu l'occasion de faire personnellement d'étude géologique détaillée sur la question de la Somme. Par conséquent, ce que j'en sais résulte de lectures indirectes, et je ne suis pas le meilleur expert local, je suis très franc.

Quand je parle de curer la rivière, il ne s'agit pas de faire n'importe quoi et de l'amener au-dessous du niveau de la mer ; il s'agit évidemment d'intervenir en amont.

Il me semble que la première chose à faire, c'est de réaliser une étude géologique sérieuse de la nappe phréatique de la Somme et de la circulation de l'eau afin d'essayer éventuellement d'agir sur celle-ci. Il faut en prendre le temps, et non pas travailler dans l'urgence et sous la pression des médias.

Je vous le répète, on est là en présence d'un cas géologique particulier qui fait que la nappe phréatique est située plus haut que la rivière, phénomène que l'on ne retrouve pas pour la Loire ou pour la Garonne. On le rencontre en un autre endroit, dans le pays de Caux - où il n'y a pas eu de problème cette fois-ci.

Cette étude une fois faite, il faudra placer des capteurs pour surveiller la nappe, et l'on sera peut-être conduit à faire des travaux de terrassement, par exemple pour permettre à l'eau de s'infiltrer sous la craie. Encore une fois, je n'en sais rien, il faut d'abord se rendre compte de la situation exacte. Les personnes du BRGM que vous avez auditionnées ont dû évoquer cette question !

M. le Rapporteur - On nous a dit, monsieur le ministre, que la nappe phréatique était pour ainsi dire incontrôlable et impossible à canaliser, que l'on ne pouvait presque rien faire. Alors, que faire ?

M. le Président - L'idée de percer le plancher, nous l'avions déjà eue, mais ce n'est pas simple !

M. Hilaire Flandre - Cela peut avoir d'autres conséquences plus ennuyeuses. Il faut faire des études !

M. Claude Allègre - J'ignore qui, au BRGM, vous a affirmé que l'on ne pouvait rien faire ; je ne suis plus président de cette maison, mais je pourrais le désavouer ! On peut toujours faire quelque chose : aujourd'hui, les moyens en travaux publics sont absolument gigantesques. Quand on voit que l'on a su faire le pont de l'île de Ré, prétendre que l'on n'a aucun moyen d'action sur une nappe, c'est une plaisanterie.

Ce que l'on vous a certainement dit, en revanche, c'est que ce ne sera pas une mince affaire. Aménager le territoire, cela représente des dizaines et probablement des centaines de milliers d'emplois ; toute une industrie de l'environnement est à créer et, par conséquent, c'est un investissement important.

J'ai écrit ces jours-ci que j'étais un adversaire acharné de la politique dite de baisse des impôts. On aurait mieux fait, l'année dernière, de consacrer une vingtaine des cent trente milliards de francs que l'on a « récupérés », au financement d'un plan d'aménagement du territoire, par exemple. Voilà une chose importante ! D'autant qu'il faudra compter avec un autre phénomène, cette fois dans le Midi : si l'on observe bien, on constate que les endroits où se produisent les crues sont ceux-là mêmes qui, l'été, souffrent de la sécheresse. Car, si l'eau circule, elle ne s'infiltre pas, et l'eau qui provoque les inondations n'alimente pas les nappes phréatiques.

Il faut donc aménager le territoire, mais chaque bassin versant nécessite une étude, un travail, une réflexion.

Dans la Somme, le positionnement de la nappe phréatique dans la craie est un problème spécifique, et je vous conseille vivement d'auditionner M. de Marsily, professeur de géologie appliquée à Paris VI. Il est le meilleur spécialiste d'hydrogéologie en France et pourra certainement vous apporter un éclairage utile.

M. le Président - A-t-on déjà entrepris sur les nappes phréatiques des études comme celles que vous évoquez, en France ou ailleurs dans le monde ? N'est-il pas utopique de penser que c'est possible ?

M. Claude Allègre - Après les inondations dans le Mississipi, je peux vous assurer que les Américains ne sont pas restés les deux pieds dans le même sabot ! Mais, je l'ai dit, ils disposent d'un service hydrologique national ! L'Angleterre a également une excellente couverture en hydrologie. Aujourd'hui, le pays du monde qui connaît la situation la plus dramatique, c'est la Chine ; mais nous-mêmes ne sommes pas gaillards !

Je vous donnerai un exemple de petite mesure qu'il faudrait prendre : il faudrait interdire de goudronner les chemins vicinaux, parce que, goudronnés, ils se transforment en canaux, alors que, sinon, l'eau s'y étale. Cela paraît être une petite mesure, mais celui qui la prendra soulèvera un véritable tollé, sur le mode : « Mais alors, nous allons rester dans la boue, c'est épouvantable ! »

M. Hilaire Flandre - Il y a des personnes qui vivent de travaux, même sur les chemins vicinaux !

M. Claude Allègre - Je suis très inquiet au sujet des glissements de terrain en montagne, notamment dans les Alpes. On a tant cimenté, le sol est si dégradé que, lorsqu'il se passera quelque chose, les conséquences en seront catastrophiques. Les journaux en feront leur une, on reconnaîtra que je l'avais prédit -« Il a toujours raison »-, mais notre pays n'aura toujours pas de plan d'aménagement du territoire. Une partie du territoire sera en friche, ce qui est déjà un problème et n'est pas très malin par ailleurs, et le reste sera bétonné un peu partout.

On a eu un avant-goût de ce qui peut se produire avec l'inondation qui a eu lieu à Nîmes, et qui peut être prise comme un cas d'école : elle est due uniquement au ciment ! On a réuni dans cette ville toutes les conditions nécessaires pour que la moindre petite pluie se transforme en inondation. Est-ce que depuis lors quelqu'un est allé casser le ciment ? Personne ! Les mêmes canaux subsistent, et cela recommencera forcément un jour ou l'autre !

M. François Gerbaud - Je suis frappé de voir à quel point vous recoupez et officialisez, en quelque sorte, des propos que nous avons déjà entendus !

Vous venez de rationaliser la fatalité d'une manière extrêmement éclatante en l'expliquant par un phénomène de changement des climats. Le fait qu'une politique d'aménagement du territoire et de l'étude de l'eau s'impose désormais doit-il nous conduire à passer de la prévention à une politique de rigueur d'aménagement du territoire ?

M. Claude Allègre - Absolument !

M. François Gerbaud - Quand on voit que, dans la Somme - on nous l'avait dit, vous le confirmez -, une seule goutte d'eau sur un sol imbibé pendant des années conduira inévitablement à un ruissellement non contrôlé ; quand on constate que l'Yonne a connu en un mois quatre crues centennales et dix crues décennales ; quand on s'aperçoit que les nouveaux aéroports constituent des plates-formes de récupération de l'eau, laquelle, l'expérience nous l'a montré pour l'un d'entre eux au moins, se déverse malheureusement dans la Seine ; on en déduit que la vision « scientifique », si j'ose dire, que vous nous apportez contient une obligation impérieuse d'aménagement du territoire qui n'a pas été prise en compte jusqu'à présent.

M. Claude Allègre - Absolument !

M. François Gerbaud - Il faut donc le noter : désormais, toute politique d'aménagement du territoire doit comporter cette obligation.

M. Claude Allègre - Sans oublier le sol et le sous-sol ! Monsieur le sénateur, je vous donnerai un exemple : entre Conflans-Sainte-Honorine et l'embouchure de la Seine, sur une bande de vingt kilomètres de large de part et d'autre de la Seine, toute goutte d'eau qui tombe, hors la partie qui est réévaporée, va dans la Seine. La situation est limite, et les barrages qui existent en amont sur le fleuve permettent pour l'instant de la contenir. Mais, sur la Loire, on a refusé d'en construire !

Il faut savoir qu'en temps normal, dans une situation « naturelle », entre 50 et 60 % de l'eau qui tombe est réévaporée par un mécanisme dit d'« évapotranspiration » dans lequel interviennent les feuilles des végétaux. Aujourd'hui, une étude a montré qu'avec le remplacement des feuillus par des résineux, avec l'élimination de tous les buissons, etc., seulement 20 % de l'eau s'évapore. Cela veut dire que, sans même parler d'augmentation de la pluviosité, le sol doit maintenant absorber 80 % de l'eau au lieu de 50 %. C'est un aspect sur lequel on pourrait facilement agir !

M. François Gerbaud - Et si vous ajoutez à cela l'érosion des sols

M. Claude Allègre - Absolument !

M. François Gerbaud - cela pose un autre problème, au niveau agricole ! C'est bien pourquoi que je me permets de dire combien je suis d'accord avec vous.

Le législateur que nous sommes devra veiller, le jour où il abordera la loi sur l'eau, à ce que la responsabilité de l'eau, à l'échelon de l'État, revienne à une seule et même structure, pour gagner en cohérence. C'est ce que je retiens de vos propos.

M. Claude Allègre - La loi sur l'eau, je l'ai vécue : les administrations s'arc-boutaient pour garder chacune son petit territoire !

La première chose importante, je l'ai déjà dit, c'est effectivement qu'un service unique ait la responsabilité de l'ensemble du cycle de l'eau et soit chargé y compris de veiller à ce qu'il y ait assez d'eau potable pour les habitants - mais aussi pour le bétail !-, ce qui n'est pas garanti dans toutes les parties de la France.

Aujourd'hui, au XXIe siècle  - vous ne le savez peut-être pas -, on est en train de transférer sur l'exploitation de l'eau toute la technologie qui a été développée pour le pétrole, notamment la technologie des réservoirs pétroliers. En d'autres termes, toute cette technologie, qui est une technologie chère, est en train de devenir rentable.

Par exemple, on pourra prendre de l'eau en hiver, l'injecter dans un réservoir profond pour qu'elle ne s'évapore pas, et la repomper l'été. Ces technologies étaient impensables il y a vingt ans ; aujourd'hui, on est en train d'y travailler.

M. Hilaire Flandre - Il suffirait de faire un barrage !

M. Claude Allègre - Non ! Si vous êtes en Arabie Saoudite et que vous dessalez l'eau de mer, ce qui coûte très cher, vous n'avez pas envie de la perdre par évaporation ! Si vous la stockez dans un barrage, ce sont les deux tiers qui s'évaporeront.

Mais, j'y reviens, le premier problème est de disposer d'un service unique. Mme Dominique Voynet a posé comme postulat que le coordinateur de l'eau serait le ministère de l'Environnement. Or celui-ci ne dispose pas des experts nécessaires. Les autres services ont donc refusé : il ne suffit pas de décréter !

Que l'on confie cette mission au service géologique national, comme dans les autres pays ! Il n'est pas nécessaire de fabriquer une administration supplémentaire.

M. François Gerbaud - Si on additionne tout ce que vous dites, et à quoi je souscris, on assiste à une espèce de formidable accélérateur de micro-climats dont la détérioration est liée aux phénomènes naturels.

M. Claude Allègre - Nous avons tous les moyens nécessaires pour agir ! Monsieur le sénateur, on va sur la lune, on installe des stations spatiales - qui ne servent à rien, d'accord, mais on les installe - ; croyez-vous que nous n'ayons pas les moyens de maîtriser notre aménagement du territoire ? Encore faut-il en faire une priorité !

Or, que va-t-il se passer ? Je peux vous le dire ! Je vais continuer à prêcher dans le désert, et puis, un jour, se produira une vraie catastrophe qui coûtera vraiment très cher. Ce jour-là, on verra !

M. François Gerbaud - Pour la Loire, cela peut arriver du jour au lendemain, à la première grande crue !

M. Claude Allègre - J'ai écrit dans mon livre que s'il y avait une crue de la Loire, j'attaquerais en justice.

M. François Gerbaud - Oui, mais on a laissé construire !

M. Claude Allègre - Ce sont eux les responsables !

Notre société refuse d'intégrer la notion de relativité dans le traitement des problèmes qui se posent à elle. Pourquoi suis-je partisan de la démarche du plan ? Parce qu'elle permet de comparer et de discuter les choix de financement de façon cohérente au lieu de décider au cas par cas.

M. Michel Souplet - Dans notre région où nous avons suivi de très près les problèmes rencontrés dans le département de la Somme, nous commençons à avoir une idée très précise des mesures de prévention qui s'imposent.

Malheureusement, les intempéries de la semaine dernière nous ont pris de vitesse. Je veux parler des nouvelles catastrophes provoquées par la chute de 100 à 180 millimètres d'eau en une seule nuit. Le sous-sol est gorgé d'eau et les nappes phréatiques sont pleines.

Les pompiers sont intervenus samedi matin dans mon village. Ils ont travaillé dans des conditions très difficiles puisque, dès que le pompage s'arrêtait, le niveau d'eau remontait. Ils ont néanmoins réussi à faire redescendre celui-ci de 3 ou 4 centimètres et à protéger les maisons en bouchant les portes d'entrée avec des parpaings.

Si à l'automne prochain, la pluviosité est normale, nous serons toutefois confrontés au même problème. Dans l'immédiat, nous ne savons pas quelles propositions précises et concrètes formuler.

M. Claude Allègre - Je ne peux rien vous dire. Je ne suis ni le président de la République ni le Premier ministre ; en tout cas, pas pour l'instant... mais tous les espoirs sont permis !

Je crois vraiment que vous devriez vous concerter avec les députés pour imposer un plan d'aménagement du territoire car dans un pays comme la France, l'aménagement du sol et du sous-sol est essentiel. Je vous incite à affirmer votre refus de continuer à avancer au cas par cas.

M. le Président - Trouvez-vous suffisant le volet consacré aux schémas d'espaces naturels et ruraux ?

M. Claude Allègre - Je ne peux que répéter qu'il n'y a pas d'argent... et qu'un véritable plan d'aménagement du sol et du sous-sol revient à plusieurs milliards de francs. C'est un grand projet, d'une envergure comparable à celle du TGV. La France en a vraiment besoin. Or, je n'ai rien vu de tel.

Sans vouloir être inutilement désagréable, je considère qu'on fait un petit truc pour qu'il ne soit pas dit qu'on ne fait rien mais en fait, c'est rien du tout !

M. le Président - Nous partageons assez votre point de vue.

Dans l'interview accordée à L'Express, vous faites allusion au colmatage pratiqué en Picardie sur l'argile qui a coulé. Pensez-vous qu'autre chose soit envisageable ?

M. Claude Allègre - Je ne veux pas me prononcer sur cette affaire sans connaître le résultat des études scientifiques qui ont été faites.

Je sais que quand il y a du calcaire, il y a de l'argile de décalcification et que cela se colmate.

Pour jouer au golf dans le Midi, je sais aussi que les flaques d'eau qu'on trouve sur des terrains calcaires sont provoqués par l'argile de décalcification qui se colle partout. J'imagine que le phénomène observé en Picardie est sensiblement le même.

Je pense qu'il serait bon que les géologues et les pouvoirs publics pratiquent une étude concertée. Je suis sûr que si vous demandiez à l'entreprise Bouygues de résoudre le problème, elle trouverait - moyennant finances, certes - une solution.

Contrairement aux Allemands, nous, Français - et je ne vise là aucun gouvernement en particulier - n'avons pas réussi à faire naître une véritable industrie écologique qui serait d'ailleurs à l'origine de nouveaux métiers. L'écologie reste l'empêcheur de tourner en rond.

La seule à avoir tenté quelque chose est Ségolène Royal qui a fait voter la loi sur les déchets quand elle était ministre de l'Environnement. Je tiens à cet égard à lui rendre hommage. Qu'elle ait cédé aux pressions pour finalement accepter que la loi ne s'applique qu'à partir de 2002 est secondaire. Du moins a-t-elle créé quelque chose.

Certes, nous avons les contrats de plan État-région. Fort bien ! C'est l'une des meilleures idées de ces dernières années et nous la devons à Michel Rocard. Sauf que, monsieur le sénateur, si vous et moi passons un contrat et que je ne respecte pas mes obligations, vous allez m'attaquer.

Or, les contrats de plan État-région ne prévoient pas de sanction, ce que je trouve anormal. On doit pouvoir attaquer l'État s'il ne paie pas sa quote part en temps et en heure.

Je pense qu'il serait bon de s'entourer d'un certain nombre de précaution dans les contrats concernant par exemple la Somme, la Garonne ou l'Yonne.

M. François Gerbaud - Je résume vos propositions : premièrement, une autorité générale de l'eau avec une mission de planification. Deuxièmement, un aménagement des sous-sols à l'échelon régional mais dans le cadre d'une obligation nationale.

M. le Président - Nous convergeons là-dessus.

S'agissant des piézomètres, il y en a soixante-deux sur le territoire de la Somme mais ils ne sont ni centralisés ni automatisés. C'est un employé communal qui va faire les mesures le samedi matin.

M. Claude Allègre - Grâce aux technologies nouvelles, vous pouvez aujourd'hui connaître à partir du Sénat, sans bouger, la situation heure par heure.

Peut-être savez-vous que certains de mes anciens collaborateurs ont créé au CNRS un groupe d'aide à la décision. Ils pourraient faire l'état de la question pour vous guider dans votre décision.

M. le Rapporteur - Tout cela dépend pour l'essentiel du ministère de l'Environnement.

M. Claude Allègre - Soyons justes : le ministère de l'Environnement pourrait agir si la direction de l'équipement dépendait de lui. Vous savez très bien que si dans un pays comme la France, vous ne pouvez pas vous appuyer sur une administration et un corps de fonctionnaires puissants, vous êtes paralysés.

Ces problèmes sont trop sérieux pour être appréhendés simplement en termes d'opposition par rapport à ce qui existe. L'action du ministère de l'Environnement ne doit pas ressembler à la morsure des crocs d'un petit chien dans les mollets du ministère de l'Industrie. L'ensemble des décisions industrielles devrait intégrer cette dimension environnementale.

Prenons l'exemple du principe de précaution. Un excellent rapport vient de démontrer qu'aucune décision ne saurait être prise sans mesure préalable de ses implications économiques et financières. S'agissant de l'aménagement de la vallée de la Somme, il faut savoir combien cela va coûter. Je crois qu'il serait utile que vous déclenchiez un processus dans ce sens.

Quand j'étais président du BRGM, j'ai proposé l'installation dans chaque région d'un service géologique régional. Rien ne s'est fait mais je suis sûr que si une région avait commencé, les autres auraient immédiatement suivi.

M. Michel Souplet - Et je suppose que vous incitez la Picardie à montrer l'exemple...

M. Claude Allègre - Compte tenu de ce qui s'est passé, je crois sincèrement qu'il faudrait dès maintenant faire une étude sérieuse sur le problème de la Loire. Si ce fleuve entrait en crue, cela provoquerait un véritable désastre.

M. Michel Souplet - Ce que je voulais dire, c'est que si la Picardie démarrait l'expérimentation, cela aurait un effet d'appel sur les autres régions.

M. Claude Allègre - Je crois qu'il faut que vous fassiez la suggestion au président du Conseil régional.

En effet, les départements concernés ne sont pas riches et doivent d'abord assumer financièrement le secteur social, l'entretien des routes et le fonctionnement des collèges. La charge de la région étant nettement moins lourde, elle dispose d'une marge de manoeuvre et peut proposer d'investir dans l'aménagement du territoire. Je m'attendais à trouver quelques propositions dans ce sens dans les contrats État-région.

M. le Président - Monsieur Allègre, nous vous remercions.

33. Audition de M. Jean-Marc Lamère, délégué général de la Fédération française des sociétés d'assurances et M. Guillaume Rosenwald, directeur des risques des particuliers (10 juillet 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons maintenant M. Jean-Marc Lamère, délégué général de la Fédération française des sociétés d'assurances qui est accompagné de M. Guillaume Rosenwald.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Jean-Marc Lamère et Guillaume Rosenwald

M. Jean-Marc Lamère . Je commencerai par répondre aux questions que vous m'avez posées par écrit.

Votre première question porte sur l'estimation que nous pouvons faire du coût des inondations de la Somme.

La gestion du dossier de la Somme a été relativement lente en raison de la durée anormalement longue de l'inondation. Or, les experts n'ont pas pu intervenir avant que les eaux se soient retirées. Toutefois, d'ores et déjà, des groupes de travail se sont réunis et ont collecté différents chiffres.

Habitués au traitement des inondations -surtout depuis la loi de 1982- nous disposons de statistiques. Nous savons que le coût moyen des dégâts provoqués par une inondation dans une habitation est de l'ordre de 25.000 francs.

Le nombre d'habitations touchées dans la Somme à des degrés divers est d'environ 3.000. Les experts ne connaîtront que dans quelques mois, c'est-à-dire après les périodes de sécheresse éventuelles, le degré de gravité des sinistres.

Pour l'instant, on estime qu'à peu près 20 % des habitations sont gravement touchées. Nous avons préféré par précaution majorer nos estimations et les porter à 100.000 francs par habitation, ce qui donnerait un coût total de 300 millions de francs.

Bien sûr, en dehors des habitations, ont été également sinistrés par les inondations un certain nombre de commerçants, d'artisans, de prestataires de services, de PME-PMI, d'exploitations agricoles. Encore faut-il préciser que dans cette région, la densité de la population, notamment industrielle, est faible.

L'addition de ces deux éléments -particuliers et professionnels- conduit à une estimation située entre 300 et 450 millions de francs, ce qui place cette inondation de la Somme au rang d'événement moyen au regard du régime d'indemnisations.

Je rappelle en effet que les deux inondations qui ont affecté la Bretagne à la fin de l'année 2000 et au début de l'année 2001 représentaient un coût de 450 millions de francs. Au pire, les inondations de la Somme devraient se traduire par un coût équivalent.

Je rappelle également que les inondations du grand Sud -Aude et Hérault- se chiffraient à pratiquement 2 milliards de francs.

A plus long terme, nous avons entrepris des études sur l'évolution de la climatologie. Elles montrent que la pluviométrie devrait augmenter en France dans les dix ans qui viennent dans des proportions de 10 à 20 %. Si cette tendance était confirmée, les assureurs comme les pouvoirs publics -qui sont impliqués dans le régime légal d'indemnisation des catastrophes naturelles- devraient en tenir compte dans l'équilibre financier du régime.

Votre deuxième question concerne la situation financière du régime des catastrophes naturelles.

On peut dire que la stabilité du régime n'est nullement affectée par des événements comme ceux qui ont touché la Somme ou la Bretagne. En examinant les choses sur une longue période, c'est-à-dire depuis 1982, l'année 2000 et jusqu'à présent l'année 2001 sont plutôt calmes.

Ce régime a été créé pour faire face à d'éventuels événements catastrophiques : inondations dans la vallée de la Loire ou séisme dans la région niçoise qui causeraient des dommages s'élevant à plusieurs dizaines de milliards de francs.

Le dispositif a été conçu pour qu' in fine , dans l'hypothèse d'une catastrophe de grande ampleur, il soit fait appel à la solidarité nationale, étant entendu que pour les événements d'ampleur moyenne comme celui dont nous parlons aujourd'hui, c'est le régime assurantiel qui intervient.

Il n'y a pas a priori de raison de s'inquiéter sur la situation financière du régime des catastrophes naturelles. Ce régime a subi des ajustements dont la plupart ont été mis en place au 1er janvier 2001. La disposition portant le taux de la surprime de 9 à 12 % est entrée en vigueur au 1er septembre 2000. Les autres mesures portent sur l'actualisation de la franchise pour les particuliers et les risques d'entreprise, sur la modulation de la franchise en fonction du taux de récurrence des sinistres dans une même commune et sur l'instauration d'une franchise spécifique pour la subsidence.

Ces dispositions avaient été prises avant que surviennent tous les événements importants que vous connaissez. Si les pouvoirs publics avaient entrepris une réflexion sur ce sujet, c'est parce que ce régime était exposé à un risque de dérive lié non aux inondations mais à un phénomène dont on parle beaucoup moins : je veux parler de la subsidence.

Les deux grandes vagues de subsidence sécheresse qui ont affecté le régime ont représenté seize milliards de francs depuis 1996. Ces dernières années, la subsidence représentait la partie majeure de l'indemnisation d'un régime qui n'avait pas été prévu pour cela.

C'est la raison pour laquelle en plus des différentes dispositions que je viens d'évoquer et qui sont plutôt d'ordre financier, les pouvoirs publics ont modifié le régime d'expertise en matière de subsidence pour mieux apprécier les sinistres qui relèvent sur le plan juridique de la catégorie d'événements strictement naturels. Il est permis de penser que ce nouveau régime d'expertise est de nature à éviter une dérive financière du régime.

Votre troisième question est relative à la prévention.

Le régime instauré en 1982 repose sur une idée intelligente consistant à demander à chacun de bien faire son métier. C'est ainsi qu'on a demandé aux assureurs qui disposaient d'un réseau sur l'ensemble du territoire d'intervenir rapidement pour pouvoir expertiser, puis indemniser dans les meilleurs délais. Chacun doit jouer son rôle : les assureurs pour indemniser et les pouvoirs publics pour mettre en place de véritables ouvrages de prévention. De nombreux rapports remis au Parlement détaillent la manière dont les assureurs procèdent en matière d'indemnisation.

Au fil de l'expérience, un certain nombre d'améliorations ont été apportées, de sorte que cette indemnisation se déroule aujourd'hui dans des conditions normales. La situation est beaucoup moins favorable en matière de prévention. Mais ce n'est pas du domaine des assureurs.

Ce que nous pouvons faire -et que nous avons déjà commencé à faire- c'est informer les assurés, notamment les entreprises, sur les mesures de sauvegarde immédiate susceptibles d'être prises dès lors qu'ils sont avertis par exemple de crues imminentes. Mais sur le plan économique, cela pèse très peu de chose par rapport au montant des indemnisations.

Votre quatrième question porte sur le pourcentage des personnes non assurées dans la Somme en matière de catastrophe naturelle.

Nous n'avons pas de statistique par département ou par région mais nous savons que sur le territoire entier, le taux des non-assurés est inférieur à 5 %.

Votre cinquième question est relative au traitement spécifique des sinistres de la Somme. Je rappelle à cet égard que nous avons affiné le processus de gestion des risques.

Nous disposons de deux instruments principaux. Premièrement, un réseau au niveau très réglementé qui est celui du Centre de documentation et d'information de l'assurance, dont la mission est de donner immédiatement des informations pratiques sur les déclarations de dommages, sur l'expertise... Deuxièmement, un réseau de coordonnateurs des catastrophes naturelles formé en général par les inspecteurs des compagnies d'assurance. Ce sont des techniciens qui peuvent intervenir sur l'aspect technique de la mise en jeu du contrat et qui participent aux cellules de crise instituées par le préfet.

Par ailleurs, la Fédération française des sociétés d'assurances dispose d'une cellule de crise qui permet de mobiliser des ressources - notamment les experts - pour les envoyer dans les régions sinistrées. Il est toutefois vrai que quand un sinistre affecte une très grande partie du territoire, comme ce fut le cas fin 1999, l'exercice est beaucoup plus délicat.

M. Pierre Martin, Rapporteur. Pour en revenir sur l'obligation d'assurance, pouvez-vous nous dire si l'assurance est obligatoire pour les locataires ? Si tel n'est pas le cas, trouveriez-vous judicieux de l'imposer ?

M. Guillaume Rosenwald . L'assurance est en effet obligatoire pour le locataire s'agissant de sa responsabilité vis-à-vis du propriétaire... ce qui ne résout pas le problème si le propriétaire lui-même n'est pas assuré.

L'idée de rendre une assurance obligatoire est souvent séduisante. Elle peut toutefois être compliquée à mettre en oeuvre. En effet, sur quoi faire reposer l'obligation ? Il est facile de rendre une garantie obligatoire sur un contrat : les gens décident de s'assurer pour un certain capital ou pour certains biens et on décide d'étendre la garantie aux éléments naturels.

En revanche, pour rendre la base obligatoire, il faudrait définir les niveaux minimaux de capitaux par type d'assuré, ce qui n'est pas très facile.

On peut aussi considérer que cela relève, pour les catastrophes naturelles comme pour les incendies, de la responsabilité de chacun. Il ne faut pas oublier que la plupart des sinistres incendie provoquent des dégâts beaucoup plus importants que les inondations.

M. le Président . L'exemple auquel on pense immédiatement, c'est l'assurance automobile.

M. Guillaume Rosenwald - C'est totalement différent ! Le caractère obligatoire de l'assurance automobile repose sur la responsabilité vis-à-vis d'autrui. A deux exceptions près, les seules assurances obligatoires en France concernent la responsabilité civile.

M. Jean-Marc Lamère - Sur le plan économique, M. Rosenwald soulignait à juste titre qu'il y a beaucoup d'autres événements nettement plus graves que les inondations. J'en veux pour preuve le fait que le poids des catastrophes naturelles ne représente que celui de la surprime, c'est-à-dire 12 % de la prime de base.

Je ferai une autre remarque. Lorsque les garanties sont obligatoires et que la loi ne prévoit pas de sanction, les taux de non-assurance sont extrêmement importants. C'est le cas des dommages-ouvrages. Aujourd'hui, plus d'un propriétaire sur deux n'est pas assuré.

M. le Président - Que répondre à ceux qui soulignent que la déclaration de catastrophe naturelle applique obligatoirement une franchise de 10 %, alors que le contrat assure, lui, depuis le premier franc ?

M. Guillaume Rosenwald - Il faut bien voir que le caractère obligatoire dont vous parlez, monsieur le Président, s'inscrit dans le cadre de la solidarité entre assurés offrant les mêmes garanties à tout le monde. En effet, il est impossible de rendre obligatoires des garanties qui auraient été souscrites a minima par certains et a maxima par d'autres.

C'est la raison pour laquelle la loi sur les catastrophes naturelles impose non seulement une cotisation mais aussi un niveau de franchise.

Ensuite, se pose la question de savoir si ces 10 % sont la bonne valeur pour les entreprises. Je pense pour ma part que le législateur, à l'époque, avait estimé qu'il était important de responsabiliser fortement les entreprises afin de les encourager à prendre des mesures de sauvegarde et à faire les quelques investissements de prévention pour les catastrophes qui peuvent les concerner.

M. Jean-Marc Lamère - J'ajouterai simplement que la franchise est évidemment très faible pour les particuliers simplement parce qu'ils prennent, en cas d'inondation, des mesures tout à fait élémentaires. Quant aux entreprises, elles disposent d'une certaine liberté pour le choix de leur implantation.

M. François Gerbaud - J'aimerais savoir, monsieur le délégué général, comment vous intégrez la responsabilité individuelle lorsque nos concitoyens apprennent que certains ont pris le risque de construire leur maison dans un site où existent des risques d'inondation.

Faut-il toujours s'en remettre à la solidarité nationale ?

Par ailleurs, si l'on en croit les experts, nous allons vers des situations climatiques extrêmes, qu'il s'agisse de sécheresse ou d'inondation, les deux étant liées par un phénomène inversé et l'appel à la solidarité nationale risque d'être encore plus important dans les années qui viennent. Quelle est votre opinion à ce sujet ?

M. Jean-Marc Lamère - Vous touchez là, monsieur le sénateur, au problème que j'évoquais tout à l'heure, à savoir celui de la prévention. Nous sommes, pour notre part, très favorables à la promotion des PPR, mais la véritable question reste celle des plans locaux d'urbanisme.

M. François Gerbaud - Nous sommes bien d'accord.

M. Guillaume Rosenwald - Il n'existe pas encore véritablement de jurisprudence du bureau central de tarification, mais ce que l'on remarque pour le moment, c'est que ses décisions portent plus sur les niveaux de franchise que sur les augmentations de prime.

M. le Président - Dans le cas particulier de la Somme qui nous intéresse ici, avez-vous connaissance de cas où l'on risquerait de remonter vers le bureau central ?

M. Guillaume Rosenwald - Aujourd'hui, dans la Somme, il n'y a aucun PPR.

M. Jean-Marc Lamère - En revanche, monsieur le Président, comme vous le savez sans doute, selon les nouvelles dispositions en vigueur depuis le début de l'année, le niveau de la franchise est très important, notamment pour les entreprises. Tout cela a d'ailleurs conduit le préfet à proposer un grand nombre de PPR. En fait, l'on pourra juger de l'efficacité du dispositif dans le temps car il ne suffit pas de mettre en place une procédure de PPR, encore faut-il que celle-ci soit suivi d'effets et se traduise en actes.

M. Hilaire Flandre - Même s'il n'y a pas de PPR, la compagnie d'assurance n'a-t-elle pas toujours la possibilité d'augmenter ses tarifs ?

M. Guillaume Rosenwald - Je note, tout d'abord, qu'il n'y a pas, pour une assurance, obligation de conclure un contrat et je pense ici à un supermarché dans la région de Redon qui a dû s'adresser au bureau central de tarification pour pouvoir être assuré. En revanche, l'assureur n'a pas la possibilité de moduler la cotisation.

M. Jean-Marc Lamère - Il faut bien voir, monsieur le sénateur, que le taux de la surprime catastrophe naturelle représente 12 %. Par conséquent, quand bien même modulerait-on, en passant par exemple de 12 à 15 %, cela ne représenterait en réalité qu'une très petite somme qui, bien sûr, serait tout à fait insuffisante pour responsabiliser les entreprises. En revanche, ce qui peut les motiver c'est effectivement la franchise.

M. Hilaire Flandre - S'agissant du bureau central de tarification qui fixe le montant des primes pour les personnes ayant essuyé un refus d'assurance, il semble qu'il n'ait pas à en supporter les conséquences.

M. Jean-Marc Lamère - Si les PPR existaient partout également pour les communes à risque, nous aurions d'autres moyens d'action, monsieur le sénateur.

M. le Président - Dans votre exposé liminaire, monsieur le délégué général, vous avez parlé de modification du climat. Dès lors, je me demande si un système de réassurance plus mondialisé - s'il n'existe pas déjà - ne pourrait pas être un élément de réponse pour ne pas augmenter exagérément les primes.

M. Jean-Marc Lamère - En fait, la plupart des pays aujourd'hui tempérés sont affectés par les évolutions climatiques telles que les exposent les scientifiques. Or, selon moi, ces estimations ne sont pas si alarmistes que cela et ne devraient pas entraîner une augmentation très importante des primes.

M. Hilaire Flandre - Je suis, pour ma part, assez sceptique quant à ces évolutions climatiques. Après tout, le déluge a existé !

M. le Président - Il y a un peu plus d'un an, la Cour des comptes publiait un rapport dans lequel elle critiquait sévèrement le régime d'assurance catastrophe naturelle. Quel est votre avis sur ce rapport ?

M. Jean-Marc Lamère - Dans le rapport dont vous parlez, monsieur le président, la Cour des comptes critiquait l'absence de prévention estimant que la loi de 1982 avait parfaitement atteint son objectif.

En effet, la France est le seul pays au monde où existe une indemnisation rapide et équitable des victimes dans des délais brefs, ce dont on ne peut que se féliciter.

En revanche, la Cour des comptes critiquait, c'est vrai, le laxisme quant aux actions de prévention prévues par le législateur en 1982. Ainsi, ce n'est pas l'indemnisation qui est critiquable, c'est l'absence de prévention.

M. le Président - Selon vous, faut-il donc rééquilibrer le système en multipliant les PPR ?

M. Jean-Marc Lamère - Oui, monsieur le Président, et j'ajouterai en faisant en sorte qu'ils soient suivis d'effets.

M. le Rapporteur - Monsieur le délégué général, concernant ce rapport de la Cour des comptes, il est bien précisé que le système semble déresponsabiliser les assurés et je dois dire qu'a priori je partage un peu ce point de vue.

M. Jean-Marc Lamère - Je ne puis que répéter ce que j'ai déjà dit, monsieur le Rapporteur, à savoir que le système repose entièrement sur la solidarité nationale. Ce sont donc les mêmes conditions qui s'appliquent à tous de telle sorte qu'en cas de catastrophe tout le monde puisse être indemnisé. Il ne s'agit donc pas d'une évolution ou d'une dérive, c'est le fond même du dispositif qui a été voulu ainsi par le législateur.

De la même façon, en ce qui concerne les assureurs, ils ne peuvent pas exercer la garantie comme ils le font dans d'autres domaines en appréciant les risques au cas par cas et en augmentant la tarification en fonction de ces risques. Ils ne le font pas parce que cela serait contraire aux principes fondamentaux de la loi.

Toutefois, cela ne me paraît pas très gênant, tant il est vrai que dans le dispositif ab initio a été prévu un système à trois étages : les assureurs, la caisse centrale de réassurance et l'État, ce dernier s'engageant à mettre en place des plans de prévention.

Je rappellerai, en outre, que le fonds national de prévention des risques, le fonds Barnier, cofinance 50 % des études préalables pour la préparation des PPR dont la mise en oeuvre revient aux pouvoirs publics dans la mesure où ceux-ci disposent des infrastructures nécessaires. Il est grand temps, à mes yeux, de développer la prévention compte tenu des prévisions des équipes scientifiques.

M. Hilaire Flandre - L'on peut se demander ce qui se passerait en cas d'inondation de la vallée de la Seine.

M. Jean-Marc Lamère - Ce scénario a bien entendu été envisagé, monsieur le sénateur, et l'ordre de grandeur du coût d'une telle inondation a été chiffré entre 50 milliards de francs et 100 milliards de francs pour un sinistre maximum possible.

M. le Président - Que faut-il penser, monsieur le délégué général : le législateur est-il allé trop loin ou bien notre système étant le meilleur du monde, il convient de le maintenir à tout prix ?

M. Jean-Marc Lamère - Il est difficile d'être juge et partie, monsieur le Président.

Il y a quelques années, d'importantes inondations ont eu lieu en Allemagne. Or l'indemnisation s'est élevée à 10 % du montant des dégâts. Franchement, je ne pense pas que nos concitoyens se satisferaient d'une couverture aussi faible.

Je le répète : ce système a été monté de façon intelligente en utilisant l'infrastructure des assureurs. En effet, s'il s'était agi d'un fonds public, par exemple, l'on voit mal comment une administration aurait pu étudier en très peu de temps les dossiers de dizaines de milliers de personnes, envoyer les experts sur place, etc.

Certes, il existe d'autres fonds possibles, mais les délais d'indemnisation se comptent en années, alors que nous, nous raisonnons sur des délais inférieurs à un an. C'est ainsi qu'en ce qui concerne le sinistre de la Somme, 75 % des dossiers sinistres ont déjà fait l'objet soit d'une indemnisation complète soit d'acomptes.

M. le Président - Dans quelle proportion les dossiers sinistres ont-ils été réglés définitivement ?

M. Jean-Marc Lamère - Ce qui se règle rapidement, monsieur le Président, ce sont bien évidemment les cas les plus simples, lorsque les dommages sont relativement légers.

En revanche, lorsque l'habitation a été sévèrement touchée en étant noyée sous un mètre d'eau, par exemple, les experts conseillent la mise en place d'un certain nombre de témoins destinés à suivre l'évolution de la construction ou du terrain dans les mois qui suivent et, notamment, au moment du retrait des eaux lors de la période de déshydratation de l'été. Or, dans ce cas, l'expertise finale ne pourra intervenir qu'ultérieurement car la réparation immédiate des dommages ne servirait à rien. Nous sommes donc obligés d'attendre. Certes, l'on peut verser des provisions ou des acomptes, mais techniquement nous ne pouvons pas le faire dans tous les cas.

M. le Président - Y a-t-il une réglementation relative à la fin des dossiers ?

M. Jean-Marc Lamère - Non, monsieur le Président, il n'existe pas de réglementation ; cela se fait de manière amiable avec l'assuré qui accepte ou refuse les propositions de l'assureur.

M. le Rapporteur - Personnellement, je connais certains cas de maisons à reconstruire et qui ne peuvent plus l'être sur place. Dès lors, se pose la question de l'indemnisation du terrain. En effet, comment indemniser un terrain qui, en l'état, vaut zéro franc ?

M. Jean-Marc Lamère - Il est vrai que le terrain n'est pas assuré par l'assurance, monsieur le Rapporteur.

M. le Rapporteur - Pour l'assuré il s'agit donc d'une perte sèche.

Je voudrais maintenant, monsieur le délégué général, vous poser une question concernant les communes dont un très grand nombre subissent parfois des dégâts identiques à ceux que connaissent les particuliers.

Ne pourrait-on pas imaginer une possibilité d'assurance pour les communes afin que, lors d'une inondation, elles puissent reconstruire leur terrain de football, leurs vestiaires et leurs routes, bref, tout ce qui est non assurable aujourd'hui ?

M. Jean-Marc Lamère . Je rappellerai, tout d'abord, que les communes peuvent assurer tout ce qui relève du domaine de l'assurable, notamment, pour reprendre votre exemple, les constructions annexes aux terrains de sport ; tout cela est assurable et les communes seront évidemment indemnisées lorsqu'elles sont assurées.

En revanche, nous ne savons pas assurer un terrain de sport ou une route, car l'on peut craindre un certain nombre de dérives qui, en fin de compte, seraient supportées par la collectivité nationale.

En effet, il est très difficile de faire la différence entre les dommages subis par une route lors d'une inondation et ce qui remonte à la période précédant cette catastrophe naturelle. Cela supposerait, à vrai dire, des frais de gestion extrêmement importants - je pense notamment aux expertises nécessaires tout au long de l'année afin de prouver que la route était en bon état au moment de l'inondation et donc que les dommages subis résultent bien de celle-ci et non pas du manque d'entretien par la commune, le département ou la région.

En réalité, c'est sur un plan purement technique que les routes, terrains de sports, etc. ne sont pas assurables.

M. le Président - A vous entendre, monsieur le délégué général, il semble qu'il n'y ait toujours pas de mécénat de l'ensemble des compagnies d'assurance de la Somme au profit des petites communes sur leurs biens non assurables.

M. Jean-Marc Lamère - Je ne vois pas pourquoi un tel mécénat existerait plus pour la Somme que pour d'autres régions, beaucoup plus touchées par des catastrophes naturelles, monsieur le Président.

M. François Gerbaud - Je souhaiterais mettre l'accent sur l'évolution des comportements individuels et pour ce faire je prendrai l'exemple de la médecine où de plus en plus, à la manière américaine, les chirurgiens devront se prémunir face à un certain nombre de comportements nouveaux de la part des patients.

Ma question est la suivante : compte tenu des évolutions climatiques, d'un côté et des changements de comportements, de l'autre, comment voyez-vous l'évolution de la protection des collectivités, des individus et du métier d'assureur en général ?

M. Jean-Marc Lamère - C'est une question très vaste, monsieur le sénateur.

S'agissant des collectivités locales, il faut noter que nous coopérons de façon très étroite, notamment avec l'Association des maires de France, et ce pour apporter des explications techniques, publier des plaquettes d'information, etc. Il semble qu'il n'y ait pas de problématique particulière dans ce domaine.

M. Rosenwald me fait justement remarquer à l'instant qu'il est étonnant de constater que l'on ne parle jamais des dommages corporels. En effet, personne ne parle des personnes emportées par une coulée de boue, par exemple, et pourtant il y a chaque année un certain nombre de victimes de telles catastrophes. C'est pourquoi nous avons pris l'initiative d'offrir une garantie « accident de la vie ».

Pour en revenir à votre question, monsieur le sénateur, en réalité, vous mettez le doigt sur une difficulté majeure qui est celle de la responsabilité civile, qu'il s'agisse de celle des communes ou de celle des particuliers, mais c'est un autre sujet.

M. le Président - Messieurs, Je vous remercie.

34. Audition de M. Bernard Lenglet, président du syndicat de la Vallée des Anguillères (10 juillet 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons M. Bernard Lenglet, président du syndicat de la Vallée des Anguillères (SVA).

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Bernard Lenglet .

M. Bernard Lenglet - Pour me présenter, mesdames, messieurs les sénateurs, je dirais que je suis maire-adjoint de Frise et président du SIVOM créé il y a une douzaine d'années et regroupant quelque trente communes.

Pour brosser rapidement le tableau, il faut savoir que dans la Haute-Somme nous disposons d'un patrimoine exceptionnel et complètement méconnu.

Il y a une douzaine d'années, un groupe d'élus s'est constitué pour réfléchir à la façon d'organiser les différentes actions à mener en vue d'entretenir cette partie de la rivière qui nous intéresse, c'est-à-dire les étangs de la Haute-Somme.

A l'époque, les structures en place étaient de deux ordres. Il y avait, d'une part, l'association des propriétaires d'étangs de la Haute-Somme - association du type loi de 1901 - qui regroupait les propriétaires privés et, d'autre part - c'est là que tout se complique - les communes possédant des propriétés privées, le tout couvrant environ 2.000 hectares de marais.

Mais pour bien comprendre la situation à l'époque, il faut remonter aux Romains. En effet, ce sont eux qui ont décidé de domestiquer cette partie de la rivière en installant une succession de biefs, ce qui créait des étendues d'eau censées répondre aux besoins en poissons de la population.

La Somme était à l'époque un fleuve quasiment sauvage. La mise en place d'un système de chaussée découpant la rivière en dix-sept biefs, chaque chaussée étant ouverte grâce à l'installation de vannages, permet de disposer d'un excellent moyen de réguler la rivière et de gérer la crue. Je veux parler des réservoirs qui se succèdent les uns aux autres.

Ce procédé utilisé par les Romains a été repris par les moines au Moyen-Age qui ont également installé des moulins et curé les marais pour en extraire la tourbe.

Trois structures se sont mises en place au XXe siècle. D'abord, la commission exécutive de la rivière Somme - créée par l'autorité préfectorale - qui est chargée de vérifier le bon écoulement de l'eau et de s'assurer du maintien de niveaux corrects. Ensuite, l'association des propriétaires d'étang. Enfin, le syndicat de la vallée des Anguillères, que j'ai l'honneur de présider, syndicat à vocations multiples qui a été mis en place en 1989.

Sa première compétence consiste à réhabiliter la rivière par le désenvasement. La deuxième compétence est relative aux vannages. La troisième compétence concerne l'aménagement et la réhabilitation des berges. Voilà plus de dix ans que nous existons et nous avons du grain à moudre.

Il faut savoir que si l'association des propriétaires d'étang regroupe un certain nombre de communes, le syndicat de la vallée des Anguillères est plus large dans sa démarche.

Nous avons commencé par le commencement. Dès que les études ont été terminées, nous avons pratiqué un « Samu aquatique » pour faire face à l'émergence de la « civilisation Ricard ». En effet, le camping sauvage se développait, des cabanons et des constructions anarchiques se multipliaient sans autorisation, dans un climat de complicité généralisé.

Notre première action a consisté à extraire la vase. Aujourd'hui, nous en avons extrait 1.260.000 m 3 , ce qui est assez colossal.

Quels outils avons nous utilisés ? Grues sur ponton, grues sur berges, mais aussi un système d'aspiration, ce que l'on appelle les suceuses. Ce sont des bateaux qui aspirent la vase grâce à une turbine et qui l'envoient, à l'aide de gros tubes, deux kilomètres plus loin dans des carrières extérieures.

On a également mis en place dans des champs des ceintures de terre qui reçoivent les vases. Au bout de six mois à un an, on nivelle et c'est terminé. La vase est devenue de l'humus. Nous obtenons ainsi une richesse qui est assez intéressante en termes de matières organiques.

Notre deuxième action concerne les vannages qui n'avaient pas été appréhendés dans leur globalité. La situation est aujourd'hui satisfaisante puisqu'après un hiver épouvantable, les ouvrages ont tenu. Nous le devons aux actions préalablement menées, notamment sur le vannage de Bray-sur-Somme, qui ont coûté près de 2 millions de francs.

Quel est le montage financier du syndicat ? Nous fonctionnons pratiquement à 80 % grâce à des subventions. Elles nous viennent du FEDER, de l'État via le ministère de l'Environnement - parfois de l'Agriculture - du Conseil général, de l'Agence de l'eau, voire sur certaines actions, du Conseil régional. Les communes prennent en charge le reste.

Vous allez naturellement m'interroger sur le domaine privé. On ne pouvait commencer à réhabiliter certains morceaux de la rivière sous prétexte qu'ils étaient communaux et en laisser d'autres sous prétexte qu'ils étaient privés, sauf à courir le risque d'effets pervers. Il s'agissait en l'occurrence du retour sur la commune de la vase en provenance du domaine privé.

Nous avons donc expliqué qu'il s'agissait d'une démarche d'intérêt général, ce qui a été parfaitement compris.

Nous ne connaissons que les communes mais, à l'intérieur des communes, des conventions sont signées aux termes desquelles le propriétaire paie la commune, qui reverse la somme au syndicat. La seule difficulté porte sur la récupération de la TVA qui est impossible pour les propriétaires privés.

J'en reviens aux vannages. Nous avions un projet important qui consistait à réaliser, partiellement ou totalement, leur automatisation.

Il faut savoir que les propriétaires de vannages, qui sont en contact téléphonique les uns avec les autres, donnent jour et nuit des coups de manivelle pour tenir les niveaux. On ne dit pas assez quel hiver difficile ils ont passé.

Nous considérons qu'il faut vivre avec son temps et qu'il faudra parvenir à l'avenir à automatiser tout cela. Je ne pense pas seulement à nous mais aussi à d'autres secteurs en amont et en aval.

Nous avons suivi la même démarche pour notre troisième action, qui concerne les berges. Des bourrelets étaient destinés à les protéger des crues. Après quoi, la vase extraite était expédiée sur le bord du marais, ce qui était catastrophique car les roselières risquaient d'être saturées et asphyxiées.

Par définition, un marais est composé de roseaux. Une forêt est composée d'arbres. Quand les arbres apparaissent dans un marais, cela signifie que la forestation du marais a commencé et nous nous battons contre cela.

Certaines berges étaient dans un état déplorable. Pour les consolider nous avons mis en place des pieux de châtaignier, des planches en chêne et du géotextile. Une autre solution consiste à utiliser des fascines, c'est-à-dire des branches liées les unes aux autres. Cette technique qui présente des avantages en termes écologiques a l'inconvénient de ne pas être forcément durable.

Il faut savoir que quand on parle d'hydraulique, ce sont des sommes considérables qui sont en jeu. Nous avons dépensé pratiquement 40 millions de francs sur dix ans.

J'étais président du contrat de rivière de la Haute-Somme qui partait de la source - au-delà de Saint-Quentin - et allait jusqu'aux portes d'Amiens. Notre budget s'élevait à 60 millions de francs.

Les communes ont adhéré au syndicat car elles ont pris conscience que chacune ne pouvait pas continuer à faire sa petite cuisine de son côté.

Nous sommes reliés au canal du Nord.

Bien entendu, nous n'avons pas toutes les manettes. Sans doute avez-vous entendu parler du déversoir d'Epénancourt, composé de poutrelles qui s'enlèvent les unes après les autres. On envoie de l'eau dans la rivière en fonction des besoins. Dans un souci d'affiner la gestion, nous demandons très clairement que ce déversoir devienne un vannage. Dans la perspective de l'automatisation, autant éviter d'ores et déjà les points de désordre.

La rivière se continue par le canal de la Somme sur lequel des travaux considérables ont été effectués.

Puis vient ce qu'on appelle la vieille Somme, qui est une rivière déclassée, non domaniale. En tant que telle, elle est gérée par le ministère de l'Environnement.

Nous avions fait des travaux très importants à la hauteur de la commune de Méricourt-sur-Somme. Et puis, sont survenus des désordres qui ont mis en péril les berges que nous avions reconstituées et le curage des marais que nous avions effectué.

Par ailleurs, la vieille Somme était envasée et nous avions décidé de la désenvaser. On nous a objecté que cette rivière étant déclassée, elle dépendait du ministère de l'Environnement qui n'avait pas les moyens de s'en occuper.

Nous nous sommes contentés de faire observer que pour que l'eau s'écoule, il fallait lui en donner les moyens. Nous avons voulu redonner une dynamique à la rivière dans une cohérence hydraulique, c'est-à-dire que nous souhaitons que la rivière s'écoule sereinement.

Il subsiste certes encore quelques bouchons. Autrement dit, certaines communes - au demeurant rares - ont été totalement récalcitrantes.

Donc, nous redemandons de l'argent à nos financeurs pour mener à bien cette approche hydraulique du système. Nous demandons également à pouvoir continuer nos travaux de réhabilitation des ouvrages de vannage et de réhabilitation des berges.

En parallèle avec les trois actions que je viens de décrire, nous menons une action beaucoup moins onéreuse qui consiste à sensibiliser les gens au patrimoine exceptionnel dont ils disposent. En effet, quand vous êtes propriétaire d'un patrimoine - que vous soyez une commune ou un propriétaire privé - cela vous donne des droits - utilisation pour la pêche, la chasse, le loisir - mais cela vous impose également des devoirs - l'entretien, la préservation et le respect de la nature.

On parle beaucoup - souvent avec crainte - de Natura 2000. Cela ne nous fait pas peur car, comme M. Jourdain, voilà fort longtemps que nous faisons, sans en avoir l'air, du Natura 2000.

Nous occupons le terrain. Nous apprenons à gérer au mieux la nature et nous nous entourons d'experts. L'équipe d'élus qui préside aux destinées du SVA a d'ailleurs confié la maîtrise d'oeuvre à la DDE et à la DDA. Tout cela se fait en bonne intelligence. Nous avançons sans guère nous soucier de savoir qui est le technicien et qui est l'élu tant il est vrai que tout le monde est motivé dans cette affaire.

Comment est pratiquée notre campagne de sensibilisation ?

Nous avons rédigé, en concertation avec le Conservatoire des sites de Picardie, quatorze fiches techniques de conseil assorties de posters.

Nous organisons pour la 11ème année une exposition de peinture intitulée « Découverte de la Haute-Somme par la peinture » qui est l'occasion de rassembler les élus et les autorités.

Par ailleurs, nous proposons aux communes, moyennant 1.650 francs TTC par jour, une équipe très opérationnelle : six personnes, deux bateaux, deux moteurs, une tronçonneuse, une débroussailleuse, un véhicule, une caravane...

Vous avez parlé d'eutrophisation. Nous avions inévitablement des problèmes d'eutrophisation qui commencent maintenant à s'estomper. En effet, si vous redonnez une dynamique à la rivière, vous lui permettez de s'oxygéner. Nous sommes libérés de la hantise des diatomées, ces algues brunes qui consomment beaucoup d'oxygène et font mourir les poissons.

Que dire pour conclure sur les inondations ? Je vais prendre un exemple. Si vous gorgez une éponge d'eau et que vous faites couler par la suite de l'eau sur la surface de l'éponge, cette eau va stagner. Vous prenez la même éponge et vous la gorgez à nouveau d'eau. Si vous creusez un sillon au centre de l'éponge, l'eau va s'écouler.

De même, une rivière comme la nôtre, qui est une rivière de nappe, a besoin d'un système hydraulique performant pour que l'eau s'écoule.

Nous avons adressé le 29 mars une note au préfet dont je vous donne lecture : « Le système hydraulique de la Haute-Somme, constitué d'une succession de biefs, a permis pendant la période hivernale de réguler dans la mesure du possible le niveau des eaux.

Depuis la mi-janvier, les niveaux ont atteint des seuils critiques du fait d'une pluviosité anormale - niveau des eaux exceptionnel, non connu de mémoire d'homme.

La gestion permanente des vannages permet et a permis de retenir jusqu'à présent des volumes considérables en eau. C'est en effet plus de huit millions de m 3 qui sont actuellement retenus au-delà du niveau habituel.

D'ores et déjà, les habitations sont inondées. Des désordres importants au niveau de la circulation routière et des infrastructures ont été constatés. Une extrême vigilance est demandée du fait de la crainte, dans cette situation exceptionnelle, de voir se rompre les ouvrages de régulation du niveau des eaux. »

Cette note est signée par la commission exécutive de la Haute-Somme, l'association des propriétaires des étangs, le syndicat de la vallée des Anguillères et le conseiller général du canton.

M. Pierre Martin, Rapporteur . Il ressort de votre exposé que vous avez fait le nécessaire pour que les inondations ne soient pas catastrophiques en aval. Malheureusement, le pire était à venir. Pensez-vous qu'il était possible de mener d'autres actions pour éviter ce qui s'est passé ?

Par ailleurs, que pensez-vous de la rumeur d'Abbeville ?

M. Bernard Lenglet . Je ne peux parler que de ce dont j'ai pu prendre connaissance. Nous entretenons la rivière comme des forcenés depuis des années et des années.

M. le Président - Que devient le contrat de rivière que vous avez présidé et qui allait de la source de la Somme jusqu'à Amiens ?

M. Bernard Lenglet - Il a été mis en sommeil après avoir accompli sa mission.

Nous proposons maintenant un schéma d'aménagement et de gestion de l'eau. Je rappelle que nous avons la mission d'entretenir une rivière qui est domestiquée.

M. le Président - Quel est votre budget de fonctionnement annuel ?

M. Bernard Lenglet - Il est de 40 millions de francs sur dix ans.

Pour le moment, nous avons terminé ce qui était prévu, c'est-à-dire le désenvasement. Nous demandons une nouvelle enveloppe de 5 millions de francs hors taxes.

En ce qui concerne les berges, nous sommes en phase 2 d'une enveloppe de 8 millions de francs.

S'agissant des vannages, nous n'avons plus d'argent et nous redemandons 5 millions de francs hors taxes.

M. le Président - Au-delà des subventions, à hauteur de combien contribuent les propriétaires d'étang par hectare d'étang et par an ?

M. Bernard Lenglet - Il y a une cotisation des communes de dix francs par habitant.

Pour l'administration générale et les études, nous sommes parvenus à une collecte d'environ 250.000 francs. Si une commune programme, par exemple, un million de francs de travaux, on lance la procédure de subvention et on lui demande de payer l'appoint.

Nous avons également un système d'ouverture de lignes de crédit qui serait activé en fonction de nos besoins.

Nous parvenons à tenir très raisonnablement nos comptes.

M. le Président - Etes-vous le maître d'oeuvre principal de ces trente communes qui dépendent de vous ? Quel est le rôle du conseil général dans cette opération ?

M. Bernard Lenglet - Nous sommes le maître d'ouvrage et le Conseil général est pour nous le financeur. C'est un excellent partenaire.

Il est d'ailleurs évident qu'une aventure comme celle-là ne peut pas se fonder sur un rapport de force. Vous comprenez bien qu'il est inconcevable de distribuer les fonds publics sans attendre un retour. Quand nous signons une convention, nous inscrivons une clause pour que l'engagement soit pris de faire disparaître toutes les caravanes sauvages.

Pour en venir à la rumeur d'Abbeville, je pense que 80 % de nos problèmes sont liés aux intempéries et que les 20 % restant résultent de l'addition de petits problèmes qu'il faut identifier : gestion de la rivière imparfaite, coordination insuffisante à l'échelon du département.

Il est toutefois hors de question qu'une autorité administrative quelconque se permette de gérer tout cela. Pour ma part, je souhaite qu'on responsabilise les gens au maximum en leur donnant les outils adéquats. C'est en ce sens que notre syndicat a valeur d'exemple.

M. le Président - Pour gérer le bassin - quelle que soit la structure de gestion choisie - faut-il sortir du territoire de la Somme pour aller jusqu'à la source ? Pensez-vous possible de gérer le seul département de la Somme sans se soucier de ce qu'il y a en amont ?

M. Bernard Lenglet - Il me paraît évident qu'il ne faut pas être en réunion tous les jours pour gérer la Somme. Il serait bon d'avoir une sorte de structure de veille à l'échelon du département qui soit en mesure de communiquer les informations à l'ensemble. Mais, je le répète, je ne veux pas d'une structure autoritaire.

Pour répondre à votre question, sur le plan géographique, il me paraît évident qu'il faut partir de la source.

M. Michel Souplet - Si votre secteur n'avait pas été domestiqué, les dégâts des inondations auraient-ils été beaucoup plus importants ?

Est-il envisageable de transposer cette expérience positive en aval de la Somme ?

M. Bernard Lenglet - Nous avons un problème en raison des biefs qui se succèdent. Ce n'est pas le cas partout mais partout, il y a des problèmes d'envasement et de berges mal entretenues. Ce sont des problèmes communs. Cela, c'est une réponse.

Si nous n'avions pas désenvasé, je pense honnêtement que la situation aurait été épouvantable. Il y a tellement de siècles que la rivière est sauvage que nous sommes tous habitués à la voir ainsi. Mais quand on a un moyen de réguler le débit, il faut l'utiliser.

M. le Président - Qu'est-ce qui vous motive ? Quel est l'intérêt d'entretenir cette rivière ?

M. Bernard Lenglet - La qualité du paysage ! J'y suis né et je passerai ma vie à défendre cette rivière.

M. le Président - Votre passion a été contagieuse.

Que s'est-il passé depuis l'expiration du contrat de rivière en 1998 ?

M. Bernard Lenglet - Nous continuons les travaux qui sont entrepris. Le comité de bassin Artois-Picardie poursuit sa tâche.

Par ailleurs, nous nous entretenons régulièrement avec l'autorité préfectorale. Deux jours après son arrivée, le sous-préfet de Péronne était en Haute-Somme et regardait les marais.

M. le Président - Comment se passent les choses avec la DDA et la DDE comme partenaires ?

M. Bernard Lenglet - Très bien !

M. le Président - Si le désenvasement était la tâche prioritaire du syndicat, je suppose que c'est parce que cette tâche avait été négligée depuis longtemps.

M. Bernard Lenglet - Non, elle n'avait pas été négligée mais elle n'avait pas été pratiquée de manière cohérente. Les communes et les propriétaires privés donnaient des coups de grue sporadiquement et sans cohérence.

M. Jean-François Picheral - On répète à l'envi que la Somme était mal entretenue dans sa globalité. Quand je vous écoute, je n'ai pas l'impression que cela soit vrai.

M. le Président - Nous croyons en tout cas comprendre qu'une portion est bien entretenue et qu'il en va différemment pour les autres.

M. Bernard Lenglet - De temps en temps, il est vrai, nous recevons des lettres dans lesquelles il est reproché aux propriétaires des étangs de la Haute-Somme de mal gérer leur niveau d'eau, etc. Or tel n'est pas mon avis.

M. le Président - Existe-t-il un protocole ou tout au moins un document écrit ? Ainsi, lorsqu'on met en eau le canal du Nord, cela perturbe le système. Mais êtes-vous tenu de recevoir les eaux qui vous sont envoyées ?

M. Bernard Lenglet - Absolument, monsieur le Président, et c'est bien là tout le problème.

M. le Président - Au nom de quelle autorité y êtes-vous tenu ?

M. Bernard Lenglet - Les services publics, certainement.

M. le Président - Il nous faudra éclaircir ce point de droit.

M. Bernard Lenglet - Personnellement, je me suis toujours refusé à pousser des cocoricos. En effet, il est, selon moi, un peu trop facile de dire que nous sommes les meilleurs dans ce domaine. En tout cas, ce n'est certainement pas ce que je suis venu vous dire ce soir.

M. le Président - On a quand même cru comprendre que vous n'étiez pas les plus mauvais !

M. Bernard Lenglet - Concernant la partie de la rivière qui vous intéresse plus particulièrement, Monsieur Flandre, je voudrais vous lire ceci : « Ce canal est une voie d'eau domaniale qui a été rayée de la nomenclature des voies navigables par le décret du 27 juillet 1957. Une telle procédure de radiation de la nomenclature des voies navigables a pour effet de transférer la gestion de cette section au ministère de l'Environnement. C'est donc la direction régionale de l'environnement qui est compétente en ce qui concerne le bras principal de la rivière. » C'est ce que l'on appelle, en d'autres termes, une rivière « déclassée », comme il en existe aussi dans l'Aisne, par exemple.

M. Hilaire Flandre - Vous avez parlé de huit millions de francs. Qu'en avez-vous fait ?

M. Bernard Lenglet - Je le répète, le syndicat que je représente ici est un syndicat d'accompagnement. Nous aidons, nous finançons les travaux d'aménagement de la rivière. La commission exécutive, elle, veille à ce que ceux qui sont concernés tiennent leur niveau d'eau. Moi, je n'ai pas la responsabilité des niveaux.

M. le Président - J'aimerais savoir en fonction de quoi cette commission exécutive tient les niveaux ?

M. Bernard Lenglet - Cela relève de la DDE, monsieur le Président. Il faut bien comprendre que l'on n'arrêtera jamais l'eau. Jamais.

M. le Président - Il me reste à vous remercier d'être venu nous apporter tous ces éclaircissements, Monsieur Lenglet.

35. Audition de M. Yvon Julian, conseiller en développement industriel, spécialiste de la lutte anti-pollution (11 juillet 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui M. Yvon Julian, conseiller en développement industriel, spécialiste de la lutte anti-pollution.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Yvon Julian .

Nous vous écoutons, avant de vous poser des questions par la suite.

M. Yvon Julian - Le document que vous m'avez envoyé me demandait de commencer par présenter mon parcours et les raisons qui m'ont conduit à me spécialiser dans la lutte anti-pollution. Je suis né et j'ai grandi en Bretagne au bord de la mer, ce qui m'a conduit à être témoin de nombreuses pollutions, notamment par les hydrocarbures. A 17 ou 18 ans, je me suis engagé dans la Marine car elle était la seule arme qui me permettait de poursuivre mes études, les armées de Terre et de l'Air n'offrant pas cette possibilité. Aujourd'hui, je suis donc à même de vous présenter ce rapport en matière de géologie et d'hydrogéologie.

Voilà pourquoi j'ai choisi de faire des études dans ces domaines. Lorsque l'on s'occupe du mécanisme de la pollution et que cette dernière atteint les nappes phréatiques, il faut comprendre comment fonctionne le sous-sol et comment y circulent les particules indésirables. Dans tous les cours, jusqu'à l'agrégation, la baie de Somme est toujours citée en exemple. En effet, c'est un laboratoire qui sert de référence applicable à l'ensemble du bassin parisien mais aussi à toutes les baies et deltas, notamment en Camargue. On constate d'ailleurs une similitude de la communication entre les différents marécage dans la baie de Somme et en Camargue.

Dans le rapport dont vous disposez, j'ai fait état de mes constatations. Ayant suivi des cours de géologie et d'hydrogéologie, je devais comprendre le mécanisme de la pénétration des polluants, notamment des hydrocarbures, dans le sol. J'ai donc parcouru le monde pour étudier les catastrophes naturelles, ce qui m'a permis d'acquérir l'expérience dont je dispose actuellement. Ainsi, en 1967, je prévenais les autorités françaises que, dix jours après l'échouage du Torrey Canyon en Grande-Bretagne, le pétrole allait arriver sur les côtes de Bretagne. A l'époque, les fonctionnaires que j'avais contactés étaient restés sceptiques. Lorsque le pétrole est arrivé, tout le monde s'est demandé qui était cet « empêcheur de tourner en rond ». J'ai ainsi lancé l'idée des barrages flottants, au cours d'une réunion au ministère de la Marine Marchande. Je suis en effet l'initiateur et l'inventeur de ces barrages flottants pour lesquels j'ai d'ailleurs déposé des brevets. Ces derniers ont été utilisés au moment de l'échouage de l'Amoco Cadiz. A l'époque, j'avais été réquisitionné par M. Christian Bonnet, ministre de l'Intérieur, pour être le conseiller du directeur des opérations auprès de Monsieur Girondeau, patron de la Sécurité routière. En effet, cette personne n'avait pas d'expérience en termes de marées noires. J'ai donc été son conseiller pendant plus d'un mois et demi. Finalement, j'ai reçu une attestation du ministère de l'Intérieur certifiant que mes compétences en matière de lutte contre les marées noires étaient reconnues et que le seul matériel efficace était celui que j'avais inventé.

D'autre part, suite au naufrage de l'Amocco Cadiz, j'ai écrit un livre :  « Le pétrole qui tue », tiré à 40.000 exemplaires et aujourd'hui épuisé. Cet ouvrage traite des pollutions par hydrocarbures à l'échelle de la planète, notamment des sites sur lesquels je suis intervenu, comme celui de l'Amocco Cadiz ou le Golfe du Mexique.

A chaque fois que l'on fait face à une situation de catastrophe, le schéma est le même. J'ai appris par la presse que des déversements avaient été effectués dans l'un des canaux (Somme ou Nord). En mars, le bief entre Ham 1 et Ham 2 aurait été vidangé, alors que le sol était déjà saturé. Parallèlement, dans un autre bief de cinq kilomètres de long, la pression d'eau était telle que l'on ne parvenait pas à le vider. Finalement, ce sont 130.000 m 3 d'eau qui ont été déversés. Cette quantité aurait pu être absorbée dans des conditions normales. Mais, là, le sol était saturé et il n'a pas pu jouer son rôle d'éponge. Je me suis rendu sur place. J'ai commencé à suivre l'affaire et à écouter les différents acteurs s'exprimer. J'ai notamment appris qu'un jeune élu du conseil général avait proposé la construction d'un bras de dérivation. Or j'envisageais de proposer cette solution lors de ma venue. En effet, mon expérience fait que je sais qu'il faut faire très vite pour résoudre les problèmes lorsque des gens sont dans des situations catastrophiques. Sur place, j'ai interrogé l'administration mais je me suis vu refuser les informations dont j'avais besoin, principalement auprès des voies navigables, de la DDE et de la préfecture, cette dernière m'ayant indiqué qu'il fallait que j'envoie une demande écrite !

Cela m'a rappelé la situation de l'Erika. Le Préfet maritime avait annoncé qu'il n'y aurait pas de pollution en Bretagne. Or mes calculs indiquaient que le pétrole allait arriver 48 heures plus tard. Le 17 décembre, sur RTL, j'annonçais en direct que la marée noire allait envahir la Bretagne, l'île de Sein et l'île de Ré. Je prévenais donc de l'imminence d'un sinistre alors que les autorités prétendaient que rien n'allait se passer. En effet, je souhaitais que des dispositions soient prises pour éviter que la catastrophe ne s'étende. J'ai donc envoyé un fax très précis à la ministre de l'Environnement, Madame Dominique Voynet, ainsi qu'à Monsieur Jean-Claude Gayssot, ministre de l'Equipement et des Transports, et à mon député, Monsieur Roger Meï. J'ai proposé mes services le 20 décembre mais je n'ai reçu une réponse que le 28 décembre m'indiquant que mon dossier avait été transmis aux services de l'administration.

Pour l'Amocco Cadiz, M. Christian Bonnet a su prendre les décisions en temps voulu. Je précise que je n'ai aucune préférences politiques. Mais, il avait simplement jugé que mes compétences étaient valables. Lors de la première réunion, un expert américain avait été invité à grands frais ; lorsqu'il est entré dans la salle, il est venu me saluer car c'est moi qui l'avais formé ! Or la DDE ne reconnaissait pas mes connaissances car je n'étais pas titulaire d'un diplôme de grande école.

Pour les inondations de la Somme, j'ai le sentiment qu'il s'est passé un peu la même chose. En effet, les gens de la région me donnaient régulièrement des informations qui me permettaient d'analyser la situation. Dans ce domaine, je souhaiterais que l'on arrête de dire tout et n'importe quoi. En effet, à chaque fois qu'une catastrophe se produit, les fonctionnaires conduisent les politiques à prendre des décisions qui sont contraires au bon sens. En fait, les politiques font confiance à certains fonctionnaires qui refusent de reconnaître qu'ils ne savent pas.

Je suis remonté à la source de la Somme, en compagnie de Monsieur Leleu. A ce propos, je précise qu'avant-hier, le débit de la Somme était, à la source, d'environ 1 m 3 /seconde. En faisant mon enquête, j'ai découvert qu'à 1,5 kilomètre de la source de la Somme, la hauteur des marques de limon sur les végétaux était la même qu'en aval, dans les marais en bordure du fleuve. Cela me fournit donc une explication pour les millions de m 3 qui semblaient de trop dans les calculs que j'avais effectués sur la seule base de la pluviométrie ou du débit de certaines nappes phréatiques.

Par ailleurs, dans le Canard Enchaîné, les riverains de la Somme ont été ridiculisés, ce que je n'apprécie pas. En effet, ils sont ceux qui ont les informations. Ce n'est pas dans les bureaux de l'Elysée que l'on peut se rendre compte de l'incidence des remontées d'eau dans la Somme, en Bretagne ou ailleurs. J'ai donc interrogé les riverains. Or, ceux qui vivaient à 1,5 kilomètre de la source de la Somme étaient déjà inondés dans leurs sous-sols et dans leurs jardins. C'est logique dans le premier cas puisque les nappes phréatiques étaient saturées. En revanche, les nappes phréatiques ne peuvent pas inonder les jardins. J'ai donc cherché à comprendre.

Par la suite, j'ai découvert le fossé de Noirrieu, qui avait déjà été au centre d'une polémique. En effet, il avait été dit qu'il était impossible de transférer de l'eau de la Seine vers la Somme. C'est vrai. La polémique a simplement permis à certains journaux de prendre les gens pour des imbéciles, parce qu'ils ne savaient pas s'exprimer aussi clairement que les ingénieurs. En fait, un riverain m'a dit que des milliers de mètres cubes d'eau jaillissaient dans son jardin. Je me suis rendu sur place, accompagné d'un témoin afin de valider mes informations. Ce témoin a accepté de me fournir la cassette qu'il a filmée à l'occasion, à condition que je ne donne pas son identité pour éviter les représailles. En effet, il s'agit d'un fonctionnaire de l'Equipement, qui m'a dit qu'il avait le sentiment que l'on se moquait du monde. Des images ont donc été filmées, qui montrent un jaillissement d'eau que j'estime à plus de 8 m 3 /seconde, à 1,5 kilomètre de la source de la Somme.

M. Pierre Martin, Rapporteur - Etes-vous d'accord pour dire que la pluviométrie est indéniablement à l'origine des inondations ?

M. Yvon Julian - C'est indiscutable. Les nappes phréatiques étaient saturées à cause de la pluviométrie. De plus, l'évapotranspiration était limitée parce que l'ensoleillement a été relativement réduit durant la période de pluie.

M. le Rapporteur - Toutefois, la pluviométrie n'est pas responsable à 100 % des inondations. Tout dysfonctionnement qui a pu se produire n'a donc fait qu'accentuer le phénomène. Quels sont ces dysfonctionnements ?

M. Yvon Julian - Le premier dysfonctionnement est la gestion de la crise elle-même. Dans tous les ouvrages de géologie et d'hydrogéologie, il est indiqué que la station de Lallu, créée en 1945 lors de la quinzaine mondiale de l'eau organisée par l'UNESCO, dispose de tous les matériels nécessaires à l'établissement d'une prévision de crue potentielle, par saturation du sous-sol.

M. le Rapporteur - Il n'y a pas de système d'alerte dans la Somme.

M. Yvon Julian - Non. Le BRGM possède une station à Daours, qui sert de référence au niveau mondial. Pourquoi ces personnes n'ont-elles pas été consultées, alors qu'elles sont parfaitement compétentes ? Pourquoi n'ont-elles pas donné l'alerte ?

Par ailleurs, j'ai en ma possession une lettre du préfet du département de la Somme, qui écrit le 15 février à tous les maires de la région, indiquant qu'il y a des risques d'inondation et que la DDE sera chargée d'intervenir. Comment est-il possible que le préfet ait été au courant, alors qu'aucune autorité administrative n'avait encore donné d'alerte ? Je pense connaître la réponse à cette question. La DDE a prétendu, notamment dans la presse, qu'elle n'était pas intervenue dans les inondations de la Somme, notamment au niveau du fossé du Noirrieu. Comment est-il possible d'affirmer cela, alors que je dispose d'images qui prouvent le contraire ?

En fait, les riverains étaient menacés de plaintes en diffamation ; c'est pour cela qu'ils hésitaient à donner des informations. On les accusait de faire courir des bruits. Il ne s'agissait pas de bruits ; les riverains avaient compris ce qui s'était passé. A mon niveau, je ne parvenais pas à obtenir des informations auprès des autorités administratives. Je ne demandais pourtant qu'à dédouaner toutes ces autorités ; toutefois, les moyens m'étaient refusés.

Ainsi, pourquoi ne m'a-t-on pas indiqué la hauteur de la Marne à un point donné lors du mois d'avril ou les cotes de l'Oise à un point donné ? Il était impossible d'obtenir ces informations. On me demandait notamment en quelle qualité j'agissais, question à laquelle je répondais que j'étais analyste, président de l'association France Avenir Assistance Environnement, dont l'objectif est de prévenir les crises et les pollutions en tout genre. Je constate que l'on a menti aux élus et aux riverains. Les élus ont été pris pour des imbéciles. Je le confirme sous serment.

M. le Président - Je propose de regarder la cassette dont vous avez parlé.

M. Yvon Julian - Auparavant, je tiens à attirer votre attention sur un élément très particulier. Hier, avec MM. Lottin et Leleu, j'ai pu constater sur le terrain le travail énorme des militaires. Toutefois, tout ce qui a été fait par les militaires est aujourd'hui fragilisé. Dans ces conditions, si dans les soixante-douze heures qui viennent, des précipitations de plus de 300 millimètres interviennent, il y a de très forts risques d'enregistrer des inondations ou des catastrophes d'un autre type. En effet, j'ai pu constater que des arbres étaient tombés du fait de la tempête. De plus des travaux d'élagages ont été effectués et les branchages sont restés sur place, ainsi que des troncs d'arbres. Il pourrait donc se constituer un barrage artificiel, comme ceux qui ont été à l'origine des catastrophes de Vaison-la-Romaine ou de Nîmes. Ce barrage bloquerait une masse d'eau, qui le ferait finalement céder au bout d'un certain temps. Une déferlante pourrait alors se produire vers Abbeville, aux conséquences bien plus désastreuses que celles que nous avons connues. De plus, les digues renforcées par l'armée commencent à suinter. Le phénomène de l'érosion s'accentue, du fait de la pression, ce qui pourrait conduire à un abaissement du barrage artificiel de l'armée. Il suffit pour cela d'un gros orage du type de ceux qui sont intervenus il y a quarante-huit heures.

Dans mon rapport, je mets en cause les ouvrages d'art (routes...) car ils sont mal conçus. Je dispose des compétences nécessaires dans ce domaine puisque je connais notamment les questions relatives aux poussées et à l'influence des courants et des précipitations. Mon rapport a été tapé il y a huit jours. Or récemment, l'autoroute A1 a été coupée à un endroit bien précis. Je l'avais prévu. Malheureusement, les fonctionnaires que je contacte dans de telles circonstances me demandent toujours de me mêler de mes affaires. Dans ce cas, un barrage artificiel s'est créé parce que l'ouvrage a été mal conçu. De même, l'eau a été bloquée par la nationale 17, ce qui aurait pu avoir des conséquences dramatiques, comme à Vaison-la-Romaine, à Nîmes ou dans l'Aude. Les accumulations se font du fait de l'existence de voies de chemin de fer, de barrages artificiels, de routes... A un moment, la pression est telle que des déferlantes apparaissent.

Je précise que je n'ai pas contacté « Le courrier picard » pour qu'une photo soit prise de l'autoroute et qu'un article soit rédigé. Je l'indique car je sais que l'on pourrait m'accuser de l'avoir fait. En effet, par le passé, j'ai été la victime de pressions diverses, ainsi que de tentatives de corruption, notamment à l'époque du naufrage de l'Amoco Cadiz. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai été marginalisé durant une certaine période. Je reste toutefois à la disposition de l'administration. En effet, je pense disposer suffisamment de compétences pour le faire.

La vallée de la Somme est assez similaire avec les baies de Bretagne où j'ai grandi. Je connais de toute façon chaque kilomètre du littoral pour l'avoir parcouru à pieds. Les baies de Bretagne sont menacées de disparition du fait de la saturation du sable. De même, je me suis battu à une époque pour la préservation du Mont-Saint-Michel, ce qui m'a également coûté très cher. En effet, il était prévisible que le Couesnon, rivière qui passe au pied du site, ensable la presqu'île, suite à sa dérivation.

Dans la Somme, en Bretagne, du côté d'Arcachon ou dans l'étang de Berre, la situation est plus critique. La baie de Somme est donc l'un des derniers bastions de la faune aquatique traditionnelle. D'ailleurs, je tiens à souligner que sans la coopération des chasseurs, je ne pourrais pas vous donner toutes les informations que je vous livre aujourd'hui. Je disais tout à l'heure que les ouvrages d'art ne tenaient pas compte de l'environnement. Il est vrai que l'on construit tout et n'importe quoi. Ainsi, des centres commerciaux sont construits sur des marécages, sans prendre conscience que l'on supprime alors une zone tampon, qui permet d'accueillir les excédents d'eau en cas de montée des eaux. Les petits ruisseaux font pourtant les grandes inondations.

Personne ne vous a sans doute parlé de la fragilité du chemin de halage. Je vous conseille d'ailleurs de visiter une carrière, à quinze kilomètres d'Amiens, qui est la propriété de l'Etat ; vous constaterez à quel point le sous-sol est perméable. Je vous conseille aussi de vous rendre sur le terrain où, avec Messieurs Lottin, Butel et Leleu, nous avons pu constater hier la fragilité des berges de la Somme. Dans ce domaine, il n'est pas question de mettre en cause la DDE, le préfet ou les hommes politiques locaux, ces derniers étant pris de tout façon pour des « marionnettes ».

Comment se fait-il que le chemin de halage et les rives de la Somme aient été fragilisés au point de céder si facilement ? En fait, un câble de fibre optique a été installé jusqu'à Amiens, enterré dans le chemin de halage. Dans ces conditions, la digue séparant la rivière de son canal a été fragilisée ; ce n'était certainement pas le bon endroit où l'installer. En effet, le terrain avait été damé depuis des dizaines ou des centaines d'années et il était devenu dur comme la pierre. Après les travaux, il aurait donc dû être renforcé. Mais en réalité, on a rendu malléable une surface qui était devenue dure avec le temps.

Je ne sais pas qui a effectué la réception des travaux ou si une réception a bien été faite. Dans tous les cas, pourquoi les élus n'ont-ils pas été informés du « travail » effectué. Je vous conseille de visiter ce site car c'est ici que se produiront les prochains débordements. Qui a réceptionné ces travaux ? Comment a-t-on pu ne pas intervenir ? Je sais que les hommes politiques ne sont pas obligatoirement des techniciens, qui sont eux-mêmes souvent fonctionnaires ou énarques. Ceux-ci rappellent d'ailleurs souvent que les politiques passent mais que les fonctionnaires restent en place. En fait, nous avons la démonstration que l'exécutif prend le législatif pour quantité négligeable. Peut-être faut-il aussi mettre en évidence des complicités dans la médiocrité que je dénonce aujourd'hui.

M. le Président - Nous allons regarder la cassette que vous nous avez amenée.

M. Yvon Julian - Cette cassette a été filmée par un riverain, fonctionnaire des Ponts et Chaussées, qui m'a demandé de ne pas fournir son nom. Je vous rappelle que les images ont été filmées à un kilomètre en aval de la source de la Somme.

(Une cassette est diffusée montrant notamment le déversoir du Noirrieu s'écoulant sur le terrain du riverain, ainsi que dans la Somme par l'intermédiaire d'une vanne ouverte.)

M. le Président - Pouvez-vous nous laisser cette cassette ?

M. Yvon Julian - Non. La personne qui me l'a confiée est un fonctionnaire de l'Etat, qui travaille à la DDE à un haut niveau. Il souhaite conserver l'anonymat pour ne pas avoir de problèmes par la suite.

A l'entrée du village de Lesdins, un panneau indique clairement le fossé de Noirrieu. Tout le long des berges, on peut constater que l'eau a coulé pendant au moins un bon mois. Aujourd'hui, tout est arrêté, comme j'ai pu le constater hier encore. Au moment des inondations, le long des écluses, les déversoirs débordaient de partout. Les écluses du canal de Saint-Quentin, du canal de la Somme et du canal du Nord débordaient également. Si vous rajoutez le débit de la rigole du Noirrieu, il est normal que le débit ait atteint les 80 m 3 /seconde.

Dans un courrier de 1964, il est indiqué qu'il « est nécessaire de disposer d'un moyen permettant de résorber le trop plein en cas d'accident ou d'incident pouvant se produire sur le canal et pour pouvoir envoyer à ce moment les eaux dans la rivière. Ceci ne se produira que dans des circonstances tout à fait accidentelles, auquel cas le propriétaire et l'exploitant seront prévenus. » Voilà peut-être la raison de l'envoi de la lettre de Monsieur le Préfet le 15 février.

Dans Le Monde, M. Lefrou estime que « l'impact des pluies n'a pu être anticipé par les services administratifs ». De qui se moque-t-on ? Les services de la météorologie peuvent toujours donner des informations très précises.

Je vais vous laisser les photos prises par des riverains. Il apparaît qu'à certains endroits, la Somme n'a même pas un mètre de profondeur. De plus, le lit de la Somme est tellement saturé qu'il domine, à son niveau le plus bas, les marais qui sont situés en contrebas. Or une rivière ou un fleuve entraîne toutes les eaux qui sont situées au-dessus de son niveau et non en dessous. Je vous rappelle qu'il risque d'y avoir un accident très grave dans les jours à venir s'il se remet à pleuvoir. Dans tous les cas, si la pluviométrie n'atteint que la moitié de celle de cet hiver en novembre prochain, de nouvelles inondations vont apparaître. Dans certaines zones, malgré les millions consacrés à l'entretien de la rivière, la Somme n'a plus de lit ; son calibre est au moins trois fois inférieur à celui d'origine.

Aujourd'hui, on entend dire que la rapidité du courant provoque l'érosion des berges. C'est vrai. Toutefois, si la rivière est curée correctement, l'érosion disparaît. Lorsque je lis que « Mme Dominique Voynet s'était interrogée sur l'insuffisance du curage de la Somme à l'origine du débordement. Les experts estiment qu'il faut considérer comme tout à fait convenable l'entretien du canal », je me demande qui sont ces experts. Il s'agit de mensonge pur et simple.

Il est écrit également que « les affluents de la Somme ne semblent pas faire l'objet d'un entretien quelconque, ce qui explique la lenteur de la décrue ». Comment les affluents de la Somme peuvent-ils absorber le trop plein de la crue qui touche l'aval, près de l'écluse de Saint-Valéry et de ses environs ? C'est vraiment n'importe quoi ! On se moque du monde.

Je dispose d'un rapport du Conseil général où il est proposé d'investir 200 millions de francs. En revanche, rien n'est dit sur les dégâts qui ont été subis par les riverains. Tout le monde s'en fiche ! Deux pages du rapport remis au Conseil général sont consacrées aux inondations de la Somme et le reste concerne la demande de 200 millions pour réaliser des travaux qui permettront peut-être de résoudre le problème ! Si quelqu'un ici est capable de me prendre comme conseiller le temps qu'il faut, dans trois mois le problème aura été réglé, avec l'appui des riverains. Il ne s'agit pas d'une offre de service mais d'une suggestion...

M. Hilaire Flandre - A la demande de qui êtes-vous allé sur place ?

M. Yvon Julian - Je suis spécialiste des catastrophes naturelles. En France, les associations écologistes vivent actuellement grâce aux deniers de l'Etat. Elles sont totalement incompétentes. Pour ma part, j'ai besoin d'informations. Je ne peux pas parler de la baie de Somme, qui est en danger de mort dans certains endroits, si je ne me rends pas sur place. Il ne suffit pas de lire le journaux, qui sont de toute façon censurés.

En effet, comment se fait-il que l'on ne vous ait pas signalé les risques actuels ? Je répète que s'il pleut durant quarante-huit heures dans les jours qui viennent, le danger sera réel. Le barrage pourrait lâcher à n'importe quelle heure, à trois heures de l'après-midi ou à deux heures du matin. Nous avons remarqué hier des commencements de suintement sur les barrages mis en place par les militaires ; ils sont donc en phase d'affaissement. Depuis le début de la décrue il y a un mois et demi, personne n'a pris la précaution de renforcer les barrages artificiels, qui ne pouvaient être que provisoires.

Je vous donne ces informations de la manière la plus officielle. Je ne sors pas de Saint-Cyr ou de l'ENA mais je dispose d'une expérience de terrain qu'aucun technicien ou scientifique ne peut me contester. Si M. Lottin avait été écouté avec plus d'attention au début des inondations, certaines conséquences auraient pu être évitées. Malheureusement, ce conseiller général est aussi chasseur et ne bénéficie visiblement pas de ce fait d'une écoute très attentive.

M. Jean-François Picheral - D'autres délestages ont-ils été effectués, en dehors du fossé de Noirrieu ?

M. Yvon Julian - Evidemment ! Le fossé du Noirrieu n'explique pas tout. Tout le long, des déversoirs coulaient sans arrêt. Des riverains me l'ont confirmé. A Offroy, des personnes ont été inondées alors qu'elles habitent à cinquante mètres au-dessus du niveau de la mer !

M. Hilaire Flandre - Cela ne me choque pas que des inondations se produisent à cinquante mètres au-dessus du niveau de la mer. Dans les Ardennes, des inondations surviennent à 150 mètres d'altitude.

M. Yvon Julian - Dans le cas qui nous préoccupe, le réseau d'eau est censé être structuré. Pourquoi la circulation n'a-t-elle pas été arrêtée sur le Canal du Nord dès le mois de février ? A un moment, toutes les péniches étaient bloquées à Lesdins car elles ne parvenaient plus à passer sous les ponts tellement les canaux étaient saturés. Ce ne sont pas les nappes phréatiques qui sont responsables des dégâts ! Tout le monde savait que ces nappes étaient saturées ; l'eau n'est pas compressible.

Je suis peut-être « Monsieur Catastrophe » et en désaccord avec quelques fonctionnaires. Le rapport effectué pour le Conseil général prévoit des travaux de 200 millions. Pour ma part, je ne demande pas un franc. Il n'est pas besoin de 50 millions ou 50 milliards pour construire un réservoir de retenue d'eau. Quelques journées de bulldozer, quelques techniciens compétents et quelques riverains pourraient permettre de construire un réservoir de 10 millions de m 3 , sans modifier la structure du bassin de la Somme. Il suffit pour cela de boucher un élément de barrage détruit lors de certaines grandes marées.

Cela fait trente ans que je m'occupe des catastrophes et que je vais sur le terrain ; je n'ai jamais reçu aucune subvention de la part de l'Administration. Dans mon livre, écrit en 1979, « Le pétrole qui tue », j'écris : « Ne peut-on pas espérer demain la création d'une commission internationale de sécurité pour la protection de la mer, émanant par exemple des Nations-Unies ? Cette commission serait chargée d'élaborer et de veiller à l'application d'un règlement international en matière de sécurité, à tous les niveaux, qu'il s'agisse de forages, d'exploitations pétrolières, de circulation des navires, des rejets en mer de toute nature. A la disposition de cette commission, une force d'intervention, sorte de Casque bleu de la mer, bien équipée et parfaitement entraînée, chargée de surveiller et d'intervenir en haute mer et d'assister les unités nationales (...). Sa compétence pourrait s'étendre au domaine de la pêche, pour les contrevenants pêchant avec des filets aux mailles hors normes. »

Je n'ai jamais entendu les écologistes manifester contre ces gens-là. Pourtant, quelques écologistes prétentieux et politiques, y compris un énarque qui sera candidat à la prochaine élection présidentielle, ont fait leur cette proposition que j'ai effectuée en 1979 !

Dans la Somme, cela fait des années que de multiples projets sont prévus. Il est difficile d'en obtenir communication mais j'y parviens toujours parce que je suis un empêcheur de tourner en rond. En effet, je n'admets pas que l'on prenne les gens pour des imbéciles, au nom de la défense du budget de l'Etat. Je n'ai pas besoin de 2 milliards de francs pour régler le problème des inondations. J'ajoute que mon expérience, Monsieur le vice-président du conseil général, pourrait permettre au département de gagner de l'argent dans ce domaine.

M. le Président - Nous vous remercions.

36. Audition de M. Pierre Hubert, secrétaire général de l'Association internationale des sciences hydrologiques (11 juillet 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons cet après-midi M. Pierre Hubert, secrétaire général de l'Association internationale des sciences hydrologiques. Il est l'expert qui a été mandaté dans un premier temps par le Conseil général de la Somme puis a été associé à la mission Lefrou.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Pierre Hubert

Nous écoutons votre exposé liminaire. Puis, nous serons amenés à vous poser des questions. Les membres de la commission ont en leur possession votre rapport.

M. Pierre Hubert - Je vous donne le rapport définitif.

M. le Président - Je vous remercie de l'avoir apporté.

M. Pierre Hubert - L'Association internationale des sciences hydrologiques est une association scientifique qui regroupe des hydrologues. Elle a été créée dans les années 1920, après la première guerre mondiale, à l'époque où la recherche scientifique internationale s'est organisée. Après un certain nombre de vicissitudes, liées notamment à la création du système des Nations-Unies après la deuxième guerre mondiale, cette association a été ramenée à un rôle purement scientifique d'édition d'ouvrages, d'organisation de conférences. Elle assume de moins en moins des tâches opérationnelles ou d'organisation de la recherche comme cela a pu être le cas entre les deux guerres. Je suis secrétaire général de cette association et également chercheur à l'Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris.

Je reviens sur la problématique de la vallée de la Somme. Il était d'abord question des causes. Je voudrais rappeler le problème des pluies (M. Pierre Hubert projette des « transparents » à la commission) . Cette figure a été abondamment montrée. Elle présente des séries relativement courtes. C'est d'ailleurs un point qu'il ne faut pas oublier, aussi bien dans le domaine de la pluviométrie que de l'hydrométrie. Il s'agit d'une leçon générale à tirer. Nous avons généralement trop peu de données. Cette situation a tendance à s'aggraver, aussi bien à l'échelle mondiale que nationale. Le recueil de données coûte relativement cher. Or les séries longues ont une valeur importante, notamment lorsque nous sommes confrontés à des problèmes. Nous devrions également les utiliser davantage pour la conception de l'aménagement du territoire.

On constate que l'année 2000 a été particulièrement humide à Abbeville. Je vous montre une autre figure. Le bassin de la Somme est vaste. De la même façon que Paris n'est pas la France, Abbeville n'est pas la Somme. On observe ainsi une grande variabilité dans l'espace des précipitations. Lors des dernières inondations de 1994 et 1995, les précipitations étaient très différentes selon la partie du bassin concerné. Ainsi, Abbeville avait reçu beaucoup d'eau alors que les autres parties du bassin avaient été relativement épargnées par les précipitations. J'ai réalisé, à partir d'un ensemble de trois pluviomètres, à Abbeville, Amiens et Albert, une moyenne des précipitations sur l'ensemble du bassin. On constate avec surprise que l'année 1999 a amené encore davantage d'eau sur le bassin que l'année 2000. Par conséquent, la dimension exceptionnelle des précipitations tient avant tout à la succession de deux années, qui sont de loin les plus pluvieuses. La précédente année comparable, c'est-à-dire 1975, était isolée. 1999 et 2000 ont donc été deux années particulièrement humides, qui se sont traduites par une augmentation importante du niveau des nappes. Le début de l'année 2001 a été particulièrement humide.

Cette figure rend compte de l'évolution du niveau de quelques puits de la région au cours des dernières années. On observe une augmentation considérable en 1999 et 2000 du niveau des puits, après une période relativement sèche qui avait débuté après 1995. A cet égard, on constate une grande variabilité, même si tous les puits ont des caractères communs. Chaque puits a tout de même sa spécificité. Il est donc nécessaire de mettre en place plusieurs points d'observation. 1999 et 2000 ont vu une augmentation considérable du niveau des eaux souterraines. Nous avons connu un hiver 2000-2001 extrêmement pluvieux, en particulier au cours des mois de mars et avril, après un petit répit en février.

J'en viens aux causes de l'inondation. Cette figure représente la rive gauche de la Somme au niveau de Mareuil-Caubert, avec une exagération des hauteurs par rapport aux longueurs. Pendant les deux dernières années et notamment pendant l'hiver 2000-2001, on a pu observer une élévation du niveau des nappes souterraines. A partir de septembre et pendant la période de l'hiver, lorsque l'infiltration intervient en raison de la baisse de l'évapotranspiration (l'évaporation dans l'atmosphère et la transpiration des plantes diminuent), l'élévation des nappes devient linéaire. Autrement dit, les effets sont plus ou moins proportionnels aux causes. La fin du mois de mars s'est caractérisée, de façon relativement généralisée dans le bassin, par l'affleurement des nappes souterraines en un certain nombre d'endroits : d'abord au voisinage des cours d'eau, mais aussi à la faveur de ruptures de pentes. Cet affleurement des nappes conduit à une exfiltration, c'est-à-dire un suintement en surface, qui correspond à un débit supplémentaire. Toutefois, ce n'est pas le phénomène le plus grave. Le plus grave est un changement du fonctionnement du système. Auparavant, l'eau des pluies s'infiltrait, rechargeait les nappes et rejoignait les rivières par un phénomène de dispersion. Brutalement, des surfaces deviennent suintantes et donc imperméables. Les surfaces sont alors comparables à du béton ou à une couverture métallique. Toutes les pluies ultérieures vont donc ruisseler et alimenter directement les rivières. C'est ce qui s'est passé à la fin du mois de mars. Les mois de mars et d'avril ont été très pluvieux. Toutes ces pluies, sur de larges portions du bassin, ont rejoint très rapidement le réseau hydrographique, par ruissellement superficiel et à la faveur de création de nouvelles sources.

Le réseau hydrographique s'est révélé relativement incapable d'évacuer dans de bonnes conditions ces débits vers l'exutoire. Ce croquis est une reproduction de la carte Michelin de la région d'Abbeville. On pourrait faire un commentaire assez semblable pour la région d'Amiens. Les rivières s'écoulent la plupart du temps dans deux lits emboîtés : un lit mineur, où elle s'écoule la plupart du temps, et un lit majeur. Pendant des temps qui peuvent être très brefs et espacés, ces rivières sortent de ce lit mineur et envahissent un lit majeur. On distingue très clairement ce lit majeur en amont d'Abbeville, qui est d'ailleurs marqué par des affleurements et des étangs. Au cours des années, des décennies, et même des siècles, l'occupation de la vallée s'est traduite par des obstacles à l'écoulement (les routes par exemple). Les deux quartiers d'Abbeville les plus touchés ne sont pas dans le centre historique de la ville, qui est situé en bordure sur la rive droite et qui s'est développé à l'écart du lit majeur de la rivière. Les zones les plus touchées par les inondations sont les quartiers des Planches et du Rouvroy, qui forment de véritables barrages faisant obstacle à l'écoulement. La ville d'Amiens est elle-même un barrage. Elle occupe le lit majeur de la Somme. Au cours des années, un certain nombre de canaux, qui existaient dans la ville, ont été comblés pour favoriser l'aménagement urbain. A travers des centaines et des milliers d'actions de ce genre au cours des siècles, la capacité du lit majeur a été diminuée et il s'est retrouvé incapable d'évacuer les débits vers la mer. Cette notion d'évacuation a bien évidemment été évoquée par un grand nombre d'intervenants et d'acteurs. Je pense qu'il y a eu un accès de fixation sur le canal maritime et le débouché de Saint-Valéry, qui ont finalement très bien joué leur rôle. Le canal a connu quelques petits débordements. Toutefois, c'est en amont que les difficultés d'écoulement et de transmission ont été les plus importantes.

Une des principales leçons pour les années à venir est la nécessité de redonner un lit majeur à la Somme. A travers de très nombreuses actions, il s'agit de favoriser les écoulements. Des problèmes au niveau du canal maritime pourraient se faire jour. Toutefois, j'estime qu'il s'agit de la région la moins sensible du bassin. Il aurait mieux fallu que les bas champs soient inondés, plutôt que les zones habitées. Cet effort de restitution de l'écoulement, qui est présent dans l'esprit de nombreux élus locaux, risque d'être réalisé de façon désordonnée et quelque peu sauvage. On peut donc craindre que se crée une machine à exporter les problèmes. La principale leçon est certes la nécessité de restituer les capacités d'écoulement. Toutefois, il convient de mener cette restitution de façon coordonnée. Or cela nécessite la mise en place d'institutions et de programmes. Je pense en particulier à un schéma d'aménagement et de gestion du bassin de la Somme. Un schéma départemental d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) a déjà permis des avancées, qui devront certainement être revues à la faveur de ces évènements. La période actuelle, qui a fait naître douloureusement une conscience de bassin, doit être mise à profit pour agir.

Pour en revenir à un domaine plus technique, j'ai essayé d'analyser la fréquence en termes de durée de retour. Cette notion est assez parlante, même s'il convient de s'en méfier. En effet, une durée de retour n'implique pas du tout une idée de régularité. Il s'agit toujours d'un phénomène aléatoire, avec des durées moyennes de retour. On peut constater deux phénomènes très importants et très proches, pour ensuite ne rien observer pendant très longtemps. Les deux grandes crues de la Loire en 1846 et 1856 sont un exemple très caractéristique. Elles étaient qualifiées de centennale. Or on n'a pas constaté de phénomène similaire depuis cette date. Dans le cas de la Somme, la succession de trois hivers (1999, 2000 et 2001) marqués par des inondations est un phénomène extrêmement rare. A la lumière de la courte période d'enregistrement dont j'ai pu disposer, je chiffrerais le temps de retour à plusieurs siècles. Je ne veux pas donner de décimales parce que ce serait donner l'idée qu'il existe une précision. Or ce n'est pas le cas. A partir de la série collectée par la DIREN sur une période d'une quarantaine d'années, on s'aperçoit que le débit de la Somme (environ 110 m 3 à Abbeville en période de pointe et environ 80 m 3 en termes de débit moyen) n'apparaît pas comme extraordinaire. En effet, le débit cinquantenal, calculé à partir des lois habituelles, se situe dans une fourchette de quatre-vingt à cent m 3 . La différence entre la rareté du phénomène météorologique et l'apparente banalité du débit réside précisément dans l'inondation, qui provient d'un débit de vingt à trente m 3 supplémentaires à Abbeville.

Le dernier point sur lequel je voudrais insister, dans cet exposé préliminaire, est le suivant. J'ai réalisé un modèle de comportement du bassin depuis 1988. Il m'a permis d'introduire une grandeur synthétique, que j'ai appelée le stockage et qui représente à peu près la quantité d'eau présente dans les nappes. Cette quantité permet d'estimer assez mécaniquement le débit de la Somme. On reproduit les grands mouvements des eaux du sous-sol depuis une vingtaine d'années. On retrouve bien les épisodes de 1994-1995 et des trois dernières années. A partir de ces données, on peut essayer d'anticiper le futur, au moins à court terme. Cette figure représente tous les tarissements des quinze dernières années. On constate que toutes les années sont très semblables en termes de tarissement. Cela donne un aperçu de ce qui se passera dans les prochains mois. Il n'y aura pas de recharge des nappes en juillet et en août. On atteindra donc un niveau minimum en septembre, voire en octobre. Le niveau des nappes sera ainsi comparable à celui de l'an dernier et atteindra un des plus hauts niveaux jamais obtenus. La région sera donc dans un état de relative vulnérabilité, si des précipitations comparables à celles de l'hiver dernier interviennent. Les évènements des derniers jours sont précisément le reflet de cette extrême sensibilité et doivent inciter à la vigilance. Compte tenu des analyses statistiques menées sur les variations de niveau de la nappe, on pense que la probabilité d'atteindre l'hiver prochain ce plus haut niveau tourne autour de 20 %. C'est donc loin d'être une certitude. Mais c'est loin d'être négligeable. L'autre point sur lequel je voulais insister concerne la nécessité de regroupement des données. Des données sont recueillies par différents organismes : la DIREN de Picardie pour les affluents de la Somme, Météo France, le BRGM. Contrairement à ce qui a pu être dit ici ou là, ces données ne sont pas secrètes. Les données du BRGM, relatives aux eaux souterraines, sont disponibles gratuitement sur Internet et distribuées par l'Agence de Bassin. Les données de Météo France et des DIREN sont également accessibles par Internet, mais moyennant un paiement. Ce problème des données recueillies par des services publics et vendues à des tiers dépasse largement mon domaine d'intervention. Il est tout de même nécessaire que ces données soient réunies. Elles offrent des possibilités de prévision à court et moyen terme, qui devraient être exploitées. Chaque service, qui a dû constater la rareté de certaines séquences météorologiques et le caractère extraordinaire des remontées de nappes, n'est pas tenu d'agir en conséquence. Il n'existe pas de procédure d'alerte ou d'avertissement. Météo France peut délivrer un bulletin d'alerte météorologique, lors de précipitations ou de vents exceptionnels. Toutefois, il n'y a rien de semblable lorsque Météo France constate que le cumul des précipitations au cours d'une certaine période est important. Il faut donc faire un effort dans ce domaine. La préfecture a organisé, il y a une dizaine de jours, une réunion, qui a regroupé les différents producteurs de données. Il est ainsi prévu de mettre en place un organisme de collecte des données.

M. le Président - Je vous remercie pour cet exposé.

M. Pierre Martin, Rapporteur - Monsieur le secrétaire général, à la lumière de vos propos, vous n'êtes pas spécialement optimiste pour la prochaine période hivernale. On le comprend. Il faudrait donc essayer d'engager le plus vite possible des travaux qui puissent augmenter notre optimisme. Des communications existent entre les différents bassins. Pouvez-vous nous dire comment s'effectuent ces transferts entre les différents bassins ? Pouvez-vous également nous dire si des transferts ont eu lieu ? En l'occurrence, les informations dont nous disposons démontrent que des transferts auraient eu lieu. On parle évidemment en m 3 . Toutefois, il existe une grande différence entre deux et quatorze m 3 . Compte tenu du fait que la nappe phréatique était à son sommet, toute goutte supplémentaire était une cause de ruissellement et d'inondation.

M. Pierre Hubert - Je pense que vous voulez parler des communications entre le bassin de la Somme et les bassins voisins. Il existe effectivement des possibilités d'échange d'eau entre les bassins. Ces connexions ne sont pas conçues pour échanger entre les bassins, mais pour alimenter les biefs de partage, notamment avec le canal du Nord. Ces connexions, notamment les écluses autour de Sormont, sont équipées de pompes dont la capacité est de l'ordre de deux à trois m 3 /seconde, afin d'alimenter les biefs de partage. Leur régime dépend des périodes de l'année. Il ne me semble pas qu'il y ait eu un fonctionnement anormal. Les débits impliqués, qui s'annulent à l'échelle journalière, ne peuvent pas avoir affecté les débits de la Somme. Nous sommes dans une gamme de volume et de débit d'eau de l'ordre du mètre seconde, par rapport à un débit de la rivière de cent mètres cubes par seconde. Les ordres de grandeur ne sont donc pas comparables.

M. Michel Souplet - Vous avez dit que plusieurs obstacles sont à faire disparaître afin de dégager plus rapidement les eaux en amont d'Abbeville, en particulier entre Abbeville et Amiens. Quelles seraient alors les conséquences, en termes de mètres cubes supplémentaires par seconde, pour Abbeville ?

M. Pierre Hubert - L'absence d'accumulation d'eau sur le bassin aurait dû amener un débit supplémentaire d'une trentaine de m 3 /seconde à Abbeville. Nous aurions dû avoir un débit de pointe de l'ordre de 140 m3/seconde, au lieu des 110 m 3 /seconde qui ont été constatés.

M. le Président - Comment avez-vous procédé pour réaliser ce rapport ? Avez-vous mené une enquête sur le terrain ? Avez-vous eu accès à des comptes-rendus, des photographies ?

M. Pierre Hubert - J'ai rédigé essentiellement mon rapport à partir de données. Je me suis également rendu sur le terrain, de l'amont à l'aval de la Somme, au moment où l'inondation était à son paroxysme.

M. le Président - Vous êtes plutôt indulgent par rapport à l'entretien des berges et à l'absence de curage. Avez-vous constaté de visu ces travaux exécutés ou non exécutés, ou vous êtes-vous fié aux seuls rapports de la DDE ?

M. Pierre Hubert - Je me suis fié aux rapports de la DDE. Toutefois, je me suis surtout intéressé aux chiffres en termes de bilan. J'ai ainsi réalisé des calculs sur les entrées et les sorties d'eau. J'ai essayé de voir la façon dont s'équilibraient ces entrées et ces sorties d'eau. Comme l'a souligné notamment M. Alain Gest, président du Conseil général, lors d'une émission télévisée, il est probable que certaines parties du canal mériteraient un meilleur traitement. Toutefois, il existe peut-être un certain nombre d'illusions quant aux capacités supplémentaires qu'on pourrait apporter au canal. En effet, le canal est tout de même extraordinairement contraint par un profil et par des écluses. De toute façon, les débordements étaient inévitables. Le canal ne peut pas évacuer 130 m 3 d'eau par seconde. Il n'a pas été capable d'évacuer correctement une centaine de m 3 . J'ai été frappé par cette absence de capacité d'écoulement en dehors du canal. Je pense qu'il s'agit de l'origine principale des évènements. J'ai travaillé pendant un mois et demi sur le terrain. J'ai eu peur, en allant voir chaque problème rencontré ici ou là sur le canal, de perdre de vue la dimension stratégique de l'aménagement du bassin. En l'occurrence, il s'agit de favoriser des capacités d'écoulement coordonnées

M. Michel Souplet - Lors des précédentes auditions, on nous a expliqué que nous manquions d'outils fiables pour prévenir suffisamment tôt les crises. On nous a également indiqué que la Picardie était aujourd'hui un peu mieux équipée. Ainsi, on pourrait prévenir les populations quinze jours plus tôt de la remontée des nappes phréatiques. Cela nous donne un petit laps de temps pour agir. Nous n'avons pas la prétention de prendre tout de suite des mesures définitives. Néanmoins, quelles seraient les mesures, même provisoires, à mettre en place d'ici l'hiver prochain pour éviter de retrouver la même situation en cas d'automne très pluvieux ? Je prends un exemple. On s'est aperçu, à partir de photographies aériennes, qu'il existait des goulets d'étranglement dans le quartier des Planches. L'armée a fait sauter certains de ces goulets d'étranglement. D'autres goulets d'étranglement pourraient être détruits d'ici à l'hiver. Si on procède de la sorte, l'écoulement sera plus rapide. Cela permettra d'éviter une nouvelle inondation du quartier des Planches. Néanmoins, l'eau s'écoulera jusqu'au bout de la somme, vers Saint-Valéry. Dans ces conditions, comment évacuer l'eau rapidement ? Des pompes ont été mises en place, mais elle n'ont eu qu'un impact marginal. Elles servaient davantage à montrer à la population que les autorités agissaient. Que peut-on faire pour éviter de se retrouver dans la même situation ?

M. Pierre Hubert - Je pense déjà que le fait que certains quartiers ne soient plus inondés est déjà un gain important.

M. Hilaire Flandre - Sauf si cela contribue à une aggravation en aval de la rivière.

M. Pierre Hubert - L'aval, en l'occurrence, est quand même beaucoup moins vulnérable. Il existe notamment en aval des capacités d'épandage de crues. Je pense notamment aux bas champs de cette région. Certes, il existe également des habitations en aval. Toutefois, un équilibre doit être trouvé. On peut envisager des aménagements spécifiques pour protéger les habitations ou encore le déplacement de certaines maisons. Il s'agit d'imaginer un aménagement intégré du bassin de la Somme . Néanmoins, quels que soient les efforts réalisés, il existera toujours un risque de dépassement. Les conséquences de ce dépassement doivent être intégrées dans les plans. On doit identifier les points les plus faibles du dispositif. On peut même les créer afin que l'inondation ait lieu dans des endroits choisis. Cette démarche a été théorisée par le Cemagref, à travers une méthode qui s'appelle « Inondabilité ». D'une manière générale, on sait assez bien caractériser, en termes de probabilité, ce qu'on appelle l'aléa hydrologique. Par contre, on est beaucoup plus désarmé en matière de vulnérabilité. La méthode développée par le Cemagref consiste à caractériser dans les mêmes termes de probabilité la vulnérabilité. Quels évènements la société peut-elle accepter ? Accepte-t-on par exemple qu'une prairie soit inondée en moyenne une fois tous les deux ans ? Accepte-t-on qu'une usine de composants électroniques ou une habitation soient également inondées tous les deux ans ? Non, certainement pas. Il s'agit finalement de caractériser la demande sociale en termes de protection. Il s'agit d'accorder par des aménagements les aléas observés et la vulnérabilité de chaque zone. Certains obstacles de la vallée de la Somme peuvent provoquer des écoulements et des inondations dans des endroits tout à fait acceptables par la société.

M. Michel Souplet - Trente m 3 supplémentaires par seconde à Abbeville, cela représente tout de même 2,6 millions de m 3 par jour. Ce n'est pas rien. Les conseillers généraux nous disaient tout à l'heure qu'ils disposaient d'une superficie de quarante hectares sur deux mètres, soit 800.000 m 3 . Cela ne représente même pas un quart de jour.

M. Pierre Hubert - Tout à fait. C'est pour cela que les exercices de bilan de volume sont nécessaires. La quantité d'eau qui a provoqué l'inondation est de l'ordre d'une centaine de millions de m 3 .

M. le Président - Vous avez évoqué des modèles réalisés à partir d'études du Cemagref et d'autres organismes. Est-on déjà passé à l'application de ces modèles dans certaines régions françaises ?

M. Pierre Hubert - Oui. Des applications d'inondabilité ont déjà été effectuées. Des études ont ainsi été réalisées dans le bassin Rhône-Méditerranée-Corse. La dimension de vulnérabilité exige un grand travail de consultation. Il n'appartient pas à un hydrologue de réaliser ce type de calcul à partir de cartes topographiques et de relevés hydrologiques. La vulnérabilité doit être a priori déterminée par les intéressés eux-mêmes.

M. le Président - La Somme aurait donc intérêt à se doter d'études de ce genre.

M. Pierre Hubert - Tout à fait.

M. Jean-François Picheral - Monsieur Hubert, nous vous remercions pour cet excellent exposé, très technique. Nous avons passé notre matinée à écouter d'autres intervenants, qui n'ont cessé de nous parler de délestage. Que pensez-vous du délestage de canaux divers, qui aurait expliqué l'aggravation du phénomène que nous avons vécu ? Que pensez-vous de ces problèmes de délestage ?

M. Pierre Hubert - Je saisis mal le terme même de délestage.

M. le Président - Il s'agit du délestage du canal du Nord, de l'Oise.

M. Jean-François Picheral - En quatre endroits différents.

M. le Président - Tous ces moyens de communication entre le bassin de la Somme et l'Oise existent. Un certain nombre de témoins affirment que la Somme a été remplie par un phénomène de délestage. Ils estiment qu'il s'agit d'une cause de l'inondation.

M. Pierre Hubert - Je comprends. Une fois de plus, il est question de ces transferts. Je me fais l'avocat du diable. Si l'organisme Voies Navigables de France avait eu véritablement l'intention de nuire, cela n'aurait amené que quatre à cinq m 3 /seconde dans la Somme.

M. Michel Souplet - Ce matin, à partir des photographies, on pouvait identifier quatre endroits de délestage qui donnaient trois à quatre m3/seconde.

M. le Président - Noirrieu et Epenancourt n'ont pas de pompes. Ils peuvent débiter. Toutefois, personne ne contrôle. On ne sait pas contrôler une fenêtre ouverte.

M. Hilaire Flandre - Cela vient du canal. Cette eau du canal n'est pas venue toute seule. Il a fallu la pomper pour la mettre dedans.

M. Pierre Hubert - Je reviens sur le problème du déversoir d'Epenancourt. Avant la construction du canal, la Somme recevait trois affluents : l'Allemagne, la Beine et l'Ingon. Ils ont été coupés par le canal. Assez logiquement, ils se déversent dans le canal du Nord. Pour éviter un débordement du canal, notamment en période de hautes eaux, un déversoir a été mis en place. J'en ai une photo ici.

M. le Président - Effectivement, il y a une photographie d'Epenancourt. dans le rapport. Avez-vous pu approfondir cette question qui est plus qu'une rumeur ? Certaines personnes disent que le déversoir d'Epenancourt a été ouvert dès le mois de janvier.

M. Pierre Hubert - Ce déversoir n'est pas capable de débiter plus de deux ou trois m 3 /seconde. Quand je me suis rendu sur le terrain, il devait débiter un ou deux m3/econde. A cet égard, il est dommage qu'il n'y ait pas de moyens de comptage qui permettraient de répondre complètement à ces rumeurs.

M. Jean-François Picheral - Ce matin, un intervenant a attiré notre attention sur l'importance de la question du délestage. Or vous nous rassurez de ce côté-là.

M. Pierre Hubert - Je déplore que nous n'ayons pas les moyens de déterminer très précisément le débit du déversoir. Pour autant, il n'y a aucune hésitation à avoir. Il est certain que le débit de ce déversoir est tout à fait mineur dans le bilan hydrologique de la Somme. On l'a d'ailleurs constaté à la fin de la période, lorsqu'un pompage a été organisé au Nord et au Sud, au maximum des capacités, c'est-à-dire avec un débit de trois à quatre m 3 /seconde. En l'occurrence, l'effet de ce pompage n'a pas été très visible.

M. Michel Souplet - Il est vrai que les photographies ne permettent pas de déterminer les débits. Toutefois, des photographies et des vidéos ont été prises à l'improviste par des habitants à cette période. D'ailleurs, à chaque fois qu'ils demandaient des renseignements, les autorités restaient muettes. Cela laisse supposer que certains ont voulu cacher des évènements. Les photographies que nous avons vues montrent que le débit était bien supérieur à un m 3 /seconde. Elles montrent des flots d'eau. On ne se rend pas compte du volume. Ce n'est pas facile d'évaluer précisément.

M. le Rapporteur - Monsieur Hubert, vous nous dites que ces quelques m 3 /seconde sont marginaux.

M. Pierre Hubert - J'ai dit que s'il y avait une volonté de nuire, le débit maximal serait de l'ordre de quelques m 3 /seconde.

M. le Président - Toutes possibilités réunies, le débit serait de l'ordre de cinq à sept m3/econde.

M. Pierre Hubert - C'est vraiment le maximum qu'on puisse atteindre.

M. le Rapporteur - Vous dites également qu'il est naturel que les trois affluents dont vous parlez reviennent dans la Somme, puisqu'il s'agissait d'affluents naturels de la Somme. A partir du moment où il était constaté que la nappe phréatique était à son maximum, il fallait tenir compte de cet élément et dévier tout ce qu'on pouvait dévier ailleurs, afin de ne pas accentuer les risques dans la Somme.

M. Pierre Hubert - Il n'y a aucun moyen de les dévier ailleurs.

M. le Rapporteur - Pourtant, on a mis en place des pompes qui remontent dans le canal du Nord et renvoient l'eau plus loin.

M. Pierre Hubert - Le problème se posait à une époque où le niveau de l'Oise était lui-même assez élevé. Les seuls échanges d'eau intervenaient pour les besoins de la navigation.

M. le Rapporteur - Et la rigole du Noirrieu ?

M. Pierre Hubert - Je n'ai pas d'information sur cette rigole. Le déversoir d'Epenancourt permet à ces eaux, qui de toute façon ne peuvent pas sortir du bassin de la Somme sans la mise en oeuvre de moyens de pompage, de retourner dans la Somme dans de bonnes conditions, c'est-à-dire sans un débordement du canal.

M. le Rapporteur - Quand tout est plein comme cela a été signifié, tout mètre cube supplémentaire représente un risque.

M. Pierre Hubert - C'est vrai. J'ai parlé d'importation d'eau du bassin voisin. Il s'agit des eaux du bassin de la Somme. Elles transitent par le canal. Il vaut mieux qu'elles retournent à la Somme par un déversoir aménagé et contrôlé, même de façon artisanale. A cet égard, il serait tout à fait nécessaire de mettre en place des moyens de contrôle et de mesure plus efficaces. Cela coûterait sans doute un peu d'argent. Toutefois cela serait utile. En effet, c'est un sujet qui semble inquiéter un certain nombre de riverains et d'utilisateurs locaux.

M. Jean-François Picheral - Les représentants de Voies Navigables de France nous ont dit qu'ils avaient délesté parce que leurs propres canaux avaient débordé. Je crois qu'il faudra le faire préciser. Après le débat que nous avons eu ce matin, il semble nécessaire d'obtenir une explication du mutisme des responsables.

M. Pierre Hubert - Je répète ce que j'ai entendu. Dans l'état d'excitation qui régnait à l'époque, les fonctionnaires ne souhaitaient pas trop s'engager. Ils se retranchaient derrière leur hiérarchie.

M. le Président - Cette explication semble vraie.

M. Michel Souplet - Je ne voudrais pas mettre des gens en accusation. Néanmoins, il faut savoir s'il y a eu des retards, des petites erreurs, des hésitations qui ont pu...

M. le Président - S'ajouter à une complexité de problèmes.

M. Michel Souplet - Il est certain qu'il s'agit d'un cumul de problèmes.

M. le Président - La cause initiale est quand même la pluviométrie.

M. Pierre Hubert - J'en reviens à cette question des transferts. J'ai appris cette rumeur à la radio, et cela m'a fait bondir. Je ne savais pas qu'une semaine plus tard, j'allais être appelé à intervenir sur le terrain. Quand bien même l'Oise aurait été totalement vidée, cela n'aurait pas fait bouger la Seine d'un centimètre à Paris.

M. le Président - Ce n'est pas tout à fait vrai, dans la mesure où l'Oise, avec son confluent perpendiculaire, influence un peu le niveau de la Seine à Paris, ne serait-ce que de quelques millimètres.

M. Pierre Hubert - Non. Il suffit de regarder les courbes de remous. Le niveau de la Seine ne remonte pas.

M. le Président - Des études montrent pourtant que si le confluent était dans l'autre sens...

M. Pierre Hubert - Non. Si l'Oise était totalement vidée, la Seine ne bougerait pas à Paris.

M. Michel Souplet - Je ne comprends pas. Supposons que la débit de la Seine soit de cent m 3 à Conflans-Sainte-Honorine. Au-delà de Conflans-Sainte-Honorine, il est un tout petit peu supérieur à cent m 3 en raison du débit de l'Oise.

M. Pierre Hubert - Oui.

M. Michel Souplet - Si on coupait totalement le débit de l'Oise, le débit de la Seine serait tout de même plus rapide.

M. Pierre Hubert - Il y aurait des répercussions en aval. Mais Paris est trop loin pour qu'il y ait une influence.

M. Michel Souplet - J'habite Compiègne. Les ingénieurs des eaux du barrage de Compiègne nous expliquent, lorsqu'ils reçoivent l'ordre de fermer les barrages, qu'ils agissent de la sorte pour protéger Paris. Je leur avais fait la même réflexion : « Ce n'est pas possible puisque l'Oise se jette dans la Seine en aval de Paris ». Ils m'ont répondu : « C'est vrai. Mais si vous arrêtez le débit de l'Oise, le débit de la Seine devient plus rapide et le zouave du pont de l'Alma a de l'eau aux pieds beaucoup plus rapidement ».

M. Pierre Hubert - Cela se calcule très bien en hydraulique. C'est ce qu'on appelle des courbes de remous. Je voudrais insister sur le fait que Voies Navigables de France n'a aucune consigne par rapport à ces problèmes de gestion des risques dans les deux bassins. Suite à la catastrophe de l'Oise, une initiative de pompage en direction de l'Oise a été engagée. Ce n'est pas dans leur cahier des charges.

M. le Président - Nous n'en sommes pas sûrs. La protection de ces rives, voire de la région parisienne, nous a paru une contrainte qu'ils intégraient.

M. Pierre Hubert - Cela signifierait qu'ils auraient la charge du contrôle des niveaux dans toute la France.

M. le Président - Il y a tout de même une liaison entre ce bassin et le bassin de la Seine.

M. Pierre Hubert - Il y a une liaison qui est voulue pour les besoins de la navigation.

M. le Président - Il nous a semblé que ce n'était pas tout à fait séparé.

M. le Rapporteur - Evidemment, la navigation a une importance sur le canal du Nord et ses transferts. Si on avait arrêté totalement la navigation, n'aurait-on pas un peu diminué le risque ?

M. Pierre Hubert - Je ne pense pas.

M. le Rapporteur - Je vous pose une dernière question. Hier, nous avons eu la démonstration que le curage et l'entretien des berges avaient une énorme importance pour la gestion des marais de Haute-Somme. Vous semblez dire qu'au niveau de la Somme, le curage est presque superflu et que l'entretien des berges a un impact marginal. Or nous pensons que cela peut avoir une réelle importance.

M. Pierre Hubert - Je me suis peut-être mal exprimé. Je pense simplement que le curage du canal n'aurait pas changé grand-chose par rapport aux évènements de mars et avril. Il aurait amoindri les conséquences à la marge. Par rapport à des évènements plus habituels (comme les inondations de 1994-1995), le curage du canal et l'entretien des berges sont importants.

M. le Président - Monsieur Hubert, je vous remercie d'être venu. Nous continuons nos travaux. Le cas échéant, nous reprendrons contact avec vous pour préciser un point ou un autre avant la rédaction finale.

37. Audition de Monsieur M. Gérard Couzy, membre du Conseil général des Ponts et auteur de « L'état d'avancement de la cartographie des zones inondables et des plans de prévention des risques inondations dans les cinq départements d'Aquitaine » (11 juillet 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons M. Gérard Couzy, membre du Conseil général des Ponts et auteur de « L'état d'avancement de la cartographie des zones inondables et des plans de prévention des risques inondations dans les cinq départements d'Aquitaine ».

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à Monsieur M. Gérard Couzy.

Monsieur Couzy, vous êtes membre du Conseil général des Ponts. Vous êtes ingénieur général des Ponts. Nous voulons vous interroger sur l'état d'avancement de la cartographie des zones inondables et des plans de prévention des risques inondations dans les cinq départements d'Aquitaine. Vous avez remis un rapport sur ce sujet en 1999. C'est ce type de compétence que nous voulons exploiter. Vous avez préparé un exposé liminaire, que nous allons entendre.

M. Gérard Couzy - Je ne me sens pas compétent, dans la mesure où je ne connais ni le Nord de la France, ni la Picardie. Tout ce que je pourrais vous dire sur les incidents de la Somme, je l'ai appris pour préparer cette réunion à partir des travaux de la mission interministérielle. J'ai été délégué du ministère de l'Environnement pour le bassin de la Garonne, c'est-à-dire pour les fleuves Adour, Garonne, Dordogne et Charente. Ces fleuves n'ont pas grand-chose à voir avec la Somme. Ceci étant, j'ai quand même essayé de comprendre les évènements qui ont affecté la Somme. Je pourrai vous donner des réponses, mais qui ne seront guère différentes de celles que vous avez déjà eues.

M. le Président - A partir de votre expérience, quel jugement portez-vous sur les évènements de la Somme ?

M. Gérard Couzy - Personnellement, je pense que c'était totalement imprévisible. On a l'habitude de raisonner, en matière d'inondations, par référence au passé. Vous avez certainement entendu dire qu'on calculait des crues de références pour prévoir les systèmes d'alerte et de prévention, à partir d'un traitement statistique des données connues concernant le régime des fleuves. Dans le cas de la Somme, que je ne connais pas vraiment, il me semble que les évènements passés, sur lesquels l'administration a pu se fonder, étaient beaucoup moins importants que ce qui s'est passé cette année. Vous avez déjà entendu dire que la cause première de ces inondations était la situation pluviométrique dans la région depuis plus de six mois. La fréquence d'occurrence d'une telle situation est évaluée à plus de cent ans. Il n'y avait pas d'antécédent connu à ce type de situation. Vous avez noté que la crue de la Somme a excédé de plus de 20 % la plus grande crue connue, à savoir celle de 1994-1995. En outre, elle n'était pas tellement due à l'évacuation de quantités d'eau tombées immédiatement avant la crue, mais à la restitution par la nappe d'une quantité d'eau emmagasinée depuis plusieurs mois. C'est une situation que je n'ai jamais rencontrée dans le Sud-Ouest. Je pense qu'elle n'était pas prévisible.

M. le Président - Une des difficultés que nous constatons est que l'atlas des zones inondables n'était pas encore terminé à l'époque des inondations. Il n'était pas rendu public, même dans ses premiers travaux, alors que dans d'autres régions, notamment la vôtre, il était déjà achevé. Comment avez-vous procédé ? Il aurait peut-être été opportun de publier l'atlas des zones inondables de la Somme avant la catastrophe.

M. Gérard Couzy - On aurait peut-être pu publier l'atlas des zones inondables avant la catastrophe. Toutefois, ce qui aurait été publié n'aurait pas rendu compte de ce qui s'est passé. En effet, le phénomène d'inondation était beaucoup plus important que ce qui était prévisible. J'en viens à votre question. Dans le Sud-Ouest, que je connais bien, les situations sont assez tranchées entre la région Midi-Pyrénées, où l'atlas des zones inondables est pratiquement achevé depuis deux ou trois ans, et l'Aquitaine, où moins de la moitié de l'atlas est réalisée. La raison de cette différence tient essentiellement à l'existence de services plus ou moins dynamiques selon les régions. Il se trouve que le service de Toulouse a lancé l'élaboration de l'atlas plus tôt que les services de Bordeaux. De plus, il a mis en place une coopération efficace avec l'université. Cette coopération remontait déjà à une dizaine d'années.

M. le Président - Vous parlez de services plus dynamiques. Cela dépend également des moyens dont on s'est doté. Il y a un peu la volonté des hommes, mais il y a aussi les moyens.

M. Gérard Couzy - Il y a aussi une situation historique. Les moyens en matière d'études hydrologiques sont nettement plus importants à Toulouse qu'à Bordeaux car la région Midi-Pyrénées a hérité d'un service qui s'appelait la circonscription électrique et qui est devenu le service hydrologique centralisateur. Ce service était installé à Toulouse et s'occupait de l'ensemble du bassin de la Garonne. Il n'avait pratiquement pas d'antennes à Bordeaux. Lorsque les services de l'environnement ont été découpés en régions, les moyens attribués à la région Midi-Pyrénées ont donc été supérieurs à ceux alloués à l'Aquitaine. Je parle toujours de ce que je connais. Cela explique en grande partie la situation actuelle. Dans la Somme et en Picardie, il n'y a pas les mêmes moyens d'étude hydrologique que dans le Nord ou dans la région parisienne. Les chefs-lieux de bassin (la Haute-Garonne, le Nord, le Loiret, le Rhône, etc.) sont d'une manière générale mieux équipés que les autres régions (l'Aquitaine, le Languedoc-Roussillon, la Picardie, etc.). Il s'agit d'une conséquence historique de ce qu'était l'administration de l'industrie et de l'équipement après la guerre, reprise par le ministère de l'Environnement. Les évolutions se font, mais très lentement. La reprise de ces services par le ministère de l'Environnement date de 1992. Le rééquilibrage entre les régions n'est pas encore terminé. Dans la région Midi-Pyrénées, les atlas de zones inondables sont ainsi étudiés, publiés et commencent à être améliorés. Dans la région Aquitaine ou dans le Limousin, ils ne sont pas encore achevés. Ils sont en cours d'étude. Je suppose que la situation est la même en Picardie. Je ne sais quel est l'état d'avancement dans la réalisation de l'atlas des zones inondables du Nord-Pas-de-Calais. A mon sens, il doit être beaucoup plus avancé que celui de Picardie. Mais, encore une fois, si cet atlas avait existé, il n'aurait pas été satisfaisant. En effet, la gravité des inondations de 2001 n'était pas prévisible. C'est en tout cas mon opinion. Néanmoins, je ne suis pas hydrologue. Quelqu'un vous dira peut-être le contraire.

M. Pierre Martin, Rapporteur - Dès lors que l'événement est imprévisible, on ne peut pas vous demander ce qu'on peut faire ou ne pas faire pour éviter ce type d'inondation. Je vais donc essayer de vous poser une autre question.

M. Gérard Couzy - Prévisible ou pas, je ne pense pas qu'il y ait une possibilité physique d'empêcher ces inondations. Si on avait pu prévoir une inondation de cette importance, on aurait simplement pris des mesures de prévention sur les secteurs bâtis présumés inondables. Ces mesures peuvent êtres prises par le biais des PPRI. Or ce dernier n'était pas en cours d'étude.

M. le Rapporteur - Concernant les inondations de la Somme, on a dit qu'il s'agissait d'une crue de nappe. Pensez-vous que l'on puisse maîtriser une crue de nappe ? Pensez-vous qu'une orientation peut être prise pour développer la gestion de ces nappes ?

M. Gérard Couzy - Il n'y a pas de possibilité physique de gérer des nappes de cette importance. Par contre, on doit pouvoir les surveiller et prévoir des incidents. Je pense d'ailleurs que le ministère de l'Environnement est en train de mettre en place une surveillance de ces nappes. Les évènements qui sont intervenus en 2001 sont exceptionnels. Cependant, les nappes sont encore restées à un niveau très élevé. Il n'est pas impossible que cela se reproduise l'année prochaine, si on connaît une saison pluvieuse aussi marquée à l'automne. Aujourd'hui, on peut mettre en place un système de surveillance des nappes et d'alerte. C'est tout ce qu'on peut faire. Il n'est pas question d'aller pomper la nappe pour éviter qu'elle se déverse au mauvais moment dans la Somme.

M. le Président - Avez-vous rencontré, au cours de votre carrière, des endroits où la surveillance des nappes est bien assurée, automatisée, mécanisée ?

M. Gérard Couzy - Oui, mais pas pour affronter ce type de problème.

M. Hilaire Flandre - Pour quel type de problème ?

M. Gérard Couzy - Pour la gestion de la ressource d'eau potable. La surveillance des nappes s'effectue dans la région bordelaise. La nappe utilisée pour la production d'eau potable destinée à la ville de Bordeaux est surveillée depuis les années 1930 et de façon très stricte. Cela n'empêche pas qu'elle baisse de façon inquiétante.

M. Hilaire Flandre - On pourrait acheminer à Bordeaux l'eau du bassin de la Somme.

M. Gérard Couzy - On pourrait.

M. le Président - Il suffit d'installer un tuyau.

M. Gérard Couzy - On a bien l'intention d'envoyer l'eau du Rhône à Barcelone.

M. le Président - Ce n'est pas encore fait.

M. Jean-François Picheral - On vend à Barcelone de l'eau du canal de Provence.

M. Gérard Couzy - L'eau est envoyée par bateau. Il est également question d'un tuyau entre Montpellier et Barcelone.

M. Hilaire Flandre - Dans le bassin de la Meuse, on publie régulièrement l'état des niveaux des nappes.

M. Gérard Couzy - On surveille les nappes lorsqu'on a des inquiétudes en termes de sécheresse. On les surveille dans certaines zones très urbanisées comme la région bordelaise parce qu'il s'agit de la source principale d'approvisionnement en eau potable. Dans l'Est de la France, je crois qu'on surveille également les nappes afin d'éviter les effondrements de terrain.

M. Michel Souplet - Hier, nous avons entendu Monsieur le ministre Claude Allègre. Il a été très catégorique sur ce qui manquait actuellement à la France par rapport aux pays étrangers. Il a dit qu'il manquait un service unique d'hydrométrie. Actuellement, en France, quatre ministères s'occupent de la problématique de l'eau. En Grande-Bretagne ou en Allemagne, un seul ministère est en charge des problèmes liés à l'eau. Que pensez-vous d'une telle proposition, qui pourrait devenir une proposition de notre rapport ?

M. Gérard Couzy - Cette question est évoquée depuis quarante ans. En effet, les agences de basin ont été mises en place sur la base de ce constat. A l'époque, je travaillais avec Yvan Chérais, qui est un peu le fondateur des agences de bassin. Son argument en faveur de la création des agences de bassin était le suivant : trop de ministères s'occupent de l'eau. Au bout de quelques années, des esprits malins ont dit : « Il y a toujours autant de ministères qui s'occupent de l'eau et en plus, aujourd'hui, il y a les agences ». Le ministère de l'Environnement est responsable de tout ce qui concerne l'eau. Il fait des efforts pour centraliser tous les éléments et toutes les données qui permettent de suivre l'état hydrométrique de l'ensemble du territoire national. Le domaine où cette centralisation est la plus efficace est celui de la gestion de la sécheresse. En 1989, un système de gestion de la sécheresse a été mis en place, qui permet au ministère de l'Environnement, à partir d'éléments recueillis par les services des autres ministères, d'établir un point sur la sécheresse en France. Le problème est à peu près bien traité dans les bassins où les inondations classiques sont fréquentes. C'est toujours sous l'égide du ministère de l'Environnement, même si ce sont les services du ministère de l'Equipement ou de l'Agriculture qui interviennent. Il est vrai que cinq ou six ministères ont chacun leur service d'intervention dans le domaine de l'eau. Ces services travaillent officiellement pour le compte du ministère de l'Environnement.

M. Michel Souplet - C'est une question importante. La météorologie dépend du ministère des Transports. Le ruissellement dépend du ministère de l'Agriculture. Les rivières dépendent du ministère de l'Environnement. Les eaux souterraines dépendent du ministère de l'Industrie. Ces quatre secteurs dépendent de quatre ministères différents. Monsieur Claude Allègre a dit que s'il existait un service centralisé national, on pourrait étudier l'ensemble des problèmes avec leurs incidences. Il a cité par exemple le dragage des rivières, qui pourrait permettre de fournir suffisamment de ballaste et de sable, plutôt que d'ouvrir en permanence des carrières à droite et à gauche. Il a cité les exigences pour la chasse et la pêche dans certaines régions (notamment la Somme). Je pense qu'il n'a pas complètement tort. Il pense qu'on est entré dans une période de modification des zones cycloniques, avec probablement sur notre territoire des modifications profondes dans les années qui viennent dues à ce phénomène qu'on ne maîtrise pas.

M. Gérard Couzy - Je reviens sur le dernier point de votre intervention. Je ne connais pas ce terme de modification des zones cycloniques. Je suppose que c'est lié au réchauffement de la planète.

M. Michel Souplet - Monsieur Claude Allègre attribue davantage ce phénomène à l'émission d'oxydes de carbone qu'au réchauffement de la planète.

M. le Président - L'émission d'oxyde de carbone contribue à l'effet de serre.

M. Gérard Couzy - Je ne peux pas répondre à votre question sur la modification des zones cycloniques. C'est une question que je connais, comme vous, par la lecture des articles publiés sur le sujet. Personne ne sait exactement ce qui va se passer. On a constaté une petite élévation de la température moyenne du globe et une petite remontée du niveau des océans. C'est tout ce que je sais. Est-ce que l'Antarctique et le Groenland vont fondre ? Je ne sais pas. Par ailleurs, le regroupement de toutes les compétences Eau au sein d'un ministère unique est certainement une excellente idée. Le ministère de l'Environnement, pour lequel je travaille, serait très heureux que cela se fasse. Encore une fois, cela fait quarante ans que j'entends parler de cette idée. Je ne vois pas de véritables progrès. La centralisation au sein du ministère de l'Environnement est progressive, très lente. Il faudrait un coup de baguette magique.

M. le Rapporteur - S'il y avait un grand ministère de l'Eau, nous aurions peut-être une grande politique d'aménagement du territoire qui prendrait en compte, comme le disait Monsieur Claude Allègre, le sol et le sous-sol. Pour lui, la prise en compte du sous-sol implique une gestion des nappes phréatiques. C'est un peu ce qu'il nous a dit. Or vous nous dites que cela n'est pas possible.

M. Hilaire Flandre - Je ne dis pas que c'est réellement impossible. Cela soulève beaucoup de difficultés. Vous parlez du sous-sol et il est intéressant d'évoquer cette question. Monsieur Claude Allègre vous a dit que les eaux souterraines étaient de la compétence du ministère de l'Industrie. Toutefois, les directions régionales de l'Industrie relèvent désormais du ministère de l'Environnement et du ministère de l'Industrie. Elles interviennent dans la gestion des nappes pour le compte du ministère de l'Environnement. On avance vers cette solution. Nous aboutirons peut-être avant la fin du siècle.

M. le Rapporteur - Vous rejoignez Monsieur Claude Allègre sur un point. En l'occurrence, il disait qu'on a toujours l'impression en France de prêcher dans le désert.

M. Gérard Couzy - Je ne voudrais pas dire du mal des fonctionnaires.

M. Michel Souplet - Monsieur Claude Allègre a comparé la gestion de l'eau à la gestion du gaz. Ainsi, des réserves de gaz ont été créées dans le sous-sol. Il estime qu'on devrait pouvoir trouver dans le sous-sol des endroits où l'eau serait réinjectée rapidement en cas d'inondation. En cas de besoin d'eau, on pourrait pomper ces réserves. Les mines ne s'effondreraient plus.

M. le Président - Le territoire qui nous intéresse, c'est-à-dire la Somme, a gardé un régime particulier de relation avec la DDE. En effet, l'organisation n'a pas été modifiée depuis la décentralisation. Il s'agit d'une situation quelque peu originale. Seuls quelques départements ont fait de même. Quel est votre avis sur ce point ? Si les relations entre le Conseil général et la DDE étaient différentes, gagnerions-nous en efficacité, en rigueur de gestion, en qualité technique ?

M. Gérard Couzy - Vous faites allusion au fait que la DDE n'a pas été séparée entre l'Etat et le département.

M. le Président - Effectivement.

M. Gérard Couzy - Je ne sais pas si une modification de cette situation serait source d'amélioration. Cela créerait certainement des tensions entre les responsables des deux parties séparées. Le fonctionnement serait-il amélioré ? Je peux simplement affirmer que les moyens que les DDE consacrent au problème de l'eau sont insuffisants. Le ministère de l'Environnement fait ce qu'il peut pour améliorer la situation, en essayant d'obtenir des postes budgétaires afin de renforcer les DDE dans ce domaine. Toutefois, la réduction des effectifs, qui s'accomplit progressivement depuis 1983, implique une baisse des moyens affectés par les DDE à ce domaine d'intervention. Je pense que c'est le cas dans la Somme comme ailleurs. Je ne sais pas si une nouvelle organisation des DDE apporterait des améliorations. Le Conseil général pourrait recruter des moyens dont ne disposent pas actuellement les services de l'Etat. C'est possible. La question est de savoir si la priorité du Conseil général est le renforcement des moyens d'intervention dans le domaine de l'eau.

M. Jean-François Picheral - Dans le Rhône, deux services fonctionnent en parallèle.

M. Gérard Couzy - Ces services fonctionnent-ils bien ?

M. Jean-François Picheral - Oui, malgré quelques divergences de points de vue.

M. le Président - Je dresse une synthèse de votre intervention. Il est urgent de doter le bassin de la Somme d'un atlas des zones inondables. Il semble également nécessaire de prescrire des PPRI.

M. Gérard Couzy - Lorsque les PPRI se préparent vite, sans problèmes avec les collectivités, le processus dure trois ans. Lorsque les obstacles sont plus importants, le processus peut prendre dix ans. Dans le Sud-Ouest, le rythme d'élaboration d'un PPRI est de dix ans.

M. Hilaire Flandre - A partir d'une photographie aérienne, on peut délimiter rapidement les zones qui ont été inondées.

M. Gérard Couzy - On procède de la sorte dans le Sud-Ouest. C'est peut-être une partie de la réponse que je n'ai pas donné tout à l'heure. Je pense à la raison pour laquelle les atlas des zones inondables en Midi-Pyrénées sont sortis avant les autres. Nous nous sommes fondés sur des études d'hydromorphologie constituées de cartes et des photos aériennes. Nous avons ainsi pu repérer des lits fossiles, à savoir des lits qui ont été inondés à des époques anciennes et dont on n'a pas gardé le souvenir. Nous ne les avons pas recopiés bêtement. Nous les avons utilisés comme base de réflexion. Cette démarche a facilité le travail sur la Garonne, le Tarn, l'Adour, etc. Je ne sais pas si dans le cas de la Somme, cette démarche serait efficace. En effet, je ne sais pas si ce type d'inondation laisse des traces décelables sur les photographies aériennes ou sur les cartes

M. Jean-François Picheral - On peut utiliser les photographies aériennes prises au moment des inondations.

M. Gérard Couzy - Bien sûr. Je pense que les PPRI de la Somme tiendront compte des évènements de cette année.

M. Jean-François Picheral - Je reviens sur votre remarque concernant les lits fossiles. Je me suis promené dans le Minervois, au milieu d'un lit de rivière sans doute préhistorique. Sur une profondeur de trente mètres, un fleuve a creusé ce plateau à une époque. Aujourd'hui, on ne peut pas dire qu'il ne faut plus construire à cet endroit. Sinon cela signifierait qu'on ne pourrait plus construire nulle part.

M. Gérard Couzy - Nous tenons compte effectivement de ce type d'éléments pour déterminer les zones inondables dans le Sud-Ouest. Je ne sais pas si une telle démarche serait utile pour la Picardie.

M. le Président - Monsieur Couzy, je vous remercie. Le cas échéant, nous reprendrons contact avec vous si un point méritait un éclaircissement.

38. Audition de Mme Corinne Lepage, ancienne ministre de l'Environnement (11 juillet 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Madame la ministre, nous sommes heureux de vous accueillir à cette commission d'enquête.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à Mme Corinne Lepage.

Mme Corinne Lepage - Monsieur le Président, Messieurs les sénateurs, je me présente devant vous d'abord parce que c'est un devoir et un plaisir. Les sujets qui vous occupent sont des sujets que je connais. Néanmoins, il est clair que je n'ai plus aucune information provenant de l'Etat. Je ne suis pas parti avec mes dossiers sous le bras. Je les ai laissés, ce qui me paraît être républicain. Par voie de conséquence, je suis capable de répondre à des questions que vous souhaiteriez me poser sur la période où j'ai exercé mes fonctions de ministre de l'Environnement entre 1995 et 1997. Toutefois, je ne pourrai le faire qu'avec ma mémoire et non pas avec des documents qui sont en la possession du ministère de l'Environnement et qui sont donc aisément communicables à votre commission. Bien évidemment, je n'ai pas ces documents en ma possession. En revanche, je pourrai vous répondre en me remémorant la manière dont les choses se sont passées et les difficultés que nous avons pu rencontrer.

Si j'ai eu beaucoup à travailler sur le sujet des inondations, à aucun moment, lorsque j'étais ministre, il n'a jamais été question de la Somme. Je dois une parfaite honnêteté à l'égard de votre commission. Je n'ai jamais entendu parler de la Somme. Nous avons beaucoup parlé de la Loire et je suis allée dans le Sud-Est. C'est un sujet que je suivais de très près. J'ai passé une journée entière dans un PC de département (en l'occurrence le Vaucluse) pour voir son fonctionnement et je me souviens avoir été très impressionnée des efforts accomplis. Je me rappelle également l'angoisse qui avait été la mienne quand je me suis rendu compte que dans le département voisin, les responsables ne possédaient même pas les numéros de fax des personnes à prévenir en cas de problème. Je ne me réfère pas aux hautes sphères de l'Etat, je reste basique. Si un problème intervient, les personnes savent-elles qui prévenir ? Possède-t-on les numéros de fax ? A-t-on les numéros de téléphone de nuit des responsables ? Non, on n'avait pas tout cela. Je me suis donc rendu compte qu'il existait des disparités considérables d'un département à l'autre. Je suis allé à plusieurs reprises sur les bords de la Loire, avec le préfet Gérard. J'ai passé au moins deux ou trois journées à Orléans pour m'occuper des questions du plan Loire et notamment des questions d'inondation. Cependant, à aucun moment il n'a été question de problèmes d'inondation dans la Somme. Je suis allée sur la côte. Je suis allée m'occuper des problèmes de marées. Je me suis occupée des problèmes de chasse. J'ai visité les espaces protégés de cette région. Personne ne m'a jamais demandé si nous nous étions préoccupés des problèmes d'inondation. J'avoue ma faute, s'il y en a une. Je ne me suis pas préoccupée du problème des inondations dans la Somme. La Somme n'apparaissait pas comme étant un des endroits de France où la question des inondations semblait préoccupante. Je n'ai rien à cacher. Je suis d'une très grande transparence et d'une très grande honnêteté. Si faute il y a, vous le direz. Je n'ai pas travaillé sur la Somme à propos des inondations parce que ce n'était pas une région considérée comme présentant des risques.

Pour préparer la présente réunion, je me suis replongée dans un document fort intéressant, que j'avais commandé et qui est sorti en 1998 intitulé « Impact potentiel du changement climatique en France ». C'est un document de la mission Effet de serre. Je peux même vous en laisser un exemplaire.

M. le Président - J'ai ce document en ma possession.

Mme Corinne Lepage - J'avais commandé ce document en 1995. A l'époque, on m'avait dit qu'il était impossible à réaliser. J'ai constaté que les Anglais avait déjà réalisé ce type de rapport et j'ai donc considéré que nous étions en mesure de le réaliser. J'ai donc insisté. Ce rapport a fini par sortir en 1998. Il est fort intéressant car il analyse tous les effets potentiels du changement climatique sur l'hexagone. Cette question était pour moi tout à fait essentielle. J'aurai l'occasion de revenir tout à l'heure sur ce point. J'ai relu ce document pour préparer cette réunion. Je rappelle que ce document date de 1998. Or il n'y a pratiquement rien sur la Somme. Le seul point qui concerne spécifiquement la Somme est à la page 3 du chapitre intitulé « Impact à attendre d'une élévation du niveau de la mer sur les côtes françaises ». Je cite : « Des observations faites au cours des dernières décennies en particulier dans le marais charentais, le marais poitevin et en Baie de Somme, sans parler de la baie du Mont-Saint-Michel, conduisent à penser que c'est le troisième scénario qui prévaut ». Ce troisième scénario stipule que l'élévation du niveau de la mer n'aura aucune incidence car les marais pourront absorber. C'est le seul point relatif à la Somme dans ce rapport. Ma première observation est donc qu'on ne s'attendait pas à une inondation dans la Somme. On parlait de la Loire, éventuellement de Paris. On s'interrogeait sur les conséquences à Paris d'une crue comparable à celle de 1910. On pensait à la Loire, au Sud-Est. Je suis allé en Arles. A plusieurs reprises j'ai rencontré M. Vauzelles qui était très préoccupé, à juste titre, par l'état des digues dans la région d'Arles. A aucun moment nous n'avons pensé à la Somme. Nous n'avons pas été bons dans ce domaine.

M. Jean-François Picheral - Vous n'avez pas été alertée.

Mme Corinne Lepage - Non, je n'ai été alertée par personne. En réécrivant l'histoire, on pourrait se dire que j'aurais pu me poser la question. Or rien ne pouvait me conduire à me la poser.

M. le Président - Quand vous étiez au Crotoy, vous ne pensiez pas que cela pût arriver.

Mme Corinne Lepage - Absolument pas. Au Crotoy, nous avons parlé de la côte, des marées, de la culture, des nitrates, de la chasse, de tous les sujets sauf des inondations.

M. Jean-François Picheral - Une première inondation a eu lieu en 1995.

Mme Corinne Lepage - Une inondation a effectivement eu lieu lors de l'hiver 1994-1995. Apparemment, elle avait laissé peu de traces dans les esprits puisqu'on n'en a pas parlé. Nous sommes d'abord confrontés aux effets de situations locales : l'absence d'entretien du fleuve, les obstacles au phénomène d'évapotranspiration. Nous pourrons revenir sur ces points. Nous sommes également en face de phénomènes d'ordre beaucoup plus général. C'est pour cette raison que je me référais tout à l'heure au rapport de la mission Effet de serre. On parle beaucoup de changements climatiques en France. On se prépare à prendre des mesures afin de réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Il m'apparaît d'une extrême urgence d'élaborer un véritable plan d'aménagement du territoire au regard des conséquences du changement climatique dans les vingt ans qui viennent. Monsieur le Président, vous avez dit avoir lu ce rapport. Vous avez vu que le changement climatique a des conséquences importantes sur les précipitations et les inondations. Cela implique la mise en oeuvre d'un urbanisme et d'un aménagement du territoire spécifiques pour toutes nos communes littorales et pour la Camargue. Le changement climatique aura également des conséquences pour l'agriculture. Des cultures vont se développer, d'autres vont souffrir. Le changement climatique aura des conséquences sur le développement de nos communes touristiques, notamment de montagne. Nous savons pertinemment qu'en-deçà de 1.500 mètres, dans quelques années, il n'y aura plus de neige. Il y a, à partir de ce document, urgence à mener une véritable réflexion en termes d'aménagement du territoire. En effet, cela me paraît un élément déterminent pour les plans régionaux et locaux, afin de nous préparer à ce qui de toute façon va se passer. Même si nous prenons des mesures aujourd'hui, nous ne pourrons échapper aux effets accumulés de la politique menée depuis trente ans. La réflexion très importante que vous menez sur la Somme pourrait ainsi être l'occasion de lancer un véritable plan de réponses hexagonales au changement climatique. Il faut agir. Nous devons nous préparer à affronter d'autres tempêtes, des inondations, des chaleurs inhabituelles comme celles que nous connaissons. Tout ceci va entraîner des bouleversements à l'échelle de notre pays. Je dirais que ma réflexion sur les évènements de la Somme est à la fois locale et globale. Les deux dimensions m'apparaissent confondues.

M. le Président - Vos propos confirment ce que nous avions constaté, c'est-à-dire l'absence de dispositif dans la Somme. Il faut compléter ce quadrillage administratif. Nous avons affaire à un territoire où tous les dispositifs d'alarme se perdent dans les sables car il n'y a personne pour les accueillir. Cela ne peut pas durer. Nous avons auditionné hier un ancien ministre qui nous a dit que la gestion de l'eau dépendait de trop de ministères. Il estime qu'il faudrait que la gestion de l'eau ne devrait dépendre que d'un seul ministère. Quel est votre avis sur ce point ?

Mme Corinne Lepage - C'est un problème plus général. Globalement, il me semble que notre organisation administrative est aujourd'hui totalement obsolète par rapport aux types de questions qui se posent. Nous sommes en face de difficultés qui posent des questions d'interface, c'est-à-dire d'horizontalité. Or nous avons une organisation qui est totalement verticale. Cela ne peut pas fonctionner. Dans les domaines de la sécurité alimentaire ou de la sécurité environnementale, on crée des agences parce qu'on n'est pas capable de s'organiser au sein du Gouvernement afin de traiter ces questions. Or la plupart des questions sont réellement des questions d'interface. Tant qu'on n'aura pas accepté de reposer de manière aussi dépassionnée que possible la question de l'organisation de l'Etat, on n'y arrivera pas. J'adhère totalement aux propos de cet ancien ministre. Il faut savoir que nous n'avons pas assez de crédits. Vous allez dire que les ministres pleurent tout le temps parce qu'ils n'ont pas d'argent. Il est tout de même vrai que nous manquons d'argent. Si vous n'avez pas d'argent pour la lutte contre les inondations, vous ne pouvez pas l'engager. Il existe incontestablement un problème plus général de gestion des finances publiques dans ce pays. En l'occurrence, la comptabilité publique est uniquement appréhendée en termes de flux. On ne compte que les recettes et les dépenses. Or nous sommes d'une certaine manière gestionnaires d'un patrimoine collectif. L'appauvrissement de ce patrimoine collectif a des conséquences. Il a un coût. Il faut en finir avec cette image de flux, qui suppose que l'environnement représente un coût qu'il convient d'éviter. Il faut plutôt mettre en avant une image de stock, qui assimile l'environnement à un patrimoine collectif qui rend toute une série de services. A cet égard, les Anglo-Saxons travaillent beaucoup aujourd'hui sur cette idée des services de la nature. Ce concept se développe considérablement. L'idée que la nature nous rend un certain nombre de services est quand même vraie. La façon de rémunérer ces services est une autre question. Or quand vous tenez une comptabilité d'épicier, en ne regardant que les dépenses et sans prendre en considération ce qui est perdu par ailleurs, vous parvenez toujours au résultat que nous avons aujourd'hui. Ainsi, les coûts de réparation deviennent sans commune mesure avec ce qu'auraient été les coûts de prévention. Malheureusement, c'est un discours qui passe très mal.

M. le Président - Le schéma des espaces naturels et ruraux est-il une amorce qui va dans le bon sens ? Quel jugement portez-vous sur cet outil ?

Mme Corinne Lepage - Je suis assez pragmatique. J'attends de voir la façon dont il fonctionne avant d'apprécier son efficacité. Tout outil qui permet d'obtenir une vision globale sur le plan territorial va dans le bon sens. Toutefois, il faut mettre en place les responsabilités et les moyens qui accompagnent la démarche. Il faut être excessivement pragmatique sur tous ces sujets. Il faut chercher l'efficacité, les outils les plus simples et les moins coûteux, en sachant que le mieux est parfois l'ennemi du bien. A vouloir trop bien faire, on finit par ne plus rien faire du tout.

M. Pierre Martin, rapporteur - Monsieur le Président, vous venez de poser la question que je voulais poser et qui concerne la gestion de l'eau. Il semble qu'il y ait à harmoniser à l'échelle du pays les services qui essaient de répondre à cette question sur le terrain. On a parlé des différents ministères. Il faut dire qu'aucun outil de prévention n'existait dans la Somme avant les évènements. Les services d'alerte n'existaient pas. Si un jour vous revenez aux affaires vous saurez qu'il peut y avoir des problèmes dans la Somme.

Mme Corinne Lepage - Je dirais que nous sommes maintenant vaccinés.

M. le Rapporteur - Même les meilleurs vaccins supposent des rappels.

Mme Corinne Lepage - Cela signifie tout de même que le principe républicain d'égalité devant la loi et devant les charges publiques est pertinent. En effet, à force de se focaliser sur certaines régions en oubliant que tous les Français ont les mêmes droits, on aboutit à des problèmes comme celui-ci. J'ajoute un élément qui va dans le sens de l'égalité. En l'occurrence, à mon sens, on sort des schémas connus. Je pense à la manière dont on gère le problème des inondations. On sait très bien combien les élus sont sensibles à ces questions. J'ai dû me battre par exemple à propos des atlas des zones inondables. On raisonne par rapport à la crue décennale ou centennale. Or je me suis souvent dit que j'étais complètement à côté du problème. La crue centennale n'a probablement aucun sens par rapport à ce qui se prépare. Comment anticiper, à la fois au niveau géographique et au niveau de l'importance des phénomènes, ce qui va nous arriver ? Nous avons un véritable effort d'imagination et de pragmatisme à accomplir.

M. Hilaire Flandre - Le pire n'est jamais certain.

Mme Corinne Lepage - C'est vrai, Monsieur le sénateur. Pour autant, il y a tout de même beaucoup de catastrophes naturelles. Je crois à la loi des séries. Toutefois, il me semble que les catastrophes que notre pays subit sont de moins en moins naturelles. La répétition fait que le pur aléa ne me paraît plus un phénomène explicatif suffisant.

M. Hilaire Flandre - Si on reprenait l'histoire des régions, je me demande si on ne retrouverait pas, sur un siècle, des phénomènes tout à fait semblables. Je suis d'une région qui ne craint pas a priori les inondations. Il s'agit de la plaine de Champagne. Or j'ai un ancêtre qui s'est noyé lors d'une inondation de la rivière La Retourne. En fait, il faut remonter cent ans en arrière pour obtenir un témoignage de ce phénomène. Beaucoup de gens pensent aujourd'hui qu'il est impossible qu'une inondation ait lieu aux abords de La Retourne. Pourtant, cela a existé. Dans beaucoup d'endroits, les mêmes phénomènes se reproduisent. On parle du réchauffement de la planète. Je veux bien croire que cela existe. Toutefois, si on regarde les statistiques de température, on s'aperçoit que nous avons déjà connu des températures aussi hautes à la même période de l'année.

Mme Corinne Lepage - C'est vrai, Monsieur le sénateur. Toutefois, si vous analysez sur une longue période, vous constatez que les dix années les plus chaudes du siècle sont les dix dernières. L'année la plus chaude, à l'échelle planétaire, a été 1998.

M. Michel Souplet - Cela ne veut pas dire qu'on ne retombera pas dans un cycle froid.

Mme Corinne Lepage - Si on retombait dans un cycle froid, cela signifierait que les émissions d'oxyde de carbone n'auraient eu aucun effet sur le réchauffement de la planète. Autrement dit, les scientifiques se seraient complètement trompés.

M. Michel Souplet - Ce ne serait pas la première fois.

Mme Corinne Lepage - C'est vrai. Néanmoins, je suis tout de même frappée, à la lecture des rapports préparatoires à la conférence de La Haye, de l'aggravation évaluée aujourd'hui par les experts par rapport à 1996. Autrement dit, en 1996, vous aviez un consensus scientifique sur le fait que la planète se réchauffait.

M. le Président - Il y avait débat à cette époque.

Mme Corinne Lepage - Le débat portait sur le fait de savoir si le réchauffement était de un ou deux degrés. Quand vous lisez le rapport publié en décembre 2000 avant la conférence de La Haye, vous vous apercevez que la situation a totalement changé. Certaines évaluations vont jusqu'à huit degrés. Cela n'a plus rien à voir. J'observe en outre une sorte de mea culpa de la part des scientifiques. Ils disent qu'il se sont trompé dans leurs évaluations car ils n'ont pas intégré l'effet exceptionnel du réchauffement déjà constaté et ils n'ont pas pris en compte notamment les effets des courants des océans. On est parti sur un système linéaire, alors que le système n'est pas linéaire et qu'il s'auto-entretient. Cela explique qu'on passe d'une échelle de deux à une échelle de six degrés. C'est tout de même une marge importante. Cela va d'ailleurs dans votre sens. On pourrait considérer que si les scientifiques ont fait une erreur de deux à six, ils pourraient bien faire une erreur entre deux et zéro. C'est possible. Je ne suis pas scientifique. Je lis beaucoup d'articles sur ce sujet. Les faits semblent néanmoins donner raison à l'existence d'un réchauffement de forte ampleur de la planète. Je ne pense pas seulement aux problèmes rencontrés dans notre pays. Je pense également aux phénomènes El Nino et El Nina, à l'accroissement de la désertification dans certaines régions du globe, etc. L'anticyclone des Açores, dans son déplacement, avait cette année un mois de retard. Personne ne peut en expliquer la raison.

M. Hilaire Flandre - C'est peut-être aussi la connaissance des effets qui nous fait penser qu'il existe des causes en amont. Je pense au phénomène de la surmédiatisation.

Mme Corinne Lepage - Je ne suis pas assez calée pour vous répondre. Pour autant, un phénomène est certain. En l'occurrence, nous sommes passés de 250 à 380 ppm d'oxyde de carbone et nous allons passer de 380 à 750 ppm. C'est un fait indiscutable. Le chiffre de 750 ppm correspond au scénario le plus optimiste. Le scénario le plus pessimiste laisse présager un chiffre de 1.000 ppm. J'en reviens à ce que je disais tout à l'heure. A mon sens, il est vraiment urgent de prendre des mesures dans notre pays afin de réduire nos propres émissions et surtout de mener des analyses très sérieuses sur les conséquences géographiques du phénomène, afin de mettre en place les investissements nécessaires en termes d'aménagement du territoire, très probablement en termes d'enterrement des lignes électriques, en termes d'infrastructures, de subventions agricoles, etc. Nous ne sommes pas aidés par la manière dont nous avons géré le sol. Pour préparer la présente réunion, j'ai relu beaucoup de documents, notamment sur l'argilisation des sols, la disparition des buissons, la politique de remembrement, la plantation de résineux au lieu de feuillus. Nous avons tout de même cumulé les effets. A mon avis, cela nous renvoie à des questions de fond sur la manière dont on prend les décisions. Cela nous renvoie à deux questions que nous avons déjà abordées. La première est la gestion du problème. Pour avoir une vue globale, il faut intégrer toute une série de données qui ne dépendent pas aujourd'hui du ministère de l'Environnement. La deuxième question est financière. On plante des résineux au lieu de feuillus parce qu'ils poussent beaucoup plus vite et sont beaucoup plus rentables. La France n'a-t-elle pas intérêt à aider les forestiers à planter des feuillus ? Je ne sais pas. Toutefois, il faut au moins se poser la question.

M. Jean-François Picheral - Les résineux sont très allergisants. Aujourd'hui, les contrôles de l'air tiennent autant compte de l'émission d'oxyde de carbone que de la présence de pollens de résineux.

Mme Corinne Lepage - On retombe sur une question bien connue, que j'ai rencontrée dans la gestion du marais poitevin. On nous dit qu'il faut absolument protéger les zones humides. Or quand vous donnez à un agriculteur qui vit de son travail 2.400 francs pour planter du maïs et 400 francs pour produire de l'herbe, il n'hésite pas. Il plante du maïs pour gagner sa vie. C'est normal et il n'y a rien à dire. Nous sommes donc confrontés à une question de fond. On ne peut pas demander à des gens qui vivent de leur travail d'être des saints.

M. le Rapporteur - Vous dites que la nature évolue. La société elle-même évolue. Nos concitoyens sont-ils aptes à supporter les évènements, alors qu'on leur montre à la télévision des images d'hommes qui vont sur la lune ? Chez eux, une pluie crée une inondation. Ils n'arrivent plus à comprendre. Les citoyens ne sont plus du tout préparés aux catastrophes. Ils ne savent plus supporter les catastrophes. Il y a peut-être une éducation à mettre en oeuvre.

Mme Corinne Lepage - Vous avez raison, Monsieur le sénateur. On touche une question peut-être plus profonde, qui est la place du progrès technologique et la foi absolue dans la science de la société. En définitive, on laisse transparaître l'idée que le progrès scientifique et technologique va permettre tout et n'importe quoi. Dès lors, les gens ne comprennent pas et n'acceptent plus les catastrophes naturelles.

M. le Président - Pour les inondations, quelle est la mesure pédagogique la mieux adaptée ?

Mme Corinne Lepage - La participation de la population, la mise en oeuvre d'enquêtes publiques, l'existence de mécanismes de concertation me paraissent des actions intéressantes. L'établissement d'un PPR ou d'un PPRI donne lieu à un véritable débat. J'ai d'ailleurs été frappée de constater qu'il n'y en avait pas dans la Somme. Dans le rapport de la Cour des Comptes de 1999, que j'ai relu pour préparer cette réunion et qui traite de la gestion du ministère de l'Environnement de 1990 à 1994, il est clairement indiqué que la Somme ne dispose d'aucun PPRI. Je n'ai pas vu, dans une des réponses des ministres au rapport de la Cour des Comptes, la moindre explication ou la moindre proposition pour une amélioration. Il me semble que tout ce qui va dans le sens d'une responsabilisation des personnes va dans le bon sens. Je reconnais qu'il n'est pas très facile pour les élus de mettre en exergue cette notion de responsabilité. Il faut expliquer aux citoyens qu'on ne peut pas en même temps râler parce qu'on vous interdit d'agrandir votre maison, qui est dans une zone inondable, et se plaindre dans le même temps des inondations. Il faut tout de même un petit peu de cohérence, aussi bien dans l'action publique que dans l'action privée.

M. le Rapporteur - Qui accepte un refus de permis de construire ? Aujourd'hui, on n'accepte plus un refus de permis de construire. On estime qu'on a le droit d'agir à sa guise sur son terrain. Comment faire prendre conscience de cette notion de responsabilité face au risque, alors qu'on n'a jamais connu le risque ? Nous sommes dans un département qui a vu les conflits mondiaux arriver. Nos parents et nos grands-parents savent que la vie n'est pas facile. Nous le savons nettement moins.

Mme Corinne Lepage - Nos enfants ne le savent plus du tout.

M. Hilaire Flandre - Je le dis à chaque fois, mais je crois que je vais le dire encore une fois. Nous avons connu dans notre département des Ardennes une inondation centennale en 1993, suivie d'une autre inondation centennale en 1995. Depuis cette date, les services d'alerte font état d'un risque d'inondation. Ils recommandent d'enlever les voitures des zones inondables. Or vous pouvez passer le lendemain du bulletin d'alerte. Les voitures sont toujours là.

M. le Président - La société n'a plus conscience des phénomènes.

M. Hilaire Flandre - Le drame de Strasbourg en est un exemple.

M. Michel Souplet - Les citoyens attendent simplement de trouver un responsable lorsqu'une catastrophe intervient.

Mme Corinne Lepage - A cet égard, l'histoire de Strasbourg m'a fait beaucoup réfléchir. Je suis d'une autre génération que les jeunes de maintenant. Je ne vais pas sous un arbre quand il y a un orage. Essayer de rechercher une responsabilité politique, quelle qu'elle soit, parce qu'un arbre est tombé et que tout le monde s'était précipité dessous, cela fait beaucoup réfléchir sur la notion de responsabilité individuelle. Aujourd'hui, l'accent est mis dans notre société sur la responsabilité des décideurs. Mais où est la responsabilité individuelle ? Pourquoi avons-nous perdu le sens de ce qu'est la responsabilité individuelle ?

M. Michel Souplet - Plus personne ne veut prendre de responsabilité.

Mme Corinne Lepage - Il faut donc demander aux gens de prendre leurs responsabilités. Certes, la responsabilité des décideurs existe. Cependant, chacun est également responsable de ce qui lui arrive.

M. Michel Souplet - J'en reviens au problème de l'eau. On a une réserve d'eau dont on n'est pas sûr du tout de son devenir. Je reprends une idée de M. Allègre. On devrait peut-être s'orienter vers la création de possibilités de réserves d'eau. Les nappes bougent. Néanmoins, on pourrait stocker de l'eau dans certains endroits du sous-sol comme on stocke du gaz. Aujourd'hui, le consommateur veut des légumes de qualité, tendre. L'industriel noue des contrats avec l'agriculteur sous réserve d'une irrigation. S'il y a irrigation, il y a forcément consommation d'eau. On nous dit qu'il faut changer le système et aller vers le goutte-à-goutte. Il est vrai que le goutte-à-goutte coûtera moins cher. Cependant, on nous dit cette année qu'il est heureux que nous n'ayons pas fait de goutte-à-goutte, cette politique ayant permis de vider quelque peu les nappes. Finalement, on mène des politiques au coup par coup, sans avoir de vision globale.

Mme Corinne Lepage - On en revient à la question posée tout à l'heure. On tourne toujours autour du même sujet. Il s'agit du problème de la gestion globale de l'eau. Il existe de multiples usages de l'eau. Nous sommes confrontés à des problèmes de quantité et de qualité. Certaines nappes phréatiques sont totalement inutilisables pour l'eau potable parce qu'elles sont polluées. Il s'agit vraiment d'un problème de gestion globale de la ressource. Il faut considérer que l'eau est une richesse et un patrimoine. Comment gérer ce patrimoine collectif ? C'est une question qui n'est pas simple car elle touche aux activités des agriculteurs, des industriels et des consommateurs. Il faudrait arriver à avoir une approche globale. La dernière directive communautaire sur ce sujet me paraît intéressante. Elle serait aussi intéressante si elle ne faisait pas cent cinquante pages.

Je voudrais revenir sur le problème des refus de permis de construire et des terres gelées du fait des inondations. Derrière cela se profile un problème que nous n'avons absolument pas résolu et qui n'est pas propre à ce sujet : le problème de l'égalité devant les charges publiques. Ce que je dis est à la fois vrai pour les collectivités publiques et les personnes privées. On pourrait d'autant plus exiger des gens qu'ils fassent un effort qu'ils auraient l'impression que cela est juste. Or il existe un sentiment d'injustice. Des citoyens vivent depuis plusieurs années sur un terrain. On leur refuse un permis de construire alors qu'il est accordé à leur voisin, qui vient de s'installer. Un sentiment d'injustice se crée. C'est vrai que ce n'est pas juste si on prend le sujet sous cet angle. Par contre, si on le prend sous l'angle de l'intérêt collectif qu'il y a à maintenir par exemple des zones d'expansion des crues, cela est juste. C'est juste à un niveau collectif et ça ne l'est pas à un niveau individuel. Ce que je dis au niveau des personnes est également vrai au niveau des collectivités locales. Pourquoi les maires se battent-ils pour réduire l'atlas des zones inondables ? Parce que cela a des conséquences indéniables sur le développement économique des communes. Ma question est donc la suivante. Comment faire pour rétablir l'égalité et la justice pour tous ces problèmes ? C'est vrai pour l'eau, mais ça l'est aussi pour toutes les servitudes d'urbanisme.

M. Hilaire Flandre - Je ne voudrais pas vous décevoir. Il faut commencer par supprimer la moitié de Paris. C'est là que réside le premier risque en termes de coût.

Mme Corinne Lepage - Il y a l'existant et ce qu'on fait après.

M. Hilaire Flandre - C'est trop simple.

Mme Corinne Lepage - Vous ne pouvez pas détruire tout Paris au motif que la ville est construite au bord de la Seine. C'est un peu difficile. Par contre, dans les mesures futures qu'on peut être amené à prendre, on peut prévoir des modes d'expansion d'une autre nature. Il faut d'abord réfléchir autour de l'idée de justice. Cela me semble très important. Les gens sont autant moins enclins à accepter cela qu'ils considèrent qu'on leur impose injustement une charge par rapport à d'autres. Tant que nous n'aurons pas trouvé la solution de justice, on aura beaucoup de mal à faire passer cette idée. Je ne dis pas que c'est facile.

M. Jean-François Picheral - Votre proposition est comparable à celle de M. Claude Allègre relative aux plans d'aménagement du territoire. Comment voyez-vous sa mise en oeuvre ? Qui sera en charge de sa mise en oeuvre ? Le ministère de l'Environnement ?

Mme Corinne Lepage - Je ne suis pas sûr que le regroupement de l'aménagement du territoire et de l'environnement soit la meilleure solution. Je verrais plutôt la mise en place d'un ministère de la prévention sanitaire, de l'environnement et de la consommation. L'axe santé-environnement me paraît être l'axe majeur. Ce regroupement de l'environnement, de la consommation et de la prévention sanitaire permettrait de donner à ce ministère à la fois l'amont, c'est-à-dire la direction générale de la Santé, et l'aval, c'est-à-dire la direction de la consommation et de la répression des fraudes. Nous disposerions alors d'un instrument réellement intéressant. Je ne suis pas certaine que le mariage de l'environnement et de l'aménagement du territoire soit la meilleure solution pour renforcer le poids de l'environnement.

M. Jean-François Picheral - M. Claude Allègre a fortement insisté sur le fait qu'il fallait tenir compte du sous-sol car personne n'en parlait jusque-là.

Mme Corinne Lepage - Il a complètement raison.

M. Jean-François Picheral - Les géo-sciences sont toutes nouvelles.

Mme Corinne Lepage - Nous sommes aujourd'hui confrontés partout à des problèmes de pollution des sols qui se terminent par des pollutions des eaux. Aujourd'hui, plus une seule opération industrielle de fusion-acquisition ne s'effectue sans une évaluation des passifs environnementaux et du coût de la remise en état. Beaucoup d'opérations ne se font pas parce que le repreneur refuse de payer le passif environnemental. Ainsi, un grand nombre de collectivités locales se retrouvent avec un grand nombre de friches industrielles, sources de pollutions. Cette question des sous-sols est problématique et n'a pas été suffisamment prise en compte.

M. le Président - Jusqu'à hier, personne ne se souciait du sous-sol, hormis les pétroliers.

Mme Corinne Lepage - J'avais très modestement lancé une série de 3.000 études de sites en 1996. Par ailleurs, le Parlement a refait le code minier. Les marnières et les carrières sont également problématiques. J'ai été frappé par les trous qui apparaissent dans les potagers en raison des effondrements du sol. C'est encore un autre sujet. Il ne s'agit pas d'un problème de pollution, mais bien d'effondrement. Tous ces sujets n'ont pas été traités. Je reviens sur la question du sénateur Picheral. En l'occurrence, que faire au niveau du plan ? Je laisse de côté la question de savoir si cela doit être réalisé par un pôle « aménagement du territoire-environnement » ou pas. Je pense qu'il faudrait partir d'une réflexion régionale. Je suis assez décentralisatrice dans l'âme. Des éléments sont globaux, mais le travail de base doit être régional. L'Etat doit mettre à la disposition des régions un certain nombre de grandes orientations. Le document que je vous ai remis contient de multiples données sur les températures, les reliefs, etc. Ces données doivent constituer un point de départ. Il est inutile de payer cinquante fois les mêmes études. Cela n'a pas de sens. Il s'agit de mettre à la disposition des régions les données de base dont on dispose au niveau national. Il faut ensuite demander à chaque région de travailler sur un plan de prévention du changement climatique à l'échelle de la région. Puis, il s'agit d'harmoniser ces travaux. Nous obtiendrons ainsi une véritable projection à vingt ans, qui permettra ensuite de remonter le temps. Lors de la prochaine signature des contrats Etat-Régions, il s'agit de définir les opérations qui devraient être favorisées et celles qui ne devraient pas l'être, d'apprécier si le droit de l'urbanisme doit être modifié, déterminer la politique en termes de grandes infrastructures, etc. Nous aurions une projection très intéressante sur l'avenir. Cela serait également bénéfique sur le plan économique. Cela ferait d'abord travailler des gens. En outre, ce serait un exercice très pédagogique. En effet, si vous faites cet exercice à l'échelle des régions, tous les groupes socio-économiques peuvent y participer. Le Conseil économique et social y participe. Le monde rural, le monde industriel et les consommateurs sont mobilisés. Chacun aura à se poser la question de l'impact du changement climatique chez lui et aura donc à se poser des questions à titre individuel. Chaque fois que l'on peut trouver des mécanismes dans lesquels on implique les gens, cela va dans le bon sens.

M. le Président - J'en reviens plus directement aux inondations. Il faut élaborer rapidement des PPR sur le territoire national. Quel avis avez-vous sur la réglementation actuelle en matière d'urbanisation, face aux risques d'inondation ? Comment imposer une nouvelle donne sans avoir une révolution ?

Mme Corinne Lepage - Le droit de l'urbanisme permet aujourd'hui de refuser un permis de construire en raison d'un risque d'inondation. La jurisprudence est constante sur ce sujet. Il n'y a pas l'ombre d'un problème. La jurisprudence est ancienne. La première date de 1987. Le Conseil d'Etat et les juridictions administratives exercent un contrôle sévère. Lorsqu'il existe de surcroît un PPR, la loi est inflexible. Même lorsqu'il n'existe pas de PPR, l'article R 111-2 du code de l'urbanisme permet de refuser un permis de construire. Nous disposons donc de l'arsenal juridique adéquat.

M. le Président - C'est donc la volonté d'application que nous n'avons pas.

Mme Corinne Lepage - Effectivement.

M. Jean-François Picheral - Les PPR n'existent pas depuis très longtemps.

Mme Corinne Lepage - Même sans PPR, l'arsenal juridique existe. La jurisprudence existe par exemple en matière de risque d'avalanche. En 1987 ou 1988, des condamnations ont ainsi été prononcées à Val d'Isère parce que des permis de construire avaient été délivrés dans des zones d'avalanche. Or il n'y avait pas à cette époque de PPR. Nous disposons de l'arsenal juridique. Il s'agit davantage d'un problème politique et pédagogique.

M. le Président - Un autre problème auquel nous sommes confrontés concerne la police des cours d'eau et de leur entretien. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?

Mme Corinne Lepage - Le droit est très clair sur ce sujet. Le curage relève de l'Etat ou des collectivités locales pour les cours d'eau domaniaux. Le curage appartient aux personnes privées pour les cours d'eau non-domaniaux. Le préfet peut parfaitement intervenir et obliger une personne à réaliser des travaux si l'intérêt public le justifie.

M. Hilaire Flandre - Nous avons eu connaissance d'une troisième classification, si je puis dire. Il s'agit des cours d'eau qui étaient flottables ou navigables, qui ont été déclassés et qui reste sous la gestion du ministère de l'Environnement.

M. le Président - En l'occurrence, les DIREN assure la gestion de ces cours d'eau déclassés. Or elles ont peu de moyens.

Mme Corinne Lepage - Il n'existe sûrement pas un centime sur les lignes budgétaires pour assurer l'entretien de ces cours d'eau. De plus, il n'il y a pas de fonctionnaires pour assurer la surveillance. Il n'existe pas de liens avec les DDE pour mettre en oeuvre des travaux.

M. Hilaire Flandre - Ces cours d'eau ne sont plus ni flottables, ni navigables. Ils ne sont pas retournés au domaine privé. Par conséquent, personne ne s'en inquiète.

M. le Président - Vous dites qu'il suffit d'appliquer le droit. Nous disposons d'un arsenal suffisant.

Mme Corinne Lepage - Le droit existe. J'ai essayé de m'occuper de cette question des curages des cours d'eau non domaniaux. J'avais déjà une petite idée derrière la tête. J'ai essayé de mettre en place des conventions entre les propriétaires privés et des associations. Je me suis heurté à toutes les difficultés de la terre. Bien que certaines associations de propriétaires étaient d'accord pour jouer le jeu, j'ai rencontré les pires difficultés pour mettre en oeuvre ces conventions.

M. Hilaire Flandre - Le Fonds de gestion de l'espace rural du ministère de l'Agriculture avait permis certaines avancées.

Mme Corinne Lepage - Il faudrait mettre en place des systèmes incitatifs sur le plan fiscal. Un propriétaire pourrait déduire les travaux de curage de ses impôts d'une manière ou d'une autre. Si aucune mesure fiscale n'est prise, on ne peut pas espérer du propriétaire qu'il investisse des milliers de francs dans le curage d'un cours d'eau. Il doit faire face à d'autres dépenses. De plus, à aucun moment le propriétaire d'un cours d'eau se dit qu'il peut avoir une responsabilité dans une inondation qui se situe à plusieurs kilomètres en aval.

M. Hilaire Flandre - On devrait plutôt lui donner une prime...

Mme Corinne Lepage - Le non-entretien du cours d'eau entrave tout de même le libre écoulement des eaux.

M. Jean-François Picheral - Je prends l'exemple du dernier texte de loi voté sur la forêt. La forêt ne rapporte rien aux propriétaires forestiers. Nous leur demandons en plus de la nettoyer. La nouvelle loi les aide beaucoup à assumer ces obligations. Il faudrait s'en inspirer pour l'entretien des cours d'eau.

Mme Corinne Lepage - Il faut reconnaître le service que les gens rendent ce à la collectivité. Il faudrait vraiment mettre en place des systèmes où les individus pourront s'y retrouver financièrement. Il faut qu'ils aient les moyens matériels d'entretenir les cours d'eau. Cela dit, l'Etat a les moyens d'agir. Une jurisprudence existe qui condamne un particulier lorsqu'il manque à ses obligations.

M. le Président - Les travaux réalisés dans le bassin de la Loire peuvent-ils servir de modèle pour l'aménagement du bassin de la Somme ?

Mme Corinne Lepage - Michel Barnier avait construit une vue d'ensemble de la gestion d'un fleuve. Cette démarche me paraissait équilibrée et intéressante. Des contestations se sont élevées de part et d'autre et l'équilibre initial a été rompu. Pour autant, la problématique générale m'apparaît une bonne chose. Il s'agit de mettre en place une vision d'ensemble de la gestion d'un fleuve. Cela permet à toutes les parties prenantes de discuter et de trouver des points de consensus sur la manière dont il faut agir. Cela crée des solidarités entre les gens d'amont et les gens d'aval. Tout ce qui peut aller dans le sens de la gestion collective me semble intéressant.

M. le Président - Vous nous apportez quelques confirmations.

Mme Corinne Lepage - La commission a-t-elle eu connaissance du rapport Bourrelier ?

M. le Président - Nous l'avons auditionné.

Mme Corinne Lepage - Monsieur Bourrelier est un spécialiste des risques naturels. Il a fait un rapport, à la fin de l'année 1997, sur ces questions. Par ailleurs, vous m'avez demandé de réfléchir à quelques propositions. Il faudrait peut-être toiletter la loi de 1982 sur les catastrophes naturelles. On pourrait y introduire la notion de vulnérabilité. On pourrait également intégrer la notion d'efforts réalisés pour réduire les risques, notamment en matière d'assurances. On n'a pas du tout parlé du volet des assurances. Pourtant, ce volet est très important. Les assureurs ont été parmi les premiers à tirer la sonnette d'alarme sur les problèmes des risques naturels, en disant qu'ils ne pouvaient plus payer. Cela a été l'occasion d'augmenter les primes.

M. le Président - Notre système est quand même exemplaire.

Mme Corinne Lepage - Effectivement. Il serait bien de mettre de l'argent sur la prévention. Plus on mettra de l'argent sur la prévention, mieux ce sera.

M. Jean-François Picheral - Je cite encore M. Claude Allègre. Il a dit que les Français préféraient gérer les crises plutôt que la prévention. Ce n'est pas faux. On préfère mettre en place des plans Orsec. L'organisation de la lutte contre les feux de forêt sur la côte méditerranéenne est un cinéma invraisemblable. Il est très difficile de mettre en place une véritable prévention.

Mme Corinne Lepage - Vous me demandiez les préconisations en matière d'urbanisation. Je vous ai dit que la loi existait pour les refus de permis de construire. La question que je me pose est la suivante. Je me demande si les dispositions prévues par le législateur, en matière d'installations classées pour la mise en servitude des sites pollués, pourraient être transposables pour des mises en servitudes de sites exposés à des risques d'inondation avec possibilité d'indemnisation.

M. Hilaire Flandre - On va poser des contraintes supplémentaires à des zones susceptibles d'être inondées parce qu'elles l'ont été une fois. Dans la vallée de la Meuse, aucun terrain n'est constructible. On va donc supprimer la possibilité de construire dans un certain nombre d'endroits. On demandera quand même aux gens qui construiront ailleurs, d'être solidaires de ceux amenés à supporter des risques. Je pense à la vallée de la Marne. Vous prenez le train de Reims à Paris. Tous les printemps, vous constatez que les pavillons sont sous l'eau. Il serait choquant que l'on continue à aider des zones inondées en permanence (y compris la région parisienne) au prétexte que les constructions préexistaient.

Mme Corinne Lepage - Comment fonctionne le système des primes d'assurances pour les gens qui subissent des inondations tous les ans ? A mon avis, les assureurs ne payent plus.

M. Hilaire Flandre - Au bout d'un certain temps, les assureurs doublent ou triplent la prime.

Mme Corinne Lepage - Il y a quand même des conséquences individuelles. Paris est complètement construit. Je travaille avec un certain nombre de collectivités de la couronne. Les plans se mettent en place. Des zones ne sont plus constructibles, par exemple dans le Val-de-Marne. Tant qu'on n'aura pas trouvé la solution d'équilibre entre les collectivités locales et entre personnes privées, on ne pourra pas avancer.

M. Hilaire Flandre - Il faut trouver un équilibre entre l'acceptation d'un risque identifié et l'interdiction absolue. Imaginez qu'on prenne une photographie aérienne de la Somme inondée et qu'on décide de rendre inconstructibles toutes les zones inondées. Cela devient ingérable. On peut quand même admettre que des gens aient les pieds dans l'eau de temps à autre. La ville de Charleville est par exemple habituée à des crues d'une hauteur de trois mètres. Pour moi, une crue d'un mètre n'est pas une inondation. Tout au moins, ce n'est pas de même nature. On peut admettre que certaines zones soient inondées. Une commune à côté de Charleville connaît une crue des eaux pratiquement chaque année. D'ailleurs, cela fait quatre ans qu'ils n'ont pas connu d'inondation. Les gens s'étonnent. Ils ont leurs bottes et leurs parpaings. Le jour de l'inondation, ils ferment leur porte de façon étanche et ils attendent la baisse des eaux.

Mme Corinne Lepage - Cela pose deux questions. Cela signifie d'abord que la puissance publique ne peut pas être responsable en cas de problème. Il ne peut pas y avoir de responsabilité du décideur public si cela s'est fait malgré lui.

M. Hilaire Flandre - Ce n'est pas malgré lui. Cela s'est fait antérieurement, mais ils s'y sont habitués.

Mme Corinne Lepage - Prenons l'exemple de décideurs publics qui demandent à des personnes privées de partir en raison des risques d'inondation. Si ces personnes restent, on ne peut pas envoyer la maréchaussée derrière chaque personne. Il faut donc, à un moment donné, une dispense de responsabilité du décideur public. Deuxièmement, un individu prend des risques et doit les supporter.

M. Hilaire Flandre - On doit aussi faire prendre conscience aux gens qu'ils doivent supporter les risques qu'ils acceptent. Or on va tout à fait dans le sens inverse. Le drame de Strasbourg est un exemple frappant. A chaque drame, on cherche forcément un responsable. Je ne suis pas sûr que ni le préfet, ni le maire de Strasbourg, ni aucun décideur public ait une responsabilité en la matière.

M. Jean-François Picheral - Ils étaient sous une tente.

M. le Président - La tente était sous un gros arbre.

M. Jean-François Picheral - L'arbre avait certainement été ébranlé par la tempête de 1999.

M. Hilaire Flandre - Un platane, ça casse comme du verre.

Mme Corinne Lepage - Il me semble, Monsieur le sénateur, qu'on ne fait plus suffisamment la différence entre le risque accepté et le risque subi. Les notions de risque accepté et de risque subi sont importantes. Elles sont à mon avis la seule manière de gérer à la fois le principe de précaution et le principe de liberté.

M. le Président - Nous arrêtons cette audition. Madame, je vous remercie.

39. Audition de M. Michel Barnier, commissaire européen (12 juillet 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons M. Michel Barnier, commissaire européen, et nous sommes heureux de vous accueillir pour la deuxième fois en quinze jours. C'est à la fois une marque très symbolique de la solidarité européenne pour ces populations de la Somme qui sont dans le malheur et la reconnaissance de ce que nous connaissons du commissaire européen qui vient sur le terrain pour répondre à nos questions.

Les ministres étant dispensés de la prestation de serment, les commissaires européens, ayant rang de ministre, le sont également.

Monsieur le Commissaire, nous aimerions entendre votre point de vue avant de vous poser quelques questions.

M. Michel Barnier - Je suis prêt à faire un exposé introductif sur la problématique des risques naturels, sujet sur lequel je me suis toujours personnellement engagé. Il y a quelques années, j'ai d'ailleurs commis sur ce sujet un atlas des risques majeurs dans le monde, publié chez Plon. A l'époque, j'animais une équipe de géographes à partir d'une cinquantaine de cartes parfois plus éloquentes que les discours ou les rapports.

Vous m'avez invité à m'exprimer au titre de ma mission de commissaire européen, mais je vous donnerai également mon sentiment en tant qu'ancien ministre de l'Environnement, ayant fait de ce sujet l'axe principal de mon action gouvernementale à l'époque.

S'agissant de l'action de l'Union européenne, nous intervenons dans le cadre du traité, et donc des compétences reconnues à la Commission européenne et des politiques communautaires. Il n'y pas spécifiquement une politique européenne de sécurité civile et de protection  parce que les Etats membres n'en ont pas exprimé le souhait. Pour la même raison, il n'y a d'ailleurs pas non plus une politique d'aménagement du territoire européen. Certains Etats y sont d'ailleurs tout à fait opposés au nom du principe de subsidiarité.

Il est difficile d'imaginer une politique communautaire dans ce domaine qui irait au-delà de la simple coopération entre les gouvernements, la question des compétences étant l'un des points clés. C'est d'ailleurs un débat qui s'ouvre dans le cadre de l'avenir de l'Union européenne. Il a été précisément mis à l'agenda de la future conférence intergouvernementale de 2004 par les chefs d'Etat et de gouvernement à Nice, dans les quatre points du débat qui s'ouvre pour la réforme future du traité, à savoir : la Charte des droits fondamentaux, le rôle des Parlement nationaux dans l'architecture européenne, la simplification des traités et les compétences.

Pour le commissaire que je suis, c'est un point majeur et le traité est notre bible.

Les compétences telles qu'elles existent aujourd'hui montrent la complexité du problème quand on sait que dans de nombreux Etats membres, la compétence en matière de protection civile n'est pas nationale mais régionale.

Je me suis précisément aperçu de ces complications quand, arrivant à la Commission en septembre 1999, j'ai voulu tirer les toutes premières leçons de la catastrophe résultant en Grèce du tremblement de terre : cent morts et des centaines de maisons et d'entreprises détruites. Je suis allé sur place, comme je suis allé dans la Somme ou sur la côte atlantique ou encore aux Pays-Bas à la suite de l'explosion d'une usine pyrotechnique qui a détruit des centaines de maisons. J'essaie d'avoir cette pratique concrète de terrain.

A la suite de cette très grande catastrophe en termes de vies humaines qui s'était produite simultanément en Grèce et en Turquie, j'avais imaginé que l'on pourrait élaborer une réponse européenne en termes de sécurité civile et de secours. J'ai même rêvé d'une sorte de force européenne de protection civile, une force humanitaire, pour que les pays européens n'apportent pas des réponses juxtaposées quand ils ont à faire face à une catastrophe chez eux ou à côté de chez eux.

Ainsi, dans le cas de la Grèce, de la Turquie ou de l'Amérique centrale il y a quelque temps, on a vu les pompiers français et les médecins anglais se rendre sur les lieux. Chaque pays a fait quelque chose. Ce n'est pas un problème de bonne volonté ni d'argent, mais chacun le fait séparément. J'imagine que l'on pourrait envisager une réponse européenne, un peu sur le modèle de ce qui est en train de se faire avec la force d'intervention militaire européenne, à savoir des unités de protection civile nationales identifiées et coordonnées.

Il ne s'agit pas de créer une force européenne centralisée à Bruxelles ou ailleurs, mais de désigner ici une unité de maîtres chiens d'avalanche, là une unité hospitalière mobile, ailleurs des pompiers, des électriciens ; bref que l'on ait des éléments nationaux agrégeables en cas de catastrophe et apportant une réponse européenne. Cela me paraît être une belle idée pour laquelle je continuerai à plaider.

Quand j'ai voulu en parler après la catastrophe en Grèce, je me suis aperçu que ce n'était pas aussi simple en raison de la question des compétences. Le sujet des inondations et des catastrophes naturelles qui vous préoccupe me paraît assez proche quand on parle de réparation dans l'urgence.

Je rappelle qu'au moment des tempêtes ou de l'affaire de l'Erika, nous avons été très heureux que des barrages flottants britanniques et des bateaux aient été mis à notre disposition, que des électriciens luxembourgeois ou belges nous aient prêté main forte. Plutôt que de laisser cela au hasard, je me demande si l'on ne pourrait pas organiser les choses. Je ferme cette parenthèse qui n'est pas éloignée des leçons que je tire personnellement de l'ensemble de ces catastrophes.

S'agissant des crédits européens et ayant précisé qu'il n'y a pas de compétence communautaire et donc pas de politique spécifique dans le cadre des catastrophes naturelles, je confirme que nous ne pouvons travailler que dans le cadre des enveloppes de crédits attribuées à chaque pays, soit au titre de l'objectif 1, soit au titre de l'objectif 2.

S'agissant de la France, l'objectif 1 concerne les quatre départements d'outre-mer où les catastrophes naturelles sont malheureusement fréquentes, et en tout cas possibles, ainsi que la Corse et le Hainaut qui sont en période de transition, de sortie progressive de l'objectif 1.

L'essentiel de la métropole est concerné par l'objectif 2, à partir d'une somme attribuée à la France, répartie ensuite en enveloppes régionales sous l'autorité du Gouvernement français, en liaison avec les régions et les préfets de région. Nous devons travailler dans ce cadre. Je confirme la possibilité, en cas de d'accident grave, de redéployer une partie de ces crédits pour faire face à ces réparations.

En arrivant à la Commission en septembre 1999, j'ai été immédiatement confronté aux conséquences du tremblement de terre. A l'époque, les DOCUP (document unique de programmation) n'étaient pas signés et étaient même loin d'être négociés. Les cadres communautaires d'appui pour les régions de l'objectif 1 en étaient eux aussi au tout début de la négociation préalable. J'ai donc demandé qu'une ligne soit ouverte et qu'une orientation soit fixée pour la prévention des catastrophes naturelles dans chacun des DOCUP pour toutes les régions européennes. C'est ainsi que l'on retrouve en France dans la plupart des DOCUP des régions françaises, des lignes spécifiquement dédiées aux catastrophes ou à la prévention.

Si nous examinons le DOCUP pour la Picardie que j'ai signé en mars 2001, deux mesures intéressent directement la prévention des catastrophes :

- la mesure 4-1 "Action de restauration des milieux naturels"

- et la mesure 5-2 "Appui aux projets de développement territorial".

Ces deux rubriques permettent de financer des travaux de prévention.

Les rubriques 3-3 "Investissements productifs", 3-4 "Investissements immobiliers", 3-7 "Développement du tourisme" sont des tiroirs dans lesquels nous pouvons mettre en oeuvre le redéploiement que j'évoquais, dès l'instant où les autorités nationales le souhaitent, pour faire face à des dépenses non prévues initialement pour la réparation, pour les entreprises ou pour les investissements publics.

L'enveloppe du DOCUP de Picardie s'élève ainsi à 1,7 milliard de francs pour la période 2000 - 2006.

Lisant la presse de ces derniers jours, j'ai compris que le CIADT, réuni le 9 juillet, à Limoges avait concrétisé cette possibilité de redéployer une partie des crédits. Je n'ai pas bien compris s'il s'agissait de 60 millions pour la Picardie et de 60 millions pour la Bretagne ou de 60 millions pour les deux. J'attends que le Gouvernement français veuille bien me consulter à ce sujet. J'avais dit préalablement que c'était possible en Bretagne ou sur la côte atlantique après les tempêtes ; je ne suis donc pas surpris que les autorités françaises utilisent une partie de l'argent européen pour ces redéploiements. Je souhaite simplement ne pas en être informé uniquement par la presse, puisque j'aurai à donner mon accord sur la question !

Pour faire face à ces catastrophes, il y a aussi des adaptations possibles au titre de la politique des aides d'Etat. Nous ferons, de manière constructive, la même chose que ce qui a été fait en accord avec les autorités françaises après les tempêtes.

Un règlement particulier -numéro NN62 -2000- au titre des aides d'Etat a été mis en oeuvre après la marée noire et les tempêtes. Il permet d'approuver un dispositif d'aide nationale en adaptant la politique de la concurrence. Il en va de même pour la politique agricole commune qui, elle-aussi, a été adaptée pour aider les exploitants agricoles, notamment s'agissant des dates de récolte ou de semis qui ont été retardées ou de l'affectation des terres. Toutes les souplesses ouvertes dans le cadre de notre règlement peuvent être utilisées.

A la suite de ma première visite en Picardie, je me suis inquiété d'une question que vous m'aviez posée sur les délais ou les retards. Sil y a eu des retards par rapport à la mise en oeuvre des mesures dérogatoires en matière de PAC, ils ne devraient pas avoir de conséquences puisque, malgré leur parution tardive au Journal officiel, les agriculteurs restent couverts.

D'ailleurs, si j'ai bien compris, les retards ne sont pas excessifs compte tenu du fait que la France a demandé ces dérogations juste avant la réunion du comité de gestion. La publication a suivi aussitôt.

Nous appliquons un maximum de souplesse dans le cadre des règlements qui sont les nôtres pour adapter les politiques européennes aussi bien en termes d'argent que de mesures réglementaires. Voilà ce que je peux dire s'agissant de la politique européenne. Je suis prêt à entrer dans les détails et à vous dire mon sentiment en tant qu'ancien ministre de l'Environnement sur une politique de prévention qui avait été pour moi une des priorités de mon action gouvernementale.

Pour préparer cet entretien, je me suis replongé dans mes notes. C'est le 13 juillet 1993, quelques semaines après avoir été nommé au Gouvernement, que j'ai fait ma première communication sur cette question de la prévention des inondations au Conseil des ministres alors qu'il n'y avait pas de catastrophe. Vous pourrez retrouver le texte de cette communication qui avait été bleuie par le Premier ministre sur le plan interministériel.

Ensuite, il y a eu une succession d'actes concrets  : le plan "Loire grandeur nature", le plan décennal de prévention des risques, la loi de février 1995 qui avait donné lieu à une nuit de débats très intéressants au Sénat et loi que vous aviez beaucoup améliorée. Toutes ces étapes prouvent que l'on n'en fait jamais assez.

M. le Président - Monsieur le Commissaire, merci de cet exposé introductif. J'aimerais régler le problème des crédits européens pour parler ensuite des PPRI et de la manière dont l'ancien ministre voit les choses.

Sur les crédits européens, il n'y a pas de budget, mais une possibilité de redéployer des DOCUP avec l'accord des autorités françaises.

Vous n'avez pas évoqué le FEOGA garantie qui n'est pas zoné. On pourrait aussi jouer là-dessus. Concernant la réponse aux demandes des populations locales voire des élus locaux qui n'ont pas tous été bien informés de ce qu'est le budget européen et qui pensent qu'il y aura une solidarité européenne et des crédits de l'Europe, les choses sont moins simples.

Apparemment, vous n'avez plus cette ligne exceptionnelle du budget qui a été supprimée il y a deux ans pour les catastrophes naturelles ?

M. Michel Barnier - Une petite ligne budgétaire a été supprimée il y a trois ans en accord avec le Parlement européen et la Commission. Elle était hors de proportion par rapport aux conséquences des catastrophes. Elle existait et était consommée intégralement dès le début de l'année.

Dans le cadre du débat sur la future politique régionale, j'aurai à présenter des propositions à la Commission d'abord puis au Conseil en 2004 - 2005 pour l'agenda des années 2006 et suivantes. J'ai ouvert le débat pour préparer ces propositions à partir du rapport sur la cohésion, rendu public le 31 janvier dernier.

Mes propositions sont assez proches maintenant d'une demande de reconstitution de cette ligne. L'une des leçons à tirer de toutes ces catastrophe est que l'Union européenne devrait avoir une réponse plus rapide. L'autre conséquence que j'en tire -même si elle ne me concerne pas tout seul- est celle que j'ai développée sur une force européenne de protection civile.

M. le Président - Pour les 60 millions dont parle le communiqué du CIADT, je n'ai pas compris non plus si c'était une fois 60 ou deux fois 60 millions de francs. En clair, cela signifie que l'on redéploie autrement les DOCUP.

M. Michel Barnier - Le DOCUP de la Picardie et le DOCUP de Bretagne. Il y a une autre possibilité : sur le territoire français et entre régions -cela a été fait dans d'autres circonstances en Italie notamment lors du tremblement de terre en Ombrie- on demande la solidarité des autres régions en prélevant sur chaque DOCUP des 21 régions françaises une somme affectée à telle ou telle autre région. C'est une affaire française et c'est possible. Mais je ne veux pas aller au-delà sauf à indiquer cette possibilité. Je ne sous-estime pas les difficultés de cet exercice.

Une troisième possibilité, qui appartient aussi aux autorités françaises est l'affectation plus ou moins prioritaire de ce que l'on appelle la réserve de performance.

M. le Président - Dans 3 ans ?

M. Michel Barnier - Elle sera examinée en 2003 et affectée en 2004 ; elle concerne 4 % de l'enveloppe nationale de l'objectif 2 français. Ces sommes ne sont pas négligeables s'agissant de plus de 15 milliards d'euros, soit 102  milliards environ de francs.

M. le Président - Il y aura donc 4 % de 102 milliards à redéployer en 2003 ?

M. Michel Barnier - Je parlais des fonds structurels en général. La somme globale que je viens d'indiquer est celle de la contribution européenne au développement régional. Mais pour l'objectif 2, la somme est de 36 milliards de francs. Donc, 4 % de ces 36 milliard constituent la réserve de performance au titre de l'objectif 2.

L'attribution de cette réserve va être évaluée en 2003 et l'allocation se fera en 2004. Une fois que l'allocation sera faite, les autorités françaises auront une certaine liberté pour privilégier l'allocation précise de cette réserve. Je ne donne là que des faits et je ne veux pas me mêler des décisions qui seront prises le moment venu.

La France est le premier bénéficiaire du FEOGA. Sur cette politique du développement rural, elle perçoit 17,5 % de l'enveloppe européenne. L'allocation est de 760 millions d'euros, soit près de 5 milliards de francs pour les 7 ans. Dans ce cas, il n'y a pas de zonage.

M. le Président - Y a-t-il d'autres questions sur les aspects financiers ?

M. Paul Raoult - De ce que l'on sait déjà, la France a beaucoup de difficultés à consommer les crédits européens mis à sa disposition. Ne serait-il pas possible, à partir de cette sous-consommation, de prévoir une nouvelle répartition ?

M. Michel Barnier - Ce n'est pas tout à fait exact. Il y a eu des délais ou des retards, notamment au titre du Fonds social européen. Mais j'observe -et je me suis inquiété de cette question- que sur la période précédente 1994 -1999, la consommation a été proche de cent pour cent. Il y a parfois des délais dans les demandes de paiement, mais il n'y a pas d'argent disponible au titre de retard ou de non-réalisation des projets.

Les paiements pour la période 1994 - 1999 doivent être effectués avant la fin du mois de décembre de cette année 2001. Je ne crois pas qu'il y aura de retard.

M. Paul Raoult - Pour l'objectif 1 du Hainaut, on n'en est pas encore à 60 % des paiements à 6 mois de l'échéance.

M. Michel Barnier - Je pense que l'on sera à cent pour cent en décembre.

Cet argent est affecté à des projets, à des régions et à des programmes. S'il y a un lien direct avec les conséquences des inondations, je peux donner quelques mois de délai supplémentaire pour ces paiements. On pourrait aller au-delà du 31 décembre. Je l'ai fait pour l'Italie. Je peux le faire, à condition que l'on joue le jeu de la vérité. Je l'ai dit très clairement à Amiens. J'ai des obligations de transparence. Il ne faut pas me dire parce qu'il y a eu impéritie ou un problème particulier sur un projet, que l'on veut un délai en raison des inondations. Si cela n'a rien à voir avec les inondations, je ne peux pas me mettre en difficulté. Un lien direct ou indirect avec la réalité des inondations ou des catastrophes naturelles doit être établi, et on peut alors donner un peu de délai. Je viens de le décider pour l'Italie suite au tremblement de terre.

Je suis allé à Bordeaux, l'autre jour, où les industriels du bois m'ont expliqué que les chablis étaient tellement considérables qu'ils ne trouvaient pas d'entreprises pour les sortir. Les projets de la fédération du bois sont tous bloqués. Objectivement, il y a un lien avec la catastrophe naturelle.

M. Michel Souplet - J'ai été très intéressé par l'idée de la création éventuelle d'une force européenne de protection civile. Le risque est grand de connaître demain une situation identique, ou de connaître après-demain une situation de grande sécheresse dans d'autres régions.

A cet égard, M. Claude Allègre nous a dit avant-hier qu'il y avait des transformations très importantes qui l'amènent à penser que l'on va vers des intempéries qui s'accentueront, vers des zones cycloniques qui vont se déplacer, avec des périodes plus humides et des périodes plus sèches.

Ne va-t-on pas se trouver confronté en Europe à un problème de réserves d'eau utilisables que l'on devrait prévoir de mettre en place ? Je pense au gaz ou à l'électricité où la France s'est garantie une autonomie électrique au travers l'énergie nucléaire. On peut stocker du gaz dans le sous-sol que l'on réutilise au besoin. Ne pourrait-on envisager une grande politique communautaire de réserves d'eau ? Stocker quand il y en a trop pour la pomper quand il en manque ?

M. Michel Barnier - On ne fait jamais assez de prévention. La prévention coûte moins cher que la réparation. Ces réserves nationales d'énergie sont nationales par définition. Je ne crois pas qu'il y ait de politique européenne, même si Mme de Palacio a enfin, et heureusement, ouvert le débat sur le défi énergétique européen. Ces politiques sont de compétence nationale.

Naturellement, la problématique de la gestion de l'eau est l'un des grands enjeux dans le monde. Au Proche-Orient, c'est une source potentielle de conflits.

Claude Allègre vous a dit les changements considérables, durables et profonds qui vont se produire. J'ai été très marqué par une visite en Bolivie. Je suis allé à la rencontre des chercheurs de l'EURSTOM sur le développement. Je suis monté à la base de l'un de ces glaciers sur l'Altiplano en Bolivie à 4.300 mètres. Ils examinent les glaciers tropicaux de Bolivie, d'Afrique et d'Indonésie. L'examen qu'ils ont fait du recul de ces glaciers tropicaux fait ressortir une désertification inéluctable au sud de la France autour de 2050 et après. Ces risques de désertification vont toucher la moitié sud de la France, comme elle touche déjà l'Espagne et quelques régions italiennes.

Cela pose des questions majeures, pas seulement pour ceux qui aménagent des stations de sports d'hiver, mais au titre de l'eau, de la prévention, etc. Je crois que tout homme politique qui fait de la politique avec une certaine perspective doit prendre en compte ces faits dès lors qu'ils sont confortés ou confirmés au plan scientifique.

Cette question de l'eau peut être évaluée au niveau européen. Je suis prêt à l'évoquer demain lors d'une réunion des ministres européens de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement. Il faut savoir qu'en la matière, les compétences ne sont pas toujours les mêmes dans les gouvernements : en Italie, c'est le ministre des Finances qui est chargé de la politique régionale, des fonds que je gère ; en France, c'est le ministre de l'Environnement. Nous nous réunissons à Namur avec M. Yves Cochet, le nouveau ministre de l'Environnement.

J'évoquerai cette question sans cependant pouvoir revendiquer une compétence de la Commission. Pour toutes les raisons que j'ai évoquées ici, certains pays se mettent en retrait en évoquant le principe de subsidiarité. La Commission est bien placée, surtout si on le lui demande, pour faire une évaluation de cette question.

M. le Président - Comment l'ancien ministre de l'Environnement, voire le militant écologiste, voit-il l'application de la législation qu'il a mise en place ? Que pensez-vous des P.P.R.I. et des conséquences qui ont résulté de leur absence en Picardie ?

M. Michel Barnier - J'avais fait délibérément de cette question une priorité au ministère de l'Environnement, m'inscrivant dans l'action qui avait été menée avant moi.

Le 13 juillet 1993, nous avons fait suivre ma première communication sur le sujet d'une lettre à tous les préfets sur les précautions à prendre en cas d'inondation. En janvier 1994, le Gouvernement a approuvé le plan Loire grandeur nature que j'avais préparé avec l'accélération de la publication des cartes de risques dans les zones inondables et l'augmentation des moyens affectés aux annonces de crue.

Pour élaborer ce plan qui reste d'application et qui est prolongé par le Gouvernement actuel, j'avais fait une dizaine de visites dans les cinq régions françaises concernées par la Loire -plus de 20 départements et notamment la Haute-Loire, où la catastrophe de Brives-Charensac avait fait une dizaine de morts. Pour prévenir les inondations, on a mis en oeuvre simultanément des mesures de prévention lourdes en termes d'aménagement. Je suis allé voir il y a quatre ou cinq ans ces travaux qui ont été achevés à Brives-Charensac.

En janvier 1994, nous avons fait adopter par le Gouvernement, à la suite des grandes inondations qui ont touché l'Est et le Sud-Est de la France, le plan décennal de prévention des risques naturels qui met en oeuvre onze milliards de francs sur dix ans pour la restauration des cours d'eau, l'amélioration des systèmes d'alerte et l'annonce des crues. Pour moi, ce plan décennal comportait les axes de ce qui deviendra la loi du 2 février 1995 qui comporte beaucoup d'aspects et qui a été amélioré par le Sénat, notamment en matière de paysages. Un amendement sénatorial -que j'avais approuvé- a introduit cette idée parfois contestée d'interdiction de construire sur cent mètres de chaque côté de l'axe médian des routes à l'entrée et à la sortie des villes.

M. Hilaire Flandre- Et qui pose aussi des problèmes.

M. Michel Barnier - Cela pose moins de problèmes à terme que ce massacre des entrées de ville. Cela oblige à avoir un plan d'urbanisme. Dans la loi de 1995, aujourd'hui codifiée dans le code de l'environnement, il y avait plusieurs éléments auxquels nous tenions : la modernisation des règles relatives à l'entretien des cours d'eau, la fusion des quatre documents concurrents qui existaient en matière de prévention dans un seul document, le P.P.R.. Autrefois, nous avions le plan d'exposition aux risques (PER), le plan des surfaces submersibles, le plan des zones sensibles aux incendies de forêt et le périmètre de risque de l'article R 111.3 du code de l'urbanisme. Nous avons créé un outil unique avec le P.P.R.

Enfin un élément auquel je tenais infiniment et pour lequel je me suis battu une nuit entière avec le Sénat, à savoir l'instauration de la procédure d'expropriation pour risque majeur qui consistait à faire jouer la loi catastrophes naturelles avant qu'une catastrophe se produise. J'en suis heureux parce que j'attache plus d'importance à l'effet de suivi qu'aux effets d'annonce. Cette mesure joue dans une dizaine de cas par an.

Cette proposition avait été notamment motivée par la situation d'un village du Dauphiné menacé d'éboulements. J'avais prévenu que je quitterais mon poste si on ne donnait pas les moyens de traiter un tel cas. La procédure d'expropriation a été engagée ; le village sera déménagé. Grâce à un fonds spécial prélevé sur la masse des cotisations obligatoires d'assurance pour risques naturels, on indemnise les gens, sans les spolier comme si leurs biens n'étaient pas menacés. Les gens ne sont pas spoliés, alors que leurs maisons ne valent plus rien, ni leurs usines.

Ensuite, le plan Loire a mis en oeuvre cette mesure avec des crédits, le fonds d'assurance n'étant pas encore opérationnel. Plusieurs usines à Brives-Charensac ont ainsi été déplacées définitivement après avoir été inondées.

Il m'importe que cette loi et ces outils soient utiles, même si tout peut être amélioré. Vous êtes mieux placés que moi pour savoir combien de PPR sont mis en oeuvre. Près de 12.000 communes étaient concernées par un risque naturel -avalanches, risques sismiques, glissements de terrain-, ce qui représentait 5.000 PPR pouvant regrouper plusieurs communes.

Je reste persuadé que cet outil est difficile à mettre en place, demande du courage administratif et politique, mais il évite que les situations s'aggravent.

M. le Président - De manière pratique, ce Fonds pourrait-il intervenir en matière d'inondation dans notre situation ?

M. Michel Barnier - Oui, si des vie humaines sont concernées.

M. le Président - C'est le débat des inondations dans la Somme.

M. Michel Barnier - Rien n'interdirait d'améliorer le texte. J'avais dû me battre pied à pied pour créer ce fonds. D'abord à Matignon. J'ai été soutenu par le Premier ministre ; ensuite, avec ou contre les compagnies d'assurance et avec certains parlementaires. J'avais dû accepter que cela joue d'abord, quand un risque touche des personnes physiques, une priorité légitime et normale. Rien n'interdirait, en évitant d'ouvrir toutes les portes, d'identifier un second degré de risque, par exemple, lorsque des inondations se produisent de manière récurrente et concernent année après année les mêmes installations. Il serait alors légitime de déplacer ces installations.

Qui paie ? C'est une autre question. A moyen et long terme, il me semble plus normal, plus économe et plus logique de faire jouer la loi sur les catastrophes naturelles avant qu'elles ne se produisent. Ce que nous faisons à la Seychilienne, ce qui coûtera moins cher en vies humaines et en travaux que si le village était complètement détruit par la montagne. Une dizaine de cas peuvent vous être communiqués par les services du ministre de l'Intérieur ou de l'Environnement. Quand j'étais sénateur, j'avais pu obtenir la liste des cas d'expropriation mis en oeuvre à partir de cette loi.

M. Hilaire Flandre - Je suis d'accord pour que la solidarité joue quand il y a un risque pour les personnes ou quand il y a un risque renouvelé dans les vallées où l'on ne peut éviter l'inondation. Mais dans le cas particulier de la Somme, cela me choquerait que l'on fasse appel à la solidarité pour financer les conséquences d'inondations que l'on aurait pu éviter.

M. Michel Barnier - Il y a des communes où, sans utiliser d'autres fonds que des fonds publics locaux, les maires ont décidé de déplacer des installations. J'ai le souvenir de la commune dont Yves Duteil est le maire ; un quartier résidentiel de sa commune est chaque année sous l'eau. Ils ont décidé de déplacer les maisons une par une !

M. Hilaire Flandre- On a aussi déplacé des exploitations agricoles et des usines dans les Ardennes avec des financements locaux du département et de la région.

M. Pierre Martin, Rapporteur - Que pensez-vous de la gestion de l'eau dans notre pays ? Cela ressortit à la compétence de plusieurs ministères. Une autorité unique ne serait-elle pas préférable ?

M. Michel Barnier - Pourquoi pas une autorité régionale ? Dans le domaine de la régionalisation, on devrait pouvoir retrouver l'audace qui a été perdue depuis 1982, depuis la loi Deferre qui a été la dernière grande réforme dans ce domaine et qui est restée inachevée de mon point de vue.

La carte de la gestion de l'eau en France est très liée aux comités et agences de bassins. Quoi que l'on ait dit sur ces organismes, ils sont utiles. On peut les améliorer, les ouvrir davantage aux utilisateurs et aux associations, mais il faut tenir compte des bassins. Il y a un vrai problème de décentralisation.

Reste pour moi une intrigue : alors que l'on a demandé de couvrir la carte française de P.P.R. là où il y avait des risques, rien dans la mémoire collective ne fait apparaître un risque sur le bassin de la Somme. Je serai content de lire le rapport pour trouver la solution.

M. Hilaire Flandre - La mémoire collective s'estompe rapidement. Nous avons eu des inondations fin 1993 dans les Ardennes et à nouveau en 1995. Depuis 1995, il n'y en a pas eu parce que des travaux ont été faits et que la climatologie a fait qu'il a plu de façon moins concentrée sur la région. Les gens sont tout prêts à revenir dans des maisons en zones inondables qui ont perdu toute valeur marchande.

M. Michel Barnier - C'est pourquoi les PPR sont des outils indispensables et doivent être entre les mains de l'administration. Sur la mémoire, je suis très intrigué que l'on ne retrouve pas la trace de grandes inondations en Picardie, surtout par rapport aux changements climatiques Le PPR a de la mémoire puisque c'est un document juridiquement opposable. Des travaux de prévention sont faits.

Ce qui exige une vigilance permanente, c'est la formation des gens et des élus. On m'avait bien dit à Brives-Charensac que l'on oubliait. Les pompiers ne sont plus les mêmes, les responsables des services changent, les directeurs de cabinet ou de la protection civile sont nommés dans d'autres départements, les élus et les maires changent à chaque élection. Le souvenir ou la vigilance que l'on doit toujours avoir s'estompent. Dans chaque département, il faut que quelqu'un, préfet ou autre, ait la responsabilité de maintenir cette vigilance en éveil. En cas de catastrophe, une culture du risque et de la prévention doit être entretenue, sous la responsabilité de quelqu'un qui pourra exiger qu'à intervalles réguliers, des gens qui ont changé soient opérationnels.

M. Michel Souplet - A la première réunion à Amiens, j'avais suggéré que sur l'ensemble des communes de France, les maires actuels constituent un dossier à partir des gens qui se souviennent ou des expériences enregistrées, de façon à ce que celui qui veut acheter un jour dans une commune un immeuble quelconque puisse consulter le document pour savoir ce qui est inondable.

M. Michel Barnier - Aux Etats-Unis, c'est obligatoire. Personne n'achète un terrain sans savoir ce qu'il y a dans le sous-sol pour ne pas engager sa responsabilité.

M. Paul Raoult - La difficulté pour cette région-ci est qu'à mon avis, cela ne s'était jamais produit. Il n'y a donc pas de mémoire. Le problème est de comprendre pourquoi c'est arrivé aujourd'hui alors que cela ne s'était jamais produit auparavant, du moins à notre connaissance. A partir de l'augmentation du ruissellement, de l'évolution des pratiques de l'agriculture, on se retrouve dans des zones qui n'étaient pas à risque et qui le deviennent. On est dans une crue de nappe et dans un contexte différent de l'inondation classique.

M. le Président - Nous vous remercions M. le Commissaire.

40. Audition de M. Jérôme Bignon, président du syndicat mixte pour l'aménagement de la Côte picarde (18 juillet 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui M. Jérôme Bignon, ancien député et conseiller général, en sa qualité de président du syndicat mixte pour l'aménagement de la Côte picarde (SMACOPI).

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Jérôme Bignon.

M. Jérôme Bignon - Le syndicat mixte d'aménagement de la Côte picarde (SMACOPI) a été créé en juillet 1974. Il a pour objet de favoriser le développement touristique du littoral picard et de son arrière-pays, par l'aménagement des espaces, la mise en valeur des potentialités et la protection des milieux naturels.

Le SMACOPI s'est vu assigner les missions suivantes :

- élaborer des programmes généraux d'aménagement ;

- concevoir et coordonner des opérations d'investissement ;

- assister les maîtres d'ouvrages ;

- assurer la maîtrise d'ouvrage d'opérations ;

- gérer des équipements touristiques.

Il est composé du Conseil général de la Somme et d'un syndicat intercommunal d'aménagement du littoral picard, lui-même constitué par une vingtaine de communes.

Le littoral picard se compose de 70 kilomètres de côtes qui commencent à la frontière du Pas-de-Calais, descendant dans le Marquenterre, paysage de dunes, jusqu'à l'estuaire de la baie de Somme. Puis, au Sud, à partir de la commune de Cayeux, le paysage se mue en décors de falaises de craie. L'embouchure de la Bresle fixe la frontière entre la côte picarde et la Seine-Maritime.

L'Etat s'est trouvé confronté à une difficulté majeure : parmi les 20 communes composant le littoral picard, aucune ne comptait plus de 2.500 habitants en hiver et ne pouvait être considérée comme un acteur susceptible d'aménager ce littoral. En outre, les services techniques de ces municipalités éprouvaient d'importantes difficultés à concevoir et à réaliser les opérations d'aménagement, qui leur permettaient de promouvoir un véritable développement touristique et de gérer de fortes concentrations de populations pendant la période estivale.

Certaines de ces communes, Fort-Mahon notamment, accueillent aujourd'hui 30.000 à 50.000 estivants chaque année, alors que leur population permanente n'excède toujours pas 2.500 administrés. Cette donnée implique une grande souplesse des services et des infrastructures, en termes d'adduction d'eau, de collecte des déchets, de voirie, etc. Ceci s'avère d'autant plus problématique que les équipes municipales sont réduites et n'ont que peu de moyens à leur disposition. Pour faire face à cette situation, le SMACOPI a donc été institué.

Les différentes missions du syndicat se structurent autour de trois axes principaux :

- la maîtrise d'ouvrage déléguée ou directe ; Le SMACOPI met ainsi à la disposition de ces vingt communes un savoir-faire et des moyens techniques, pour les aider à mener des opérations de reconquête et de rénovation urbaines essentiellement.

- la gestion des milieux naturels ; Le Conservatoire du littoral est fortement impliqué dans le territoire du littoral picard. Il s'y est porté acquéreur d'espaces importants. En vertu d'une délégation du Conservatoire, le SMACOPI gère aujourd'hui 5.000 hectares d'espaces naturels ou protégés, parmi lesquels la réserve naturelle de la baie de Somme. Le Conservatoire n'achète que de manière très exceptionnelle des terrains sur lesquels du bâti est présent. Il rétrocède la gestion des espaces naturels qu'il a acquis à des acteurs locaux comme le SMACOPI. Ce partenariat privilégié s'effectue naturellement dans le cadre d'une convention, dont l'échéance est prévue pour la fin de l'année 2002. Dans le cadre de la mission confiée par le Gouvernement à M. Louis Le Pensec relative à l'évolution du Conservatoire, nous réfléchissons actuellement aux nouvelles formes à donner au partenariat entre cette structure et le SMACOPI. Cette réflexion est menée de manière tripartite, le Conseil général y étant également associé. Le SMACOPI gère, par ailleurs, des espaces naturels pour le compte du Conseil général, le littoral picard constituant une zone de préemption.

- la gestion d'équipements touristiques ; Dans les années 1970, le littoral picard souffrait d'un manque manifeste d'équipements touristiques. Progressivement, un certain nombre d'opérateurs privés et publics viennent y investir, mais ne parviennent pas toujours à assumer la gestion de ces équipements. Le Conseil général confie au SMACOPI la gestion d'un certain nombre de ces équipements menacés d'être abandonnés. Aujourd'hui, le syndicat a la charge de sept ou huit équipements de ce type, parmi lesquels un golf, une aire autoroutière, un hôtel, le jardin public de Valoires et la maison de l'oiseau. Pour l'heure, nous avons adopté un statut de régie industrielle et commerciale. Nous générons un chiffre d'affaires de 30 millions de francs, nous dégageons d'ailleurs des bénéfices et payons 2,5 millions de francs d'impôts sur les sociétés. Ceci tend à prouver que la rigueur permet à un acteur public de dégager des bénéfices. Ceci nous permet d'ailleurs de financer d'autres investissements. Certains de nos projets sont même en autofinancement complet. Je suis d'autant plus fier de ceci que ces équipements étaient initialement proches de la faillite et que le SMACOPI est parvenu à les relancer, à leur donner une cohérence et à les moderniser, afin qu'ils répondent pleinement aux attentes des touristes contemporains. Nous avons également bénéficié du désenclavement lié à l'autoroute transmanche. L'arrivée des touristes d'Europe du Nord constitue, en effet, un vecteur majeur du développement touristique de notre littoral.

En 2001, le budget du SMACOPI s'élève à 22 millions de francs de frais de fonctionnement et à 142 millions de francs de frais d'investissement.

Après 25 ans d'existence, il nous est apparu nécessaire de faire le point et de nous poser différentes questions. Devons-nous évoluer vers un statut juridique privé, en empruntant éventuellement un statut intermédiaire de société d'économie mixte ? Notre partenariat avec le syndicat intercommunal d'aménagement du littoral picard doit-il évoluer ? Ce dernier n'a, pour l'heure, guère d'autres fonctions que celle de participer au syndicat mixte. Devons-nous alors créer de nouveaux partenariats au niveau intercommunal, eu égard aux lois Joxe et Chevènement ? L'inter-territorialité est-elle susceptible de constituer une réponse adaptée aux problématiques de l'aménagement du territoire, dans le cadre de la loi Voynet ? Quelle sera la place de la structure SMACOPI dans cette évolution ? Nous espérons pouvoir apporter un certain nombre de réponses à toutes ces questions dans le semestre ou dans l'année à venir.

Pour l'avenir, nos principaux projets sont les suivants :

- un nouveau terrain de golf ; la création d'un second golf peut paraître superfétatoire, mais toutes les études de marché tendent à prouver que les amateurs de golf sont précisément attirés par la multiplicité des terrains. Nous vendons à l'heure actuelle 27 000 droits d'entrée, dont 60 % à des touristes étrangers.

- la gestion des flux touristiques ; après s'être longtemps faits attendre, les touristes arrivent en masse à tel point que nous sommes désormais confrontés à des problèmes d'insuffisance de places de stationnement, de gestion de la taxe de séjour, de sécurité et de qualité de l'accueil. Or il nous paraît indispensable de préserver nos atouts : le calme, la qualité des espaces naturels et des paysages. En coopération avec l'Etat, nous menons donc une vaste réflexion sur le sujet. Depuis le CIADT du 9 juillet, la baie de Somme bénéficie de l'opération « Grands sites » au même titre que la baie du Mont Saint Michel et de la Pointe du Raz. La baie de Somme bénéficiait déjà de différentes reconnaissances de ce type, tout à la fois valorisantes et contraignantes. L'opération « Grands sites » s'avère extrêmement valorisante pour nous : elle nous impose un certain nombre de contraintes et nous permet, en contrepartie, d'obtenir des aides en matière de gestion de sites touristiques, de suppression de friches industrielles, de préservation du caractère maritime de la baie, etc.

La préservation du caractère maritime de la baie constitue également une piste pour gérer les problématiques d'inondations.

Au regard de ses missions, le Syndicat mixte se révèle peu compétent en matière d'inondation, dans la mesure où la zone concernée par les crues s'arrête précisément au point où commence le champ d'intervention du SMACOPI.

Je suis toutefois responsable des questions environnementales au sein du Conseil général. S'agissant des causes profondes d'inondation, je ne peux que partager l'avis des inspecteurs généraux de l'administration missionnés par le Gouvernement. Leur analyse est également partagée par l'expert mandaté par le Conseil général, M. Pierre Hubert. Le Courrier picard titrait, d'ailleurs, avant hier : « Inondations : la rumeur est liquidée », en référence à la théorie selon laquelle les eaux destinées à la région parisienne auraient été déversées, de manière malencontreuse ou malintentionnée, dans le bassin de la Somme.

Il semble donc que la pluviométrie exceptionnelle - moins d'ailleurs par son intensité que par sa durée - et sa coïncidence avec un niveau de nappe phréatique très élevé soient à l'origine des inondations que nous avons subies. Ce phénomène de saturation des nappes et de pluviométrie exceptionnelle se révèle difficilement prévisible, dans la mesure où son cycle est pluriséculaire.

Il est toutefois légitime de s'interroger sur l'existence de facteurs aggravants, éventuellement imputables à des carences humaines. Les catastrophes résultent fréquemment d'une succession de phénomènes mineurs, qui mis bout à bout produisent des drames. Ce fut le cas pour les inondations de la Somme. Toutefois, les facteurs mineurs ou aggravants ne doivent pas occulter la cause majeure. Il est évident que l'occupation des sols a été mal gérée et que le lit majeur de la Somme a été mal aménagé, mais cet aménagement reflète les erreurs d'urbanisation commises depuis des siècles. Même si de petits aménagements techniques sont envisageables pour améliorer l'écoulement du lit mineur, il n'existe pas d'autres solutions, sur le long terme, que de se résigner aux inondations dans le lit majeur et de s'organiser en conséquence. Ces erreurs d'urbanisation à Amiens ou à Abbeville notamment remontent à 500 ou 600 ans et il me semble donc peu justifié d'incriminer tel ou tel maire pour avoir accordé un permis de construire il y a dix ans.

Un autre problème tient à l'absence de mémoire des crues : personne n'avait présent à l'esprit un phénomène d'une telle ampleur. Ceci explique que personne n'ait mis un frein aux constructions. Le rôle de la commission d'enquête consiste à éviter que de tels dommages ne se reproduisent. Pour se faire, il sera nécessaire de faire prendre conscience aux populations qu'un tel phénomène est susceptible de se reproduire, mais qu'il est possible de le rendre moins dommageable.

S'agissant des préconisations en matière de prévention du risque d'inondation sur le bassin de la Somme, nous devons envisager des mesures à court terme :

- la DDE et des experts ont déjà formulé un certain nombre de propositions en ce sens : renforcer les berges, détruire certains ponts, curer les fossés, etc.

- l'élaboration d'outils scientifiques de mesure ; il est également fondamental que nous nous dotions des outils de mesures et de connaissance de ces phénomènes. J'ai eu l'occasion de présider l'association interdépartementale de la Vallée de la Bresle, qui gère ce cours d'eau. Le Conseil général de la Somme et le Conseil général de la Seine-Maritime y participent. A mon arrivée, j'avais été étonné par l'absence totale d'outils scientifiques de mesure à notre disposition. Notre seule référence en la matière résidait dans la consultation des archives de la presse locale.

- l'organisation de « bassins tampons » ; ces mesures sont en train d'être mises en oeuvre dans la vallée de l'Oise.

- l'action relative au lit majeur ; il est nécessaire de se préparer à l'occurrence d'une crue dans le lit majeur. Il s'agit d'un travail de long terme, puisqu'il n'est possible d'exproprier les personnes que lorsque la sécurité du bâti est en jeu. Lorsqu'un tel risque existe pour le bâti, il faut se montrer suffisamment ferme. En outre, il faut naturellement revoir les plans d'occupation des sols, pour éviter la construction de nouvelles maisons dans les zones à risque.

- l'identification de bassins de sur-stockage ; ces derniers seront en mesure d'accueillir certains excédents d'eau.

Un certain nombre de mesures sont en lien avec la mission du SMACOPI.

Il faut, en effet, organiser le curage des fossés et repenser le fonctionnement des associations syndicales. Ces structures ont été créées en vertu d'une loi de 1865, pour régler les problèmes en Sologne. Cette loi a continué à s'appliquer sans être véritablement actualisée, si ce n'est en matière d'urbanisme, les notaires l'utilisant pour gérer les problèmes des grands ensembles immobiliers. Dès lors qu'ils ne sont pas gérés en copropriété, ces ensembles, sont gérés par des associations syndicales. Cet outil n'est donc plus aujourd'hui en mesure de régler les problèmes qui se posent à nous. Certaines de ces associations fonctionnent correctement, mais il suffit que le fonctionnement de quelques unes ne soit pas satisfaisant pour que le système soit paralysé. Dès que l'Etat et les collectivités locales n'y participent pas, ces associations n'ont que peu de moyens à leur disposition, pour contraindre les propriétaires riverains à agir.

Le SMACOPI peut également jouer un rôle face aux problèmes d'écoulement. Cette question ne peut pas être exclusivement traitée au niveau de Saint-Valéry, mais une action à ce niveau est susceptible de faire baisser le niveau de l'eau dans le canal maritime et s'avérera donc probablement utile. Mais il serait judicieux également de modifier les dimensions du canal. Le SMACOPI est actuellement confronté à un problème a priori sans rapport avec les questions d'inondations. Ces deux questions sont tout de même susceptibles d'être traitées par des politiques coordonnées. En effet, la baie de Somme, comme la plupart des estuaires, tend à s'ensabler. Les effets de chasse étant insuffisants, les sédiments apportés par la mer s'accumulent. Ce problème touche également la baie du Mont-Saint-Michel, la Camargue ou le bassin d'Arcachon. En baie de Somme, ce phénomène était déjà observé par les contemporains de Jeanne d'Arc, mais il revêt aujourd'hui une ampleur telle, que trois ports sont également menacés par l'ensablement : Le Crotoy, Le Hourdel et, à un moindre degré, Saint-Valéry. L'Etat et le Conseil général mènent depuis longtemps une réflexion à propos des politiques à conduire pour préserver le caractère maritime de la baie. Il s'agit d'enjeux considérables impliquant des moyens pharaoniques. Nous ne disposions pas de l'aura dont bénéficiait le Mont-Saint-Michel et l'Etat ne s'était pas mobilisé pour notre dossier comme il l'avait fait pour ce site. C'est d'ailleurs pour cette raison que nous avons tout mis en oeuvre pour bénéficier de l'opération « Grands sites ». Tant sur le plan de la faune et que sur celui de la flore, la baie de Somme constitue un écosystème tout à fait exceptionnel, bien plus riche que celui de la baie du Mont-Saint-Michel. La préservation du caractère maritime de la baie était donc au coeur des préoccupations des élus, non seulement pour des raisons touristiques, mais également écologiques. Plusieurs études avaient été initiées : elles nous incitaient à modifier différents ouvrages, notamment à la sortie de Saint-Valery. Les crues de mars 1991 nous ont amenés à reconsidérer les travaux envisagés pour les barrages et les écluses à la sortie de Saint-Valéry pour tenir compte du problème de l'écoulement.

D'une certaine manière, ces crues se sont avérées utiles : elles nous ont permis de ne pas engager 150 millions de francs sans intégrer le paramètre de l'écoulement. Qui plus est, l'Etat s'est engagé à nous soutenir dans ce projet, dans le cadre du CIADT. Ce projet devrait donc permettre d'abaisser le niveau de l'eau dans le canal maritime entre Saint-Valery et Abbeville.

Par ailleurs, certains se sont légitimement étonnés du fait qu'il n'y ait pas eu d'inondation entre Saint Valéry et Abbeville et qu'il n'ait pas été possible de provoquer des bassins de rétention. Le SMACOPI et le Conservatoire du littoral ont commencé à réfléchir sur la possibilité pour le Conservatoire d'affecter une partie de ses terrains au stockage de l'eau en cas d'inondations. Certes, ces terrains sont loués soit pour la chasse, soit pour l'agriculture, soit pour les deux dans le cadre de conventions précaires. Mais cette solution permettrait de stocker des millions de m 3 en amont de Saint-Valéry et en aval d'Abbeville, en période de fortes crues. Tout le problème tient pour l'instant dans la détermination d'un moyen d'évacuation de cette eau. Il serait éventuellement possible de l'évacuer vers le fond de la baie, en intensifiant le cours d'une petite rivière côtière, le Dien, qui pourrait d'ailleurs être ré-estuarisé à cette occasion. Ceci permettrait tout à la fois de lutter contre les crues et de préserver le caractère maritime de la baie. Il convient toutefois de rester prudent pour l'heure, car cette opération se révèle tout à fait complexe sur un plan technique. En effet, certains ouvrages font barrage, en particulier la route départementale 940.

M. le Président - Nous aboutirons certainement à des préconisations de gestion globale à l'échelle du bassin par une entité publique ou semi-publique. Quel est votre avis sur la question ?

M. Jérôme  Bignon - Il n'existe pas de multiples structures susceptibles d'assumer une telle fonction. Tout le problème tient à la définition du périmètre géographique de l'outil. Il est possible de se référer à une structure de type Entente interdépartementale. Elle aurait pour avantage de ne composer que de deux membres : le Conseil général de la Somme et celui de l'Aisne. Mais il serait, selon moi, peu judicieux sur le plan démocratique comme politique de ne pas associer à cette gestion les communes, ne serait-ce que parce qu'elles disposent de la connaissance de terrain des problèmes. Le syndicat mixte unique m'apparaît donc comme la solution idéale. Il serait constitué d'une part par le Conseil général concerné par la gestion du lit mineur, puisqu'il lui a été concédé par la Région pour une durée de cinquante années en 1992 et, d'autre part, par les communes.

M. le Président - Comment y associer les propriétaires également ?

M. Jérôme Bignon - Une structure de syndicat mixte n'interdit nullement d'y associer les propriétaires.

Le problème le plus délicat réside dans la pertinence du territoire couvert. Si nous souhaitons y associer toutes les communes du lit majeur, le nombre de membres sera tout à fait important et ceci risque d'aboutir à une organisation extrêmement complexe, eu égard notamment aux procédures relatives au quorum. Pour l'instant, le drame étant proche, l'émotion règne encore, mais très rapidement l'intérêt pour ces enjeux va aller décroissant. Néanmoins, une telle solution me paraît faisable, même si elle nécessite un travail considérable. En effet, elle permettra d'envisager les problématiques dans leur intégralité, de l'amont à l'aval, et de leur apporter des solutions cohérentes. Si plusieurs syndicats devaient se mettre en place, nous pourrions nous trouver confrontés à des projets contradictoires, à moins d'instituer une fédération de syndicats. Je ne suis pas persuadé que cette organisation serait efficace.

La solution du syndicat unique doté d'une équipe technique de qualité me semble donc plus rationnelle à tous points de vue. Elle permet également aux communes d'être associées à la gestion de ces problèmes. Je redoute, en effet, que leur exclusion du processus décisionnel ne les conduisent à se désintéresser de ces enjeux, d'autant plus que le Département constituera alors l'unique bailleur de ces projets. Le fait d'apporter une contribution financière favorisera naturellement leur implication dans ces dossiers, même s'il est évident qu'il sera tenu compte de leur capacité contributive.

Un autre élément à prendre en compte réside dans le problème des affluents. La Somme compte une douzaine d'affluents principaux. Il est probable que ces cours d'eau sont mal entretenus, lorsqu'ils le sont. Le Conseil général cherche depuis longtemps à mettre en place des syndicats de rivières. L'entretien des cours d'eau s'effectue sur la base du volontariat. Il n'est donc pas possible de contraindre les riverains ou les communes à le prendre en charge. Aujourd'hui, nous bénéficions d'une opportunité historique de profiter de la pression des sinistrés pour inciter les riverains propriétaires et les édiles à assumer ces responsabilités.

Il nous faut donc agir avant que l'émotion ne s'estompe : le préfet et le président du Conseil général ont donc raison de considérer que les outils doivent être mis en place en septembre.

M. Pierre Martin, Rapporteur - Ils doivent être mis en place en septembre, certes, mais de quelle année ?

M. Jérôme Bignon - Je parle naturellement de septembre 2001.

M. le Rapporteur - Je me permets de vous rappeler que cette échéance ne nous laisse que sept semaines.

M. Jérôme Bignon - Ce délai me paraît parfaitement réaliste : il s'agit d'une pure question de volonté politique.

M. le Rapporteur - Pourquoi fondez-vous tant d'espoir dans le Dien ?

M. Jérôme Bignon - Il s'agit d'une petite rivière qui se jette dans le fond de l'estuaire. Le Dien ne constitue pas une solution miracle. Certains considèrent qu'il faut inonder et mettre en place une dérivation à partir du canal maritime sur la renclôture du Mollenel, située après la route panoramique qui enserre la baie de Somme. Cette solution consisterait donc à augmenter la capacité d'évacuation du canal maritime. D'autres pensent que cette solution n'est pas adaptée. N'étant pas expert, je ne me permettrais pas de trancher ce débat.

Quoi qu'il en soit, le SMACOPI est convaincu qu'il est nécessaire de mettre progressivement en place des bassins susceptibles de recueillir les excédents d'eau, tout au long du lit majeur. Ceci risque de soulever un certain nombre de problèmes fonciers entre Amiens et Abbeville. En revanche, en aval d'Abbeville, le SMACOPI et le Conservatoire sont propriétaires ou gestionnaires de tels terrains et nous serons amenés à acquérir d'autres espaces de ce type. Ces espaces représentent des superficies tout à fait considérables et leur inondation une fois tous les dix ou vingt ans ne poserait pas de problème particulier, puisqu'aucune question de propriété privée n'est soulevée. Il serait simplement nécessaire d'indemniser les agriculteurs auxquels ces terrains sont loués, mais cette indemnisation serait bien moins onéreuse que de grands travaux de protection.

Tout le problème tient au fait que l'inondation d'une zone est conditionnée par la possibilité d'évacuer l'eau. Le recours au Dien prendrait ici tout son sens et permettrait tout à la fois de :

- recueillir l'eau et de créer une sorte de bassin de décompression ;

- ré-estuariser le Dien et contribuer à l'amélioration de l'écoulement en fond de baie.

M. le Rapporteur - En dépit de multiples déclarations d'intention, aucune véritable action n'a été initiée. S'agissant de Fontaine-sur-Somme par exemple, le problème du canal d'assèchement est posé : la commune vient de recevoir une note de la préfecture, selon laquelle des travaux seraient à envisager. Le devis s'élève à 900.000 francs hors taxes. Le préfet a assuré la commune d'une contribution de l'Etat à hauteur de 50 % des dépenses et renvoie à la compétence communale pour la gestion du dossier. Le Conseil général, quant à lui, ne s'est pas encore prononcé. Tout ceci donne une impression d'improvisation et d'attentisme. La cellule de crise ayant été dissoute, qui est responsable de la coordination du dossier des inondations ? Si cette gestion revient aux seules municipalités, rien n'aura été fait en septembre. Selon moi, il est donc nécessaire d'instaurer une structure responsable de la coordination et du suivi des travaux - éventuellement au niveau du Département -, d'autant plus que de nombreux acteurs de ces dossiers sont en congé. Partagez-vous cette analyse ?

M. Jérôme Bignon - Lorsque la crise s'estompe, l'urgence s'éloigne également pour gérer les problèmes et entreprendre les mesures de prévention. Qui plus est, M. Pierre Hubert a rappelé que la probabilité d'une nouvelle inondation en automne s'élève à un risque sur quatre dans la Somme, sur le modèle des répliques de tremblements de terre. L'occurrence de ces crues est certes pluricentenaire, mais la nappe une fois saturée, il suffit d'une pluviométrie forte pour que les mêmes causes produisent les mêmes effets.

Les causes étant identifiées, de même que les moyens à mettre en oeuvre, nous savons que nous serions impuissants à éviter la situation que nous avons connue en mars si la pluviométrie de l'automne était défavorable. Ceci peut paraître difficile à expliquer à la population, mais quoi que nous fassions, nous ne pourrions pas régler ces problèmes avant cinq ou six ans, voire une décennie. En effet, la difficulté principale réside dans l'occupation des sols du lit majeur et non dans des questions d'écoulement. Face à de tels problèmes, les mesures qui sont à mettre en oeuvre constituent un travail de longue haleine. Je crains donc qu'il nous faille compter sur la clémence des cieux ou nous préparer à de nouvelles inondations.

Ceci étant, il ne me semble pas moins nécessaire d'adopter dans les délais les plus brefs un certain nombre de mesures pédagogiques : créer un syndicat mixte, initier les travaux déjà décidés.

S'agissant de ces travaux, la décision en a été prise le 9 juillet. Nous ne sommes que le 18 juillet. Je reconnais que la période n'est pas idéale pour de tels projets, puisque de nombreux décideurs et les entrepreneurs sont en congé.

Par ailleurs, la question soulevée par M. Martin à propos des moyens à la disposition des communes, me paraît également fondamentale. Certains travaux relèvent de la maîtrise d'ouvrage communale. Mais une aide financière apparaît indispensable, eu égard aux moyens réduits de bon nombre de ces communes. Si l'Etat y apporte une contribution financière, le Conseil général et la Région devraient également les soutenir. Selon moi, nous devrions donc pouvoir parvenir à des compromis.

M. Hilaire Flandre - Je souhaite formuler quelques commentaires et questions.

Tout d'abord, le fait qu'il n'y ait pas eu d'inondation entre Abbeville et Saint-Valéry semble impliquer qu'il y ait un problème important d'écoulement à hauteur d'Abbeville.

Par ailleurs, même si la baie était noyée au moyen de bassins de rétention pour soulager l'amont, il existe une route départementale faisant obstacle. S'était-on préoccupé des problèmes d'écoulement d'eau lors de la construction de cette route ?

En outre, les moyens dont disposent les communes semblent constituer une source de préoccupations. Je souhaiterais tout de même rappeler que certaines communes sont propriétaires de marais, dont la location est source de revenus non négligeables.

Enfin, il me semble que les individus pourraient prendre d'eux-mêmes certaines initiatives de protection en faveur de leurs biens notamment mobiliers, si les inondations devaient se reproduire à l'automne. Un travail pédagogique doit donc être entrepris auprès des habitants, pour promouvoir une culture des inondations telle qu'elle existe dans d'autres départements.

M. Jérôme Bignon - Depuis le Moyen-Age probablement, l'urbanisation d'Abbeville constitue un frein au bon écoulement de la Somme. Un certain nombre de ponts ont d'ailleurs été détruits par l'armée, pour réduire partiellement ce phénomène.

La question de l'écoulement de l'eau n'a pas été envisagée lors de la construction de la route départementale, dans la mesure où personne n'avait en mémoire que cette zone pouvait être inondée. Le canal maritime, construit entre 1834 et 1860, suffisait à absorber l'eau des crues. Cette route a d'ailleurs probablement contribué à l'ensablement de la baie, de même que la digue qui a été substituée à l'estacade en bois utilisée par le petit train touristique. Cette route pourrait néanmoins être busée sans difficultés techniques particulières.

Je partage votre sentiment relatif aux moyens des communes concernées, mais je tiens tout de même à vous rappeler qu'il s'agit de municipalités dans lesquelles les habitants paient peu d'impôts.

M. Paul Raoult - La taxe d'habitation s'y élève, en effet, à environ 2,5 %.

M. Jérôme Bignon - Depuis des dizaines d'années, ces populations sont habituées à être peu taxées.

M. le Président - Ces populations ne sont pas riches.

M. Paul Raoult - Le SMIC dans la Somme est le même que celui du Nord !

M. Jérôme Bignon - S'agissant de la dernière question de M. Hilaire Flandre, la population n'est pas encore prête à accepter cette fatalité, parce qu'elle n'a pas la culture des inondations.

M. Jean-Guy Branger - Je vous félicite d'avoir témoigné avec tant de passion et de sincérité. Vos critiques se sont avérées constructives et nous ont permis de prendre la mesure de la complexité des enjeux.

A la différence de la Charente-Maritime dont je suis originaire, il me semble qu'une autorité décisionnelle et coordinatrice fait défaut dans la Somme. Selon moi, cette autorité doit être instituée au niveau départemental, quelle que soit la forme qui y est donnée. Personne ne prendra mieux en charge l'avenir de la Somme que la Somme elle-même et ses élus.

M. Jérôme Bignon - Vous avez raison mais aucun outil n'existe pour l'instant.

En ma qualité de conseiller général, je considère qu'il est tout à fait urgent d'instituer un syndicat mixte responsable de ce dossier, même si la période estivale n'est pas idéale. Mais je crains que la décision ne soit reportée, le conseil général devant délibérer en assemblée plénière. Nous ne nous réunirons donc qu'au mois de septembre, pour évoquer le sujet. Une structure de coordination s'impose d'autant plus que la population ne comprendrait pas que l'Etat, les communes et le Conseil général se renvoient mutuellement la responsabilité de ce dossier. Ces tergiversations relatives à l'autorité compétente n'auraient pas d'autre effet que l'inaction. Le président du Conseil général est tout à fait conscient de cet enjeu. Il ne faut toutefois pas nous bercer d'illusion et prétendre que les travaux effectués avant l'automne seraient susceptibles d'éviter que des inondations analogues à celles de mars ne se reproduisent. Seul un certain nombre de mesures à caractère essentiellement psychologique sont envisageables dans des délais aussi restreints.

M. Paul Raoult - Votre exposé m'est apparu placé sous le sceau du bon sens. Il traduisait une véritable expérience d'élu de terrain.

Ceci étant, la création d'un syndicat mixte se trouve systématiquement confronté à un obstacle d'ordre législatif : comment faire face aux réticences de certaines communes tout au long du cours d'eau ?

Je connais de telles affres dans le département du Nord avec un affluent de l'Escaut qui constitue un égout à ciel ouvert et qui déborde à l'occasion de chaque orage. Ce blocage résulte de basses querelles politiciennes entre les différents élus concernés. Il devrait être possible de procéder à une déclaration d'utilité publique, pour éviter qu'une commune ne puisse faire obstacle au curage des cours d'eau. Or ce problème se retrouve partout en France. Dans la Somme, le Conseil général a déclaré son intention de procéder à un tel travail, mais il se trouve également confronté aux réticences de certains élus, en raison de pressions foncières, touristiques ou émanant des agriculteurs et des chasseurs.

En matière de curage, l'acteur majeur de la coordination doit donc être le Conseil général, qui doit catalyser toutes les bonnes volontés des communes. La fusion des communes n'a pas été mise en oeuvre en France. De ce fait, les communes ne disposent que de moyens réduits. Il est évident qu'il n'est pas possible de demander à des communes de quatre-cents habitants de prendre en charge le curage, alors que leur budget n'excède pas un million de francs. Leur taxe d'habitation pourrait, certes, augmenter, mais ceci ne suffirait pas à changer fondamentalement la donne. Nous souhaitons impliquer les communes dans ces dossiers, mais il n'en revient pas moins au Conseil général de coordonner les interventions publiques, en partenariat avec les syndicats intercommunaux. S'agissant de ces derniers, il sera probablement nécessaire de repenser leurs champs de compétence. En effet, ces structures s'étant multipliées au cours des décennies passées, il convient de s'assurer que leur périmètre d'action est encore pertinent.

Quoi qu'il en soit, les problèmes liés aux inondations ne seront pas réglés à l'automne. Nous savons que de nombreux mois sont nécessaires pour initier une étude ou pour dérouler une procédure d'appel d'offres. Pour l'heure, il s'agit de montrer à la population que la Somme est en train de mettre en place les outils qui lui permettront, dans les années à venir, de régler les problèmes de fond.

M. Jean-François Picheral - Je plaide en faveur de la création d'un syndicat mixte, depuis le début des travaux de notre commission. Les mesures qui devront être adoptées déboucheront sur un travail de longue haleine. Globalement, ces mesures ont été identifiées, mais la méthodologie de réalisation des travaux reste encore à définir. Notre commission doit, selon moi, se rapprocher de l'Etat et du Conseil général, pour favoriser la création immédiate d'une cellule de crise, pour faire face à d'éventuelles crues au cours de l'automne ou de l'hiver 2001. L'instauration de cette structure m'apparaît, en effet, une priorité absolue.

M. Jérôme Bignon - Je souscris à l'analyse de M. Paul Raoult sur le rôle de coordination du Conseil général, puisque cette collectivité aura vocation à financer l'essentiel des mesures de prévention et de protection. L'exemple du SMACOPI me paraît éclairant de ce que pourrait être l'organisation souhaitable. Le SMACOPI se compose tout à la fois du Conseil général - représenté par douze conseillers généraux - et de communes - représentées par huit maires-. Le Conseil général y est donc le leader et le principal contributeur financier, puisqu'il participe pour 20 millions de francs aux frais de fonctionnement de la structure alors que les communes n'apportent que 2 millions. Les communes seules ne sont pas en mesure de financer des projets de grande ampleur, sans la participation de l'Etat, du Département, de la Région ou du FEDER.

Le droit à la propriété privée ne saurait primer sur l'intérêt collectif. Un travail législatif important s'impose en la matière. Le droit de préemption ne peut intervenir qu'en cas de mutation. La seule solution résiderait donc dans la possibilité d'exproprier. Mais j'imagine difficilement un syndicat mixte, l'Etat ou le département devenir propriétaires de l'intégralité des espaces situés dans le lit majeur de la Somme. Les multiples propriétaires privés de cette zone opposeraient une résistance farouche à une solution aussi radicale. Il est donc nécessaire de fixer des limites à l'usage que font ces personnes de leur propriété privée, pour que cet usage ne soit pas contraire à l'intérêt collectif.

L'instauration d'une cellule de crise me semble également s'imposer. Le président du Conseil général en est conscient également, mais son rôle est loin d'être aisé dans la mesure où il n'est pas le seul maître de cette décision. Je lui ferai part de la préoccupation et des encouragements de la commission dans ce dossier.

M. le Président - Au nom de la commission, je vous remercie.

41. Audition de MM. René Beaumont, député, président de l'Institution Saône-Doubs, Pascal Popelin, président de l'Institution interdépartementale des barrages réservoirs de la Seine, Jean-Louis Rizzoli, ingénieur en chef au sein de l'Institution interdépartementale des barrages réservoirs de la Seine et Daniel Berthery, directeur de l'Entente Oise-Aisne, de (18 juillet 2001).

M. Marcel Deneux, Président - Nous avons tenu à procéder à des auditions groupées, étant donnée la similitude de vos responsabilités. Pourriez-vous tout d'abord vous présenter ?

M. Daniel Berthery - Je suis le directeur de l'Entente Oise-Aisne, depuis un an et demi.

M. le Président - Il s'agit précisément de la partie de la Picardie que ne recouvre pas la Somme.

M. Pascal Popelin - J'exerce les fonctions de président de l'Institution interdépartementale des barrages réservoirs de la Seine.

M. Jean-Louis Rizzoli - Je suis Ingénieur en chef au sein de l'Institution interdépartementale des barrages réservoirs de la Seine.

M. René Beaumont - Je suis député, président du conseil général de Saône-et-Loire et président fondateur du syndicat mixte Saône-Doubs.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. René Beaumont, Pascal Popelin, Jean-louis Rizzoli et Daniel Berthery.

M. René Beaumont - Je me suis demandé pour quelles raisons vous m'aviez fait l'honneur de m'inviter, en ma qualité de président fondateur du syndicat mixte Saône-Doubs. Il me semble que vos motivations tiennent au fait que la démarche initiée au niveau du bassin de la Saône et du Doubs, il y a une douzaine d'années, apparaît révélatrice des mesures qui devront être mises en oeuvre pour la Somme.

Ne disposant d'aucune expertise relative à la Somme, je me contenterai donc de vous présenter les mesures mises en oeuvre pour notre bassin et leurs résultats.

La vallée de la Saône dispose d'une expérience des crues établie. Les inondations y sont, en effet, chroniques, puisque nous nous situons sur une rupture de pente, avec le Doubs descendant de manière très abrupte de la montagne et déversant ses eaux dans la plaine de Saône. Cette dernière recueille également les eaux de la fonte des neiges d'un autre massif, les Vosges. Jules César, déjà, décrivait les inondations qu'il avait observées dans la plaine de Saône et notamment à Macon. Notre plaine faiblement pentue constitue donc un vase d'expansion naturel pour toutes les inondations.

Si nous étions accoutumés aux crues, nous n'étions pas habitués à leur fréquence. L'année 1983 s'est avérée particulièrement fatidique de ce point de vue, puisqu'elle a vu trois inondations successives de décembre 1982 à mi-janvier 1983, trois semaines en mars 1983 et 4 semaines en juin 1983.

La situation était particulièrement critique, puisque les rues les plus basses de Macon et de Châlon étaient envahies par un mètre d'eau et que le nombre des sinistrés était tout à fait conséquent. Comme d'habitude, de nombreuses rumeurs ont circulé à cette époque. La Saône se jetant dans le Rhône au Sud de Lyon, cette ville a été accusée de ces inondations, au motif qu'elle aurait cherché à protéger son métro en ayant recours aux barrages en amont de Lyon. D'autres causes ont également été évoquées : l'agriculture, le drainage, le curage des rivières et divers ouvrages. Certaines de ses causes apparaissaient effectivement comme des facteurs aggravants des crues, mais certainement pas comme leur cause principale. Enfin, certains ont avancé des explications de fond plus pertinentes touchant à la construction, l'urbanisation, le remblaiement, l'endiguement ou encore l'imperméabilisation des sols.

Toutes ces théories se mêlant dans l'esprit des habitants, les rumeurs ont continué à s'amplifier et ont accentué le sentiment des sinistrés d'être les éternelles victimes de ces crues. Il est indéniable que les habitants du haut du bassin sont rarement inondés, tout comme il est évident que les crues que nous subissons proviennent de leurs terres.

Certains élus de terrain ont donc pris conscience du fait que seule une politique globale menée au niveau du bassin permettrait de régler les problèmes. Cet aspect m'apparaît tout à fait essentiel. Le Département constitue certainement un acteur majeur, mais le Conseil général de Saône-et-Loire a rapidement pris conscience du fait qu'il ne pouvait agir seul. L'eau de nos crues provient, en effet, de la Suisse, du Jura et des Vosges. Notre bassin couvre 30.000 km 2 , quatre régions, neuf départements et environ 2.560.000 habitants. Or le comportement des uns peut parfaitement provoquer l'inondation des autres. Afin de faire émerger la conscience d'une solidarité nécessaire, nous avons bénéficié d'un événement relativement anecdotique. En 1983, les quatre départements systématiquement sinistrés ont été inondés, à savoir le Rhône, l'Ain, la Côte-d'Or et la Saône-et-Loire.

Comme d'habitude, les cinq autres départements n'ont pratiquement pas été touchés, à l'exception de la ville de Montbéliard. Les usines Peugeot y ont été particulièrement sinistrées, un parking entier de véhicules neufs ayant été submergé. Les incidences politiques et économiques de cet événement ont été tout à fait importantes. Une forte mobilisation a rassemblé les habitants de Sochaux et de Montbéliard. Cet événement a donc favorisé la prise de conscience d'une nécessaire solidarité au niveau du bassin, qui s'imposait non seulement en matière de gestion du risque d'inondation, mais également dans la perspective de traiter les problèmes écologiques de ressources en eau et de qualité des eaux.

Trois ans ont été nécessaires pour créer le syndicat mixte, mais il fédère l'ensemble du bassin :  les neuf départements concernés, les quatre régions, l'ensemble des collectivités importantes (la communauté urbaine de Lyon, Besançon, la communauté urbaine de Sochaux - Montbéliard, etc.)

Toutes les collectivités y sont adhérentes, soit directement, soit indirectement par l'intermédiaire d'une collectivité urbaine. Les syndicats compétents dans la gestion de l'eau y sont également associés et reçoivent le compte-rendu de toutes nos délibérations et tous nos documents. La communication constitue, en effet, une dimension essentielle de notre démarche.

Si nous n'avons eu aucun problème pour impliquer les départements dans ce projet, nous avons rencontré davantage de difficultés pour associer les régions à ce syndicat. Je profite d'ailleurs de l'occasion pour saluer le sens de l'initiative de l'un de vos collègues, qui exerce également les fonctions de vice-président de l'Institution Saône-Doubs, Georges Gruillot, ancien président du Conseil général du Doubs. Grâce à lui, à Louis de Brossia et au Conseil général de Saône-et-Loire, le syndicat mixte a pu voir le jour. S'agissant des départements, seul celui du Rhône a fait preuve de quelques réticences, somme toute assez logiques. En revanche, nous avons fait face à une inertie plus importante de la part des régions, tant pour les associer à cette démarche que pour les impliquer dans nos projets actuels. Leur contribution financière à notre syndicat est pourtant tout à fait conséquente.

Créé en 1991, le syndicat mixte s'est attelé pour l'instant à un travail d'études, dont le coût s'est élevé à 25 millions de francs pour l'ensemble du bassin. En effet, il nous a semblé indispensable de disposer d'une connaissance parfaite du bassin avant d'agir.

Nous sommes également parvenus à définir un plan de gestion du Val-de-Saône, dans le cadre duquel un plan de vocation des sols a été élaboré. Un tel travail peut paraître simple, mais il s'avère en réalité extrêmement ardu et fastidieux. Les dix années écoulées ont, en effet, été largement consacrées à l'élaboration du plan de vocation des sols. Le syndicat mixte a également contribué à définir une cohérence des travaux à l'échelle de notre bassin. Même si nous ne disposons pas de pouvoir réglementaire, notre expertise technique est reconnue de tous et nous travaillons en partenariat avec les DIREN et l'Agence de l'eau. Cette dernière nous apporte d'ailleurs une contribution financière tout à fait significative. En conséquence, bon nombre de nos préconisations sont relayées dans les mesures adoptées par les préfets et les DIREN, de telle sorte que prévaut la cohérence des travaux et que les aménagements des uns ne se traduisent pas par des inondations pour d'autres. Ce n'était pas le cas auparavant, chacun menant jusqu'à présent des politiques autonomes et non coordonnées.

Désormais, nous disposons d'une modélisation informatique de l'ensemble du bassin, qui nous permet de simuler l'impact de travaux ou de crues. L'état d'esprit a totalement changé en dix ans et le sentiment de la solidarité s'est développé au niveau du bassin pour tous les enjeux relatifs à l'eau. Désormais, tous les projets sont envisagés de manière collective et concertée, avec d'ailleurs le soutien de l'Etat. Ce dernier participe, en effet, au plan de gestion du Val-de-Saône, élaboré par le syndicat.

Dans le cadre des plans de vocation des sols, nous avons défini les sols destinés à l'agriculture, notamment des céréales et en particulier du maïs. Nous avons même obtenu dans certains secteurs une réduction des zones plantées, ainsi qu'un gel total des labourages des prairies naturelles. Je peux vous assurer qu'il n'est pas simple de parvenir à négocier sur le terrain de tels compromis.

Nous avons donc défini différents types de zones : des zones à vocation prairiale naturelle, des zones à enjeu écologique majeur, notamment les espaces humides, des zones importantes en termes de ressources en eau puisque nous disposons, en effet, de puits de captage qui approvisionnent plus de 2 500 000 habitants à partir du Val-de-Saône et des zones à vocation urbaine ou industrielle pour lesquelles des zones de compensation sont systématiquement prévues.

Notre objectif étant la cohérence des politiques, notre syndicat mixte s'avère relativement long à mobiliser étant donné le nombre des acteurs qui y participent. Mais l'expérience nous a enseigné que l'expertise technique permettait de faire tomber bien des obstacles politiques. Bien que mes opinions politiques soient connues, j'ai ainsi été reconduit dans mes fonctions de président du syndicat, il y a trois semaine, avec 35 voix sur 37, les deux autres suffrages étant des abstentions. Cette absence de clivages politiques se révèle tout à fait encourageante et je m'efforce d'éviter toute politisation de la gestion de ce syndicat. Une telle démarche serait effectivement contraire aux objectifs de solidarité.

Les 25 millions de francs d'études ont été financés par les régions, les départements, l'Agence de l'eau et parfois l'Etat de manière indirecte. Ces études ont porté sur des sujets aussi divers que la protection des lieux habités, les questions d'environnement ou la protection des ressources en eaux.

Des travaux de protection de lieux habités viennent d'être initiés. Deux cent trente villes et villages sont concernés par ces travaux, parmi lesquels Macon, Châlon, Lyon, Besançon, Montbéliard, etc. Chacune de ces communes compte au minimum une vingtaine de maisons régulièrement inondées. Ces travaux nous sont apparus comme absolument prioritaires. Des digues de proximité immédiate seront donc aménagées autour des lieux habités. Ce dispositif laisse le maximum d'espace possible aux champs d'expansion des eaux au moment des crues, ce qui n'est pas le cas lorsque les digues sont situées au bord de la rivière et que l'expansion s'effectue alors en amont ou en aval, pénalisant d'autres riverains. Il est loin d'être évident de faire comprendre aux agriculteurs du secteur que les digues en bord des rivières ne sont plus adaptées. Ils avaient pris l'habitude de ces digues, qui protégeaient non seulement les habitations, mais également les champs très fertiles en bordure de la rivière. La semaine dernière, j'ai participé à une réunion très tendue dans une petite commune avec les agriculteurs locaux, principalement des gros céréaliers. Ces derniers ne cachaient pas leur mécontentement lorsque nous leur avons annoncé que les digues en bord de rivière devaient être abaissées. Ces digues ont encore vocation à protéger leurs champs face aux petites crues, mais certainement pas à contenir les eaux des crues décennales ou plus importantes encore. Il n'est pas évident de faire comprendre la nécessité de la solidarité, lorsque l'on annonce à des agriculteurs que leurs champs serviront à recueillir l'expansion des eaux tous les dix ou vingt ans.

Huit ans ont été nécessaires pour mettre en oeuvre cette démarche au niveau de la Saône et deux à quatre ans au niveau de ses affluents, le traitement du Doubs s'étant révélé relativement délicat.

Le plan de gestion de la Saône devrait se traduire par un contrat de vallée inondable, signé avec l'Etat. Il est en cours d'élaboration et devrait être signé avec le ministère de l'Environnement au cours du mois de septembre prochain. Il sera également cosigné par le ministère des Transports et de l'Equipement. En vertu de ce contrat, nous nous engageons à réaliser les travaux prévus dans le plan de gestion de la Saône. Si nous sommes impuissants face aux phénomènes naturels, le contrat aura pour objectif de ne pas aggraver ces phénomènes par l'intervention humaine et de mettre en oeuvre des mesures de protection qui ne soient pas pénalisantes pour les habitants de l'amont ou de l'aval. Il s'agira également d'améliorer la qualité des eaux par des rachats, par les collectivités locales, de terrains en zone inondable et en zone de puits de captage, dans la perspective de préservation des prairies naturelles et de développement d'une agriculture respectueuse de l'environnement et de la nappe phréatique.

Cette politique se concrétise également par d'autres contrats :

- un programme Saône-Rhin qui est un programme de compensation de la non-réalisation du canal Rhin - Rhône. Si la compensation s'avère minime, ce programme nous permettra tout de même de réaliser des travaux.

- des contrats de rivières, au nombre de cinq, sont actuellement engagés dans huit bassins différents. Ils comprennent systématiquement un dispositif d'annonce des crues.

Il est fondamental d'avertir les populations avant les inondations, pour leur permettre de prendre les mesures qui s'imposent pour protéger leurs biens, d'autant plus que de nouvelles crues sont probables dans la Somme.

Il me semble qu'une rationalisation des travaux dans la Somme pourra être conduite. Mais ces aménagements ne pourront pas régler tous les problèmes. Il me paraît donc indispensable de mettre en place les dispositifs d'alerte efficaces, d'autant plus que nous disposons aujourd'hui des moyens techniques de le faire. Informés, les riverains sont susceptibles de prendre d'eux-mêmes les initiatives en vue de réduire les dommages, notamment en matière de biens mobiliers et de prendre les précautions nécessaires.

M. Pascal Popelin - L'Institution interdépartementale des barrages réservoirs de la Seine est appelée plus couramment les « Grands Lacs de Seine ». Il s'agit d'un établissement public administratif, regroupant les départements de Paris, les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne.

Cette structure est administrée par un conseil de vingt-quatre membres, issus des conseils généraux à raison de douez administrateurs pour Paris et quatre administrateurs pour les autres départements. Cette répartition s'effectue au prorata des contributions respectives au budget de l'Institution. J'exerce les fonctions de président de cette organisme depuis le 18 mai 2001, après en avoir été le vice-président depuis le mois de juin 1998.

Créée en 1969 à la suite de la réforme administrative de la région parisienne, l'Institution a repris la double mission assignée à l'ancien département de la Seine, à savoir de diminuer les effets des crues de la Seine et de ses principaux affluents et d'assurer les niveaux d'étiage pour garantir l'alimentation régulière en eau de la région parisienne et pour préserver les ressources écologiques de ses cours d'eau.

Dans cette perspective, l'Institution a construit et gère les grands barrages réservoirs, situés dans la vallée de l'Yonne. Un barrage traditionnel de vallée est situé à Panecière. Le lac Marne est à proximité de Château-sur-Ile-Saint-Dizier. Les lacs Seine et Aube, quant à eux, sont localisés dans la région de Troyes.

Dans le cadre de cette structure, une réflexion est menée de manière permanente sur l'aménagement existant et sur son amélioration, avec la construction éventuelle de nouveaux ouvrages. Pour l'heure, l'Institution est susceptible de stocker en amont du bassin jusqu'à 830 millions de m 3 d'eau à raison de 170 millions de m 3 dans le lac Aube, 350 millions de m 3 dans le lac Marne, 205 millions de m 3 dans le lac Seine et  80 millions de m 3 pour Panecière.

Ces aménagements ont naturellement une influence sur chacun des axes de la Marne et de la Seine, en amont de Paris. Ils ont également un impact sur le lit de la Seine, en aval de Paris, au niveau de sa confluence avec la Marne jusqu'à la confluence entre la Seine et l'Oise. Au-delà de Conflans-Sainte-Honorine, leur impact est considéré comme quasiment nul. Ils constituent donc des ouvrages de bassin, dont l'influence est plus vaste que le périmètre de la composition administrative de l'Institution.

Les objectifs de soutien des étiages et d'écrètement des crues sont rapidement apparus comme potentiellement contradictoires. En effet, cette contradiction s'est fait jour dès les premiers projets de barrages réservoirs datant d'après les grandes crues de 1910 et 1924 et d'après la sécheresse de 1921. Toutefois, l'exploitation a permis de démontrer qu'il était possible d'obtenir des résultats significatifs concurremment sur ces deux plans. En effet, les étiages les plus durement ressentis ont lieu en été et en automne, alors que les crues les plus dommageables se produisent en hiver et au printemps.

Les modalités d'exploitation de chaque ouvrage résultent de l'application d'un règlement d'eau, arrêté par le préfet dont dépend le lieu d'implantation de l'ouvrage. Il est adopté après consultation des organismes de bassin et à la suite d'une enquête publique, portant sur l'ensemble des communes riveraines et influencées par les effets des ouvrages. Les règlements d'eau prévoient un remplissage théorique et progressif des lacs réservoirs pendant l'hiver et le printemps et leur vidange pendant l'été et l'automne. Les volumes disponibles pour l'écrètement des crues sont donc décroissants de décembre à juin. En l'absence de crue, l'exploitation quotidienne des ouvrages est assurée en se fondant sur une courbe d'objectifs de remplissage, établie sur la base d'études statistiques d'hydrologie de la rivière. Cette courbe d'objectifs permet d'agir avec un maximum d'impact sur les grandes crues de l'hiver et de remplir à 90 % les ouvrages, neuf années sur dix. Lors d'une crue importante, l'Institution est tenue de limiter le débit de la rivière à l'aval des ouvrages à des valeurs seuils dites « débits de référence ». Pour satisfaire à cette exigence, les prélèvements en rivière doivent être augmentés. Ceci se traduit donc par un sur-stockage par rapport au remplissage théorique. Lors de la décrue, des restitutions en rivières sont alors effectuées en respectant un débit de référence plus faible, pour ne pas prolonger la crue.

Nous savons que les crues du bassin de la Seine en amont de Paris sont lentes et répétitives. Elles ont généralement lieu de décembre à mars. Elles se révèlent relativement prévisibles en raison de leur décalage temporel important par rapport à l'événement pluviométrique qui en est à l'origine. Un travail conséquent reste encore à réaliser en matière de prévention, de protection et d'information des populations. Il ne s'agit pas, certes, des missions premières de l'Institution, mais nous avons mené une étude tout à fait importante, relative à une éventuelle crue majeure de la Seine et à ses risques. Cette étude a été mise à la disposition de nos différents partenaires : l'Etat, la RATP, la SNCF, les services d'assainissement et de distribution de l'eau, etc. Cette étude fait la lumière sur les améliorations nécessaires pour éviter qu'une crue importante ne se traduise par des dommages catastrophiques, qui seraient d'ailleurs essentiellement économiques.

S'agissant de la crue de 2001, son débit s'avérait relativement peu important, pour ce qui nous concerne (1.520 m 3 /seconde au regard de 2400 m 3 /seconde en 1910). Elle a été longue, 55 jours, et relativement tardive dans la saison. Face à ces crues, nos ouvrages ont joué leur rôle, puisqu'ils ont assuré la protection des villes de Troyes et de Saint-Dizier. Pour Paris et la région parisienne, nos ouvrages ont permis un écrètement de l'ordre de trente centimètres en moyenne, grâce à un remplissage des lacs réservoirs jusqu'à 97 %.

En revanche, nos ouvrages n'ont pas eu d'influence au-delà de la confluence avec l'Oise. Tel n'est pas leur rôle d'ailleurs. S'agissant de la « rumeur d'Abbeville », il me paraît difficile d'en expliquer les origines. Je ne peux que m'en étonner et souligner le fait qu'elle est sans lien avec le champ d'intervention de notre institution. Elle m'apparaît totalement infondée. C'est d'ailleurs ce qu'a confirmé le rapport interministériel remis au Gouvernement le 6 juin 2001.

M. le Président - Je vous remercie de votre exposé. Nous allons continuer à suivre le cours de la Seine, avec l'audition de M. Berthery. L'Entente Oise-Aisne intervient précisément à partir de Conflans-Sainte-Honorine ?

M. Daniel Berthery - Exactement, le bassin Oise-Aisne se développe à partir de la confluence entre l'Oise et la Seine, à hauteur de Conflans-Sainte-Honorine. L'Oise trouve sa source en Belgique, l'Aisne dans le département de la Meuse. Il s'agit d'un bassin de 17.000 km 2 , qui s'étend sur six départements et quatre régions. Il compte 5.500 kilomètres de rivières. Le risque d'inondation y est important, puisque sur les 63.000 hectares inondables, 5.800 hectares se situent en zones urbaines. L'Entente a pour vocation de les protéger. Les crues de référence sont celles de décembre 1993 et de janvier-février 1995, en raison de leur ampleur, de leur durée et des dommages qu'elles ont occasionnés. Il s'agissait de crues d'hiver. Toutefois, la crue de mars 2001 s'est révélée sérieuse, même si nous n'avons pas atteint les niveaux de 1993 et 1995 (40 cm au-dessous de ces crues, à la hauteur d'une de nos stations de mesure), puisqu'elle a été recensée comme la cinquième plus importante crue du siècle. Les inondations de 1993 et 1995 avaient conduit à une déclaration de catastrophe naturelle et avaient occasionné des dégâts difficilement évaluables, chiffrés en milliards de francs. En mars 2001, les dommages se sont révélés bien moindres, en dépit de nombreuses routes coupées et de multiples maisons inondées.

Le chiffre de quarante centimètres apparaît donc déterminant, d'autant plus qu'il correspond à la hauteur d'eau maximale susceptible d'être écrètée grâce au programme d'aménagement à l'échelle de l'ensemble du bassin, que nous avons pour projet de conduire.

Concernant l'historique de l'Entente Oise-Aisne, il s'agit d'une institution de coopération interdépartementale ancienne, puisqu'elle a été créée en 1968 à la suite d'inondations de printemps ayant occasionné des dommages agricoles conséquents. Elle regroupe les six conseils généraux concernés et elle est présidée par M. Philippe Marini, sénateur-maire de Compiègne, depuis le 10 mai dernier.

Jusqu'en 1990, l'Entente a tenté de réaliser des barrages sur le modèle du dispositif adopté pour la Seine. Une dizaine de sites ont fait l'objet d'études dans cette perspective et des terrains ont même été acquis. Dix ans ont été nécessaires pour que l'Entente prenne conscience que le modèle adopté pour la Seine n'était pas transposable dans notre bassin, pour des raisons environnementales et foncières. Pendant toute cette période, l'Entente menait également des actions très appréciées des collectivités locales : l'entretien et la restauration des rivières. L'organisme continue d'ailleurs chaque année à mener un programme d'aide aux collectivités locales dans cette mission. Elle est également responsable de l'entretien des rivières domaniales non navigables.

Les crues de 1993 et 1995, dont la fréquence est d'environ quatre-vingt ans, ont donné une nouvelle actualité à l'Entente et aux enjeux liés à aménagement du territoire face aux inondations. Le rapport commandé par le Premier ministre à l'ingénieur Jean Benglas et remis en novembre 1996 a ouvert de nouvelles perspectives à l'Entente et aux projets d'aménagements, après l'abandon des projets de grands barrages réservoirs. Ce rapport avait pour objet la coordination de tous les acteurs de la lutte contre les inondations. Il formulait des préconisations en matière de services d'annonce des crues, d'amélioration de la prévision, de connaissance du fonctionnement du bassin, d'amélioration de la prévention et d'efficacité de l'action à l'échelle du bassin.

Ce rapport a été perçu par tous comme un document de qualité. En matière de réduction du risque, il prônait l'écrètement des crues au moyen d'aménagements dits de sur-stockage. Ces recommandations ont inspiré non seulement l'action de l'Etat, mais également celle de l'Entente. Ces recommandations se sont, d'ailleurs, concrétisées par la charte signée le 8 janvier 2001 entre les partenaires gestionnaires du risque.

Suite à ce rapport, il a été décidé que l'Entente devait se renforcer et constituer ses propres services. En effet, jusqu'en 1998, l'Agence de l'eau assurait son secrétariat. En 1998, l'Entente a donc recruté un agent, puis un deuxième en 1999. Cette équipe reste encore très modeste, puisque ses effectifs sont pour l'instant au nombre de cinq. Une sixième personne devrait bientôt nous rejoindre. Cette équipe aura pour mandat d'assurer la maîtrise d'ouvrage des équipements de sur-stockage.

Les statuts de l'Entente ont été révisés afin de doter l'Institution d'une plus grande capacité de décision et d'action. Un fond commun alimente son budget. Chaque département ne contribue pas de manière identique, mais cette mise en commun des moyens est révélatrice d'une solidarité interne du bassin. La Meuse, par exemple, y contribue à hauteur de 4,73 %, et l'Oise à hauteur de 30 %. La charte signée cette année témoigne également de cette solidarité, qui ne se limite pas au bassin, puisque ce document a été signé par l'ensemble des préfets concernés. Cette charte atteste donc de l'implication affirmée de l'Etat et de sa volonté d'assumer ses missions en matière d'alerte, de la prévision des crues et de prévention à travers les plans d'occupations des sols.

L'Agence de l'eau est également signataire, puisqu'elle est compétente en matière de préservation des champs d'expansion et de protection de la qualité des milieux. Cette charte est co-signée par Voies Navigables de France, qui est responsable de la gestion des voies navigables. Cette structure a, en effet, un rôle évident à jouer dans la gestion du risque, essentiellement pour les petites crues.

L'objectif prioritaire de cette charte réside dans la réalisation des aménagements de sur-stockage dont l'Entente serait le maître d'ouvrage sur l'ensemble du bassin. Une enveloppe de 177 millions de francs a été affectée à ce projet. Elle est, d'ailleurs, prévue par les contrats de plan entre l'Etat et les régions.

Depuis sa création, l'Entente a déjà réalisé de nombreuses études, mais la plupart d'entre elles concernaient des projets de barrages. En 1996, le changement d'orientation de l'Entente a donc imposé d'engager de nouvelles études, dans l'optique des recommandations du rapport de M. Benglas.

Quand je suis entré en fonction l'année dernière, ces études avaient simplement été lancées. Disposant désormais d'une connaissance satisfaisante des enjeux, nous pouvons commencer à élaborer une stratégie globale d'aménagement du bassin. La stratégie d'aménagement ne saurait se limiter à la construction d'aires de sur-stockage dans une perspective de rétention des crues. Elle doit également poursuivre les travaux de protection localisée dans les zones d'urbanisation tel qu'élever les endiguements, abaisser les seuils et réduire les bouchons hydrauliques qui se forment parfois en pleine agglomération du fait de ponts mal conçus.

Toutefois, les travaux de protection localisée ne sauraient se substituer aux aménagements de rétention des crues. Il est nécessaire de mener ces deux volets conjointement. Très rapidement, dès 1993, les collectivités locales ont compris la nécessité de réaliser des travaux de protection localisée et ont conduit des politiques en ce sens, dès lors qu'elles en avaient les moyens. En revanche, les travaux relatifs à la rétention des crues ont été différés, dans la mesure où ils s'avéraient plus complexes et ne revêtaient pas un caractère de proximité pour les communes. Les travaux les plus importants n'ont donc pas encore été commencés. L'heure est venue de nous y atteler, d'autant plus que nous disposons maintenant des éléments nécessaires à leur réalisation.

Parallèlement au schéma d'aménagement, des études de faisabilité ont également été engagées grâce à la pression exercée par les sinistrés. Ces études concernent certains secteurs spécifiques, parmi lesquels l'aval de Compiègne. Elles ont permis d'identifier d'anciens champs d'expansion des crues, dont la fonction naturelle avait été bouleversée par la construction d'infrastructures routières ou d'autres aménagements. Nous avons donc la volonté de mettre en oeuvre un projet de reconquête des champs naturels d'expansion des crues. Nous espérons commencer les premiers travaux dès l'année prochaine. Le temps est venu d'agir : nous ne pouvons plus attendre de disposer de la totalité des informations face à l'urgence de ces questions et à la pression croissante des populations. A l'heure actuelle, notre connaissance des enjeux liées à la gestion de l'eau apparaît suffisante pour envisager d'initier des projets s'inscrivant dans le schéma d'ensemble d'aménagement du bassin.

Une des principales difficultés que nous rencontrons réside dans notre capacité à faire admettre la notion de déphasage. La possibilité de retarder une crue constitue un enjeu fondamental. Le risque est, en effet, accru lorsque les pics de crue de deux cours d'eau sont concomitants. Ce problème s'est ainsi posé en 1995, puisque les crues de l'Aisne et de l'Oise étaient concomitantes. Il est donc tout à fait essentiel de synchroniser l'impact des différents aménagements pour ne pas accroître le risque hydraulique lié à la concomitance des crues. Notre politique d'aménagement concerne essentiellement l'Aisne, dont le volume de crue s'avère nettement plus considérable que celui de l'Oise. L'Aisne amont représente, en effet, 40 % des volumes de grandes crues. Or l'objectif de nos politiques réside précisément dans l'écrètement des grandes crues.

Le schéma d'aménagement nous a imposé une stratégie tout à fait nouvelle. Jusqu'à présent, les politiques s'étaient concentrées sur la vallée de l'Oise moyenne. Or le schéma a prouvé qu'il était nécessaire d'étendre cette action bien plus en amont, dans les départements de la Meuse, de la Marne et dans les Ardennes. Si le Conseil général des Ardennes est parfaitement conscient de ces problématiques, les deux autres départements sont encore quelque peu réticents vis-à-vis de ces politiques d'aménagement, en particulier la Meuse.

L'Entente ne limite pas son action à ces politiques d'aménagement, mais elle contribue également à l'amélioration des outils de prévision de l'Etat en ce qui concerne les modèles d'écoulement et les modèles pluies-débits.

Les premiers étant élaborés, nous nous concentrons désormais sur les seconds, qui permettent d'anticiper davantage encore les inondations dès lors que la pluviométrie de la zone des hauts bassins est connue. Ces outils, déjà largement avancés, s'annoncent très prometteurs et doteront les stations des villes en amont des bassins d'un service d'annonce des crues, dont elles ne disposent pas pour l'heure.

M. le Président - Je vous remercie de votre présentation.

M. Pierre Martin, Rapporteur - Les propos de M. René Beaumont, selon lesquels « la conduite des uns peut provoquer l'inondation des autres » démontrent l'importance que revêt la solidarité. Si les structures qui nous ont été présentées sont révélatrices de l'émergence d'une solidarité à l'échelle des bassins, une forme de solidarité est-elle également organisée entre les différents bassins ? Les mesures d'écrètement des crues et de protections contre les inondations ne se traduisent-elles pas par des transferts ? Si tel est le cas, comment ces transferts sont-ils opérés et qui est habilité à en prendre la décision et à les contrôler ?

M. René Beaumont - Le bassin de la Saône et du Doubs représente à lui seul tout le quart Est de la France. Le Rhône constitue notre unique point de contact avec les bassins voisins, à hauteur de Lyon au niveau du confluent de la Saône. Un différend nous avait opposés aux rhodaniens qui se révèlent pour l'heure totalement désorganisés, face à ces questions. Nous avions ainsi été accusés d'être responsables des inondations en Camargue. Le préfet de Rhône-Alpes avait tout de même eu l'intelligence de reconnaître que ces inondations ne résultaient pas du fait que le bassin du Doubs et de l'Aisne était organisé, mais bien du fait que le bassin rhodanien ne l'était pas. Les digues de la Camargue n'avaient, en effet, pas été modifiées depuis une centaine d'années.

Nous avions étudié les possibilités de transfert, en particulier du Doubs dans le Rhin, mais cette hypothèse tout à fait utopique a rapidement été écartée. Elle s'avérait par trop préjudiciable au Rhin et excessivement onéreuse. Nous avions également envisagé de mettre en place des bassins de rétention, mais cette possibilité s'avérerait tout à fait inefficace, les seules zones qui auraient été adaptées étant des zones de fort peuplement. Le modèle adopté pour la Seine n'est donc pas transposable dans notre bassin.

M. le Rapporteur - Comment cette solidarité avec d'autres bassins s'organise-t-elle pour le bassin Aisne-Oise ?

M. le Président - Quel est le débit de l'Oise à Venay et à Conflans ?

M. Daniel Berthery - Le débit doit avoisiner les 750 millions de m 3 pendant un épisode de crues de quinze jours. Mais je n'ai plus en mémoire les chiffres en m 3 /seconde.

M. le Président - Ma question était en rapport avec la rumeur selon laquelle la préservation de Paris aurait conduit à inonder la Somme. Lorsque vous citez le chiffre quarante centimètres de hauteur de crues en moins grâce aux aménagements réalisés, je me suis demandé ce qu'aurait changé à votre situation le fait que vous transfériez dix m 3/ seconde d'eau supplémentaire ?

M. Daniel Berthery - Les quarante centimètres gagnés ne résultent nullement de travaux quelconques, puisque nous n'avons encore réalisé aucun aménagement. Ce chiffre constitue seulement un indicateur du différentiel entre les crues catastrophiques de 1995 et les inondations de mars 2001, tout à fait importantes, mais moins dommageables.

Le débit de l'Oise doit s'établir autour de 150 m 3 /seconde à l'amont. A ce chiffre, il faut donc ajouter au minimum 250 m 3 /seconde pour l'Aisne, de telle sorte que le débit de l'Oise aval doit se chiffrer approximativement à 400 m 3 /seconde.

M. Hilaire Flandre - Des exposés tout à fait intéressants que nous avons recueillis, il me semble qu'il faut retenir une leçon : chaque cours d'eau a ses spécificités tant en termes de débit, que de vitesses des crues et des décrues. La pertinence de notre action est donc conditionnée par une parfaite connaissance de l'ensemble de l'économie de la rivière. Malgré l'impatience des sinistrés de la Somme, il nous faut tout d'abord disposer d'une telle connaissance de la rivière et résister à la tentation de l'action pour l'action, même si ce discours peut paraître décevant.

S'agissant de la Meuse, nous avons été confrontés au même problème. Il nous a d'abord été nécessaire d'entreprendre différentes études, afin de modéliser les débits et de pouvoir mettre en place une procédure d'alerte. La plupart des travaux entrepris revêtaient un caractère essentiellement psychologique, qu'il s'agisse des aménagements opérés sur un barrage ou du dragage de la Meuse. Nous avons eu la chance qu'aucune inondation ne se produise depuis 1995. La population en crédite les travaux réalisés, mais nous savons pertinemment que ces travaux n'étaient pas en mesure de prévenir des crues significatives. En 1995, nous avions pu observer des crues atteignant jusqu'à trois mètres en zone habitée à Charleville. Or la raison de ces inondations est bien connue : à Charleville, des habitations ont été construites dans le lit même de la Meuse.

M. Pascal Popelin - Le problème est identique à Paris.

M. le Président - S'agissant de la Seine, comment les grands lacs sont-ils vidangés ? Recourez-vous au pompage ou à un système par gravitation ?

M. Pascal Popelin - Nous avons recours à un système gravitaire.

M. Hilaire Flandre - Les grands lacs ont deux objets : d'une part, le soutien de l'étiage de la Seine pendant l'été, la lutte contre les crues, d'autre part.

Cette dernière fonction impose de largement vider les grands lacs à l'entrée de l'hiver, afin d'accroître leur capacité de stockage.

M. le Président - Les structures du relief permettent-elles partout de ne pas recourir au pompage ?

M. Hilaire Flandre - Il s'agit d'un relief relativement plat.

M. Jean-Louis Rizzoli - Nous avons sélectionné des canaux qui permettaient de faire jouer une altitude suffisante pour que l'eau circule par gravitation.

M. Jean-François Picheral - Que répondez-vous face à la rumeur qui impute à la Seine une responsabilité dans les inondations de la Somme, par le biais du canal du Nord ?

M. Pascal Popelin - Cette rumeur est totalement infondée. Il suffit pour s'en convaincre d'observer une carte. Au moment des crues de la Somme, les grands lacs étaient dans une période de stockage, même s'il a été procédé à quelques relâchés d'eau, pour revenir au niveau théorique de remplissage. Ceci étant, l'eau relâchée doit nécessairement transiter par la région amont de Paris, puis par la capitale elle-même avant d'atteindre le bassin de la Somme. Cette théorie est donc tout à fait fumeuse, puisque le moyen qui serait censé protéger Paris implique nécessairement de l'inonder au préalable. Par ailleurs, de quels moyens disposons-nous pour déverser cette eau ? Ne disposant pas de pompe, je ne vois pas d'autre moyen de le faire que de recourir à des brouettes ! Le canal du Nord constitue le point de communication entre le bassin de la Seine et celui de la Somme. Il s'agit d'un point de communication extrêmement ténu en termes de débit. Qui plus est, notre institution n'intervient plus sur la Seine au-delà de la confluence avec l'Oise. En consultant une carte, le simple bon sens conduit à considérer cette rumeur comme d'une stupidité absolue. Les personnes qui ont contribué à l'accréditer ne peuvent qu'être considérées comme peu sérieuses.

M. Jean-François Picheral - Vos propos traduisent très clairement la vérité et je me félicite que tout ceci soit consigné par écrit.

M. le Président - Tous ceux qui sont informés de ces questions savent pertinemment que cette théorie était absurde. Le seul véritable débat porte sur trois points de communication entre le canal du Nord et la Somme. A partir du canal du Nord, il est possible d'envoyer de l'eau, non par vers Paris, mais vers Conflans-Sainte-Honorine. Le 23 avril seulement, cinq pompes ont été activées : les quatre existantes et une cinquième pompe hollandaise. Ceci correspondait à un débit entre 4 et 8 m 3 par seconde, qui a été transféré du bassin de la Somme vers celui de l'Oise. Ces mesures de pompage auraient pu être mises en oeuvre plus précocement. Pour des raisons techniques, il a été décidé de ne pas le faire. Je comprends parfaitement ce choix de protéger Paris.

M. Pascal Popelin - Il ne s'agissait nullement de protéger Paris, mais Conflans-Sainte-Honorine.

M. le Président - Dans l'esprit des habitants d'Abbeville, Paris et Conflans - Sainte-Honorine se confondent.

M. Pascal Popelin - Cette zone est en aval de Paris. J'ignore si Conflans-Sainte-Honorine a été considérée comme une ville éminemment importante en raison de la personnalité de ses deux anciens maires.

M. le Président - En toute hypothèse, les débits qui auraient pu être transférés s'avéraient extrêmement faibles, entre 4 et 8 m 3 /seconde).

M. Pascal Popelin - L'absurdité de cette rumeur nous a tout d'abord fait sourire. Mais sa persistance a fini pour nous mettre en colère.

M. Paul Raoult - S'agissant du premier exposé, j'ai été intéressé par les études menées en lien avec le plan de vocation des sols. Comment ces études ont-elles été conduites au regard de la complexité de ces dossiers et de l'organisation du droit du sol en France ?

Dans ma propre région, j'assiste à la disparition de milliers d'hectares de bocages et à la transformation accélérée des prairies en champs de maïs, qui amplifient les phénomènes de ruissellement et de sédimentation dans les rivières, facteurs d'aggravation des inondations. D'un point de vue législatif ou réglementaire, j'ai le sentiment que nous ne disposons pas des outils nécessaires pour contrer ces phénomènes et que nous sommes contraints de faire confiance à la bonne volonté des uns et des autres !

M. le Président - Aujourd'hui, nous savons qu'il n'existe qu'une seule réponse à ce problème : l'augmentation du revenu des éleveurs.

M. René Beaumont - L'élaboration de ce plan de vocation des sols a nécessité d'y consacrer beaucoup de temps et d'énergie. Le bassin a été divisé en quinze secteurs, qui ont été traités l'un après l'autre. D'interminables réunions ont été organisées dans chaque commune. L'intérêt d'un syndicat mixte était d'y associer toutes les tendances politiques et tous les groupes d'intérêts. Ont donc été associés à ce processus, les principales associations écologistes, les élus et toutes les chambres d'agriculture et de commerce.

Un véritable Parlement en miniature du bassin a pu ainsi se constituer, même si le débat n'a pas été excessivement politisé, les élus ayant eu le bon sens de se poser en arbitres des conflits d'intérêts.

Nous ne disposons certes pas d'un pouvoir réglementaire, mais le plan de gestion a été approuvé par l'ensemble des collectivités locales composant le syndicat mixte. Il a également été approuvé par l'Etat, par l'intermédiaire de l'ensemble des ministères concernés. Il servira de base au contrat environnemental et il sera donc opposable aux tiers. Ce résultat a été obtenu par la concertation sur le terrain et a exigé que chacun des agriculteurs et des édiles concernés y soit associé. Ceci a donc nécessité d'y consacrer un temps considérable. Nous sommes parvenus à réduire les surfaces labourées d'un millier d'hectares à l'échelle du bassin. Ceci peut paraître modeste, mais ceci est tout de même préférable à leur augmentation. Qui plus est, l'expansion des surfaces labourées a été gelée, ce qui est loin d'être négligeable. Un état d'esprit est né : dès qu'une charrue se rend dans une prairie dans le col de Saône, nous en sommes immédiatement avertis par la population. Je vous donnerai un exemplaire de ce document. Cela vous permettra de constater à quel point la détermination de la vocation des sols a été effectuée de manière détaillée. Un tel plan demande qu'on y consacre au moins dix ans.

Selon moi, la politique à adopter dans le bassin de la Somme doit, certes, reposer sur la conduite rapide de quelques travaux à vocation essentiellement psychologique pour rassurer les populations. Mais il ne faut pas abuser de ce type de travaux, parce qu'il est nécessaire de disposer d'une connaissance scientifique et technique des enjeux hydrauliques du bassin avant d'agir. Faute d'une telle expertise, ces travaux risquent de conduire à une véritable catastrophe.

M. Paul Raoult - Ce plan se traduit-il dans les Schémas de cohérence territoriale (SCOT) ?

M. René Beaumont - Il se traduit effectivement dans les SCOT. Nous en discutons, d'ailleurs, actuellement avec les représentants de Châlon.

M. le Président - A moyen terme, il s'agira d'un outil d'intervention efficace à la disposition du Conseil général. Mais tout ceci arrive un peu tard.

M. René Beaumont - Ce dispositif a été approuvé par toutes les chambres d'agricultures.

M. le Président - Mais le Middle Ouest qui s'est créé dans la vallée de l'Ain s'avère tout à fait exceptionnel.

M. Pascal Popelin - Je tiens également à insister sur la nécessité de se donner du temps pour procéder à des études de fond, avant de passer en phase de réalisation. Nous travaillons actuellement sur un nouveau projet, dans la perspective d'écrèter plus efficacement encore la Seine, juste avant la confluence avec l'Yonne, rivière quasiment impossible à réguler. La seule solution résiderait dans la construction de grands barrages, fort onéreux et peu en phase avec les préoccupations actuelles de nos concitoyens en matière d'environnement. De ce fait, la seule possibilité alternative consiste à mettre en place des systèmes de sur-stockage. Pour un tel projet, les études et le travail de concertation sont prévues jusqu'à 2005-2006. Ces études devraient coûter environ 25 millions de francs. Or nous travaillons sur ce projet depuis déjà deux ans. Il ne sera donc pas possible de dire si ce projet sera réalisé avant d'avoir obtenu le résultat de ces études. Le travail d'étude peut paraître long et onéreux, mais il est nécessaire au regard d'un projet dont le coût devrait s'élever à 1,5 milliard de francs.

M. le Président - S'agissant de la Seine, quel est le degré d'informatisation et de centralisation des informations ?

M. Jean-Louis Rizzoli - L'information relative à l'eau est très parcellisée. L'annonce des crues et la gestion des stations relèvent de la responsabilité de la DIREN Ile-de-France. Dans la gestion de nos ouvrages, nous disposons tout de même d'outils similaires à ceux de la DIREN, ce qui nous permet, d'ailleurs, de comparer nos résultats.

M. le Président - Vous intervenez sur les cours d'eau. Vous intéressez-vous également aux études du sous-sol et de la nappe phréatique ?

M. Jean-Louis Rizzoli - Nous ne nous sommes pas véritablement intéressés à ces questions, qui n'étaient pas pertinentes pour les ouvrages existants. Nous savons tout de même que les nappes soutiennent les étiages. De ce fait, des connaissances en hydrogéologie s'imposent, mais uniquement en période de soutien d'étiage. Pendant les périodes de crues, nous sommes confrontés à des crues de nappes, analogues à celles observées dans la Somme, que nous ne sommes pas toujours en mesure d'expliquer de manière satisfaisante. Les études qui vont être menées dans la zone précédant la confluence avec l'Yonne auront également pour objet de clarifier cette question.

M. le Président - Exploitez-vous déjà des mesures piézométriques ?

M. Jean-Louis Rizzoli - Non, les quatre années d'études permettront précisément de mettre en place ce type de mesures. Pour l'instant, les piézomètres existants concernent principalement les sources. Ils ne nous permettent donc pas de disposer de données au moment des crues. Nous commencerons donc à en installer d'autres dès l'année prochaine.

M. le Président - Seront-ils installés dans tous les départements concernés ?

M. Jean-Louis Rizzoli - Ils ne seront installés que dans la zone dite à basset, qui constitue une vaste zone d'expansion des crues.

M. le rapporteur - Il est indéniable que des transferts sont opérés. Qui a la responsabilité d'en prendre la décision ? Comment ces décisions sont-elles contrôlées ?

En Picardie, les inondations ont toujours commencé dans l'Oise. Or il y a eu des quantités d'eau équivalentes dans l'Oise et dans la Somme au moment des crues. Ces dernières ont-elles été mieux gérées dans l'Oise ?

M. Daniel Berthery - Dans l'Oise, les crues de mars 2001 ont été tout à fait importantes, puisqu'il s'agit de la cinquième plus importante crue du siècle.

Pour le bassin de l'Aisne-Oise, il existe deux points de communication par les canaux se greffant sur le réseau hydrographique et la rigole du le Noirrieu.

La gestion de ces couloirs de liaison et de leurs ouvrages revient à Voies Navigables de France, qui en est le maître d'ouvrage.

M. le Président - Ne demandez-vous donc jamais à VNF d'intervenir et d'effectuer d'éventuels transferts ?

M. Daniel Berthery - Non.

Nous avons souhaité que VNF soit signataire d'une charte de gestion du risque d'inondation, parce qu'il existe sur l'Oise aval des ouvrages de navigation très anciens, dont la modernisation et l'automatisation permettraient d'améliorer la situation des riverains lors de faibles crues, au moyen d'abaissements anticipés. Le financement de ces mesures n'est d'ailleurs pas totalement finalisé, mais ce projet est très important, puisque les petites crues sont les plus fréquentes et donc les plus problématiques pour les riverains.

S'agissant de la « rumeur d'Abbeville », je tiens à vous faire part de mon témoignage. Bien avant les inondations de la Somme, une rumeur analogue courait également dans le bassin de l'Oise, selon laquelle les inondations de 1995 auraient été liées à une volonté de protéger Paris. Cette théorie était aussi peu réaliste que pour la Somme.

En revanche, le point de confluence est conditionné par certains aménagements effectués sur la Seine, en particulier les manoeuvres réalisées au niveau des barrages de Nouval et d'Andresy. Le niveau de la Seine affecte donc l'écoulement de l'Oise et le niveau de remontée des eaux.

M. le Président - Pourriez-vous nous préciser de combien de kilomètres il s'agirait ?

M. René Berthery - Nous avons procédé à des simulations, pour établir quel serait l'écoulement de l'Oise avec un niveau de la Seine plus élevé que celui de 1993, qui était relativement bas. Si ce niveau était analogue à celui de 1910, la remontée des eaux se ferait jusqu'à Trèves.

Nous sommes donc tout à fait attentifs au niveau de remplissage des barrages de la Seine, cet élément étant susceptible d'aggraver les inondations dans le Val d'Oise. La rumeur qui a circulé dans le Val d'Oise s'explique peut-être par ce phénomène de remontée des eaux, auquel un caractère intentionnel et malveillant a été attribué.

La modernisation des barrages de Nouval et d'Andresy est prévue par VNF, de même que celle des sept barrages de l'Oise. Nous attendons de ces travaux une meilleure harmonisation de la gestion de l'eau.

M. le Président - Ces travaux tiennent-ils également compte du projet de canal Seine Nord, qui sera bientôt rendu public ?

M. René Berthery - Ce projet n'est pas véritablement pris en compte. S'agissant de la partie à l'aval de ce canal, VNF a formulé des propositions de voies dites voies avales, en lien avec la modernisation et la reconstruction des barrages. Mais ceci ne s'étend pas au-delà de Creil. S'agissant des fuseaux intermédiaires de ce canal, le projet n'est pas suffisamment défini pour qu'il puisse être pris en compte. S'agissant d'un projet d'aussi longue haleine, puisqu'on évoque l'horizon 2020, il est difficile de le synchroniser avec notre projet à beaucoup plus court terme.

M. le Président - Ce projet modifiera tout de même les étiages dans ces bassins. Il est donc nécessaire de l'anticiper.

M. Jean-François  Picheral - Dans l'immédiat, il n'y a aucun rapport entre la Somme et vous.

M. le Président - VNF commande les couloirs de liaison.

M. Jean-François Picheral - Il me semble que nous devrions revoir en audition VNF.

M. le Président - Nous leur avons écrit pour obtenir des précisions, mais de toute évidence les débits en question sont trop faibles pour avoir un véritable impact contrairement à ce qu'a prétendu la rumeur.

M. le Rapporteur - Une personne reçue en audition m'a affirmé que certains réservoirs de la Seine étaient d'une dimension pharaonique, en particulier celui de la Marne, et que leur masse était susceptible d'exercer une pression sur les nappes phréatiques. Cette théorie vous paraît-elle crédible, pour expliquer les phénomènes de crues de nappes ?

M. Jean-Louis Rizzoli - Les réservoirs sont situés sur des zones étanches.

M. le Président - Comment pouvez-vous le garantir ?

M. Pascal Popelin - La géologie nous permet d'être certains que nous ne déversons aucune eau dans la nappe phréatique.

M. le Président - Comment pouvez-vous le mesurer ? Ces mesures sont-elles précises à 20 % près ?

M. Jean-Louis Rizzoli - Des mesures des débits sont effectuées à l'entrée comme à la sortie des canaux. D'un point de vue scientifique, ces mesures sont tout à fait fiables et s'avèrent, d'ailleurs, indispensables pour garantir la sécurité des ouvrages.

M. Jean-Guy Branger - Avant de réaliser ces retenues tout à fait conséquentes, j'imagine que des études géologiques ont été effectuées. De tels aménagements n'auraient pas été viables s'ils ne situaient pas au-dessus d'une couche d'argile.

M. Jean-Louis Rizzoli - Il ne faut pas oublier que la hauteur d'eau y est très faible. Ces ouvrages ne constituent pas les plus grands d'Europe parce que la hauteur d'eau ne s'y élève en moyenne qu'à huit mètres. Cette hauteur est incomparable avec la masse d'eau observée pour des barrages comme ceux d'EDF qui peuvent avoir des profondeurs de soixante mètres.

M. Pascal Popelin - Ces ouvrages ont été construits entre 1945 et 1990. Leur longévité prouve leur fiabilité.

Ceci constitue d'ailleurs un handicap pour nous : la localisation de ces ouvrages a été déterminée par la faisabilité géologique de telles retenues à ces endroits précis. Autant nous sommes performants en matière de soutien d'étiage, autant notre niveau d'intervention face aux crues en région parisienne est restreint. En effet, nous ne pouvons écrèter au maximum que 30 ou 40 centimètres de crue. S'agissant de cette mission de prévention des crues, il aurait été souhaitable que ces ouvrages soient situés plus à proximité des quatre département de la Couronne de Paris. Mais la géologie ne l'a pas permis. C'est pourquoi précisément nous devons recourir à d'autres systèmes de protection que les grands lacs, notamment à la confluence de l'Yonne et de la Seine.

M. Hilaire Flandre - Vous avez souligné le fait que les grands lacs n'étaient plus dans l'air du temps.

M. Pascal Popelin - Je parlais des grands barrages en vallée.

M. Hilaire Flandre - Vous avez réalisé sur le plateau de Langre, des châteaux d'eau pour approvisionner la Seine. Je ne suis pas persuadé que les populations concernées soient satisfaites de ce choix, notamment sur le plan financier. L'eau devient une denrée précieuse. Elle est souvent produite dans les régions les plus pauvres (plateau de Langre, Morvan, plateau de Millevaches). L'eau du plateau de Langre sert désormais à approvisionner Paris, sans que cela ait favorisé le développement économique de ce plateau. Il aurait été beaucoup plus rentable de produire de l'eau minérale que de l'eau potable. Ceci constitue, selon moi, un problème général d'aménagement du territoire.

M. le Président - Ces choix reposaient sur l'idée que l'eau était gratuite, étant donnée ses origines. Il faut espérer qu'un jour soit envisagée la nécessité d'instaurer des échanges de bons procédés et des mécanismes de solidarité entre les zones urbaines et rurales.

M. Paul Raoult - La situation est encore pire que celle que vous décrivez. Les zones productrices d'eau paient à l'Agence de l'eau une taxe jusqu'à trois ou quatre fois plus élevée que les autres, sous prétexte qu'elles sont situées sur un champ captant.

M. Hilaire Flandre - Le législateur devra se saisir de ce débat.

M. Pascal Popelin - Je tiens tout de même à préciser que nous ne volons pas l'eau, nous la stockons, puisqu'il s'agit d'eau d'écoulement. L'Institution a accordé une attention toute particulière aux relations avec les collectivités locales dans lesquelles ces ouvrages ont été construits. Des projets d'aménagement et de développement économique sont nés de cette collaboration. S'agissant des ouvrages dont nous sommes responsables, les populations locales et leurs élus ne se plaignent nullement de leur impact économique et touristique, ni de notre contribution financière aux projets d'aménagement et de développement. Pour le seul département de l'Aube, 30 millions de francs ont ainsi été apportés depuis 1987, date de signature des conventions relatives à la réalisation du barrage. Ces fonds ont été mis à la disposition du Conseil général et nous attendons qu'il nous soumette ses projets.

M. le Président - Je vous remercie de vos témoignages, qui contribueront à enrichir notre rapport.

42. Audition de M. Guy Chevillotte, délégué régional de la Compagnie des experts agréés (18 juillet 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui Monsieur Guy Chevillotte, qui est délégué régional de la Compagnie des experts agréés.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Guy Chevillotte.

Monsieur Chevillotte, vous nous expliquerez en quoi consiste le rôle des experts agréés auprès des compagnies d'assurance.

M. Guy Chevillotte - Quel est le rôle d'un expert agréé ? Comment la profession d'expert agréé est-elle organisée ?

Par le biais de leur organisme fédérateur nommé Assemblée plénière des compagnies d'assurance, ces dernières ont souhaité, il y a une trentaine d'années, repérer, parmi les experts en activité, ceux qui étaient susceptibles de recueillir l'unanimité. L'Assemblée plénière a mis au point un système de label, consistant en un examen à double niveau qui débouche sur la délivrance d'un agrément.

Les experts travaillant pour les compagnies d'assurance et ayant obtenu ce label ont décidé de se réunir au sein d'un syndicat qui s'appelle la Compagnie des experts agréés. Cet organisme fait ainsi référence à des experts disposant d'un agrément délivré par l'Assemblée plénière des compagnies d'assurance.

D'autres experts sont réunis au sein de syndicats distincts qui ne disposent pas de cet agrément, la quasi-totalité des experts agréés s'étant regroupés au sein de la CEA.

Par qui et comment l'expert est-il choisi et rémunéré ?

La déontologie s'est aujourd'hui assouplie : nous avons de ce fait la possibilité de travailler pour n'importe quel organisme autre qu'une compagnie d'assurance. Toutefois, nous sommes essentiellement - voire exclusivement jusqu'au début des années 1990 - désignés par les compagnies d'assurance, afin d'estimer le préjudice relevant du contrat d'assurance dont nous sommes chargés. Ainsi, nous sommes encore essentiellement désignés et rémunérés par les assureurs.

Dans le cadre des conditions générales des contrats d'assurance français, il est prévu que chaque partie désigne son expert, puisque le droit français est profondément attaché au principe contradictoire. La compagnie nomme donc son expert, l'assuré ayant la possibilité d'en désigner un, dont les honoraires sont généralement couverts par le contrat d'assurance.

A cet égard, -et ce point vous intéresse directement- la loi de juillet 1982 instituant le régime des catastrophes naturelles vise exclusivement les dommages directs causés par les événements retenus comme catastrophe naturelle. A ce titre, même s'ils sont garantis par le contrat d'assurance sur lequel l'expert travaille, les honoraires de l'expert de l'assuré ne sont pas pris en charge par l'assureur, puisqu'ils sont considérés comme des dommages indirects. Au regard des dernières informations dont je dispose, je crois d'ailleurs que dans la Somme, le Conseil général aurait décidé de prendre en charge les honoraires des experts désigné par les assurés, à la place des entreprises.

Les experts désignés par les assurés interviennent généralement sur les sinistres d'un montant minimal de 100.000 ou 150.000 francs. En tant qu'expert désigné par les compagnies d'assurance, je considère que leur intervention est profitable dans 99 % des cas, et ce pour deux raisons : d'une part leur présence traduit le caractère contradictoire de l'expertise entre les deux cocontractants -assureur et assuré ; d'autre part, elle rassure l'assuré, qui accueillera toujours plus facilement une information émanant de son propre expert que de celui désigné par la compagnie d'assurance.

Vous me demandez ensuite comment les experts agréés sont intervenus dans la Somme.

Notre intervention dans la Somme découle directement de nos fonctions. Nous sommes intervenus tout simplement parce que nous avons été désignés par les assureurs touchés par le sinistre.

De même, et pour les mêmes raisons, de nombreux sinistres sont réglés avec l'aide d'un expert désigné par l'assuré.

S'agissant des difficultés rencontrées par les experts, je serai tenté d'affirmer qu'elles sont de trois ordres distincts.

En premier lieu, les difficultés rencontrées sont d'ordre psychologique. En effet, et de manière évidente, un assuré est toujours traumatisé par un sinistre, a fortiori lorsque le sinistre consiste en des inondations frappant une partie importante -voire totale- de son patrimoine, comme cela fut le cas dans la Somme. Par conséquent, nous sommes toujours un peu inquiets lorsque nous établissons le premier contact avec l'assuré, parce que ce dernier est légèrement traumatisé, quelle que soit la nature du sinistre. Dans le cas de la Somme, ce constat s'est particulièrement vérifié.

En second lieu, nous rencontrons peut-être quelques difficultés sur le plan de la procédure au sens générique du terme, parce que l'événement a été extrêmement médiatisé. Or cette médiatisation a « pollué » quelque peu la relation que nous essayons toujours d'établir avec notre assuré ou avec son expert. Vous savez bien que de multiples intervenants se sont manifestés -collectivités locales, hommes politiques, associations de consommateurs, comités de défense. Tous ces acteurs sont venus compliquer légèrement les dossiers, parce que les assurés se tournaient de tous côtés pour tenter de glaner des renseignements. Ce phénomène a parfois rendu nos interventions un peu plus difficiles.

En troisième lieu, nous avons rencontré des difficultés techniques très importantes et difficiles à résoudre, alors qu'elles relèvent en principe de nos compétences.

En dépit de mes trente ans d'expérience dans le domaine de l'expertise, c'est pratiquement la première fois que je suis confronté à une inondation durant plusieurs semaine. Nous nous trouvons ainsi devant un problème technique nouveau. Nous avons couvert de nombreuses inondations, la première sur laquelle j'ai travaillé remontant à 1986, puisqu'il s'agissait de celle de la ville de Nîmes. Or c'est la première fois que nous assistons à une inondation touchant des bâtiments qui, pour certains, sont restés immergés sous plus d'un mètre d'eau pendant plusieurs semaines - six, sept ou huit semaines pour ceux qui ont été immergés le plus longtemps.

Quel bilan peut-on faire des inondations dans la Somme ?

Les deux premières difficultés -psychologiques et procédurales- sont quasiment réglées.

Nous sommes aujourd'hui confrontés aux difficultés techniques, puisque nous commençons à pouvoir travailler sur les dommages importants. Dans la majeure partie des cas, nous proposons à l'assuré ou à son expert d'attendre, parce qu'il est aujourd'hui trop tôt pour connaître les conséquences exactes que subira un bâtiment resté six semaines sous l'eau. En effet, même si un bâtiment peut être considéré comme sec parce que l'eau s'est retirée rapidement après plusieurs semaines d'immersion, le sol reste gorgé d'eau. Des dommages secondaires vont donc apparaître, provenant non plus de l'influence de l'eau sur la maçonnerie ou sur les fondations de la maison, mais de l'impact du retrait de l'eau et de l'abaissement de la nappe phréatique sous le sol d'implantation du bâtiment.

Sur ce plan, nous rencontrerons certainement des difficultés techniques, que nous maîtrisons parfaitement, puisqu'il s'agit d'un problème similaire à celui engendré par les catastrophes naturelles « sécheresse ». Ceux d'entre vous qui sont installés dans le Nord savent qu'un certain nombre d'arrêtés a été pris en ce sens depuis plus de dix ans. De ce fait, nous connaissons bien les difficultés liées aux mouvements du sol. Cependant, nous ignorons pour le moment la durée pendant laquelle le sol restera gorgé d'eau et le délai qu'il faudra respecter, avant de décider du sort du bâtiment.

Vous posez par ailleurs une question concernant l'appréciation que nous faisons de l'indemnisation des personnes sinistrées dans la Somme. Les indemnisations ne sont absolument pas achevées. Je viens de vous dire que pour les bâtiments, nous sommes enclins à reporter l'expertise, selon l'évolution des dégâts.

Globalement, nous avons travaillé sur le contenu, c'est-à-dire sur le mobilier. Dans ce domaine, les indemnisations ont déjà largement abouti.

En revanche, concernant tous les immeubles qui ont été noyés pendant plusieurs semaines, nous préférons aujourd'hui affirmer qu'il est « urgent d'attendre », parce que il n'est pas raisonnable de décider aujourd'hui de l'étendue des dommages qu'ils ont subis.

Nous rencontrons quelques problèmes au niveau de l'indemnisation des entreprises, plus particulièrement en matière de pertes d'exploitation, et ce pour deux raisons.

D'une part, dans ce domaine également, nous commençons seulement aujourd'hui à connaître l'environnement dans lequel nous travaillerons sur le plan du quantum. D'autre part, nous connaissons quelques soucis avec les entreprises qui n'ont pas pu travailler en raison d'une impossibilité d'accès aux locaux, alors même qu'elles n'ont pas subi d'inondation à proprement parler. Ce dommage pose un problème de garantie, puisque la garantie de perte d'exploitation assortissant les contrats d'assurance ne joue que lorsque la perte d'exploitation est la conséquence d'un dommage direct. Or une impossibilité d'accès - subie alors que l'entreprise n'a pas été inondée - n'ouvre en principe pas droit à la garantie de perte d'exploitation. Nous avons de ce fait quelques soucis, parce qu'il est naturellement difficile d'expliquer cette situation à l'assuré.

Concernant les collectivités locales, les difficultés que nous rencontrons sont liées au délai nécessaire pour mettre au point le dossier technique. En effet, comme vous le savez, dès lors qu'un sinistre présente une certaine importance, nous sommes contraints de recourir à la procédure d'appel d'offres, qui est assortie de délais inhérents à la dimension administrative de ce système. Ces dossiers sont donc longs à élaborer pour des raisons administratives, même s'ils ne posent, par ailleurs, pas d'autres problèmes que ceux rencontrés pour l'indemnisation des particuliers ou des entreprises.

Vous me demandez ensuite quelle est la proportion de population non-assurée par un contrat d'assurance dommages aux biens dans le cadre des inondations de la Somme. Je serai bien incapable de vous le dire, puisque nous intervenons essentiellement auprès de personnes assurées.

Si je me réfère à ce que nous constatons lorsque nous intervenons sur des sinistres qui atteignent un certain nombre de bâtiments voisins les uns des autres, je serai tenté d'affirmer que 5 à 10 % de personnes ne sont très certainement pas assurées, et que 15 à 20 % de personnes sont mal assurées, parce que tous les contrats d'assurance reposent sur une procédure déclarative. Or, dans un règlement de sinistre, nous enregistrons une fois sur cinq une insuffisance de couverture, au niveau de la somme garantie ou de la base des déclarations reçues par l'assureur pour fixer la prime. Nous rencontrons donc quelques difficultés de ce point de vue.

Quelles solutions peuvent être engagées pour limiter le nombre de personnes sans assurance ? Cette question recouvre un problème majeur. Je crois que c'est Winston Churchill qui a dit cette phrase : « un grand panneau d'assurance devrait être accroché au-dessus de la cheminée, dans toutes les salles de séjour ».

Il existe naturellement un problème d'information. Beaucoup de gens ne savent pas que l'assurance existe et qu'ils ont l'obligation d'être assurés.

Je pense que 90 % environ de la population française ignore actuellement les conséquences de la loi Quilliot, qui a rendu obligatoire la couverture de la responsabilité civile encourue en tant que locataire. Ces dispositions sont en effet relativement récentes.

L'assurance en dommages de ses propres biens n'étant pas obligatoire, le budget qu'elle est censée engager est certainement relégué au second plan, derrière d'autres postes de dépense pouvant paraître plus essentiels aux yeux des personnes concernées. Ce constat rejoint ainsi le deuxième aspect du problème posé par la non-assurance, en l'occurrence son aspect économique.

Un problème d'information existe. Toutefois, je pense que les personnes qui ne sont pas assurées aujourd'hui sont celles qui ne parviennent pas à se sensibiliser à certains problèmes. Je discutais tout à l'heure avec votre président d'une compagnie d'assurance dont l'un des membres interviendra plus tard et qui a mené récemment une campagne de publicité très importante : aujourd'hui, personne ne peut ignorer qu'une compagnie d'assurance nommée « Les mutuelles du Mans » fait de la publicité à la télévision. Dans ces conditions, je crois vraiment que les gens qui ne sont pas assurés ne sont pas du tout sensibilisés à ce problème. Je ne vois pas très bien ce que nous pouvons faire pour les sensibiliser.

Quelles solutions conviendrait-il de mettre en oeuvre pour améliorer le système d'indemnisation des catastrophes naturelles ?

Cette question présente un caractère fortement politique. Je resterai donc très prudent dans ma réponse. Globalement, je serai tenté de dire que le régime d'assurance mis en place pour les catastrophes naturelles fonctionne bien, depuis dix-neuf ans, malgré quelques petites réserves.

A ce titre, j'ai évoqué précédemment le problème des honoraires de l'expert de l'assuré non couverts par l'assurance. De même, certaines garanties annexes restent exclues du champ d'application de la loi. Néanmoins, je dirai que ces réserves se révèlent mineures. Je maintiens que le système fonctionne bien.

Sur le point de savoir si la modulation de la prime améliorerait le système d'indemnisation, je nuancerai ma réponse. Je dirai d'abord qu'un tel mécanisme ne contribuerait pas à améliorer le système, parce qu'il supprimerait le caractère mutuel de l'assurance.

Vous m'opposerez que le mécanisme existe déjà à travers l'instauration du bonus et du malus - je ne suis pas d'ailleurs pas sûr que ces deux concepts subsistent, pour des raisons européennes. De toute évidence, néanmoins, le fait qu'un assuré paye une prime d'un montant élevé au motif qu'il encourt un risque important semble tout à fait logique sur un plan économique.

Suivant ce raisonnement, peut-être devrions-nous aller jusqu'à permettre aux assureurs de refuser une garantie, lorsque le risque ne présente plus de caractère aléatoire. En effet, le fait d'implanter un bâtiment dans une zone inondable fait certainement disparaître le caractère aléatoire du sinistre. Or le contrat d'assurance est fondé sur le principe de l'aléa. Cette règle figure dans le code des Assurances. Dès lors, assurer un risque certain ne fait pas partie des hypothèses visées par le code des Assurances. Par conséquent, autoriser une personne à construire son bâtiment dans une telle zone et lui permettre de s'assurer contre les catastrophes naturelles - et notamment contre les inondations - pourrait, à l'extrême, être considéré comme contraire au code des Assurances.

En revanche, il est clair qu'à l'heure actuelle, toutes les zones inondables ne sont pas répertoriées.

Les maires ainsi que les autorités assistant le maire pour délivrer un permis de construire ne disposent pas forcément des informations nécessaires pour ce faire. Toutefois, les inondations de la Somme ne constituent tout de même pas un événement qui se reproduit tous les ans depuis cinquante ans. C'est un événement presque nouveau, hormis pour certaines zones dont on sait qu'elles sont inondables. A cet égard, les bâtiments anciens ne sont pratiquement jamais implantés dans des zones inondables. Les anciens savaient très bien où il était possible de construire un immeuble. Généralement récentes, les implantations de grande envergure et situées en zone rurale devraient dans ces conditions soit être interdites, soit être autorisées, sous condition que l'assuré assume les risques inhérents au lieu de construction.

Cette question relève de l'aménagement du territoire. Dans cette perspective, les autorités compétentes doivent accomplir un travail important de repérage et de recensement, afin de déterminer ce que recouvrent la notion de zone inondable ou non-inondable. En effet, une crue dramatique telle que celle de Vaison-la-Romaine n'a pas lieu tous les ans à cet endroit. En réalité, les risques s'aggravent dans certaines villes. Les événements survenus à Nîmes en 1986 illustrent parfaitement le problème : c'est l'urbanisation qui a causé l'inondation de cette ville. Dans les campagnes, la suppression des fossés ou des haies pour cause de remembrement a favorisé de manière certaine ce type d'événement.

Toutefois, les catastrophes naturelles sont également aggravées au niveau individuel. En effet, -et je ne porte aucun jugement sur cette attitude-, un agriculteur ne supporte plus aujourd'hui que quelques centaines de m 3 de ses champs soient systématiquement inondés pendant deux mois de l'année, alors qu'il sait pertinemment qu'il dispose de la technique permettant de parer ce phénomène ; dès lors, il pratique le drainage à outrance et charge en eau les exutoires qui sont prévus à cet effet mais pas adaptés à de telles quantités liquides ; de surcroît, il induit de ce fait une sécheresse, parce que l'eau est orientée dans les exutoires, au lieu d'imprégner progressivement le sol et d'alimenter ensuite la nappe phréatique.

M. Hilaire Flandre - La démonstration de ce phénomène exigerait d'être davantage scientifique ...

M. Guy Chevillotte - Depuis 1989, nous avons réglé dans le Nord de la France des sinistres « catastrophes naturelles » dues à la sécheresse. Or, depuis 1980, les agriculteurs drainent l'eau autant qu'ils le peuvent dans les champs. De ce fait, une nappe de drain se forme à soixante centimètres de profondeur, l'eau s'écoulant dans les exutoires au lieu de s'enfoncer dans le sol.

Je crois que je vous ai exposé tout ce que je souhaitais vous dire. Je suis donc maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. Pierre Martin, Rapporteur - Les assurances interviennent évidemment dans le cas d'une catastrophe telle que celle qui vient de se produire. Quel est, pour les assurances, le coût d'un tel événement ? En effet, la compagnie d'assurance ne semble pas supporter d'autres coûts que ceux liés aux frais de dossier, puisque il est admis que les sinistres sont financés par la surprime.

M. Guy Chevillotte - Je ne suis peut-être pas la personne la mieux placée pour vous répondre. Toutefois, j'entretiens certains contacts, puisque l'un de mes amis travaille au sein la Caisse centrale de réassurance. Or cet organisme collecte les surprimes « catastrophes naturelles » et la reverse aux assureurs en fonction des traités de réassurance existants. Je resterai prudent dans la mesure où il s'agit d'un domaine que je connais mal, mais vous pourrez interroger tout à l'heure le représentant des Mutuelles du Mans Assurances (MMA), qui vous répondra plus précisément que moi sur ce sujet.

Je ne pense pas que la Caisse centrale de réassurance rétrocède la totalité du coût d'un sinistre à la compagnie d'assurance. Je ne m'étendrai cependant pas davantage sur ce terrain.

Vous avez raison de souligner que la surprime a été en principe estimée en vue de faire face à l'indemnisation du nouveau sinistre défini dans la loi de juillet 1982. Toutefois, les arrêtés interministériels « catastrophe naturelle » ont tendance à se multiplier. Par suite, les dossiers relatifs à de tels événements se multiplient. Dès lors, le régime coûte de plus en plus cher.

Dans ces conditions, la surprime qui s'élevait en 1982 à 3 % a augmenté régulièrement, et vient de passer de 9 à 12 %, et ce pour deux raisons : d'une part, les conditions météorologiques présentent un caractère très particulier depuis une dizaine d'années; d'autre part, pour des raisons que je n'analyserai pas, les arrêtés « catastrophe naturelle » sont beaucoup plus nombreux aujourd'hui, ce régime spécifique d'assurance permettant de prendre en charge des dommages qui ne le sont pas dans le cadre d'un contrat d'assurance classique.

Ma réponse n'est pas très précise, parce que je manque d'informations en la matière.

M. Hilaire Flandre - Le fait que le système de rémunération des experts soit fixé par les compagnies d'assurance ne génère-t-il pas le risque que l'expertise penche en faveur de la compagnie au détriment de l'assuré ?

M. Guy Chevillotte - Je vous fournirai une double réponse, Monsieur.

Tout d'abord, pour des raisons historiques -et à mon sens totalement anti-économiques-, plus le sinistre est important, plus mes honoraires sont élevés. Je devrais donc avoir naturellement tendance à faire en sorte que le sinistre soit conséquent. Cela étant, de mon point de vue, ce système est complètement anti-économique, parce qu'il n'est absolument pas justifié.

Pour un dégât des eaux estimé à 10.000 francs, le problème ne se pose pas, parce que l'enjeu est tout à fait insignifiant. En revanche, dès qu'un sinistre présente une certaine importance, nous sommes confrontés à l'expert désigné par l'assuré. Dans ces conditions, nous sommes contraints de faire preuve d'une correction et d'une honnêteté minimales. Pour ma part, exerçant cette profession depuis trente ans, je m'entends extrêmement bien avec mes confrères qui remplissent la fonction d'expert de l'assuré ; je n'ai aucun souci avec eux, parce que nous parlons la même langue : pour lui comme pour moi, « une tuile est une tuile ».

M. Paul Raoult - En premier lieu, cette procédure fondée sur les arrêtés « catastrophe naturelle » ne provoque-t-elle pas une inflation desdits arrêtés, dans la mesure où les élus - toutes tendances confondues - promettent qu'ils obtiendront cette mesure, à chaque fois qu'un sinistre surgit quelque part.

Par ailleurs, le système ne conduit-il pas à déresponsabiliser à la fois les collectivités et les personnes, chacun se reposant sur la certitude de voir ses dommages couverts et d'obtenir une indemnisation satisfaisante ? J'exagère peut-être, mais le système n'engendre-t-il pas une telle déresponsabilisation ?

M. Guy Chevillotte - Sur le plan de l'inflation, vous avez parfaitement raison. Depuis 1982, j'ai réglé un certain nombre de dossiers. En tant qu'experts, nous avons réglé des dossiers que nous n'aurions pas traité si la loi de juillet 1982 n'avait pas été adoptée.

La dimension politique que vous évoquiez existe indiscutablement, le bon maire se devant d'obtenir très rapidement l'arrêté ministériel et le mauvais maire ne l'obtenant pas. Nous avons pu observer que dans la région Nord, et dans les Flandres en particulier, des arrêtés ministériels « catastrophe naturelle sécheresse » ont été pris il y a moins d'un an, pour des périodes comprises entre 1994 et 1998.

M. Jean-François Picheral - Le délai est toujours extrêmement long.

M. Guy Chevillotte - Quatre ans après la survenance des sinistres, un arrêté a été pris pour une commune qui n'avait visiblement fait l'objet d'aucun arrêté « catastrophe naturelle » sur le moment, alors que toutes les communes environnantes en avaient bénéficié.

Je crois que l'effet d'inflation dont vous parlez constitue la règle du jeu. A partir du moment où le législateur a souhaité établir un régime d'indemnisation qui n'existait pas, le dispositif mis en place fait surgir de nouveaux sinistres, et génère donc un coût. Cependant, je serai tout d'abord tenté de dire qu'en contrepartie de ce coût, l'assuré a payé une surprime. Par ailleurs, je suis convaincu de l'impact économique du dispositif : en effet, je sais parfaitement que tous les dossiers que j'ai réglé dans le cadre d'un arrêté « catastrophe naturelle sécheresse » dans la région du Nord ont représenté un chiffre d'affaires considérable pour les entreprises de la région.

Par conséquent, je pense qu'un circuit économique s'établit. De la même manière, lorsque l'assurance incendie a été instituée, une potentialité de sinistres a vu le jour.

Quant à l'éventuelle déresponsabilisation des acteurs, la réponse doit être nuancée également. Elle est la même que pour l'assurance incendie.

Déresponsabilise-t-on les gens lorsqu'on leur permet de s'assurer contre l'incendie ? Les gens sont-ils moins attentifs à ne pas laisser une bougie allumée ou à ne pas nettoyer un pantalon à l'aide de détachant à proximité d'un chauffe-eau, sous prétexte qu'ils sont assurés ? Non.

Un incendie s'avère toujours dramatique quand il détruit une maison. Par suite, même s'ils sont assurés, les gens font attention à ne pas déclencher un incendie.

M. Paul Raoult - Nous sommes dans l'hypothèse d'une catastrophe naturelle. Concrètement, cet événement conduit à se demander s'il existe des moyens de limiter les effets dévastateurs de la catastrophe. La procédure des arrêtés peut donc amener à se demander si les élus et la population se sentent moins mobilisés, dans la perspective de prendre les mesures nécessaires pour empêcher la répétition d'une telle catastrophe.

M. Guy Chevillotte - Je suis d'accord avec vous, dans l'hypothèse où une personne dépose aujourd'hui une demande de permis de construire dans une zone inondable de la Somme. En effet, une telle attitude revient à se dire : « de toutes façons, s'il m'arrive quelque chose, je serai assuré ; le dommage que je subirai éventuellement n'aura donc pas de conséquences financières pour moi ». Nous en revenons à la question que j'ai soulevée tout à l'heure, c'est-à-dire à celle du repérage des Plans de Prévention des Risques (PPR) et des zones inondables. C'est le problème des permis de construire que l'on n'a évidemment plus le droit d'accorder aujourd'hui dans une zone de ce type.

M. Hilaire Flandre - Si ces catastrophes ne sont susceptibles de se reproduire que dans 100, 200 ou 300 ans, la question mérite d'être discutée.

M. Guy Chevillotte - Je suis tout à fait d'accord. Concernant la Somme, ces événements n'ont pas lieu tous les ans, sauf dans quelques zones très particulières où certaines personnes implantent des mobil homes, pour lesquels elles se font aujourd'hui indemniser, alors que le lieu où ces habitations sont installées est inondé presque tous les ans.

M. Jean-Guy Branger - La collectivité qui délivre un permis de construire tout en sachant que le terrain est inondable engage peut-être directement sa responsabilité. Je vous assure que j'ai constaté ce genre de pratiques et que la collectivité concernée a été condamnée à ce titre.

M. Paul Raoult - Les PPR clarifient tout de même les situations.

M. Guy Chevillotte - Certes, il doit être difficile pour un maire de résister à la pression. Je suis pourtant persuadé que le régime des catastrophes naturelles devrait être effectivement limité à des événements présentant un caractère catastrophique. Il me semble tout à fait normal que la Somme ait bénéficié d'un arrêté « catastrophe naturelle inondation ». Néanmoins, depuis dix ans, j'ai été le témoin de plusieurs arrêtés « catastrophe naturelle sécheresse » très discutables.

M. Hilaire Flandre - Ce constat résulte de la conjonction des intérêts des différents intervenants - compagnies d'assurance, assurés et collectivités locales, qui veulent atténuer les répercussions psychologiques de ces événements.

M. Guy Chevillotte - Les compagnies d'assurance n'y trouvent pas nécessairement intérêt - et je parle de cette question de manière tout à fait décontractée. Elles préfèreraient très certainement que la surprime se révèle complètement exagérée et ait été maintenue à 3 %, et qu'elles-mêmes n'aient jamais eu à indemniser des sinistres « catastrophe naturelle ». Si l'agent d'assurance doit annoncer à ses clients que la surprime « catastrophe naturelle » est passée de 3 à 9 %, ou de 9 à 12 %, l'assuré qui habite à Abbeville comprendra tout à fait les raisons de cette augmentation, tandis que celui qui habite dans un endroit qui n'a subi ni sécheresse, ni inondations considèrera que les assureurs n'existent que pour ponctionner de l'argent à leurs clients.

M. le Président - Je souhaiterais revenir sur un autre sujet que vous avez évoqué, en l'occurrence sur le délai qu'il faut laisser passer pour pouvoir clore les dossiers.

Sur le terrain, nous avons actuellement l'impression - je ne sais pas si c'est sous la pression des assurés ou des compagnies d'assurance - que des dossiers sont résolus relativement rapidement par un accord entre les parties. En tant qu'expert, vous conseillez d'attendre l'écoulement d'un certain laps de temps avant de traiter les dossiers, avec une clause permettant d'enclencher le traitement du dossier. Pendant combien de temps est-il possible d'attendre ainsi ?

M. Guy Chevillotte - L'attente est possible indéfiniment, à condition que le dossier reste activé de manière à ne pas encourir la prescription biennale. La prescription est biennale, les tribunaux se montrant très stricts sur la nécessité de prouver qu'aucun élément ne puisse, pendant deux ans, amener à considérer que la prescription est acquise. Je trouve tout à fait normal que les tribunaux ne soient absolument pas généreux avec les assureurs sur ce plan. Il faudrait donc qu'un dossier reste complètement fermé et inerte pendant deux ans pour que la prescription soit acquise.

M. le Président - Un courrier suffit-il à maintenir le dossier ouvert ?

M. Guy Chevillotte - Un courrier suffit. Quand nous proposons aux assurés de temporiser, ceux-ci sont les premiers d'accord, parce qu'ils trouvent cette attitude plus sage, et parce que leur expert leur a indiqué, le cas échéant, que la fermeture immédiate de leur dossier leur fait courir des risques. Les assurés acceptent parce qu'ils ont tout à fait conscience qu'ils sont aujourd'hui incapables de connaître exactement les conséquences réelles de leur sinistre, y compris dans les fondations de leur bâtiment.

A cet égard, je ne suis pas sûr que les assureurs qui ont aujourd'hui tendance à régler les dossiers importants de manière un peu rapide ne cherchent pas à le faire pour simplifier et réduire le dossier.

Cela étant, si vous acceptez aujourd'hui que votre dossier soit clos et que vous annoncez demain à votre assureur qu'en commençant les travaux, vous avez découvert des dommages plus importants que ceux qui ont été constatés, la réouverture du dossier ne sera pas difficile à obtenir. En effet, les assureurs savent très bien que pas un seul tribunal ne refuserait la réouverture du dossier pour des dommages qui ne pouvaient pas être constatés lorsque le dossier a été traité. Ce point ne pose pas de difficultés importantes.

M. le Président - Techniquement, ces dossiers présentent tout de même des caractéristiques particulières, au regard des autres expertises que vous réalisez.

M. Guy Chevillotte - Oui. Ces dossiers comportent une première inconnue, à savoir l'influence de l'immersion du bâtiment pendant une longue période. En outre, ils présentent une inconnue provisoire, qui n'est pas nouvelle mais qui nous amène à temporiser : celle-ci réside dans le fait que le sous-sol du bâtiment est encore gorgé d'eau en de très nombreux endroits. Dès lors, pour connaître les mouvements définitifs du bâtiment, le sol sur lequel ce dernier est assis doit avoir retrouvé un degré hydrométrique normal. Nous devons en effet être sûr que le bâtiment ne va pas continuer à bouger jusqu'à récupération de cette hydrométrie normale.

Au début de nos travaux, nous avons éprouvé quelques difficultés pour temporiser. Les gens avaient l'impression que la procédure avait déjà duré longtemps. Certes nous avons été confrontés à une impossibilité d'accès pendant de nombreuses semaines. Il n'était donc pas question de travailler dans ces conditions. Lorsque nous sommes enfin parvenus à accéder aux locaux qui avaient été inondés, les relations avec les assurés ont été légèrement tendues par la question des délais. Toutefois, nous ne rencontrons plus aucun problème avec les personnes auxquelles nous proposons aujourd'hui de temporiser, parce que nous n'avons pas de difficultés à leur expliquer que cette solution est la plus sage.

M. Hilaire Flandre - Ces perturbations n'empêchent pas d'indemniser certains assurés par ailleurs...

M. Guy Chevillotte - Je vous ai dit tout à l'heure que nous procédions généralement à toutes les indemnisations possibles - en particulier à l'indemnisation des biens mobiliers, tandis que nous temporisions sur les bâtiments - et en particulier sur les gros dommages bâtiments. Sur un immeuble qui aura été relativement peu atteint, parce que le dommage n'aura porté que sur le papier peint ou sur le revêtement de sol, nous pouvons indemniser l'assuré dès à présent. En revanche, sur un bâtiment dont le gros oeuvre a été endommagé, nous ne pouvons pas indemniser immédiatement.

M. le Rapporteur - Vous avez précisé que votre rôle consistait à estimer les dégâts. Une fois que vous avez procédé à cette estimation, vous informez la compagnie d'assurance du montant prévisionnel du sinistre. En retour, savez vous à quelle hauteur les assureurs indemnisent les dommages en cause ?

M. Guy Chevillotte - Tout à fait. Notre mission ne se limite pas à la fixation du montant d'un dommage. Au contraire, pour la quasi-totalité des assureurs qui nous font travailler, elle s'étend à la détermination de l'indemnité qu'ils supportent. En pratique, il est extrêmement rare qu'une compagnie d'assurance remette en cause un montant que nous avons arrêté.

D'ailleurs, dès qu'un sinistre présente une certaine importance -en l'occurrence dès que son montant s'élève à 300.000 francs, 500.000 francs ou un million de francs selon les assureurs-, nous procédons à la clôture du dossier- c'est-à-dire à la détermination du montant final de l'indemnité -en présence d'un inspecteur de la compagnie. Sur ce plan, la procédure varie considérablement d'une structure à une autre.

Certaines compagnies nous font totalement confiance pour des sommes qui sont parfois supérieures à un million de francs, dès lors que nous les informons que le dossier ne pose pas de problème particulier et peut être clos sans la présence d'un inspecteur. En revanche, l'inspecteur se déplacera, si nous souhaitons son intervention, au motif que le dossier pose un problème de garantie, et ce alors même que le dommage ne s'élèverait qu'à 200.000 francs.

D'autres compagnies fixent des plafonds plus bas que ceux évoqués précédemment : l'un de leurs inspecteurs sera présent et participera à la détermination de l'indemnité, même dans le cas de sinistres d'un montant peu élevé.

En toute hypothèse -sauf cas très spécifique-, le montant de l'indemnité n'est jamais remis en cause par l'assureur lorsqu'il a été arrêté par l'expert dans des conditions normales.

M. Jean-François Picheral - Au stade actuel des procédures, pensez-vous qu'un certain pourcentage d'habitations devra être détruit ? Pouvez-vous dès à présent vous prononcer sur ce point, ou ne faites-vous que l'envisager pour le moment, compte tenu de la complexité et de l'ampleur des dégâts ?

M. Guy Chevillotte - Je suis également très prudent sur ce plan. J'avais pris une position beaucoup plus nette il y a un mois et demi, lorsque j'ai commencé à être interpellé par différents médias.

En effet, la Fédération française des sociétés d'Assurance avait à l'époque estimé à hauteur de 300 millions de francs les dommages subis par 3.000 maisons, ce qui représentait un montant de 100.000 francs par sinistre ne correspondant évidemment pas à la réalité. Bénéficiant, il y a un mois et demi, d'une vision extrêmement réduite de la situation, j'avais jugé à cette époque que ce montant devait être doublé, voire triplé. L'impression que j'avais à ce moment-là semble totalement confirmée aujourd'hui. En effet, si l'expertise met en lumière un certain nombre de dossiers de moindre ampleur - 30.000 francs, 50.000 francs, 100.000 francs-, d'autres dossiers se révèleront beaucoup plus importants.

Or certains bâtiments ne pourront pas être réparés, même s'il est encore un peu tôt pour ce prononcer sur ce point, comme je vous l'ai indiqué tout à l'heure.

Ce processus posera d'ailleurs un autre problème : nous allons nous heurter à une question que nous évoquions précédemment, à savoir celle de la délivrance des permis de construire en zone inondable. Qu'adviendra-t-il dans l'hypothèse où la compagnie indemnisera l'assuré du prix de sa maison parce que cette dernière doit, d'un point de vue technique, être détruite, et alors que l'assuré n'obtiendra pas le permis de construire pour la rebâtir ? Il est admis que cet assuré sera en possession d'un terrain qui aura complètement perdu sa valeur.

J'évoque ce problème parce que nous sommes ici pour discuter de l'ensemble des questions qui peuvent se poser. Néanmoins, je ne suis absolument pas concerné par cette dimension de l'indemnisation, dans la mesure où le contrat d'assurance ne garantit pas du tout la dépréciation d'un terrain devenu inconstructible. L'assuré sera indemnisé de la valeur de reconstruction de son immeuble, alors que tout le monde saura à ce moment qu'il ne pourra pas le rebâtir au même endroit.

M. Jean-François Picheral - Pensez-vous que ces cas seront nombreux ?

M. Guy Chevillotte - Très certainement.

Je suis actuellement incapable de vous fournir un ordre de grandeur, que ce soit sous forme de chiffres bruts ou de pourcentages, puisqu'il s'agit bien de dossiers extrêmes. Nous savons aujourd'hui qu'un certain nombre de bâtiments devront être détruits. Une interrogation subsiste encore concernant de nombreux bâtiments, pour les raisons auxquelles je faisais allusion tout à l'heure, à savoir la récupération par le terrain d'un degré hygrométrique normal, et par suite la fin des mouvements du terrain sous-jacent - et donc la fin des mouvements du bâtiment.

M. Jean-François Picheral - Il n'existe tout de même qu'un petit pourcentage de cas de cette espèce.

M. Guy Chevillotte - Oui, ces cas représentent un petit pourcentage.

M. le Président - Nous avons évoqué le chiffre de 5 %. Je ne sais plus qui a avancé ce chiffre, mais il me paraît très élevé.

M. Guy Chevillotte - Je dirais que ces cas représentent entre 1 et 5 % de l'ensemble des sinistres.

M. le Rapporteur - Je suis surpris par vos propos.

D'une part, sur le terrain, je n'ai pas du tout cette sensation concernant les habitations qui seront détruites, parce que tout le monde commence à réparer et reconstruire des maisons qui ont été complètement inondées pendant plus d'un mois.

D'autre part, concernant les préjudices et la clôture des expertises, j'ai rencontré des personnes qui se sont accordées avec leur assureur. Elles ont cependant précisé que cet accord était intervenu après la tenue de négociations. Les dossiers sont clos, mais seulement après une négociation. Ainsi, je peux citer quelques exemples d'indemnités attribuées dans un climat qui semble satisfaisant, avec une clause précisant que les dommages qui viendraient à être découverts ultérieurement seraient pris en charge par la compagnie d'assurance.

M. Guy Chevillotte - C'est ce que je vous disais tout à l'heure : Je pense en effet que si une personne souhaite clôturer le dossier à la condition de pouvoir émettre des réserves quant à l'accord qu'elle donne à l'assureur, la procédure ainsi organisée ne pose pas de difficulté particulière avec la compagnie d'assurance.

En revanche, je peux vous affirmer que pour un certain nombre de bâtiments, mes confrères et moi-même avons proposé d'attendre avant de procéder à l'expertise, et ce même si le sinistre est important, parce que nous sommes pour l'heure incapables de dire quels seront finalement les dommages. Cette solution est techniquement raisonnable et ne pose aucun problème avec les assurés, qui ont conscience qu'une expertise immédiate leur ferait courir le risque d'une indemnisation très partielle, voire d'une orientation erronée de l'expertise. En effet, un bâtiment peut aujourd'hui sembler réparable et ne plus l'être demain. Toutefois, le pourcentage de ces hypothèses n'est effectivement pas très élevé.

M. le Rapporteur - Vous avez affirmé tout à l'heure ne pas être concerné dans le cas de dommages subis par des personnes qui ne sont pas assurées. En tant que citoyen, cette position ne vous gêne-t-elle pas sur un plan moral ?

M. Guy Chevillotte - Si, absolument.

M. le Rapporteur - Précisément, dans la mesure où vous êtes au fait de toutes ces questions, n'avez-vous pas imaginé quelles solutions pourraient être proposées pour remédier à la carence d'assurance de la part de certaines personnes ?

M. Guy Chevillotte - La question ne doit pas nécessairement être posée aux assureurs, qui vous répondront : « mon métier consiste à offrir une prestation d'assurance et, de ce fait, une personne me paye une prime, en contrepartie de laquelle je donne une garantie ».

Il n'empêche que sur le plan de la citoyenneté, je vous rejoins complètement.

Pour régler ce problème de la non-assurance, deux solutions s'offrent à vous.

La première consiste à trouver des formules telles que les gens aient tous conscience de la nécessité de l'assurance et s'assurent de ce fait. A ce titre, nous avons évoqué la nécessité de l'information, même si elle existe déjà de manière conséquente. Nous avons également soulevé le problème économique qui existe à l'évidence lorsque certaines personnes ne payent plus leur prime en raison de difficultés, et ne sont plus assurées de ce fait. Par conséquent, la première solution consiste à informer les gens pour qu'ils prennent conscience de l'importance de la garantie et s'assurent.

Toutefois, si les gens, une fois informés, persistent néanmoins à ne pas s'assurer, la seconde et dernière solution consiste à trouver un système quelconque d'indemnisation de ces personnes. Dans cette hypothèse, nous serons alors confrontés au phénomène de déresponsabilisation auquel vous faisiez précédemment allusion.

M. Hilaire Flandre - Nous pourrions également mettre en place une obligation d'assurance.

M. Guy Chevillotte - Oui, mais il est difficile d'obliger les gens à s'assurer pour leurs propres biens. Cette solution met en effet en jeu la liberté des personnes, à moins d'opérer une retenue à la source sur leur salaire en vue de souscrire une assurance pour leur compte. Cette solution semble un peu extrême.

M. Hilaire Flandre - Je vous rassure : je ne suis pas favorable à l'assurance obligatoire. Cependant, les gens doivent sans doute être davantage prévenus que le régime « catastrophes naturelles » ne permet d'indemniser que les personnes qui sont assurées. Celui qui n'est pas assuré doit savoir qu'il prend non seulement un risque général pour ses biens - ce qui reste son problème, mais qu'il prend également le risque de ne pas être indemnisé dans le cas spécifique d'une catastrophe naturelle.

Le même raisonnement peut être tenu pour les calamités agricoles : les personnes qui n'ont pas souscrit au moins une assurance incendie et tempêtes perdent leur récolte.

M. Guy Chevillotte - Je crois que les gens ont conscience qu'ils ne seront pas indemnisés s'ils ne sont pas assurés. Vous évoquez un autre aspect du problème qui est tout à fait remarquable : en partant du principe qu'un certain pourcentage de la population ne sera de toute façon pas assuré, comment peut-on faire pour les indemniser ?

M. le rapporteur - Imaginez-vous ce qui se produira dans la Somme ? Les pouvoirs publics ont affirmé que la collectivité devait aider le plus rapidement possible les personnes qui n'étaient pas assurées, au motif que ces dernières n'avaient pas la capacité économique de s'assurer. Or, dans la mesure où je connais concrètement la situation, je peux vous garantir que ce postulat est totalement erroné : ceux qui ne s'assurent pas ne sont pas forcément ceux qui n'en ont pas les moyens. La population des non-assurés compte de nombreuses personnes qui ne veulent pas s'assurer. Or ces gens-là seront convenablement indemnisés. Dès lors, pourquoi s'assureraient-ils demain ? Et pourquoi les autres continueraient-ils de s'assurer ?

M. Guy Chevillotte - Dans le régime des catastrophes naturelles, les personnes non-assurées ne seront pas indemnisées.

M. le Rapporteur - Elles ne seront pas indemnisées dans le cadre du régime des catastrophes naturelles, mais le ministre a précisé que la solidarité nationale devrait jouer.

M. Jean-Guy Branger - Il est certain que certaines personnes ne veulent pas s'assurer. Je préside un office départemental d'HLM. Les occupants de ces habitations doivent s'assurer, la non-exécution de cette obligation constituant une cause de rupture de contrat. Je leur demande donc de s'assurer, et leur ai même adressé deux lettres de relance. Malgré cela, le pourcentage de non-assurés que je gère reste important. A l'évidence, ces personnes ne veulent pas s'assurer.

M. Guy Chevillotte - Savez-vous comment ces organismes procèdent aujourd'hui ? Ils souscrivent un contrat spécifique afin de garantir, pour le compte de leurs locataire, la responsabilité locative de ces derniers.

Nous nous orientons effectivement vers une déresponsabilisation. Or cette tendance est dramatique.

M. le Président - Monsieur Chevillotte, nous arrêtons maintenant cette discussion et je vous remercie.

43. Audition de M. Alain Martel, directeur adjoint des sinistres aux Mutuelles du Mans Assurances (MMA) (18 juillet 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui M. Alain Martel, directeur adjoint des sinistres aux Mutuelles du Mans Assurances (MMA) accompagné de M. Laurent Chamailloux, responsable des sinistres pour le Nord de la France.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Alain Martel et Laurent Chamailloux

M. Alain Martel - Je suis directeur des sinistres pour le département spécialisé dans toutes les matières autres que la circulation automobile, et ce pour le compte des MMA, mais également d'autres sociétés filiales ou adhérentes, telles que les Caisses d'épargne ou la société Carma du groupe Carrefour. De surcroît, je représente aujourd'hui la MAF.

J'ai essayé de réunir non seulement des informations relatives aux sociétés que je représente aujourd'hui, mais également des chiffres mis à la disposition du public par la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA) et du Groupement des entreprises mutuelles d'assurance (GEMA). En effet, ma fonction actuelle aux MMA engendre mon appartenance à la « famille » FFSA, tandis que le fait d'appartenir à la MAF a pour effet de me faire appartenir également à la seconde famille des assureurs, qui est celle des mutuelles sans intermédiaires, à savoir le GEMA.

Votre première question portait sur le bilan des dégâts suite aux inondations de la Somme. Concernant nos deux sociétés d'assurance, ce bilan est mineur par rapport à l'ensemble de la sinistralité.

D'une part, la MAF couvre aujourd'hui trois cents sinistres environ, pour un montant tournant autour de douze millions de francs, ce qui représente une somme peu importante. D'autre part, pour les MMA, les inondations de la Somme ont engendré à peu près cent cinquante sinistres, pour une somme avoisinant les quinze millions de francs.

En outre, une mission a notamment été diligentée par la FFSA et le GEMA. Dénommée Mission des risques naturels (MRN), elle suit tous les événements climatiques de France, afin d'en tirer une politique cohérente entre les différentes sociétés d'assurance.

La FFSA et le GEMA estiment aujourd'hui que les inondations de la Somme ont généré 3.000 sinistres environ, dont 2.000 seulement ont fait l'objet d'une déclaration. Le chiffre de 3.000 sinistres n'est actuellement pas encore validé par les remontées des différentes sociétés d'assurance. Cent cinquante PME ont souffert des événements climatiques de la Somme ; une centaine de communes ont déclaré des dommages aux biens appartenant à la commune. Le chiffre aujourd'hui annoncé est celui de 300 millions de francs, même s'il semble légèrement en deçà de la vérité d'après les dernières informations. Toutefois, ce chiffre a été cité le 4 juillet par la FFSA.

En conséquence, le bilan économique s'élèverait plutôt à un milliard de francs, comparé aux 300 millions de francs, qui représentent la matière assurable. Ce chiffre comprend bien sûr les pertes d'exploitation, les dommages causés au matériel et mobilier professionnel, les dommages automobiles et les risques privés.

Quelles sont les incertitudes actuelles s'agissant du coût véritable de ces sinistres ?

Je dirai que le recensement des dommages n'est pas terminé. Tous les clients n'ont pas encore fait remonter au siège le nombre exact de dossiers. On a cité un coût de 100.000 francs. En effet, 3.000 sinistres coûtant trois cents millions de francs aboutirait à un coût moyen de 100.000 francs par sinistre. Or ce chiffre correspond parfaitement -même dans la fourchette haute- à des événements climatiques comparables à celui de la Somme.

Comment apprécions-nous le coût de cette crue par rapport à celui d'autres catastrophes naturelles ?

Je prends quelques exemples récents, comme les inondations de Bretagne en décembre 2000 et janvier 2001 : aujourd'hui, le bilan de ces événements est beaucoup plus consolidé que celui de la Somme, puisque nous disposons de davantage de recul dans le temps.

Les sociétés d'assurance communiquent le chiffre de 6.500 dossiers pour les deux événements climatiques ayant eu lieu sur la Bretagne, générant un coût global de 450 millions de francs, ce qui correspond à un coût moyen d'environ 70.000 francs par sinistre. Ce montant est déjà inférieur à celui des estimations pour les inondations de la Somme. Certes, à y regarder de plus près, ces 450.000 francs correspondent à deux événements distincts et l'événement climatique le plus violent constitué par les inondations de décembre 2000 d'une part et l'événement climatique moins important du mois de janvier 2001 d'autre part. Si l'on considère l'événement le plus important, en l'occurrence celui de décembre, son coût moyen se situe plutôt aux alentours de 90.000 francs.

Quelle catégorie de dommages pèse le plus lourdement dans les sinistres « catastrophes naturelles » ?

Globalement, et d'après les informations qui nous sont remontées, nous ne sommes pas confrontés aujourd'hui à un pourcentage d'entreprises touchées beaucoup plus important que dans d'autres événements comparables.

Je prends les exemples de l'Aude en novembre 1999, ou celui de la Bretagne en décembre 2000. Dans ce dernier cas, le nombre de sinistres aux entreprises ne représentait que 20 % des dommages ; en revanche le coût de l'indemnisation de ces entreprises représentait 80 % des sommes allouées. En outre, 65 % de cette proportion consistaient en dommages Assurance Multirisque Habitation (MRH). En fait, le coût de ces 65 % de dossiers MRH ne représentait que 25 % de la somme payée.

Concernant les indemnités de la Somme, aucun élément ne semble donc annoncer un dépassement très important de la première estimation qui s'élevait à 300 millions de francs. Cette somme se révèlera peut-être légèrement inférieure au montant réel de l'indemnisation, mais elle devrait être en adéquation avec le nombre et la nature des sinistres connus.

L'une des question qui m'étaient posées portait sur les éventuelles particularités des sinistres de la Somme. Certes, ces derniers présentent certaines particularités. J'en ai d'ailleurs identifié plusieurs.

Tout d'abord, l'une des particularités de la catastrophe de la Somme réside dans la longueur de l'événement. En effet, l'eau a stagné longtemps dans les sols et sous-sols, ce qui s'avère problématique par endroits, puisque leur déstabilisation va entraîner dans certains cas des travaux de confortement ou de destruction d'un certain nombre de bâtiments.

La longue durée du sinistre a également provoqué des complications au niveau du traitement de décontamination et de celui d'assèchement, notamment de toutes les installations électriques.

Nous sommes donc à ce titre en présence d'éléments de surcoût, qui sont non pas anormaux mais spécifiquement liés à la durée de l'événement.

Par ailleurs, d'autres critères peuvent entrer en ligne de compte pour mettre en lumière le particularisme de la catastrophe naturelle de la Somme. Par exemple, le taux de TVA applicable aux maisons les plus touchées ne sera pas celui de 5,5 %, parce que nous nous situons dans le cadre d'une reconstruction. Or, malheureusement, le taux de TVA de 5,5 % ne s'applique pas dans ce cas. Cet élément constitue aussi un facteur de surcoût potentiel.

Enfin, conformément au code des Assurances, je dirai qu'un certain nombre de zones seront certainement déclarées impropres à l'urbanisation, ce qui entraînera soit des mesures d'expropriation, soit des refus de permis de reconstruire.

Dans ce cas, le code des Assurances est très clair : depuis la loi du 2 février 1995, il prévoit que les assureurs ne peuvent opposer à un assuré la déclaration administrative de non-reconstruction sur son assiette foncière auquel il serait éventuellement soumis. En d'autres termes, nous sommes « contraints » de régler la valeur à neuf du bâtiment, et ce même si ce dernier n'est pas reconstruit sur son assiette d'origine. Cette disposition constitue ainsi la seule clause véritablement dérogatoire au contrat d'assurance.

Cette règle représente le premier élément conduisant à citer de plus en plus souvent le chiffre de 5 % de dossiers sur les 1.700 ou 1.850 maisons d'habitation sinistrées qui seraient soit à démolir, soit situés dans une zone rouge sur un PPR définitivement arrêté.

Plus généralement, je constate que nous connaissons une évolution du climat.

Concernant la Somme, et au regard de l'ensemble de ces éléments, nous sommes confrontés à une inondation d'un type nouveau, qui, malheureusement, sera certainement amenée à se répéter dans le Nord de la France. En effet, les études climatologiques conduites par la FFSA tendent à démontrer que depuis une dizaine d'années, cette région est soumise à un niveau de pluviométrie accentué, en particulier depuis les trois dernières années

Parallèlement, nous subissons une aggravation dans la zone Sud, du fait d'une sécheresse accompagnée d'une réhydratation des sols qui a coûté seize milliards de francs au régime des catastrophes naturelles, et qui constitue l'élément principal de la déstabilisation de ce régime, bien plus que l'inondation de la Somme.

Le troisième élément qui met en péril l'équilibre du régime des catastrophes naturelles réside dans les orages violents que connaît désormais le Sud de la France. A cet égard, les événements observés à Vaison-la-Romaine, à Nîmes ou dans l'Aude en novembre 1999 se reproduiront à une fréquence malheureusement beaucoup plus importante -c'est-à-dire à des intervalles de temps nettement moins longs, et avec des conséquences financières de plus en plus lourdes. Les orages de novembre 1999 ont en effet coûté près de 2 milliards de francs, pris sur le budget du régime des catastrophes naturelles, ce qui en fait l'un des dix événements les plus onéreux depuis que ce système a vu le jour.

Pour faire face à ces mutations, nous avons mis en place une Mission sur les risques naturels, qui se définit comme un groupe de travail et d'analyse permanent, qui publie ses rapports une fois par an au mois d'octobre.

La FFSA a établi en octobre 2000 un bilan historique complet de 1982 à 1999 sur l'évolution du régime des catastrophes naturelles. Je l'ai apporté et peux donc vous le laisser si vous le souhaitez. Il est publié et envoyé à toutes les organisations professionnelles qui le souhaitent.

Un autre rapport est paru le 6 juillet : il fournit des recommandations à toutes les sociétés d'assurance sur les mesures d'indemnisation qui doivent être appliquées aux sinistres survenus. Aujourd'hui, 99 % des compagnies ou des sociétés d'assurance qui travaillent en France suivent ces conseils. Ce rapport leur sert donc de référence. Ces recommandations plaident pour ne pas accélérer les mesures définitives de règlement de sinistres prises envers les assurés dont les maisons ou les bâtiments professionnels sont endommagés. Dans cette perspective, nous avons classifié les dommages sur le bâti en cinq catégories :

- les trois premières permettent une indemnisation relativement rapide, après une expertise et une offre, bien entendu ;

- les deux dernières mettent en garde les assureurs, demandent qu'une provision rapide soit délivrée, que des procédures de relogement soient mises en oeuvre - avec prise en charge d'un certain nombre de frais tels que ceux de déménagement, et prévoient enfin une période d'observation, car nous pensons que certaines maisons ne pourront pas être expertisées correctement avant l'automne 2001.

A ces recommandations publiques est annexé un rapport d'expertise type, que chaque compagnie d'assurance doit normalement envoyer à son réseau d'experts. Pour les sinistres les plus importants, ce rapport type doit servir de support pour l'ensemble des sociétés d'assurance. Il permettra également d'étudier l'évolution de l'indemnisation des futurs événements climatiques similaires. Il s'agit bien d'un rapport communiqué à toutes les compagnies d'assurance, et publié sur le site Internet de la FFSA.

Enfin, s'agissant de l'une de vos questions relative à la déresponsabilisation, je n'ai pour l'heure aucun avis sur le rapport de la Cour des Comptes que je n'ai pas lu : je me bornerais seulement à dire que les assureurs sont loin de se déresponsabiliser sur le risque « catastrophe naturelle ».

M. Hilaire Flandre - La question relative à la déresponsabilisation ne mettait pas en cause les assureurs.

M. Alain Martel - La question porte également sur ce sujet précis. C'est en tous cas de cette manière qu'elle peut être interprétée.

Je dirai qu'aujourd'hui, les assureurs ne se déresponsabilisent pas. Au contraire, ils prennent les mesures leur permettant d'analyser les évolutions du processus indemnitaire et l'absence d'assurance dans certains cas. A cet égard, nos garanties ont largement évolué. Bon nombre de clients professionnels et privés peuvent aujourd'hui s'assurer en dehors de tout décret « catastrophe naturelle » pour des éléments de nature similaire à un événement climatique. Actuellement, les assureurs offrent des garanties de dommages permettant de prendre en charge les risques d'inondation, d'avalanche, etc...en dehors de tout décret d'arrêté « catastrophe naturelle ».

Ressemblant quelque peu au système américain, le régime des catastrophes naturelles est mixte. Il joue à la fois sur le principe de la solidarité nationale et sur la logique du marché. En d'autres termes, le taux, aujourd'hui fixé par l'Etat, offre la capacité aux assureurs de trouver un réassureur doté de capacités illimitées - c'est en tous cas de cette manière que la capacité de réassurance de la Caisse centrale de réassurance (CCR) est présentée.

Pour ce faire, en premier lieu, la CCR recouvre 50 % des primes perçues au titre de la garantie « catastrophe naturelle » ; elle doit automatiquement reverser, sur présentation des compagnies d'assurance, 50 % des sommes versées au titre des différents arrêtés. Les 50 % restants sont pris sur les fonds propres des assureurs, alimentés par une partie des 12 % précédemment cités, puisque depuis la loi Barnier, une petite partie est prélevée pour alimenter partiellement le fonds d'expropriation. Une part de ce régime est donc assumée par les compagnies d'assurance sur leurs fonds propres.

En 1999, la CCR présentait une insuffisance ; une recapitalisation de trois milliards de francs a donc été opérée par l'Etat pour aider cet organisme à faire face à son engagement de réassurance.

En second lieu, les compagnies d'assurance s'organisent afin de pouvoir régler les sinistres lorsqu'ils surviennent. Nous constituons deux sortes de réserves : d'une part, des réserves légales, qui nous sont imposées à hauteur des chiffres d'affaires que nous réalisons et d'autre part -lorsque l'assureur est prévoyant- une « provision d'égalisation », c'est-à-dire que nous avons le droit de sortir une certaine réserve des boni de l'exercice pour constituer des provisions.

Sur les trois dernières années, les compagnies d'assurance ont puisé très largement dans les provisions pour supporter le coût généré par la tempête de la fin de l'année 1999, le sinistre de l'Aude de novembre 1999, les catastrophes de Bretagne et de la baie de Somme, ainsi que d'autres événements. Par conséquent, plus d'un milliard de francs ont été à ce jour sortis des provisions d'égalisation. Ces dernières sont donc à leur plus bas niveau depuis les quinze dernières années. Ainsi, le bas de laine constitué par les compagnies d'assurance pour pallier partiellement les 50 % non couverts par la CCR se trouve amoindri d'année en année.

Actuellement, la part totale de la prime revenant au régime des catastrophes naturelles s'élève à 5,1 milliards de francs, cette somme représentant 2,70 % des encaissements au titre des dommages aux biens et du risque responsabilité civile en France et par an. Or nous devons aujourd'hui mettre en réserve comptable la somme de huit milliards de francs, afin de pouvoir payer les sinistres déclarés et ouverts.

En pratique, nous devons, sur le montant des primes, payer les investissements, les salaires, l'informatique, les locaux, etc...tous les frais auxquels une entreprise doit faire face, ainsi que la part de réassurance que nous devons renvoyer à la CCR ou à un autre réassureur. En effet, nous n'avons aucune obligation de céder 50 % à la CCR. Nous pouvons rester notre propre réassureur, ou solliciter un autre réassureur sur le marché. Les assureurs ne sont pas contraints de collaborer avec la CCR.

Ainsi, ces cinq milliards de francs - même bruts - ne représentent qu'une petite partie des sommes actuellement identifiées et devant être payées par les différentes compagnies d'assurance.

Dans ces conditions, les assureurs sont aujourd'hui très soucieux du maintien de l'équilibre économique du régime des catastrophes naturelles, tel qu'il est actuellement calculé. La prime est en effet issue de modèles mathématiques reposant sur l'aléa, c'est-à-dire sur le passé : l'assureur tire les leçons du passé, tentant par ce biais de décrypter quel sera son avenir. Or, dans l'avenir, la fréquence des événements représente un aléa primordial. Combien de fois la compagnie d'assurance devra-t-elle couvrir le même sinistre ? Une fois tous les cinq ans, tous les dix ans, tous les cinquante ans, ou tous les siècles ?

Une donnée fausse le modèle mathématique : d'une part, le taux, fixé par l'Etat, ne varie pas en fonction de la fréquence réelle des sinistres événementiels ; d'autre part, la fréquence des événements elle-même, exprimée par le nombre d'arrêtés « catastrophe naturelle » issus de décrets ministériels, n'est plus aléatoire non plus. Dans ce contexte, l'aléa du modèle mathématique n'existe plus, parce que la fréquence des sinistres résulte d'une décision humaine. Je ne porte pas de jugement sur les décisions prises. J'affirme seulement que le régime ne repose pas sur un modèle mathématique courant du point de vue des assureurs.

Je ne sais pas si j'ai été très clair, mais j'ai tenté de l'être.

M. Hilaire Flandre - Le pays connaît actuellement un accroissement des catastrophes naturelles.

M. Alain Martel - Avant et après 1982, le législateur avait conçu les sinistres « catastrophe naturelle » sur le principe de la solidarité nationale : « le montagnard paye pour la plaine, et la plaine paye pour le montagnard », selon les termes employés au cours du débat parlementaire de l'époque. Or, depuis cette période, un événement essentiel est apparu, à savoir la sécheresse. Autrement dit, le régime des catastrophes naturelles a été « asséché par la sécheresse ». C'est un mauvais jeu de mots, mais il traduit clairement la réalité.

En effet, la sécheresse touche plus de 3.000 communes françaises. Certains arrêtés « catastrophe naturelle » portent sur des périodes comprises entre dix et douze ans. En 1993, les sécheresses représentaient 12 % des sommes payées par les assureurs dans le cadre du régime des catastrophes naturelles ; en 1999, plus de 35 % des paiements effectués par les compagnies d'assurance le sont au titre des arrêtés « catastrophe naturelle sécheresse et réhydratation des sols », puisque ces deux phénomènes se développent de manière conjointe : en effet, le sol sèche après la pluie, mais il gonfle lorsqu'il pleut à nouveau.

En soit, la sécheresse est un événement naturel. Cependant, nous pouvons nous interroger sur la nature des dommages qui ont été rendus imputables à la sécheresse, notamment par diverses décisions judiciaires. Dans ce cadre, nous constatons qu'en dehors du jeu climatique normal, l'interprétation humaine des textes et des réalités a engendré un système inflationniste de prise en charge de dommages qui touchent pourtant toutes les maisons et n'appellent pas un traitement spécifique de la part de l'assuré. C'est donc bien l'interprétation -ou l'imputabilité- de certains désordres mineurs qui ont fait des événements de sécheresse le facteur principal du déséquilibre économique que subissent à la fois les assureurs et le régime des catastrophes naturelles.

M. Jean-Guy Branger - Les 3.000 communes auxquelles vous faites allusion sont-elles également réparties sur le territoire national ?

M. Alain Martel - Je ne souhaite pas faire de commentaires. Toutefois, vous pourrez aisément trouver cette information en observant les cartes géographiques annexées au rapport d'octobre 2000 ; parfaitement lisibles et fortement colorées, ces cartes démontrent une certaine propension à prendre des arrêtés « catastrophe naturelle sécheresse » dans différents départements relativement regroupés. La qualité du sol et l'exposition au soleil contribuent sans doute au phénomène.

Je vous ai fait oralement les principaux commentaires. Mais si vous souhaitez obtenir quelques précisions sur les chiffres exacts et la cartographie de l'évolution des événements et des décrets, vous pourrez les trouver dans ce document.

Je vous ai également apporté une lettre émanant de la FFSA, datant du 5 juin 2001 et qui est accessible sur Internet. Relative aux sinistres de la baie de Somme, elle restitue les principales informations que je vous ai fournies.

Vous pouvez enfin demander à la MRN de la FFSA de vous produire le rapport type d'experts sur les inondations dans la Somme, qui date du début du mois de juillet.

Le régime des catastrophes naturelles, s'agissant des récentes modifications intervenues dans le problème de l'augmentation de la prime, constitue un sujet de discussion très important. Cette thématique peut être reliée à celles de l'augmentation des franchises et de l'application des coefficients multiplicateurs en cas d'absence de PPR.

Je considère qu'il est aujourd'hui beaucoup trop tôt pour tirer un véritable bilan de ces tendances récentes.

D'une part lorsque la prime augmente de 9 à 12 %, elle se trouve déjà limitée par l'application de la taxe de l'Etat sur cet écart de 3 %. En effet, l'Etat prend son impôt sur cette variation. Par suite, cette dernière s'élève non pas à 3 %, mais seulement aux deux tiers de ce pourcentage. Cette remarque constitue le premier point de mon raisonnement.

D'autre part, les 2 % restant éventuellement sont largement battus en brèche par les réassureurs, qui démontrent que le régime des catastrophes naturelles semble à ce jour présenter quelques faiblesses sur le plan des calculs économiques à long terme - mais je resterai très prudent sur ce plan. En effet, les richesses que nous avions constituées les uns et les autres depuis 1982 sont mises à mal depuis 1991.

M. Hilaire Flandre - Qu'entendez-vous exactement par l'expression « les uns et les autres » ?

M. Alain Martel - Je parle de la CCR d'un côté, et des assureurs de l'autre.

Ainsi, de 1982 à 1991, les assureurs comme la CCR ont constitué un « bas de laine », qui est aujourd'hui largement entamé et arrive à l'assèchement depuis 1999. Cette évolution touche non seulement la CCR, qui a été recapitalisée à hauteur de trois milliards -comme je l'ai dit tout à l'heure-, mais également les compagnies d'assurance, qui doivent lourdement utiliser leurs provisions d'égalisation.

Dans ces conditions, il est un peu trop tôt pour tirer des conclusions de ces constats.

Aujourd'hui, quel dispositif peut sauver le régime des catastrophes naturelles, qui se révèle être un régime excellent en comparaison des autres systèmes européens - il est en effet unique ?

Je vous ai apporté une étude comparative des régimes existant dans les différents pays européens limitrophes de la France, que je pourrai vous laisser si vous le souhaitez. Au regard de ce document, seule la Belgique témoigne d'un projet semblant organiser une couverture des risques naturels aussi performante que celle mise en place en France. Le marché anglais n'offre pour sa part aucune solution. Quant au marché espagnol, il s'avère très hybride, tenant de toutes façons à la bonne volonté de l'Etat. Dans les autres pays, le système de garantie reste très partiel, excluant bien souvent le problème des pertes d'exploitation des entreprises.

Par conséquent, seul le régime français couvre de manière satisfaisante les entreprises en cas de catastrophe naturelle : en effet, même le système américain ne rivalise pas avec le nôtre.

Quelles mesures pourraient donc sauver aujourd'hui le régime des catastrophes naturelles ? Peut-être une redéfinition du taux contribuerait-elle à le remettre sur pieds. Un actuaire aurait la compétence pour réaliser ce calcul, sachant que je n'en ai pas moi-même la capacité. En toute hypothèse, une meilleure prévention concrète favoriserait le maintien du régime actuel.

M. Hilaire Flandre - Faites-vous référence à la nécessité d'une moralisation des pratiques ?

M. Alain Martel - Non, je préconise une véritable prévention.

En 1992 et 1993, certains ministères ont commandé des travaux que je n'ai pas pu retrouvé, mais auxquels vous accéderiez facilement. Les études en question concluaient à l'existence de 7.000 zones comportant un risque d'avalanche, d'inondation, de raz-de-marée, de tremblement de terre, etc...N'oublions pas que l'un des sinistres les plus importants de ces dix dernières années est le tremblement de terre d'Annecy, qui a généré 40.000 sinistres et coûté 500 millions de francs. Nous l'oublions : c'est sans doute le propre de la nature humaine d'oublier ainsi un tel événement.

Dans ces conditions, je pense qu'une véritable politique de prévention pourrait améliorer la situation. Toutefois, il doit s'agir d'une prévention concrète, objective et qui ne dépende pas de la seule autorité locale, parce que la prise de décision au niveau local engendre un émiettement des mesures.

De mémoire, je sais que les travaux dont je parlais plus tôt concluaient à l'existence de 7.000 zones à risques, même si le chiffre exact est légèrement supérieur. Or, actuellement, j'entends dire que pour mettre en oeuvre une prévention satisfaisante, 5.000 PPR devraient être élaborés jusqu'en 2005. Or il n'existe aujourd'hui que 2.030 PPR connus, plus ou moins correctement mis en place - voire pas du tout mis en place, et qui sont encore souvent rangés dans des cartons. De fait, ces plans consistent surtout en des déclarations administratives, plutôt qu'en réalités concrètes de terrain.

Par conséquent, et si je compare le chiffre de 2.000 PPR à celui de 7.000 zones à risque, j'en conclue qu'aujourd'hui, l'assureur est fortement exposé au risque.

A Montauban, en 1930, l'eau a provoqué 200 morts : les inondations ont généré 10.000 sinistres, l'eau est montée de dix-sept mètres. Or je ne sais pas quelles mesures sont aujourd'hui prises à Montauban - ou plutôt je crois le savoir. Dans ces conditions, si j'habitais dans cette ville, je m'intéresserai beaucoup aux PPR mis en oeuvre dans ce secteur.

Je n'habite pas à Paris. Au contraire, étant provincial, je suis très attentif à l'évolution de nos provinces, d'autant que ma clientèle se déploie dans toutes les régions de France. Je crois donc que nous devrions tout d'abord faire des recherches dans nos archives nationales : nous devons tirer de notre passé des leçons pour notre futur. Or cette exigence est trop souvent négligée. Dans ce contexte, l'assureur se pose comme le gardien du temple du passé, parce que nos taux de primes résultent du calcul mathématique des événements auxquels nous avons assisté depuis plusieurs décennies. Dès lors, je pense que le taux de prime de 12 % ne couvre pas le risque réel encouru.

A cet égard, le coefficient multiplicateur constitue à mon sens une mesure de responsabilisation, qui n'a toutefois pas vocation à s'exercer sur l'assuré. En effet, ce dernier n'a pas la capacité, en tant que citoyen isolé, de faire appliquer un PPR, ou de demander la mise en place d'un PPR ou d'une étude de PPR.

En réalité, le coefficient existe normalement pour rappeler à l'ordre les instances administratives. Malheureusement, si en Bretagne, un coefficient multiplicateur a été appliqué pour la première fois en France, je note que dans le cas de la Somme, aucun PPR n'existait au moment de l'événement. De fait, un tel plan n'a été décidé que deux jours avant la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle dans la Somme.

En termes de précautions objectives et concrètes sur le terrain, quelle valeur peut revêtir un PPR défini plusieurs semaines après l'événement, mais décidé, dans le principe, deux jours avant la publication de cet arrêté. Pour l'assureur que nous sommes, que représente un PPR pris dans ces conditions, en termes « d'assurabilité » de la zone ? Il ne représente absolument rien. L'exposition au risque reste la même.

Je crois que nous n'avons pas même envisagé le problème d'un plan pris sur cinq ans qui ne serait pas réellement et concrètement mis en place : quelle seront les positions respectives de l'Etat et de l'assureur lorsqu'une commune n'aura pas mis son plan en place, et que le préfet n'y aura pas veillé en tant qu'autorité de tutelle ? Dans cette hypothèse, je crois que le législateur devra faire face à un vide juridique. J'ai personnellement cherché une réponse à cette question dans le texte. Je n'en ai pas trouvé.

Par conséquent, devant l'allusion à une quelconque déresponsabilisation des assureurs, tous les propos que je tiens depuis quelques minutes tendent justement à démontrer que les compagnies d'assurance sont amplement responsabilisées. Ils visent à mettre en évidence tout l'intérêt que nous portons à ce régime que nous soutenons, à son évolution et à sa sauvegarde. Or le maintien de ce système suppose la mise en oeuvre d'une véritable politique de prévention en France et surtout la suppression de la balkanisation des mesures. Aujourd'hui, trop d'instances locales peuvent peser les unes sur les autres. Les événements de la baie de Somme illustrent ce dysfonctionnement : des mesures prises à Amiens peuvent se révéler parfaitement contraires à celles mises en place à Abbeville, lesquelles s'avèreront contradictoires avec celles prises dans des villes situées en aval.`

Dès lors, la politique de prévention doit certes résulter naturellement d'un processus démocratique, mais le champ dans lequel ce dernier s'exerce doit être élargi à des bassins naturels de zones à risque.

Enfin, vous m'interrogez sur les mécanismes d'indemnisation des biens non-assurables des communes.

Je suis interpellé par cette question. En effet, un grand nombre de « décideurs » issus du marché local ont certainement dû mettre en place des plans d'assurance soit pour le compte d'un Conseil général, soit pour celui d'une commune.

Je veux dire que le marché libéral offre aujourd'hui aux collectivités locales de très nombreuses possibilités d'assurance. Nous représentons un assureur important des collectivités territoriales, puisque nous assurons un tiers des Conseils généraux : nous couvrons des lycées et de multiples bâtiments.

Les difficultés que vous soulevez concernent sans doute les infrastructures appelées ouvrages d'art.

M. le Président - Nous visons les ouvrages d'art, mais également quelques autres biens non-assurables d'une autre nature, comme les terrains de sport, par exemple.

M. Alain Martel - Le terrain peut être assuré. Nous pouvons en effet garantir non pas le terrain en tant que tel, mais l'aménagement du terrain. Par exemple, les compagnies d'assurance -et pas seulement celles que je représente aujourd'hui- assurent les terrains de camping. Que couvrons-nous sur un terrain de camping, dans la mesure où rien de ce qu'il abrite ne semble pouvoir être assuré, hormis les sanitaires qui comportent généralement un bâti ? Bien souvent, nous garantissons les aménagements, les talus, les zones ombragées, les terrains de sport, la piscine, etc...

Par conséquent, je pense que les assureurs offrent aux communes une réponse aux besoins de couverture de ces biens, excepté pour quelques ouvrages d'art d'envergure tels que les ponts. Ces derniers exigent en effet d'être couverts pour des travaux de confortement importants, qui sont bien souvent déjà supportés par des subventions accordées dans un cadre qui dépasse la commune. Dès lors, il n'est pas concevable de demander à un assureur de garantir des ouvrages d'art dont le coût se révèle souvent assumé par l'Union européenne, l'Etat, le Conseil régional, le Département, une communauté de communes, etc...

Aujourd'hui, pour assurer ces infrastructures lourdes qui appartiennent à un domaine régional, départemental ou communal, je suis convaincu que nous pourrions trouver des solutions qui s'insèreraient dans un cadre plus large que celui d'une simple assurance de dommages aux biens communaux. Cette démarche supposerait d'organiser des échanges avec les assureurs et les courtiers qui assistent les communes dans la rédaction de leurs appels d'offre.

Par ailleurs, dans une commune, tous les biens -les panneaux fixes de signalisation, les feux tricolores, l'ensemble des bâtis- sont actuellement assurés. Ils le sont d'une manière plus ou moins satisfaisante, mais la qualité de l'assurance dépend aussi du prix que la commune a consenti lorsqu'elle a signe son contrat. Ce paramètre doit également être pris en compte, parce que l'assureur qui couvre le mieux n'est pas forcément celui qui dit offrir la prestation optimale au prix minimal.

M. Hilaire Flandre - Je souhaite seulement faire une remarque. Vous avez dit au début que sur les 3.000 sinistres recensés dans la Somme, 2.000 d'entre eux seulement avaient fait l'objet d'une déclaration de sinistre.

M. Alain Martel - Ce chiffre est celui que la FFSA m'a communiqué.

M. Hilaire Flandre - Comment expliquez-vous cette distorsion importante ?

M. Alain Martel - Je l'explique principalement par le phénomène de la non-assurance.

M. Hilaire Flandre - La non-assurance explique-t-elle cette distorsion pour un tiers des sinistres non-déclarés ?

M. Alain Martel - Je ne sais pas. En tous cas, l'une des explications notables réside dans la non-assurance.

M. Hilaire Flandre - Les sinistres de trop faible importance jouent-ils également un rôle dans cette distorsion entre les chiffres ?

M. Alain Martel - L'explication peut également provenir des sinistres passant sous le seuil des franchises ou de ceux dont la déclaration n'est pas encore remontée des agences au siège des compagnies d'assurance.

M. Hilaire Flandre - Je souhaite faire une seconde remarque : les entreprises sinistrées vont subir des pertes d'exploitation. Une société qui a subi des pertes de cette nature ne sera-t-elle pas incitée à se délocaliser le cas échéant, si elle se situe dans une zone déclarée à risques ?

M. Alain Martel - Nous avons récemment constaté ce type de pratiques en Bretagne, sur Quimper. Dans la région de l'Hérault, des établissements ou entreprises ont également déménagé du fait de leur exposition au risque. Je sais qu'à Quimper, deux sociétés -dont une importante- sont sur le point de changer de lieu d'implantation ou sont en cours de déménagement.

M. Hilaire Flandre - Ne faudrait-il pas tenter de cerner d'une digue  les zones exposées au risque ?

M. Alain Martel - Je ne sais pas. Je ne suis pas technicien.

Dans l'une des questions à laquelle je n'ai pas encore répondu, vous demandiez quel était le seuil d'assurabilité pour le particulier et le professionnel, lorsqu'il se situait dans une zone à risques.

Le code des Assurances est très clair sur ce sujet : avant la loi Barnier, l'assureur pouvait refuser de couvrir les risques lorsque la zone d'implantation du bâtiment était sous contrainte administrative.

Depuis la loi Barnier, le refus d'assurance est possible pour les zones rouges des PPR. Mais une personne ne reste pas non-assurée en France, parce que ce n'est pas le principe en vigueur dans notre pays. Par suite, lorsque le client potentiel d'une compagnie d'assurance a déjà essuyé deux refus d'assurance, il peut se retourner auprès du Bureau commun de tarification (BCT), afin d'obtenir la désignation d'un assureur par le BCT, qui ne peut le refuser, sous peine de retrait d'agrément de la vente d'assurance sur le territoire français. L'assureur est donc contraint d'accepter de couvrir ce risque, mais au tarif fixé par le BCT.

Dans ces conditions, à la question de savoir si les clients qui se trouvent dans des zones à risques sont aujourd'hui pénalisés -c'est-à-dire à la question de savoir si nous assistons à une moralisation des personnes les plus exposées-, la réponse est partielle : elle réside dans la surprime appliquée par le BCT, même si cette solution se révèle pourtant insuffisante. Mais elle existe.

M. le Rapporteur - Concrètement, dans la mesure où vous affirmez que le montant des indemnités avoisinera les 300 millions de francs, quel coût l'indemnisation entraînera-t-elle pour les compagnies d'assurance ?

M. Alain Martel - Le coût supporté par les compagnies d'assurance s'élèvera de fait à 300 millions de francs. La FFSA fournit le chiffre correspondant à la somme des indemnités qu'elle pense pouvoir assumer.

M. Pierre Martin, Rapporteur - D'accord, mais il serait intéressant de connaître la différence existant entre le montant de la surprime et celui des indemnités réellement payées.

M. Alain Martel - La logique induite de votre question pourrait conduire à une « démutualisation », laquelle s'avère contraire au principe d'assurance.

M. Hilaire Flandre - Si j'ai bien compris la question posée par notre rapporteur - qui est malicieux -, ce dernier souhaite connaître le rapport entre le montant des sinistres et celui des cotisations en la matière. Depuis l'ouverture du régime en 1982, les compagnies d'assurance ont encaissé un certain nombre de surprimes. A la suite des sinistres et déclarations de catastrophes naturelles, elles ont ensuite décaissé des indemnisations pour un montant donné, au bénéfice de leurs assurés. Finalement, le rapport en question est-il déficitaire ou équilibré ?

Je ne doute pas que vous nous fournissiez la réponse : vous allez nous annoncer que la surprime sera prochainement augmentée parce qu'elle s'est révélée insuffisante...

M. Alain Martel - A la page 4 du rapport que j'ai évoqué précédemment, qui est public, je lis qu'en 1997, le rapport sinistres à primes présentait un excédent minime de quelques centaines de milliers de francs, alors que les sommes engagées en cas de catastrophes naturelles s'élèvent à plusieurs milliards de francs. En 1998, le régime était déficitaire. En 1999, il serait à peine équilibré, et en 2000, il est annoncé comme déficitaire. En outre, il était largement déficitaire en 1994 et en 1995.

Dans ces conditions, je veux bien faire un rapport sinistres à cotisations...

M. le Rapporteur - Si le rapport n'était pas déficitaire, je me serais permis d'apporter une conclusion : lors de ces catastrophes, c'est naturellement la compagnie d'assurance couvrant le sinistré qui traite le dossier. Dès lors, les assureurs pourraient en quelque sorte assurer leur publicité auprès des assurés, en les dédommageant correctement.

M. Alain Martel - « C'est le serpent qui se mord la queue ». Le principe de précaution s'applique en la matière : les chiffres dont vous disposez représentent les montants des cotisations brutes. Or, l'entreprise qui accomplit la prestation de service est bien forcée de se rémunérer. Or les frais généraux d'une compagnie d'assurance représentent aujourd'hui plus de 30 % de la cotisation commerciale. La prime des catastrophes naturelles doit donc supporter 30 % de frais généraux de la vie des entreprises.

M. le Rapporteur - Etes-vous certain que les primes « catastrophes naturelles » font l'objet d'une comptabilité analytique ?

M. Alain Martel - Toutes nos garanties font bien sûr l'objet d'une comptabilité analytique.

M. Hilaire Flandre - La proportion de frais généraux ne peut que difficilement être appréciée, à moins de tenir une comptabilité analytique très approfondie.

M. Alain Martel - Nous pouvons parfaitement déterminer le montant des frais généraux que génère un sinistre dommage aux biens issu d'une eau de ruissellement ou de remontée de nappe phréatique. Nous savons très bien comment apprécier cette part de frais généraux. Autrement, nous ne parviendrons pas à rééquilibrer les résultats des compagnies d'assurance.

Si nous dépensons du côté gauche plus que nous ne gagnons du côté droit, nous déclenchons deux mécaniques négatives.

D'une part, la réassurance ira de mal en pis, puisqu'elle prend 50 % de nos débours ; j'aggraverai donc le déficit du réassureur, qu'il soit privé ou public -puisque les deux interviennent - or le réassureur me le ferait payer, parce qu'il tenterait de se rattraper de son déficit sur le long terme. D'autre part, étant donné les cycles de plus en plus courts entre deux événements climatiques, les assureurs et les réassureurs disposent de délais de plus en plus réduits pour reconstituer des réserves et étaler dans le temps le surcoût éventuel payé en trop ou dans un esprit purement commercial.

Nous aboutirions par conséquent à une augmentation objective du taux de cession de réassurance, conduisant à un découvert qui entraînerait nécessairement une relevée des primes d'assurance à 13, 14 ou 15 %.

M. le Rapporteur - Selon vous, comment la surprime évoluera-t-elle dans le temps ?

M. Alain Martel - Il est objectivement trop tôt pour répondre à cette question. Je pense seulement que les coefficients multiplicateurs ne seront pas forcément appliqués : l'exemple de la Somme nous en apporte une première preuve. Je tiens une fois de plus à souligner que je ne juge pas de l'opportunité de cette décision. En tant que technicien de l'assurance, je me dis seulement que, dès la seconde catastrophe, l'une des mesures essentielles, qui consistait dans l'application de coefficients multiplicateurs en cas d'absence ou de carence de PPR, n'a pas été appliquée. Ce constat laisse imaginer ce qui adviendra lors de la troisième catastrophe.

J'ai tenu tout ce raisonnement pour vous montrer que l'adoption d'une méthode fait par la suite jurisprudence : Si certains dommages qui ne sont pas inclus dans le risque d'inondation sont à l'avenir pris en compte, cette manière de procéder fera jurisprudence. Sur un événement, je pourrai me permettre d'outrepasser les conditions de la garantie. Cependant, au regard de cette première décision à caractère « humanitaire » ou « commercial » - on peut la qualifier à son gré -, les juges transformeraient immédiatement en matière assurable le dommage que j'ai décidé de couvrir à titre exceptionnel. Ce processus nous entraînerait dans la logique d'un régime inflationniste, auquel nos réserves actuelles ne pourraient plus répondre.

Je ne sais pas si j'ai bien répondu, mais je l'ai fait en tous cas.

M. Hilaire Flandre - Encore que la démonstration ne soit pas très convaincante...Vous m'en excuserez. En effet, les catastrophes naturelles ne représentent qu'une partie du portefeuille d'une compagnie d'assurance. Par suite, dans la mesure où un agent d'assurance ou une mutuelle peut faire valoir, en cas de catastrophe naturelle, qu'il a rapidement procédé aux estimations et payé les dégâts, cette efficacité est vite connue. Or cette réputation peut avoir des répercussions sur l'ensemble de l'activité de la compagnie.

M. Alain Martel - Quelle est votre estimation du coût des tempêtes de 1999 ?

M. Hilaire Flandre - Je n'ai aucune idée du montant global de ce coût.

M. Alain Martel - D'après les chiffres de la FFSA, les chiffres avoisinent les quarante-cinq ou quarante-neuf milliards de francs. Or, si l'on prend en considération les chiffres réels de la réassurance, ils s'élèvent alors à soixante milliards de francs.

Pensez-vous donc que les compagnies d'assurance françaises peuvent assumer une telle somme ?

M. Hilaire Flandre - Non, elles ne le peuvent absolument pas -je n'en doute pas.

M. Alain Martel - Cela leur est impossible.

Aujourd'hui, un petit effort a été fourni : il a consisté dans la prise en charge de petites garanties complémentaires. Ils ont notamment porté sur des antennes qui n'étaient pas prises en compte dans des contrats anciens, et sur des dommages survenus par tronçonnage -je crois que le bûcheronnage est le terme technique-, lorsque l'arbre tombe tout seul. Nous avons proposé des forfaits à ces assurés, malgré l'absence de garantie dans le contrat de base. Nous avons procédé ainsi par esprit citoyen.

Or, devant le retentissement de cet événement, nous serons contraints de retrouver l'équilibre économique. Nous appliquons donc une surprime de vingt francs, annoncée à tous nos clients en leur expliquant que pour payer la tempête, le montant de cette surprime est augmentée de vingt francs à partir de l'année prochaine.

Mais nous ne devons surtout pas assister à une seconde tempête dans un an ou deux, parce que le supplément de vingt francs subodore que nous ne subirons pas une tempête - ne serait-ce que partiellement analogue, avant dix, quinze ou vingt ans, selon les cas, notamment en ce qui concerne le risque agricole. Aujourd'hui, ce dernier a coûté extrêmement cher ; sans l'intervention de l'acteur économique assureur, le monde agricole ne se serait pas relevé des tempêtes de 1999.

Nous sommes sur un terrain où nous pouvons mettre à mal non seulement l'équilibre d'un régime, mais également un certain nombre de compagnies d'assurance. C'est d'ailleurs le cas : beaucoup de petites mutuelles - telles que la Société mutuelle d'assurance des collectivités locales (SMACL), qui était assureur de communes - ne se sont pas relevées des tempêtes de 1999. D'autres mutuelles ont été obligées de se réfugier auprès de sociétés plus importantes pour parvenir à indemniser les dommages causés par ces tempêtes.

M. le Rapporteur - Comment prenez vous en compte les risques annexes ? A partir du moment où la maison n'existe plus, il faut se reloger comme on peut ou comme on veut, c'est-à-dire en famille, dans un nouvel appartement ou sous d'autres formes. Comment prenez-vous en compte ces frais supplémentaires ?

M. Alain Martel - Je laisserai Monsieur Chamailloux répondre, parce qu'il s'agit de mesures plus techniques.

M. Laurent Chamailloux - Nous disposons de plusieurs approches.

Les garanties contractuelles prévoient une solution de première urgence. Les inspecteurs ont notamment la possibilité de verser une somme pouvant s'élever jusqu'à 20.000 francs, pour assurer une prise en charge complète des frais de relogement et des premières mesures d'habitation nouvelle.

Toutes les autres approches, telle que la prise de mesures conservatoires, permettent de réhabiliter le plus rapidement possible le logement sinistré.

L'assureur organise donc une prise en charge du logement, et si le logement est complètement inhabitable, une prise en charge de l'individu sinistré pour lui permettre de se reloger assez facilement. A cette fin, il met une somme d'argent déterminée contractuellement à la disposition de l'assuré, afin que ce dernier puisse pourvoir à ses premières dépenses.

M. le Rapporteur - Cette somme de 20.000 francs est-elle forfaitaire ?

M. Laurent Chamailloux - Tout à fait, elle est contractualisée et forfaitaire.

M. Alain Martel - C'est ce qui est prévu dans les contrats de notre compagnie d'assurance.

M. Laurent Chamailloux - En effet, tout dépend des contrats d'assurance. Je n'ai pas précisé que je faisais référence au contrat des MMA. Je dirai donc que selon les contrats, la somme allouée peut varier.

M. Alain Martel - Nous prenons ainsi en charge le garde-meuble, le déménagement, etc...

M. Laurent Chamailloux - En réalité, nous prenons en charge toutes les dispositions de première urgence que doit prendre une personne confrontée à un sinistre important qui rend son habitation totalement inhabitable, et devant de ce fait se reloger immédiatement. Par suite, je crois que nous pourvoyons aux frais d'hôtel pendant trois jours, et plus globalement aux frais de relogement, aux frais vestimentaires, pour lui permettre de repartir « du bon pied », et afin que l'assuré puisse continuer à mener des activités normales.

M. Hilaire Flandre - Le chèque de 20.000 francs que vous évoquez représente en fait un acompte sur les indemnités à recevoir.

M. Laurent Chamailloux - Il s'agit d'une somme de première urgence, qui n'est pas comptabilisée dans l'indemnité finale.

M. Alain Martel - C'est un « plus » que nous offrons à nos clients en cas d'événement naturel.

M. le Rapporteur - Certaines familles qui viennent de passer quatre mois hors de leur logement devront sûrement séjourner à nouveau ailleurs, pendant un délai non-négligeable. Cette situation implique que la somme de 20.000 francs constituera un acompte, l'indemnisation étant ultérieurement appréhendée en fonction du coût de ces mesures provisoires.

M. Alain Martel - Nous pouvons prendre en charge une durée « d'inhabitabilité » à dire d'expert, c'est-à-dire le loyer de la maison inhabitable. Naturellement, le loyer pris en charge est celui d'une habitation similaire à celle que la victime a quittée. Nous proposons un appartement à l'assuré qui vivait en appartement, une maison à celui qui habitait dans une maison, etc...

M. le Président - Ne prévoyez-vous pas une durée maximale de la prise en charge de « l'inhabitabilité » ?

M. Laurent Chamailloux - Cette prise en charge dure pendant une période de douze mois, prévue contractuellement.

M. le Président - Etes-vous confrontés à de nombreuses demandes de prise en charge ?

M. Laurent Chamailloux - Non.

M. le Président - J'ai le sentiment que sur le terrain, l'information relative à ces mesures ne circule pas.

M. Hilaire Flandre - Dans nos provinces, les assurés nous affirment qu'ils sont obligés de payer un loyer, parce que leur assurance ne le prendra pas en charge.

M. Alain Martel - Nos clients n'ont pas besoin d'un arrêté « catastrophe naturelle » pour être pris en charge.

M. le Président - Sur le terrain, je n'ai personnellement rencontré aucun assuré qui m'ait déclaré que tout allait pour le mieux parce que son assureur prendrait en charge son loyer...

M. Laurent Chamailloux - Lorsque vous êtes confronté à un sinistre relativement important qui nécessite une prise en charge immédiate, deux situations s'offrent généralement à vous : soit l'intermédiaire fait la demande de prise en charge, en expliquant que la personne est dans une situation qui l'exige, soit l'assureur envoie en mission un inspecteur qui se rend sur place afin d'identifier quelles mesures de première urgence doivent être prises, et notamment si le versement d'une somme pour pourvoir à ces dispositions urgentes est nécessaire.

Cependant, dans la plupart des cas, la demande n'émane pas de l'assuré. En réalité, l'assuré se plaint auprès de son intermédiaire qui est souvent un agent général. Au regard des dispositions contractuelles, ce dernier demande ensuite le versement d'une somme déterminée en vue de la prise en charge des frais d'urgence.

M. Hilaire Flandre - Ce dispositif est prévu au contrat.

M. Laurent Chamailloux - Tout à fait.

M. le Rapporteur - Vous venez naturellement de nous décrire les clauses du contrat des MMA.

Dans l'hypothèse où l'un de vos assurés profite d'un mobil home, lui accordez-vous tout de même la somme de 20.000 francs ?

M. Alain Martel - Dans le cas d'un mobil home alloué par le gouvernement, je dirai que les compagnies d'assurance devrons certainement se rapprocher des instances publiques concernant ce type de mesures. En effet, nous sommes en présence d'une mesure relevant des missions de l'Etat, au titre de la sécurité notamment.

M. Jean-François Picheral - Ces mesures sont nouvelles : elles n'avaient jamais été prises jusqu'à présent.

M. Alain Martel - Je ne sais pas. J'ai par exemple réglé des sinistres à Vaison-la-Romaine, j'ai également couvert le cyclone Louis en 1995 et 1996, et je suis enfin intervenu en Amérique du Sud : partout où je suis passé, des mesures de relogement avaient été mises en oeuvre, soit par l'Etat, soit par le Conseil général, soit par la mairie, etc..

M. Jean-François Picheral - Les mesures prises n'étaient pas de ce type.

M. Alain Martel - Des mesures ont été prises. Il est vrai que dans le cas que j'évoquais, la mesure a été considérablement « médiatisée ». Elle s'est révélée satisfaisante, mais la prise de décision n'a donné lieu à aucune concertation entre les assureurs et l'administration.

Concernant un certain nombre de nos clients, le mobil home fourni gratuitement représente presque une économie pour l'assureur, si l'on tient votre raisonnement jusqu'à l'extrême.

En pratique, au niveau du département, les FFSA disposent d'un représentant local, dans la personne d'un coordinateur « catastrophes naturelles ». Dans tous les départements, ce coordinateur existe. Leur liste officielle est connue, référencée et nominative.

Dans ces conditions, si l'autorité administrative souhaite discuter avec un intermédiaire immédiat des compagnies d'assurance, il peut s'adresser au coordinateur « catastrophe naturelle » de son département. Dès lors, le préfet, le sous-préfet ou le maire peut prendre contact avec ce dernier et lui demander d'assister aux commissions d'urgence : au moment des événements de Vaison-la-Romaine, j'ai moi-même fait partie des premières réunions, au cours desquelles nous avons par exemple décidé de prendre en charge les expropriations dans le lit de l'Ouvèze.

En baie de Somme, si une concertation avec le coordinateur « catastrophes naturelles » avait été mise en place, peut-être aurions-nous pu offrir une forme de contrepartie à « l'économie » réalisée du fait du logement dans des mobil homes supportés financièrement par l'Etat.

M. le Président - Cette concertation n'a cependant pas eu lieu.

M. Alain Martel - En tous cas, nous disposons de correspondants locaux dûment désignés et identifiés.

M. Jean-François Picheral - C'est la première fois que nous entendons parler d'un coordinateur départemental des assurances pour les catastrophes naturelles.

M. Alain Martel - Nous ne le cachons pourtant pas.

M. Laurent Chamailloux - En fait, les coordinateurs sont généralement les inspecteurs des différentes compagnies d'assurance présentes sur le terrain. Leur recensement étant réalisé, ils se révèlent parfaitement disponibles.

M. le Rapporteur - Faisaient-ils partie de la cellule de crise constituée autour du préfet ?

M. Alain Martel - Ont-ils été invités à y participer ?

En tant qu'assureurs, nous informons de l'existence du Centre d'information et de documentation des assurances (CDIA). La FFSA et le GEMA font quant à eux connaître les bureaux de représentants susceptibles de recevoir le grand public pour les informer, ainsi que le nom du coordinateur « catastrophes naturelles ». Dans ce contexte, si les autorités locales ne le sollicitent pas, il ne peut pas faire son travail.

M. le Rapporteur - Le coordinateur « catastrophes naturelles » est votre correspondant.

M. Alain Martel - Oui. Il peut s'agir d'un inspecteur des compagnies AXA ou AGF ou du groupe Azur ou MMA. Nous nous en remettons toutefois à notre représentation collective.

M. Jean-Guy Branger - Un tel délégué est-il actuellement en poste dans la Somme ?

M. Alain Martel - Nous disposons d'un représentant par département géographique.

M. le Président - Il serait intéressant de le connaître...

M. le Rapporteur - Si ce coordinateur existe, il remplit une mission. S'il remplit une mission, et puisqu'il a été informé des événements qui se produisent, il aurait pu se manifester...

M. le Président - Il est tout de même curieux que nous ne l'ayons pas rencontré.

M. Alain Martel - Invitez-le donc : il vous expliquera quel est son rôle.

M. Jean-François Picheral - Il n'a pas fait de zèle, en tous cas...

M. Alain Martel - La mission du coordinateur « catastrophes naturelles » consiste à recevoir les plaintes du public, répondre aux questions des clients sur leur contrat d'assurance et sur le mécanisme légal, répondre à une invitation de la commission de sécurité ou des différentes instances administratives pour participer au débat et informer les autorités administratives lorsqu'elles doivent prendre des décisions.

Il constitue en quelque sorte un sapiteur au service des autorités publiques.

M. le Rapporteur - Les collectivités ont créé des structures de ce type, afin de se rapprocher du public et lui donner des informations et des conseils.

M. Alain Martel - Le CDIA et le coordinateur « catastrophes naturelles » ont consacré des centaines d'heures sur le sujet de la baie de Somme. Le chiffre exact du nombre de réunions et d'heures passées à travailler sur ces questions est accessible.

M. le Rapporteur - Le coordinateur ne se serait-il pas présenté aux collectivités qui ont mis en place des structures pour concourir la même mission que lui ?

M. Alain Martel - Je ne peux pas vous répondre. Si vous interrogez la FFSA, vous obtiendrez communication du nom du correspondant du département. Je ne m'en souviens pas, parce qu'ils sont nombreux.

M. le Rapporteur - Les membres de la FFSA sont intervenus devant cette commission et ne nous ont pourtant rien dit.

M. le Président - Nous les avons auditionnés. Or cette information ne nous a pas été fournie.

M. Alain Martel - Vous pouvez la demander.

M. Jean-Guy Branger - Lorsque le coordinateur entre en fonctions, avertissez-vous l'autorité administrative ?

M. Alain Martel - En principe, il doit être connu des autorités administratives. Pendant l'année, il assure une présence permanente dans le département, dont il est généralement résident.

M. le Rapporteur - Comment aurait-il pu ignorer que des inondations s'étaient produites dans la Somme ?

M. le Rapporteur - Pour revenir à la question de la prise en compte forfaitaire d'un logement provisoire par les assureurs, peut-être certaines personnes ont-elles perçu une indemnité pour des loyers qu'elles n'ont pas payés ? En effet, les mobil homes peuvent être habités trois mois sans loyer.

M. Alain Martel - Cet état de fait ne veut pas dire que l'administré a touché une contrepartie de la part de son assurance, parce que l'assureur demande en général à l'assuré le montant du bail. Hormis les cas de fraude éventuelle ou d'un concours de circonstances, je pense que le travail des experts consiste précisément à réclamer un certain nombre de justificatifs. Ainsi, lorsque l'assureur couvre un déménagement, il le fait sur facture du déménageur.

M. le Président - Nous arrêtons maintenant cette audition et vous remercions.

44. Audition de Mme Annick Delelis, présidente du conseil d'administration de l'Agence de l'eau Artois-Picardie et de M. Martial Grandmougin, directeur adjoint (19 juillet 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui Mme Annick Delelis, présidente du conseil d'administration de l'Agence de l'eau Artois-Picardie et de M. Martial Grandmougin, directeur-adjoint.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à Mme Annick Delelis et M. Martial Grandmougin .

Mme Annick Delelis - Je suis en effet présidente du conseil d'administration de l'Agence de l'eau Artois-Picardie, fonction à laquelle j'ai été nommée par le président de la République et que j'exerce depuis le 25 mai 1999. Cette fonction est bénévole et je suis par ailleurs professeur à l'université Lille II, où j'enseigne en faculté de pharmacie.

Les agences de l'eau, au nombre de six, sont des établissements publics d'Etat à caractère administratif. Juridiquement et financièrement autonomes, elles sont soumises à la double tutelle du ministre chargé de l'environnement et du ministre chargé du budget.

L'agence de l'eau Artois-Picardie, qui recouvre les départements du Nord, du Pas-de-Calais et de la Somme dans leur entier ainsi qu'une partie de l'Aisne, est une des plus petites sur le plan territorial, mais sa circonscription présente, du Nord au Sud, des différences importantes, le régime des eaux étant au Nord lié, pour l'essentiel, au grand bassin versant de l'Escaut, à une multitude de petits bassins le long des côtes de la Manche et à un petit bassin sur la mer du Nord, celui de l'Aa.

Si je puis me permettre d'anticiper sur le calendrier européen, la future loi sur l'eau, qui intégrera la directive cadre, donnera à l'agence un bassin hydro-géographique beaucoup plus étendu et de surcroît international, l'Escaut coulant en Belgique et aux Pays-Bas. Seules deux agences françaises auront ainsi un statut international.

Aujourd'hui, notre petite circonscription n'en est pas moins une des plus peuplées, problème aggravé par un écoulement très lent des eaux dû à la faiblesse des pentes.

Telles sont les caractéristiques de la circonscription qu'il nous appartient de gérer. Ce n'est pas toujours simple : des inondations se produisent assez régulièrement, en particulier dans le Nord-Pas-de-Calais.

La situation à laquelle nous avons été confrontés dans la Somme est cependant nouvelle pour nous, même si les recherches menées par M. Martial Grandmougin, qui a pu remonter jusqu'au XVIIe siècle, démontrent qu'elle n'est pas aussi exceptionnelle qu'on pourrait le croire.

M. Martial Grandmougin - Dans « Les Inondations en France : du VIe siècle à nos jours », le livre de Maurice Champion réédité par le CEMAGREF en 2000, la Somme est citée douze fois -sans beaucoup de détails- pour la période allant de 1615 à 1850.

Mme Annick Delelis - Il s'agit en fait d'une situation qui s'est déjà produite mais elle n'a pas forcément aujourd'hui les mêmes conséquences qu'hier compte tenu de l'augmentation de la population et, surtout, du nombre de constructions le long de la Somme.

Le bassin de la Somme est très particulier parce que, contrairement à celui de beaucoup d'autres fleuves français, son écoulement est -théoriquement- assez régulier tout au long de l'année, le sous-sol, qui est essentiellement crayeux, jouant un rôle d'éponge. Or, après trois hivers extrêmement pluvieux, la craie était saturée et, dès le mois de janvier 2001, elle n'a plus absorbé les pluies, qui, au lieu d'être évapotranspirées comme elles le sont en année normale, ont ruisselé dans les cuvettes, ce qui, l'écoulement étant lent, a eu les conséquences que nous savons.

Dans le questionnaire que vous nous avez adressé, vous nous interrogiez sur le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux du bassin Artois-Picardie, en nous demandant d'insister « plus particulièrement sur la prise en compte du risque inondations ». M. Grandmougin vous a apporté la partie de notre SDAGE relatif aux inondations. Celles-ci sont, bien entendu, une préoccupation constante de l'agence. Deux chiffres l'illustrent : depuis 1995, l'agence a consacré à la lutte contre les inondations 164 millions de francs, sur un total de 610 millions de francs.

Nous sommes donc partie prenante dans la lutte contre les inondations, et cela de manière permanente.

M. le Président - Vous avez évoqué les caractéristiques de votre circonscription. La région des Wateringues en relève-elle et, si oui, qu'en pensez-vous ?

M. Martial Grandmougin - La zone comprise entre Calais, Dunkerque et Saint-Omer que l'on appelle les Wateringues fait en effet partie du bassin Artois-Picardie. Les Wateringues, ce sont 800 km² - 80 000 hectares - sans compter les bassins versants extérieurs.

Je disais que, dans l'ouvrage de Maurice Champion, la Somme était citée douze fois. La région de Dunkerque est, elle, citée trente et une fois entre 1014 et 1770, non pas, d'ailleurs, pour des inondations, mais pour des invasions marines.

La zone des Wateringues, zone plate et basse à tel point menacée par la mer que les Romains avaient jugé préférable de ne pas la conquérir et de la laisser complètement inhabitée, a fait l'objet au cours des siècles de travaux considérables. Plus récemment -à partir des années 1970- d'importants ouvrages de pompage ont été réalisés par les départements du Nord et du Pas-de-Calais. Aujourd'hui, les Wateringues disposent d'une capacité mécanique d'évacuation de l'ordre de 100 m 3 /seconde.

C'est ce qui a permis de faire face aux circonstances pendant l'hiver 1999, en particulier entre Noël et le Nouvel An, mais d'y faire face d'extrême justesse puisque toutes les marges de sécurité ont été consommées et qu'il a même fallu utiliser pour évacuer les eaux des ouvrages dont ce n'était pas la destination, notamment les pompes anti-salure de Mardyck, ce qui a accru la capacité de 18 m 3 par seconde.

Les travaux effectués sur de nombreuses années dans les Wateringues ont, évidemment, un prix : l'investissement, en coût « historique », a été de l'ordre de 170 millions de francs et le coût de fonctionnement annuel est d'environ 7 millions de francs payés par les deux départements ; un programme de rénovation des ouvrages pour 30 millions de francs -d'ailleurs financé à hauteur de 25 % par l'agence- est en cours de réalisation et s'étalera sur trois ou quatre ans.

M. le Président - Considérez-vous que, compte tenu des caractéristiques de la zone, le système des Wateringues fonctionne bien et pourrait même être cité en exemple ?

M. Martial Grandmougin - Les Wateringues ont une caractéristique originale, elle-même liée à un événement considérable, à savoir la mise à grand gabarit en 1965 de la liaison Valenciennes-Dunkerque.

M. le Président - Pour le canal du Nord ?

M. Martial Grandmougin - Non, la mise à grand gabarit des canaux du Nord de la France a été réalisée en vue d'un prolongement vers la Belgique, mais la liaison à grand gabarit avec la Seine n'existe toujours pas. C'était le projet Seine-Nord, qui, aujourd'hui encore, reste à l'état de projet. L'artère de Dunkerque à Valenciennes a désormais une section de 140 m², soit environ le triple d'une section Freycinet. En d'autres termes, c'est à des travaux destinés à la navigation que les Wateringues doivent l'avantage de bénéficier d'une artère hydraulique qui amène les eaux tout près de la mer.

Ne restait donc plus qu'à faire passer les eaux par-dessus les digues à marée haute puisque les portes à la mer sont alors fermées et qu'il n'y a pas d'écoulement -si les débits amonts sont importants-, la situation devient insupportable.

Dans la Somme en revanche, l'exutoire, c'est le canal maritime, dont la cote est relativement élevée, puis le contre-fossé, dont la capacité est modeste. Les distances sont en outre assez importantes puisqu'il y a vingt-cinq kilomètres entre Abbeville et la mer et à peu près quarante kilomètres entre Amiens et la mer, ce qui constitue une difficulté supplémentaire.

M. le Président - La situation est en effet différente.

M. Martial Grandmougin - Au lieu d'un système triangulaire avec une façade contre la mer, on a un système très allongé.

M. le Président - Et toutes les régions n'ont pas bénéficié des investissements qui, pour les raisons que vous rappeliez, ont été réalisés dans les Wateringues.

M. Martial Grandmougin - Les investissements dans les Wateringues sont importants depuis fort longtemps déjà puisque les suzerains du lieu permettaient à ceux qui les mettaient hors d'eau d'exploiter gratuitement les terres.

M. Pierre Martin, Rapporteur - Madame, vous avez indiqué que l'agence avait consacré 164 millions de francs à la lutte contre les inondations depuis 1995, ce qui équivaut à environ 30 millions de francs par an. Quels types d'intervention a-t-elle financés, en particulier dans la Somme ?

Mme Annick Delelis - Les données que nous vous avons transmises portent sur nos interventions dans tout le bassin. Il est peut-être malaisé de distinguer la part consacrée à la Somme.

M. Martial Grandmougin - J'ai fait la liste des travaux d'hydraulique, qui comprennent : l'entretien de rivières, dont la part en francs est la plus importante ; le curage des sédiments toxiques, ce qui ne concerne pratiquement pas la Somme, sauf à l'aval de Saint-Quentin, où les problèmes ont été pris en compte ; des études hydrauliques ; enfin, une série de petites actions.

Sur 600 millions de francs de travaux en cinq ans, un peu plus de la moitié a servi à l'entretien de rivières et près d'un quart au curage des sédiments pollués ; les travaux effectués après les événements de 1999 en faveur des Wateringues et de Voies navigables de France pour renforcer les digues ont représenté 50 millions de francs ; 10 millions de francs ont été consacrés à des travaux -qui sont en cours- destinés aux mesures de débit dans les canaux, travaux dont l'agence a quasiment la maîtrise d'ouvrage et qu'elle a totalement financés ; 4 millions de francs ont été alloués en faveur des étangs de la Haute-Somme, ce qui a représenté 25 % du montant des travaux ; pour la réalisation, qui n'est pas encore achevée, de l'atlas des zones inondables dans l'ensemble des bassins avec la DIREN, l'agence a versé environ 1,8 million de francs sur un total de 5 millions de francs ; enfin, elle a participé à quelques actions particulières.

Pour ce qui concerne la Somme, les étangs de la Haute-Somme y compris, l'entretien de rivières porte sur deux cents kilomètres environ.

M. le Rapporteur . Le fleuve et le canal relevant de la compétence du Conseil général, ne pensez-vous pas qu'il serait opportun que l'agence mène avec celui-ci une action concertée sur ce bassin, compte tenu des événements qui viennent de se produire ?

Mme Annick Delelis - C'est déjà le cas.

M. le Rapporteur - Je le sais, mais n'est-ce pas parfois difficile ?

Mme Annick Delelis - Si, mais, d'une manière générale, l'agence mène un nombre déjà assez important d'actions concertées avec le Conseil général de la Somme, ne serait-ce qu'en direction des zones humides, sur lesquelles nous avons commencé à travailler.

M. le Président . La convention entre le Conseil général et l'agence est cependant récente.

Mme Annick Delelis - Elle est très récente.

M. le Président - En clair, vous avez mené des actions en amont d'Amiens ; en aval d'Amiens, il ne vous a pas encore été proposé de co-subventionner des actions.

M. Martial Grandmougin - La politique d'entretien de rivières est relativement récente pour l'agence de l'eau Artois-Picardie puisqu'elle date de 1992. Elle a été véritablement lancée dans le cadre des contrats emploi-solidarité.

Lorsque le Gouvernement a demandé aux établissements publics de soutenir les contrats emploi-solidarité, nous nous sommes fixé pour principe de ne pas faire de l'« occupationnel » mais de l'utile et, dans le respect de ce principe, nous avons envisagé huit types d'action. Nous avons lancées ces actions en nous disant que, le temps qui passe étant à la fois impartial et impitoyable, nous verrions à l'usage ce qui réussirait. Et l'entretien de rivières a magnifiquement réussi !

Il n'était cependant pas à l'époque dans les habitudes de l'agence de participer à l'entretien, c'est-à-dire au fonctionnement des ouvrages « de navigation », et il y a eu certaines réticences, qui sont aujourd'hui tombées, à accorder des fonds. Selon le raisonnement qui prévalait alors, le principe de spécialité de l'établissement public interdisait à celui-ci de participer à des ouvrages relevant des voies navigables et donc hors de sa compétence.

Un tel raisonnement est évidemment inadapté aux circonstances actuelles, qui imposent de le combattre. Le conseil d'administration a ainsi récemment accepté -avec tout de même quelques petites réticences qu'il a fallu surmonter en plaidant beaucoup- de financer VNF pour la remise en état de digues ou d'ouvrages annexes qui ne sont pas - mais, vous le savez, la distinction est difficile - des ouvrages de navigation.

M. le Président . Dans le cas de la Somme, la distinction est plus simple parce qu'il n'y a pratiquement pas d'ouvrages de navigation, du moins de Péronne jusqu'à Saint-Valéry-sur-Somme.

M. Martial Grandmougin - La Somme canalisée est, au départ, un ouvrage de navigation, d'ailleurs très ancien puisqu'il a été achevé vers 1843. Cet ouvrage réalisé sur près de soixante-dix ans avait pour objet de permettre la navigation de Saint-Quentin à Saint-Valéry-sur-Somme. Aujourd'hui, la navigation commerciale y est modeste, sauf sur un petit tronçon. Il y a cependant une navigation de plaisance.

M. le Président . Oui, entre Bray et Péronne.

M. le Rapporteur - Vos interventions se sont concentrées sur la Haute-Somme parce qu'il y a dans cette zone une structure qui s'implique et réalise des travaux ; en aval, vous n'intervenez pas parce que, si des structures existent, elles s'impliquent nettement moins. Or, les différentes auditions auxquelles nous avons procédé font apparaître de la nécessité de créer une structure, ou deux structures et un syndicat mixte, permettant une prise en compte globale des problèmes, ce qui laisse supposer que l'agence sera contactée pour des interventions ultérieures.

M. Martial Grandmougin - Monsieur le Rapporteur, l'agence n'est pas elle-même maître d'ouvrage. Elle intervient s'il y a un maître d'ouvrage, un projet entrant dans ses compétences et dans son programme ainsi qu'un plan de financement, son propre apport ne couvrant évidemment pas à 100 % les projets.

Pour les étangs de la Haute-Somme, un syndicat intercommunal a été créé dans le cadre du contrat de rivière sous l'impulsion du sous-préfet de Péronne. L'agence a assuré environ 25 % du financement du curage -les sommes en jeu n'étaient d'ailleurs pas négligeables- , curage qu'elle a estimé être une excellente opération.

En revanche, si aucune structure ne s'implique et si aucune demande ne nous est adressée, par principe, nous n'intervenons pas.

M. le Rapporteur . A supposer que le département entame des travaux de curage, ce qui relève de sa compétence, peut-il compter immédiatement sur votre aide ?

Mme Annick Delelis - « Immédiatement » est un bien grand mot !

M. le Rapporteur . Le problème est qu'il y a urgence !

Mme Annick Delelis - Nous interviendrons dès l'instant où nous disposerons des décisions du conseil d'administration, mais je pense que ces décisions seront les mêmes que celles que nous avons prises antérieurement pour les interventions dans le Nord et le Pas-de-Calais, c'est-à-dire « oui » pour une participation à hauteur de 25 %. C'est la règle que jusqu'à ce jour nous avons suivie et il n'y a, à l'heure actuelle, aucune raison pour la changer.

M. le Président - Dans votre réponse au questionnaire de la commission, vous avez rédigé un paragraphe dont j'admire la prudence : « Il est à noter que l'action de l'agence en faveur de l'entretien n'a jamais été argumentée devant le conseil d'administration de l'établissement public par référence aux problèmes de maîtrise des écoulements mais par référence à l'amélioration du fonctionnement biologique de la rivière et au maintien de son pouvoir auto-épurateur. De même, et par prudence, l'entretien n'a jamais été présenté aux acteurs locaux comme la solution aux problèmes d'inondation. ».

En clair, cela signifie que, si on vous l'avait demandé avec beaucoup d'insistance, vous auriez participé à des travaux de curage.

M. Martial Grandmougin - Oui...

M. Hilaire Flandre - La mission d'une agence de l'eau est au premier chef d'assurer l'approvisionnement en eau, en quantité et, surtout, en qualité.

Mme Annick Delelis - Tout à fait.

M. Hilaire Flandre - Le reste est, pour ainsi dire, accessoire : si les agences de l'eau se chargent du curage des rivières, ce n'est que pour assurer la qualité de l'eau.

Mme Annick Delelis - Absolument.

M. Hilaire Flandre - Elles ne sont pas là pour faire ce que d'autres doivent faire ! Je le dis pour avoir moi-même travaillé à l'agence de l'eau Rhin-Meuse.

Deuxième remarque, il faut se méfier des comparaisons et, notamment, des comparaisons avec les Wateringues. Les inondations de la Somme ne se sont pas produites à l'aval d'Abbeville, ce qui signifie qu'il n'y a pas eu entre Abbeville et la mer de problème d'écoulement d'eau. C'est donc en amont qu'il faut mener les investigations. C'est vraisemblablement à la hauteur d'Abbeville -zone où la densité de la population aggrave peut-être encore le problème- que se situe le bouchon ou le frein à l'écoulement de l'eau, et donc la cause des inondations persistantes.

M. Martial Grandmougin - La loi sur l'eau de 1964 donne aux agences de l'eau une compétence explicite en matière d'inondations mais cette compétence n'a pratiquement jamais été assumée à défaut -et cela suivant une doctrine du conseil d'Etat- d'une redevance de même nature. Les interventions des agences ne peuvent donc qu'être marginales. L'article 43 du projet de loi sur l'eau, combiné avec les dispositions de notre SDAGE, nous permettrait de retrouver une compétence en matière d'inondations.

Les priorités étant fixées par la représentation nationale, si celle-ci souhaite que les agences de l'eau s'investissent -et donc investissent- dans la lutte contre les inondations, qu'elle l'écrive...

Mme Annick Delelis - Absolument : il faut trouver la contrepartie.

M. Martial Grandmougin - Le passage devant le Parlement aura l'avantage décisif de couper dans les esprits le lien entre type de redevance et type d'action. Dès lors, ce sera un acte du Parlement qui fixera le montant de la redevance perçue par les agences, à charge pour elles de remplir telles et telles missions et de rendre compte chaque année, ou tous les deux ou trois ans. Les agences seront ainsi soumises à davantage de contraintes mais elles auront aussi plus de liberté.

Quant à notre position sur l'entretien et les inondations -et je l'assume car j'ai personnellement tenu à ce qu'on l'adopte-, elle a été la suivante : l'entretien courant améliore évidemment les conditions hydrauliques tant que celles-ci sont normales mais, lorsqu'elles deviennent exceptionnelles, on change de registre. L'essentiel était qu'en entretenant les rivières on améliorait leur fonctionnement biologique et auto-épurateur. Et, après tout, quand on a beaucoup investi pour avoir des rivières un peu plus propres, on peut aussi consacrer une partie des fonds à les maintenir en bon état, y compris sur le plan de l'apparence.

Cependant, si l'entretien est une ardente obligation, il ne permet pas à lui seul de maîtriser des situations comme celles que nous avons connues au printemps et au début de l'été 2001.

M. le Rapporteur - Vous dites avoir une compétence en matière d'inondations. Vous avez donc dû examiner la question depuis les événements de mars. Auriez-vous aujourd'hui des recommandations à faire ?

Mme Annick Delelis - Elles sont multiples.

La maîtrise du risque peut passer par l'application de la recommandation suivante : éviter d'implanter quelque construction que ce soit dans les zones exposées. Cette solution est évidemment extrêmement difficile à mettre en oeuvre dans des zones à forte démographie et elle entraîne une diminution de la valeur des terrains, ce qui ne va pas sans poser problème pour les propriétaires fonciers. C'est néanmoins la solution la moins coûteuse et c'est celle qu'il faut mettre en avant.

M. Hilaire Flandre - Elle concerne l'avenir.

Mme Annick Delelis - Bien sûr, mais je parle en termes de développement durable. Cela devrait dorénavant être notre mot d'ordre.

Autre recommandation, il faut conjuguer les différentes actions -à cet égard, les agences de l'eau, qui participent déjà à l'entretien, pourraient jouer un rôle fédérateur- et tendre, dans la concertation, à une restructuration totale des bassins versants. Cela sous-entend notamment des actions concertées avec le monde agricole, éventuellement dans le cadre de contrats territoriaux d'exploitation, pour contrôler, par exemple, le ruissellement des eaux. A condition que la concertation soit très forte, des restructurations relativement peu coûteuses seraient possibles.

Quant à engager des travaux coûteux, c'est toujours envisageable, mais est-ce la véritable solution ? En outre, les chiffres avancés pour une réelle remise en état sont tellement exorbitants que l'on ne voit pas qui pourra assurer le financement.

M. le Président - Il faudra en tout cas l'étaler sur de nombreuses années.

Mme Annick Delelis - Nous avons abordé cette question avec M. Grandmougin. Bien sûr, nous inscrirons une ligne à ce titre dans le VIIIe programme, mais les interventions financières seront obligatoirement étalées sur plusieurs années. Dans l'immédiat, c'est-à-dire dans l'urgence, nous n'avons pas la capacité financière d'apporter une réponse technique.

M. le Président - L'agence dispose-t-elle d'études susceptibles d'aider le Conseil général dans la réflexion qui doit nécessairement précéder la mise en oeuvre d'un vaste programme ?

M. Martial Grandmougin - Les services du Conseil général mènent actuellement une étude sur l'aspect hydraulique, étude dans laquelle nous sommes peu impliqués. J'ai indiqué à ces services que l'agence apporterait son concours à la lutte contre les inondations dans la Somme selon les mêmes formes que dans le Nord et le Pas-de-Calais, c'est-à-dire à condition qu'il y ait un maître d'ouvrage et un projet. Le Conseil général travaille au projet et j'estime qu'il n'incombe pas à l'agence d'imposer des choix.

En l'espèce, l'équilibre est particulièrement malaisé à trouver. La politique de précaution consisterait à maîtriser très rigoureusement l'urbanisme dans les zones basses, lesquelles recouvrent une surface considérable puisque 5.100 hectares ont été inondés entre Amiens et Saint-Valéry-sur-Somme. Convient-il de geler le développement dans toute la vallée ou seulement dans certaines parties ? Faut-il recourir aux mesures administratives de précaution, très difficiles à « tenir » sur la durée mais très peu coûteuses pour les finances publiques, ou à des travaux d'hydrauliques, très coûteux mais correspondant à l'attente des habitants de la vallée ?

Un autre aspect doit être pris en compte : l'effet psychologique des inondations sur les habitants, lesquels s'inquiètent maintenant à la moindre averse.

M. le Président - Dans un domaine différent, quelles sont vos relations avec le BRGM, qui surveille la nappe phréatique ?

M. Martial Grandmougin - Elles sont de nature contractuelle : le BRGM assure le suivi des niveaux de la nappe et fournit les données à l'agence, qui, partant, finance ce suivi.

Ces données sont en libre accès au public sur le site Internet de l'agence.

M. le Président - Est-il très consulté ?

M. Martial Grandmougin - Je ne dispose pas de statistiques récentes mais les gestionnaires du site sont satisfaits.

M. Hilaire Flandre - Il s'agit sans doute surtout de données sur l'eau en tant que ressource, même si elles peuvent aussi avoir un autre usage.

Mme Annick Delelis - Absolument.

M. le Président - C'est peut-être réversible, mais la « culture » des agences de l'eau voulait jusqu'à présent qu'elles se préoccupent davantage des risques de pénurie que des risques d'inondation.

Mme Annick Delelis - C'est un fait : la vocation donnée par la loi aux agences de l'eau -et ce sera encore plus vrai avec la nouvelle loi- est d'agir préventivement pour assurer la qualité de la ressource. C'est notre vocation première, vous l'avez rappelé tout à l'heure, mais le nombre croissant de catastrophes nous contraint à adopter une politique curative -qui reste toutefois une politique au coup par coup- parfois difficile à gérer sur le plan financier, comme c'est actuellement le cas.

M. le Rapporteur . Vous parliez, madame, de « travaux coûteux ». Je ne vous demande pas d'estimation, mais à quels travaux pensiez-vous ?

Mme Annick Delelis . Il s'agit de travaux d'hydraulique : des stations de pompage pourraient être installées partout ou, du moins, dans tous les endroits « stratégiques ». Nous avons, au coup par coup, procédé à de tels travaux. Leur coût à grande échelle ne peut être évalué, mais il serait formidable. Les ouvrages, eux, n'auraient qu'une utilité ponctuelle. Est-ce vraiment la solution ?

Pour ma part, je ne le crois pas. La question doit être envisagée globalement. De ce point de vue, la loi du 3 janvier 1992 comportait une bonne mesure, à savoir l'institution des schémas d'aménagement et de gestion des eaux. Il faut espérer que la future loi sur l'eau facilitera l'établissement des schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE), qui se heurtent aujourd'hui à des blocages. Ainsi, depuis 1997, les concertations sur les tronçons de la Somme qui devaient faire l'objet de SAGE sont au point mort, sauf dans la Haute-Somme.

M. Hilaire Flandre . Il faut un patron, un chef !

M. le Président . Sans vous pousser dans vos retranchements, avez-vous ressenti des blocages territoriaux dans l'élaboration du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) ?

Mme Annick Delelis - Je les ai ressentis en permanence, même avant 1999. Jusqu'à cette date, j'étais extérieure à l'agence mais je suis une régionale et, de par mes recherches sur l'aménagement rural, j'ai toujours eu à connaître de ce problème. La situation est extrêmement difficile à gérer parce qu'elle est liée à des questions de personne. Pour ma part, je trouve dommage de réduire la loi à ce type de questions.

J'ai grand espoir dans la nouvelle loi parce que son application se fondera sur un dynamisme collectif et non plus sur une personnalité. Le système s'en trouvera assoupli et le mécanisme devrait s'enclencher. Les SAGE qui ont abouti montrent qu'il s'agit d'affaires collectives : les réunions de concertation sont alors intéressantes, le dialogue est permanent et les choses avancent. Surtout, la synergie permet une information globale, au lieu d'une information fragmentée.

C'est en accélérant l'établissement des SAGE que nous parviendrons à progresser : même s'ils n'apportent pas à court terme de solution en cas de catastrophe, ils permettront d'éviter que ne se reproduisent à l'infini les événements dont les archives gardent depuis le XVIIe siècle la trace.

M. le Président - Faut-il qu'une unité gère le bassin dans sa globalité ?

Mme Annick Delelis - Il faut à la fois une unité assurant la gestion globale, parce que les informations doivent en permanence être recueillies et circuler, et des structures chargées de traiter localement et au fur et à mesure les problèmes, l'ensemble fonctionnant dans la concertation.

M. le président - Une nouvelle loi sera adoptée dans les mois qui viennent, mais, au fond, les textes actuels ne permettent-ils pas déjà de parvenir à ce résultat ?

Mme Annick Delelis - Ils permettraient d'y parvenir...

M. le Président - ... s'il y avait la volonté politique nécessaire?

Mme Annick Delelis - Voilà ! Il faudrait surmonter les blocages politiques.

M. Hilaire Flandre - Il faudrait surmonter aussi les intérêts contradictoires !

Mme Annick Delelis - En plus ! Ajoutons les complications administratives : il faut reconnaître qu'établir un SAGE sur deux départements est un exercice délicat.

M. le Président - Devra-t-il porter sur deux départements ? L'Aisne est peu concernée et il sera sans doute possible de passer un accord.

Mme Annick Delelis - Dans l'Aisne, seule la zone de Saint-Quentin a posé problème.

En l'occurrence, je ne m'inquiète pas, précisément parce qu'il y a dans la Somme une unité administrative, ce qui n'est pas le cas dans le Nord-Pas-de-Calais.

M. le Rapporteur - Ceux qui veulent faire de la gestion de crise sont tout de même confrontés à une grande inconnue : d'après toutes les personnes que nous avons auditionnées, la crue de nappe phréatique semble impossible à gérer. Comment, dans ces conditions, gérer les inondations que, au moins partiellement, elle provoque ?

Mme Annick Delelis - C'est en cela que la situation est exceptionnelle : on ne peut pas répondre !

M. le Président - Il faut tout de même se doter de moyens ! Il ressort des propos que vous teniez à l'instant que la structure idéale devrait comprendre une unité globale, par exemple un syndicat mixte, coordonnant des SAGE locaux.

Mme Annick Delelis - Absolument ! La coordination est indispensable !

M. Martial Grandmougin - Permettez-moi de revenir sur l'expression « crue de nappe » qu'a utilisée M. le Rapporteur.

Il faut bien distinguer deux éléments : d'une part, la remontée de la nappe phréatique de la craie, qui provoque à flanc de coteau l'apparition de sources temporaires -éventuellement dans les sous-sols des maisons : il existe des photos tout à fait étonnantes sur lesquelles on voit l'eau sortir des maisons et envahir les rues- et qui est un phénomène incoercible ; et, d'autre part, le phénomène d'inondation proprement dit, qui se produit lorsque toute l'eau qui sourd à flanc de coteau se collecte en fond de vallée avec des débits tout à fait inusités que les ouvrages existants ne peuvent pas absorber.

Autant la remontée du niveau de nappe est un phénomène que l'action humaine ne peut maîtriser, autant, en revanche, on peut agir sur l'accumulation des eaux en fond de vallée, voire dans des zones habitées -je pense à la gare d'Abbeville. Or l'effet négatif essentiel des inondations, me semble-t-il, a été la submersion de zones habitées en fond de vallée et celle d'infrastructures précieuses comme des routes.

On peut répondre à cette situation soit par des mesures de précaution, en affectant des superficies au stockage de l'eau excédentaire, soit par des mesures d'hydraulique, c'est-à-dire par la construction d'ouvrages de plus grandes dimensions et éventuellement, notamment pour le canal maritime, par des ouvrages de pompage. Dans les deux cas, il faut évidemment compter avec des coûts non négligeables pour la puissance publique !

M. Hilaire Flandre - Les inondations sont tout de même restées un phénomène relativement modeste au regard des risques pour les personnes : il n'y a pas eu de mort ! Même le nombre d'habitations touchées n'est pas considérable : l'assureur que nous avons auditionné hier expliquait que pour l'instant 2.000 déclarations étaient arrivées, pour 3.000 habitations recensées.

En d'autres endroits, les inondations concernent bien plus de monde que cela ! Mais il est vrai qu'elles ne durent pas aussi longtemps.

Mme Annick Delelis - On ne peut pas avoir de crue dévastatrice, c'est clair : ce n'est pas possible. La particularité, c'est la durée, et elle a été extrêmement difficile à gérer, surtout sur le plan psychologique.

M. le Président - C'est aussi la durée qui a permis la médiatisation que j'oserai qualifier d'excessive par rapport à l'ampleur du phénomène.

M. Hilaire Flandre - Mais ce n'est pas une raison pour ne rien faire, surtout si cela doit recommencer !

M. Martial Grandmougin - On pourrait faire un parallèle avec les accidents de vaccination qui, certes, sont très rares, mais qui malheureusement, pour ceux qui en sont victimes, sont une catastrophe à 100 %.

Si l'on admet que le coût moyen des dégâts est de 200.000 francs ou 300.000 francs par maison, on arrive à un dommage de quelques centaines de millions de francs ; 1 milliard de francs serait le maximum !

M. Hilaire Flandre - Ce serait payé large !

M. le Rapporteur - On en est à 300 millions de francs.

M. le Président - Il faut y ajouter la réfection de chemins, de terrains municipaux -dommages non assurables, en plus !...

Quel fut par exemple, monsieur Flandre, le chiffrage du coût des inondations de 1993-1994 dans les Ardennes ?

M. Hilaire Flandre - Je me renseignerai pour savoir le coût que le Conseil général a supporté au fil des ans.

Il faut savoir que tous les ponts des zones inondées -certes, ils dataient de la guerre de 1914- ont été refaits. En effet, nous avons eu le malheur qu'un pont soit emporté, et deux gendarmes qui faisaient une patrouille se sont noyés : on n'a retrouvé leurs corps que quinze jours ou un mois après. Trois jeunes se sont également noyés, même si les circonstances étaient différentes : ils faisaient du canoë, ils n'ont pas vu la barrière du pont et sont tombés dans la Meuse en crue.

A la suite de ces accidents, le Conseil général a fait inspecter, sur toutes les routes départementales, l'ensemble de son parc d'ouvrages d'art soumis périodiquement à inondation et a décidé de réaliser un programme pluriannuel de réfection des ponts. Le coût était tout à fait considérable !

Bien sûr, il s'agissait d'inondations répétées, et non pas seulement de celles de 1993 et de 1995. Il est vrai que le réseau hydrologique des Ardennes n'est pas comparable à celui de la Somme et que la « culture de l'inondation » y est différente : les habitants, pour certains, y sont habitués !

Sinon, il faudrait raser tout le centre de Charleville, qui est inondé ; on ne va tout de même pas le faire.

Nous avons cependant une contrainte supplémentaire, par rapport à la Somme, liée au fait que la Meuse est un fleuve international et que, en matière d'écoulement des eaux, des traités internationaux nous créent des obligations à l'égard des Belges et des Néerlandais.

M. le Président - Dans la pratique, Madame, quels conseils donneriez-vous aux habitants de la Somme ? Quelles mesures l'agence de bassin suggérerait-elle de prendre, voire appliquerait-elle si elle était amenée à le faire ?

Mme Annick Delelis - C'est une question délicate parce que, comme je le disais à l'instant, seul le long terme permettra d'apporter un résultat, par un ensemble de mesures qui ne pourront être prises qu'à l'issue d'une concertation globale. La première chose à faire est donc de demander à toutes les parties prenantes de se réunir pour mettre en commun ce qu'elles savent et réfléchir ensemble.

Faut-il exécuter des travaux ? Procéder au coup par coup ne semble pas être une solution, parce qu'au bout du compte c'est toujours beaucoup plus coûteux et n'a pas les résultats escomptés, loin s'en faut.

Le conseil que je pourrais donner, dans l'immédiat, serait de continuer dans la voie du travail qu'a mené par exemple la Haute Somme en matière de concertation. Il faut reconnaître que le syndicat de la vallée des Anguillères a des résultats ! Mais on en revient à ce que je disais tout à l'heure à propos des SAGE.

M. le Président - Nous sommes allés voir le syndicat des Anguillères sur le terrain, il y a quinze jours, et nous avons été favorablement impressionnés.

Mme Annick Delelis - Nous avons des relations avec ce syndicat, car nous avons instauré avec lui une importante politique d'emplois-jeunes. Cette démarche est efficace et rend possible la concertation, les jeunes étant l'interface sur le terrain et faisant notamment de l'information au public.

L'établissement d'un lien direct avec le public permet aussi de faire comprendre les choses et d'éviter quelquefois des erreurs ponctuelles qui peuvent, en s'additionnant, provoquer des dégâts considérables.

M. Hilaire Flandre - Nous avons reçu hier M. René Beaumont, président de l'institution Saône-Doubs. Celle-ci, qui concerne quatre régions et neuf départements, a consacré beaucoup de temps et d'argent à des études préparatoires : depuis dix ans, son principal souci a été non pas de faire des travaux, mais de disposer d'une connaissance parfaite des caractéristiques de l'écoulement des eaux du bassin.

J'ai été très sensible à la remarque par laquelle il a terminé son propos, en nous conseillant, lors d'inondations, d'agir tout de suite pour que la population constate que quelque chose est fait, mais de ne pas en faire trop pour éviter des erreurs irréversibles.

Mme Annick Delelis - Je rejoins entièrement de tels propos !

M. Martial Grandmougin - Je souhaiterais vous remettre une carte des zones inondées entre Amiens et Abbeville que l'agence de bassin, sur ses frais de fonctionnement et en concertation avec les services locaux, a demandé à l'IGN d'établir à partir de photos aériennes. Elle ne concerne que la partie aval de la Somme, parce que, lorsque la décision a été prise de commander cette mission, il n'était plus temps de photographier la partie amont.

Mme Annick Delelis - C'est là le genre d'actions que nous avons financées.

M. le Président - Madame, monsieur, nous vous remercions d'être venus et des éclaircissements que vous nous avez apportés, ainsi que des documents que vous nous laissez.

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