Rapport d'information n° 35 (2002-2003) de M. Joseph KERGUERIS , fait au nom de la délégation du Sénat pour la planification, déposé le 29 octobre 2002

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III. 3. LE MODÈLE ACCÉLÉRATEUR PROFIT

La relation précédente est bien vérifiée empiriquement et fournit la base des équations économétriques d'accélérations d'investissement. Cependant, cet effet d'accélération laisse sans explication une partie non négligeable des mouvements de l'investissement. En outre, il serait trop simplificateur de ramener les décisions d'investissement à une attitude consistant à suivre avec retard la demande. Créer ou conduire une entreprise comporte toujours une prise de risque, un pari sur l'avenir qui prend la forme d'un investissement. C'est en investissant que de nouveaux produits apparaissent, que des revenus supplémentaires sont distribués et que se crée en permanence une demande nouvelle. L'aptitude à innover, l'environnement économique et financier plus ou moins favorable à la prise de risque, le degré de confiance dans l'avenir sont autant de facteurs qui influencent l'investissement au-delà ou en deçà de la tendance de la demande du moment.

Le concept de rentabilité économique et de profitabilité

Si l'on peut faire remonter le concept de profitabilité de l'investissement à la Théorie Générale de Keynes, sa définition formelle n'a été proposée qu'à la fin des années 1960 par Tobin, puis par Malinvaud dans ses Essais sur la théorie du chômage (1983). L'intuition du concept est simple : si un investissement est profitable, il doit être réalisé.

Techniquement, la rentabilité économique brute est le ratio entre une mesure de la rémunération du capital ou du profit (excédent brut d'exploitation, marge brute d'autofinancement ou épargne brute, appelé également cash-flow) et le stock de capital net évalué à son coût de remplacement. Si l'on utilise une mesure de profit net d'amortissement, on parle de rentabilité nette. Dans nombre d'études, l'indicateur macroéconomique de profit brut retenu est généralement la marge brute d'autofinancement plutôt que l'excédent brut d'exploitation.

La rentabilité économique peut être décomposée comme le produit de trois termes : le taux de profit (ou taux de marge), qui rapporte la mesure du profit à la valeur ajoutée, la productivité du capital, qui rapporte la production en volume au capital physique, et l'inverse du prix relatif de l'investissement. Toute baisse de la part des profits dans la valeur ajoutée ou de la productivité du capital diminue la rentabilité de l'investissement. Par contre, toute baisse du prix relatif de l'investissement augmente la rentabilité.

La décision d'investir n'est pas uniquement fonction de la rentabilité du capital . Elle doit aussi considérer les emplois alternatifs du capital. Or les taux d'intérêt réels jouent un rôle primordial dans l'évaluation des rendements alternatifs. La profitabilité (nette) évalue la différence entre la rentabilité (nette) et le taux d'intérêt réel à long terme, mesuré comme le taux des obligations émises par le secteur privé déflaté des évolutions du prix du PIB. La profitabilité est donc une mesure de la rentabilité de l'investissement productif, nette du coût de l'argent. On peut même défendre l'idée qu'une forte profitabilité est nécessaire pour que les entreprises prennent le risque de se trouver en surcapacité de production avec des coûts fixes supplémentaires.

Dès lors que la profitabilité du capital est positive et suffisante (Malinvaud considère une profitabilité de 4 % comme suffisante), il devient non seulement intéressant d'investir mais il redevient aussi possible de financer ces investissements par recours à l'emprunt, bénéficiant ainsi de l'effet de levier. Un niveau de profitabilité élevé doit donc inciter à l'endettement pour investir. La notion de contrainte financière s'interprète alors simplement : une entreprise dont l'investissement dépend fortement de sa profitabilité supporte une contrainte financière plus sévère.

Les responsables d'entreprises estiment en général que leurs décisions sont contraintes par les capacités financières ou les modalités d'accès au financement bancaire, le souci de rentabilité ou la crainte de mettre en place prématurément des capacités qui s'avéreraient ensuite mal employées, voire par la nécessité d'embaucher.

La contrainte financière ne peut donc pas être ignorée. Dans les études macroéconomiques, elle est souvent présentée de façon résumée par la profitabilité du capital, qui mesure l'écart entre la rentabilité du capital et le coût réel des ressources financières. La profitabilité est en quelque sorte la rémunération du risque de l'entreprise au-delà de ce qui doit être préempté pour rémunérer les ressources financières. Les profits jouent un double rôle : si la recherche des profits (futurs) est le mobile de l'investissement, les profits présents et passés en constituent une condition de financement. Mais la décision d'investir dépend aussi du coût réel de l'argent, mesuré par le taux d'intérêt réel. Les décisions d'investissement seront d'autant moins nombreuses que celui-ci est élevé.

Il est clair qu'une profitabilité trop faible dissuade les investissements. A la limite, une profitabilité nulle ou négative peut conduire à privilégier les placements financiers par rapport à l'investissement productif.

Par ailleurs, l'investissement peut buter sur une contrainte de solvabilité, qui mesure le fait qu'une entreprise doit être en mesure de rembourser les emprunts arrivant à échéance et les frais financiers sur la base des profits qu'elle dégage. Dans ce cas, l'investissement est déterminé principalement par le niveau des profits, celui de l'endettement ainsi que par le niveau des taux d'intérêt. En pratique, parmi ces déterminants, le plus robuste est, de longue date, le taux de profit ; le taux d'endettement et le taux d'intérêt rendent moins compte, en général, d'évolutions significatives de l'investissement (Morin, Norotte et Venet, 1987).

La Commission européenne (2001) a testé sur l'ensemble des pays industrialisés (Union européenne, Japon, Etats-Unis) un modèle à long terme de l'investissement. Ce modèle fait dépendre le taux d'investissement de la rentabilité économique et des taux d'intérêt réels. L'effet des deux variables est de même ampleur. Un accroissement durable de la rentabilité économique de 1 % accroît le taux d'investissement de 0,1 à 0,15 points. Un accroissement durable des taux d'intérêt réels à long terme de 1 % diminue de 0,09 points le taux d'investissement. Ce modèle fait également apparaître le rôle des prix relatifs de l'investissement : une baisse des prix relatifs de l'investissement de 10 % entraîne une hausse du taux d'investissement de 0,5 point.

Travaillant sur les pays européens, Beaudu et Heckel (2001) trouvent des résultats semblables. Selon ces auteurs, une variation de la rentabilité économique de 1 point augmente le taux d'investissement de 0,22 point. Par contre, ils trouvent un effet plus prononcé des taux d'intérêt réels : lorsque le taux d'intérêt passe de 5 à 6 %, le taux d'investissement baisse de 0,32 points.

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