C. LES ENJEUX DE SOLIDARITÉ PERSONNELLE ET SOCIALE

Le système d'imposition des mutations à titre gratuit est aussi un enjeu politique. Il reflète la conception que se fait une société des solidarités familiales et, plus généralement, personnelles qu'il convient d'encourager. Il est un instrument de redistribution sociale et d'égalisation des chances dans un pays comme la France travaillé par l'égalitarisme.

Le rapport d'Archibald International (réseau E&Y) évoque la question des solidarités familiales. A cet égard, il souligne que, si le sort du conjoint survivant a été sensiblement amélioré, rien n'a été fait au sujet des familles recomposées.

Le tableau ci-dessus résume clairement les améliorations apportées par la loi du 3 décembre 2001qui a donné au conjoint une meilleure place successorale et lui a attribué un droit spécifique au logement ainsi qu'un droit à pension.

Parent laissé par le conjoint en sus du conjoint survivant

Avant la loi du 3 décembre 2001

Depuis la loi du 3 décembre 2001

Enfant issu des deux époux

¼ en usufruit

¼ en pleine propriété ou 100 % en usufruit

Enfant issu d'une autre union

¼ en usufruit ou ½ en pleine propriété en cas de concours avec un enfant adultérin

¼ en pleine propriété

Père et mère du défunt

½ en usufruit

½ en pleine propriété

Père ou mère du défunt

½ en pleine propriété en l'absence de collatéral privilégié ou d'ascendant ordinaire dans la ligne vacante

¾ en pleine propriété

Frère et soeur du défunt

½ en usufruit

100 % en pleine propriété

Ascendant ordinaire dans les deux branches du défunt

½ en usufruit

100 % en pleine propriété

Ascendant ordinaire dans une seule branche du défunt

½ en pleine propriété en l'absence de collatéral privilégié dans la branche vacante

100 % en pleine propriété

Collatéral ordinaire du défunt

100 % en pleine propriété

100 % en pleine propriété

Il faut également noter le relèvement de l'abattement qui a été porté à 76.000 euros, soit l'abattement le plus élevé applicable en France. Faut-il aller plus loin et faire « sauter les verrous » qui limitent les droits du conjoint survivant en présence d'enfants du défunt d'un premier lit. C'est une question à laquelle il n'appartient pas à votre commission des finances de répondre.

En revanche, ce que le rapport appelle « la problématique des familles recomposées » soulève, selon votre commission des finances, une vraie question avec l'augmentation des divorces et des nouvelles unions.

Actuellement, les enfants du conjoint issus d'un premier lit sont considérés comme des non-parents et soumis au taux le plus élevé de 60 %. Certes, il est toujours possible de recourir à l'adoption simple mais celle-ci est difficilement envisageable en présence du parent naturel. Le rapport note que seules l'Allemagne et la Suède mettent sur un pied d'égalité tous les enfants du couple.

L'autre enjeu politique est le degré de redistribution des revenus qui doit résulter des droits de mutation à titre gratuit.

Le rapport d'Archibald International (réseau E&Y) n'évoque pas directement la question. Toutefois, il cite en conclusion de son état des lieux le rapport d'information sur la fiscalité du patrimoine de notre collègue député M. Didier Migaud, alors rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale : « les droits de succession et de donation constituent un impôt frappant essentiellement les contribuables détenant des patrimoines de moyenne importance et n'ayant pas su ou pu organiser sa transmission ».

Le rapport met clairement en cause l'aptitude du système actuel à respecter le principe d'égalité devant l'impôt. Il va même jusqu'à reprendre les terme du rapport présenté de votre collègue député Didier Migaud lorsque ce dernier parle « d'évasion légale » pour les ménages disposant des plus gros patrimoines « qui sont généralement le mieux informés et les plus à même de réduire le montant des droits qui résultent de la transmission de l'ensemble de leur patrimoine ».

Un des apports importants de l'étude est de montrer comment, sur des cas d'école, l'on peut « optimiser » la législation et faire significativement baisser le taux d'imposition.

A partir du cas d'un chef d'entreprise voulant céder puis transmettre la propriété d'une société estimée à 15 millions d'euros, le rapport montre qu'en l'absence de préparation, le taux effectif d'imposition globale, qui inclut la plus value sur la cession et droits de mutation pas décès, est de 51,5 %. Mais, si la mutation est anticipée par une donation de la seule nue-propriété, la « facture » est déjà beaucoup moins lourde puisque le taux d'imposition baisse à 35,8 %. Cela suppose le recours à une donation en démembrement avec réserve d'usufruit intervenant postérieurement à la cession de l'entreprise.

Bien conseillé, le contribuable peut réduire encore le coût fiscal de la transmission de son entreprise. Si la donation de la nue-propriété des titres de la société est réalisée avant la cession les droits sont encore plus faibles et la pression fiscale calculée sur les mêmes bases que précédemment diminue tandis que le taux effectif d'imposition globale s'établit à 15,5 % seulement contre 51,5 % en l'absence de préparation.

Exemple 3 : Fondateur de 62 ans marié sous le régime de séparation de biens avec deux enfants

Vente du patrimoine professionnel de 15 M€

Cas 1

Vente suivie du décès

Cas 2

Vente puis donation de la NP 3 ( * ) suivie du décès

Cas 3

Donation de la NP 1 puis vente suivie du décès

Valeur de la NP 80%

Droit à la charge des donataires

Cession de l'entreprise

PV à 26% :

Patrimoine net :

15.000 K€

<3.900 K€>

11.100 K€

15.000 K€

<3.900 K€>

11.100 K€

Transmission à titre gratuit

Coût fiscal

Part successorale

Droits dus

Donation

de 11,1 M€

Droits dus Réduction de droits de 50%

Donation

de 15 M€

Droits dus Réduction de droits de 50%

Conjoint :

¼ de 11,1 M€ en PP 4 ( * ) (cas 2 : de la NP 1 de 11,1 M€; cas 3 : de la NP 1 de 15 M€)

2,775 M€

<897 K€>

2,775 M€

<338 K€>

80 % x 3.750 M€

<494 K€>

Enfant 1 :

½ x ¾ de 11,1 M€ en PP 2 (cas 2 : de la NP 1 de 11,1 M€; cas 3 : de la NP 1 de 15 M€)

4,162 M€

<1.465 K€>

4,162 M€

<566 K€>

80 % x 5.625 M€

<800 K€>

Enfant 2 :

½ x ¾ de 11,1 M€ en PP 2 (cas 2 : de la NP 1 de 11,1 M€; cas 3 : de la NP 1 de 15 M€)

4,162 M€

<1.465 K€>

4,162 M€

<566 K€>

80 % x 5.625 M€

<800 K€>

Coût Total :

<3.827 K€>

<1.470 K€>

<2.094 K€>

Cession avec remploi en démembrement

PV [15 M€ - (0 + 2.094 + 12 M€)] 5 ( * ) :

Impôt 26% sur la valeur de l'usufruit :

Patrimoine net :

906 K€

<236 K€>

12.671 K€

Coût Fiscal Total :

<7.727 K€>

<5.370 K€>

<2.330 K€>

Patrimoine net transmis

Conjoint :

1.878 K€

2.437 K€

3.197 K€

Enfant 1 :

2.698 K€

3.597 K€

4.737 K€

Enfant 2 :

2.698 K€

3.597 K€

4.737 K€

Total :

7.274 K€

9.631 K€

12.671 K€

Taux effectif d'imposition des droits de mutation à titre gratuit

34,5 %

13,2 %

13,9%

Taux effectif d'imposition globale

51,5 %

35,8%

15,5%

On note que, depuis une instruction du 13 juin 2001 (5 C-1-01), la plus-value latente existante au jour de la donation n'est plus totalement purgée 5 ( * ) .

Le rapport explicite comment se combinent les différents avantages fiscaux qui permettent une telle diminution du taux d'imposition. La leçon de ces exemples, pour votre rapporteur général, est la nécessité d'assurer un système plus transparent.

* 3 i.e. nue propriété.

* 4 i.e. pleine propriété.

* 5 En effet, lorsque la donation a porté sur la nue-propriété des titres, seule la plus-value existant sur la nue-propriété se trouve purgée par l'effet de la donation. En conséquence, si le donateur a détenu la pleine propriété des titres, objet de la donation, avant leur démembrement, lors de la cession ultérieure des titres, le prix d'acquisition à retenir pour la détermination de la plus-value est constitué par le prix ou la valeur d'acquisition initiale de la pleine propriété, majoré de l'accroissement de valeur du droit transmis (dans l'exemple ci-dessus, de la nue-propriété) constaté entre la date de l'acquisition initiale de la pleine propriété et la date de la donation. Le prix d'acquisition de la nue-propriété correspond quant à lui à la valeur de ce droit retenue pour le calcul des droits de donation, augmenté du montant des droits effectivement supportés par le donataire. La plus-value latente correspondant à l'usufruit est donc désormais intégralement taxable. Cette instruction s'applique aux cessions de titres dont la propriété a été démembrée à compter du 3 juillet 2001, date de publication de l'instruction.

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