N° 384

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2006-2007

Annexe au procès-verbal de la séance du 12 juillet 2007

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur la tutelle du ministère de la culture sur le musée du Louvre , l' Opéra national de Paris , la Bibliothèque nationale de France et la Cité des sciences et de l'industrie ,

Par M. Yann GAILLARD,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis, président ; MM. Claude Belot, Marc Massion, Denis Badré, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Yann Gaillard, Jean-Pierre Masseret, Joël Bourdin, vice-présidents ; M. Philippe Adnot, Mme Fabienne Keller, MM. Michel Moreigne, François Trucy, secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; MM.  Bernard Angels, Bertrand Auban, Mme Marie-France Beaufils, M. Roger Besse, Mme Nicole Bricq, MM. Auguste Cazalet, Michel Charasse, Yvon Collin, Philippe Dallier, Serge Dassault, Jean-Pierre Demerliat, Eric Doligé, André Ferrand, Jean-Claude Frécon, Yves Fréville, Paul Girod, Adrien Gouteyron, Charles Guené, Claude Haut, Jean-Jacques Jégou, Alain Lambert, Gérard Longuet, Roland du Luart, François Marc, Michel Mercier, Gérard Miquel, Henri de Raincourt, Michel Sergent, Henri Torre, Bernard Vera.

AVANT-PROPOS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

Principales recommandations de votre rapporteur spécial

Cette mission de contrôle a été menée pour répondre aux questions suivantes : les grands établissements publics culturels sont-ils des instruments de la politique culturelle , ou des entités autonomes , définissant elles-mêmes leurs priorités culturelles ? Existe-t-il encore une politique culturelle nationale , quand plus de la moitié des moyens humains et financiers du ministère de la culture transite par les établissements publics ?

Aux termes de l'enquête, votre rapporteur spécial recommande de rationaliser la tutelle du ministère de la culture, et d'impliquer dans son exercice les responsables des programmes de la mission « Culture ». Pour cela, les établissements publics culturels doivent être assimilés à des opérateurs principaux de la mission précitée. Il est essentiel que des contrats de performances soient établis entre eux et le ministère

Le ministère de la culture compte 78 établissements publics (EP), deux fois plus qu'il y a vingt ans.

Ils emploient 20.000 agents, et consomment 40 % de crédits. Certains sont d'un prestige considérable, l'Opéra, le Louvre, la Bibliothèque nationale de France (BnF). S'agit-il de puissances autonomes, ou d'instruments au service du ministre ? Cette question, le ministère des finances et le ministère de la culture se la sont posée (cf. rapport Coppinger-Dupuis 1 ( * ) ).

I. CONSTATATION FONDAMENTALE : LE MINISTÈRE DE LA CULTURE N'A PAS REVU SON ORGANISATION EN FONCTION DE LA LOLF

A l'origine, il y avait confusion entre gestion et tutelle , des directeurs des administrations centrales étant présidents d'EP (un exemple de cette confusion subsistait encore récemment entre la Délégation et le Centre national des Arts plastiques).

Avec les grands travaux du président François Mitterrand, sont apparus un nouveau dimensionnement et une nouvelle génération de responsables.

Au titre du ministère de la culture, la tutelle financière est désormais exercée par la direction générale de l'administration (DAG), concurremment avec ses tâches horizontales (gestion immobilière et statuts des personnels). La tutelle sectorielle, « tutelle métier », est éparpillée entre des directions sectorielles beaucoup plus faibles que les EP qu'elles sont censées contrôler .

Votre rapporteur spécial note surtout que l'apport principal de la LOLF, le pilotage de la performance, n'a pas été intégré à cette tutelle technique (bien que le ministère de la culture ait su conduire sa propre politique de performance en tant qu'administration centrale).

Alors que la direction du budget a créé une mission « opérateurs et tutelles », et la DAG, parallèlement, un bureau des opérateurs nationaux, on constate que les responsables de programmes de la mission « Culture » sont absents de la tutelle des opérateurs : or le Louvre représente 18 % du programme « Patrimoines » et la BnF 12 %, l'OnP 22 % du programme « Création ». Les EP n'ont de contact qu'avec les directions sectorielles, qui, à la Culture, n'interviennent pas dans la direction des programmes. Ce devrait être une mission essentielle du nouveau secrétaire général d'opérer de tels « branchements » à l'exemple de celui qui existe déjà pour la Cité des sciences et de l'industrie.

II. L'OPERA NATIONAL DE PARIS

Le bilan artistique de la saison 2004-2005 de l'OnP est brillant : 750.000 spectateurs, dont 10 % de non-résidents, 450.000 visiteurs et 350 représentations.

Après une saison déficitaire, en 2003 (11 millions d'euros), l'équilibre budgétaire a été rétabli en 2007. M. Gérard Mortier, directeur de l'OnP, a décidé, de son propre chef, d' augmenter le prix des places de 10 % tout en créant des places debout pour les jeunes (à 5 euros). Il va de soi que l'équilibre financier de l'Opéra repose sur le soubassement considérable de l'aide publique, qui correspond à 57 % des charges de fonctionnement et 46 % des charges d'investissement... chaque place d'opéra coûte 100 euros à l'État. Mais quelle grande scène lyrique dans le monde peut se passer d'un pareil soutien ?

Comment fonctionne « la tutelle » pour cet établissement public culturel ? C'est plutôt d'une codirection budgétaire qu'il s'agit. Le rapport de M. Hugues Gall refusait le contrôle a priori des dépenses, et appelait à un dialogue de gestion. Il en résulte que le contrôle a priori est limité aux seuls contrats de personnel supérieurs à 50.000 euros, et que le rôle du contrôleur d'État est surtout un rôle d'expertise et d'audit. Ce dialogue a lieu directement avec « Bercy », c'est-à-dire le ministère de l'économie, des finances et de l'emploi. La préparation du budget primitif donne lieu à 16 réunions par an, le conseil d'administration est « doublé » d'un comité financier, qui précède chacune des ces quatre réunions annuelles. Le rôle du ministre de la culture est plutôt celui d'un « avocat » que d'un « cotuteur » ; mais le vrai patron, le ministre des finances, laisse une autonomie stratégique au directeur de l'OnP. Pourrait-il en être autrement ? Une saison lyrique se prépare 3 ans à l'avance. Le marché des grands interprète est limité, hautement spéculatif et nécessite une grande compétence. Le marché des directeurs d'opéra ne l'est pas moins, il faut savoir assumer 120 métiers techniques et artistiques pour contribuer à ce miracle permanent qu'est une saison réussie. Tel est style très particulier d'une « tutelle », qui laisse en fait de grands problèmes sans solution tels que le régime des retraites du personnel et surtout les investissements à venir qui sont gigantesques.

Il est d'autant plus étonnant dans ce contexte que les outils modernes de la tutelle, cahier des charges et contrat de performances , n'aient pas été établis , et que la tutelle fonctionne encore, sur la base du talentueux rapport Gall, et d'une sorte de « gentlemen's agreement » avec un directeur qui n'a pu hélas ! être prolongé, et dont le remplaçant a déjà été nommé, comme il est d'usage avant la fin du mandat.

Un projet de contrat de performances a été préparé par l'OnP . Il analyse les « atouts magiques » de l'établissement, et ses handicaps (déficit d'investissement, fragilité technologique, risque de déficit budgétaire, accroissement de la concurrence à Paris, avec le théâtre du Châtelet, le théâtre des Champs Elysées, l'Opéra comique). Quand ce contrat sera-t-il étudié ? Quand une tutelle conforme à la loi organique se subsistera-t-elle à cette pratique à l'anglaise ? M. Gérard Mortier étant, l'an prochain, en fin de mission cela dépendra beaucoup de la confiance accordée à son successeur, M. Nicolas Joël.

III. LE MUSÉE DU LOUVRE

Les ressources propres s'élèvent à 73,9 millions d'euros , dont 44,3 millions d'euros liés à la fréquentation du public. La subvention de l'État représente 60 % du compte de résultats de l'établissement. Pour les investissements, elle est passée à 66 % en 2006, et devrait être ramenée à moins de 64 % en 2007 , pour tenir compte des produits flatteurs du mécénat (cf. les travaux de la galerie d'Apollon, entre autres).

Le musée du Louvre est opérateur de l'action 3 du programme 175 « Patrimoines » de la mission « Culture » et du programme 186 de la mission « Recherche  et enseignement supérieur » (au titre des fouilles du site de Saqqarah). En tant qu'opérateur, il participe aux objectifs du programme 175, en matière de récolement, d'ouverture des salles, et d'accueil du public, notamment du public jeune qui devrait atteindre 20 %.

A la différence de l'Opéra, la tutelle a fait l'objet, entre le Louvre et le ministère, d'un contrat d'objectifs et de moyens . Les objectifs et les indicateurs de programme sont clairs. Le président du Louvre a obtenu une réelle autonomie de gestion , et la gestion du personnel lui a été transférée. Le contrat de performances a été signé par le président du Louvre et le ministre de la culture le 11 juillet 2006 pour les années 2006-2008. Il s'appuie sur quatre objectifs forts (accessibilité, politique scientifique en liaison avec les institutions nationales, protection du patrimoine, et modernisation de la gestion, grâce à une batterie d'indicateurs).

Le contrat retient également trois projets stratégiques :

- la création du département des arts de l'Islam , dont votre rapporteur spécial a visité le chantier impressionnant qui s'est ouvert dans la Cour Visconti. Le coût de ces travaux s'élève à 68,78 millions d'euros , dont seulement 20 millions d'euros à la charge du ministère de la culture, ce qui implique un effort considérable de mécénat ;

- l'antenne permanente du musée du Louvre à Lens , dont le conseil régional est maître d'ouvrage ;

- le projet Pyramide (soit 70 millions d'euros ), vise à donner une échelle cohérente à la fonction d'accueil et supprimer les files d'attente à l'entrée du musée.

Le contrat comporte un engagement réciproque de l'État : ne pas effectuer de « régularisation » sur les subventions, et de l' établissement : s'engager à une « gestion autonome et responsable », sans recours automatique à l'État en cas de déficit. C'est un accord entre hautes parties contractantes, qui comprend une définition précise des priorités de politique culturelle assignées à l'EP.

Par ailleurs, on assiste à la disparition de deux acteurs, pourtant, membres du conseil d'administration du musée, - la direction des musées de France , nettement et même violemment récusée par le président du Louvre, et la réunion des musées nationaux (RMN). Cette dernière, est abandonnée avec « ses petits musées de province » dont la DMF se fait volontiers l'avocate. Le musée du Louvre versait 45 % de ses recettes de billetterie à la RMN et s'insurgeait contre ses déficits croissants. Le rapport de M. Guillaume Cerruti, au nom de l'inspection générale des finances, en 2001, a mis en évidence l'affaiblissement de la RMN. Le « décroisement » des financements des musées nationaux a été organisé en 2003. Les musées gardent les recettes de billetterie tout en justifiant au premier euro la subvention de l'État. Le Louvre pourra donc, compte tenu aussi du mécénat, consacrer 35 millions d'euros aux acquisitions, contre 7,2 millions d'euros pour l'ensemble des musées nationaux au temps de la mutualisation des recettes par la RMN. En outre, la « compétence nationale » est en fait transférée au musée, y compris pour ses expositions et publications. L'aura de la RMN ne dépasse plus guère les galeries nationales du Grand Palais.

Et si la RMN était intégrée à la grande direction patrimoniale, la direction de l'architecture et du (ou des) patrimoine(s) (DAPA), est-on tenté de dire ?

D'ailleurs, si les choses se passent bien, tout va changer avec le contrat d'Abou-Dabi, qui consacre l'émergence diplomatique du Louvre.

Le 6 mars 2007, la France et les Emirats Arabes Unis ont signé un accord « bouleversant », visant à la création d'un musée universel de 24.000 m², dont 2.000 m 2 pour des expositions temporaires. Une personne morale de droit français, l'Agence internationale des Musées de France, définira le projet, assistera le maître d'ouvrage, et contribuera à la constitution des collections. La France présentera là-bas des objets tirés des siennes propres. Les contreparties financières sont gigantesques : 164,5 millions d'euros sur 30 ans pour l'Agence , 195 millions d'euros sur 10 ans aux musées qui contribueront aux expositions temporaires, autant pour les expositions permanentes. Enfin et surtout l'utilisation du nom du « Louvre » vaudra au musée 400 millions d'euros sur 15 ans. De telles sommes seront-elles bien réservées au prêteur prestigieux, qui met en gage son nom, voire son âme ? L'État ne sera-t-il pas tenté de récupérer une part de « ce pactole » ? Notre commission des affaires culturelles a organisé deux auditions, celle du président Henri Loyrette, l'audacieux promoteur du projet, et celle de Mme Françoise Cachin, chef de l'opposition muséale. Votre rapporteur spécial a eu l'honneur d'y être invité. Il y fut un auditeur passionné.

IV. LA BIBLIOTHEQUE NATIONALE DE FRANCE

Comment s'exerce la tutelle sur la BnF ? Au temps où la Bibliothèque nationale dépendait du ministère de l' éducation nationale , elle était des plus légères , on parlait alors de « splendide isolement ». Il en reste encore quelque chose, bien que la direction du livre et de la lecture (DLL) ait à coeur de suivre l'activité de l'établissement, en liaison avec la direction des archives et celle des bibliothèques universitaires, et, bien entendu, celle du budget. Une fois encore, on constate que la direction sectorielle, dispose du budget opérationnel de programme, sans qu'intervienne la DAPA, direction programmatique. Bien entendu les deux directions de tutelle « culture », DLL et DAG, participent aux comités importants de pilotage informatique et de l'immobilier.

Il n'existe actuellement ni contrat d'objectifs et de moyens, ni contrat de performances approuvé par le ministre. Les indicateurs de performances, pièces essentielles d'une tutelle digne de ce nom, sont le fait de l'établissement lui-même.

Le contrat de performances « interne » comporte des orientations inévitables, et d'autres qui relèvent d'un choix autonome sur le projet de Bibliothèque numérique européenne.

L'ancien président de la BnF, M. Jean-Noël Jeanneney, s'était fixé des objectifs louables : la lutte contre Google et la défense de la langue française, dont on ne sait s'ils seront poursuivis. D'autres sont incontournables. Le « projet Richelieu », notamment, établi en liaison avec l'établissement public de maîtrise d'ouvrage culturel, l'EMOC, et avec l'Institut national d'histoire de l'Art (INHA), est indispensable à la sauvegarde des collections spécialisées, et à leur ouverture au public. Peut-être manque-t-il, toutefois, un axe « recherche ». Néanmoins, il semble que la BnF ait « fait de son mieux » pour compenser un relatif état de délaissement , dont on comprend mal les raisons, et dont il faut souhaiter la fin . La « bonne volonté » de la direction du livre et de la lecture ne suffit pas, pas plus que ses perspectives de réformes internes (fusion de la DLL et du Centre national du livre) pour mieux asseoir cette « direction naine sur les épaules du géant BnF ».

La BnF, au temps du président Jeanneney était en état d'auto-tutelle . La vision était là, mais soit par manque de moyens, soit par mutisme des autorités ministérielles, les deux dossiers majeurs dont dépend l'avenir de la BnF sont encore ouverts. L'aménagement du quadrilatère Richelieu, qui pose de redoutables problèmes de sécurité, se heurte aux divergences entre la culture et l'éducation nationale. Et la politique de numérisation, qui est la priorité de l'avenir, ne permet guère de traiter plus de 100.000 livres par an. C'est un gros progrès, mais est-ce suffisant ?

A la différence de l'Opéra et du musée du Louvre, la BnF souffre évidemment d'une faiblesse quasi insurmontable : elle n'a rien à vendre...

V. LA CITE DES SCIENCES ET DE L'INDUSTRIE

Cet établissement récent a deux tuteurs , le ministère de la recherche depuis l'origine et le ministère de la culture, qui s'est substitué au ministère de l'industrie, en 1998. Sa tutelle fonctionnelle, côté Culture, relève de la délégation au développement et aux affaires internationales (DDAI), rattachée au secrétaire général. La CSI est opérateur de l'action 3 du programme 186 (mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur »).

Le contrat de performances donne des indications très positives (stabilité de la subvention de fonctionnement de l'État, maîtrise des effectifs et de la masse salariale, maîtrise des charges de fonctionnement grâce à un contrôle de gestion rigoureux et une optimisation des actions, montée en puissance des instruments cofinancés par l'État et le mécénat privé).

A l'heureuse différence des autres établissements culturels, la direction centrale responsable de l'exercice de la tutelle est également gestionnaire du programme de rattachement de l'opérateur (et non du seul budget opérationnel de programme).

Curieusement, la cotutelle du ministère de la recherche semble en retrait par rapport à celle du ministère de la culture ne serait-ce qu'en raison du retard dans le versement des subventions d'investissement (2 millions d'euros sur les 9 millions d'euros nécessaires). Peut-être la réussite de la tutelle culturelle tient-elle au fait que la DDAI, nouvelle venue est étrangère aux « grandes directions » culturelles traditionnelles, littéraires ou artistiques du ministère.

Tranchons le mot : c'est une grande réussite . 60 millions de visiteurs depuis 20 ans, un plan d'investissement de 65 millions d'euros pour les deux prochaines années, qui permettra de remédier au vide de la quatrième travée (40 à 50 millions d'euros d'investissements nécessaires, à obtenir peut-être de concessions commerciales). Au cours de sa visite, votre rapporteur spécial a recueilli une expression qui l'a beaucoup frappé, s'agissant de la tutelle, celle d'une « heureuse indifférence ». Dès lors qu'elle s'appuie sur de solides résultats , elle correspond peut-être à un idéal collectif ?

La Cité des sciences et de l'industrie est à l'origine d'un rapprochement avec d'autres établissements scientifiques qui ne dépendent pas du ministère de la culture : le musée des Arts et métiers, le Muséum d'Histoire naturelle et le Palais de la découverte, dont nous a parlé notre collègue, Philippe Adnot dans un rapport critique 2 ( * ) . L'hypothèse a été plusieurs fois évoquée d'un rattachement de ce dernier à la Cité des sciences, qui ne semble pas demandeuse.

INTRODUCTION

Les premiers établissements culturels nationaux ont été créés sous l'Ancien Régime , qu'il s'agisse par exemple de la Bibliothèque royale, de l'Académie royale de peinture et de sculpture, ou encore de la Manufacture royale des tapis et tapisseries des Gobelins. Il n'est pas un monarque, pas un régime républicain, impérial, ou royal qui n'ait contribué à la multiplication progressive des établissements culturels nationaux.

Ainsi la Révolution et le Premier Empire furent-ils marqués par la création du Muséum central des arts, du Conservatoire de musique, de la Comédie-Française ou encore des Archives nationales. La III ème République fut également un temps fort de création et de modernisation des établissements culturels nationaux existants. Ont été créées la Réunion des musées nationaux ainsi que la Caisse nationale des monuments historiques, à titre d'exemples. C'est sous la IV ème République que le Centre national de la cinématographie a été fondé.

Au début de la V ème République , lorsqu'André Malraux accepta de gérer la mise en place d'un ministère de plein exercice dédié aux affaires culturelles, un nombre important d'institutions culturelles avait d'ores et déjà été érigé en établissement public. A leurs côtés, existaient également de nombreuses structures culturelles nationales dont le statut n'était pas encore définitif mais qui leur permettait déjà une autonomie fonctionnelle relative.

Désormais, l'examen, même rapide, des moyens tant institutionnels, qu'humains ou financiers, dont dispose le ministère de la culture pour conduire et mettre en oeuvre la politique culturelle de l'État, démontre la place prépondérante des établissements publics culturels . Si l'on examine les subventions attribuées par le ministère de la culture, il apparaît évident qu'il soutient de manière constante et décisive de nombreuses institutions, qui tout en relevant parfois du droit privé, développent des actions d'intérêt général, aux portes du service public, assimilables à la politique culturelle elle-même. L'essentiel de ces institutions est composé d'établissements publics.

Le ministère de la culture et de la communication assure aujourd'hui la tutelle de 78 établissements publics . Ce nombre a doublé en 20 ans . Ces établissements captent 40 % des crédits du ministère , emploient 22.000 équivalents temps pleins et jouent un rôle crucial dans la mise en oeuvre de la politique culturelle française 3 ( * ) .

Là se trouve sans doute la question essentielle. Les établissements publics culturels contribuent-ils à la politique culturelle définie par le ministère ou mènent-ils une politique culturelle autonome ? Sont-ils des instruments , le bras armé d'une administration centrale, ou bien des partenaires autonomes voire totalement indépendants de leur ministère ?

C'est pour répondre à cette question que votre rapporteur spécial a mis en oeuvre un contrôle sur l'exercice de la tutelle du ministère de la culture sur quatre grands établissements publics culturels : le musée du Louvre, l'Opéra national de Paris (OnP), la Bibliothèque nationale de France (BnF) et la Cité des sciences et de l'industrie (CSI) . Ce contrôle, qui a été diligenté lorsque M. Renaud Donnedieu de Vabres exerçait les fonctions de ministre de la culture, s'est exercé selon les modalités prévues par l'article 57 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF).

I. L'EXERCICE « NORMÉ » DE LA TUTELLE

A. LA NATURE DE L'ÉTABLISSEMENT PUBLIC A DES CONSÉQUENCES LÉGALES

1. Les principales caractéristiques des établissements publics

Rappelons que les principales caractéristiques d'un établissement public sont les suivantes :

- il dispose de la personnalité morale , ce qui en fait un service public distinct de l'État ;

- son champ de compétence et sa mission sont définis par son statut , selon le principe de droit public dit de spécialité ;

- il est autonome financièrement . Il a un budget propre . Il n'est pas soumis aux mêmes règles que celles qui s'imposent au budget de l'État. Le montant de la subvention publique perçue et celui des ressources propres de l'établissement public déterminent des degrés d'autonomie financière plus ou moins élevés ;

- il est soumis à la tutelle de l'État . Cette tutelle est technique , et se traduit par un contrôle renforcé de certains actes de l'établissement, tels que la gestion de son budget . Cette tutelle peut être assurée par plusieurs ministères, soit en l'occurrence le ministère de la culture et de la communication et le ministère du budget . Certains établissements publics sont également placés sous la tutelle d'un autre ministère en raison de leur spécialité.

2. La distinction entre l'établissement public administratif et l'établissement public industriel et commercial

Rappelons que l'on distingue les établissements publics administratifs (EPA) des établissements publics industriels et commerciaux (EPIC). Cette distinction emporte des effets essentiels dans quatre domaines : le droit applicable et la juridiction compétente pour en constater l'application, le régime financier et comptable de l'établissement, le régime de tutelle et de contrôle et enfin le statut du personnel.

S'agissant du régime financier, budgétaire et comptable , les établissements publics administratifs établissent un budget propre , selon des règles analogues à celles qui s'appliquent au budget de l'État , alors que les établissements industriels et commerciaux gèrent un état annuel de prévisions de recettes et de dépenses . Pour les EPA, les crédits inscrits sont limitatifs , pour les EPIC, ils sont évaluatifs .

Le statut du personnel diffère grandement entre EPA et EPIC. Dans les EPA, le personnel est normalement composé d'agents de droit public , dans les EPIC seuls le directeur et le comptable ont cette qualité, le reste du personnel étant soumis au droit du travail en qualité d'agent privé .

S'agissant de la tutelle , elle s'exerce par un contrôle a priori sur les actes essentiels en ce qui concerne les EPA. Pour les EPIC, elle est souvent moins contraignante et s'opère habituellement par l'entremise d'un commissaire du gouvernement , parfois a posteriori .

* 1 Rapport d'audit de modernisation n° IGF 2006-M-080-01 et n° IGAC 2006-051 sur la tutelle et le pilotage des opérateurs au ministère de la culture, de Mme Nathalie Coppinger, inspectrice générale des finances, Mlles Mélanie Joder et Charlotte Leca, inspectrices des finances et M. Jean-Sébastien Dupuit, inspecteur général des affaires culturelles.

* 2 Rapport d'information n° 354 (2006-2007) du 27 juin 2007, « Le Palais de la découverte : un condensé de dysfonctionnements administratifs et politiques ».

* 3 Selon le rapport d'audit de modernisation n° IGF 2006-M-080-01 et n° IGAC 2006-051 sur la tutelle et le pilotage des opérateurs au ministère de la culture, de Mme Nathalie Coppinger, inspectrice générale des finances, Mlles Mélanie Joder et Charlotte Leca inspectrices des finances et M. Jean-Sébastien Dupuit, inspecteur général des affaires culturelles.

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