B. UNE TUTELLE AU CARACTÈRE TROP FINANCIER ?

1. Un statut financier particulier

Le cahier des charges de l'Opéra national de Paris prévoit un contrôle a posteriori des dépenses . Le contrôleur d'État ne connaît a priori qu'une sorte de dépenses : les contrats de personnel dont le montant est supérieur à 50.000 euros . Dans ce contexte le contrôleur d'État a plutôt un rôle d'expertise , d'audit et d'analyse des comptes.

Rappelons que cette situation exceptionnelle est la solution exceptionnelle à une crise profonde que connaissait l'Opéra au début des années 90, qui a été résolue, lorsque M. Hugues Gall a été appelé à prendre la direction de l'établissement public.

C'est lui qui a proposé la remise à plat du suivi budgétaire et comptable de l'établissement par ces tutelles , comme le montre l'encadré ci-dessous.

Une remise à plat du suivi budgétaire et comptable de l'établissement par les tutelles, et un retour à l'orthodoxie du contrôle d'État

La situation financière catastrophique de l'Opéra de Paris se conjugue paradoxalement avec des contrôles financiers particulièrement nombreux , fruits de l'arrêté du 26 mars 1991 qui, revenant sur le principe posé par les décrets statutaires depuis 1978, substitue pour l'essentiel des dépenses un contrôle financier a priori au contrôle d'État a posteriori .

Ce paradoxe n'est qu'apparent. En effet, l'existence d'un contrôle a priori très strict concourt, à plusieurs titres, à accroître les difficultés de gestion de l'établissement . Elle déresponsabilise les services de l'opéra, et fait obstacle à la mise en place d'outils de gestion susceptibles de fournir à la tutelle des repères permettant d'alimenter le dialogue budgétaire et de fonder sur des bases rationnelles le contrôle de l'établissement.

En l'absence de telles données, le contrôle a priori induit une dramatisation de toutes décisions financières sous une contrainte de court terme, et entraîne le recours fréquent à des arbitrages politiques qui ont pesé d'un poids important dans la dérive budgétaire de l'établissement.

Les relations avec la tutelle ne peuvent reposer que sur la mise en place d'un suivi de gestion, reposant sur des données intelligibles pour tous, qui passe par la réorganisation du contrôle de gestion à l'intérieur de l'établissement et par la mise en place d'un règlement financier qui fait défaut aujourd'hui.

En revanche, un redressement énergique de la situation de l'établissement est incompatible avec le maintien d'un contrôle a priori sur ses dépenses, dont aucun professionnel compétent ne s'accommodera, et ce d'autant moins qu'il s'ajouterait, en l'espèce, au contrôle exercé sur la dépense par le comptable public. Comme l'a relevé la Cour des Comptes dans son dernier rapport sur l'Opéra, un tel contrôle constitue une anomalie préjudiciable à la gestion d'un établissement public à caractère industriel et commercial.

Il est donc indispensable d'en revenir, sur tous ces points, à l'orthodoxie des établissements publics industriels et commerciaux, telle qu'elle découle notamment du décret de 1962 sur la comptabilité publique.

L'établissement de relations de confiance avec la tutelle doit toutefois s'ancrer dans un dialogue de gestion affranchi des limites qu'imposent le cadre solennel du conseil d'administration et l'étendue des compétences que celui-ci est appelé à exercer en un temps limité. Aussi le projet de statut annexé au présent rapport prévoit-il l'institution d'un comité financier regroupant les principaux interlocuteurs de la tutelle et de l'établissement. Il se réunirait tous les deux mois, et enrichirait le suivi de gestion sans lequel le contrôle d'État perd beaucoup de sa substance, et les relations de l'État et de l'établissement public une part de leur sérénité.

Source : extrait du rapport de réflexion et de propositions sur l'Opéra de Paris présenté au ministre de la culture et de la francophonie par M. Hugues Gall

Conformément aux préconisations du rapport, le statut de l'OnP a été simplifié , le projet artistique a été renforcé , la subvention de l'État a été rebasée , en tenant compte de l'accroissement de la masse salariale et en prévoyant une augmentation annuelle régulière de l'ordre de 3 %, correspondant à l'augmentation mécanique de la masse salariale permanente de l'établissement public. L' assainissement attendu de la situation financière a été au rendez-vous.

2. Seize réunions financières annuelles

Au terme de ses investigations, votre rapporteur spécial a appris que la préparation du budget primitif de l'établissement public et le suivi de sa gestion donnaient lieu à 16 réunions par an. On pourrait en conclure que l'État a choisi d'exercer cette tutelle par un certain formalisme budgétaire et financier .

Rappelons qu'en plus de son conseil d'administration, les orientations de l'OnP sont étudiées et suivies dans le cadre d'un comité financier réunissant le président, le directeur de l'établissement, le directeur de la musique de la danse, du théâtre et des spectacles, le directeur de l'administration générale et le directeur du budget ou leurs représentants, le contrôleur général économique et financier et l'agent comptable.

L'Opéra national de Paris tient quatre conseils d'administration par an, en avril, en juin, en septembre, et en novembre  Chacun d'entre eux correspond à une échéance budgétaire précise, il est préparé par une réunion du comité financier précité. Avant chacune des réunions du comité financier se tiennent des réunions avec chaque ministère de tutelle .

Il apparaît sans surprise que c'est au cours de ces dernières réunions que les décisions sont préparées. Il ressort du contrôle mené par votre rapporteur spécial que le ministère de la culture serait assez souvent « l' avocat de l'Opéra national de Paris » auprès du ministère du budget, autorité de décision ultime , placée sous la surveillance du cabinet du Premier ministre. L'intervention des plus hautes instances de la République ne doit pas étonner lorsque l'on sait que l'OnP représente 20 % des crédits du spectacle vivant en France et la moitié du budget de la musique .

3. Un suivi financier minutieux et justifié, mais limité

Il a été indiqué à votre rapporteur spécial, que la subvention de l'État versée à l'OnP devait couvrir la masse salariale , que les dépenses de production devaient être couvertes par les recettes du box-office (47 millions d'euros) et que tous les frais de costumes et de décors devaient être couverts par les recettes de mécénat .

Pour arriver à cet équilibre, le prix des places a été augmenté de 10 % 6 ( * ) par M. Gérard Mortier, directeur de l'Opéra national de Paris actuellement en exercice, et dans le même temps, un très important effort à été fait en direction du mécénat , qui a permis de doubler les recettes de l'établissement. Elles sont ainsi passées de 2,5 à 5 millions d'euros .

Avant d'arriver à cet équilibre, l'Opéra national de Paris a toutefois traversé des moments critiques. En 2003, le déficit atteignait 11 millions d'euros 7 ( * ) soit 10 à 15 % du budget . Le ministère de l'économie, des finances et de l'emploi pensait que le déficit était structurel et voulait imposer un plan de redressement financier à l'établissement public. Le ministère de la culture s'est opposé à cette solution. De 2004 à 2006, les comptes ont été rétablis rapidement, le compte financier a été voté à l'équilibre en 2007 .

Le caractère particulier de la programmation de l'Opéra national de Paris implique de prévoir les saisons lyriques trois ans à l'avance , afin de s'assurer de la participation des meilleurs chanteurs. Votre rapporteur spécial a appris, au cours de son enquête, que le ministère de l'économie, déjà prévenu de la situation financière de l'établissement public, montrait quelques réticences face à ce fonctionnement, commun à tous les grands opéras européens. Rappelons à ce sujet que l'Opéra national de Paris a un rapport qualité-prix exceptionnel, il est l'opéra le moins cher et le plus populaire d'Europe. La subvention versée par l'État pour une place d'opéra est de 100 euros à Paris, contre 300 euros pour un opéra en province. Cela tient au formidable dynamisme de l'Opéra national de Paris et à son prestige, qui lui permettent d'attirer des dons de mécènes conséquents.

Pour autant, il est évident que le salaire des grandes stars est une dépense artistique difficile à cadrer , et il est logique que les tutelles soient attentives à l'évolution de ce type de dépenses.

Toutefois, cette vision financière semble insuffisante , et la limite de l'exercice apparaît d'ailleurs lorsque votre rapporteur spécial fait la synthèse des exigences de la tutelle à l'égard de l'Opéra national de Paris. Si les problématiques financières ne sont pas ignorées, la mission confiée à l'Opéra porte sur la création, l'innovation, la formation des danseurs et les chanteurs, la création d'emplois d'intermittents et la réalisation d'une ambition forte en matière de fréquentation du public le plus large possible. Le cabinet du ministre de la culture estime que le caractère extraordinairement technique (120 métiers techniques artistiques sont recensés à l'opéra) des productions lyriques justifie une « gestion concertée » plutôt qu'une tutelle stricto sensu .

Si cet argument peut s'entendre, il est toutefois plus étonnant de constater, alors que le suivi budgétaire et financier est si précis, et le cabinet comme l'administration du ministère de la culture sont concordants sur ce point, que la décision d'augmenter les tarifs des places d'opéra était un choix tout à fait autonome de l'établissement public.

Cette décision était pleinement justifiée par la situation financière de l'Opéra national de Paris, mais on ne peut que constater que le ministère de la culture, n'a pas été instigateur de cette réforme, pas plus que le ministère de l'économie.

* 6 Rappelons que cette augmentation du prix des places a été compensée par la création de billets à cinq euros, qui sont un réel succès et ont permis à un public aux moyens modestes d'accéder à l'Opéra.

* 7 Ce déficit s'explique par des augmentations salariales négociées en 2000 à l'issue de longues grèves qui avaient largement réduit les recettes de l'Opéra national de Paris. La subvention de l'Etat n'avait pas été rebasée pour prendre ces nouvelles dépenses en compte.

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