b) L'exigence de compétence
Le lien entre la compétence des membres et leur indépendance justifie non seulement qu'ils exercent leur mandat pendant une durée suffisante, mais aussi que soit vérifiée la pertinence de leur nomination par rapport au domaine d'intervention de l'autorité.
En effet, selon l'analyse de Mme Marie-Anne Frison-Roche, la compétence permet de prévenir le phénomène de « capture » c'est-à-dire « le fait d'un sentiment d'identité entre membres de l'autorité, ou entre ceux-ci et des parties prenantes, qui les empêche de prendre distance. La capture, que l'on peut donc définir comme ce manque de distance, peut tenir encore au fait que les membres des autorités n'ont pas les moyens d'être critiques par rapport aux informations que les parties prenantes leur transmettent ou, pire encore, n'ont pas les moyens de déterminer la pertinence des questions posées. Dès lors, la compétence est la garantie la plus forte de l'indépendance . »
Cette exigence de compétence contribue d'ailleurs autant à l'indépendance de l'autorité qu'à sa légitimité, favorisant par conséquent l'acceptation de ses décisions.
Elle ne concerne pas les membres des collèges qui appartiennent à de hautes juridictions (Conseil d'Etat, Cour de cassation, Cour des comptes) dont le statut garantit l'indépendance, ni les parlementaires, qui tiennent leur légitimité de leur élection.
En revanche, les dispositions relatives à la nomination de personnalités sans précision de statut doivent à tout le moins exiger des compétences dans le domaine d'activité de l'autorité.
L'article L. 461-1 du code de commerce dispose par exemple que le Conseil de la concurrence comprend, notamment, quatre personnalités choisies en raison de leur compétence en matière économique ou en matière de concurrence et de consommation.
S'agissant de la CNIL, l'article 13 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés prévoit que son collège comprend notamment cinq personnalités qualifiées pour leur connaissance de l'informatique ou des questions touchant aux libertés individuelles 146 ( * ) .
Recommandation n° 24 :
L'Office juge indispensable que la nomination de personnalités qualifiées au sein du collège d'une AAI soit soumise à des exigences de compétence en rapport direct avec le domaine d'intervention de l'autorité.
c) Les conditions de reconversion à la fin du mandat
L'articulation des règles assurant l'indépendance des membres des collèges avec l'exigence de compétence peut présenter des difficultés. Aussi le législateur doit-il rechercher des solutions pragmatiques, permettant de constituer des collèges indépendants et compétents, sans dissuader les recrutements par des règles trop contraignantes.
En effet, les personnes pressenties pour entrer dans le collège d'une autorité peuvent avoir, le cas échéant, des aspirations légitimes quant à leur carrière à l'issue de leur mandat. Pour éviter le risque de « capture » de ces personnes par les entreprises régulées, la loi peut prévoir un délai de viduité à la fin du mandat.
Cette interdiction de reconversion immédiate au sein d'une entreprise ayant fait l'objet de régulations par l'autorité au sein de laquelle la personne a siégé peut avoir un effet dissuasif . Comme le relève Mme Marie-Anne Frison-Roche, « les personnes compétentes, et qui sont encore en âge de devoir considérer la suite de leur activité professionnelle après leur passage dans l'autorité, sont incitées à ne pas y entrer ».
Toutefois, le délai de viduité vise davantage les AAI chargées de réguler un secteur économique que les autorités chargées de protéger les droits et libertés des citoyens.
En outre, son effet dissuasif apparaît sans incidence si l'activité de l'autorité n'a pas de fort contenu technique ou si un grand nombre de personnes compétentes sont disponibles. Il peut en revanche avoir un impact déterminant dans les deux hypothèses inverses : une forte dimension technique et une pénurie de personnes compétentes. Selon Mme Marie-Anne Frison-Roche, ce cas de figure est notamment celui de la régulation bancaire, financière, énergétique ou des télécommunications.
Le régime des incompatibilités a posteriori ne doit donc pas être trop strict. La loi ne définit d'ailleurs ce régime que pour un petit nombre d'AAI.
Ainsi, les membres du Conseil supérieur de l'audiovisuel, pendant un délai d'un an après la fin de leur mandat, ne peuvent exercer des fonctions, recevoir d'honoraires ou détenir des intérêts dans une entreprise de l'audiovisuel, du cinéma, de l'édition, de la presse, de la publicité ou des télécommunications 147 ( * ) .
Le régime le plus strict est celui appliqué aux membres de la Commission des participations et des transferts qui ne peuvent, pendant un délai de 5 ans à compter de la cessation de leurs fonctions, devenir membres d'un conseil d'administration, d'un directoire ou d'un conseil de surveillance d'une entreprise qui s'est portée acquéreur de participations antérieurement détenues par l'Etat ou d'une de ses filiales, ou exercer une activité rétribuée par de telles entreprises (art. 3 de la loi n° 86-912 du 6 août 1986 relative aux modalités de privatisation).
La procédure de contrôle des fonctions ou responsabilités que peuvent exercer les anciens membres des autorités administratives indépendantes dans le secteur privé revêt davantage de souplesse lorsqu'elle est organisée par l'autorité elle-même, dans le cadre de son règlement intérieur ou d'un code de déontologie.
Cette procédure peut, le cas échéant, s'inspirer du fonctionnement de la Commission de déontologie qui examine si les activités privées qu'envisagent d'exercer des fonctionnaires ne sont pas incompatibles avec leurs précédentes fonctions 148 ( * ) .
Recommandation n° 25 :
L'Office estime que la loi doit prévoir la définition par chaque AAI de règles déontologiques comprenant, le cas échéant, des incompatibilités a posteriori .
* 146 Dont trois sont nommées par décret, une par le président de l'Assemblée nationale et une par le président du Sénat.
* 147 Le non-respect de cette disposition est soumis à l'article 432-13 du code pénal, relatif à la prise illégale d'intérêts, qui prévoit une peine de deux ans d'emprisonnement et de 30.000 euros d'amende (art. 5 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication).
* 148 L'article 87 de la loi n°93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques crée une commission au sein de chacune des trois fonctions publiques. La composition, l'organisation et le fonctionnement des trois commissions ainsi instituées ont été définies par le décret n° 95-168 du 17 février 1995.