II. LES NOUVEAUX VISAGES DES ESPACES RURAUX DEPUIS 20 ANS : L'EFFACEMENT DE LA DICHOTOMIE VILLES - CAMPAGNES

Selon Robert Chapuis, les espaces ruraux ont connu trois transformations majeures au cours de ces vingt dernières années, certaines déjà largement amorcées précédemment, d'autres apparues plus récemment.

A. DES COMPORTEMENTS DES RURAUX DE PLUS EN PLUS URBAINS, ET UN REGARD DES CITADINS SUR L'ESPACE RURAL DEVENU POSITIF

L'image d'un monde rural replié sur lui-même, d'un mode de vie rural particulier et autonome n'est évidemment plus de mise. Les ruraux français se sont ouverts sur la planète entière par l'intermédiaire de la télévision (la quasi totalité des ménages en est dotée et les ruraux sont des téléspectateurs particulièrement assidus), de l'internet (même si ce média est encore moins utilisé qu'en ville), des voyages touristiques, etc. Les agriculteurs ont été soumis aux pressions de l'Organisation Mondiale du Commerce dont les décisions ont fortement contribué à l'inflexion de la Politique agricole commune vers une baisse des prix agricoles et un soutien direct aux agriculteurs, etc. Les entreprises industrielles rurales, agro-alimentaires ou autres, sont désormais soumises à une concurrence mondiale.

Les ruraux se sont ouverts sur l'Europe . La PAC règle plus que jamais la vie et le revenu de nos agriculteurs. L'orientation vers une agriculture plus durable a amené ces derniers à utiliser des techniques plus respectueuses de l'environnement (la consommation des engrais chimiques est en baisse). La mise en place d'une politique régionale européenne a eu des impacts, significatifs même s'ils restent limités, sur les campagnes (Objectif 5b).

Les ruraux se sont ouverts sur le territoire national : 85 % des ménages ruraux sont dotés d'une voiture et souvent de deux, le réseau routier et autoroutier s'est étendu et amélioré, les liaisons ferroviaires sont devenues plus rapides, parfois il est vrai aux dépens des dessertes locales ; les ruraux se sont mis à partir en vacances, même si c'est moins longtemps, moins souvent et moins loin que les citadins.

Les ruraux se sont ouverts sur leurs voisins. Ceux de la ville qu'ils côtoient plus souvent qu'autrefois puisqu'ils vont eux-mêmes souvent travailler en ville ou y faire leurs courses, ou parce qu'ils voient s'installer dans leur propre village des citadins en mal de terrain à bâtir bon marché et de tranquillité. Les ruraux se sont ouverts également sur leurs voisins des autres villages : « l'esprit de clocher » recule avec la mobilité des individus. Les associations pluricommunales fleurissent à la campagne et surtout l'intercommunalité progresse avec une rapidité qui déjoue les prévisions : les "pays" connaissent un réel succès (même si celui-ci est inégal selon les régions), les communautés de communes se multiplient à un rythme rapide, au risque, il est vrai, d'une superposition des circonscriptions d'administration ou de projet, dans laquelle les élus eux-mêmes se perdent parfois ; au risque également d'une concurrence avec les conseillers généraux ou au contraire d'une mainmise de ces derniers sur ces nouvelles circonscriptions ; au risque enfin d'une concurrence avec les régions qui s'intéressent elles aussi aux espaces ruraux.

Cette ouverture sur le monde, cette mobilité des hommes et des idées impliquent une mutation des comportements et des représentations à la fois chez les ruraux et chez les citadins.

Les comportements spécifiquement ruraux n'existent plus vraiment : bien des ruraux sont plus ou moins « urbains » comme en témoignent la progression des départs en vacances et des voyages lointains, la multiplication de nouvelles associations locales (sportives, culturelles, musicales, d'animation, du troisième âge, etc.), le rapprochement du vote des ruraux (par ailleurs très différencié) de celui des citadins, sauf exceptions locales. L'image, plutôt négative, que les ruraux avaient traditionnellement d'eux-mêmes et de la campagne (retard, isolement, etc.) s'est inversée : ils sont fiers aujourd'hui d'habiter la campagne, de bénéficier du calme, de la nature, du "bon air" et regardent avec une certaine condescendance les citadins soumis, selon eux, au bruit, à la pollution, à l'insécurité, à l'entassement ...

L'image négative que les citadins avaient traditionnellement de la campagne s'est inversée également : celle-ci est devenue symbole d'identité à défendre, de patrimoine à valoriser, de nature et de paysage à conserver, de calme et de sécurité à préserver . Moins qu'un espace agricole, l'espace rural est désormais pour les citadins un espace de détente, une réserve de nature et, pour certains, un cadre de vie désiré. Les citadins estiment désormais avoir un droit de regard sur l'espace rural : ils sont sensibilisés aux pollutions agricoles et à la transformation des paysages par l'urbanisation, par l'implantation d'axes de communication, par les reboisements, les remembrements, les friches, etc.

A un niveau plus concret, l'espace rural a connu des transformations profondes, à la fois dans ses structures démographiques et dans ses structures sociales .

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