Rapport d'information n° 319 (2003-2004) de M. Jacques VALADE , fait au nom de la commission des affaires culturelles, déposé le 25 mai 2004

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N° 319

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2003-2004

Annexe au procès-verbal de la séance du 25 mai 2004

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires culturelles (1) à la suite de la journée thématique « Sports, argent, médias »,

Par M. Jacques VALADE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Valade, président ; MM. Ambroise Dupont, Pierre Laffitte, Jacques Legendre, Mme Danièle Pourtaud, MM. Ivan Renar, Philippe Richert, vice-présidents ; MM. Alain Dufaut, Philippe Nachbar, Philippe Nogrix, Jean-François Picheral, secrétaires ; M. François Autain, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Jean-Louis Carrère, Gérard Collomb, Yves Dauge, Mme Annie David, MM. Fernand Demilly, Christian Demuynck, Jacques Dominati, Jean-Léonce Dupont, Louis Duvernois, Daniel Eckenspieller, Mme Françoise Férat, MM. Bernard Fournier, Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Marcel Henry, Jean-François Humbert, André Labarrère, Serge Lagauche, Robert Laufoaulu, Mme Brigitte Luypaert, MM. Pierre Martin, Jean-Luc Miraux, Dominique Mortemousque, Bernard Murat, Mme Monique Papon, MM. Jacques Pelletier, Jack Ralite, Victor Reux, Alain Schmitz, René-Pierre Signé, Michel Thiollière, Jean-Marc Todeschini, André Vallet, Jean-Marie Vanlerenberghe, Marcel Vidal, Henri Weber.

Sports

INTRODUCTION

Message d'accueil de M. Christian Poncelet, Président du Sénat

Le Sénat est heureux, une fois de plus, de montrer qu'il sait marier le travail législatif rigoureux qu'implique le calendrier parlementaire, et la réflexion de fond à plus long terme.

Ces journées thématiques de la Commission des Affaires culturelles, nées d'une heureuse initiative de son Président, sont l'occasion, hors la pression d'un débat parlementaire et des feux de l'actualité, de mettre en perspective les problèmes.

Ceux dont il est question aujourd'hui, touchant aux rapports entre sports, argent et médias, sont si brûlants et sulfureux qu'ils gagnent à être abordés dans la sérénité d'une telle journée thématique.

Le sujet traité est d'une particulière complexité, fortement contraint par le droit communautaire, celui de la concurrence, les exigences de la libre circulation des personnes, le droit à l'information, etc.

L'équilibre du paysage sportif et du paysage audiovisuel, la survie même de certains médias ou leur capacité à tenir leur rang dépendent des droits sportifs.

A l'inverse, l'importance des sommes drainées vers le sport est source de bien des dérives et de pratiques douteuses, dont on voudrait être certain qu'elles sont suffisamment combattues, car elles sont de nature à causer à l'image du sport des torts au moins aussi importants que le dopage, problème désormais bien identifié par les pouvoirs publics et les fédérations.

La journée se terminera par une question essentielle : « Quel équilibre ? ».

La science politique a parfois opposé les partisans du mouvement et ceux qui recherchent, comme une image de l'âge d'or, une forme d'équilibre.

D'un côté, l'inflation des coûts des droits de retransmission, la concentration des feux de l'actualité sur quelques joueurs et quelques sports ; de l'autre la nécessité de favoriser la pratique amateur, de faire vivre les disciplines moins spectaculaires --mais qui n'en portent pas moins les plus belles valeurs du sport--, de veiller à une harmonieuse répartition sur tout le territoire national des activités sportives : tels sont quelques-uns des termes du débat, qui imposent un équilibre, équilibre dynamique de manière à ce que les changements ne soient pas ressentis comme des dérives mais comme des progrès.

Je suis certain que vos débats aujourd'hui inspireront utilement nos futurs travaux législatifs.

Allocution d'ouverture par M. Jacques Valade, sénateur de la Gironde, Président de la Commission des Affaires culturelles du Sénat

En tant que président de la Commission des Affaires culturelles, j'ai pris l'initiative de consacrer chaque année une journée de réflexion et d'approfondissement d'un thème relevant de nos compétences. Il nous paraît en effet important, sur des sujets dont l'actualité nous rappelle de façon récurrente le caractère sensible, voire passionnel, de permettre à quelques-uns des principaux acteurs concernés de se rencontrer pour échanger publiquement leurs points de vue, pour essayer de mieux se comprendre mutuellement et afin de nous aider à dégager des lignes d'action pour l'avenir.

Les précédentes journées avaient pour thème « Les nouvelles télévisions », en 2002, et « La télévision, pour quoi faire ? », en 2003. Elles se rattachaient donc à la politique de la communication, l'un des champs privilégiés de notre Commission. Cette année encore les médias seront à l'honneur, sous l'angle particulier des rapports qu'ils entretiennent avec les sports.

La médiatisation croissante des sports professionnels, avec les conséquences financières que cela entraîne, impose une rénovation de certains aspects de la politique des sports.

L'extraordinaire intérêt du public pour les manifestations sportives, soit dans les stades, soit au travers des médias, doit nous entraîner à une réflexion partagée. Comment satisfaire le public dans son intérêt passionné, et parfois passionnel ? Comment permettre et pérenniser cet échange ? Comment protéger le sport et son développement, en particulier chez les non professionnels ? Comment, enfin, permettre aux médias d'exercer la fonction d'information qui est la leur, et leur développement ?

La voie est étroite.

Nous devons certes prendre en compte le contexte international, et plus particulièrement européen, dans lequel évoluent nos sportifs professionnels, si nous voulons leur permettre de lutter à armes égales avec leurs concurrents, mais la recherche d'une solution équilibrée nous invite à ne pas perdre de vue que la médiatisation des sports et son corollaire, la « financiarisation », ne touchent pas de la même façon les différentes disciplines.

En outre, même si ces évolutions touchent au premier chef le sport professionnel, nous devons prendre garde que les aménagements législatifs qui nous incombent ne remettent pas en cause l'unité du monde sportif et la nécessaire solidarité entre sports professionnels et sports amateurs, entre sports de haut niveau et sports de masse.

Les Etats généraux du Sport, en 2003, ont en quelque sorte tracé le cadre général de notre réflexion et les grandes lignes de ce qui peut constituer pour nous une « feuille de route ». Cette vaste consultation voulue par le Président de la République et organisée par le ministre des Sports, a été l'occasion d'une réflexion globale sur les problèmes du sport, à laquelle ont été associés le mouvement sportif, les collectivités locales, les acteurs économiques et les représentants de l'Etat. Elle nous a permis de vérifier l'existence d'un vaste consensus en faveur de la préservation de ce que l'on peut appeler le « modèle français » de l'organisation du sport, qui repose sur le rôle central des fédérations et des associations sportives qui les composent, ainsi que sur la complémentarité du sport professionnel et du sport amateur, ce qui garantit l'unité du mouvement sportif.

Ces Etats généraux ont aussi estimé que des adaptations étaient nécessaires, et ont ainsi proposé un certain nombre de réformes.

Avec le ministre des Sports nous avons très vite décidé de débattre des conséquences qu'il convenait d'en tirer. Jean-François Lamour est donc venu le 11 février 2003, en séance publique, nous présenter les grandes lignes de la politique du Sport qu'il se proposait de mettre en oeuvre. Celle-ci a trouvé sa première traduction législative dans le projet de loi que nous avons examiné et voté au début de l'été dernier. Cette loi du 3 août 2003 comporte un important volet sur le sport professionnel, dont les dispositions intéressent directement notre débat de ce jour. Plusieurs de ces dispositions répondent à des demandes formulées par de grands clubs sportifs professionnels, notamment de football, et qui avaient reçu l'aval des Etats généraux consacrés aux sports professionnels. Ces clubs considéraient qu'ils souffraient d'un important handicap vis-à-vis des concurrents étrangers, du fait qu'ils n'étaient propriétaires ni de leurs marques ni de leurs droits d'exploitation audiovisuelle. La loi leur donne satisfaction sur ces points, et autorise dorénavant les clubs sportifs professionnels à acquérir auprès de l'association support la propriété de leurs dénominations, marques et signes distinctifs qui, à travers le marchandisage, sont une source croissante de financements.

La loi autorise aussi -et cette disposition a fait couler beaucoup d'encre- les fédérations sportives à céder gratuitement aux clubs professionnels la propriété de tout ou partie des droits d'exploitation audiovisuelle des compétitions organisées par la Ligue professionnelle auxquelles ils participent.

Toutefois, dans le souci de conserver l'unité et la solidarité entre les activités à caractère professionnel et les activités à caractère amateur, la loi consacre le principe d'une mutualisation de ces droits et en confie la commercialisation à la Ligue professionnelle, qui est chargée de répartir le produit entre la fédération, la Ligue et les différents clubs propriétaires.

Enfin, l'article 5 de cette loi a levé une ambiguïté en confirmant la gratuité des radiodiffusions sonores, des commentaires oraux d'une compétition.

Ces dispositions représentent des avancées significatives dans le droit du sport, même si certains points restent à préciser, comme les modalités de commercialisation par la Ligue des droits d'exploitation audiovisuelle des clubs. Certes, la loi indique que celle-ci doit être effectuée avec constitution de lots, pour une durée limitée et dans le respect des règles de la concurrence, mais il reviendra au décret d'application, dont la publication est imminente, de proposer des solutions claires, notamment sur la question de l'exclusivité des droits, si nous voulons éviter le retour de difficultés comme celles qui ont perturbé le précédent appel d'offres de la Ligue de football professionnel.

J'espère que les débats de cette journée nous permettront de recueillir le point de vue de quelques-uns des principaux acteurs du sport et des médias sur les premiers effets de cette réforme, même s'il est encore trop tôt pour en tirer un bilan.

Faut-il aller plus loin encore, et envisager de nouvelles réformes ? La question de l'entrée en Bourse de certains clubs sportifs a été évoquée au cours des discussions pour la loi du 3 août. Elle n'a pas reçu une réponse positive, mais ce refus ne peut être ni absolu, ni définitif.

Le problème de la rémunération des sportifs professionnels est lui aussi fréquemment évoqué. Faut-il reconnaître à ceux-ci un droit à l'image comparable à celui des vedettes du spectacle ?

Autant de questions auxquelles les participants de la deuxième table ronde pourront nous apporter des éclairages intéressants.

Mais la médiatisation du sport n'intéresse pas seulement le sport professionnel, tout d'abord parce que le sport de masse tire aussi parti dans une certaine mesure des recettes provenant de la commercialisation des droits audiovisuels. La loi du 3 août prévoit qu'une partie des droits commercialisés par la Ligue professionnelle irait à la fédération dont elle dépend, donc au sport amateur.

Mentionnons aussi le prélèvement de 5 % sur les droits audiovisuels, qui abondent chaque année d'une vingtaine de millions d'euros la part régionale du fonds national pour le développement du sport. Ces sommes non négligeables apportent un témoignage concret de la solidarité qui prévaut au sein du sport français entre les secteurs amateurs et professionnels, même si ces montants restent hors de proportion avec par exemple le budget que les collectivités locales consacrent au développement de la pratique sportive.

Notons également, et ceci est essentiel, que la retransmission des grands événements sportifs leur confère un retentissement dont nous pouvons tirer parti pour développer la pratique sportive du plus grand nombre. La Coupe du Monde de football, les Jeux Olympiques ou les Championnats du Monde d'athlétisme ne doivent pas être considérés sous le seul angle du spectacle sportif susceptible de faire exploser l'audience et les recettes publicitaires, mais aussi comme une vitrine du sport capable de lui attirer de nouveaux pratiquants.

Toutefois, seule une politique volontaire des clubs et des fédérations sportives, appuyée le cas échéant sur les pouvoirs publics, permettra de capitaliser les fruits des engouements par nature passagers, pour les transformer en une pratique sportive régulière.

Si nous voulons que ces grandes manifestations sportives jouent pleinement ce rôle de vitrine, il est par ailleurs nécessaire que le sport professionnel soit effectivement exemplaire et qu'il lutte activement contre les pratiques contraires à l'esprit sportif, au premier rang desquelles, évidemment, le dopage.

J'espère que cette journée permettra de cerner les conditions que nous devrons réunir pour que la collaboration entre sports et médias soit la plus profitable possible à l'un comme à l'autre.

Les parlementaires seront très attentifs aux discussions qui vont avoir lieu, dans la mesure où elles permettront d'éclairer leurs travaux et de transposer les réflexions au niveau de l'acte législatif.

Merci à toutes celles et tous ceux qui ont répondu à notre invitation.

TABLES RONDES ET DÉBATS

animés par M. Denis Astagneau, rédacteur en chef à France Inter

M. Denis Astagneau

Les sports, les médias, l'argent... tout le monde a un avis sur le sujet, mais le connaît-on vraiment ? Ne lui donne-t-on pas trop souvent un ton angélique ou manichéiste ? Y a-t-il d'un côté les bons sportifs, et de l'autre les financiers machiavéliques, avec au centre les objectifs des médias ? Cela paraît trop simple.

Le sport, en France, c'est tout d'abord trois chiffres : 26 millions de pratiquants, 14 millions de licenciés et environ 6 000 athlètes de haut niveau, dont une centaine focalise l'attention de tous les médias. Cette élite qui draine l'argent en fait-elle suffisamment profiter la masse des sportifs anonymes ? Telle est finalement la question qui sera abordée aujourd'hui au travers des quatre tables rondes.

UNE SITUATION EXPLOSIVE : PAS DE SPORTS SANS MÉDIAS
ET PAS DE MÉDIAS SANS SPORTS

Sous la présidence de Bernard Murat , sénateur de la Corrèze, rapporteur du budget des Sports au nom de la Commission des Affaires culturelles

M. Denis Astagneau

L'audience cumulée de la dernière Coupe du Monde de football en Corée et au Japon a atteint les 30 milliards de téléspectateurs. Ceci en fait l'événement sportif le mieux couvert et le plus populaire de l'histoire de la télévision.

Les compétitions sportives deviennent ainsi des événements planétaires, et le sport une véritable industrie, qui pèse par exemple en France 1,7 % du PIB. Les médias à la fois alimentent l'essor du sport et s'arrachent les droits de retransmission en perpétuelle augmentation, tout en attirant d'importants sponsors de tous secteurs.

Sommes-nous face à un « couple infernal » ? Peut-on y échapper ?

M. Bernard Murat, sénateur de la Corrèze, rapporteur du budget des Sports au nom de la Commission des Affaires culturelles

La question de fond est immédiatement posée : le sport et les sportifs peuvent-ils évoluer en dehors du regard des médias, et ces derniers, aujourd'hui, peuvent-ils se passer du sport ?

La médiatisation ne touche qu'une partie du monde du sport, à savoir le sport professionnel, et encore les diverses disciplines sportives sont-elles très inégalement représentées sur les ondes et les écrans. En tant que parlementaires, on a parfois l'impression que l'on devrait légiférer différemment selon qu'il s'agit du sport amateur ou du sport professionnel, ou encore que le football pourrait être considéré à part.

Les médias sont aussi très inégalement dépendants de la retransmission de spectacles sportifs.

Quoi qu'il en soit, il apparaît incontestable et significatif que le monde du sport et celui des médias n'ont cessé ces dernières années de se rapprocher, au point de se retrouver aujourd'hui dans une certaine forme de dépendance mutuelle. En particulier pour les médias audiovisuels, le sport est une source de spectacle de tout premier ordre. La glorieuse incertitude du sport, la fidélité aux clubs et la présence de stars constituent un cocktail irrésistible qui permet de battre des records d'audience et de séduire les annonceurs. Pourvoyeur d'importantes recettes publicitaires, le sport peut dans certains cas devenir vital pour certaines chaînes, en particulier les chaînes payantes et les bouquets satellitaires, qui le considèrent comme un produit d'appel aussi important que le cinéma, d'autant qu'il n'est pas soumis à la concurrence du DVD. La compétition entre chaînes rivales, la volonté de ne pas décevoir les abonnés, pour lesquels la retransmission de certaines compétitions est au coeur de l'abonnement souscrit, débouchent sur des surenchères qui poussent à la hausse ; la commercialisation de ces droits audiovisuels risque peut-être de fragiliser l'équilibre financier de ces sociétés de télévision.

A l'inverse, les grands clubs de football français dépendent plus que leurs homologues étrangers de la manne télévisuelle qui constitue une part appréciable de leurs revenus.

Mais l'arbre du football, le sport roi, ne doit pas cacher la forêt du monde sportif.

La situation du football est exceptionnelle. La médiatisation des autres disciplines sportives progresse, certes, mais les recettes qu'elles tirent de leurs droits audiovisuels sont sans commune mesure avec celles du football. Les clubs sont donc moins riches, mais de ce fait également moins dépendants.

Par ailleurs, le poids des médias dans le financement global du sport en France reste très marginal. Chaque année, dans un rapport budgétaire que je présente à la Commission des Affaires culturelles sur les crédits de la politique des sports, je rappelle les grandes masses de la dépense sportive en France telles que les évalue l'INSEE.

La contribution des médias en 2001 ne représentait que 0,7 milliard d'euros, soit 2,75 % de la dépense sportive, loin derrière les 30 % dépensés par les collectivités territoriales. J'insiste sur ce point, de même que sur les problèmes récurrents que rencontrent ces collectivités, comme la mise aux normes des installations. N'oublions donc pas que ce sont en premier lieu les collectivités locales qui font vivre le sport en France. Viennent ensuite les familles et les ménages, avec quelque 12,8 milliards de francs, soit plus de la moitié de l'enveloppe.

Ne perdons pas de vue ces chiffres durant nos débats : la contribution des collectivités est 11 fois plus importante que celle des médias.

M. Denis Astagneau

Restons sur l'aspect économique avec Wladimir Andreff. La situation entre le sport et les médias est-elle véritablement explosive ?

M. Wladimir Andreff, professeur en Sciences économiques à Paris I, président de la International Association of Sports Economists

J'aurais tendance à répondre par l'affirmative, mais c'est une explosion basée sur certaines complémentarités.

Si l'on dit qu'il n'y a pas de sports sans médias, c'est parce que le média privilégié qu'est la télévision joue un rôle de promotion et de publicité en faveur du sport, attirant vers ce dernier un public très important. Par ailleurs, la télévision est un gisement financier pour le sport vers lequel elle attire des sommes considérables.

Mais la complémentarité joue aussi dans l'autre sens. La retransmission des manifestations sportives les plus importantes draine un important gisement d'audience, qui à son tour attire les annonceurs publicitaires, donc des recettes vers les chaînes de télévision.

Médias et sports ont ainsi tout intérêt à continuer à vivre ensemble, même si la situation peut être qualifiée d'explosive.

M. Denis Astagneau

Quel est le véritable poids financier des médias dans le sport ?

M. Wladimir Andreff

Le sénateur Murat a déjà donné des chiffres incontestables.

En moyenne, sur les quelques dernières années, les médias apportent par an un peu plus de 600 millions d'euros au sport, soit environ 2,6 % de la dépense intérieure sportive de la France, qui est de l'ordre de 25 milliards d'euros par an.

Sur l'ensemble de l'apport des entreprises au sport, les entreprises de médias représentent 36 %.

Pour le sport professionnel, la situation est différente : les médias et la télévision en particulier sont devenus la première source de revenu, ceci devant les spectateurs et devant les sponsors. Ces proportions se généralisent de plus en plus aux différents sports professionnels. En tant qu'économiste, on pourrait craindre une dépendance future du sport vis-à-vis des médias.

Il y a une vingtaine d'années seulement, la principale source de revenu était les spectateurs, donc la recette au guichet ; ensuite on trouvait les subventions et les sponsors, les médias ne représentant que 1 ou 2 % du financement total du sport professionnel.

Aujourd'hui, les médias représentent plus de 40 % du financement du football professionnel.

Cette répartition peut présenter quelques problèmes.

Une étude statistique sur les championnats de football des principaux pays européens a constaté un déséquilibre financier entre les clubs, qui se traduit ensuite par un déséquilibre compétitif.

Les recettes télévisuelles sont focalisées sur quelques clubs, d'où une concentration des budgets globaux sur ces mêmes clubs. Ces clubs les plus riches deviennent évidemment les plus performants, leurs capacités financières leur permettant d'attirer les meilleurs joueurs, sur un marché aujourd'hui européen.

Tout cela a bien entendu des incidences. On peut ainsi craindre une perte d'intérêt pour les championnats, si les titres ne se jouent qu'entre quatre ou cinq clubs. Par ailleurs, ces quelques clubs qui concentrent moyens financiers et victoires vont jouer en Coupe d'Europe ou en Ligue des Champions, où ils vont encore accumuler des droits audiovisuels : les budgets vont encore se concentrer, et le déséquilibre sportif va encore s'accentuer.

On remarquera enfin que ce phénomène de concentration est beaucoup plus fort dans les championnats où il n'existe pas de mécanisme de redistribution des droits télévisuels par la Ligue, comme c'est le cas en Espagne et en Italie.

Notons qu'une qualification en Coupe d'Europe apporte quelque 20 à 40 % de plus au budget du club.

M. Denis Astagneau

Que faire pour éviter ce processus de concentration, et donc le désintérêt des championnats ?

M. Wladimir Andreff

L'économiste que je suis proposerait trois recommandations.

La première est d'encourager ou d'imposer la redistribution des droits de retransmission audiovisuelle entre les clubs. La loi d'août 2003 reprend cette idée de mutualisation, ce dont on ne peut que se féliciter. Cependant, tant que tous les pays européens ne pratiquent pas de la sorte, les déséquilibres persisteront. Cette redistribution devrait aussi bénéficier à des sports qui profitent moins de la manne télévisuelle, y compris les sports non professionnels.

Je proposerais par ailleurs que l'on réfléchisse à des mesures évitant la concentration financière et la concentration des résultats sportifs, dans la mesure où cette situation pourrait réduire l'attractivité des sports professionnels au moins, et renforcer la tendance des chaînes à réduire les apports financiers qu'elles acceptent aujourd'hui.

Enfin, les sports professionnels auraient intérêt à envisager de se transformer en une sorte de secteur général des loisirs de spectacles, de manière à diversifier davantage leurs sources de financement, et être ainsi moins dépendants des médias et notamment de la télévision.

M. Denis Astagneau

Merci pour cet exposé des bases économiques, après lesquelles nous allons passer à l'aspect sociologique, avec Patrick Mignon.

Quelle est la nature des relations entre le public et le sport professionnel, de haut niveau ?

M. Patrick Mignon, responsable du laboratoire de sociologie du sport de l'Institut national du sport et de l'éducation physique (INSEP)

Depuis sa création au XIX e siècle, le sport tel qu'il existe exprime parfaitement, dans la mesure où il est spectacle, la relation qui le lie à la société qui l'a vu naître : il s'agit d'exprimer et de mettre en scène les valeurs cardinales de la société, ce que sont les ego et ce qu'est la justice. En effet, le sport est une activité où s'affrontent des ego et dans laquelle le résultat est incontestable puisque cela obéit à des règles valables pour tous.

Ainsi le sport fascine, intéresse et mobilise de grandes masses de personnes, et le média accentue cette mobilisation des intérêts.

La relation entre médias et sports, quant à elle, est une vieille histoire.

Au XIX e siècle la presse écrite, en Angleterre et aux Etats-Unis, s'aperçoit qu'elle augmente ses ventes lorsqu'elle donne les résultats sportifs de l'époque, c'est-à-dire essentiellement les courses de chevaux et des combats de boxes.

Dans un premier temps il s'agit de ce que l'on peut appeler des sports « de gentlemen », pratiqués par des gens qui ont les moyens de se payer cette activité, mais les choses se compliquent ensuite, lorsque apparaît la professionnalisation. Le sport devient alors pour ces professionnels le moyen de faire leur vie. Les spectateurs voient dans le sport le combat qu'eux-mêmes doivent mener chaque jour pour devenir des gens d'importance dans une société difficile et inégalitaire.

Pour exploiter cela, on le raconte. En effet, le sport, c'est un drame : il y a une histoire, avec un début et une fin, des épisodes et des rebondissements, que ceci soit étalé sur 90 minutes ou sur vingt étapes d'un Tour de France. A travers ces histoires seront identifiées des personnes exceptionnelles, des moments critiques, dramatiques, etc., toutes choses extrêmement parlantes pour les lecteurs, les auditeurs et les téléspectateurs.

L'arrivée de la télévision change évidemment complètement les données du financement du sport.

Le secteur sportif peut ainsi se permettre de rémunérer des activités, qui peuvent donc se pratiquer de manière constante, dans un cadre professionnel, de manière à obtenir des résultats.

Notons que dans des épreuves comme la Coupe de France de football, il arrive que les niveaux inférieurs rencontrent les niveaux supérieurs ; et l'on n'est jamais à l'abri de certaines surprises ! Cette dissymétrie est d'ailleurs aussi un élément attractif : le « petit » peut battre le « grand » ! C'est le problème que soulevait M. Andreff : ce type de confrontation pourrait ne plus avoir lieu.

M. Denis Astagneau

Que dire de l'isolement, voire de la désocialisation des sportifs ?

M. Patrick Mignon

Pouvoir vivre d'une activité qui vous demande beaucoup est un aspect positif, et c'est l'un des avantages que procure la manne financière des médias. Mais l'inconvénient est peut-être cette transformation du sportif en vedette ou en star. Ce phénomène ne peut qu'accentuer ce qui existe naturellement : lorsque l'on fait quelque chose de spécialisé, on vit dans un « petit » monde de spécialistes. Un certain nombre de préoccupations et d'investissements sont mis de côté, tout comme pour un musicien ou un individu qui se lance dans de longues études spécialisées. L'individu attire ainsi autour de lui beaucoup de personnes qui vont jouer le rôle de conseil, de relation, ceci d'ailleurs pour de bonnes ou de mauvaises raisons.

Le cas du cycliste Marco Pantani est une manifestation dramatique de ce processus, où le phénomène de « starification » a été poussé à l'extrême, pour perdre totalement son intérêt lorsque les ressorts se brisent. C'est alors sur l'individu que pèse tout le poids du radical changement de situation.

En ce sens la médiatisation joue le rôle fondamental de rendre les relations visibles. Le sportif devient potentiellement porteur d'un certain nombre de choses : les attentes du public ou des sponsors, le fait d'être écouté sur des plateaux télé, etc. La vie elle-même, l'histoire du sportif, devient une source d'intérêt et d'attirance pour le public --nous voyons bien de quoi sont faits les journaux de la presse écrite ou audiovisuelle. Il place les gens face à des images d'eux-mêmes qu'ils ne sont pas préparés à gérer. Tous les supports médias, dans des genres différents, jouent un rôle dans cette dramatisation. La presse régionale prend ainsi une part importante dans la construction de l'identité sociale d'un sportif ; elle est une sorte de « tremplin » qui permet d'identifier les « professionnels de la profession » !

M. Denis Astagneau

Journaliste sportif pendant de nombreuses années, Christian Prudhomme organise aujourd'hui au sein de ASO, Amaury Sport et Organisation, des compétitions sportives, et non des moindres : le Tour de France, Paris-Roubaix, le Paris Dakar, l'Open de France de golf, etc...

Pourquoi avoir ainsi « sauté la barrière », et comment le vivez-vous ?

M. Christian Prudhomme, directeur adjoint de la Société du Tour de France

Le journalisme et les grandes compétitions sportives sont étroitement liés. A la tête du Tour de France, depuis toujours, on trouve des journalistes ! Jean-Marie Leblanc aujourd'hui, par exemple, rassemble toutes les composantes : ancien coureur cycliste professionnel, il est devenu patron de la rubrique cycliste à l'Equipe, puis patron du Tour de France.

Je suis d'accord avec l'assertion selon laquelle il n'y a pas de sports sans médias, ni de médias sans sports.

Un grand nombre de grandes manifestations sportives ont été inventées si ce n'est par des journalistes, en tout cas par des journaux : le Tour de France, la Coupe d'Europe des clubs champions, la Coupe du Monde de ski, le Tour d'Italie, le Tour d'Espagne.

Nous parlions de passion : je ne sais si l'histoire entre le sport et les médias est une histoire d'amour, mais c'est en tout cas une histoire passionnelle. L'évolution des médias se fait avec l'évolution du sport. Les journaux qui ont créé les compétitions sportives, la radio qui les a fait entrer dans les foyers --et qui nous a fait rêver !--, tout cela a été ensuite magnifié par la télévision, tout en faisant aussi grandir cette dernière, comme nous le montrent aujourd'hui les couvertures médiatiques exceptionnelles des grands événements sportifs.

Le sport sans médias existe, bien entendu. Le sport de masse en est la preuve, mais en même temps, heureusement qu'existent les Jeux Olympiques pour qu'un certain nombre de disciplines magnifiques puissent vivre !

M. Denis Astagneau

Des groupes comme le vôtre, ASO, portent une grande part de responsabilité dans l'inflation des droits de retransmission des manifestations sportive.

M. Christian Prudhomme

Pour ce qui est du Tour de France, je pense que l'on est loin de l'explosion des Jeux Olympiques ou de la Coupe du Monde de football.

Le Tour permet évidemment à ASO de gagner de l'argent, c'est un beau contrat signé avec France Télévisions. C'est aussi une assurance d'audience, d'autant que le Tour de France est plus que du cyclisme, sinon, cela ne représenterait pas 47 % de part de marché, quatre heures par jour pendant trois semaines ! Le Tour est aussi la France « vue d'en haut », une France magnifiée, comme je le disais précédemment. Les maires ou présidents de conseils régionaux nous disent qu'ils ont envie de voir ainsi leurs villes.

M. Denis Astagneau

L'affaire Festina en 1998, la mort de Marco Pantani il y a quelques jours, le dopage : tout cela a un impact désastreux sur l'image du cyclisme et du Tour de France. Quelle évaluation faites-vous de l'impact de ces scandales auprès du public, des sponsors et des médias dans les années à venir ?

M. Christian Prudhomme

Il est évident que le dopage est un fléau du sport de haut niveau. Hélas, cela existe et il y a encore des comportements déviants, même dans des équipes françaises.

Il faut faire le distinguo entre les sponsors d'équipe, qui risquent évidemment d'être touchés, et ceux qui viennent sur une grande épreuve ; ces derniers ne sont pas associés au dopage. ASO a signé un contrat avec Skoda, qui va remplacer Fiat durant les quatre années qui viennent.

M. Denis Astagneau

Et ils ont précisé qu'ils ont signé ce contrat parce que le Tour de France participe à la lutte contre le dopage...

M. Christian Prudhomme

Cette lutte est évidemment indispensable. S'il n'y a pas d'équité, il n'y a pas de compétition sportive.

On opère souvent une confusion entre ce que peuvent faire les organisateurs et ce que peuvent faire les instances sportives, qui doivent in fine décider. Par ailleurs, les avocats sont aujourd'hui derrière tout, ils vérifient tout : nous sommes en plein dans le monde de l'individualisme.

J'ai rencontré dernièrement des jeunes de l'Ecole cycliste de Chambéry : ces jeunes diplômés, qui ne se destinent pas forcément à devenir professionnels, mais qui sont de haut niveau, parlent tous d'éthique ! Ils ne veulent pas que l'on triche, mais aucun ne parle de santé... A vingt ans, on est immortel !

M. Denis Astagneau

Concernant les droits de retransmission, comment se fait-il que le Tour de France, malgré sa notoriété, reste dans des limites raisonnables par rapport à d'autres manifestations sportives ?

M. Christian Prudhomme

Peut-être parce que Marc Tessier est un redoutable négociateur !

M.  Marc Tessier, président-directeur général de France Télévisions

C'est un marché d'offres et de demandes : on dit que la télévision paye souvent trop, mais elle serait ravie de payer moins.

En l'occurrence le vendeur a su être habile il y a quelques années. Certains paliers ont été franchis, pour se stabiliser ensuite. Par ailleurs, les organisateurs savent qu'ils n'obtiendront une telle qualité de couverture que sur France Télévisions, ceci pour des raisons purement techniques. Cet équilibre fait que nous avons réussi à maîtriser l'inflation de ce budget depuis quatre ou cinq ans.

M. Denis Astagneau

Il n'y a pas que le Tour de France : ASO organise aussi le Paris-Dakar, le Marathon de Paris, l'Open de France de golf. Ce n'est pas le même public, ni la même masse de public.

M. Christian Prudhomme

Au-delà du Tour de France, ASO organise 76 jours de compétitions cyclistes sur l'année : depuis le Tour du Qatar en février, jusqu'au Tour du Burkina Faso en novembre, en passant par Paris-Nice et les autres grandes classiques en France et en Belgique par exemple.

Le cyclisme apporte 80 % du chiffre d'affaires de la société, mais après 1998 il a naturellement été question d'élargir les activités du groupe.

M. Denis Astagneau

Mais les 17 000 participants du Marathon de Paris ne courent ni pour l'argent ni pour les médias...

M. Christian Prudhomme

Il s'agit ici d'exploits personnels, avec aussi la possibilité de côtoyer, même de loin, les plus grands champions.

M. Denis Astagneau

Nous allons mesurer l'impact d'une bonne ou d'une mauvaise image du sport sur l'attitude d'un sponsor, avec Olivier Dulac, de BNP Paribas, qui ne patronne qu'un sport : le tennis.

Depuis trente ans, Roland Garros, c'est vous ; la Coupe Davis, c'est vous ; le plus important tournoi au monde sur court couvert, c'est le Master BNP Paribas.

Quel est le budget pour tout cela ?

M. Olivier Dulac, responsable de la communication corporate du groupe BNP Paribas, membre de Sporsora

Vingt millions d'euros par an, et depuis trente ans plus de 200 millions d'euros pour le développement du tennis en France.

Vous avez cité la partie visible et « brillante » de nos interventions, mais nous sponsorisons aussi d'autres compétitions, amateurs ou semi-professionnelles, qui ne sont pas du tout retransmises par les médias. Ayant pris le parti du tennis, BNP Paribas a décidé d'être le partenaire de tous les tennis, ceci bien entendu sans souci d'hégémonie. Il s'agit d'être présent et de développer la pratique du tennis à tous les niveaux, et partout. Cela fait en quelque sorte partie de notre devoir de partenaire. Nous n'avons pas une vision du sponsoring qui consiste à uniquement « faire des coups », mais plutôt celle d'une histoire à construire ensemble, avec la Fédération française de tennis en l'occurrence. Nous préférons d'ailleurs le terme de « partenaire », puisque nous travaillons vraiment ensemble, et ce depuis l'origine.

L'histoire a commencé en 1973, lorsque la Fédération a voulu modifier la taille des courts de tennis, pour des raisons de performances sportives. Les courts ont été raccourcis, des loges ont été créées, il a fallu poser des bâches... La Fédération s'est donc tournée vers son banquier... qui a demandé de placer sa marque quelque part dans tout cela. Les présidents de la banque et ceux de la Fédération se sont depuis succédés, mais l'esprit demeure, et nous travaillons pour que tout le monde y gagne.

Nous sommes donc présents sur les bâches de fond de court, mais nous sommes aussi partenaire, par exemple, de la sélection des ramasseurs de balles, opération qui se déroule dans 60 villes en France, qui anime les clubs amateurs, et avec succès.

M. Denis Astagneau

Jusqu'où pouvez-vous aller en terme de partenariat ? A partir du moment où vous avez un poids financier, vous pouvez influencer une fédération.

M. Olivier Dulac

C'est exact. Cela est d'ailleurs vrai pour tout le monde.

En ce qui nous concerne, notre habitude, et notre plaisir, est de travailler essentiellement avec des fédérations --française, internationale, et dans plus de 85 pays où nous sommes implantés. Nous travaillons avec ceux qui s'attaquent concrètement au développement de la pratique du sport. Nous n'avons pas une démarche de marketing sportif, mais de partenariat, et comme dans tout couple, le territoire de l'un et de l'autre est parfois fluctuant : chacun donne son avis, sans être toujours d'accord d'ailleurs. Nous mettons donc en jeu de l'argent, mais aussi beaucoup de notre identité. Le tennis fait partie du « code génétique » de la marque « BNP Paribas ».

Si par malheur et par folie une décision allait à l'encontre des valeurs partagées avec la Fédération, on ne pourrait pas ne pas le dire, dans la mesure où cela toucherait l'intégrité de cet ensemble. Mais les échanges restent naturels et, je crois, assez équilibrés.

M. Denis Astagneau

Dans le cas d'une désaffection des médias pour Roland Garros par exemple, mettriez-vous fin à ce partenariat ?

M. Olivier Dulac

Nous sommes présents depuis trente ans, pour le meilleur et pour le pire ! Le pire n'a pas encore eu lieu, mais nous avons tout de même connu des moments plus délicats. Les audiences tiennent tout d'abord au sport lui-même, ne l'oublions pas ; elles sont fonction du « plateau » qu'une finale de Roland Garros, par exemple, peut proposer.

M. Denis Astagneau

Le tennis apparaît comme un sport « propre », mais quand un champion comme John McEnroe avoue qu'il s'est dopé pendant longtemps, cela a un impact désastreux sur l'image de ce sport...

M. Olivier Dulac

Il me paraît curieux de mettre vingt-cinq ans avant de se souvenir de cela.

Je crois que le tennis est un sport « propre ». Si par malheur ce sport devait connaître des crises de cette nature, nous ne nous retirerions pas, mais nous donnerions clairement notre point de vue. Très honnêtement, il est difficile de se doper au tennis : on ne peut notamment pas savoir combien de temps va durer un match.

Nous aimons le tennis pour des valeurs communes, pour des pratiques, pour les corrélations entre le public et celui que nous voulons attirer, pour développer notre notoriété, évidemment. Tout peut arriver, bien entendu, mais le tennis a jusqu'à présent traversé son développement et sa professionnalisation sans embûches.

M. Denis Astagneau

Vous pouvez peut-être nous dire quelques mots sur votre association avec Yannick Noah : « Fête le mur » ?

M. Olivier Dulac

Nous avons parlé des grands événements que BNP Paribas soutient, comme Roland Garros, retransmis dans 160 pays pour trois milliards de téléspectateurs confondus. Notre banque est internationale, nous avons besoin de faire connaître notre marque. Le meilleur moyen pour cela n'est pas la publicité institutionnelle, mais le sponsoring à ce niveau. Mais cela n'est effectivement que la partie visible : nous développons d'autres choses.

Une partie de notre investissement s'apparente à ce que l'on appelle du « mécénat sportif », comme nous le faisons dans les domaines artistique, culturel ou de la santé. Le mécénat sportif se pratique de différentes façons : nous aidons des petits clubs à vivre, mais aussi des associations comme celle de Yannick Noah, qui aide des jeunes des quartiers difficiles à se réinsérer par la pratique du tennis en l'occurrence. Nous essayons au-delà de cela de soutenir la création d'un centre sports-études, dans lequel seront intégrés les jeunes qui gagnent les grands tournois organisés par cette association. Une structure comme la nôtre se doit d'avoir ce rôle citoyen : c'est ce que l'on appelle du développement durable.

M. Denis Astagneau

Les Internationaux de France de Tennis sont avec le Tour de France et le Tournoi des Six Nations le point fort de la politique sportive de France Télévisions. Marc Tessier, si l'audience faiblit, maintiendrez-vous le même nombre d'heures de retransmission du Tournoi de Roland Garros ?

M.  Marc Tessier, président-directeur général de France Télévisions

Comme elle ne faiblit pas, je ne me suis pas encore posé la question.

Je crois que l'on assiste à un phénomène que nous n'avons pas encore suffisamment souligné.

La problématique a été ramenée, comme toujours, à celle du football professionnel, qui est fondamentale bien entendu concernant les rapports entre les médias et le sport, mais qui est loin de résumer l'ensemble du problème posé.

Je rappelle qu'actuellement, les audiences des autres sports à la télévision montent lorsque cela est bien orchestré --comme on l'a vu pour les Championnats du Monde d'athlétisme par exemple. Contrairement à ce que l'on dit souvent, il n'y a pas de concentration de l'audience télévisuelle sur le football. Il y aurait même plutôt une certaine érosion de l'audience de certains événements du football, et à l'inverse une croissance pour d'autres disciplines sportives.

S'il y a eu un changement de la politique sportive de France Télévisions au cours des dix dernières années, il a porté sur la volonté d'aller plus loin dans l'orchestration d'événements très divers. Il faut intéresser un public plus large que celui qui s'intéresse au sport, faire, ou orchestrer, autrement pour proposer quelque chose de différent. En travaillant sur toutes les disciplines sportives, et dans la mesure du possible sur des événements qui mettent en cause soit la localisation sur le territoire national, soit des sportifs ou des équipes nationales, soit de grandes personnalités sportives, on peut atteindre des audiences inenvisageables auparavant.

Pour France Télévisions, le problème est celui de l'arbitrage entre le sport et les autres programmes. Depuis une dizaine d'années, de 12 à 15 % de temps d'antenne est consacré au sport dans ses différentes composantes. Nous en sommes aux mêmes pourcentages sur le plan budgétaire. Cet équilibre me paraît assez sage : il tient compte des autres missions de la télévision publique et du fait que malgré les changements intervenus au sein du public du sport à la télévision --devenu plus féminin et plus familial--, nous devons rester dans ces zones d'investissement.

M. Denis Astagneau

Quelle sera selon vous l'évolution du match « chaînes en clair contre chaînes câblées » ?

M. Marc Tessier

Y a-t-il vraiment un match ? Comprenons comment les choses se passent.

Pour le football, je laisserai Bertrand Méheut s'exprimer. La Fédération et la Ligue ont eu l'intelligence de diversifier les compétitions. Nous avons renouvelé notre contrat avec la Coupe de la Ligue, et les performances sont tout à fait satisfaisantes, quand les clubs veulent bien aligner leurs équipes premières !

Mis à part le football, nous avons pris l'engagement de couvrir une centaine de disciplines par an.

Pour les grands événements nationaux, il y a manifestement une demande de programmation en clair. La 6 n'est, d'ailleurs, pas encore entrée dans le domaine du sport car il faut payer pour cela ! Reste donc TF1, France 2 et France 3, et nous ne sommes que très rarement en compétition, excepté, par exemple, pour des événements comme la finale de la Coupe du Monde de handball.

Notre problématique vis-à-vis des chaînes câblées est de savoir si nous arrivons à couvrir une part suffisante de l'événement pour offrir au téléspectateur la totalité de celui-ci à la télévision. Si nous y parvenons, nous gardons pour l'essentiel l'exclusivité ; sinon, des accords sont passés avec les chaînes câblées, qui reprennent ainsi une partie complémentaire de l'événement. Cela amène des ajustements en fonction des années et des sports eux-mêmes.

Pour des disciplines que nous ne pouvons pas couvrir, pour des raisons d'antenne, des accords existent en sens inverse. La chaîne câblée prend l'événement, et nous négocions la possibilité de couverture complémentaire, soit dans nos magazines, soit dans les programmes du samedi ou du dimanche. En général l'équilibre est perçu de manière satisfaisante, il n'y a pas vraiment de « compétition » ; cela pourra arriver le jour où les chaînes câblées couvriront 50 ou 60 % de la population... Nous avons donc devant nous quelques années de complémentarité plus que de concurrence.

M. Denis Astagneau

Concernant l'aspect juridique, où en est le débat sur l'exclusivité et l'intégralité des droits de retransmission ?

M. Marc Tessier

Ce débat, au coeur de notre colloque, doit être bien posé.

On parle d'exclusivité à propos de la cession des droits soit par une ligue ou une fédération, soit par l'Union européenne de radiodiffusion, c'est-à-dire dans un cadre dit « de concentration ». Mais ceci n'existe que dans ce cadre. Les autres discussions ont lieu de gré à gré avec les organisateurs de manifestations sportives, tel ASO, comme la loi nous y autorise. L'organisateur peut lancer un appel d'offres, ou « sonder », comme ils le font souvent, tous les diffuseurs, chercher les marques d'intérêt et le prix qu'ils sont prêts à investir, pour négocier ensuite de gré à gré. Dans ce cas sont évidemment négociées des exclusivités. Le diffuseur s'assure d'avoir une couverture aussi large que possible et s'engage, souvent par contrat, à des rétrocessions. C'est ce qui se passe pour le Tour de France, par exemple, où nous avons des sous-accords avec Eurosport, qui dispose d'une couverture européenne. Les exclusivités sont ainsi tempérées par d'autres clauses contractuelles.

Nous visons quoi qu'il en soit l'optimisation de la couverture de l'événement et, bien entendu, l'optimisation financière pour France Télévisions. L'organisateur a intérêt à une couverture large, et le diffuseur à une exclusivité forcément tempérée. Disposer du Tour de France pour diffuser une heure par jour, cela n'est pas bon pour l'image d'un diffuseur.

Au titre de la concentration, nous sommes sur le point de tomber d'accord avec la Commission européenne sur le nouveau régime de dérogation applicable à l'UER, l'Union européenne de Radiodiffusion, qui regroupe l'ensemble des télévisions publiques et certaines télévisions privées, mais ex-publiques. Le cadre qui, semble-t-il, va faire l'objet d'un accord ré-autorise l'UER et redéfinit un cadre de sous-traitance basé sur deux principes essentiels :

- l'exclusivité tempérée par l'interdiction de rétention de l'événement ; il faut sous-traiter afin d'aller vers une couverture optimale ;

- il ne doit y avoir qu'un seul titulaire des droits par territoire, c'est-à-dire que d'autres non-membres ne peuvent venir participer en plus à l'appel d'offres de l'UER.

M. Denis Astagneau

Bertrand Méheut est président du directoire de Canal+, après avoir vécu une brillante carrière dans l'industrie. Avez-vous été surpris par la complexité des relations entre les médias et le sport de haut niveau ?

M. Bertrand Méheut, président du directoire de Canal+

Non, pas vraiment, dans la mesure où il s'agit de relations de partenariat. Il a été question de l'importance des médias pour le budget du sport, mais il faut reconnaître aussi l'importance du sport pour les diffuseurs, et je me limiterai sur cette voie aux télévisions payantes, qui constituent un autre métier puisqu'elles vivent quasi exclusivement de leurs abonnements.

A Canal+, le sport est au coeur de notre modèle éditorial ; c'est peut-être parce que nous aimons le sport, mais surtout parce que nos abonnés aiment le sport : 73 % d'entre eux déclarent venir chez Canal+ pour ce critère principal ou lié avec le cinéma. Nous mesurons en permanence la satisfaction de nos téléspectateurs : celle-ci est de 16 à 18/20 en permanence, avec des audiences qui peuvent atteindre 40 % de parts d'audience sur des championnats de football par exemple.

M. Denis Astagneau

Cela signifie que la place prépondérante du football à Canal+ est immuable ?

M. Bertrand Méheut

Certainement ! Les abonnés exigent de nous que nous leur offrions le meilleur du sport, et en particulier du football.

Le poids financier de Canal+ dans l'économie du sport est très important. Nous dépensons plus de 450 millions d'euros par an pour le sport.

Les droits de télévision représentent en moyenne 52 % du budget des clubs de football français. Pour le rugby, notre contribution représente environ 25 % du budget des clubs. Selon le sport, le poids du financement apporté par Canal+ ou les médias en général est très différent.

M. Denis Astagneau

Le fait d'être propriétaire du Paris-Saint-Germain influence-t-il vos choix de retransmission ?

M. Bertrand Méheut

Je me méfie de la question comme de la réponse !

Lorsque le PSG était 17 e au classement, on le diffusait un peu moins... Maintenant qu'il est 3 e ..., la question ne se pose plus.

Lyon, Marseille, Monaco et PSG sont des clubs importants dans l'attente du public !

M. Denis Astagneau

Les violences auxquelles peuvent se livrer certains supporters ont-elles un impact sur l'image de Canal+ ?

M. Bertrand Méheut

L'impact est négatif sur le sport en général. Organisateurs, présidents de clubs et diffuseurs : chacun essaie de combattre ce phénomène.

M. Denis Astagneau

Financièrement, Canal+ a connu des passes pour le moins difficiles. Pour redresser la situation financière, procédez-vous à des choix drastiques sur les retransmissions sportives ? Certains événements reviennent-ils alors trop cher ?

M. Bertrand Méheut

Encore une fois, nous vendons des abonnements. La seule chaîne Canal+ a le prix de grille le plus élevé en France. TF1 dépense 900 à 950 millions d'euros dans ses programmes, Canal+ en dépense un milliard. Les choix se font donc en fonction des attentes de nos clients.

Ceci se fait aussi dans l'intérêt du sport.

Nous parlions d'exclusivité... La valeur d'un événement est d'autant plus forte que sa diffusion est réalisée en direct et dans son intégralité, et sur une seule chaîne. A cet égard l'exclusivité des droits sportifs est une condition très importante pour la valorisation du sport lui-même.

Par ailleurs, un abonné paye son abonnement pour trouver ce qu'il ne trouve pas autre part.

M. Denis Astagneau

Il a été dit que Canal+ voulait les droits de retransmission de la Formule 1, mais qu'ils s'avéraient finalement trop cher.

M. Bertrand Méheut

En vérité, c'est de l'inverse qu'il s'agit. Canal+ disposait de ces droits en paiement à la séance, dont la somme était considérable. Nous avons donc fait le choix de favoriser d'autres sports, et nous avons arrêté la F1.

Rappelons que le Groupe dispose aussi de chaînes thématiques sportives ; Sport+, ainsi, diffuse plus de soixante sports, sélectionnés aussi en fonction de l'intérêt de nos abonnés.

Le débat exclusivité / intégralité se pose moins pour nous que pour une chaîne gratuite.

Une loi européenne impose pour certains événements d'importance mondiale la diffusion en clair des phases finales : le cas ne s'est encore jamais présenté, mais si cela était, nous devrions négocier la vente de droits avec une chaîne gratuite. Mais nous ne le ferions qu'en ce cas : nous sommes clients des ligues ou autres titulaires, il n'y a aucune autre raison pour que nous cédions ce que nous avons acquis. Ce que nous diffusons doit être exclusif, même si un partage s'est opéré en amont, avec TPS par exemple. Pour le Championnat de Ligue 1 français, nous considérons ainsi qu'il y a une valeur importante pour Canal+ et pour la Ligue à ce que nous en obtenions l'intégralité, en payant plus cher, bien entendu.

ÉCHANGES AVEC LA SALLE

M. Joël Delplanque, inspecteur général au ministère de la Jeunesse et des Sports

Monsieur Tessier disait que France Télévisions consacrait 12 à 15 % de ses budgets aux programmes sportifs et 12 à 15 % de son temps d'antenne à l'ensemble des disciplines diffusées. Quelle est en ce sens la situation en Espagne, en Italie, chez nos principaux partenaires ?

M. Marc Tessier

Ils y consacrent un pourcentage un peu plus élevé. Rappelons que la BBC a postulé à la Coupe du Monde de football, mais elle est en perte ; la RAI a fait la même chose : elle est aussi en perte. Les pourcentages plus élevés le sont donc pour l'essentiel à cause du football.

M. Benoît Fritsch

Quelle est la politique de France Télévisions au niveau régional ? France 3 a-t-elle, par exemple, la possibilité de retransmettre des skis particuliers, comme le ski alpin ?

M. Marc Tessier

Nous avons et aurons de plus en plus des espaces pour la retransmission d'événements sportifs régionaux, sur France 3, en régions. Ceci se fera soit sous forme de décrochages exceptionnels lorsque l'événement le justifie, soit sous la forme de magazine, d'ailleurs d'ores et déjà programmés dans certaines régions. Cette politique va s'étendre dans le cadre de notre plan de régionalisation.

M. Serge Simon

Nous avons beaucoup parlé d'argent, mais très peu de l'influence des médias sur la transformation des règles dans certaines disciplines.

A la fin du 19 e siècle, le rugby est amateur pur et dur. Certains rugbymen de l'Angleterre du Nord voulaient devenir professionnels. L'ancêtre du Board a répondu qu'il n'en était pas question. Ces Anglais ont donc créé leur propre Ligue. Mais pour devenir professionnels, il faut plus de recettes ; pour plus de recettes, il faut être plus spectaculaires ; pour être plus spectaculaires, on supprime les deux troisième ligne-aile du rugby à XV. Ils ont ainsi créé le rugby à XIII, sport tout à fait honorable, mais c'est un autre sport.

Ces dernières années aussi, dans le rugby, la pression médiatique a énormément contribué à la modification des règles, pour le rendre spectaculaire.

Il me semble qu'il y a là un risque profond. Je ne sais pas si les présidents de chaînes sont conscients de cela, s'ils réfléchissent à ces influences qui peuvent aller jusqu'à dénaturer un sport.

M. Denis Astagneau

On dit que les chaînes américaines diffusent beaucoup de football américain parce qu'il y a beaucoup de pauses. Ce qui est également vrai pour le tennis, etc.

M. Marc Tessier

Les évolutions se font progressivement, par l'introduction de nouvelles pratiques, mais pas seulement pour passer des écrans de publicité. Il s'agit parfois de rendre le spectacle plus dense, jusqu'à effectivement arriver à une véritable « spectacularisation » de certains événements.

Il n'y a pas, je crois, de pression de la part des médias, mais plutôt un dialogue permanent dans lequel chacun essaie de tenir compte de l'influence du média sur l'évolution de son sport. Mais le média ne demande pas une modification de règles.

M. Bernard Murat

Le rugby est en effet devenu bien plus dynamique et spectaculaire qu'il ne l'était, et je pense que la remarque de Monsieur Simon est justifiée : il doit y avoir une part de cause à effet dans ces évolutions.

M. Olivier Dulac

Notre association Sporsora rassemble depuis dix ans un certain nombre de sponsors en France. Dans le titre de ce colloque, le mot « argent » est au coeur du problème. « Pas de sports sans médias, pas de médias sans sports » : à cela on pourrait rajouter « Pas de sports sans sponsors », voire « Pas de médias sans annonceurs ».

Mais une question se pose assez fréquemment : les médias ne pourraient-ils pas faire preuve d'une certaine équité dans la manière dont sont cités les sponsors, sans aller jusqu'à la publicité clandestine bien entendu ? Beaucoup de pays pratiquent cette citation des sponsors ; pour le moment, en France, cela reste des « petits arrangements entre amis ». Il serait préférable que la règle soit claire : soit on ne cite plus jamais une seule marque, soit on les cite selon des règles établies. Sponsora édite d'ailleurs une charte d'éthique des sponsors qui va dans ce sens.

Les médias devraient selon moi jouer aussi ce jeu. Il en va de l'avenir de certaines compétitions, qui ne peuvent exister que grâce à l'argent apporté par les sponsors.

M. Denis Astagneau

Vous vous sentez floués du fait que les journalistes continuent à parler de l'Open de Paris-Bercy, et non pas de l'Open BNP Paribas...

M. Olivier Dulac

C'est sans doute vrai, mais il n'y a pas que cela !

Quoi qu'il en soit, il ne me semble pas sain de devoir continuer à pratiquer ce que j'appelais des « petits arrangements entre amis » à ce sujet.

M. Denis Astagneau

Merci à tous.

Laissons à Monsieur Murat le soin de conclure cette première table ronde.

M. Bernard Murat

Je crois que nous avons fait une bonne première mi-temps.

Je saluerai ici le président du Paris-Saint-Germain, qui va bientôt venir à Brive-la-Gaillarde pour jouer les quarts de finale ! Nous ne sommes qu'une petite bourgade, mais qu'il ne s'inquiète pas : le PSG sera reçu avec tous les égards dus à son rang ! Pour recevoir une telle compétition, une petite ville doit faire d'importants efforts financiers, ne serait-ce que pour faire homologuer le terrain sur lequel elle se dispute.

Je lancerai par ailleurs un appel.

Nous avons la semaine dernière débattu du projet de loi sur le handicap. Aux décideurs en matière de communication et de médias ici présents, je dirai combien il est important de supporter le sport pratiqué par les handicapés. Il s'agit en effet pour eux et leur famille d'une reconnaissance essentielle, et surtout d'un excellent outil d'insertion.

Soyez donc attentifs à ce retour de solidarité et de fraternité que nous devons à tous nos concitoyens frappés de handicaps.

Je vous remercie.

QUELLES RÉFORMES PRIVILÉGIER ? MIEUX MAÎTRISER ET RÉPARTIR L'INVESTISSEMENT DANS LE SPORT

Sous la présidence de M. Joël Bourdin , sénateur de l'Eure

M. Joël Bourdin, sénateur de l'Eure, président de la Délégation du Sénat pour la planification

Notre sujet d'aujourd'hui montre combien le président Valade a fait évoluer la Commission des Affaires culturelles, ce dont je le remercie.

Le sport est aussi un objet économique, cela n'aura échappé à personne. Cela est si vrai que la délégation à la Planification, dont je suis président, dans le cadre de ses études prospectives sur l'économie, a confié à Yvon Collin un rapport sur les finances du football professionnel, qu'il nous présentera officiellement dans environ un mois.

Le sport est donc un vrai sujet économique, à la fois par l'ensemble des moyens financiers mis en oeuvre et pour le « climat » que cela crée. Souvenons-nous qu'en 1999, année de bonne croissance en France, une partie de cette dernière a été imputée à la Coupe du Monde de football.

C'est donc un plaisir de voir aujourd'hui aborder ce sujet du sport sous l'angle de l'économie.

M. Denis Astagneau , rédacteur en chef à France Inter

Les besoins financiers des compétitions sportives mais aussi ceux des athlètes et des clubs de haut niveau ont explosé ces dernières années, et conduit à des dérives qui mettent parfois en danger certains clubs, de football ou de basket par exemple.

Le marché financier a-t-il tué le champion romantique ?

Les acteurs audiovisuels, pour optimiser leur audience, privilégient certaines disciplines au détriment d'autres, qui n'ont plus accès aux médias, ni au financement des sponsors.

Comment donc répartir la manne financière ? Cela passe sans doute par des réformes législatives, juridiques ou fiscales.

Demandons tout d'abord à Jean-Pierre Denis pourquoi il s'est intéressé à la gestion des clubs de football français. Peut-on les considérer comme des PME ?

M. Jean-Pierre Denis, président de la Banque du développement des PME, auteur du rapport « Certains aspects du sport professionnel en France »

Effectivement, on peut les considérer ainsi.

La réalisation du rapport « Certains aspects du sport professionnel en France » m'a simplement été confiée par le ministre des Sports, ce qui ne fait pas pour autant de moi un spécialiste, mais cela m'a permis de retirer un certain nombre d'enseignements.

M. Denis Astagneau

En Italie, en Espagne et en Angleterre, l'appel public à l'épargne pour les clubs professionnels est monnaie courante, mais cette pratique est interdite en France. Qu'en pensez-vous ?

M. Jean-Pierre Denis

Cette interdiction est une donnée constante depuis le départ, ce qui fait de nous un cas particulier en Europe.

Plusieurs raisons fondent cette interdiction.

Tout d'abord, peut-être, la difficulté dans notre pays à marier l'éthique sportive et l'approche économique des marchés financiers.

On craint aussi de voir se développer des disparités entre les clubs professionnels.

Nous avons par ailleurs le souci de protéger le « petit épargnant », qui pourrait être tenté par des investissements aventureux, même si de tels investissements existent déjà dans d'autres secteurs d'activité.

Enfin, la situation objective de nos grands clubs n'offre pas nécessairement toutes les conditions pour pouvoir raisonnablement procéder à un appel public à l'épargne.

J'ai pourtant personnellement plaidé pour cette possibilité d'appel public à l'épargne, me basant pour cela sur quelques considérations assez simples.

Cela me paraît tout d'abord relever de l'autonomie des dirigeants de clubs. Ce sont des gens responsables, qui prennent souvent des risques personnels. Il me paraît donc curieux de les priver de cette possibilité d'accès au financement.

Par ailleurs, dans un souci de réalisme, il me semble nécessaire de leur offrir une certaine souplesse et une certaine liquidité en cas de cotation. L'appel public à l'épargne présente en ce sens cette grande vertu.

L'appel public à l'épargne entraîne de plus un certain nombre d'avantages, comme les obligations de transparence comptable et financière, sous le contrôle des autorités de marchés. Certains clubs pourraient ainsi changer de régime de management, sans remettre en cause la liberté de la plupart des clubs de ne pas recourir à l'épargne.

Le ministre n'est pas allé en ce sens, parce que selon lui il s'agissait d'un sujet « secondaire et second ». « Secondaire » parce que cela ne correspond pas à une priorité pour la plupart des clubs, « second » parce qu'il estime qu'un certain nombre de préalables ne sont pas aujourd'hui remplis.

M. Denis Astagneau

Les clubs français subissent de lourds prélèvements fiscaux, notamment la taxe sur les spectacles. Quelles propositions votre rapport fait-il en ce sens ?

M. Jean-Pierre Denis

En matière de fiscalité les clubs sont soumis au régime de droit commun sur à peu près tous les plans. Il y a donc peu de propositions à formuler pour accroître leur « compétitivité fiscale ».

Deux choses me paraissent cependant devoir être soulignées.

La taxe sur les spectacles, tout d'abord, est un impôt ancien, voire archaïque, dans la mesure où il ne répond pas à des règles très précises : certaines disciplines ou certains clubs sont exonérés, par décisions des collectivités locales. Cet impôt semble donc injuste, et il présente de plus des effets pervers, notamment en termes de droit à récupération de la TVA.

La suppression de cet impôt serait donc un progrès, en l'accompagnant d'un mécanisme de compensation des pertes conséquentes pour les collectivités locales

Une autre chose me semble curieuse : le « 1 % CDD ». Ceci est en effet caricatural dans la mesure où le CDD est la règle dans le sport professionnel. Je propose donc aussi la suppression de cette taxe particulière.

Finalement, la ligne de force devrait être l'entrée dans le droit commun des clubs professionnels qui le souhaitent, en matière fiscale comme en matière juridique.

M. Denis Astagneau

Nous avons aussi parlé du droit à l'image des joueurs. Concernant leur statut juridique, que pourrait-on apporter au développement du sport professionnel via une gestion différente de ce droit à l'image ?

M. Jean-Pierre Denis

L'image constitue une composante essentielle du sport professionnel, et dans les disciplines les plus avancées nous voyons d'ailleurs se multiplier les contrats d'image.

Le droit à l'image me paraît être pris en compte de manière assez imparfaite en France. Cela est souvent conçu comme une façon de se soustraire aux prélèvements de droit commun. Il y a donc un risque de dérive.

Je crois que l'on pourrait reconnaître aux sportifs professionnels un véritable droit à l'image, qui permettrait de distinguer dans les rémunérations ce qui a trait à leurs prestations et ce qui a trait à leur personne, ou à l'exploitation de leurs performances. Ce dispositif présenterait l'avantage de soustraire une partie de la masse salariale aux charges sociales. On donnerait ainsi plus de compétitivité à nos clubs, et plus d'attractivité à notre territoire vis-à-vis des talents susceptibles d'y venir exercer leurs activités.

M. Denis Astagneau

Yvon Collin, vous êtes auteur d'un rapport sur la gestion des clubs de football professionnels.

Quel est votre sentiment sur la situation française relativement à celle de nos voisins européens ?

M. Yvon Collin, sénateur du Tarn et Garonne, auteur d'un rapport sur la gestion des clubs de football professionnel

Rappelons quelques éléments du décor.

Le football professionnel est devenu une activité économique et commerciale presque comme les autres. Le football a créé un marché lui-même en interaction avec d'autres marchés, notamment celui de l'audiovisuel, comme nous l'avons vu précédemment -- une demande européenne d'images est d'ores et déjà adressée au football --, et celui du travail, même si la population active concernée est relativement peu nombreuse.

Il faut par ailleurs se persuader qu'il est normal que le football réunisse des acteurs animés de réflexes économiques. Il devrait donc être admis, ce que nous avons du mal à faire, que leurs objectifs sont de maximiser leurs profits.

Le « presque » que j'utilisais précédemment est souvent la faille où se loge le diable.

Le football professionnel n'est pas qu' une activité économique : c'est aussi une activité sportive, ce qui induit l'aléa. L'échec est un risque permanent qui peut entraîner la péremption d'investissements réalisés par les clubs.

Cette activité économique, par ailleurs, est encore jeune. Le football a connu un « boom » ces dernières années, mais dans un tel domaine l'avenir est assez difficile à décrypter. Les investisseurs ne disposent que de peu de repères.

Il est notoire aussi que l'évolution du marché du football a été plus rapide dans son développement que dans son organisation. On a ainsi pu remarquer un certain nombre de manques au niveau de la surveillance, ce qui ne laisse pas de poser des questions...

Le football manque indiscutablement de régulateurs, d'où le déploiement important de ce que les économistes appellent « l'aléa normal », en Espagne et en Italie notamment, où tout se passe comme si les déficits privés étaient sans importance, dans la mesure où ils peuvent être comblés par des deniers publics.

La nature des intervenants est très contrastée, oscillant entre mécènes et sociétés commerciales très structurées, ce qui fait du secteur une activité atypique en devenir. Le développement du football fait ainsi penser au développement initial du cinéma.

Mes travaux m'ont amené à me méfier des études réalisées sur le football, qui toutes ont tendance à globaliser : on aime y parler de la « grande famille » du football. Cet attachement est fort sympathique, mais masque certaines réalités comme les divergences d'intérêts entre les clubs et l'existence d'acteurs aux stratégies et statuts très différenciés.

Les conditions de l'intervention publique, enfin, posent aussi un problème, qu'il s'agisse des réglementations générales ou spécifiques, ou des pratiques très variables. On ne peut ici que dresser le tableau d'un manque global d'harmonisation européenne. Ceci va jusqu'à fausser le déroulement d'une concurrence que tout le monde souhaite loyale.

Dans ce panorama, certains disent qu'il reste un coin de ciel bleu, une exception footballistique française. Cette appréciation est relativement exacte, mais j'aimerais questionner le diagnostic qui la fonde, ainsi que quelques conclusions qu'elle suscite.

Il est exact que l'organisation française privilégie une certaine égalité et une certaine solidarité entre clubs professionnels et le monde sportif, ce qui est unique en Europe. Il est exact aussi que cette organisation s'accompagne plus qu'ailleurs d'un certain contrôle, même s'il semble nécessaire de mettre aujourd'hui à niveau nos outils de pilotage collectifs.

Enfin, malgré l'excellence de notre football, nous avons des difficultés à situer certains de nos clubs dans l'élite européenne. Cette dernière situation, qu'il est logique de déplorer sur le plan sportif, focalise les critiques à l'encontre du système en vigueur. Il est également logique de déplorer cela sur le plan financier, en raison de la manne que représentent les compétitions européennes.

Je me félicite en ce sens que l'UEFA ait enfin mis un terme à la Ligue des Champions, qui renforçait considérablement les inégalités entre les clubs tout en déstabilisant l'économie du football. Par ailleurs, l'accès à la manne européenne n'est pas une garantie de bonne gestion des clubs bénéficiaires, loin de là.

Revenons à l'Hexagone.

Chacun désire voir nos clubs bien participer aux compétitions européennes. Que faut-il donc faire pour cela ? Les réponses divergent.

La question centrale est de savoir d'où provient le handicap financier de nos clubs. Avant les modalités de répartition des droits télévisuels, avant la comparaison des charges sociales et fiscales supportées par les clubs, avant la qualité des gestions et les handicaps que représente l'interdiction de faire appel public à l'épargne, il faut faire état d'une distinction majeure : celle des gisements nationaux des chiffres d'affaires. Sur ce point l'écart est considérable entre la France et le Royaume-Uni ou l'Italie, et je ne pense pas que M. Le Lay veuille le combler. Il faut cependant admettre que dans certains systèmes étrangers la répartition des droits est inégalitaire, ce qui explique d'ailleurs la présence de certains clubs dans les compétitions européennes. Devrons-nous aller vers un tel modèle ? Il s'agit d'un choix de principe entre égalité et équité, avec des conséquences économiques différentes. Le système français de répartition des droits, relativement égalitaire, n'est pas équitable au sens économique.

Nos réglementations et nos pratiques présentent quelques retards, comme les éléments de fiscalités qui ont été évoqués par Monsieur Denis. Les choix sur ces sujets devront être clairs et éviter de contourner les problèmes au moyen de certains artifices. Je m'interroge ainsi en particulier sur les pistes comme le développement du recours aux droits à l'image : cela ne me paraît pas transparent, ni dénué d'inconvénients, si l'on songe à l'intérêt des joueurs.

Je ne m'interroge en revanche pas du tout sur la nécessité de peser sur l'environnement international, notamment par le biais de nos gouvernements, sur l'organisation de notre football qui présente des dimensions européennes mais manque d'une identité européenne que l'Etat doit contribuer à définir sur des composantes satisfaisantes du modèle français.

Je crois qu'il faut appliquer un certain ordre public et économique dans le football, à la fois pour normaliser les transactions et pour améliorer les conditions de la concurrence. Je ne pense pas qu'il faille en ce sens attendre grand-chose des fédérations ou de la Commission européenne, dont la vigilance en matière de concurrence n'a pas toujours été au bon niveau, et dont l'orientation générale ne paraît pas plus favorable au football qu'à d'autres activités culturelles.

Je considère enfin qu'il faut trouver un certain équilibre entre la spécificité du football et sa banalisation, qui est allée trop loin.

Je conclus sur le fait qu'il nous faut comprendre la nécessité d'une doctrine claire sur l'avenir de notre football professionnel. La coexistence entre le modèle français et les autres modèles européens est fragile. Nous ne devons pas renoncer aux grandes lignes de notre modèle, mais nous pouvons l'améliorer, et faire plus et mieux pour assurer sa promotion au niveau européen.

M. Denis Astagneau

Jean-Michel Aulas, vous n'êtes pas d'accord avec la situation française des clubs de l'élite, vous demandez qu'ils puissent entrer en Bourse, ou faire appel à l'épargne boursière.

M.  Jean-Michel Aulas, président de l'Olympique lyonnais

Les choix en France sont essentiellement liés à une politique de solidarité par rapport à une politique élitiste. On ne peut pas d'un côté vouloir que les clubs soient au plus haut niveau en Coupe d'Europe, que leur situation économique soit valorisante, et que des joueurs disposent d'un certain statut.

Nous devons constater qu'il n'y a pas de statuts différenciés, mais seulement une politique de mise en équilibre des différents clubs, équilibre qui ne peut que pénaliser un certain nombre de clubs ou de personnes qui ont l'ambition de l'élitisme.

Nous avons ce que l'on souhaite, qui a été décidé par ceux qui nous dirigent.

Si l'on est favorable au financement du sport professionnel, on pensera que l'accès au marché financier permet de trouver les liquidités pour les investisseurs. Par conséquent, soit on recherche un financement du sport professionnel, en donnant ce qui est donné à l'ensemble des investisseurs dans l'Europe entière, soit on ne veut pas donner cette possibilité, et l'on avance que les petits épargnants risquent d'être spoliés... comme ils l'ont sans doute été en achetant des actions d'Eurotunnel ou de certaines sociétés de téléphonie.

L'accès au marché financier doit être vu comme une chance formidable de re-financement du sport professionnel, et pas uniquement du football. Ce re-financement ne peut être réalisé que dans le cadre de règles équitables.

On entend dire que l'Europe serait en ce sens la panacée. Rappelons que la Commission européenne, en matière sociale, a imposé l'arrêt Bosmann, et bizarrement, en matière financière, l'Europe et sa Commission n'auraient pas les mêmes vertus. On prend donc d'un côté ce qui nous intéresse, de l'autre, sur la normalisation européenne, on feint d'avoir en France des idées qui seraient bien meilleures que celles des autres, ce qui est totalement faux. Regardons en effet ceux qui jouent en général les quarts de finales du Championnat européen : ce sont les clubs qui ont eu accès au marché financier, qui ont mis en place le droit d'image pour les joueurs, etc., toutes choses fondamentales, qui doivent être identiques partout en Europe. Ces clubs sont ceux qui ont su trouver dans la transparence financière la garantie que tout ce qui serait investi serait contrôlé et pris en charge par les dirigeants.

La garantie d'Etat a été évoquée tout à l'heure. Bien sûr que cette garantie est fondamentale. Prenons le cas particulier de Monaco. On ne peut pas imaginer une concurrence loyale, ne serait-ce que sur le plan national, lorsqu'on laisse en place un certain nombre de dispositions fiscales relevant de l'Etat alors que nous évoluons au sein de certaines règles propres à la France.

M. Denis Astagneau

Vous demandez aussi pour les clubs le droit de négocier eux-mêmes leurs droits de retransmission auprès des télévisions.

M. Jean-Michel Aulas

Cette question des droits est vaste. Elle rejoint mes propos précédents sur la politique, élitiste ou de solidarité et de répartition. Mais la solution n'est pas d'un côté ou de l'autre, elle réside en une analyse rationnelle et dans une approche permettant d'avoir une juste répartition et une juste propriété.

Le problème de la propriété a été tranché : nous serons le seul pays d'Europe à avoir une multipropriété, dont on ne sait d'ailleurs pas comment le Conseil national de la comptabilité (CNC) va trouver la justification sur le plan comptable.

Concernant la distribution, l'ensemble des clubs est d'accord pour que celle-ci soit collective. N'opposons donc pas sur ce terrain ce qui a été réalisé à l'extérieur et ce qui a été fait en France. La distribution collective est naturelle, mais elle doit être sélective. Je ne suis pas d'accord avec cette propriété des droits, qui serait collective, pour la télévision, et qui serait aussi collective pour l'UMTS et l'Internet. Je pense qu'un certain nombre de droits, en direct, peuvent être collectifs, et d'autres en différé peuvent être la propriété des clubs, comme pour l'Internet ou l'UMTS.

Nous légiférons actuellement en France sur la partie Internet et UMTS, et parallèlement la Commission européenne vient de publier une disposition différente. Il y aurait peut-être intérêt à ne pas vouloir toujours être différents des autres. Les gens de la Commission européenne travaillent beaucoup, et apportent en général un certain nombre de solutions qui fonctionnent plutôt bien ailleurs... .

M. Denis Astagneau

Votre club fait partie du G14, regroupant les 14 meilleurs clubs européens, qui voudraient créer leur propre ligue des champions, sur un modèle un peu « américain ». Ce serait la mort de la compétition traditionnelle telle que nous la connaissons en Europe.

M. Jean-Michel Aulas

Encore des images d'Epinal !

Le G14 a simplement fait en sorte, au moment des appels d'offres, de trouver le dispositif le plus valorisant pour les clubs en matière de droits et de façon générale de valorisation de la télévision. Il n'y a aucun projet de championnat « privé », de type NBA ou autre, mais simplement la volonté de défendre certains principes de propriété, d'accès à la négociation, comme l'a compris la Commission européenne, puisque dans les appels d'offres de Champions' League, tout le monde participe aux diverses répartitions.

Les clubs du G14 n'ont pas une vision différente de celle d'hommes rationnels et logiques. Le football a des vertus hexagonales et européennes, qu'il faut conjuguer en harmonie.

Les clubs s'appuyaient auparavant sur les collectivités locales. Aujourd'hui, un club comme l'Olympique lyonnais, avec 90 millions d'euros de budget, n'en dispose que de 15 issus des collectivités locales, et ceci uniquement pour la formation. Ceci est d'ailleurs vrai pour tous les clubs d'élite, qui réclament plus de ressources et un financement « adulte ».

M. Denis Astagneau

Frédéric Thiriez, président de la Ligue de football professionnel, que devient la Ligue professionnelle dans les projets de Jean-Michel Aulas ?

M. Frédéric Thiriez, président de la Ligue de football professionnel

La Ligue se porte bien ; elle se nomme d'ailleurs maintenant « Ligue de football professionnel », et non plus « Ligue nationale de football ».

Je vois les choses différemment de Jean-Michel Aulas, mais sur le fond nous allons dans la même direction.

Sans vouloir inquiéter sur la situation du football français, je ne voudrais pas non plus que tout le monde croit que tout va bien. Nos comptes ont été publiés il y a quelques semaines : ils ne sont pas bons. On se demande légitimement si les actionnaires de nos clubs peuvent continuer indéfiniment, chaque année, à mettre ainsi « la main au portefeuille ».

Globalement, c'est comme si l'on demandait à la France de courir les 24 heures du Mans avec une 2 CV ! Nous nous battons contre les handicaps structurels que nous subissons, qui sont de trois ordres : liés aux statuts des clubs, à la question des charges fiscales et sociales, et au problème de contrôle de gestion.

Concernant les statuts, sachez que nos clubs ne sont propriétaires de rien. Ni de leurs stades, ni de leurs droits télévisés, ni de leurs marques, ni de leurs numéros d'affiliation. Rien à l'actif de leurs bilans.

Les charges sociales et fiscales sont une spécificité française. Si un joueur coûte 100 € à un club anglais, italien ou espagnol, il coûtera 172 € à un club français : on ne peut pas lutter... ni s'étonner que nos meilleurs joueurs partent en Italie, en Angleterre ou en Espagne.

Quant au contrôle de gestion, la France est le bon élève en Europe. Nos clubs font aussi des efforts considérables en ce sens -- notons d'ailleurs que la masse salariale est en baisse cette année. Chez nos voisins, en Italie ou en Espagne, on fait n'importe quoi. Le déficit de la série A italienne est de 1 milliard d'euros ! Les salaires ajoutés aux achats des joueurs y représentent 150 % du chiffre d'affaires. Tout cela tient grâce aux faveurs du prince, ce que nous dénonçons en demandant une direction nationale de contrôle et de gestion (DNCG) européenne. Après un pas en avant en ce sens, l'UEFA fait aujourd'hui deux pas en arrière, en reportant sine die la véritable mise en place du contrôle financier lié à la licence, prévu pour 2006-2007, ceci sous la pression de l'Italie ou l'Espagne.

Le législateur français travaille, mais ce n'est pas terminé : nous attendons les décrets d'application de la première loi de Jean-François Lamour, et nous travaillons sur la mise en oeuvre du rapport Denis.

Si nous n'y arrivons pas, le football français ira à la catastrophe.

M. Denis Astagneau

La solidarité financière est donc une obligation pour que le football survive.

M. Frédéric Thiriez

Ce n'est pas une obligation, c'est un choix. Nous sommes le seul pays d'Europe à donner une aide financière importante, 100 millions de francs par an, au football amateur. Ajoutons à cela la taxe de 5 % sur les droits télévisuels, qui représentent vingt millions d'euros, pour l'ensemble des disciplines sportives. Le football professionnel donne donc au football amateur et à l'ensemble des disciplines sportives, par le biais du Fonds national pour le développement su sport (FNDS) ; ce qui reste et partagé de manière solidaire, selon des clés de répartition publiques et transparentes.

Nous sommes là encore les bons élèves de l'Europe, mais parfois les bons élèves en ont assez de voir les cancres aux meilleures places de la compétition.

M. Denis Astagneau

Le vivier du football amateur nourrit tout de même le football professionnel...

M. Frédéric Thiriez

C'est bien pour cela que les amateurs et les professionnels sont solidaires.

M. Denis Astagneau

On ne demande pas fréquemment aux joueurs leur avis sur ces questions. Les projets énoncés par Jean-Michel Aulas vous inquiètent-ils, Jean-Jacques Amorfini ?

M. Jean-Jacques Amorfini, vice-président de l'Union nationale des footballeurs professionnels

Non.

Je voudrais rappeler que si nous sommes ici, c'est parce que des sportifs proposent un spectacle, qui intéresse les investisseurs et les télévisions. Dans le football, nous avons la chance d'être présents depuis 1970, par le biais d'une convention collective. Nous nous connaissons et participons aux diverses réunions où nous pouvons donner un avis.

Rappelons aussi qu'avec l'arrivée de Canal+ en 1984, à l'initiative de Claude Besse, alors président des Girondins de Bordeaux, est apparue l'idée de la redistribution collective des droits de télévision, système qui existe toujours aujourd'hui. Sachez que sur ces droits, 1 % revient aux organisations de joueurs et est utilisé essentiellement dans le domaine social, en formation ou en reconversion. Nos structures suivent ainsi en permanence l'évolution des joueurs.

Mille joueurs professionnels évoluent aujourd'hui en France ; les mesures demandées par les clubs concernent en général les deux cents joueurs les meilleurs et les plus payés : notre rôle est de défendre la masse des joueurs.

Des clubs comme Amiens, Ajaccio ou Guingamp ne vivent aujourd'hui que grâce aux droits télévisuels. Ce système de droits télévisuels est donc essentiel pour ces clubs et leurs joueurs, qui ne sont pas des stars, qui gagnent vingt-cinq ou trente mille francs par mois, et dont la carrière dure environ quatre ans.

Concernant le droit à l'image, nous sommes extrêmement vigilants, et pour toutes les disciplines. Tous les joueurs sont salariés. Il ne faudrait pas qu'en cumulant le droit à l'image à ces salaires, les « petits » clubs en profitent pour moins payer leurs joueurs afin d'échapper aux charges patronales, ce qui aurait des incidences importantes sur leurs droits ultérieurs.

Nous serons par ailleurs attentifs au lien qui existera contractuellement entre les joueurs eux-mêmes et ces droits à l'image, qui a priori concernent le club.

Nous tentons actuellement d'entraîner dans notre sillage le basket, le rugby, etc., pour préserver les droits des sportifs.

M. Denis Astagneau

Quelles mesures pourrait-on envisager pour plus de solidarité au sein du football mais aussi pour plus d'équité entre les disciplines ?

M. Jean-Jacques Amorfini

Comme l'a dit Monsieur Thiriez, des reversements sont déjà effectifs. Le système est équilibré, mais il n'y a pas que l'aspect financier qui permette d'être Champion d'Europe, par exemple. C'est le charme du sport et du football : nous avons la chance en France d'avoir un Championnat qui garde son intérêt.

M. Denis Astagneau

Nous allons sortir du domaine du football, et demander à Maurice Beyina si celui-ci ne fait pas un peu trop d'ombre aux autres disciplines, dont la sienne : le basket-ball.

M. Maurice Beyina, basketteur professionnel, président du Syndicat national des basketteurs

Le football fait beaucoup d'ombre, effectivement, mais nous sommes tous conscients qu'il s'agit du « sport-roi », même si avec Henri Pescarolo nous nous demandions si nous ne nous étions pas trompés de salle.

Le sport et les médias ne peuvent être dissociés, certes, mais avec 400 000 licenciés, le basket, deuxième sport le plus populaire, et pratiqué mondialement, n'est pas très présent à la télévision. Il semble donc qu'il n'y a pas que la popularité qui guide les investisseurs, mais aussi la présence à la télévision.

M. Denis Astagneau

Les grandes heures de Limoges ou de Pau étaient tout de même retransmises...

M. Maurice Beyina

Je note que vous utilisez de vous-même le passé.

L'équipe de France de basket a été vice-championne olympique, mais cela n'a pas eu beaucoup d'écho sur les chaînes de télévision, notamment publiques. Le téléspectateur moyen voit ainsi son regard sur le sport sélectionné par les chaînes.

Le monopole du football est à mon avis néfaste pour les autres sports, mais aussi pour le football lui-même.

M. Denis Astagneau

Qui, selon vous, devrait intervenir pour tenter de résoudre cette question de régulation de diffusion des disciplines ?

M. Maurice Beyina

Je pense que le ministère a son mot à dire, afin d'installer des sortes de garde-fou, afin qu'aucun sport ne soit écarté ni des moyens, ni de la couverture médiatiques.

M. Denis Astagneau

Le basket français, comme l'a fait le basket américain, ne devrait-il pas faire certains efforts pour s'adapter à la télévision ? S'il n'y a pas de retransmission, c'est qu'il n'y a pas de demande du public.

M. Maurice Beyina

Nous savons bien que la demande du public peut être dirigée. Je vous garantis que certaines images de notre championnat pourraient se faire lever beaucoup de public !

Mais le basket fonctionne aujourd'hui sur les mêmes budgets qu'il y a dix ans, ce qui ne l'empêche pas d'être populaire.

Au basket américain, je reprocherai de prendre en otage le basket national. Nous sommes abreuvés d'images, alors que la NBA n'a sans doute pas besoin d'investisseurs français pour conforter son image.

Un grand rendez-vous du basket comme « la Semaine des As » à Mulhouse permettrait de travailler, mais l'événement n'a pas été couvert, alors que la Ligue 2 de football trouve à la télévision une couverture importante, où l'on nous montre des tribunes vides. Ceci me semble un exemple concret de discrimination.

M. Denis Astagneau

La Formule 1 accapare aussi la télévision. On ne présente plus Henri Pescarolo, très critique vis-à-vis de la Formule 1 dont il dit qu'elle tue les autres sports mécaniques.

M. Henri Pescarolo, président de l'écurie Pescarolo Sport

Je ne suis pas critique vis-à-vis de la Formule 1, mais de la Fédération qui gère notre sport. La FIA semble avoir oublié qu'il y avait autre chose que de la F1 dans son sport.

La F1 est devenue l'un des sports les plus médiatiques au monde, atteignant le niveau de la Coupe du Monde de Football. Pour arriver à cela, la FIA, avec son bras armé, Bernie Eccleston, a fait en sorte de détruire tout ce qui existait autour de la F1, qui du coup attire tout à elle : argent, médias, pilotes, etc.

Ni le Sénat ni l'Assemblée nationale ne pourront donc faire grand-chose pour l'organisation du sport automobile : une discipline-phare fonctionne parfaitement, et le reste est en jachère.

Il est nécessaire en ce cas de balayer d'abord devant notre porte, mais si l'on demande à Monsieur Bernie Eccleston de donner l'argent de la Formule 1 aux autres, il risque d'éclater de rire ! Et si l'on demande à Monsieur Le Lay de donner moins d'argent pour la F1 afin d'en donner aux autres, il va se retrouver dans une situation fort délicate.

La situation est donc grave.

A titre d'exemple, mon écurie aligne deux voitures aux prochaines 24 heures du Mans : à l'heure qu'il est, je n'ai toujours pas bouclé mon budget.

Le nouveau président des clubs de l'Ouest vient de signer un contrat de 3 ans avec France Télévisions. Il lance aussi un nouveau championnat d'endurance, avec des noms comme Spa ou Silverstone, qui faisaient partie du Championnat du Monde d'endurance, occulté par la F1, alors que les pilotes, à l'époque, étaient fréquemment les mêmes.

Notre sport est, il est vrai, assez spécifique, dans la mesure où une voiture de course coûte plus cher qu'une raquette de tennis ou un kimono. Une autre spécificité est qu'il n'y a aucun revenu : pas de prix d'arrivée, pas de pourcentage sur les recettes-spectateurs ; nous ne vivons que par le sponsoring, et comme on ne voit pas autre chose que de la F1 à la télévision ou dans les journaux ...

Le Championnat du Monde de rallyes est sans doute la discipline qui évolue de la manière la plus significative, parce que les grands constructeurs s'offrent ainsi leurs propres retombées.

Une anecdote cependant : lors du rallye de Suède, à la veille de l'arrivée, alors qu'un pilote français était en tête, avec un véhicule de fabrication française, le journal télévisé a omis de le dire ! Il y a peut-être certaines choses simples que l'on peut faire.

Dans le domaine législatif, par ailleurs, certaines choses concrètes pourraient également être mises en oeuvre. Ainsi, aucune loi n'indique le pourcentage de son chiffre d'affaires qu'une PME ou un groupe quelconque peut investir dans du sponsoring. Ceci conduit à des situations invraisemblables, comme celle d'un de mes partenaires actuels, qui a dû intervenir à un très haut niveau pour éviter un redressement fiscal parce que l'on avait estimé que sa marque n'avait rien à voir avec le sport automobile !

M. Denis Astagneau

Concernant le karting par exemple, des pilotes de renommée internationale pourraient peut-être intervenir, dans la mesure où ils ont commencé par cette discipline.

M. Henri Pescarolo

Au niveau national, des initiatives intéressantes ont vu le jour, comme la création de la première section sport-étude dans l'automobile, avec la Filière Elf. Nous avons ainsi amené au niveau de la F1 la plupart des jeunes pilotes français, tous issus du karting.

La Fédération française se bat tant qu'elle le peut, mais la situation franco-française fait que l'on est incapable de franchir le dernier échelon pour les jeunes pilotes, celui de la Formule 1.

La culture du capital-risque, sur un pilote en l'occurrence, n'est pas française, c'est le moins que l'on puisse dire.

M. Denis Astagneau

TF1 détient l'exclusivité des retransmissions de Grands Prix de Formule 1 pour les chaînes hertziennes françaises. Patrick Le Lay, êtes-vous conscient de ce monopole de la Formule 1 sur le plan médiatique, et donc du fait qu'elle écrase les autres sports mécaniques ?

M. Patrick Le Lay, président-directeur général de TF1

Je ne contredirai pas Henri Pescarolo : il est vrai que Bernie Eccleston a mis en place une organisation particulière qui privilégie le sport de pointe en effaçant tout le reste.

En ce qui nous concerne, notre palette de sports est assez large pour que l'on puisse donner une opinion sur différents domaines. Nous sommes la chaîne leader en clair, financée par de la publicité, et nous travaillons avec l'équipe de France de football, la Champions' League et la Formule 1.

Avec TPS, nous sommes dans une économie comme celle de Canal+, c'est-à-dire avec des abonnés qui payent pour un plaisir ponctuel. Nous avons ensuite Eurosport, la grande chaîne pan-européenne actuelle, qui touche 100 millions de foyers, diffusée dans 52 pays en 19 langues. Nous venons par ailleurs d'ouvrir une chaîne de sport nationale en Italie.

Sur Eurosport, pour faire le lien avec l'automobile, nous diffusons les Super Racing Week-end. Avec différents types de courses automobiles, nous tentons d'organiser des week-ends.

Ceci est très difficile à faire percer, et à financer, puisqu'à chaque fois Bernie Eccleston trouve un moyen pour pirater le système. Mais il faut savoir que les autres non plus n'aiment pas qu'on leur prenne de l'argent ! Ceci étant, le contrat de Formule 1 cette année, que nous avons repris, a été divisé par deux. On a commencé par me mettre à la porte, mais on a fini par accepter, ne pouvant faire autrement.

M. Denis Astagneau

L'audience de la Formule 1 aurait-elle baissé en France ?

M. Patrick Le Lay

Votre remarque nous amène au coeur du problème.

Je n'apporte ici que l'opinion de la télévision, et du groupe TF1, par rapport au sport. Chacun a sa logique économique.

Nous aurions pu intituler ce colloque « Football et autres sports ». L'argent investi par les télévisions au niveau européen pour le football n'a aucune commune mesure avec le reste de l'argent réuni sur tous les autres sports !

M. Denis Astagneau

En quoi une chaîne comme TF1 peut-elle aider les « petits » sports ?

M. Patrick Le Lay

Ce n'est pas notre objectif. Suivez mon raisonnement. Nous couvrons peu d'événements : l'Equipe de France de football, la Formule 1 et la Champion's League -- je reviendrai sur cette dernière.

Fin 2003, la question s'est posée : la Champions' League et la Formule 1 étaient des contrats à renouveler. J'étais partisan de ne renouveler aucun des deux, tout simplement parce que les prix demandés ne permettaient pas d'équilibrer les dépenses et les recettes. La Formule 1 a baissé son prix et la Champions'League a changé de formule, demandant moins de soirées de championnat.

Mais à côté de la Champions'League, il y a la Coupe de l'UEFA, dans laquelle un certain nombre de clubs français sont engagés. Le contrat était partagé entre deux sociétés, dont la nôtre. Canal+ n'ayant pas renouvelé son contrat cette année, la moitié de la Coupe n'avait plus de preneur, la recette des clubs a été divisée par deux, et seule la moitié des matchs a été diffusée. Nous supportons donc encore un an la Coupe de l'UEFA. Au stade actuel, aucun match n'a été diffusé sur TF1, mais tous l'ont été sur Eurosport. En effet, vous imaginez certainement que ce n'est pas avec l'économie de Eurosport France que l'on peut financer ce que coûte la Coupe de l'UEFA.

Un groupement d'organisations aussi complexe qu'on le trouve dans le football doit réfléchir au fait que l'argent n'est pas extensible. Trop de football tue le football ! Et cela se reporte sur les autres sports. Tous les deux ans, nous devons nous payer soit le Championnat d'Europe des Nations, soit la Coupe d'Europe : ces budgets ne peuvent plus être consacrés à d'autres sports.

La Coupe de l'UEFA risque donc cette année de ne pas trouver preneur, ou en tout cas pas à ce prix.

M. Denis Astagneau

Peut-on parler d'une baisse des prix des retransmissions des manifestations sportives ?

M. Patrick Le Lay

Oui, et dans leur totalité.

Dans chaque pays le sport est financé par les deux grandes chaînes hertziennes, en général la télévision publique et une grande chaîne, comme TF1 en France. Concernant les chaînes payantes, nous ne sommes que trois en Europe : Murdoch, Canal+ et TPS.

Sur le clair, personne ne s'y retrouve dans l'économie du sport, et en particulier du football ; le coût est trop élevé, mais lorsque l'on est une chaîne leader , on ne peut pas se passer de certaines manifestations, comme la Coupe du Monde de football.

M. Denis Astagneau

TF1 n'a jamais investi dans un club de football, ni dans une société d'achats de droits sportifs. Est-ce une décision stratégique ou une question d'opportunité ?

M. Patrick Le Lay

Investir dans un club de football n'entre pas dans une logique de synergie, notamment puisque les clubs ne sont pas propriétaires de leurs droits. Quand Canal+ possédait le PSG, ce club évoluait en Champions' League, et les matches étaient diffusés sur TF1 ! Cela fait un peu « désordre ». On peut investir pour des raisons économiques ou d'image, mais un club de football, c'est un stress permanent ! De plus, statistiquement, vous passez un mauvais dimanche sur deux ! Et puis, gérer une télévision signifie gérer déjà un nombre suffisant de vedettes : journalistes, chanteurs, artistes de tout poil. Inutile d'en ajouter, surtout pour un résultat financier aléatoire.

Pour l'achat de droits sportifs, il en va autrement. L'activité est complexe, et il est difficile de réaliser, après achat, si l'on va s'en sortir, comme nous l'ont montré quelques faillites retentissantes. Nous n'achetons donc des droits à des fédérations que de manière incidente, en particulier sur Eurosport.

M. Denis Astagneau

Les négociations sont-elles plus serrées dans le football ou dans le bâtiment ?

M. Patrick Le Lay

Dans le bâtiment, bien sûr ! Les discussions dans le domaine sportif se ramènent à des questions d'argent uniquement. Dans le bâtiment, les choses sont plus complexes.

M. Denis Astagneau

Pour les droits de retransmission du Championnat de Ligue 1, un projet de décret en cours de rédaction permettrait à un acheteur potentiel d'acquérir la totalité de certains droits. Est-ce en accord avec le droit de la concurrence ?

M. Patrick Le Lay

C'est au Conseil de la concurrence de répondre à cela.

Le droit de la concurrence a pour objet de fluidifier le marché, non pas pour le confort des entrepreneurs, mais pour celui des clients. Ce droit doit amener à ce qu'il y ait le maximum d'opérateurs sur des marchés, et il établit des règles particulières pour celui qui se trouve en position dominante.

TF1 est ainsi en position dominante sur le marché de la publicité télévisuelle ; de fait, nous n'avons pas le droit de solliciter par exemple L'Oréal pour leur proposer des conditions favorables ; ce serait un abus de position dominante.

Les choses fonctionnent de la même manière pour le sport, et le football en particulier.

M. Denis Astagneau

Le fait d'être en position dominante inquiète-t-il Canal+ ?

M. Bertrand Méheut

Notre métier est de développer nos affaires et de satisfaire nos clients, et en ce sens le football est très important pour nous, tout simplement.

M. Jean-Michel Aulas

Une alternative à cette situation serait que certains clubs négocient eux-mêmes leurs droits.

ÉCHANGES AVEC LA SALLE

M. Jean-Pierre Karaquillo

Je voudrais m'exprimer en tant que président très temporaire du club de basket de Limoges.

Soyons attentifs : il y a le football, et le reste du monde... Le basket est à l'époque féodale !

J'ai été très surpris, lorsque j'ai fait la connaissance du club de Limoges, de constater que les budgets des grands clubs n'avaient strictement rien à voir avec ceux des clubs de football, ni d'ailleurs avec les budgets croissants des clubs de rugby. Il y a 4 ans, le budget du plus grand club de basket était de 40 millions de francs. Aujourd'hui, en rugby, le budget du Stade Toulousain est de 100 millions, et ne parlons pas des budgets des plus grands clubs de football.

Cela induit bien entendu des organisations très différentes. Aujourd'hui certains clubs importants sont toujours sous un régime associatif, puisqu'ils n'atteignent pas les seuils de rémunération exigés pour passer en société commerciale.

Le problème est qu'aujourd'hui la Ligue nationale de basket manque sérieusement de vivacité.

Mme Fabienne Schmidt, journaliste à la Correspondance de la Presse

TF1 serait-elle intéressée par les droits de retransmission du Tournoi de tennis de Roland Garros ?

M. Patrick Le Lay

France Télévisions détient ce contrat depuis 1987. Cela n'est donc pas très intéressant.

Nous n'avons jamais été très intéressés par l'acquisition de ces droits, tout simplement parce nous ne savons pas diffuser ce Tournoi. Il se déroule sur 15 jours, il y a beaucoup de matchs, le temps d'antenne nécessaire est donc considérable, trop important pour notre chaîne.

M. Christian Quidet, journaliste

Je pensais depuis longtemps que les droits de retransmission allaient baisser, et je pensais que cela se ferait lorsque les télévisions auraient trouvé des programmes de substitution. La télé-réalité n'a-t-elle pas joué ce rôle ?

M. Patrick Le Lay

Non, pas du tout.

Pour une chaîne comme la nôtre, on ne peut consacrer un budget important à un programme que s'il est en prime-time , ce qui n'est pas le cas des compétitions sportives, tout simplement, hormis parfois le football. Mais il y a peu de matchs dans les cent premières audiences d'une année. Il faut donc trouver d'autres programmes, dont des programmes de « variété ».

M. Thierry Lardinoit, professeur la Chaire européenne de marketing sportif à l'ESSEC

Qu'est-ce que les clubs de football professionnel pourraient apprendre du business model de la Star Academy ?

Dans un tel programme, nous avons de la dramatique, de la compétition, de la sélection, de l'émotion, de l'entraînement... tout comme dans le domaine sportif ! Ces programmes ne viendraient-ils pas chasser sur les territoires du sport, et du football en particulier ?

M. Frédéric Thiriez

La plus belle émission de télé-réalité, c'est un match de foot ! Et là, le scénario n'est pas écrit à l'avance !

M. Patrick Le Lay

Je ne sais pas s'il y a un business model dans la Star Academy, mais je ne conseillerais pas au football de suivre cet exemple, tout simplement parce que je sais que toute émission à succès a rapidement une fin.

Intervention de la salle

M. Le Lay disait que le football coûte cher, mais que TF1 était obligée d'acheter certains droits. Un match coûterait-il de l'argent à la chaîne ?

Concernant le basket, il y a quelque six ans le service public retransmettait pratiquement chaque dimanche un match de première division, mais l'audimat restait décevant. Comment expliquer cela ?

M. Patrick Le Lay

La télévision gratuite en clair est financée par les femmes, les fameuses « ménagères ».

Ainsi, à partir du moment où sur une grande chaîne en clair vous faites de la retransmission de spectacle sportif, vous restreignez de toute façon le champ de vos clients, donc vous perdez de l'argent.

M. Maurice Beyina

Il faut aussi se rappeler que lorsque le basket national était ainsi « vendu », le basket américain l'était aussi, en parallèle : nous avions la copie et l'orignal !

Le cinéma français est protégé pour sa diffusion vis-à-vis du cinéma américain ; tel n'est pas le cas pour le basket. Il y aurait peut-être là quelque chose à faire.

UN OBJECTIF PERMANENT :
SUSCITER LA PRATIQUE SPORTIVE

Sous la présidence de M. Jean Faure , sénateur de l'Isère, président du groupe d'études des problèmes du sport et des activités physiques

M. Denis Astagneau

Quelle est l'exemplarité de Zinédine Zidane, de Marie-José Pérec ou de Tony Parker sur les jeunes et les moins jeunes ?

Le sport a valeur d'exemple, mais pour éviter les dysfonctionnements, il faut les moyens financiers et juridiques, et donc législatifs. Certains ont été lancés pour un développement équilibré du sport de haut niveau, et toute la pratique sportive et le sport de masse en dépendent.

M. Jean Faure, sénateur de l'Isère, président du groupe d'études des problèmes du sport et des activités physiques

Cette table ronde doit nous mener à réfléchir sur le thème de la promotion de la pratique sportive.

Notre attention est souvent focalisée sur les exploits, mais nous devons garder à l'esprit que l'un des objectifs premiers, si ce n'est le principal, est qu'il faut diffuser la pratique sportive au sein de la population. Ces activités sont un facteur de santé physique et mentale, le sport véhicule des valeurs, une éthique, et constitue un vecteur privilégié de l'estime et du dépassement de soi, de la maîtrise de ses impulsions, d'une hygiène de vie et d'un corps de règles. La confiance en soi et la reconnaissance qu'apporte le sport participent en outre de l'insertion dans le tissu social et peuvent rendre espoir à des jeunes en voie de marginalisation.

Ces valeurs ne peuvent cependant être tenues pour acquises et sont susceptibles d'être dévoyées ou caricaturées lorsque le sport verse dans l'outrance, et se traduit par la rivalité, la violence, la recherche absolue de la performance ou l'égoïsme.

C'est pour ces raisons qu'a été constitué au Sénat un groupe d'études du Sport, où une soixantaine de sénateurs réfléchit aux conséquences de notre manière de légiférer ce domaine.

Ce que l'on appelle le « sport de masse » constitue pour nous un triple impératif : de santé publique, de citoyenneté et de politique sociale.

En effet, l'estime de soi suppose préalablement d'accepter, de respecter et d'entretenir son propre corps.

La nécessité de la pratique sportive pour le plus grand nombre a sans doute rarement été aussi prégnante que de nos jours. La sédentarisation, le délitement de certains repères, les modes de vie, la ghettoïsation urbaine, la montée de la violence comme mode d'expression ou les angoisses qu'éprouvent nos contemporains sont autant de symptômes auxquels le sport peut apporter une réponse, partielle bien entendu, mais nécessaire et bénéfique.

Par ailleurs, l'importance croissante du sport comme vecteur économique plaide en faveur de la captation et de la structuration des loisirs multiformes dans le sport.

La politique sportive doit donc être résolument tournée vers ces nouvelles pratiques, ne serait-ce que pour mieux en assurer la sécurité.

Quelques chiffres montrent que la marge de progression de pratiques sportives est encore bien réelle : 36 millions de Français entre 15 et 75 ans déclarent pratiquer des activités physiques au moins une fois dans l'année ; parmi ces derniers, 26 millions déclarent faire du sport au moins une fois par semaine ; en 2000 on recensait environ 14,4 millions de licences sportives, dont un tiers de licences féminines.

Mais nous constatons que la pratique sportive est moindre en France que chez nos voisins des pays du Nord.

L'extension de la pratique du sport est donc un objectif majeur, et figure en bonne place dans les priorités du ministère, en particulier à destination des publics spécifiques que sont les handicapés et les salariés d'entreprises.

La Fondation du Sport peut à cet égard jouer un rôle déterminant, et servir de catalyseur en permettant aux entreprises d'implantation locale ou nationale de parrainer des manifestations de sport de proximité, et non pas se cantonner exclusivement au sponsoring de sportifs ou de fédérations.

Le thème de la pratique du sport amène d'autres questions.

Comment sensibiliser le public à la nécessité du sport, l'inciter à la découverte puis le fidéliser dans une pratique ?

Quel rôle les sportifs de haut niveau peuvent-ils jouer en ce sens ?

Les fédérations sont-elles suffisamment pro-actives ?

L'offre en termes d'équipements est-elle bien calibrée, en particulier dans les territoires les plus isolés ?

Laissons les intervenants s'exprimer sur ces sujets.

Merci de votre attention.

M. Denis Astagneau

Nous commençons par un champion hors normes, exemplaire à plus d'un titre : David Douillet.

Etes-vous conscient du fait que des milliers de Français voudraient vous ressembler ?

M. David Douillet, champion du monde de judo

Bien sûr que nous en sommes conscients ! Les enfants ou les gens dans la rue nous le témoignent. L'équation est simple : résultats, puis médias, puis notoriété. Ensuite, il faut savoir ce que l'on fait de cette dernière.

En ce qui me concerne, j'ai « géré » celle-ci le plus naturellement du monde. Je ne joue pas un rôle, j'essaie d'expliquer la vérité du sport.

Aux enfants, et j'en ai rencontré quelques milliers, la première chose à dire est qu'il s'agit avant tout de se faire plaisir . Le lien le plus fort entre le haut niveau et le sport de masse est d'ailleurs bien cela : le plaisir. Les enfants comprennent parfaitement cela, et se rendent compte alors que l'homme de 130 kilos couvert de médailles qui se trouve devant eux n'est pas inaccessible ! Ils comprennent ce qu'il dit, et il est ainsi démystifié, condition nécessaire pour faire passer les messages. Il arrive alors de voir les petites flammes du rêve dans leurs yeux...

M. Denis Astagneau

Vous leur expliquez qu'il y a du travail, aussi...

M. David Douillet

Cela vient ensuite. Il faut d'abord s'amuser. Quand on est jeune, que l'on passe 8 heures par jour en classe, il faut s'amuser, lâcher la pression, et le sport sert à cela.

Très vite vient l'aspect « social » : on doit respecter les lieux, ceux qui enseignent, ceux avec qui l'on pratique, on se fait des amis... Puisque l'on s'est engagé sur les rails du plaisir, ensuite on travaille, sans s'en rendre compte !

Je trouve qu'il n'y a pas de meilleur apprentissage de la vie.

M. Denis Astagneau

Le judo souffre-t-il de sa médiatisation on ne peut plus épisodique ?

M. David Douillet

On en souffre sans en souffrir.

La Fédération compte aujourd'hui 600 000 licenciés et un peu plus de 800 000 pratiquants. Cela signifie que le maillage des clubs, de l'enseignement de qualité, existe. On se rend compte ainsi que la médiatisation n'est pas pour nous le seul vecteur de croissance : le travail se fait aussi sur le terrain, à la base.

Avant même de revêtir un kimono, dès l'entrée d'un dojo, le pratiquant lit le Code moral du judo. La première chose qu'il devra mettre en oeuvre, c'est le respect.

Mme Marie-Claire Restoux-Gasset, conseillère en charge de la Jeunesse et des Sports à la Présidence de la République

Je rejoins David Douillet sur le fait que la promotion d'un sport est un tout. Les médias y contribuent, mais la fédération concernée a aussi un rôle à jouer. En ce sens la Fédération française de Judo, depuis qu'elle a appliqué ce Code moral, a vu arriver un public plus jeune. Les parents ont pris conscience sans doute que le judo, au-delà de l'aspect physique, pouvait apporter un certain nombre de valeurs non seulement à la vie du jeune sportif, mais aussi à celle de l'adulte qu'il sera demain.

Le judo est un bon exemple sur ce point.

Par ailleurs, le fait d'avoir communiqué de manière importante et à tous les échelons, jusqu'aux clubs, a fait que le nombre des licences s'est démultiplié.

M. Denis Astagneau

David Douillet, vous êtes aussi aujourd'hui l'ambassadeur d'Adidas. Etre lié à une marque ne vous gêne pas ?

M. David Douillet

Non, d'autant que cette marque est vraiment liée au sport et depuis fort longtemps. Mon premier survêtement de l'Equipe de France, avec lequel j'ai même dormi, était un Adidas !

Cela m'a donc paru naturel et logique.

Adidas est une marque qui a su absorber les valeurs du sport, elle fait partie intégrante du paysage sportif, ce qui prouve qu'elle a tout compris de son milieu.

M. Denis Astagneau

Une marque peut en arriver à influer sur une fédération...

M. David Douillet

Ce sont des choses que je ne connais pas. Je ne suis qu'un ex-athlète très jeune, et ce genre d'influence est un sujet qui me laisse « sec ». D'ailleurs cela ne m'intéresse pas.

Mme Marie-Claire Restoux-Gasset

Je n'ai pas dormi avec mon premier survêtement de l'Equipe de France, mais la fierté de porter les couleurs nationales pour la première fois est significative. Cet élément me paraît important dans notre société aujourd'hui, il porte la nécessité de s'identifier à quelque chose.

M. Denis Astagneau

Avec plus de médias et plus d'argent dans votre sport, ne pensez-vous pas que grandiraient les risques de dérapages comme le dopage, par exemple ?

M. David Douillet

Plusieurs choses influent sur le fait qu'un athlète se dope ou non. La première est la motivation selon laquelle il fonctionne : pourquoi s'entraîner des heures chaque jour, quel intérêt propre y porte-t-il ? Pour ceux qui cherchent notoriété et/ou argent, il y a un risque, et en général, ceux-là n'y arrivent pas. Jamais je n'ai vu un jeune athlète qui ne pensait qu'à l'argent, réussir dans sa discipline. Quant à ceux qui fonctionnent sur la passion et le plaisir de la compétition, je pense et j'espère que le dopage est à l'opposé de l'amour qu'ils peuvent porter à la compétition, donc à la difficulté et au doute, dont naît le plaisir de la compétition.

Malheureusement, certains sports-spectacles, en général faciles, peuvent entraîner ce genre de dérives. Non pas que ces sports soient intrinsèquement antinomiques des valeurs du sport, mais le travers vient de la fréquence des événements : plus on en fait, plus il faut en faire, souvent pour l'argent, et les athlètes ne sont pas des machines ! Mais comme trop de spectacle tue le spectacle, le dopage tue les athlètes...

M. Denis Astagneau

Les enfants ont-ils une vraie image du sport, ou celle-ci est-elle faussée ?

M. David Douillet

Je ne parle pas beaucoup de cela avec eux. Je crois qu'ils ont des difficultés à comprendre ce qui doit se passer pour être bon dans un sport. La télévision présente un « produit fini », en quelque sorte. Les enfants ont du mal à imaginer ce qui est nécessaire pour arriver à ce stade de l'histoire, qui est préalablement très longue mais que l'on ne voit que trop peu dans les médias.

Donner l'impression de facilité est négatif dans la mesure où l'on crée ainsi de la déception. Les Zidane ou les Platini sont rares...

Je crois qu'il faut distinguer la passion pour une discipline et la passion pour la compétition ; les deux choses sont à expliquer, puis à gérer par les jeunes sportifs eux-mêmes. Mais les médias semblent manquer de place pour faire cela. Le monde du sport doit peut-être mettre en place quelque chose en ce sens, de même que l'école, où le sport est trop peu présent pour que naisse une véritable culture sportive.

M. Denis Astagneau

Stéphanie Ludwig, le fait que l'Equipe de France soit Championne du Monde de handball a-t-il fait se révéler des handballeuses en herbe ?

Mme Stéphanie Ludwig, championne du monde de handball

Oui, le nombre de licences a augmenté, et je ne pense pas que ce soit un soufflé qui risque de retomber, dans la mesure où la Fédération a élaboré des projets notamment en direction des jeunes, qui peuvent chaque année participer par exemple à UniHand. Le suivi mis en place laisse donc prévoir la continuité.

Il semble que les résultats obtenus influent aussi sur la quantité de public qui se déplace sur les terrains, et que cela attire les télévisions.

M. Denis Astagneau

Quels sont les conseils que vous pouvez donner aux jeunes handballeuses qui désirent réussir dans ce sport ?

Mme Stéphanie Ludwig

Je réponds comme David Douillet : il faut penser d'abord au plaisir, à la camaraderie, etc. Le reste, dont le travail, vient ensuite naturellement, avec la rigueur et le sérieux nécessaire, comme partout.

M. Denis Astagneau

Les clubs de handball français ne disposent pas d'extraordinaires moyens financiers. Comment peuvent-ils lutter contre les Danois ou les Suédois ?

Mme Stéphanie Ludwig

Nous luttons avec nos moyens. On y va ! On joue ! Et l'on peut gagner.

M. Denis Astagneau

Serge Simon est une « grande gueule » du rugby français, et il connaît bien les médias pour y avoir écrit. Pensez-vous que le rugby risque les mêmes dérives que celles du football ?

M. Serge Simon, président de l'Union des joueurs de rugby professionnels français (Provale)

Certaines choses sont inéluctables, c'est la loi du marché. Le sport n'est pas en ce sens un sanctuaire, et doit donc accompagner le mouvement, selon certains aménagements qui évitent que le système ne s'emballe, afin que l'homme reste au coeur des préoccupations. Notons que ce n'était pas le cas ce matin, lors des premières tables rondes.

Je crois qu'il faut effectivement surveiller de près la pression médiatique, qui n'est d'ailleurs pas voulue, comme le disait Monsieur Tessier, et néanmoins constante. La pression pour amener le sport à être plus spectaculaire, plus attirant pour tous, existe, et c'est bien normal de la part des médias. En ce sens le sport peut « jouer gros ». Au-delà, tout ce qui concerne les dérives du sport-spectacle, je trouve que cela fait un peu « Paris-Match »...

Le sport est un monde paradoxal, et pour étendre les pratiques sportives, je crois que le sport gagnerait à être plus lucide vis-à-vis de lui-même.

Le sport est porteur de valeurs extraordinaires, c'est une panacée qui guérit de tout, même du mildiou ! Mais en même temps nous avons assisté à deux tables rondes où les participants ne se sont pas vraiment montrés porteurs de ces valeurs, comme ils le disent d'ailleurs eux-mêmes. Le socle idéologique du sport est donc pur, idéal, utopique, mais son développement génère un système de production extrêmement important -- on a parlé de milliards -- qui se moque de ces valeurs. Le mariage est évidemment complexe à gérer, ce qui explique quelques impasses qui ont été évoquées ce matin. Certains veulent que cela soit un système économique comme les autres, d'autres refusent cette voie, compte tenu justement des valeurs qui en sont la base, tellement éloignée du système économique classique.

Le sport est ainsi fait de diverses choses qui n'ont rien à voir entre elles.

Il est médicalement démontré que le sport est éminemment bon pour la santé, mais toutes ces démonstrations ont été faites à partir d'activités physiques modérées et encadrées médicalement. Il s'agit de ce que l'on appelle le « sport de masse », qui est effectivement bon pour la santé, mais qui n'a rien de commun avec le sport intensif et de haut niveau.

Je n'ai pas pratiqué le sport tel que je l'ai fait pour être en bonne santé : j'ai trente-six ans, et le dos d'une grand-mère de quatre-vingts ! Je l'ai fait par plaisir, et si c'était à refaire, je le ferai mille fois.

Le sport gagnerait là encore à clarifier les choses, ne serait-ce que pour éviter des drames comme celui de la mort de Marco Pantani, qui a ouvert la fenêtre médiatique par laquelle tout le monde donne tout à coup son avis, jusqu'à ce que la fenêtre se referme...

Chacun sait pourtant que le sport de haut niveau est très loin du sport hygiéniste, du sport-santé.

Ce qui incite la pratique, c'est aussi le rêve, bien évidemment, mais depuis que j'ai arrêté de pratiquer, toutes mes actions consistent à dire que le système sportif est merveilleux, bien sûr, mais que quelques aménagements s'imposent. On ne vend pas de la poudre pour faire bien grandir ! Le sport est quelque chose de bon, dans certaines conditions, de magique, mais il demande aussi travail, sacrifices et douleurs parfois. Il y a des facteurs de risques. Le filet qui a cueilli Zidane en a ramené bien d'autres, des borgnes, des boiteux et des asthmatiques, mais au fil des étages... on jette. Le sport ne peut fonctionner que comme cela, bien entendu, mais le monde du sport pourrait réfléchir à une information de base différente, qui prévienne les risques, justement.

D'une rencontre avec de jeunes sportifs intensifs, pas plus tard qu'hier, sont ressorties des questions comme celles-ci : « le sport intensif peut-il avoir des conséquences sur la vie adulte ? Faire beaucoup de sport peut-il nuire à la santé ou à l'équilibre psychologique ? Le sport de haut niveau chez les jeunes peut-il entraîner des problèmes plus tard ? », etc.

Nous avons ainsi pu discuter avec ces jeunes de leur vie de sportifs intensifs, une vie singulière et pleine de difficultés potentielles.

Nous savons en fait depuis les années soixante que la reconversion des sportifs de haut niveau peut poser problème.

Mme Marie-Claire Restoux-Gasset

Il ne faut effectivement pas mêler les niveaux de pratique des sports. Il est ainsi nécessaire d'accompagner ceux qui ont fait le choix de s'adonner pleinement à la compétition, donc dans la discipline. Par ailleurs, être dans une filière de compétition n'implique pas obligatoirement l'excès, contrairement à ce que des événements médiatiques et donc médiatisés laissent parfois entendre. Il faut savoir adapter la pratique aux capacités de chaque individu. Tout le monde doit être convaincu de cela, dans la mesure où chacun a sa part de responsabilité au sein de la société : parents, éducateurs, encadrements sportifs, médias, etc.

M. David Douillet

Les deux mondes sont différents. Le premier comprend quelques milliers de personnes, qui constituent le haut niveau ; c'est celui que l'on voit tout le temps. L'autre comprend quelques millions d'individus... Ne mélangeons pas les choses !

Les valeurs du sport peuvent parfois être dévoyées au sein du premier, mais elles continuent d'exister pour tous les autres... Quoi qu'il en soit l'amalgame ne doit pas être fait.

M. Serge Simon

Les choses ne sont pas si simples. Le monde du sport se sert de cette échelle : ce sont les 6 000 sportifs de haut niveau et le système médiatique qui tirent la masse. Il faut traiter les choses, effectivement, en faisant la distinction, mais sans oublier qu'elles sont articulées, finalement.

Il faut être conscient que le sport de haut niveau peut entraîner des difficultés, et cela n'a rien d'extraordinaire, étant donné la nature même des activités. Le problème est que ces difficultés surviennent dans un monde où elles ne devraient pas, où on ne peut ni les dire ni les prendre en charge, excepté quand il est parfois trop tard.

Le parcours d'un sportif de haut niveau, c'est un peu une traversée de l'Atlantique à la rame, et cela ne pose aucun problème dans la mesure où cela est voulu, décidé. Dans le cas d'un jeune, la balance entre le plaisir et les sacrifices ne doit pas pencher du mauvais côté. Il faut mettre en place des systèmes de détection simples pour repérer ces premières difficultés, afin de les prendre en charge.

Ce sont de tels aménagements qui permettront aux sports d'attirer encore plus de monde et de rassurer un plus grand nombre de parents.

M. Denis Astagneau

Je voudrais demander à Bruno Derrien si les arbitres sont encore respectés sur les terrains de football...

M. Bruno Derrien, arbitre international de football

Je souhaiterais revenir sur ce qui a été dit à propos des marques.

Depuis trois ans, après bien des débats, les maillots des arbitres de football portent la marque But. Je précise que les arbitres de Ligue 1 et de Ligue 2 qui portent ces maillots ne perçoivent pas 1 euro sur les droits à l'image. L'argent sert à promouvoir l'arbitrage en France ; nous avons ainsi réussi à augmenter de 4 000 le nombre d'arbitres.

Mais nous en manquons encore.

900 000 matchs de football sont joués en France en un an, et 75 000 par mois. Nous ne comptons que 24 000 arbitres... On imagine le nombre de matchs qui ne sont pas arbitrés par des arbitres officiels, et les problèmes que cela peut poser.

Compte tenu des enjeux économiques et autres des rencontres d'élite, je suis d'avis qu'il faut y adapter l'arbitrage. Je pense par exemple à l'utilisation de la vidéo pour des questions de franchissements de ligne, etc. Il s'agit d'aller dans le bon sens pour assainir le jeu dans certains cas, et pour affermir le respect dû aux arbitres.

Nous ne sommes que des hommes, avec nos forces, nos faiblesses et nos limites. La perfection n'existe pas, y compris dans l'arbitrage.

M. Denis Astagneau

Le scénario de la star qui « disjoncte » sur le terrain se rejoue-t-il tous les dimanches sur les terrains de France ?

M. Bruno Derrien

Le mimétisme existe, effectivement, et fait des ravages dans le football amateur. Il ne s'agit pas de faire le procès de qui que ce soit, mais ceux qui se comportent mal ne se rendent parfois pas compte de l'image qu'ils véhiculent et de l'impact de celle-ci. On ne rappellera jamais assez le devoir d'exemplarité des « stars ».

M. Denis Astagneau

La contestation des décisions de l'arbitre n'existe de la sorte que sur les terrains de football...

M. Bruno Derrien

J'envie parfois mes collègues du rugby, effectivement, pour le respect que les joueurs leur témoignent. La philosophie n'est sans doute pas la même.

Pour que les arbitres retrouvent leur confiance, ils ont besoin de respect. Ils revendiquent le droit à l'erreur, comme tout un chacun, même si un coup de sifflet à tort peut effectivement avoir des conséquences terribles pour une équipe.

Nous aurions besoin de la vidéo pour les franchissements de ligne, comme je le disais, mais aussi pour gérer ce qui se passe dans la surface de réparation. Michel Platini était par ailleurs favorable à ce que l'on mette un arbitre derrière chaque but, mais je crois qu'il leur faudrait porter un casque !

M. Denis Astagneau

Bernard Amsalem, vous êtes à l'origine du succès des Championnats du Monde d'athlétisme, l'été denier, puisque vous en étiez l'organisateur en tant que président de la Fédération. Quelles retombées cela a-t-il eu sur l'athlétisme français ?

M. Bernard Amsalem, président de la Fédération française d'athlétisme

Le succès a été populaire, médiatique et sportif, effectivement. Tout cela a permis de gommer un peu la déconvenue de Sydney et de relancer notre sport.

Un an et demi avant les Championnats, nous avions mis en place un plan de développement, dont l'idée était de moderniser la pratique de notre sport, pour faire en sorte que la pratique des jeunes soit plus basée sur le plaisir, sur le ludique. Il s'agissait aussi de rendre l'athlétisme plus présent sur le terrain, à l'extérieur du stade, par exemple en s'ouvrant sur des pratiques nouvelles comme la course hors stade, la course de nature, de montagne, etc.

Les Championnats du Monde ont été un catalyseur pour tout cela. Aujourd'hui, l'augmentation des licences est de 25 % depuis septembre. Il s'agit maintenant de fidéliser les jeunes qui arrivent dans les clubs.

Mais notre Fédération est encore un peu archaïque. Nous envions en ce sens la Fédération de judo, qui réussit grâce à son professionnalisme dont nous voulons nous inspirer, ce que nous faisons en travaillant avec l'ensemble des clubs au niveau national.

Nous prônons aujourd'hui le fait que l'on n'a pas besoin d'un stade pour faire de l'athlétisme, dans la mesure où cela met en oeuvre des gestes de base, fondamentaux. Nous avons ainsi inventé le concept « Athlénature » : on peut, en forêt, confectionner des javelots, aménager une ligne droite pour faire de la course, etc.

L'athlétisme plus « sérieux », dans le sens technique, arrive plus tard, après l'adolescence. L'approche est bien entendu différente, de même que l'environnement.

M. Denis Astagneau

Il y a donc eu des retombées médiatiques, mais j'ai appris que Toyota, qui travaillait avec l'athlétisme, vient de signer un contrat avec l'Equipe de France de football.

M. Bernard Amsalem

Il est vrai que les partenariats sont plus difficiles à établir. Plusieurs sociétés se sont intéressées à nous, mais plutôt par curiosité.

Heureusement que nous avons aussi des partenaires de longue date, qui ont continué de nous soutenir même dans les moments les plus difficiles : il en est ainsi de Gaz de France, Adidas ou la Caisse d'Epargne. Notons que Toyota a proposé un partenariat avec les athlètes, mais pas avec la Fédération.

Le premier partenaire de la Fédération est le ministère des Sports. Ce soutien et cette confiance de la part des pouvoirs publics sont très importants. Etant un sport éducatif, nous demandons simplement de pouvoir réinvestir le champ scolaire. L'athlétisme est « la mère de tous les sports », ne l'oublions pas...

M. Denis Astagneau

La Fondation pour le Sport existe depuis quelque mois. Pierre Dauzier, quels en sont les objectifs ?

M. Pierre Dauzier, président de la Fondation pour le Sport

Notre premier objectif a été de collecter les fonds qui nous permettent d'exister. Nous avons ainsi collecté un peu plus de 2 millions d'euros auprès d'une dizaine d'entreprises, ce qui nous permet d'agir dans un domaine spécifique complémentaire à ce qui est déjà en place. Ce domaine est constitué de deux objectifs simples.

Il s'agit de soutenir des associations existantes qui viennent en aide à des personnes en déshérence ou déshéritées --handicapés, résidents de zones péri-urbaines difficiles, etc. Nous apportons une contribution financière, sur un terme assez long, mais aussi une expertise sportive auprès de gens de bonne volonté, puisque nous sommes une entité à but non-lucratif.

Le sport est pour nous un élément fort de socialisation, et nous avons besoin d'emblèmes comme les grands sportifs présents ici. Notre volonté est de lutter contre l'isolement, contre la solitude, contre des milieux dont l'influence, notamment sur les jeunes, peut avoir des effets désastreux. Il faut pour cela se mettre dans la peau des gens, sous peine de faire du mécénat gratuit, sans suite et sans âme. Nous voulons donner une âme à cette Fondation du Sport. Cela prendra du temps et demandera que l'on fasse appel à de nombreuses bonnes volontés.

M. Denis Astagneau

Comment vous positionnez-vous par rapport aux collectivités locales, puisque votre credo est la proximité ?

M. Pierre Dauzier

Les collectivités locales dans l'ensemble fournissent un travail considérable, sur le plan des structures, bien entendu, mais aussi sur celui de l'aide aux associations pour leur fonctionnement et leur animation. Nous ne nous substituons pas aux collectivités, mais nous nous sommes rendu compte que de nombreuses bonnes volontés restent anonymes, que des initiatives n'aboutissent pas, que certaines actions ne sont pas reconnues, etc., tout cela par manque de concours.

J'ai été surpris de l'adhésion des entreprises. Elles ont été malmenées, la légitimité de leurs dirigeants a été écornée, elles sont jugées uniquement sur leurs résultats. Mais à un moment donné, les valeurs du sport, l'altruisme, la solidarité, etc., peuvent permettre aux entreprises de communiquer autrement que sur leurs produits ou services, en utilisant l'angle de leur rôle social dans la cité.

Je précise que depuis le 1 er août 2003, nous avons en France une loi qui a facilité notre démarche, loi telle qu'il n'en existe pas dans les autres pays.

M. Denis Astagneau

Quel est votre degré d'efficacité ?

M. Pierre Dauzier

Notre degré d'efficacité est fort, grâce à la présence des sportifs « emblèmes » dont je parlais précédemment, mais aussi grâce aux sportifs « de proximité ». Tous les concours sont positifs, même si une médaille d'or frappe plus... Quoi qu'il en soit la proximité est nécessaire, avec la mobilisation des entreprises, grandes, petites ou moyennes.

M. Denis Astagneau

Comment analysez-vous les relations entre le sport de masse et les médias, et comment les voyez-vous évoluer dans les années à venir ?

M. Pierre Dauzier

Les médias ont tendance à privilégier l'événement ou les grands dossiers, ce qui est normal.

Nous, nous allons chercher des appuis de proximité : la presse quotidienne régionale, les radios locales, etc., de manière à donner aux associations avec lesquelles nous travaillons la valeur d'exemple.

M. Denis Astagneau

Le Comité national olympique et sportif français insiste lui aussi sur le rôle des clubs associatifs et des éducateurs. Quelles sont les actions que le CNOSF met en oeuvre pour impulser la pratique sportive en France ?

M. Denis Masseglia, secrétaire général du Comité national olympique et sportif français (CNOSF)

Je voudrais tout d'abord exprimer une opinion concernant les athlètes de haut niveau. Par expérience, je sais que l'on côtoie dans ce monde des gens parfaitement équilibrés et bien dans leur peau. Il ne faut surtout pas généraliser ce qui ne touche que quelques-uns. Aller vers le haut niveau est un choix respectable qui mérite d'être soutenu dans la limite des capacités de chaque individu.

Ne ramenons pas tout à l'argent : certains athlètes de haut niveau sont reconnus, médiatisés et riches, mais restent attachés aux valeurs de base, pour suivre une démarche louable et exemplaire.

Concernant nos actions, il faut savoir que nous englobons les sports dans leur totalité, et dans la totalité de leurs pratiques. Le CNOSF représente la fédération des fédérations, en fait, et par là même doit jouer un rôle d'impulsion et de promotion des sports tels qu'ils se pratiquent dans les associations. Le club est d'abord une famille dans laquelle chacun peut s'exprimer et trouver ce à quoi il aspire au travers de la pratique sportive. Il est forcément le creuset, avec ses éducateurs, dans lequel tout se crée.

M. Denis Astagneau

La médiatisation galopante des « grands » sports a-t-elle un effet pervers sur les « petits » sports, comme l'aviron, dont vous avez été Champion de France ?

M. Denis Masseglia

Il faudrait essayer de mettre en oeuvre une sorte de pondération.

Les propos que nous avons entendus ce matin tournaient autour du football et de sa médiatisation, notamment par TF1. Mais TF1 fait son travail ! Cela ne me gêne pas !

Le football est incontestablement le sport numéro un, mais ce qui m'interpelle, ce sont les répercussions que sa médiatisation peut avoir au niveau local. De manière caricaturale, on peut dire qu'avec 20 % des licenciés, le football prend 80 % des subventions. Mais il ne faut privilégier aucun sport. Je crois que le football souffre aussi de la différence de traitement qui existe entre l'élite sportive et le football amateur, qui se débat dans les mêmes problèmes que les autres sports.

Le monde sportif souffre de ne pas avoir su communiquer pour faire savoir ce qu'il est, ce qu'il vit et ce qu'il représente. On pense que tout va bien grâce à des passionnés qui donnent leur temps et parfois leur argent au service du sport de la jeunesse. Mais rien est acquis : il ne faudrait pas considérer que ces engagements vont perdurer sans une forme de reconnaissance, sinon d'aide, largement justifiée au regard de ce qu'ils apportent à la société française.

M. Denis Astagneau

J'ai appris hier que le CIO lançait un appel d'offres pour la vente des droits de radiotélévision olympique en Europe. Cela me semble contradictoire avec ce que vous nous dites...

M. Denis Masseglia

Je ne suis pas le président du CIO !

Le produit « Jeux Olympiques » peut rapporter beaucoup d'argent, et ce n'est pas un problème. Le problème est de savoir quelle va être l'utilisation de cet argent.

Le CIO n'utilise que 6 % de ses recettes pour son fonctionnement propre, le reste étant redistribué aux comités nationaux, aux fédérations internationales et à la solidarité olympique. L'argent sert ainsi au développement de la pratique sportive du plus grand nombre, l'essentiel étant que tout le monde puisse profiter de la manne.

M. Denis Astagneau

Tout le monde se souvient de cette petite femme qui terrassait les Japonaises aux Jeux Olympiques de 1996... Demandons à Marie-Claire Restoux-Gasset ses réactions à ce qui s'est dit lors de cette table ronde.

Mme Marie-Claire Restoux-Gasset

Nous parlons ici du plus grand nombre, et notamment de ceux qui ne pratiquent pas encore. Cela implique une double nécessité : suivre les tendances de la société et, puisque le sport est un tout, faire en sorte que ceux qui sont sous les projecteurs soient exemplaires, afin de donner envie aux plus jeunes de pratiquer. Pour être exemplaire, il faut être bien dans sa peau, et bien accompagné pour éviter les dérives que nous avons évoquées.

Pourquoi est-il intéressant pour un pays, une fédération, un club ou un Etat de développer et d'encourager la pratique sportive ?

Le sport est aujourd'hui un des rares domaines qui rassemble, au-delà de toutes considérations ou convictions.

Par ailleurs, il est nécessaire que nos jeunes puissent s'identifier à quelque chose. S'ils dérivent parfois, c'est par manque de repères ou d'exemples. Les sportifs de haut niveau se doivent d'être de tels exemples.

Le sport peut aussi être un acteur de la santé, comme cela a été décrit. Il peut contribuer à résoudre un certain nombre de problèmes, comme les risques à venir d'obésité chez les plus jeunes, par exemple.

Le sport est encore un facteur d'éducation. On apprend des choses à l'école, mais un professeur peut-il contribuer à l'éducation globale d'un enfant ? Je ne crois pas, ou en tout cas pas totalement. On apprend à vivre avec les autres lorsque l'on partage des expériences, dont le sport fait partie, comme la culture, les arts, etc., tous facteurs complémentaires de l'éducation. Le sport est un apprentissage de la vie avec les autres, donc en société.

Comment développer la pratique sportive ?

D'abord, il faut des équipements, parfois sophistiqués, parfois très simples. En ce sens des équipements modernes, en bon état et conformes aux normes sont plus attirants que les structures vétustes qui datent de cinquante ans. Je crois d'ailleurs savoir que le ministère travaille au recensement des équipements actuellement en utilisation, de manière à mettre en place une politique d'amélioration des équipements sportifs.

On pourrait ainsi envisager, dans le cadre de la réhabilitation qui va se développer avec la Politique de la ville, de créer un certain nombre d'équipements de proximité pour la pratique sportive.

Hormis les équipements, il faut aussi des personnes capables de transmettre le savoir, d'où la nécessité de formations adaptées qui évoluent avec les pratiques.

Un autre axe à travailler est la présence du sport à l'école. Faut-il plus de sport à l'école, ou à côté de l'école ? L'école est le lieu où l'on découvre, et elle peut travailler avec les clubs locaux en ce sens, comme cela se fait parfois, et cela mérite d'être intelligemment développé.

Les fédérations doivent aussi jouer le rôle de promoteurs de leurs activités. Certaines se sont penchées sur le sujet, comme la Fédération de judo, qui a mis en place certains outils pédagogiques de manière à ce que les professeurs puissent accueillir dans leurs clubs une population beaucoup plus jeune qu'auparavant. Ceci est d'ailleurs valable pour les moins jeunes, qui sont en forme beaucoup plus longtemps, ou encore pour les handicapés, éventuellement en relation avec les entreprises, comme cela se fait dans certaines collectivités.

Ces pistes ne nécessitent pas une grande réflexion, mais simplement que les gens se rencontrent et dialoguent.

La question a été posée tout à l'heure de savoir si les sports devaient s'adapter aux médias. A cela je répondrai « peut-être », mais seulement dans une certaine mesure. Le judo s'est ainsi adapté en admettant sur le tatami des kimonos bleu, afin que le public puisse plus facilement comprendre le combat... Cela n'a en rien dénaturé la discipline.

De telles petites choses simples peuvent promouvoir le sport, et donc ses valeurs.

QUEL ÉQUILIBRE DEMAIN ?

Sous la présidence de M. Michel Sergent , sénateur du Pas de Calais,
rapporteur du budget des Sports au nom de la Commission des Finances

M. Denis Astagneau, rédacteur en chef à France Inter

Quel est le niveau d'adéquation entre l'offre de sport dans les médias et la demande du public ? Celui-ci serait-il insatiable ? Trop de sport tue-t-il le sport ? Le public ne va-t-il pas se lasser, les prix ne vont-ils pas s'effondrer, en une sorte de krach médiatico-sportif ?

Le tableau est bien sombre et nous allons tenter de l'éclaircir avec nos intervenants.

M. Michel Sergent, sénateur du Pas de Calais, rapporteur du budget des Sports au nom de la Commission des Finances

Le sujet de la dernière table ronde de ce colloque est ambitieux : quel pourrait être le nouvel équilibre du monde sportif, dans un contexte de croissantes marchandisation et médiatisation ? Les tables rondes précédentes ont dressé l'état des lieux et le bilan, mais la prospective ou la perspective montre combien le sujet est difficile.

Dans le domaine sportif comme dans d'autres, on parle souvent de modèle français, d'une perception et d'un mode de gestion du sport fondamentalement originaux, qui nous distingueraient des autres pays. Chacun jugera si cette spécificité relève du mythe ou de la réalité, mais il apparaît tout de même que notre pays se caractérise par le poids des pouvoirs publics, notamment dans l'encadrement des sports de haut niveau, et par le principe de délégation de service public à certaines fédérations, ce qui se traduit entre autres par la co-gestion paritaire.

Le modèle français se situe donc à mi-chemin entre une forte présence étatique, caractéristique de l'Europe du Sud, et la voie libérale, choisie notamment par la Grande-Bretagne.

Les Etats généraux du Sport ont cependant révélé le consensus sur la nécessité de la modernisation de notre organisation, qui conserve néanmoins nombre d'atouts. L'expansion mesurée du sport professionnel et le caractère structurant de la solidarité avec le milieu amateur ont en effet permis d'éviter au moins en partie les écueils financiers qu'ont connus certaines ligues étrangères.

En ce début de siècle le mouvement sportif français doit ainsi répondre au triple défi du développement d'une logique de rentabilité économique, de la préservation de l'attrait visuel et émotionnel du sport et de la promotion de l'éthique sportive. Il s'agit donc de trouver un difficile équilibre entre profitabilité, spectacle et morale.

L'économie marchande et le sport professionnel manifestent des intérêts à la fois convergents et divergents.

Le sport constitue un gisement financier pour le marché, via l'exploitation commerciale de tendances et de créneaux socioculturels, et le marché fournit des moyens financiers au sport, notamment par l'intermédiaire de la cotation en Bourse.

Les divergences apparaissent lorsque l'on considère le caractère fondamentalement incertain du sport, la « glorieuse incertitude », qui fait tout l'intérêt du sport, atténue la fiabilité du calcul économique, et suscite également des dérives contraires à l'éthique, dès lors que les sportifs et les dirigeants tentent de réduire le plus possible ces facteurs d'incertitude.

L'équilibre que nous devons promouvoir se situe donc entre la marchandisation et l'emprise d'un Etat tutélaire.

Il ne doit enfermer le sportif ni dans une conception exclusivement promotionnelle et commerciale, ni dans une vision angélique qui ignorerait la puissance économique du sport.

On peut dès lors déterminer certaines dimensions de cet équilibre futur, et poser à nos intervenants quelques questions.

Comment, sur le plan individuel, préserver l'exemplarité et l'humanité du sportif de haut niveau, en particulier lorsqu'il sert de support au sponsoring ?

Comment, au plan européen, assurer la compatibilité des systèmes nationaux et mettre en place une vraie politique communautaire de défense des valeurs sportives et d'harmonisation de certaines règles ?

Comment préserver les relations entre sport professionnel et sport de masse ?

Quelles dimensions et quelle organisation de la présence du sport à la télévision ?

Autant de questions pour nos intervenants, que je remercie par avance pour leurs éclairages.

M. Denis Astagneau

Jean-Claude Darmon, aucun des flux financiers du sport ne vous est étranger...

Quelles sont selon vous les forces et les faiblesses du système français par rapport à ses voisins européens ?

M. Jean-Claude Darmon, président de Sportfive

Nous avons dans ce pays un vrai problème de culture. Le décalage entre l'Italie, l'Angleterre, l'Espagne et nous-mêmes est considérable.

Nous n'avons pas ici le même attachement aux clubs...

Pour les droits télévisés, le décalage est aussi très grand : Manchester, par exemple, doit gagner ainsi quinze fois plus d'argent que ne le fait l'Olympique lyonnais.

Je crois que l'évolution vers le sport spectacle, à l'américaine, est inéluctable dès lors que l'on passe professionnel, et il est clair que ce sport de haut niveau ne peut plus exister sans les médias.

De même, il n'y a pas de sport de masse sans sport d'élite, ni de sport d'élite sans sport de masse. Mais il ne faut pas croire que le sport de masse présente les mêmes retombées économiques que le sport d'élite, même si le premier peut bénéficier des retombées du second.

Il a été question de « l'ombre » que le football faisait aux autres sports. Les choses ne se passent pas tout à fait comme cela.

Pour exister, il faut de l'argent. Pour trouver cet argent, il faut créer un spectacle qui plaît au plus grand nombre. Le volley ou le basket sont comme des films à petit budget...

Le sport amateur est subventionné par l'Etat, mais le sport professionnel doit se prendre en charge.

M. Denis Astagneau

Etes-vous, vous aussi, favorable à une certaine libéralisation ?

M. Jean-Claude Darmon

Le problème est que l'on nous demande de gagner la Coupe d'Europe contre des adversaires qui n'ont pas les mêmes règles que nous.

Les clubs doivent avoir des droits qui leur appartiennent, pour les développer, mais il ne me semble pas utile d'entrer en Bourse, même si l'on peut envisager que cela soit une possibilité.

Quoi qu'il en soit, l'important est l'accès aux investisseurs : cela apporte la transparence, qui ne peut être qu'une bonne chose. Le ministre pourrait donc nous donner la possibilité d'entrer en Bourse.

Concernant les allègements fiscaux dont il a été question, je suis évidemment pour, mais soyons clairs : pour les joueurs qui gagnent 150 000 € par mois, il n'est question que d'étaler la fiscalité. Remarquons que nous sommes Champions du Monde, mais nos joueurs jouent à l'étranger...

Bien entendu ces mesures doivent concerner les autres disciplines sportives, sachant que pour les sports moins médiatiques, des efforts sont nécessaires pour mettre en place des mesures de compensation.

Il serait normal aussi que l'on instaure le droit à l'image pour les joueurs, ne serait-ce que pour réduire le décalage entre nous et les autres pays européens. Mais là encore, cela doit se faire selon des règles à établir.

M. Denis Astagneau

Didier Poulmaire est avocat spécialisé dans le droit du sport. Je ne savais pas qu'une telle spécialité existait...

M. Didier Poulmaire, avocat à la Cour, responsable de l'équipe de droit du Sport du Cabinet Gide, Loyrette, Nouel

Nous avons vu que les acteurs du monde sportif sont nombreux et très divers, et qu'au sein de tout cela circulent d'importantes masses d'argent. Il a donc été nécessaire aux clubs et aux athlètes de bénéficier d'une assistance juridique qui accompagne ces flux.

Notre équipe spécialisée en droit du sport s'est constituée au fil de l'évolution de la professionnalisation et de l'arrivée de l'argent dans le sport. Nous travaillons au carrefour de deux mondes : celui des athlètes et des clubs, d'une part, et celui de sponsors ou des entreprises, d'autre part. Nous savons ainsi que le bon équilibre doit respecter la règle sportive et le besoin de visibilité des sponsors.

L'accroissement des enjeux dans le sport a fait que l'on doit aujourd'hui contrôler un maximum de choses.

Le sport est un secteur économique, certes, mais un peu particulier : il est constitué d'amis, dont certains se retrouvent parfois sous les projecteurs, avec les exigences que cela suppose, et qu'il faut assumer.

Mais ce milieu fonctionne parfois sur le plan économique de manière encore irrationnelle : nous sommes là pour contractualiser les choses, en rédigeant des contrats qui couvrent aujourd'hui 50 ou 60 pages, plus les dizaines de pages d'annexes, là où « niche le diable »... Le contrat cristallise les acteurs, finalement, en créant l'équilibre qu'il faut trouver.

La tendance est aujourd'hui au verrouillage des moindres détails. Ceci présente d'ailleurs des risques, notamment celui de perdre une certaine convivialité et d'aller vers une sorte de déshumanisation.

M. Denis Astagneau

Quelles conséquences ces contrats font-ils peser sur la vie quotidienne des athlètes ?

M. Didier Poulmaire

Cela leur crée beaucoup d'obligations, notamment au plus haut niveau, bien entendu. Il faut signaler qu'ils n'ont pas été préparés à cela. L'entrée d'un athlète dans le professionnalisme le propulse dans une société où tous, sponsors, agents, médias, vont miser sur ses performances.

Certaines fédérations commencent à intégrer cette dimension, en accompagnant les athlètes dans les domaines de leur image, du marketing, etc., parfois via de vraies formations.

Mettre l'accent sur cet aspect fait, je crois, partie des équilibres futurs à mettre en oeuvre, dans la mesure où certains athlètes de haut niveau sont de véritables PME à eux seuls !

Lorsque Toyota a réinvesti dans la Formule 1, il est évident qu'ils ne manquaient pas de moyens pour le faire. Par contre, il leur manquait le pilote ! Ils ont donc fait le tour du monde des pistes de karting pour dénicher la perle rare. En l'occurrence ils ont contacté un Français,

Franck Perrera, qui n'avait alors que seize ans. Les Japonais ont demandé à Franck et à ses parents de prendre une décision pour une très longue partie de sa carrière... Ceci nous montre ce que deviendra peut-être le sport dans les années à venir, mais aussi les risques que cela suppose.

La réglementation du sport a évolué, mais les enjeux économiques et financiers l'ont fait plus vite encore. J'ai eu le plaisir aujourd'hui de rencontrer trois présidents de clubs de football qui sont des chefs d'entreprises.

Les équilibres seront certainement difficiles à trouver, dans la mesure où de nombreuses problématiques se rejoignent et doivent être intégrées.

Quoi qu'il en soit, il faut tenter d'éliminer tous les éléments perturbateurs de la performance sportive.

M. Denis Astagneau

A quoi devrons-nous être vigilants à l'avenir, Jean-Pierre Karaquillo, pour préserver les relations entre sport professionnel et sport de masse ?

M. Jean-Pierre Karaquillo, directeur du Centre de droit et d'économie du Sport (CDES) de l'Université de Limoges

Les interventions précédentes contiennent déjà presque la réponse.

Je suis à la fois rassuré sur le sport français et effaré par quelques propos que je viens d'entendre.

Je suis rassuré de savoir que les clubs de football français se tiennent finalement correctement sur le plan financier, comparativement à nos voisins européens. Notre organisation est semble-t-il plus copiée par ces voisins que nous ne copions les leurs.

Je suis effaré, en revanche, lorsque j'entends que l'on traite le sportif comme une entreprise à part entière, ou que les clubs de football sont des entreprises comme les autres. Les clubs doivent être rigoureusement gérés, certes, mais avec des règles spécifiques. L'histoire du sport ces trente dernières années nous montre des faillites retentissantes dues à des individus qui avaient auparavant su gérer leurs entreprises...

L'exemple de Matra est en ce sens révélateur : personne ne peut nier que Jean-Luc Lagardère est un grand industriel, mais on ne gère pas des sportifs professionnels comme on gère des représentants de commerce !

Concernant ce qui me rassure, je trouve intéressant que les pouvoirs publics aient l'audace de garder à l'esprit que notre sport doit être construit sur la préoccupation constante de ne pas couper le sport de masse du sport d'élite. Si l'on oublie que cette liaison est à l'origine des réussites que nous connaissons, alors nos voisins prendront de l'avance sur nous.

Soulignons aussi l'aide considérable que constitue la mise en place en France des directions techniques nationales et des cadres techniques.

Je pense par ailleurs que la bonne coordination entre ligues et fédérations est essentielle pour tenir et renforcer ce lien entre sport d'élite et sport de masse. Ces organisations, ne l'oublions pas, ont des incidences juridiques considérables.

Enfin, les réformes, comme la multipropriété des clubs ou le droit à l'image, ne peuvent être envisagées sans analyser les répercussions qu'elles pourront avoir sur les athlètes et sur l'organisation du sport.

M. Denis Astagneau

Quels moyens peuvent être mis en oeuvre pour éviter les « dérapages » ?

M. Jean-Pierre Karaquillo

Il faut tout d'abord distinguer les disciplines : il y a le football, et le reste. Les financements ne sont pas du tout les mêmes, ni par leur importance, ni par leurs origines. Ainsi, hormis les équipements sportifs, les collectivités territoriales ne supportent pas le football, alors que les clubs de basket leur doivent fréquemment rien moins que leur survie... Les relations sont forcément différentes.

Les solutions passent donc sans doute par un partenariat beaucoup plus précis et rigoureux avec les collectivités territoriales, notamment pour les disciplines autres que le football.

L'aide de l'Etat est par ailleurs essentielle, notamment au travers des cadres techniques, comme je le disais précédemment. Il ne faut pas négliger cet apport, spécifique au sport français, qui explique en partie le fait que la France soit en haut de l'affiche y compris dans le sport de haute compétition.

M. Denis Astagneau

Quel regard la Commission européenne porte-t-elle sur les disparités des systèmes sportifs des pays européens, Jaime Andreu ?

M. Jaime Andreu, chef d'unité Sports à la Direction générale Education et Culture de la Commission européenne

L'organisation du sport correspond aux traditions politiques et administratives de chaque pays. La diversité est la richesse de l'Europe : loin donc de nos intentions de vouloir harmoniser vers un modèle unique européen. Notre rôle sera de coordonner, de soutenir et de compléter, mais la responsabilité appartiendra toujours aux mondes sportifs et aux Etats concernés.

Le sport est assez grand pour se donner ses règles, en toute autonomie, et libre à l'Etat d'intervenir s'il le désire. Nous vérifions simplement qu'elles respectent le cadre législatif communautaire.

Le ministère des Sports en Suède comprend six fonctionnaires -- et il fonctionne ! -- et cela reste compatible avec le système français.

M. Denis Astagneau,

Quand le Roi d'Espagne met de l'argent pour soutenir le Real de Madrid, n'est-ce pas à la limite du système ?

M. Jaime Andreu

Avez-vous des preuves de ce que vous avancez ? Vous calomniez le Roi ! Je vous conseille en toute sympathie de ne pas tenir de tels propos en Espagne...

Deux mots-clés doivent présider aux réflexions sur le sport européen : équilibre et réalisme.

Le sport peut être comparé à un orchestre symphonique : il y a des solistes, mais qui doivent jouer en harmonie avec les autres membres de l'orchestre, et personne ne se demande si tel musicien est amateur ou professionnel !

Le problème essentiel du sport européen aujourd'hui réside dans les différences de grandeurs économiques. Est-ce que la taille de nos Etats permet de continuer ce système de compétition ? La Ligue des Champions, par exemple, n'est-elle pas en elle-même un facteur de distorsion ? 80 % des équipes qui jouent au sein de cette Ligue sont toujours les mêmes. Combien d'équipes, au départ, sont-elles en condition réelle de remporter le Championnat ? Quatre ? Cinq ? Pas plus.

Je suis par ailleurs favorable au G14, dont nous avons parlé, mais il faudra réfléchir à l'introduction de facteurs correcteurs, notamment pour que les clubs nationaux puissent les concurrencer sans plonger dans les surendettements.

Nous sommes dans une période de transition et de changement. Il nous faut nous adapter, et tenter d'imaginer des solutions. Le système français est en ce sens irréprochable sur certains points, mais peut-être pas assez efficace sur d'autres.

Au niveau européen, l'avantage est que nos ministres des sports pourraient mener des actions concertées ; aujourd'hui ils ne peuvent pas se mettre autour d'une table pour réfléchir aux problèmes et aux évolutions à venir. Ce sera cela, la valeur ajoutée de l'action communautaire.

M. Jean-François Lamour, Ministre des Sports

Nous avons effectivement besoin de la Commission européenne.

Je regrette par exemple qu'elle n'ait pas pu intervenir sur la question du dopage, pour des raisons juridiques et statutaires notamment.

J'aurais aimé aussi que nous renforcions le texte du Traité concernant le sport, ce qui n'a pas été possible, et que je regrette également. Cela aurait été un moyen de montrer que les ministres des sports avaient toute leur place pour décider ensemble ce que devait être le sport en Europe.

Je crois par exemple qu'il est nécessaire d'avoir un discours commun concernant le contrôle des clubs. Nous avons donc besoin d'un article « sport » dans le futur Traité et dans la future Constitution, et ceci surtout pas pour mettre en place des championnats fermés, bien au contraire. Ce serait en effet la fin du lien qui existe entre le sport amateur et le sport professionnel.

Peu importe si des clubs professionnels n'ont pas la même visibilité en matière économique que des structures fermées ou que des clubs de Ligue de football professionnel ou de basket américains, même si des joueurs talentueux, de fait, s'en vont ailleurs. La seule chose que je demande est que ces jeunes puissent rejoindre les équipes nationales. Nous aurons en ce sens besoin d'être forts en Europe. Les Etats et les politiques ont intérêt à ce que leur pays soit représenté dans les meilleures conditions, et surtout en protégeant les athlètes.

Quoi qu'il en soit, sachez que je m'opposerai avec la plus grande force à la mise en place de championnats fermés.

M. Jaime Andreu

J'espère tout de même que vous n'allez pas ouvrir le Tournoi des Six Nations... ce serait une catastrophe ! Vous voyez qu'il n'y a pas de règle définitive...

M. Denis Astagneau

Quel rôle peut jouer le CSA dans les relations entre les médias et le sport, notamment le football, Monsieur Levrier ?

M. Philippe Levrier, membre du Conseil supérieur de l'Audiovisuel (CSA)

Le CSA est chargé d'appliquer la réglementation audiovisuelle. Il se trouve que le genre sportif est le moins réglementé.

Quelques règles de protection du consommateur existent : le droit à l'information, la protection des événements majeurs, la publicité, et la concurrence, avec le Conseil du même nom.

Concernant la publicité, il faut faire la part des choses entre ce qui est évitable et ce qui ne l'est pas. Il est difficile de ne pas voir les publicités sur une voiture de rallye, par exemple. Simplement, ce qui évitable doit être évité.

L'angle de prise de vue doit par ailleurs être dans l'intérêt sportif, pas dans celui des marques ; mais les téléspectateurs sont là pour y veiller...

M. Denis Astagneau

Selon vous, comment va évoluer l'inflation sur les droits de retransmission du football ?

M. Philippe Levrier

Cela n'est pas réglementé. Les prix sont donc fixés librement entre acheteur et vendeur. Il se peut que lors de grands moments d'enthousiasme on oublie un peu la rationalité économique, mais les effets se corrigent naturellement.

L'appréciation des prix du sport pour la télévision a connu trois phases.

Dans la phase initiale, la télévision exploitait le sport, qui lui offrait des audiences magnifiques. Ensuite la télévision commerciale est arrivée, et avec elle une meilleure prise en compte du prix du sport. Sont enfin arrivés les bouquets satellites, pour lesquels l'enjeu était de gagner des abonnés ; pour cela, deux solutions étaient possibles : faire des opérations marketing d'envergure, ou bien dire « si vous voulez du football, c'est chez nous que vous allez le trouver ! ». L'arbitrage économique est en ce cas très simple : soit l'on paye pour aller chercher les abonnés, soit l'on s'offre le football, et les abonnés viennent tout seuls. C'est ce qui s'est passé et qui a produit cette deuxième phase d'inflation des prix de retransmission du football.

Mais nous n'en sommes plus là : les abonnés sont aujourd'hui acquis, ce qui risque d'amener certains correctifs sur les prix du football.

Pour ce qui concerne l'ensemble des disciplines sportives, je pense que l'équilibre de présence sur les chaînes est assez satisfaisant, et je ne crois pas qu'il faille s'attendre à des bouleversements en ce sens, pas plus que concernant les flux financiers que cela génère. Ces « autres » sports sont présents sur France Télévisions, qui doit assurer cette visibilité en fonction de son cahier des charges. Bien évidemment, des contraintes horaires font que tout le monde ne peut être pleinement satisfait.

Une vieille idée consisterait à créer une chaîne dédiée aux sports olympiques. Le sport en France a un poids économique considérable : 25 milliards d'euros ! Un millième de ce poids permettrait de créer une telle chaîne disponible sur l'ensemble des plates-formes.

M. Denis Astagneau

Merci à tous pour votre participation et la richesse des échanges de cette journée.

Avant d'écouter Monsieur le ministre, le Président Valade va conclure ces travaux.

CONCLUSION DU COLLOQUE

par M. Jacques Valade, sénateur de la Gironde,
Président de la Commission des Affaires culturelles du Sénat

Merci à toutes et tous qui avez participé à cette journée, et particulièrement à Denis Astagneau, animateur parfait, qui mérite nos applaudissements.

Je voudrais souligner, Monsieur le ministre, combien nous souhaitons, au travers de telles journées, aller au-delà de nos tâches et missions institutionnelles habituelles de parlementaires. Il s'agit d'essayer de comprendre les grands sujets qui peuvent être inscrits dans nos évolutions et celles de notre législation, sujets qui à coup sûr conditionnent les progrès de notre société.

Le sujet d'aujourd'hui a été choisi avec votre soutien et votre accord, Monsieur le ministre, et je crois que nous n'avons pas perdu notre temps.

Tous les points de vue ont en effet été exprimés, depuis celui des juristes jusqu'à celui de la Commission européenne, en passant par le témoignage des acteurs que sont les athlètes, les ligues et les clubs, et celui des fournisseurs de moyens, publics et privés.

Nous avons pu apprécier la franchise et la loyauté des propos de chacun, ce qui fait l'intérêt de tels échanges, en dehors de toute considération partisane et de toute pression, médiatique ou politique.

C'est avec beaucoup de plaisir que je laisse maintenant la parole à Jean-François Lamour, ministre des Sports.

ALLOCUTION

de M. Jean-François Lamour, ministre des sports

Je vous demanderai tout d'abord de transmettre mes remerciements au Président Poncelet pour l'intérêt que la Haute Assemblée porte au développement du sport. Le sport se sent et s'est toujours senti bien au Sénat.

Les échanges particulièrement riches de cette journée témoignent des liens qui se sont renforcés tout au long du XX e siècle entre le sport et l'économie.

Ce phénomène s'est accompagné d'une médiatisation croissante, d'ailleurs inégalement répartie, comme nous l'avons vu.

Le sport est devenu aujourd'hui un fait social majeur qui contribue au développement économique de notre pays et participe à son rayonnement international. Ce rôle mérite donc que l'on s'interroge sur l'organisation économique, la fiscalité du sport, les relations financières entre sports et médias.

La prise en compte de l'évolution de l'environnement social et économique des pratiques sportives en France est à mon sens un enjeu fondamental, qui concerne l'ensemble du sport français.

C'est dans cet esprit que la loi du 1 er août 2003 donne aux fédérations, dans un cadre précis, la possibilité d'ouvrir leurs instances dirigeantes à l'ensemble des partenaires économiques, y compris les établissements commerciaux, qui contribuent directement ou indirectement au développement d'une discipline. Ces dispositions conditionnent l'avenir de fédérations aussi importantes que le ski, par exemple, ou l'équitation.

C'est aussi le sens de nouvelles mesures contenues dans cette loi, qui apportent une réponse aux clubs professionnels concernant l'utilisation du numéro d'affiliation, le droit des marques ou la cession des droits d'exploitation audiovisuelle.

Ce dernier point illustre la complexité de la mise en oeuvre de certaines évolutions. Il faut à la fois conserver les conditions de concurrence des divers diffuseurs et éviter des situations de monopole de diffusion. Le projet de décret fixant les conditions et les limites de la commercialisation par les ligues professionnelles de ces droits d'exploitation est actuellement soumis à l'avis du Conseil de la concurrence.

L'exposition médiatique des sports est donc très inégale et discriminante, en particulier sur les chaînes hertziennes. Gardons-nous à ce propos de tout angélisme : ces questions sont liées à l'existence des marchés.

Je suis persuadé que les nouvelles technologies permettront bientôt, en diminuant les coûts de production et en ciblant davantage les offres, un plus grand succès médiatique au bénéfice de l'ensemble des disciplines sportives.

Mais d'autres évolutions sont indispensables pour renforcer la compétitivité et l'attractivité de nos clubs professionnels. Etat et mouvement sportif travaillent ensemble à ces évolutions.

Ainsi, avec le soutien du Premier ministre, j'ai récemment installé un Comité de réflexion et de suivi des réformes ; six axes de travail ont été retenus :

- la reconnaissance d'un droit à l'image pour l'ensemble des sportifs professionnels ;

- l'exonération du prélèvement de 1 % sur les CDD pour les sociétés sportives ;

- le développement d'un dispositif adapté à la préparation à la reconversion des sportifs de haut niveau ;

- l'évolution de la taxe sur les spectacles ;

- les conditions de mise à disposition des sportifs auprès des équipes nationales ;

- le ré-examen de certaines disciplines sportives en matière d'accident du travail.

L'élaboration de ces nouvelles mesures est pour moi associée à une obligation de résultat, comme je m'y suis engagé. L'objectif est de faire en sorte que le modèle d'organisation du sport soit en France le plus performant possible.

Si ces modifications législatives récentes n'étaient pas intervenues, les risques d'éclatement de certaines fédérations auraient été bien réels. Ces risques avaient été précédemment occultés, pour des raisons purement dogmatiques.

Le sport est à un carrefour de son évolution.

Schématiquement, deux visions du sport s'opposent aujourd'hui.

La première vision, optimiste, considère que le sport est porteur de valeurs positives, inaltérables, qu'il existe une essence du sport que l'on appelle « l'esprit sportif ». Le sport est alors synonyme d'honnêteté, de courage, de fraternité et de loyauté.

Une autre vision insiste sur les risques et les dérives liés à la pratique du sport : violence, dopage, mercantilisme, etc. Ces dérives, selon certains, seraient consubstantielles au sport ou à sa nouvelle logique de développement.

A ces deux visions répondent deux attitudes.

L'une répugne à intégrer les acteurs économiques dans le sport, l'autre prône la séparation du sport amateur, fondé sur une culture associative dans notre pays, et du sport professionnel, assujetti aux règles du droit commun.

Ni l'une ni l'autre ne parvient à me convaincre.

En effet, je me fais du sport une idée de quelque chose qui rassemble, non pas qui divise. Je défends une conception exigeante du sport, où l'humanisme tient une place essentielle. Cette dimension trouve dans le sport une résonance particulière à un moment où l'actualité met en évidence des défaillances qui entraînent le sport loin de son essence originelle.

Le sport trouve sa force et son exemplarité dans les repères qu'il donne. L'enjeu fondamental est donc qu'il ne perde pas lui-même ses propres repères.

La société française est actuellement aux prises avec des interrogations sur des valeurs qui fondent la communauté nationale. Le sport en ce sens doit jouer tout son rôle social, et s'inscrire ainsi dans le pacte républicain. Je me réjouis d'ailleurs de la création de la Fondation pour le Sport.

Je voudrais convaincre aujourd'hui que la conception du sport que je prône n'est pas celle du passé. Elle doit au contraire nous servir de guide pour relever ensemble le défi de l'avenir du sport français.

Dès ma prise de fonction, en 2002, j'ai eu à m'exprimer sur ma vision de l'organisation du sport et sur la nécessité de conserver au sein des fédérations sportives l'unité des pratiques entre sport amateur et sport professionnel, mais aussi entre le sport de haut niveau et la pratique par le plus grand nombre.

Cette unité et la solidarité sont à mes yeux primordiales, c'est la condition indispensable à la préservation des valeurs du sport.

Tel est notamment le sens de la loi d'août 2003 sur la mutualisation et le principe de la répartition des droits audiovisuels ; c'est aussi l'esprit du FNDS.

S'agissant du haut niveau, le sport ne saurait en effet être réduit à une industrie de spectacle, et en ce qui concerne la pratique du plus grand nombre, au secteur marchand du prestataire de services.

Le sport n'est pas une activité économique comme une autre. L'Etat ne se contente pas de la réglementer, il existe un service public de développement du sport, auquel je suis particulièrement attaché. 2004, Année européenne de l'éducation par le sport, nous le rappelle opportunément.

Historiquement le sport a toujours été chargé de sens social. Il participe aux valeurs d'une société, il les reflète et participe à leur construction.

Le modèle d'organisation du sport français fait confiance au corps social, notamment incarné par le fait associatif, et préserve ainsi la spécificité éducative du sport.

C'est cette conception exigeante du sport qui me conduit à récuser un modèle qui prône la séparation du sport amateur et du sport professionnel.

Je constate à ce propos le paradoxe dont font preuve les défenseurs de cette conception dualiste : ils réclament une banalisation de l'encadrement juridique et économique du sport, tout en demandant au niveau communautaire que l'on tienne compte de ses particularismes.

C'est avant tout au nom de ses fonctions éducatives et sociales qu'il importe que le sport soit inscrit dans le futur Traité de l'Union européenne élargie.

C'est aussi cette conception unitaire du sport qui m'a conduit à me prononcer en défaveur de la possibilité pour les clubs professionnels de faire appel à l'épargne publique.

Un club professionnel doit avoir des résultats et donc bénéficier d'un cadre juridique adapté et compétitif, mais il doit aussi incarner une culture à laquelle participent ses dirigeants, ses joueurs, ses supporters. Cela n'est pas compatible avec la vie boursière, marquée par les aléas et la brièveté. Je ne souhaiterais pas qu'une telle réforme compromette un équilibre auquel le mouvement sportif dans son ensemble est attaché.

Ma conception du sport est également fondée sur l'approche pragmatique et dynamique.

Il n'existe en effet pas de modèle d'organisation idéal, et surtout figé. Ce modèle est sans cesse à inventer pour répondre aux enjeux nouveaux qui se dessinent.

J'y suis prêt, avec vous, dans le respect des valeurs qui caractérisent le sport et des références qui font sa force.

La solution de facilité consisterait à laisser le droit commun et les règles économiques investir le sport ; le marché existe, la médiatisation constitue un exceptionnel vecteur de développement, mais cela peut engendrer de fortes dérives.

L'attitude responsable et raisonnable consiste à rechercher une solution qui permette de préserver l'essence du sport et ce qui lui donne sa valeur.

L'actualité récente concernant le dopage dans le sport doit nous inciter à réaffirmer avec force que, sans éthique, le sport perd tout sens. Une équipe professionnelle doit être capable de rivaliser avec ses concurrentes, mais pas au prix de la vie de ses joueurs.

Inverser le sens des valeurs n'est pas seulement condamnable sur le plan disciplinaire, pénal ou moral, c'est condamner le sport lui-même. Tel est d'ailleurs le sens des propos du Président de la République lorsqu'il rappelait à l'occasion de la clôture des Etats généraux du Sport que plus qu'une dérive du sport, le dopage est l'anti-sport.

L'action menée par le Gouvernement sous l'impulsion de Jean-Pierre Raffarin, dans le but d'isoler les tricheurs mais aussi de remonter les chaînes de responsabilité dans le domaine de la lutte contre les trafiquants, est marquée par une détermination sans précédent et une absence totale de concession.

Je m'inspirerai pour conclure d'Albert Camus, disant que tout ce qu'il savait de plus sûr sur la morale et les obligations des hommes, c'est au sport qu'il le devait.

Je souhaite que nous puissions transmettre ensemble cet héritage.

Merci.

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