B. LES PLACEMENTS EN ACTIONS ORIENTENT L'ÉPARGNE DES MÉNAGES VERS LE FINANCEMENT DES ENTREPRISES

Le choix de tel ou tel placement financier par les ménages n'est pas sans incidence sur le régime de croissance de l'économie. Le rythme de croissance de l'économie, à long terme, dépend du niveau de l'investissement productif, c'est-à-dire du niveau de l'investissement des entreprises. Or, l'un des principaux obstacles à l'expansion de l'investissement réside dans la difficulté des entreprises à trouver les financements nécessaires. Cette situation n'est pas satisfaisante dans un pays, comme la France, où l'épargne des ménages est à un niveau particulièrement élevé.

Il existe trois grandes voies de financement de l'investissement des entreprises :

La première est l'autofinancement : l'entreprise utilise ses profits pour financer ses projets d'investissement. Ce mode de financement est souvent limitatif pour les entreprises.

Le deuxième mode de financement est l'endettement. L'endettement peut se faire par l'intermédiaire du crédit bancaire, ou par émission d'obligations. L'entreprise doit veiller à ce que sa charge d'endettement ne soit pas trop lourde, à défaut, sa solvabilité risque d'être menacée.

Le troisième mode de financement repose sur l'augmentation du capital de l'entreprise. Cela se traduit, pour les sociétés par actions, par l'émission d'actions supplémentaires. Les actions nouvelles des sociétés cotées sont mises en vente sur le marché boursier. Les investisseurs deviennent propriétaires d'une partie de l'entreprise, en contrepartie d'un droit de vote et d'une perspective de dividendes. L'augmentation de capital permet à l'entreprise de trouver des financements sans augmenter sa charge d'endettement. Elle présente l'inconvénient, pour les actionnaires en place, de diluer l'actionnariat.

Depuis une vingtaine d'années, la modernisation des marchés financiers a favorisé l'essor des émissions d'actions dans les principaux pays européens. La part du crédit bancaire comme moyen de financement a partout reculé. En 1980, les crédits bancaires représentaient 45 % du passif total des entreprises non financières dans notre pays. Cette proportion est tombée à 16 % en 2000. L'évolution a été similaire chez nos voisins européens. Même en Allemagne, l'économie européenne la plus dominée par le secteur bancaire, la part des crédits comme source de financement a reculé. Il est vrai toutefois que le ratio des actions aux financements totaux est gonflé, en fin de période, par le haut niveau des valorisations boursières. Il n'en reste pas moins que la tendance est à un recours accru des entreprises aux marchés financiers.

Europe : Structure du passif des entreprises non financières 1980-2000
(en % du total)

Royaume-Uni

Allemagne

France

Italie

Instruments
du marché monétaire

1980

0,3

0,4

0,0

0,3

1990

0,6

0,1

1,3

0,1

1998

0,9

0,1

1,1

0,3

2000

0,9

0,4

1,4

0,1

Crédits

1980

26,5

68,5

44,6

43,8

1990

35,7

67,4

25,8

44,0

1998

22,3

41,5

20,9

41,0

2000

22,5

42,8

16,1

36,4

Obligations

1980

2,3

2,8

5,2

3,5

1990

5,4

3,0

4,1

3,5

1998

5,6

1,8

4,1

1,8

2000

6,5

1,3

3,4

0,7

Actions

1980

48,4

28,3

50,2

52,4

1990

58,4

29,6

68,8

52,4

1998

71,1

56,6

73,9

56,9

2000

70,2

55,4

79,0

62,7

Source : BIPE (2003)

C'est en France que la part des actions dans le passif de sociétés a atteint le niveau le plus élevé. Cela s'explique, pour partie, par le niveau de valorisation de la Bourse de Paris, à la fin des années 1990, mais aussi par un important mouvement d'émissions d'actions depuis une dizaine d'années. En Grande-Bretagne, les entreprises ont eu tendance, au contraire, à procéder à des rachats d'actions pour soutenir leur cours.

Les entreprises n'en restent pas moins confrontées à d'importants problèmes de financement

En dépit du haut niveau d'épargne des ménages français, le difficile accès des entreprises au capital demeure une contrainte forte pesant sur leurs investissements . Cet apparent paradoxe peut s'expliquer par l'ampleur des besoins de financement des administrations publiques européennes , qui drainent une grande partie de l'épargne des ménages.

La contrainte de l'accès au financement est particulièrement prononcée pour les petites et moyennes entreprises. Interrogés sur les principaux obstacles s'opposant au développement de leur entreprise, les patrons de PME citent fréquemment les problèmes de financement. La contrainte semble être d'autant plus forte que l'entreprise est petite.

Source : BIPE (2002)

Il importe donc, dans l'intérêt du développement de nos entreprises, de maîtriser les déficits publics, pour éviter une concurrence trop forte entre émetteurs privés et publics, et de veiller à ce que les placements en actions soient attractifs. Sans cela, l'économie française s'exposerait à un risque réel d'éviction de l'investissement privé par la dépense publique. Cela pénaliserait d'autant plus la croissance que les déficits publics servent aujourd'hui, pour l'essentiel, à financer des dépenses de fonctionnement ou de transfert, et non des dépenses d'investissement public.

Le moindre développement de l'épargne en actions en France par rapport aux pays anglo-saxons a favorisé l'entrée en force des investisseurs étrangers dans le capital des sociétés françaises. Environ 40 % du capital social des grandes entreprises composant l'indice CAC 40 est aujourd'hui détenu par des investisseurs étrangers. Cette proportion est en progression régulière : elle n'était que de 12 % en 1986, 23 % en 1993 et 36 % en 1998. Cette progression s'explique, notamment, par la diversification des portefeuilles de titres détenus par les investisseurs institutionnels américains. Les actions étrangères représentent, ces dernières années, un cinquième du total de leurs actions. Les opérations de privatisation des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix ont multiplié les occasions données aux investisseurs institutionnels anglo-saxons d'internationaliser leur portefeuille de titres.

Il y a, bien sûr, un aspect positif à cette évolution : elle indique que les investisseurs étrangers jugent les grandes entreprises françaises suffisamment attractives pour venir y placer leurs capitaux. Mais elle révèle aussi que nos grandes entreprises peinent à trouver sur le marché national les capitaux dont elles ont besoin pour assurer leur croissance ; il n'y a pourtant pas, on l'a vu, pénurie globale d'épargne en France. C'est donc que l'épargne des ménages est insuffisamment orientée vers ces placements facteurs de développement économique que sont les actions. Pierre-Noël Giraud calculait, début 2001, qu'il suffirait que 18 % de l'épargne placée sur des comptes de dépôt et en obligations se déplacent vers les actions françaises du CAC 40 pour que la part des institutionnels anglo-saxons au capital de ces entreprises passe de 40 à 20 % 18 ( * ) . Une part importante des revenus distribués sous forme de dividendes par les grandes entreprises françaises bénéficie aux épargnants anglo-saxons, alors qu'elle pourrait bénéficier davantage aux épargnants français.

* 18 Cf. P.-N. Giraud, « Les fonds de pension. Vers un nouveau capitalisme ? » Etudes, février 2001, n° 3942.

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