TABLE RONDE N° 1 - L'EMPLOI DES JEUNES DIPLÔMÉS : L'OFFRE ET LA DEMANDE

La table ronde est présidée par :

Jean-Paul EMORINE , sénateur de Saône-et-Loire, président de la commission des affaires économiques, et Jacques VALADE , sénateur de la Gironde, président de la commission des affaires culturelles.

Le débat est ouvert par :

Louis CHAUVEL , professeur à Sciences-Po-Paris, chercheur associé à l'Observatoire français de conjoncture économique (OFCE).

Interviennent comme grands témoins :

- Eric BERTIER , associé de Pricewaterhouse Coopers en charge des ressources humaines, président du groupe de travail « Promesse des entreprises » du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) ;

- Jean-François MARTINS , président de la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE) ;

- Stéphane ROUSSEL , directeur général des ressources humaines de SFR ;

- Bernard VAN CRAEYNEST , président de la Confédération française de l'encadrement CGC (CFE-CGC) ;

- Geoffroy ROUX DE BEZIEUX , président de The PhoneHouse, président de CroissancePlus.

Interviennent comme grands questionneurs :

- François FAYOL , secrétaire général de la Confédération française des travailleurs-Cadres (CFDT-Cadres) ;

- Daniel LAMAR , directeur général de l'Association pour faciliter l'insertion professionnelle des jeunes (AFIJ) ;

- Sophie TALNEAU , auteur de « On vous rappellera » ;

- Olivier VIAL , président de l'Union nationale inter-universitaire (UNI).

Les débats sont animés par Jean-Claude LEWANDOWSKI , rédacteur en chef des Echos Sup.

I. INTRODUCTION

Louis CHAUVEL, professeur à Sciences-Po-Paris, chercheur associé à l'OFCE

La France conçoit trop souvent la jeunesse comme un problème et non comme une richesse qu'il convient de valoriser. À ce titre, elle fait figure d'exception, même si elle se rapproche, de ce point de vue, de certains pays du sud de l'Europe comme les pays latins. Tout d'abord, des problèmes politiques en sont la cause. Au cours des douze derniers mois, nous avons connu diverses difficultés à l'occasion des lois Fillon, du problème des banlieues et du CPE. Les dernières échéances électorales (notamment le référendum de 2005 sur la constitution européenne) ont révélé que les jeunes sont désormais majoritairement anti-européens, ce qui n'était pas le cas quelques années auparavant. Comment expliquer que les jeunes (à travers des mouvements comme Génération Précaire) et en particulier les jeunes diplômés se considèrent comme le maillon fragile de la société française ? Je développerai ces thématiques en trois points principaux. Après avoir rappelé quelques éléments de diagnostic, je m'attacherai aux causes de l'entrée tardive des jeunes dans le marché du travail. Enfin, je m'efforcerai en conclusion de souligner les quelques prises de conscience que nous devons opérer face à ce problème qui dure depuis plus de 25 ans.

Tout d'abord, nous pouvons distinguer plusieurs faits marquants qui caractérisent le marché du travail. En particulier, le problème de l'insertion des jeunes n'est pas nouveau. Cela fait plus de 25 ans que le taux de chômage des jeunes Français, dans les 24 mois qui suivent la fin de leurs études, avoisine les 25 %. En 1972, ce taux n'était que de 6 %. Dans les années 1960-1970, il était fréquent de choisir son employeur à la sortie de ses études plutôt que le contraire.

Par rapport à nos voisins, notre pays est marqué par l'intégration difficile des jeunes diplômés dans le monde du travail, et ce depuis les années 1983-1985. Au cours de la même période, cette évolution s'est accompagnée d'une inégalité croissante des salaires entre les actifs trentenaires et quinquagénaires. Alors que l'écart de rémunération entre les deux classes d'âge atteignait 15 % dans les années 1960-1970, il est de 40 % de nos jours. Les trentenaires ont donc perdu 25 points de salaire comparativement aux quinquagénaires. D'autres indicateurs montrent des évolutions similaires. En 1984, une année de salaire d'un jeune de trente ans permettait d'acheter 9 mètres carrés de logement, contre 4 mètres carrés actuellement.

Ces évolutions sont symptomatiques du malaise français, caractérisé par une remise en cause des progrès qui avaient marqué la société pendant les Trente Glorieuses.

Par exemple, notre pays ne croit plus aux diplômes pour assurer le progrès de la génération qui suit. Depuis 1985, le nombre moyen d'années d'études a augmenté de trois ans, alors que le taux de chômage à la sortie des études est le même qu'au milieu des années 1980. Ainsi, les nouvelles générations ont plus de diplômes, mais elles ne parviennent pas à acquérir une situation stable dans le monde de l'entreprise. Il en est de même dans le domaine politique. L'âge des députés était est de 52,5 ans en 1997 et il a encore augmenté de 4 ans en 2002. Ce constat soulève la question de la place politique des jeunes, et, plus largement, de leur place dans la société française.

Sur cette question, comment se situe la France par rapport à ses voisins européens ? D'après le sociologue danois Gosta Esping-Andersen, il existe trois grands modèles d'intégration des jeunes et de fonctionnement social de l'État-Providence dans les pays développés :  le modèle des pays de type anglo-saxon et libéral ; celui des pays de type nordique et germanique ; celui des pays latins.

Les pays anglo-saxons et nordiques sont caractérisés par la capacité des jeunes à rentrer précocement dans le monde du travail sans que la poursuite ultérieure de leurs cursus ne soit remise en cause, simplement parce qu'il existe de véritables conditions de financement d'études diplômantes. C'est pourquoi deux catégories de jeunes coexistent au sein des universités de ces pays : de jeunes étudiants précoces ayant parcouru l'ensemble des échelons sans avoir eu d'expérience du monde du travail, et d'autres, disposant d'une expérience professionnelle. Par exemple, l'ancien Chancelier Gerhard Schröder est passé par le système d'enseignement professionnel avant de s'orienter vers la politique.

Les causes de l'inefficacité française dans ce domaine sont révélées par cette comparaison internationale : nous avons mis les jeunes et les seniors à l'écart du monde du travail pour réserver ce dernier à une classe d'âge extrêmement réduite, de 30 à 55 ans, voire de 40 à 49 ans. Ainsi, ce paradoxe veut que l'on est vieux de plus en plus jeune, et jeune de plus en plus vieux. Le système français a rendu les jeunes employables tout en les incitant à poursuivre tard leurs études. La responsabilité de ce paradoxe contre-productif repose sur l'ensemble des acteurs politiques, sociaux, managériaux et culturels de la société. Nous devons tous réfléchir sur les causes qui expliquent l'absence de rencontre entre le monde universitaire et le monde de l'entreprise. Lorsque j'ai commencé à écrire, il y a dix ans, mon ouvrage « Le destin des générations, structures sociales en France au XX ème siècle », je n'aurais pas cru que le taux de chômage des jeunes à la sortie d'études resterait le même dix ans plus tard.

Quels sont nos leviers d'action pour remédier à ce problème ? Je n'ai malheureusement pas le temps d'esquisser toutes mes pistes de réflexion et je m'en tiendrai à la principale. Je crois simplement que le monde syndical, le monde de l'entreprise, le monde de l'université et le monde politique ont préféré se refermer sur eux-mêmes plutôt que de constituer un ensemble de passerelles, comme cela existe dans d'autres pays, notamment dans l'Europe nordique. Tant que nous ne prendrons pas ce type de mesures, la situation ne s'améliorera pas. Je rappelle qu'Helmut Kohl, en 1986, voyant augmenter le chômage des jeunes Allemands, a exigé du patronat la création de 100.000 places d'apprentis. Non seulement le patronat allemand a accepté cette mesure, mais il l'a mise en pratique.

Jacques VALADE, sénateur de la Gironde, président de la commission des affaires culturelles

Je voudrais réagir aux propos de Monsieur Chauvel sur la responsabilité du monde politique. Je souhaite tout d'abord rappeler que la commission que je préside s'occupe non seulement des questions culturelles, mais aussi d'éducation et d'enseignement supérieur. Au titre de notre fonction législative, nous avons la responsabilité de définir un cadre normatif qui permette de répondre aux problèmes de l'éducation.

Je crois qu'une des déficiences du système de formation supérieure français tient à sa faible mobilité, elle-même due à une certaine inertie du système universitaire. On constate, en effet, une inadéquation entre l'appareil de formation et la réalité concrète, qui suscite l'incompréhension.

Je vous rappelle que la formation supérieure en France est duale. Tout d'abord, les grandes écoles constituent une voie royale pour ceux qui ont eu le talent ou la chance d'y entrer, mais cette voie repose sur la sélection des candidats. De son côté, l'Université est caractérisée par le libre accès des étudiants et l'évolution des disciplines qu'on y étudie se heurte à une très grande inertie, car elle est déterminée par des choix de politique intérieure autant que par les dirigeants de ces universités. De plus, il ne peut y avoir d'enseignement supérieur de qualité sans une recherche de haut niveau. Ces différences entre nos deux systèmes de formation nous conduisent à nous demander quel est le lieu le plus approprié pour mener la recherche de haut niveau en France. Doit-elle intervenir dans les grandes écoles, qui bénéficient souvent des meilleurs éléments, ou bien à l'Université ?

En second lieu, je voudrais rappeler que le Parlement a récemment été amené à examiner deux textes : la loi Fillon sur l'avenir de l'école, issue en partie des travaux de la commission Thélot, et la loi de programme pour la recherche. Cette dernière devrait apporter des changements fondamentaux dans le domaine de la recherche et les mesures qu'elle comporte rejoignent les propos de Monsieur Chauvel. Nous avons constaté que les disciplines enseignées à l'Université sont dispensées dans des unités trop repliées sur elles-mêmes, qu'il y a en France des maîtres universitaires incontestables et incontestés, mais qui vivent dans des structures qui ne sont plus toujours adaptées aux circonstances et à l'évolution des besoins de la société et des entreprises. Cette loi permettra que voie le jour une Université rassemblée, qui pourrait se doter d'objectifs propres et bénéficier d'une autonomie inédite, entraînant ainsi une professionnalisation des études. Voici brièvement ce que je voulais dire en tant que président de la commission des Affaires culturelles.

Page mise à jour le

Partager cette page