III. DÉBATS

Bérengère PAGÈS, directrice des relations avec les entreprises du groupe HEC

On dit toujours que les institutions d'enseignement doivent orienter les étudiants vers des stages. C'est certes important, mais les entreprises doivent également s'impliquer et aller vers les étudiants. En effet, ces derniers ne connaissent pas vraiment les métiers de l'entreprise. L'implication des entreprises est très importante. Mais je souhaiterais vous demander jusqu'où vous pensez que votre rôle doit aller dans les institutions d'enseignement ? Faut-il aller plus loin dans l'adéquation entre les études et l'emploi ? Ou laissez-vous à l'école le soin de former les étudiants pour leur permettre d'avoir des compétences générales leur permettant d'exercer différents métiers au cours de leur existence ?

Charlotte DUDA

Je dirais que l'on demande beaucoup aux entreprises. Or l'entreprise a un impératif d'efficacité. Par conséquent, nous répondons présents quand cela se révèle nécessaire. Cependant, il faut laisser ses responsabilités à chaque univers. Nous devons cohabiter avec l'Education nationale et non pas nous immiscer dans son univers. Nous devons nous comprendre, nous retrouver autour de la table et partager du temps ensemble pour se connaître, de manière à faire tomber le plus grand nombre de barrières possibles. Néanmoins, chacun doit continuer de jouer son rôle dans un partenariat.

Jean-Claude BOURRELIER

Nous ne pouvons pas tout demander à l'entreprise. La fiscalité française est une des plus lourdes du monde. En outre, nous devons avoir une des productivités les plus élevées du monde à cause des amplitudes horaires de nos salariés. Si dans les pays du Nord, la fiscalité est plus élevée qu'en France, au moins, l'administration est efficace. Je veux bien payer des impôts à condition que l'administration fasse un travail efficace. On ne peut pas demander aux entreprises de payer beaucoup d'impôts, de faire face à un temps de travail réduit et de faire le travail de l'administration ! Sinon, on n'y arrivera pas.

Charlotte DUDA

Nous pouvons également ajouter que la coopération avec l'univers de l'école et de l'entreprise devrait commencer très tôt. Certains bassins d'emploi comme la Lorraine ont expérimenté, entre autres, des gestions de projets d'entreprise avec des jeunes des écoles primaires. Nous devrons apprendre à vivre ensemble très tôt et à se connaître. Cela permettra aux enfants de mieux s'orienter et de cesser de fonctionner dans la méfiance et l'opposition.

Jean-Georges RAYNAUD, directeur des ressources humaines de la holding Pernod-Ricard

En ce qui concerne la mobilité internationale, comment peut-on améliorer la mobilité des jeunes à l'étranger ? Avez-vous recours aux VIE (Volontaires internationaux en entreprise) ? Rencontrez-vous des difficultés ? Pernod-Ricard est devenu au cours de ces dernières années un groupe très international, puisque 90 % de notre activité aujourd'hui est réalisée hors de France. Nous avons besoin de jeunes prêts à nous rejoindre pour ensuite partir dans nos différentes filiales à l'étranger. Nous venons de recruter un jeune responsable de la consolidation financière, qui vient de notre filiale de Shanghai. Il a fait un parcours de VIE en Chine après un stage dans une de nos filiales en Europe.

Mansour ZOBERI

Nous avons des effectifs restreints à l'étranger, puisque que notre politique de développement à l'international repose essentiellement sur le co-développement et le partenariat. Ainsi, un faible de nombre de nos cadres est envoyé à l'étranger. L'essentiel des effectifs à l'étranger sont des effectifs locaux. Nous avons environ 200 VIE par an dans l'ensemble du Groupe Casino.

Jean-Claude BOURRELIER

Bricorama n'a pas de directeur général. Le 21 juin, j'annoncerai la nomination d'un directeur général belge. C'est un collaborateur belge qui vient prendre le poste de directeur général en France. En effet, dans une entreprise, il faut faire preuve de pragmatisme. Il faut s'adapter. Il ne faut pas faire de différence entre les différentes nationalités. Je n'ai pas d'autres solutions que de m'adapter et de promouvoir celui qui a la plus grande légitimité vis-à-vis de ses collègues.

Les collaborateurs ayant fait des études longues ne bénéficient pas d'avantages liés aux diplômes. Nous promouvons nos collaborateurs en interne. C'est ainsi que nous les fidélisons. Le recrutement de personnes ayant des diplômes et qui ne seraient pas issues de la base créerait une autre ambiance. Nous mettons plutôt l'accent sur l'adaptation comportementale des personnes à l'entreprise pour leur intégration chez nous.

Bruno JULLIARD, président de l'UNEF

Il faudrait opérer une révolution culturelle dans le domaine des relations entre le monde de la formation et l'entreprise. En effet, au cours des derniers mois, nous avons pu constater l'existence d'une défiance réciproque entre les jeunes et le monde de l'entreprise. Beaucoup de patrons ont décrit les jeunes dans la rue comme une jeunesse décérébrée, qui ne souhaitait pas se jeter à l'eau, etc. A l'inverse, chez les jeunes, l'entreprise n'a pas bonne image. Elle est vue comme abusant de stagiaires non-rémunérés, utilisant le déclassement, n'investissant pas dans le système d'enseignement supérieur, etc.

Considérez-vous que cette vision de l'entreprise soit totalement erronée ? Ou les entreprises doivent-elles faire un effort particulier pour offrir des conditions d'accueil aux jeunes diplômées, qui soient différentes des conditions actuelles ?

Par ailleurs, n'y a-t-il pas un problème de représentation des jeunes diplômés et des jeunes salariés au sein de l'entreprise ? Ils sont peu représentés par les syndicats. Ils ne sont pas du tout représentés par les organisations étudiantes.

Christian LURSON

Vos propos sur les tensions entre les jeunes et les entreprises sont sans doute, pour partie, vrais.

En tout cas, je crois beaucoup à la valeur du témoignage. Ainsi, quand nous rencontrons des jeunes dans les établissements d'enseignement, nous sommes souvent accompagnés d'un collaborateur de SODEXHO issu de cet établissement. Cela permet de parler de la réalité du travail proposé aux étudiants.

Charlotte DUDA

Tout est vrai. Personne ne ment. Les entreprises ne communiquent pas suffisamment sur leurs bonnes pratiques. Les DRH ne sont pas assez reconnus pour tout le travail que nous réalisons pour mettre en place des politiques de recrutement des jeunes. Néanmoins, il ne faut pas rêver ! Le chômage des jeunes fluctue entre 10 % et 40 %. Il est donc normal que les jeunes soient mécontents et que la difficulté à entrer dans le monde du travail reste une préoccupation majeure. La fragilisation des contrats de travail est également une réalité. Il est normal qu'elle alimente une certaine inquiétude sur le futur. Néanmoins, le papy-boom s'approchant, les auspices sont meilleurs pour le travail des jeunes.

En somme, si l'on entend souvent parler des entreprises « voyous », il faut souligner que nombre d'entreprises mènent des politiques réelles pour promouvoir la diversité.

En outre, il faut préciser que la culture diffère fortement selon les secteurs. Le secteur représenté aujourd'hui à la tribune est surtout celui des services, où nous ne recrutons pas seulement sur diplôme. La diversité fait partie de notre culture d'entreprise. Nous sommes des entreprises internationales, qui ont l'habitude de dresser des ponts entre les différents pays d'Europe et au-delà.

Florence LEFRESNE

La place de la représentation politique des jeunes au sein des entreprises est un véritable enjeu. L'une des clefs de lecture du récent mouvement social contre le CPE et la formidable cohésion des organisations syndicales et des organisations de jeunesse nous permet de comprendre à quel point la syndicalisation de la jeunesse est un des enjeux majeurs pour les syndicats de notre pays, tout comme la syndicalisation est un enjeu pour la jeunesse de ce pays. On voit bien qu'aux moments les plus forts des tensions sociales, le premier qui se retirerait risquerait de perdre pour très longtemps sa crédibilité aux yeux des jeunes. Je crois que toutes les organisations syndicales sont très conscientes de leur vieillissement, qui est accentué par le vieillissement de leurs représentants notamment.

C'est pourquoi j'insistais sur les enjeux énormes de la politique publique de l'emploi comme terrain de négociation sociale. L'insertion a été une des prérogatives essentielles de l'Etat. L'alternance est un contre-exemple dans la mesure où elle est issue d'un accord interprofessionnel. Mais cet accord interprofessionnel est très faible du point de vue de la négociation. En effet, les partenaires sociaux ont négocié très peu de choses. Les syndicats se sont tellement mobilisés sur la question de la précarisation qu'ils ont fermé les yeux sur la question de la politique de l'emploi. Ceci n'est plus une position tenable. La question que vous posez est liée à celle de l'engagement des acteurs sociaux dans la question de l'emploi en général, et notamment à travers la politique de l'emploi.

Charlotte DUDA

Dans nos entreprises, où les moyennes d'age sont peu élevées, nous avons des représentants du personnel et des organisations syndicales qui sont assez jeunes. Cependant, on peut noter que les jeunes ne se pressent pas pour participer aux organisations syndicales. En effet, dans les entreprises comme les nôtres où nous souhaitons engager le dialogue social très en amont pour partager les enjeux, les jeunes comprennent les enjeux. Nous sommes donc capables de co-construire la stratégie de l'entreprise très en amont, pour donner de la visibilité, partager ensemble les difficultés pour trouver des solutions, etc. C'est un changement de mentalité, dont je peux vous dire qu'il porte ses fruits.

Jean-François VASSE, directeur des relations sociales chez Décathlon

Décathlon fait l'essentiel de son chiffre d'affaires pendant les périodes de vacances. Il se trouve que ces périodes sont également celles où les étudiants sont le plus disponibles. Nous travaillons donc beaucoup avec eux. Nous connaissons bien les étudiants. Nous recevons 350.000 CV chaque année. Ces jobs d'été sont très importants pour le financement des études.

Or il me semble que dans le paysage juridique français, il manque un contrat adapté : ni le CDI ni le CDD n'est adapté à ce type de travail. En effet, le recrutement en CDD implique pour nous beaucoup de travail de recrutement, de formation, de gestion administrative, etc. Nous avons donc imaginé un contrat d'étude, qui serait réservé aux étudiants. Il pourrait garantir les étudiants contre la précarité. Un tel contrat, dont il faudrait définir les modalités, offrirait à l'étudiant une visibilité pour le financement de l'ensemble de la durée de ses études. Pour l'entreprise, cela permettrait une fidélisation et un plus grand investissement en termes de formation. Pour l'étudiant, ce serait une véritable formation et ce serait une première vraie expérience dans l'entreprise.

Jean-Claude BOURRELIER

Je vous félicite de cette proposition. Mon fils vient de terminer un stage chez Décathlon la semaine dernière. Vous avez cherché à le recruter. Il a refusé pour poursuivre ses études à La Sorbonne. Mais, en tout cas, Décathlon est une entreprise modèle.

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