DEUXIÈME PARTIE : LA FRANCE, UNE PUISSANCE QUI VIT SUR SES ACQUIS

Il ressort clairement des analyses développées en première partie que les Etats sont, à l'instar des entreprises, engagés dans une compétition sans merci : la France , comme les autres pays européens, se trouve, sous l'effet de la globalisation, obligée de trouver sa place au coeur d'un processus complexe de sélection et de hiérarchisation des territoires à l'échelle du monde.

La bataille économique, puisque bataille il y a, est partout : l'horizon des agents économiques - et l'Etat appartient par certains de ses aspects à cette catégorie - est désormais nécessairement mondial.

Quant à nos entreprises, dont le rayon d'action contribue à définir notre zone d'influence nationale, leur espace transcende les frontières, même s'il est essentiel pour elles d'être fortes dans leur pays d'origine.

La France, sixième puissance économique mondiale, dispose de solides atouts, bien que certaines de ses forces - comme le nombre relativement important de firmes d'envergure mondiale ou une culture à vocation universelle - connaissent également des points de fragilité.

Considérer, comme le fait la mission commune d'information, que notre pays est vulnérable en dépit de sa puissance, n'est pas céder aux facilités d'une forme de délectation morose ; c'est sur la base d'un constat réaliste, chercher les moyens de rendre la France plus réactive et plus conquérante, en tous cas plus consciente de ses talents et confiante dans ses capacités à retrouver sa place dans le concert économique des nations.

Les entreprises françaises et l'Etat lui-même se trouvent confrontés au même défi de la compétitivité, dont les éléments constitutifs apparaissent désormais de nature de plus en plus qualitative et immatérielle.

Parmi ces éléments immatériels 178 ( * ) , il faut prendre en compte sans doute plus que l'on ne l'a fait jusqu'à présent, la capacité à accueillir et développer des centres de décisions économiques dans la mesure où ils permettent, d'une manière ou d'une autre, d'optimiser l'exploitation des actifs matériels et de les combiner avec ces actifs immatériels, qui apparaissent aujourd'hui comme les vrais ressorts de la croissance.

La France a des atouts incontestables qu'il lui faut aujourd'hui impérativement consolider et renouveler ; elle ne peut le faire qu'en menant une politique résolue d'attractivité notamment juridique et fiscale, de nature à susciter et stimuler les initiatives qui lui permettront de rebondir.

Pas plus que la croissance, le dynamisme dont notre pays a besoin, ne peut se décréter. Mais l'Etat peut intervenir efficacement dès lors qu'il parviendra à définir la stratégie pragmatique qui, tant au niveau du contexte général que des dossiers particuliers, permettra aux Français d'exprimer leurs talents pour le plus grand profit de la Nation.

I. COMPÉTITIVITÉ : DES ATOUTS INCONTESTABLES COMBINÉS À DES SUCCÈS FRAGILES OU AMBIGUS

La mission commune d'information souhaite rappeler ici les éléments constitutifs des avantages comparatifs, sur lesquels repose la compétitivité des entreprises et plus généralement de l'économie françaises.

A côté de l'excellence de ses services collectifs, il faut faire mention, au sein même des entreprises, de facteurs liés aux individualités, à la personnalité, celle des hommes mais également celle des sociétés mêmes : la qualité du management et la force de la culture d'entreprise.

Sur ces deux plans, une analyse objective conduit à considérer que notre pays vit, en quelque sorte, sur les acquis des périodes antérieures.

A. DES SERVICES COLLECTIFS DE QUALITÉ

La qualité de l'environnement des entreprises apparaît comme un vecteur essentiel d'attractivité du territoire ; cette qualité tient aux infrastructures et aux équipements d'une part, aux formations et à la recherche d'autre part.

1. La densité et l'efficacité des infrastructures, un atout national à conforter

Dans son rapport sur « l'attractivité du territoire pour les sièges sociaux des grands groupes internationaux 179 ( * ) », notre collègue député Sébastien Huyghe a identifié le double atout dont bénéficie la France dans la perspective de conserver et d'attirer des centres de décision économique sur son territoire . En premier lieu, elle jouit naturellement d'une position centrale, donc stratégique, en Europe occidentale ; en second lieu, elle offre un excellent niveau d'infrastructures , notamment en matière de transports, tous modes confondus.

Interrogées sur les avantages dont notre pays dispose sous l'angle de l'attractivité, plusieurs des personnalités que la mission commune d'information a auditionnées, ont rappelé, en effet, la position géographique très favorable, au coeur de l'Europe, du territoire métropolitain.

Or, comme l'ont confirmé M. Philippe Mills, directeur général adjoint du Centre d'analyse stratégique, et M. Philippe Favre, président de l'Agence française pour les investissements internationaux (AFII), entendus par le rapporteur de la mission commune d'information 180 ( * ) , d'après les études menées, la localisation d'un pays constitue le premier des critères retenus par une entreprise dans la prise de décision d'implantation d'un centre de décision . La France, à cet égard, est bien dotée, puisqu'elle possède des frontières communes avec six pays parmi les principales économies du continent et se trouve traversée par la zone de forte activité économique, baptisée « banane bleue », qui s'étend du sud-est de l'Angleterre à la Lombardie.

S'agissant des infrastructures, à commencer par celles qui concernent le transport, plus nombreux encore sont les interlocuteurs de la mission commune d'information à avoir mis en avant leur excellence comme facteur important de l'attractivité nationale.

M. Denis Ranque, président-directeur général du groupe Thalès 181 ( * ) ,, a particulièrement insisté sur ce point : « La France est reconnue comme un pays disposant d'excellentes infrastructures, qu'il s'agisse de production d'énergie ou de transport. Il convient à ce titre de rester en tête du peloton. En comparaison, même si la Grande-Bretagne dispose d'attraits certains, il est incontestable qu'après un voyage en train sur ce territoire, il est agréable d'emprunter à nouveau un TGV. En outre, l'aéroport d'Heathrow est bien moins agréable que l'aéroport Charles-de-Gaulle. Je mentionnerai également notre système de santé, qui est une partie intégrante de nos infrastructures. Ce système apparaît excellent, malgré son coût et les difficultés liées à son financement. » De même, pour M. Louis Gallois, co-président du comité exécutif d'EADS 182 ( * ) , « la qualité des services publics français apparaît comme un autre grand atout. Nous disposons d'une infrastructure de transport de première qualité, et qui mérite d'être encore améliorée. Enfin, notre percée sur le haut débit dans des conditions remarquables est aussi à souligner. »

Le rapport précité de notre collègue député Sébastien Huyghe a bien décrit les enjeux et nos atouts dans le domaine des transports : « la qualité des infrastructures est un élément d'attractivité essentiel lorsqu'il s'agit de centres de décisions.

En effet, la caractéristique première de ces structures est de regrouper des cadres dirigeants se déplaçant fréquemment. L'accessibilité est donc, selon tous nos interlocuteurs, l'un des tous premiers critères lorsqu'il s'agit de la localisation d'un siège. Cette accessibilité est assurée par la qualité et la densité des infrastructures routières, et par les lignes ferroviaires à grande vitesse : les indices de dotation en infrastructures de transport (calculés sur la base de longueur de voies de communication par habitant) placent la France dans les premiers en Europe à la fois pour les routes, les autoroutes et les voies ferroviaires . L'accessibilité se mesure également à l'aune des liaisons aéroportuaires transcontinentales pour les grands groupes internationaux. A cet égard, si nos métropoles secondaires accusent un certain retard par rapport à leurs homologues européens, la plate-forme de Roissy est un facteur d'attractivité de premier plan compte tenu de ses capacités. »

L'enjeu des nouveaux réseaux de communication

« Dans le domaine des communications interpersonnelles, au dispositif de voix par Internet devraient s'ajouter la visiophonie en haute définition et la messagerie vidéo puis, à terme, - si l'on extrapole les recherches actuelles - la visiophonie en trois dimensions. L'usage de la télévision, d'ores et déjà enrichi par le développement de la télévision sur IP, bénéficiera de la mise en place de la haute définition, de la vidéo à la demande ou de l'utilisation mobile de la télévision, soit sur un téléphone mobile, soit à partir d'un petit récepteur télévisuel totalement transportable ou encore d'une console de jeux multifonction.

« Au-delà de la téléphonie et de la télévision, le développement des paiements à distance, de la télésurveillance, des techniques de localisation et d'intervention à distance, des services en ligne, du téléchargement de musique et de films, des jeux en ligne ou de la multiplication des blogs et de la mise en ligne de contenus par les individus ou les communautés d'utilisateurs, constituent autant d'applications pour les ménages, qui devraient soit apparaître dans les années à venir, soit se renforcer. [...]

« On le pressent, toutes ces évolutions sont riches d'opportunités pour notre pays. Pour les citoyens et les consommateurs, bien sûr, qui bénéficieront des progrès réalisés en matière de santé - accès aux soins et les techniques médicales - ainsi que de nouvelles formes de divertissement, d'information ou d'accès au savoir. Pour les entreprises françaises et européennes, qui pourront à la fois s'affirmer comme des leaders dans la production de ces nouveaux biens et services, et bénéficier de leur usage.

« Bénéficier de toutes ces opportunités technologiques suppose de doter notre économie d'"infrastructures de l'immatériel" suffisamment puissantes et étendues pour répondre à un volume d'échanges de données en croissance constante . Les besoins de mobilité et de "bande passante", c'est-à-dire concrètement la capacité des réseaux à transporter rapidement ces masses de données, devraient en effet s'accroître de manière exponentielle dans les années à venir. Le développement de nouveaux réseaux de télécommunications, passant du traditionnel cuivre à la fibre optique, et l'exploitation optimale des fréquences hertziennes constituent à cet égard des enjeux majeurs pour développer la capacité de mobilité et de débit dans le domaine de la voix et des données .

« Les exemples de Singapour, qui a mis l'accent sur la bande passante ( broadband ) pour asseoir son projet d'être la plate-forme économique d'Asie, c'est-à-dire le lieu qui concentre les industries et les talents, ou du Japon, qui souhaite être l'économie asiatique permettant l'accès à distance le plus aisé à Internet, n'ont, à cet égard, rien d'anecdotiques. Tous deux démontrent en effet que les infrastructures technologiques s'imposent aujourd'hui comme un avantage compétitif décisif des économies . »

Source : Maurice Lévy, Jean-Pierre Jouyet, « L'économie de l'immatériel, la croissance de demain », rapport de la commission sur l'économie de l'immatériel au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, novembre 2006

Déjà en 2000, le rapport « L'entreprise et l'hexagone » de l'inspection générale des finances 183 ( * ) avait souligné le caractère précieux que présentait, pour l'attractivité de la place de Paris, la plate-forme aéroportuaire existante, et ses capacités de développement, tant pour le fret que le transport de passagers - spécialement par comparaison avec la plate-forme de Londres, arrivée à saturation.

Un autre facteur important de compétitivité est constitué par le réseau de télécommunications . En particulier, il convient de rappeler que plus de 98 % de la population nationale a aujourd'hui accès au haut débit (l'objectif figurant dans les documents accompagnant le projet de loi de finances initiale pour 2007 est de 99 % à la fin de l'année en cours), et que la couverture du territoire en téléphonie mobile est complète 184 ( * ) . De nouveaux défis technologiques, plus pointus, restent à relever pour soutenir la compétition internationale , en particulier le remplacement des actuels réseaux en fil de cuivre par des réseaux en fibre optique, dont la capacité de débit d'informations s'avère très supérieure.

Un autre élément d'infrastructure particulièrement utile en vue d'attirer l'implantation de centres de décision réside dans l' offre urbaine et, d'abord, immobilière .

Sur ce sujet, les conclusions auxquelles aboutissait, en 2000, le rapport précité de l'IGF, restent pertinentes. D'une part, le coût des bureaux à Paris s'avère compétitif par rapport à celui de Francfort ou, plus encore, Londres ; une baisse de leur prix est d'ailleurs intervenue entre 2001 et 2004 185 ( * ) , et l'existence de réserves foncières significatives paraît de nature à assurer une stabilité à long terme. D'autre part, malgré la hausse des prix de l'immobilier de logement auquel on a assisté depuis maintenant huit ans, le coût du logement à Paris demeure proche de celui des autres capitales européennes continentales , même si Bruxelles conserve un avantage compétitif réel ; en tout état de cause, il se révèle inférieur à celui de Londres, de New York, ou de Tokyo.

Dans un rapport adopté en assemblée générale le 8 mars 2007, transmis en mains propres par son président, M. Pierre Simon, au président de la mission commune d'information, la Chambre de commerce et d'industrie de Paris (CCIP) a détaillé les atouts importants et les besoins concrets du quartier d'affaires de La Défense et du pôle économique que forme celui-ci avec sa périphérie immédiate 186 ( * ) .

En ce qui concerne les grandes métropoles régionales, comme le relève l'AFII dans un document transmis, à l'occasion de l'audition précitée de son président, au rapporteur de la mission commune d'information, l'atout de l'offre immobilière, quoique « bien réel », « n'est cependant pas totalement discriminant par rapport à d'autres villes européennes où sont également engagés d'importants programmes d'immobilier de bureau ».

* 178 Le rapport Lévy/Jouyet précité de la commission sur l'économie de l'immatériel identifie les trois causes premières de ce phénomène :

- en premier lieu, la place croissante occupée par l'innovation, devenue le moteur principal des économies développées. « Jusqu'aux années 70, on pouvait se contenter d'imiter ce que trouvaient les Etats-Unis. Aujourd'hui, la France n'a, comme les autres, pas d'autre choix que de trouver ce qui n'a pas encore été découvert » ;

- en deuxième lieu, le développement massif des technologies de l'information et de la communication, offrant aux entreprises des possibilités sans commune mesure avec le passé de réorganiser leur production et de se concentrer sur les activités présentant la plus forte valeur ajoutée ;

- en troisième lieu, la « tertiarisation » continue des pays développés, dont l'économie repose de plus en plus sur des services pour lesquels les idées, les marques et les concepts jouent un rôle essentiel.

Sur les marchés financiers, on estime à présent que la majeure part de la valeur des grandes entreprises tient à des actifs immatériels qui, souvent, en dépit de l'évolution des normes comptables, demeurent « hors bilan ». Ainsi, la récente étude publiée par le cabinet Ernst & Young sur le sujet (« Le capital immatériel, première richesse de l'entreprise », mars 2007) indique que, pour un échantillon de 98 sociétés européennes cotées de premier plan, l'immatériel représente en moyenne 60 % de la valeur de chacune, la valeur cumulée de ce capital s'élevant à plus de 3.000 milliards d'euros (soit davantage que le PIB de la France ou de l'Allemagne). Pour 70 de ces entreprises, la part de l'immatériel représente en moyenne plus de 50 % de la valeur ; dans près des trois quarts des cas (hors banques et assurances), le capital immatériel constitue le principal actif de l'entreprise ; les douze sociétés de l'échantillon pour lesquelles les actifs corporels sont la principale catégorie de leurs actifs s'avèrent exclusivement des entreprises industrielles (les cinq secteurs dans lesquels l'immatériel occupe la plus grande part du capital des entreprises sont la pharmacie, le tabac, le luxe, les médias et loisirs, et les services aux entreprises). Pourtant, l'étude révèle que le bilan de ces sociétés, en moyenne, ne fait apparaître que 36 % de la valeur du capital immatériel. (Sur la valorisation comptable de l'immatériel, cf. infra ) .

* 179 Rapport au Premier ministre, octobre 2003.

* 180 Auditions, respectivement, du 25 avril et du 9 mai 2007.

* 181 Audition du 17 janvier 2007.

* 182 Audition du 17 janvier 2007.

* 183 IGF, rapport de MM. Frédéric Lavenir, Alexandre Joubert-Bompard et Claude Wendling, septembre 2000.

* 184 Le plan gouvernemental de résorption des « zones blanches » doit assurer, au plus tard cette année, la couverture en téléphonie mobile de « deuxième génération » des centres bourgs de 3.000 communes encore non couvertes, ainsi que des axes de transport prioritaires et des zones touristiques à forte affluence.

* 185 On renvoie au rapport d'information n° 6 (2005-2006) du président de la mission commune d'information, Philippe Marini, sur les perspectives d'évolution du marché immobilier et son contexte macroéconomique.

* 186 Le rapport, qui rappelle que La défense constitue le plus grand quartier d'affaires européen, développe trois axes de propositions : développer l'attractivité internationale de La Défense ; accroître l'offre de logements à proximité de La Défense et dans un quart nord-ouest de la région Ile-de-France ; améliorer les infrastructures de transport.

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