II. L'OFFRE DE CRÉDIT AUX MÉNAGES, UN SECTEUR OÙ LA CONCURRENCE EST SATISFAISANTE ?

Le marché du crédit serait , selon certains, un marché de concurrence acharnée . De fait, on peut observer, dans plusieurs domaines, l'existence d'une forte compétition entre les intervenants.

Cependant, cette appréciation n'est pas aisément vérifiable dans sa généralité, en partie du fait de la non disponibilité de données précises qui permettraient de les valider (marges bancaires détaillées sur les différentes opérations, taux de refus de crédit, volumes des renégociations de prêts...), mais surtout parce qu'il n'existe pas de critères simples permettant de vérifier le degré de concurrence sur la totalité du spectre du crédit aux ménages.

Par ailleurs, l'effectivité de la concurrence semble contredite par des éléments factuels divers , qu'il s'agisse du constat de pratiques anticoncurrentielles , des lenteurs que rencontre l'intégration bancaire européenne , des conditions de délivrance des crédits , ou encore de l' absence de certaines pratiques de marché, qui semblent contribuer davantage dans d'autres pays à l'existence d'une forte concurrence entre établissements de crédits.

Enfin, l' existence d'une concurrence entre les offreurs de crédit ne rime pas nécessairement avec le constat d'un fonctionnement concurrentiel harmonieux du secteur .

A. UN SECTEUR CONCURRENTIEL ET FRACTIONNÉ

Sur un plan structurel, le marché du crédit aux ménages ne réunit pas les conditions d'un marché de concurrence pure et parfaite. Si sur ce marché, la demande est évidemment caractérisée par son atomicité et l'incapacité de chaque emprunteur à influer sur le marché, sous ces deux angles l'offre apparaît déjà moins diversifiée si bien qu'il est possible à certains d'évoquer l' existence d'un oligopole .

ENCOURS À FIN 2003 DES ACTEURS DU CRÉDIT CONSOMMATION
ET DU CRÉDIT LOGEMENT

Source : BIPE d'après Rapports d'activité

Le tableau ci-dessus récapitule le montant des encours détenus par les principaux offreurs, respectivement de crédit à la consommation (pour les seules sociétés spécialisées) et au logement en France. Deux établissements, Cetelem et le Crédit Agricole, dominent chacune des deux sphères. Cependant, les autres intervenants occupent de solides positions, même si la restructuration du secteur s'est traduite par une concentration des crédits.

Ainsi, la seule considération des parts de marché des différents offreurs dessinent plutôt un panorama de forte concurrence.

Dans le champ du crédit immobilier , si un « leader » se détache, les concurrents détiennent une part significative des encours.

POSITIONNEMENTS RELATIFS DES ACTEURS DU CRÉDIT IMMOBILIER
(en points d'encours du leader)

S' agissant du crédit à la consommation , les évolutions vers une concentration du secteur laissent subsister un contexte de forte concurrence.

L'OFFRE DE CRÉDIT À LA CONSOMMATION

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Ces dernières années, les acteurs de l'offre de crédit à la consommation ont beaucoup évolué , en particulier sous l'effet de nombreux mouvements de restructuration.

Le nombre d'établissements spécialisés est passé de 71 à 62 établissements entre 1999 et 2004 . Rationalisations, rachats (Finalion du Crédit Lyonnais a été absorbé par Sofinco suite à la prise de contrôle de sa maison mère par le Crédit agricole au début de l'année 2004) ou nouveaux accords à l'image de la filiale de financement spécialisée Domofinance née des accords entre Cetelem et EDF au début de l'année 2004 ont rythmé le paysage du crédit à la consommation au cours de la période récente.

Ces événements, dont le dernier en date, l'accord de partenariat intervenu entre Cetelem et Cofinoga, filiale-crédit des Galeries Lafayette, témoignent d'une tendance à la restructuration d'une offre jusqu'à présent segmentée autour de stratégies diversifiées des différents intervenants.

• Les filiales des grands groupes bancaires

Deux opérateurs majeurs existent sur ce segment : Cetelem (BNP Paribas) et Sofinco (Crédit agricole) . Ils réalisent des activités pour leur compte propre ou interviennent dans la gestion de crédit proposée par leur maison mère. L'extension des activités est un leitmotiv , BNP-Paribas ayant pris le contrôle de Facet et Sofinco de Finaref à la fin d'année 2002, éléments constitutifs du pôle financier du groupe Pinault Printemps Redoute.

Par ailleurs, des établissements bancaires disposent de leur propre établissement de crédit :

- la Société Générale a créé Franfinance en 1989 regroupant les sociétés du groupe Thomson rachetées en 1983. Cette structure assure la gestion des crédits permanents adossés à une carte de paiement et des prêts personnels du réseau ;

- le Crédit Mutuel dispose de plusieurs filiales dont Financo, Sofemo et Créfidis .

• Les filiales des grands groupes des distribution

Les groupes de distribution ont créé des établissements de crédit dédiés au financement des achats de leurs clientèles , en élargissant, peu à peu, le panel de leur clientèle et de leur offre produit.

On peut citer, par domaine d'activité :

- pour les groupes de distribution : Galeries Lafayette (Cofinoga), le Printemps (Finaref) ;

- pour les groupes de vente par correspondance : Trois Suisses (Cofidis), Camif (Camif C2C) ;

- pour les groupes de grande distribution : Carrefour (S2P), Auchan (liens avec la Banque Accord), Casino Guichard (liens avec la banque du groupe Casino) ;

- pour les groupes de l'équipement du foyer : But et Ikea (Cetelem), Darty, Castorama et Décathlon (associés à Sofinco).

• Les autres acteurs

Dans le secteur automobile, les constructeurs ont créé des « captives », filiales spécialisées dans l'octroi de crédit automobile et dédiées à la marque ou groupe d'appartenance. Peuvent être cités la Diac (Renault) ou Crédipar (Peugeot).

Dans le secteur de l'assurance , des groupes ont également opéré un repositionnement stratégique pour proposer des produits financiers et bancaires à leurs clientèles. C'est le cas du groupe Allianz lié à la banque AGF (2000), Axa qui a acquis Banque directe à BNP-Paribas (2002), Groupama qui a décidé de créer Groupama Banque avec la Société Générale (2002).

En France, l' offre de crédit à la consommation apparaît encore relativement segmentée malgré des évolutions notables, et reste dominée par les établissements spécialisés .

L'offre de crédits à la consommation se partage entre établissements à vocation générale - banques commerciales, banques mutualistes ou coopératives, caisses de crédit municipales - et établissements spécialisés , qui occupaient traditionnellement une position de marché prédominante.

Les parts de marché des deux catégories d'intervenants sont toutefois, en voie de s'équilibrer, ce qui est le résultat d'une stratégie des banques visant à occuper un segment longtemps délaissé ou occupé via des filiales dédiées.

En 2003, les établissements spécialisés ont distribué 34,5 milliards d'euros de nouveaux financements à la consommation en Métropole, soit 59 % de la production de l'ensemble des établissements de crédit. Cette part est en diminution puisqu'elle avoisinait 62 % en fin d'année 1999.

Les établissements généralistes se sont renforcés sur ce créneau à partir du milieu de la décennie 80 proposant de nouveaux services afin de fidéliser leur clientèle tout en captant de nouveaux « profils ». Cette extension s'est traduite dans les faits par des partenariats avec des spécialistes, voire par des prises de contrôle.

ÉVOLUTION 1999-2003 DE LA RÉPARTITION DE CRÉDITS À LA CONSOMMATION

La prédominance de marché apparente des établissements spécialisés ne doit pas conduire à ignorer que nombre d'entre eux sont dépendants de banques généralistes , et ce, de plus en plus, à mesure que celles-ci acquièrent des établissements indépendants.

En 2003, les parts de marché des établissements spécialisés sont les suivantes :

• les dépendances des groupes bancaires dominent avec 68% (53% en 1999). Cette croissance a été soutenue par l'acquisition de Finaref par le groupe Crédit agricole et la prise de contrôle de Facet par BNP-Paribas ;

• les grandes enseignes et les groupes de la grande distribution couvrent 20% du marché (31% en 1999) ;

• les filiales des constructeurs automobiles disposent de 8% de parts de marché (12% en 1999) ;

• les filiales d'assurance ont une part de marché de 4% (équivalente à celle de 1999).

PARTS DE MARCHÉ DES ÉTABLISSEMENTS SPÉCIALISÉS
SELON LEUR PROFIL EN 2003

Apprécié à partir du montant des encours sains à disposition des acteurs leaders par rapport à l'ensemble des acteurs, le niveau de concentration du secteur de l'offre de crédit apparaît faible . Les cinq premiers acteurs du crédit à la consommation ne couvrent que 29 % de l'offre totale.

Toutefois, en ne prenant en compte que les seuls établissements spécialisés, cette proportion progresse et s'élève à 51 %, et, sur la base d'une comparaison opérée par rapport à 1999, on relève une augmentation du niveau de concentration avec la montée en puissance des cinq premiers acteurs.

CONCENTRATION DU MARCHÉ DU CRÉDIT À LA CONSOMMATION
PAR TYPE D'ÉTABLISSEMENT


Le constat d'une structuration de l'offre de crédit a priori favorable à l'existence d'une concurrence réelle n'empêche pas d' observer également une certaine segmentation de l'offre .

Celle-ci se traduit, en premier lieu , par l'existence de profils économiques différenciés chez les offreurs .

La présence d'établissements spécialisés, qui ont pour caractéristique de se financer auprès du système bancaire ou par voie d'émissions de titres, puisqu'ils ne recueillent pas de dépôts reste importante. Les ressources de ces établissements sont structurellement plus coûteuses que celles des banques universelles et les conditions d'octroi de leurs crédits s'en ressentent. Les équilibres atteints entre l'offre et la demande n'en paraissent pas pour autant affectés, du moins si l'on raisonne à un niveau agrégé en consolidant l'ensemble des crédits aux ménages et les ressources sur lesquelles ils sont adossés.

La place occupée par les établissements spécialisés sur les segments où ils interviennent semble d'ailleurs favoriser une plus grande diffusion des prêts à la consommation. Le crédit à la consommation en offre une illustration. D'une part, ces organismes disposent d'une maîtrise de l'ingénierie du crédit à la consommation en lien avec leur spécialisation. D'autre part, les banques utiliseraient certains de ces réseaux pour distribuer des crédits selon des conditions qu'elles ne pourraient probablement pas afficher pour des raisons d'image commerciale. S'il est difficile pour une grande banque de la place d'exiger des taux très élevés, cette pratique est considérée comme plus courante et « vendable » quand elle est le fait d'établissements spécialisés.

Il reste, en second lieu , que la segmentation de l'offre se traduit également par une forme de segmentation de la demande . Le « fléchage » des clientèles vers les différents intervenants peut contribuer à restreindre la mise en concurrence des différentes offres de crédit, d'autant que les « coûts de sortie » sont élevés dans le secteur bancaire ainsi que le montre le récent rapport de M. Philippe Nasse 32 ( * ) sur ce sujet.

On peut, par exemple, rappeler que, les établissements spécialisés intervenant massivement pour certaines opérations, on ne peut exclure que sur certaines niches, il puisse exister des situations où la clientèle se trouve captive . Tel semble être le cas en particulier pour certains achats d'équipements distribués par des enseignes disposant de filiales de financement spécialisées.

Malgré une segmentation élevée de l'offre, le faible développement de l'offre sur certains métiers du crédit doit être relevé .

Il en va ainsi sur le marché des prêts dits « non conformes ». Il s'agit de l'offre destinée à des emprunteurs aux profils relativement risqués. Or, sur ce segment, la dynamique des volumes de prêt peut être forte comme le montre l'exemple du Royaume-Uni.

ÉVOLUTION DU VOLUME DES PRÊTS IMMOBILIERS AU ROYAUME-UNI
ET DU VOLUME DES REFINANCEMENTS DE PRÊTS NON-CONFORMES

De la même manière, les métiers de courtage ou de regroupements de crédits sont encore assez peu développés.

Enfin, dans le cadre d'un marché d'oligopole (ou de quasi-oligopole), la théorie économique enseigne que les questions portant sur l'intensité de la concurrence ne peuvent pas être tranchées en se contentant de considérer le nombre des intervenants .

Les stratégies accessibles aux opérateurs sont ouvertes et peuvent s'étaler entre deux extrêmes : l'entente ou la différenciation concurrentielle.

* 32 Rapport sur les « coûts de sortie » remis à M. le Ministre de l'Industrie. 22 septembre 2005.

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