C. LES LIMITES DES COMPARAISONS SECTORIELLES DE PRODUCTIVITÉ

Certains des travaux les plus avancés sur la productivité, comme ceux conduits par la Banque de France, ne se basent que sur les comparaisons de productivité agrégées pour l' ensemble de l'économie , considérant que les comparaisons sectorielles internationales reposent sur des statistiques dont la qualité n'est pas suffisante.

En effet, les comptables nationaux européens ne disposent pas des moyens, au contraire des États-Unis, pour produire des statistiques sectorielles fiables.

En outre, compte tenu de l'externalisation croissante des tâches par le secteur manufacturier, les partages sectoriels aussi bien de l'emploi que de la production sont sujets à caution : les services d'intérim, qui emploient 700.000 personnes dont la moitié dans l'industrie, constituent sur ce point l'exemple le plus connu.

Mais le doute le plus important sur l'ampleur et la nature de l'écart récent de productivité entre l'Europe et les États-Unis repose sur les difficultés de mesure de la productivité dans les services , liées notamment à l' utilisation accrue des TIC .

Tout d'abord, le partage de la valeur de la production entre leur prix et leur quantité (ou volume) est difficilement applicable à des activités de services où l'élément « quantité » n'apparaît pas clairement (comment mesurer la productivité d'un médecin, d'un orchestre ou d'un cabinet comptable ?).

Par ailleurs, la diffusion des TIC a accéléré l'évolution de la qualité de nombreux services , alors que la production en valeur correspondante est souvent mesurée par les salaires des employés qui ont produit ce service.

Or, si l'amélioration de la qualité de ces services était correctement mesurée, cela conduirait à diminuer leur prix et à augmenter leur volume , donc à augmenter la productivité.

Des améliorations ont été apportées notamment aux États-Unis, pour estimer le « changement de qualité » d'un produit par les méthodes hédoniques : elles utilisent une fonction mathématique dont les variables sont les « caractéristiques » que ce produit possède. Le cas le plus souvent mentionné est celui des ordinateurs et les caractéristiques retenues sont notamment : la vitesse de processus, la capacité de la mémoire vive ou celle du disque dur... Dans l'industrie automobile, également, différentes caractéristiques sont prises en compte pour estimer la qualité et donc l'évolution du prix des voitures.

Mais si ces techniques présentent une certaine solidité pour la production de biens manufacturés, elles sont moins adaptées à la production de services. Les dimensions d'une activité de service sont en effet complexes, du concept au type d'interface avec la clientèle ou au système de distribution.

Pour conclure sur ces questions qui font l'objet d'une abondante littérature, votre rapporteur se contentera de quatre observations :

- d'une manière générale, les TIC ont rendu obsolètes les méthodes d'estimation de la productivité dans les services. On peut considérer qu'elles ont abouti, globalement, à une sous-estimation de la production et de la productivité des services dans l'ensemble des pays développés ;

- de nouvelles méthodes ont toutefois été mises en place, notamment aux États-Unis, pour apprécier la qualité des services. Il faut ainsi remarquer que parmi les changements comptables intervenus aux États-Unis, certains concernent le secteur de l'intermédiation financière, secteur où précisément on observe une forte croissance de la productivité aux États-Unis (relativement à l'Europe).

Cependant, en dépit de cet exemple souvent cité par ceux qui contestent l'ampleur de l'écart de productivité entre les États-Unis et l'Europe, il semble qu'il n'existerait cependant « aucun signe indiquant clairement que ce biais (de mesures qui conduisent à sous-estimer la productivité dans les services) soit plus important en Europe qu'aux États-Unis 60 ( * ) ».

Compte tenu des difficultés méthodologiques décrites ci-dessus, il apparaît plus « sûr », ainsi que le fait la Banque de France, de ne raisonner que sur des comparaisons de productivité pour l'ensemble de l'économie . (Cette idée sera plus longuement développée dans la Ve partie de ce chapitre ).

* 60 Selon Bart van Ark « L'Europe va-t-elle rattraper son retard de productivité ? », Banque de France, novembre 2005.

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