III. LA PRODUCTIVITÉ CONTRE L'EMPLOI ?

La perception du concept de productivité est généralement ambiguë : associée à la richesse et au progrès du niveau de vie, elle est aussi perçue comme un facteur de diminution de l'emploi.

Ceci se comprend à partir de l'identité comptable rappelée en introduction à ce rapport : le PIB est égal au produit de la productivité par l'emploi. La productivité détermine donc - avec la main d'oeuvre disponible -le potentiel de croissance d'une économie.

Mais l'identité comptable ci-dessus peut également s'inscrire :

Emploi = PIB/Productivité

Pour une croissance donnée , la productivité détermine l'emploi (en niveau comme en variation), ou encore le contenu en emploi de la croissance .

Cette ambiguïté est certainement à l'origine du manque de cohérence du débat public en Europe et plus particulièrement en France. La France et l'Europe ont ainsi été stigmatisées - jusque dans les années 90 - pour la faiblesse des créations d'emploi et le faible contenu en emploi de la croissance. Mais depuis que l'objectif d'enrichissement du contenu en emploi de la croissance est atteint (ralentissement de la productivité), la faiblesse des gains de productivité fait craindre un décrochage économique de l'Europe.

A. ASPECTS THÉORIQUES ET EMPIRIQUES

Les enseignements de la théorie économique largement validés par les analyses empiriques permettent d'apporter des éléments de clarification.

Ils conduisent ainsi à distinguer trois horizons , avec pour chacun des relations différentes entre productivité, PIB et emploi.

1) A long terme tout d'abord, une accélération de la productivité se traduit par une accélération de la croissance du PIB , mais est neutre pour l'emploi .

Très concrètement, si l'on passe durablement d'un rythme de productivité de 1 à 2 % par an, la croissance du PIB est supérieure d'1 point et celle de l'emploi identique à la situation antérieure.

Ceci s'explique par la relation entre productivité et salaires . A long terme, il faut considérer, en effet, que les salaires évoluent comme la productivité. Ceci « permet » une stabilisation du partage de la valeur ajoutée entre salaires et profits 21 ( * ) .

Dans ce cas - salaires évoluant comme la productivité -, le coût salarial unitaire (qui rapporte le coût salarial à la productivité) est inchangé . La théorie économique postule qu'à long terme l'évolution du chômage n'est déterminée que par celle du coût du travail : lorsque le coût du travail augmente, le chômage « structurel » augmente 22 ( * ) .

Les travaux empiriques semblent valider cette analyse. Ainsi observe-t-on que le fort ralentissement de la productivité après le premier choc pétrolier s'est traduit dans pratiquement tous les pays par un ralentissement équivalent à la croissance du PIB, sans incidence sur l'évolution de l'emploi.

En France, par exemple (mais on observe les mêmes relations dans la plupart de pays), le rythme d'évolution de la productivité a ralenti de
-2,6 points par an sur la période 1975-2005 par rapport à la période 1950-1975, et la croissance du PIB a ralenti également de -2,6 points par an ; par contre, l'évolution de la croissance de l'emploi entre les deux périodes a été sensiblement identique.

Sur longue période, il semble donc clair que les évolutions de la productivité se reportent intégralement sur la croissance du PIB et pas sur l'emploi (la productivité « ne joue pas contre l'emploi »).

2) A moyen terme , la relation productivité-PIB-emploi est différente et dépend de la situation du marché du travail.

Si l'économie connaît un fort chômage, lié notamment à une croissance bridée par l'insuffisance de la demande (ou qui évolue en dessous de son potentiel), une accélération de la productivité n'aura pas d'effet sur la croissance du PIB - car celui-ci est contraint par l'insuffisance de la demande ; mais elle entraînera une diminution de l'emploi (dans l'identité emploi = PIB/Productivité, le dénominateur augmente et le numérateur ne change pas).

Inversement, une diminution de la productivité entraînera une augmentation de l'emploi (car le PIB est inchangé).

Les politiques d'enrichissement du contenu en emploi de la croissance, telles que la baisse de la durée légale du travail ou le développement du temps partiel, visent ainsi à freiner l'évolution de la productivité par tête, et ainsi à diminuer la composante keynésienne du chômage (c'est-à-dire la composante du chômage lié à l'insuffisance de la demande, par opposition au chômage « structurel » qui s'explique notamment par le coût du travail).

Cette approche théorique semble également validée par l'analyse empirique : ainsi, sur la période 1995-2005, on observe que dans les pays de l'OCDE, plus le ralentissement de la productivité a été important, moins celui de l'emploi l'a été. Par exemple, en France si l'on compare la période 1995-2005 à celle de 1985-1995, le ralentissement de la productivité a été de
-0,6 point par an (après 1995) et l'évolution de l'emploi supérieure de 0,6 point par an.

3) A court terme , les évolutions de la productivité sont connues sous l'expression de « cycle de productivité » : dans une phase d'accélération de l'activité, les entreprises tardent à ajuster l'emploi, ce qui entraîne une augmentation de la productivité (et une moindre progression de l'emploi relativement à celle du PIB). Dans une phase de ralentissement, un phénomène inverse se produit (ralentissement de la productivité).

* 21 En effet, lorsque le salaire par tête évolue comme la productivité, la masse salariale (c'est-à-dire le salaire par tête x emploi) évolue comme la valeur ajoutée (productivité x emploi), ce qui correspond à une stabilité du partage de la valeur ajoutée.

* 22 L'augmentation du coût du travail conduit, en effet, les entreprises à « économiser le travail » et à privilégier les combinaisons les plus capitalistiques.

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