3. Le suivi nécessaire du projet de directive « Solvabilité II » et des modalités d'application des normes IFRS pour en limiter les risques macroéconomiques

a) Les normes d'information financière et comptable : une consécration de la transparence ou de la volatilité ?

L'internationalisation des échanges et les impératifs d'harmonisation, de transparence financière et de prévention des risques systémiques ont conduit à l'élaboration de normes techniques internationales à caractère transversal ou sectoriel, qui ont été profondément rénovées au cours des dix dernières années ou sont encore en cours de négociation.

Les normes comptables internationales IAS/IFRS sont ainsi applicables aux sociétés européennes cotées depuis l'adoption du règlement européen du 19 juillet 2002 401 ( * ) , complété par d'autres règlements modificateurs et les avis du comité européen EFRAG ( European Financial Reporting Advisory Group ). Dans le cadre du Plan d'action pour les services financiers, mis en oeuvre par la Commission européenne entre 2000 et 2005, l'information financière des sociétés cotées a également été normalisée par la directive « transparence » du 15 décembre 2004 402 ( * ) , qui a consacré le principe d'une périodicité trimestrielle.

A la différence des normes américaines US-GAAP, souvent considérées comme excessivement précises (avec des risques de contournement), les normes IAS/IFRS se veulent fondées sur des principes . Cette approche présente cependant l'inconvénient de donner prise à des divergences d'interprétation par les régulateurs nationaux

Si les orientations des normes comptables ont dans l'ensemble été approuvées, la norme IAS 39 , relative à la comptabilisation et à la valorisation des instruments financiers, a été très controversée, l'option de la « juste valeur » (finalement adoptée par la Commission européenne en novembre 2005) étant perçue comme une source d'instabilité et de volatilité des bilans , en particulier dans le secteur bancaire.

Si cet impact devait se confirmer, la plus grande variabilité des résultats pourrait nuire à la sécurité et à la confiance des investisseurs et, in fine , au financement par le marché et à l'épargne longue.

b) « Solvabilité II », un projet qui dissuade l'investissement pérenne en actions ?

Les secteurs des banques et de l'assurance font l'objet d'une vigilance particulière , compte tenu de leur rôle clef dans le financement et la gestion des risques des entreprises et sont soumis à des normes de solvabilité d'inspiration commune, également intégrées dans la législation communautaire.

Les nouvelles normes de fonds propres réglementaires des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, élaborées par le Comité de Bâle et à ce titre dénommées « Bâle II », ont ainsi donné lieu à la révision de deux importantes directives en 2006 403 ( * ) .

Le régime de solvabilité des compagnies d'assurance européennes a été mis à jour en 2002 par la réforme appelée « Solvabilité I » et fait actuellement l'objet d'un projet de modernisation, « Solvabilité II », qui donnera lieu à une proposition de directive dans le courant de l'année 2007.

Ce projet, en cours de négociation entre la Commission européenne, les Etats membres et les instances professionnelles, est d'une portée beaucoup plus étendue que la seule exigence de marge de solvabilité . Il conduit à traiter différents sujets tels que l'adoption d'un système davantage fondé sur la mesure du risque, l'harmonisation de l'évaluation des provisions techniques, les nouvelles techniques de transfert de risque et les évolutions récentes en matière de comptabilité.

Au-delà de ces aspects d'une grande technicité et qui ne sauraient être ici abordés, l'impact macro-économique potentiel de ce dispositif donne lieu à des controverses . Ainsi que l'ont relevé MM. Henri de Castries, président du directoire d'Axa et Patrick Artus, directeur de la recherche de Natixis, lors de leur audition par la mission d'information 404 ( * ) , l'approche prévalant dans « Solvabilité II » pourrait conduire les compagnies d'assurance, qui figurent parmi les principaux investisseurs institutionnels, à diminuer leurs placements en actions.

L'approche micro-économique de la solvabilité et de la cohérence entre le passif et l'actif des compagnies d'assurance pourrait dans ces conditions contrevenir à l'impératif macro-économique de soutien aux fonds propres des entreprises, particulièrement en France.

Les propos de M. Henri de Castries se révèlent suffisamment éclairants sur le cheminement et les risques du projet « Solvabilité II », tels qu'ils étaient appréciés fin 2006 :

« Le deuxième débat qui se profile porte sur « Solvabilité II », pour notre secteur, sur lequel on a commencé très vite à alerter les pouvoirs publics sur un certain nombre de risques de dérives. Cette fois, on a été un peu mieux entendu. Solvabilité II pose la question du capital nécessaire pour qu'un assureur puisse opérer avec des marges de solvabilité réglementaire suffisantes. Pour répondre à cette question, il faut définir le degré de risque acceptable dans le système. Pour cela, il faut définir quelle probabilité de défaut et de banqueroute on est prêt à accepter. La Commission avait fixé un taux de probabilité équivalent à la solvabilité d'un acteur de niveau BBB, ce qui était raisonnable ; puis, elle a confié à un collège de régulateurs, appelé le CEIOPS 405 ( * ) , le soin de déterminer comment organiser cela.

« Dans la première phase de ses travaux, ledit CEIOPS, et donc les 27 régulateurs européens d'assurance qui le composent , ont assez largement ignoré la consigne qui était le niveau de risque BBB et ont analysé ce qui leur convenait à chacun d'entre eux, avant d'additionner leurs contraintes et de demander aux entreprises de faire leur calcul. On a obtenu un système appelé « Quantitative Impact Studies 2 » qui est une enquête dans laquelle on a demandé aux divers acteurs de faire leurs calculs. Le résultat de QIS2 a permis de constater que si on appliquait ce qu'il demandait on aurait probablement besoin d'encore plus de capital.

« Je pense avoir attiré l'attention de nos amis de Bercy et du Trésor, en leur expliquant que si QIS2 devenait une réalité nous serions probablement amenés à diviser nos investissements actions par quatre ou cinq et à réduire la duration des obligations que nous achetons, dont certaines sont des obligations d'Etat, de sept ans à deux ans. Si cela n'était pas la démonstration que l'exercice était biaisé, c'était bien étonnant.

« Ainsi, tout ce qui va se réaliser autour de Solvabilité II est extrêmement important pour le futur des investissements actions. (...) Il ne s'agit pas d'un débat « des gros contre les petits », des anglo-saxons contre les autres. Nous disposons aujourd'hui des instruments permettant de mesurer le capital nécessaire pour opérer dans des conditions de sécurité satisfaisante.

« Il faut faire très attention à ce que Solvabilité II ne conduise pas subrepticement à décourager les placements longs. Si les placements longs des seuls acteurs « mains longues » en Europe étaient découragés, il ne faudrait alors pas s'étonner ni de voir le capital des groupes industriels et de services européens être détenu par des mains non-européennes , ni d'un nouveau ralentissement de croissance. Si personne ne peut financer le capital des entreprises, un certain nombre de projets ne pourront pas se développer et la croissance en souffrira. »

De même, M. Patrick Artus a considéré que le dispositif « Solvabilité II » tendait à fixer le capital réglementaire des assureurs en fonction de l'écart de duration 406 ( * ) moyenne constaté entre l'actif et le passif. Les exigences de capital des sociétés d'assurance sont ainsi une fonction croissante de l'écart entre la nature de leur actif et la nature de leur passif. Or, selon M. Patrick Artus, la duration moyenne du passif des compagnies d'assurance françaises est de douze ans, alors que celle des actions est nulle, de telle sorte que la minoration du capital réglementaire induit une prime à la détention de titres obligataires , qui sont de duration longue et de faible risque 407 ( * ) .

Cette appréciation doit cependant être fortement nuancée. C'est plutôt parce que le projet de formule standard du QIS2 reflétait mal cet écart de duration entre actif et passif que les investissements en actions se révélaient fortement pénalisés. En effet, on considère habituellement que les actions ont une duration très longue dans la mesure où elles ne sont jamais remboursées, de telle sorte que si cette caractéristique était bien prise en compte, les assureurs opérant sur des branches de long terme (telles que la responsabilité civile médicale ou la construction) se verraient « récompensés » par une moindre exigence de solvabilité.

Une meilleure description du problème serait de considérer que le projet de formule standard du QIS2 tendait à considérer les volatilités respectives des actifs sur un an et de façon isolée , sans se soucier de la structure du passif ni de la stratégie financière de l'entreprise. Il en résultait qu'il était moins risqué et moins coûteux de détenir des obligations d'Etat plutôt que des actions.

Le dispositif applicable aux fonds de pension est différent mais conduit, selon M. Patrick Artus, aux mêmes résultats 408 ( * ) . Il a également estimé que l'insuffisante couverture dont disposaient les fonds de pension américains et britanniques pour assurer le financement de prestations définies avait accru l'aversion au risque des régulateurs , les conduisant à introduire une quasi-logique de répartition dans les bilans de ces organismes.

La troisième étude quantitative d'impact (QIS3) réalisée par le CEIOPS, lancée le 2 avril 2007 et qui devrait s'achever fin juin, devrait cependant conduire à infléchir les orientations du projet de directive et à mieux préserver l'investissement en fonds propres. Un coefficient de solvabilité de 32 %, au lieu de 40 % dans QIS2, est ainsi évoqué 409 ( * ) .

Il ressort également des entretiens que le président de la mission d'information a eus avec les services de la Direction générale du marché intérieur et des cabinets des commissaires compétents de la Commission européenne, le 13 mars 2007, que celle-ci a bien intégré les inquiétudes des assureurs et ne compte pas se cantonner à la seule approche micro-économique.

* 401 Règlement (CE) n° 1606/2002 du Parlement européen et du Conseil du 19 juillet 2002 sur l'application des normes comptables internationales.

* 402 Directive 2004/109/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 2004 sur l'harmonisation des obligations de transparence concernant l'information sur les émetteurs dont les valeurs mobilières sont admises à la négociation sur un marché réglementé et modifiant la directive 2001/34/CE.

* 403 La directive 2006/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice et la directive 2006/49/CE du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 sur l'adéquation des fonds propres des entreprises d'investissement et des établissements de crédit.

* 404 Respectivement les 19 et 18 octobre 2006.

* 405 Committee of European Insurance and Occupational Pensions Supervisors.

* 406 Le terme de « duration » s'applique aux instruments financiers à taux fixe, tels que les obligations et désigne la durée de vie moyenne des flux financiers pondérée par leur valeur actualisée.

* 407 « Dans sa grande générosité, le régulateur considère qu'une action n'a aucune valeur de jour de ratio puisqu'il s'agit d'un actif dont la valeur peut changer à tout moment. La détention d'actions va donc être extrêmement pénalisée. En effet, si un assureur souhaite minimiser ses fonds propres, il devra n'avoir à son actif que des obligations d'Etat ».

* 408 « Les fonds de pension doivent avoir, à tout instant, des actifs dont la valeur de marché couvre leur passif, même en cas de chute du marché d'actions extrêmement brutale. Il devient, de ce fait, presque impossible pour un fonds de pension de détenir des actions. Du côté des banques, on a donc fabriqué une machine de guerre pro-cyclique : quand la situation va mal, on les pousse à restreindre le crédit. Du côté des assureurs et des fonds de pension, on a créé une machine visant à ce que ces structures ne détiennent que des obligations d'Etat (...) .

« La machine va réellement inciter ces investisseurs à réduire leur détention d'actions, sauf à consommer beaucoup plus de capital, ce que les assureurs n'ont pas envie de faire, ou sauf à sur-provisionner considérablement le passif, ce que les fonds de pension ont rarement la possibilité de faire ».

* 409 En outre, la corrélation entre risque de taux et risque actions a été abaissée de 75 % à 0 %, ce qui implique que la charge en capital finalement appliquée aux investissements serait fortement diminuée (d'environ 25 %, selon les cas), la diversification des placements étant mieux reconnue.

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