Rapport d'information n° 35 (2002-2003) de M. Joseph KERGUERIS , fait au nom de la délégation du Sénat pour la planification, déposé le 29 octobre 2002

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ANNEXE 1 :

COMPTE-RENDU DE L'AUDITION DE M. BRUNO CRÉPON,
ADMINISTRATEUR DE L'INSEE, LE 5 JUIN 2002

Cette audition porte sur un important aspect théorique des déterminants de l'investissement, à savoir le rôle joué par le coût des facteurs de production. MM. Bruno Crépon, et Christian Gianella, administrateurs de l'INSEE , sont les auteurs d'une étude 83 ( * ) relative à l'incidence du coût du capital sur le comportement d'investissement des entreprises. M. Bruno Crépon est venu présenter oralement à votre rapporteur les principaux résultats de ce travail de recherche.

M. Bruno Crépon, administrateur de l'INSEE , a introduit son exposé en évoquant l'importance de l'investissement comme facteur de croissance. Il a souligné le rôle joué par les investissements en technologies de l'information et de la communication dans la croissance américaine. Il a ensuite présenté les principaux résultats de ses travaux.

Il a d'abord rappelé que, dans les modèles néo-classiques traditionnels, l'investissement dépendait de la variation du coût des facteurs de production, mais que les économètres avaient longtemps échoué à mettre en évidence un impact significatif du coût du capital sur l'investissement. MM. Bruno Crépon et Christian Gianella sont les premiers à être parvenus à mettre en évidence un effet significatif d'une variation du coût du capital sur l'investissement.

M. Bruno Crépon a précisé quels étaient les contours de la notion de « coût d'usage du capital », utilisée dans son étude. Le coût d'usage du capital dépend du niveau des taux d'intérêt, mais aussi de la fiscalité. Du fait de l'application de règles fiscales différentes, le coût d'usage du capital varie selon que l'entreprise se finance par emprunt bancaire, émission d'action ou en réinvestissant ses bénéfices. Le coût d'usage du capital est donc différent d'une entreprise à une autre.

Cette remarque a d'importantes conséquences méthodologiques. L'étude réalisée par MM. Crépon et Gianella repose, en effet, sur l'analyse de données individuelles d'entreprises. Le coût d'usage du capital est évalué pour chaque entreprise séparément, en fonction des caractéristiques de sa structure de financement.

M. Bruno Crépon a ensuite relevé quelques faits saillants, relatifs à la distribution du coût du capital, et à son évolution :

* le coût d'usage du capital a baissé entre 1984 et 1997, principalement sous l'effet de la détente des taux d'intérêt réels ;

* la fiscalité n'a contribué que marginalement à la baisse du coût d'usage du capital ; ses évolutions ont été importantes, mais erratiques : baisse de l'impôt sur les sociétés jusqu'au milieu des années 1990, mais accroissement rapide de la pression fiscale à partir de 1995.

* les taux d'intérêt bancaires se caractérisent par une forte hétérogénéité entre entreprises; les petites entreprises ont des conditions de financement moins favorables, car elles présentent de moindres garanties ; l'accès au crédit des PME se détériore dans les périodes de stagnation de l'activité ;

* La dispersion du coût du capital a, cependant, baissé, de 1984 à 1997, grâce à la convergence des conditions de financement des entreprises via l'emprunt bancaire, et à la baisse du coût des fonds propres.

Une analyse plus fine montre que les deux composantes du coût du capital  coût de l'endettement et coût des fonds propres  ont connu des évolutions divergentes. Le coût moyen de la dette est resté stable autour de 8 %. En revanche, le coût des fonds propres a fortement baissé, passant de vingt points en 1984, à 11 points en 1997. Cette baisse relative du coût des fonds propres a incité les firmes françaises à se désendetter : la part moyenne des dettes dans le bilan des entreprises est passée de 51 % en 1990, à 42 % en 1997.

La baisse des taux d'intérêt réels se répercute sur le coût des fonds propres de la manière suivante : la baisse des taux réduit le rendement des obligations d'Etat, ce qui conduit les associés à être moins exigeants quant au rendement de leurs actions.

M. Bruno Crépon a ensuite présenté les conséquences de la variation du coût d'un facteur de production sur la demande de facteurs. Deux effets doivent ici être distingués : un effet de substitution et un effet de profitabilité.

Une hausse du coût du capital, par rapport au coût du travail, incite les entreprises à réduire l'intensité capitalistique de leur combinaison productive. C'est ce que l'on appelle l'effet de substitution. Il est d'autant plus prononcé que l'élasticité de substitution entre les facteurs est importante.

En même temps, une hausse du coût du capital augmente le coût de production unitaire pour l'entreprise. Si cette hausse se répercute sur les prix, la demande adressée à l'entreprise va se réduire. L'ampleur de cette réduction dépend de la sensibilité au prix de la demande adressée à l'entreprise.

Comme l'a fait remarquer M. Bruno Crépon , effet de substitution et effet de profitabilité ont des conséquences opposées sur la demande de travail. D'une part, l'activité de l'entreprise devient plus intensive en main d'oeuvre, ce qui fait augmenter la demande de travail. Mais, d'autre part, la production de l'entreprise se réduit, ce qui diminue la demande de travail. L'effet de substitution, ou l'effet de profitabilité peuvent prédominer, en fonction des possibilités de substitution entre les facteurs, et du degré de sensibilité de la demande au prix.

Après ces considérations théoriques, M. Bruno Crépon a donné une estimation de l'importance relative des effets de substitution et de profitabilité. Il a indiqué que l'élasticité de substitution entre capital et travail était modeste : elle serait de l'ordre de 0,7 dans l'industrie, et de 0,4 dans le tertiaire. En revanche, l'effet de profitabilité apparaît très significatif (2,32). Ainsi, l'effet de profitabilité l'emporte de beaucoup sur l'effet de substitution. L'effet de déformation de la combinaison productive est plus que compensé par la baisse de la demande adressée à l'entreprise. En conséquence, une hausse du coût du capital entraîne une baisse de la demande de travail.

Dans la dernière partie de son exposé, M. Bruno Crépon a présenté les résultats d'une simulation, dont l'objet était d'évaluer l'impact sur la demande de facteurs (investissement et emploi), qu'aurait eu, en 1995, une augmentation du taux de l'impôt sur les sociétés de 36,7 à 50 %.

En premier lieu, un tel relèvement du taux de l'IS aurait conduit à une augmentation sensible du coût d'usage du capital, évaluée à 9 % en moyenne. Ce relèvement du coût du capital aurait fait sentir ses effets de manière différenciée selon les entreprises. Les entreprises les plus endettées auraient supporté une hausse moins prononcée du coût du capital. Une répartition des entreprises par quartile, en fonction de leur endettement, montre que le surcoût se situe aux alentours de 5,5 % pour le premier quartile, de 12,5 % pour le troisième.

En second lieu, le coût relatif du capital augmentant, l'intensité capitalistique désirée se réduit, plus fortement dans l'industrie (-6 % en moyenne), que dans le tertiaire (- 3,1 %). Cette répercussion plus faible dans le tertiaire s'explique par de moindres possibilités de substitution entre facteurs.

Enfin, la simulation met en évidence une baisse de la production (en valeur), ainsi qu'une diminution du volume de chacun des facteurs. La baisse est toutefois plus prononcée pour le facteur capital que pour le facteur travail. Elle atteint des niveaux particulièrement importants dans le tertiaire (- 12 % en moyenne), secteur où la baisse de l'activité est aussi plus prononcée (- 4 %).

En conclusion, M. Bruno Crépon a rappelé que cette étude mettait en évidence, de manière convaincante, un effet du prix des facteurs de production sur les décisions des entreprises relatives au volume de ces facteurs. Cet effet est quantitativement important. L'effet de profitabilité affecte l'ensemble des facteurs de production. L'effet de substitution vient le tempérer, ou l'accentuer, mais ne le remet jamais en cause. Ainsi, une hausse du coût du capital conduit à une baisse des effectifs : la croissance est plus riche en emplois, mais la croissance est moindre.

M. Joseph Kerguéris, sénateur, rapporteur , a alors demandé quels seraient les effets, probables, sur l'emploi, d'une taxation de la valeur ajoutée des entreprises, qui viendrait se substituer aux cotisations sociales, uniquement assises sur le facteur travail. Une telle mesure élèverait le coût d'usage du capital.

M. Bruno Crépon a répondu que l'impact d'une telle réforme serait très différencié selon les entreprises. Les entreprises de main d'oeuvre seraient bien sûr les plus avantagées. On peut supposer qu'elles gagneraient d'importantes parts de marché aux dépens des entreprises plus intensives en capital. L'effet redistributif entre entreprises d'une telle réforme serait considérable, et conduirait à de nombreuses réallocations d'emplois. Une telle mesure pénaliserait, par construction, les entreprises intensives en capital, qui sont souvent les plus innovantes. Or, à long terme, les sources profondes de la croissance sont à chercher dans les chocs d'innovation, qui sont associés à des conditions de financement des projets favorables.

* 83 Cette étude est publiée dans Economie et Statistique , n° 341-342, janvier-février 2001, p. 107 à 127.

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