2. L'analyse comptable de la productivité du travail

En ne prenant en considération que l'évolution de la productivité du travail, on se prive d'un élément d'analyse important : l'augmentation de la productivité du travail peut résulter à la fois du nombre de machines à la disposition du facteur travail (augmentation de l'« intensité capitalistique ») et de l'augmentation de l'efficacité globale du processus de production c'est-à-dire la productivité globale des facteurs (PGF), ou encore le « progrès technique » 14 ( * ) .

Or ces deux contributions à l'augmentation de la productivité du travail - intensité capitalistique et PGF - sont de nature très différente :

- l'augmentation de l'intensité capitalistique correspond à l'accélération du processus de substitution de capital au travail . Celui-ci est surtout motivé par des considérations de coût de production , et est donc susceptible de se « retourner » contre l'emploi .

Ces gains de production sont caractéristiques d'une « économie d'imitation », ou de rattrapage : ils traduisent l'assimilation par les entreprises existantes, de technologies nouvelles ou de nouvelles formes d'organisation du travail.

Les effets d'augmentation de l'intensité capitalistique correspondraient ainsi à ceux qui dominaient en Europe depuis le premier choc pétrolier et surtout, comparativement aux États-Unis, depuis le milieu des années 90 : en Europe, la « révolution technologique » liée aux Technologies de l'Information et de la Communication (TIC) aurait plutôt entraîné une substitution de capital TIC au travail qu'une diffusion des gains d'efficacité globale permise par les TIC à l'ensemble de l'économie ;

- la productivité globale des facteurs (PGF) constitue ce qui reste (notion de « résidu ») lorsqu'on a retiré de l'augmentation de la productivité du travail ce qui s'explique par l'augmentation de l'intensité capitalistique.

La PGF est ainsi le produit d'une utilisation plus efficace de la combinaison capital-travail, permise par une réorganisation du travail ou l'introduction d'innovations.

L'augmentation de la PGF résulte notamment de l'arrivée d' entreprises nouvelles , plus innovantes que les entreprises existantes.

Ces gains améliorant la compétitivité globale de l'économie et les conditions de la croissance, peuvent être favorables à l'emploi. Ils sont caractéristiques d'une économie où domine le processus d' innovation et non celui d'imitation, c'est-à-dire une économie qui évolue à la « frontière technologique », c'est-à-dire au stade le plus avancé - par rapport aux autres pays - du développement technologique.

Le « Rapport SAPIR », rédigé pour le Président de la Commission européenne 15 ( * ) , qui a largement inspiré la « Stratégie de Lisbonne », mettait l'accent sur l'importance de privilégier les gains de PGF en Europe.

Cette distinction entre deux types de gains de productivité du travail
- l'intensité capitalistique et la PGF 16 ( * ) - résulte des approches de « comptabilité de la croissance ».

Il y sera très souvent fait référence dans ce rapport d'information, compte tenu de la dimension explicative de cette approche.

*

On peut résumer ce qui précède sur le passage de la productivité par tête au progrès technique à l'aide d'un schéma très simple :

Productivité par tête
(valeur ajoutée/effectifs occupés)

Durée
du travail

Productivité
horaire

Productivité
horaire

Intensité capitalistique

Productivité globale des facteurs
(« progrès technique »)

= x x

= x

* 14 Une littérature abondante est consacrée à l'appréhension du concept de productivité globale des facteurs (PGF) :
- la première interprétation, la plus courante, considère la PGF comme une mesure du progrès technique ;
- la deuxième interprétation considère la PGF comme l'expression des gains de productivité induits par l'activité économique, par exemple des effets d'échelle, et non appréhendés par les facteurs de production. La PGF représenterait ainsi un « don du ciel » (A Manna from Heaven), c'est-à-dire des augmentations de la production sans coûts. Dans cette interprétation, si les facteurs de production étaient parfaitement mesurés et la fonction de production correctement posée, la PGF serait nulle ;
- la troisième interprétation considère la PGF comme une « mesure de notre ignorance » ; les problèmes de mesure de la production et des facteurs de production sont tels qu'il serait impossible de définir ce qui mesure la PGF : progrès technologiques mais aussi innovations organisationnelles, économies d'échelle, etc.

* 15 Rapport SAPIR : « An agenda for a growing Europe ». Commission européenne. 2003.

* 16 Cette méthode repose sur un certain nombre d'hypothèses et de conventions comptables complexes dont la présentation dépasserait le cadre de ce rapport d'information. Une présentation en est donnée dans les Cahiers français n° 323 « Croissance et innovation » par CETTE G., KOCOGLU Y. et MAIRESSE J.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page