C. DE NOUVEAUX ACTEURS DE TERRAIN À PROMOUVOIR
La France a derrière elle une longue tradition d'étatisme en matière de monuments historiques. Même Guizot, le libéral, se fait, dans ses « Mémoires pour servir l'histoire de mon temps », l'apôtre d'un despotisme éclairé dans lequel l'État indique « une direction éclairée au zèle des autorités locales » .
Mais, aujourd'hui, cela va dans le sens de notre histoire politique et administrative de proposer de recentrer progressivement l'État sur son coeur de métier, les fonctions régaliennes de contrôle ; celui-ci n'assurerait dans cette optique que la gestion des monuments ou des opérations qui, par leur importance, dépassent les capacités des autres collectivités publiques.
L'État doit donc envisager de passer sur le terrain le relais aux collectivités locales, d'ailleurs de plus en plus actives, tout en préservant ses prérogatives de régulateur et de garant de la protection du patrimoine.
1. Des collectivités territoriales de plus en plus présentes bien qu'inégalement motivées
Votre rapporteur spécial a pu, grâce à une enquête lancée par La Demeure historique et aux données rassemblées à sa demande par la direction du patrimoine et de l'architecture, se faire une idée de l'engagement inégal des collectivités territoriales en matière de patrimoine monumental.
a) L'effort variable des collectivités publiques induit une diversité des taux d'aide
La France n'a pas les mêmes traditions locales, le même « esprit de clocher », qui, à l'étranger, fait du patrimoine un élément constitutif de la conscience politique locale. Les républiques urbaines d'Italie, les villes libres d'Empire et les villes des Flandres possèdent un patrimoine qu'elles enrichissent depuis la fin du Moyen-age mais il faut attendre en France les années récentes pour voir apparaître la fierté , jusque là étouffée par le centralisme, des collectivités locales pour leur patrimoine.
Ce réveil patrimonial des collectivités territoriales s'est accompagné de la montée en puissance des interventions financières des départements, surtout ainsi que, accessoirement, des régions, aboutissant, compte tenu des aides de l'État et aujourd'hui de l'Europe, à des taux d'aides éminemment variables à travers le territoire national.
(1) Les aides européennes
Les aides en provenance des fonds structurels européens sont fixées pour une période qui va actuellement de 2000 à 2006. Pour en bénéficier, il faut appartenir aux zones dites de « catégorie 2 ».
L'aide communautaire présente un caractère complémentaire, en ce sens qu'elle vient s'ajouter au soutien public ou privé. Elle est distribuée sur la base des documents uniques de programmation, en l'occurrence les contrats de plan État -région, dont le volet culturel n'est qu'un aspect relativement limité.
Le taux d'intervention communautaire maximum est de 50 %, en application du règlement n° 1260/1999 du 21 juin 1999.
Le tableau ci-dessous montre que peu de régions profitent des Fonds structurels européens.
Il est impératif de profiter des facilités offertes à ce titre dans la mesure où, d'une part, les enveloppes pour la période d'après 2006 sont en cours de négociation mais pourraient bien baisser après l'élargissement, et où d'autre part à plus court terme, les aides non utilisées seront désormais caduques si elles ne sont pas utilisées dans les deux ans de l'engament des crédits, en application de la règle dite « du dégagement d'office ».
(2) La diversité des taux d'intervention de l'État
Les textes ne mentionnent aucun taux plafond pour les monuments classés, bien qu'une circulaire de 1991 recommande de ne pas dépasser 80 %. Pour les monuments inscrits, il résulte de la loi de 1913 que des subventions peuvent être attribuées dans la limite de 40 % du montant total des travaux.
En fonction des régions et des critères appliqués par le CRMH, le taux d'intervention varie de 10 à 60 % pour les monuments classés et de 10 à 40 % pour les monuments inscrits, pour lesquels la moyenne serait de 20 %.
(3) Des compléments des collectivités territoriales éminemment variables
Les interventions des collectivités territoriales ne reposent sur aucune base réglementaire définie. Certains conseils généraux rassemblent toutefois, dans un opuscule constituant un guide des aides, les règles applicables.
Ces modalités sont très variables selon les régions ou les départements ainsi que dans le temps.
L'étude lancée par La Demeure historique sur les cofinancements publics concernant les monuments historiques privés, protégés, classés ou inscrits, souligne la diversité des taux selon les régions.
Pour les monuments classés, un certain nombre de régions atteignent 50 % (Auvergne, Bretagne, Franche-Comté, Languedoc-Roussillon, Limousin, Lorraine, Midi-Pyrénées, Nord-Pas-de-Calais, Haute-Normandie, Pays de la Loire, Picardie, Poitou-Charente, Provence-Côte d'Azur) avec un maximum de 60 % pour le Limousin et le Centre.
Pour les monuments inscrits, les niveaux d'intervention effectifs sont beaucoup plus faibles. Ils se situent entre 10 et 15 % pour l'Alsace, l'Aquitaine, la Bretagne, le Centre, le Nord-Pas-de-Calais et les Pays de la Loire. Seule la région Limousin atteint le taux de 40 % pour cette catégorie de monuments.
Les interventions des conseils régionaux sont relativement limitées et concernent, en règle générale, uniquement des monuments classés , sauf pour les régions de Bretagne, de Corse et des Pays de la Loire. Ainsi, les régions Alsace, Centre, Languedoc-Roussillon, Lorraine, Midi-Pyrénées, Basse-Normandie et Poitou-Charentes interviennent de façon, présentée dans l'étude la Demeure historique, comme limitée, voire exceptionnelle.
Au niveau départemental, le taux d'intervention des conseils généraux est souvent le même pour les monuments classés et inscrits. Il varie de 5 à 50 % dans l'Oise et dans le Nord, en passant par 40 % pour des départements comme la Mayenne ou la Sarthe.
L'étude souligne la diversité de l'attitude des conseils généraux vis-à-vis des monuments inscrits : soit le taux d'intervention est supérieur à celui des « classés » pour compenser la moindre participation de la DRAC, tel est le cas des départements de l'Ain, de l'Isère, de la Moselle, de l'Oise, de la Seine-Maritime et de la Somme ; soit, au contraire, certains conseils généraux n'aident pas les « inscrits » comme dans les départements de l'Allier, des Bouches-du-Rhône, du Cantal, des Deux-Sèvres, du Lot et des Pyrénées Orientales.
En définitive, il faut souligner qu'un bon tiers des conseils généraux n'apporte aucun soutien aux travaux entrepris sur des monuments privés : Hautes-Alpes, Ardennes, Ariège, Aube, Aude, Corrèze, Creuse, Dordogne, Doubs, Essonne, Gard, Gers, Haute-Garonne, Gironde, Marne, Haute-Marne, Landes, Loir-et-Cher, Haute-Loire, Loiret, Meuse, Nièvre, Orne, Pas-de-Calais, Hauts-de-Seine, Tarn-et-Garonne, Val-de-Marne, Vaucluse, Haute-Vienne, Vosges, Yonne, Yvelines.
A ces différences de taux d'intervention, s'ajoutent des différences d'assiette et de modalités de calcul. Tandis que la subvention de l'État est définie à partir du montant total TTC des travaux, les concours des conseils généraux sont calculés, dans certains cas, sur les montants hors taxes et se basent aussi bien sur l'ensemble du coût de l'opération que sur la seule part restant à la charge du propriétaire.
Peu de départements fixent des seuils minima -ils sont par exemple de 2.200 €, soit 80.000 francs pour la Côte d'Or- ; en revanche, l'État exige un montant minimum de travaux de l'ordre de 1.500 euros ou un montant minimum de subvention de l'ordre de la moitié de ce montant.
Enfin, nombreux sont les départements qui fixent des plafonds pour le montant des travaux qui vont, dans les cas les plus fréquents, jusqu'à 150.000 € (un million de francs) 13 ( * ) .
(4) Décentralisation et égalité des monuments devant les aides publiques
Ce rapide état des lieux, qui mériterait sans doute d'être confirmé de source ministérielle, démontre la grande variabilité des interventions publiques. Non seulement les taux globaux d'intervention sont très variables selon les lieux, mais encore les conséquences de la distinction entre monuments classés et monuments inscrits sont très différentes selon les départements.
La Demeure historique s'interroge sur ce qu'elle appelle « l'égalité des chances des monuments historiques privés en matière de cofinancement public ».
La décentralisation est perçue comme un enjeu important « car elle pourra renforcer des contrastes existants ou, au contraire, les rééquilibrer »par l'association, qui conclut à la nécessité de l'intervention de l'État : « de ce point de vue là, le rôle régulateur de l'État demeure important... ».
Votre rapporteur spécial estime, en effet, la question importante, mais il s'interroge sur la compatibilité entre la volonté de laisser une plus grande autonomie aux collectivités locales, et le maintien d'une stricte égalité face aux aides publiques.
Dans une logique de décentralisation, certaines collectivités pourront faire des efforts variables dans tel ou tel domaine, et il est donc évident que tous les citoyens ne seront pas sur le même pied du point de vue de ce qu'ils peuvent attendre de la puissance publique.
A cet égard, le rôle de l'État central est précisément, non pas tant de compenser les inégalités qui pourraient résulter des différents engagements des collectivités territoriales, que de s'assurer que la protection nécessaire et suffisante des monuments est bien mise en place sur l'ensemble du territoire.
b) Vers un nouveau partage des compétences entre l'État et les collectivités locales
Le secteur culturel se prête mal au découpage et à la répartition des compétences, « du fait de l'articulation nécessaire des différentes fonctions qui le régissent et du décloisonnement des domaines artistique et culturel » , comme l'a souligné le rapport de M. René Rizzardo sur la décentralisation culturelle de 1990.
Mais cela tient, aussi, aux réticences du ministère de la culture à transférer aux collectivités territoriales des compétences qu'il s'estimait seul capable d'exercer. Les termes de la loi du 7 janvier 1983, repris à l'article L. 1111-2 du code général des collectivités territoriales, ont consacré ce non-partage des compétences culturelles en disposant que les communes, les départements et les régions concourent avec l'État, entre autres missions, au développement culturel.
Nombreux sont ceux qui sont en train de réfléchir à une nouvelle répartition des compétences entre l'État et les collectivités territoriales. A cet égard, deux approches sont concevables, une approche analytique détaillant, compétence, par compétence ce qui peut-être transféré et une approche plus globale, par bloc de compétences . Cette dernière est fondamentalement politique, et sur le contenu de ces compétences il n'y a guère de consensus et au contraire, beaucoup d'hésitations, alimentées par les expériences en cours.
Le partenariat culturel entre l'État et les collectivités territoriales connaît un début d'organisation dans le cadre de la politique contractuelle -à travers la mise au point du volet culturel des contrats de plan État-région ou l'expérience nouvelle des protocoles de décentralisation culturelle- et de l'élaboration du schéma collectif des services culturels.
En tout état de cause, il est vrai que l'on peut se poser certaines questions préalables que n'ont pas manqué d'évoquer nombre de fonctionnaires des conservations régionales, lorsqu'ils s'inquiètent de ces projets de décentralisation.
Est-il d'abord opportun de conduire une réflexion alors même que l'organisation de l'administration territoriale est susceptible d'évoluer ?
Existe-t-il une véritable demande de centralisation émanant de collectivités qui ont pu faire l'expérience ce que l'État leur transférait les compétences sans leur donner les moyens financiers de les exercer ?
(1) Un préalable : faire de la maîtrise d'ouvrage « État » l'exception et non la règle
Tout au long de l'enquête, on s'est trouvé face à un paradoxe : l'intérêt des collectivités locales pour le patrimoine , soucieuses d'animation sociale et touristique, est contredit par leur peu d'enthousiasme à assumer des responsabilités opérationnelles en matière de restauration .
Il est en tout état de cause important d'inciter les collectivités territoriales à assumer, chaque fois qu'elles sont propriétaires du monument, leur responsabilité de maître d'ouvrage .
Peut-être faut-il tout simplement donner de vraies responsabilités aux collectivités locales. Ce qui est sûr, c'est que la situation de surcharge des services des CRMH résulte, pour une large part, du fait qu'elles sont amenées à exercer la maîtrise d'ouvrage pour des monuments classés n'appartenant pas État , prestation actuellement gratuite , qui pourrait, si les habitudes n'étaient pas substantiellement infléchies, être à terme directement ou indirectement facturée .
(2) Les compétences régaliennes combinaison d'un noyau dur et de prérogatives diffuses
La plupart des professionnels de la filière du patrimoine souhaitent que le classement reste de la compétence de l'État.
Telle est la conclusion évidente qui ressort de l'examen des différents documents de travail exprimant les réflexions concertées de tout ou partie des milieux professionnels.
Pour certains d'entre eux, il faut envisager une certaine restructuration du parc d'immeubles protégés :
• Dans une hypothèse minimale, la décision d'inscription reste la compétence de l'État, le changement consistant simplement à offrir aux départements une possibilité d'initiative et d'instruction des mesures de protection, ainsi que la gestion des monuments protégés ;
• Dans d'autres schémas, la décision d'inscription à l'inventaire supplémentaire est décentralisée au niveau de la région pour les immeubles et des départements pour des objets, étant entendu que la définition de l'étendue spatiale de la protection et des abords peuvent être selon les cas relever, ou non, de l'État.
Dans une perspective plus analytique, la compagnie des architectes en chef, témoigne clairement de cette idée que les compétences forment un continuum difficile à scinder en sphères relevant de deux autorités différentes.
Ainsi, lorsqu'il évoque les possibles transferts de compétences, M. François Botton, le président de la compagnie, a tendance à raisonner par métier.
Feraient ainsi partie, de son point de vue, des « métiers de l'État » :
• l'expertise initiale, et notamment la conduite des études ;
• les décisions « opposables », et notamment les travaux d'office ;
• la gestion des immeubles appartenant à l'État ainsi que des monuments d'intérêt national majeur ;
• la péréquation entre les régions ;
• les questions de méthode pour assurer la cohérence des descriptions d'inventaire et de l'état sanitaire ;
• le contrôle de la qualification des opérateurs qu'ils s'agissent des maîtres d'oeuvre ou des entreprises ;
• enfin, le pilotage des opérations de référence ou destinées à repérer des champs nouveaux du patrimoine.
En revanche, relèveraient de la compétence des collectivités territoriales les activités suivantes :
• la surveillance de l'état sanitaire ;
• la couverture du terrain pour la définition des politiques de restauration et de programmation ;
• l'instruction des dossiers de protection ;
• la maîtrise d'ouvrage des opérations sur les édifices publics n'appartenant pas à l'État et ne constituant pas un monument d'intérêt national majeur ;
• la programmation et le financement des opérations de mise en valeur ;
• les actions tendant à la diffusion de l'information et à la communication à destination des publics.
Les ACMH soulignent l'intérêt qu'il y a à laisser le plus possible la maîtrise d'ouvrage aux propriétaires privés, sauf en ce qui concerne les études qui selon eux doivent continuer à relever de l'État , « en raison de leur caractère stratégique et de la nécessité de les abstraire d'un contexte de pure opportunité ».
Ils indiquent que ce rééquilibrage en faveur des propriétaires privés aurait un effet bénéfique en parvenant à maintenir hors du champ des marchés publics une certaine masse de travaux des monuments historiques, ce qui permettrait de conserver un vivier d'artisans spécialisés conservateurs d'un certain nombre de savoir-faire locaux dont la faiblesse administrative leur interdit de participer aux marchés publics.
(3) Les tentatives expérimentales pour définir des blocs et des niveaux de compétences
Des expériences ont d'abord été lancées au niveau réglementaire ; elles se trouvent relancées, dans des conditions non exemptes d'ambiguïtés, par l'adoption de l'article 111 de la loi du 27 février 2002 sur la démocratie de proximité
Avant d'examiner le contenu de ces transferts de compétences, il faut évoquer la question essentielle du niveau auxquelles elles pourraient être exercées : région, département, structures intercommunales ad hoc. Tel est bien un des objets des expériences en cours qui ont pour but à la fois de déterminer la nature des compétences transférables mais aussi le niveau pertinent.
Le 29 mars 2002, ont été remis à Mme Catherine Tasca et à M. Michel Duffour, alors respectivement ministre de la culture et de la communication et secrétaire d'État au patrimoine et à la décentralisation culturelle, le rapport d'étape du groupe national de suivi et d'évaluation des protocoles de décentralisation culturelle , présidé par M. René Rizzardo. Ce rapport d'étape rédigé par M. Jean-Marie Pontier, a fait un premier point des expériences en cours.
Il s'agit d'une initiative novatrice dans la mesure où l'expérimentation n'a été que rarement pratiquée, l'exemple le plus récent étant, en 1997, le conventionnement ferroviaire.
Les protocoles, qui sont présentés comme « une mise en débat des rôles respectifs des collectivités publiques » , doivent ouvrir « le champ de nouvelles articulations possibles entre les interventions des personnes publiques ». En fait, au-delà d'un vocabulaire incantatoire, il y a la volonté de dire « qui fait quoi » ou plutôt « qui peut faire quoi et à quel niveau » dans un champ culturel où les rôles sont actuellement, sinon mal définis, du moins imbriqués de façon très étroite.
Le rapport de M. Jean-Marie Pontier rappelle que l'expérimentation a pour objet de donner des indications sur le contenu et le niveau des transferts de compétences de l'État vers les collectivités locales. Il souligne, à cet égard, que le Parlement a accéléré le mouvement en formalisant l'expérimentation en cours. Il note que le champ couvert par les protocoles est plus large que celui de l'article 111 de la loi du 27 février 2002. « L'expérimentation prévue par la loi pourra donc, selon lui, se rajouter à l'expérimentation des protocoles, ou se conjuguer avec elle, mais non la suppléer ». Il précise que « les protocoles signés en 2001 ne sont pas concernés par la nouvelle loi, sauf à inclure par des avenants au protocole les possibilités nouvelles ouvertes par la loi » .
Votre rapporteur spécial a eu connaissance de la circulaire du 20 février 2002 à la signature des directeurs de cabinet des deux membres du gouvernement sus-mentionnés. Cette note précise la façon dont devront être traités par l'administration les demandes d'expériences qui pourraient être faites en application de l'article 111.
Les projets de convention rédigés au niveau local, feront l'objet d'une validation par un comité de pilotage ministériel présidé par la directrice de l'architecture et du patrimoine et comprenant des représentants de la délégation au développement et à l'action territoriale et de la direction de l'administration générale, ainsi que des services déconcentrés du ministère de la culture. Ce comité de pilotage bénéficiera de l'appui du groupe national de suivi et d'évaluation.
Les protocoles de décentralisation Aux protocoles expérimentaux lancés dans un cadre administratif, à la suite notamment d'une déclaration à l'Assemblée nationale le 17 janvier 2001 de M. Lionel Jospin, s'ajoutent désormais les expériences découlant de l'article 111 de la loi du 27 février 2002 sur la démocratie de proximité. Les sept premiers protocoles signés en 2001 ne portent pas que sur le patrimoine mais concernent également les enseignements artistiques et les arts plastiques. Ils ont été signés pour une durée de trois ans. Ils ont pour objectif : 1. de clarifier les rôles et d'identifier les nouvelles compétences culturelles pour les collectivités territoriales ; 2. de développer et d'améliorer le service public de la culture pour le patrimoine et les enseignements artistiques ; 3. de dégager les dispositions susceptibles d'inspirer les prochaines étapes de la décentralisation. On note que les partenaires de l'État peuvent être aussi bien les départements que les régions, étant rappelé que les compétences culturelles intercommunales sont du ressort de l'application d'autres textes législatifs et des dispositifs contractuels existants. Sur le plan des méthodes, les protocoles s'appuient sur un document cadre, d'orientation ainsi que sur un document de référence. Ce dernier document est éventuellement assorti d'un ou plusieurs contrats particuliers. Au-delà des moyens budgétaires déjà mobilisés, les parties prenantes, État et collectivités, apportent une contribution supplémentaire. Les expériences font l'objet d'une évaluation par un groupe national de suivi et d'évaluation, présidé par M. René Rizzardo, directeur de l'Observatoire des politiques culturelles installé à Grenoble. Les protocoles en cours en 2001 étaient les suivants : - numérisation des fonds patrimoniaux dans le cadre d'un protocole signé avec les conseils généraux et le conseil régional de la région Aquitaine ; - service patrimonial au sein de la collectivité dans le cadre d'un protocole expérimentation du transfert de la gestion des édifices et objets inscrits à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques dans le cadre d'un protocole signé avec le département de l'Isère ; - réalisation de l'inventaire dans le cadre d'un partenariat avec le conseil régional de Lorraine, ainsi que les conseils généraux de la Meuse, de la Meurthe-et-Moselle, de la Moselle et des Vosges ; - mise en oeuvre du nouveau partage des tâches comportant, notamment, la structuration d'un véritable signé avec le département de la Lozère ; - développement des enseignements artistiques dans le cadre d'un protocole signé avec la région Nord-Pas-de-Calais ; - expérimentation d'une prise de responsabilité de la collectivité en matière de restauration et de mise en valeur du patrimoine inscrit dans le cadre d'un protocole passé avec la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. |
La note apporte « un certain nombre de précisions techniques », qui apparaissent comme tendant à restreindre le champ des initiatives. C'est ainsi qu'il est précisé tout d'abord que les édifices inscrits ou proposés à l'inscription appartenant à l'État, sont exclus de l'expérimentation . En outre, les conventions devront prévoir que l'État reste chargé de veiller à ce besoin de cohérence nationale, que ce soit au niveau de la doctrine ou des méthodes ou dans l'application, puisqu'un pouvoir de substitution de l'État doit être prévu en cas de défaillance grave.
Par ailleurs, il est demandé au rédacteur de conventions de veiller « à ce qui figurent des clauses adaptées préservant la plus-value scientifique qu'apportent les intervenants dans les procédures actuelles, notamment les architectes en chef des monuments historiques et l'inspection des monuments historiques ».
Enfin, il est précisé que les personnels exerceront leurs attributions dans les territoires d'expérimentation dans la limite de leurs compétences expérimentalement transférées, sans mise à disposition statutaire des personnels , sur la base d'un engagement de l'État de dégager le temps nécessaire.
Le jeu est un peu plus ouvert concernant le niveau de collectivité territoriale à retenir. En matière de monuments historiques, c'est à priori la région pour la protection et, pour les travaux, la région ou le département.
En matière de protection, il est indiqué que l'État devra conserver ses capacités d'initiative, et donner des instructions précise sur la procédure à suivre.
La procédure expérimentale d'instruction des demandes serait la suivante : l'instruction relèverait des cellules des DRAC, s'il s'agit d'édifices appartenant à l'État, mais non pour les autres monuments, pour lesquels la collectivité territoriale pourrait recourir à d'autres chargés d'études à condition qu'ils respectent la méthodologie des DRAC.
La procédure en commission régionale du patrimoine et des sites doit être adaptée en prévoyant, notamment, la co-présidence du préfet et du président du conseil régional , tant pour la commission elle-même que pour la délégation permanente.
Selon la circulaire, c'est le président du conseil régional qui signe la décision de refus de protection, ainsi que les arrêtés d'inscription définitive ou préalable à un classement ; en revanche, les décisions de classement continueront de relever de la compétence ministérielle sur proposition du préfet, ainsi que les instances de classement.
DÉCENTRALISATION : L'EXPÉRIENCE CORSE Lors d'un colloque qui s'est tenu le 17 septembre 2002 au Palais du Luxembourg, M. Jacques Moulin, architecte en chef des Monuments historiques, compétent pour la région corse, a fait le bilan du transfert à cette collectivité de la compétence en matière de patrimoine en application de la loi dite Joxe de 1990. M. Jacques Moulin a souligné que la collectivité territoriale de Corse a constitué un service de qualité et mis en place des financements importants. Il a rappelé qu'après avoir tenté de reproduire le fonctionnement de la DRAC pour s'efforcer d'assurer à la fois la maîtrise d'ouvrage et de montage financier des opérations, la Corse a renoncé à ce système notamment pour éviter de se trouver dans la position critiquable de pouvoir exercer une tutelle sur une autre collectivité territoriale. La Corse se contente de financer les études documentaires et de financer les travaux sur des bâtiments et objets en laissant la maîtrise d'ouvrage aux propriétaires. M. Moulin a mis l'accent sur l'intérêt porté par les communes à leurs propriétaires pour des raisons identitaires et signalé les attentes des intéressés : un interlocuteur unique responsable de l'entretien comme des restaurations et capable de vérifier ses propres travaux. L'architecte en chef des Monuments historiques de Corse a fait état de l'effacement progressif de la DRAC. Il a indiqué à cet égard qu'un certain nombre de chantiers, comme celui de la cathédrale d'Ajaccio ou du site d'Aléria, n'avaient guère connu de progrès ces dernières années. Cette situation trouve son origine dans ce que votre rapporteur spécial a perçu comme une perte de légitimité puisque la DRAC n'est plus en mesure d'approuver ou de désapprouver sans pouvoir prescrire quoi que ce soit au stade des projets. Les architectes des bâtiments de France de leur côté ont cessé toute intervention d'entretien sur les monuments historiques n'appartenant pas à l'État et ils se contentent désormais sur la réglementation des abords et le conseil architectural. L'architecte en chef des monuments historiques a perdu, faute de financement d'État, son monopole, et n'est plus qu'un architecte spécialisé dans la réfection des bâtiments anciens soumis à la concurrence. La nouvelle loi de décentralisation accentue les effets de la loi de 1990 en confiant à la collectivité territoriale de Corse la propriété des principaux édifices historiques appartenant à l'État. Ce changement obligera cette collectivité à créer un service de maîtrise d'ouvrage. |
En ce qui concerne la procédure de gestion des travaux sur les édifices inscrits, les déclarations préalables, qui resteront adressées aux services de l'État, seront simplement transmises au président de l'autorité d'expérimentation.
Trois autres protocoles du même type doivent être signés en 2002 sur des thèmes patrimoniaux :
- un avec le département de la Creuse, dans le cadre d'une collaboration avec la Région Limousin,
- deux avec les régions Poitou-Charentes et Midi-Pyrénées.
Ces projets ont fait l'objet d'un travail préparatoire entre services déconcentrés de l'État et collectivités territoriales, mais aucun protocole n'a encore été signé.
Par ailleurs la Région Midi-Pyrénées et la région Lorraine ont été choisies par le ministre de la culture et de la communication comme les deux régions où il souhaite pousser et élargir l'expérimentation en matière de décentralisation culturelle. Le protocole mettant en place l'expérimentation avec la région Midi Pyrénées devrait donc être prochainement conclu ; le protocole signé par la région Lorraine avec l'État à la fin de 2001 devrait être renforcé et son champ d'expérimentation élargi.
Quant aux conventions fondées sur l'article 111 de la loi « Démocratie de proximité », aucune n'avait été mise en place à la fin septembre 2002 . Les demandes émanant de collectivités territoriales en vue de bénéficier de la mise en oeuvre de cet article n'ont d'ailleurs pas été très nombreuses à ce jour. Citons, sans que cette liste soit exhaustive, que :
- le président du conseil général du Loiret a demandé à être informé des modalités et conditions de cette expérimentation mais n'a pas confirmé à ce jour sa candidature ;
- le président du conseil régional de région Bretagne a manifesté son intérêt et demandé des renseignements, puis a retiré la candidature de sa région ;
- le département du Nord a fait savoir qu'il souhaitait engager les démarches pour que son département bénéficie de cette expérimentation ;
- la même demande a été exprimée par le président du conseil du Bas-Rhin, en association avec le président du conseil régional d'Alsace.
En revanche, le département de l'Isère a fait savoir qu'il souhaitait s'en tenir au protocole de décentralisation culturelle signé en 2001 et qu'il ne demandait pas d'élargir celui-ci aux dispositions de l'article 111.
(4) Régions ou départements ?
En conclusion de cet état des lieux, le rapporteur spécial a tendance à penser que, même s'il faut attendre de pouvoir tirer les conclusions des expériences en cours, un certain nombre de principe semblent s'imposer :
• la responsabilité des mesures de protection relève a priori plus naturellement du niveau régional , où avec les CRMH et les CRPS a déjà été acquise une expérience en la matière et où les services des collectivités se trouveraient naturellement en correspondance avec l'administration d'État, chargée de veiller au contrôle de légalité ;
• en revanche, toutes les questions comme celles de l'entretien et des travaux ou comme de l'inventaire, ont besoin d'être traitées à un niveau de terrain, c'est-à-dire au niveau du département, même si pour les grands chantiers de restauration des monuments, la maîtrise d'ouvrage déléguée ou la conduite d'opération doit être traitée de façon préférentielle au niveau régional .
Certes, on peut faire valoir qu'il s'agit, avec la protection, de prérogatives régaliennes que l'État ne peut pas abandonner aux autorités locales et, même, que beaucoup d'entre elles ne sont même pas demandeuses ; mais, globalement il semble que l'on a tout à gagner à associer les collectivités territoriales à la protection et à la mise en valeur de leur patrimoine : il faut déclencher un processus d'appropriation collective du patrimoine , qui fera perdre à la protection son caractère largement coercitif. Le risque de dérapage apparaît d'autant plus faible que l'État conserverait intégralement son pouvoir de contrôle.
Votre rapporteur spécial exprime ici des réflexions sur ce que pourrait être un partage des tâches et des responsabilités entre les collectivités territoriales.
Si la définition des règles du jeu et des grandes orientations relève naturellement de l'État, la mise en oeuvre de la politique culturelle peut incomber aux collectivités territoriales, sous réserve de la gestion de certains équipements ou opérations d'intérêt manifestement national.
S'agissant de la répartition des rôles au niveau local, votre rapporteur spécial a tendance à penser que, si l'échelon du département est celui de la proximité , l'échelon régional est le niveau où peut se faire jour la nécessaire cohérence de la politique culturelle .
Au niveau départemental, peut-être réalisé tout ce qui demande une présence constante sur le terrain : la gestion des autorisations, notamment en matière d'abords, la conduite de l'Inventaire ainsi que la surveillance et l'entretien du parc de monuments.
Mais le niveau régional apparaît, tout bien réfléchi, à votre rapporteur spécial, comme l'échelon de droit commun de la politique culturelle . D'abord, parce qu'il est actuellement le niveau auquel l'État intervient et a accumulé une expérience de l'action déconcentrée.
C'est là que se trouvent les services de la conservation régionale et que fonctionne la Commission régionale du patrimoine et des sites. Ensuite, parce qu'elle est le siège de l'administration des affaires culturelles d'État, la région est le bon niveau pour assurer la cohérence dans l'action ainsi qu'une certaine objectivité dans les aides.
Par sa dimension, et du fait qu'elle agira nécessairement en liaison avec des départements de tempérament et de sensibilité différents, la région est à même de garantir un traitement équitable des demandes.
Faire de la région l'échelon de droit commun de l'action culturelle en matière de patrimoine monumental ne signifie pas un dessaisissement du département qui devrait être en mesure de bénéficier de subdélégations de pouvoirs lui permettant d'assumer pleinement leurs responsabilités.
In fine , le cofinancement doit être maintenu, mais dans le cadre d'un véritable partenariat. A cet égard, il convient d'inscrire l'organisation à mettre en place dans la perspective de l'initiative prise par le Sénat dans le cadre de la loi d'orientation du 4 février 1995 tendant à créer la notion de chef de file.
L'article 65 de cette loi a en effet prévu qu'une loi de clarification des compétences entre l'État et les collectivités locales doit définir « les conditions dans lesquelles une collectivité pourra assumer le rôle de chef de file pour l'exercice d'une compétence ou d'un groupe de compétences relevant de plusieurs collectivités territoriales ».
En dépit de la censure par le conseil constitutionnel du II de cet article -au motif qu'il n'est pas possible de renvoyer à une convention le soin de désigner la collectivité chef de file susceptible d'exercer des compétences conférées aux autres collectivités par la loi -, il est question de relancer cette idée à l'occasion de la relance institutionnelle de la décentralisation. L'on peut interpréter la décision du conseil constitutionnel, non comme condamnant la notion, mais simplement comme censurant le fait de n'avoir pas défini les pouvoirs et les responsabilités afférents à cette fonction.
Comme cela avait été envisagé à l'occasion de l'examen de la loi du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, -mais non retenu dans le texte définitif-, la désignation d'une collectivité chef de file pouvait s'accompagner de la définition d'un cadre juridique de nature conventionnelle précisant les obligations des uns et des autres.
On note que quatre protocoles sur sept utilisent la notion de chef de file, selon des modalités et avec des portées variables, explicité ainsi dans le protocole signé par la région Lorraine comme étant une « délégation consentie de responsabilités »
* 13 Ain (76.225 euros (500.000 francs) de travaux et 152.449 euros (1 million de francs) pour 3 ans), Allier (91.000 euros (600.000 francs) de travaux), Alpes-de-Haute-Provence (153.000 euros (1 MF de travaux), Charente (153.000 euros (1MF) de travaux), Côte d'Or (91.500 euros (600.000 F) de travaux pour les classés, 45.734 euros (300.000 F) pour les inscrits), Eure-et-Loir (152.400 euros (1 MF) de travaux), Finistère (pour les inscrits : travaux supérieurs à 7.600 euros (50.000 F), taux passe de 20 à 10 %), Indre (22.900 euros (150.000 F) de subvention), Maine-et-Loire (70.000 euros, 400.000 F de travaux), Mayenne (30.500 euros (200.000 F) de travaux pour les inscrits), Saône-et-Loire (45.700 euros, 300.000 F de travaux pour les inscrits), Seine-et-Marne (15.245 euros, 100.000 F de subvention lors d'un financement exclusif du CG), Tarn (38.112 euros, 250.000 F de travaux), Vienne (classés : 23.000/11.500 euros (150.870/75.435 F) de subvention selon le nombre de jours d'ouverture, inscrits : 18.300/9.200 euros (120.000/60350 F) de subvention selon le nombre de jours d'ouverture).