II. PRÉSENTATION DE L'ÉTUDE
Réuni à l'Assemblée nationale le mercredi 9 avril 2009, sous la présidence de Nicolas About, sénateur , vice-président , l'office parlementaire d'évaluation des politiques de santé a tout d'abord entendu la présentation de l'étude scientifique conduite par le centre national de l'expertise hospitalière (CNEH).
Gilles Poutout, directeur délégué du centre national de l'expertise hospitalière (CNEH), a fait valoir que l'on parle aujourd'hui plus de santé mentale que de psychiatrie au niveau international. L'organisation mondiale de la santé (OMS) a choisi cette terminologie dans un rapport de 2001 qui fait de la psychiatrie un sous-ensemble de la santé mentale afin de privilégier les alternatives à l'enfermement et les soins de premier recours. Un livre vert de l'Union européenne a indiqué, en 2005, que la première cause de morbidité en Europe en 2020 serait la dépression. Le plan psychiatrie et santé mentale 2005-2008 a pris en compte ces rapports et cherché à décloisonner les soins. D'autres plans se combinent avec ce plan, notamment sur la maladie d'Alzheimer et sur l'autisme.
Pour ce qui concerne la prévalence des troubles psychiatriques en France, la schizophrénie toucherait 635 000 personnes, ce qui placerait le pays dans la moyenne, le Canada étant le pays le moins atteint et la Finlande le plus touché. 26 000 jeunes de quinze à vingt-cinq ans seraient concernés. On estime à 3 000 le nombre de suicides de schizophrènes par an et un tiers des malades sont placés en institution. La dépression affecterait cinq millions de personnes et serait la première cause de suicide, soit six mille à sept mille cas par an. On estime à 44 % le nombre de dépressifs qui n'ont pas accès aux soins. Les troubles bipolaires toucheraient 750 000 personnes, avec des conséquences en matière de désocialisation et d'abus de substance. Enfin, 6 % des personnes auraient été victimes d'un épisode de troubles anxieux. L'abus d'alcool - la France est au troisième rang mondial pour la consommation, derrière le Luxembourg et l'Islande - est particulièrement préoccupant, surtout chez les jeunes, la consommation de drogues étant relativement stable - une centaine de morts par an - tout en se « démocratisant ».
S'agissant des populations les plus fragiles, on compte 650 000 handicapés mentaux en France, dont près de 10 % sont pris en charge à temps plein. La démence touche 860 000 personnes et pourrait en concerner 2,1 millions en 2040 avec l'allongement de la vie. Au-delà de l'âge de quatre-vingt-cinq ans, 15 % de la population seraient touchés par la maladie d'Alzheimer. Les adolescents sont une population particulièrement à risque : on constate parmi eux 40 000 tentatives de suicides par an et une prévalence plus forte des troubles du comportement alimentaire. Par ailleurs, on dénombre 350 000 à 600 000 autistes - trois ou quatre garçons pour une fille - tandis que 25 % des détenus présenteraient des troubles mentaux et 80 % auraient souffert d'un trouble psychiatrique pendant leur détention. Enfin, il ne faut pas négliger les nombreuses pathologies émergentes, dont les cyberaddictions, et rappeler que 8 % de la population française a fait une tentative de suicide au cours de sa vie.
Du côté de l'offre de soins, il existe 817 secteurs en psychiatrie générale publique en 2003, et un peu moins de 130 000 lits et places dont la majorité se trouve dans le secteur public. Ils prennent en charge 1,2 million de personnes par an. On relève que 25 % des lits sont occupés par des patients dont le séjour est supérieur à un an. On compte près de 2 000 centres médico-psychologiques en France ; pivots de la prise en charge, ils sont toutefois très inégaux en moyens et en accessibilité. Le secteur privé, composé de 160 cliniques, assure le suivi des pathologies moins lourdes. Au total, près de 80 % des patients sont pris en charge en soins ambulatoires.
Il y a près de 14 000 psychiatres en France dont un peu moins de la moitié exerce à titre libéral. Leur répartition territoriale est très inégale : elle va de 1,8 psychiatre pour 100 000 habitants dans le Pas-de-Calais à 59 pour 100 000 à Paris. L'articulation avec les médecins généralistes est mal assurée : 50 % seulement des prescriptions en psychiatrie faites par les médecins généralistes sont estimées être adaptées aux besoins ; ce sont pourtant eux qui, souvent, jouissent plus spontanément de la confiance des patients en matière de soins psychiatriques.
En termes de coût des pathologies mentales, la dépression occuperait, selon l'OMS, la troisième place au monde en nombre d'années de vie perdues, avant l'alcool et la maladie d'Alzheimer ; toutes ces maladies se placent, de ce point de vue, avant le cancer du poumon mais 30 % à 40 % des patients ne sont pas diagnostiqués.
Le coût direct médical des pathologies est d'au moins 26 milliards d'euros et on estime que ce chiffre représente 36 % des dépenses totales liées à la maladie mentale ; 15 milliards d'euros sont consacrés chaque année au financement des soins psychiatriques.
Il est particulièrement difficile d'évaluer le coût des soins psychiatriques car l'idée d'une tarification à l'activité psychiatrique a été abandonnée. On envisage désormais d'adopter une validation des activités en psychiatrie.
S'agissant de l'usage des médicaments psychotropes, le phénomène, très français, de surconsommation a été étudié dans un rapport récent de l'Opeps qui a dénoncé le morcellement de l'action des acteurs publics en ce domaine. La recherche est également très dispersée et se fait essentiellement en CHU.
En conclusion, Gilles Poutout a souligné l'intérêt de plusieurs propositions du rapport remis par Edouard Couty à la ministre de la santé et a présenté douze propositions tendant à favoriser le diagnostic précoce et l'information sur la base de données épidémiologiques validées, à mobiliser les acteurs, notamment par la nomination d'un délégué interministériel et la tenue d'états généraux, et à améliorer la formation en matière de psychiatrie.
Alain Milon, sénateur, rapporteur , a considéré que le rapport, essentiellement descriptif, permettait de réduire l'ampleur des incertitudes dans un domaine où les enjeux financiers sont considérables. Il a souhaité connaître les conséquences de la suppression des infirmiers en psychiatrie sur la qualité des soins dispensés et l'importance que peut avoir le développement des réseaux pour la prise en charge des patients. Il a demandé aux experts leur opinion sur les préconisations du rapport d'Edouard Couty. Il s'est interrogé sur l'absence de campagne d'information conduite par l'institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes) en matière de santé mentale depuis celle, contestée, de 2007 sur la dépression. Il s'est enfin enquis des moyens d'assurer une meilleure coordination entre médecins généralistes et psychiatres.
Guy Gozlan, psychiatre à l'hôpital Sainte-Anne et responsable du réseau Prépsy, a fait valoir que les patients ne semblent pas être moins bien soignés depuis qu'ils le sont par des infirmiers ayant reçu une formation généraliste qui permet la prise en charge des comorbidités et des pathologies associées aux troubles mentaux. Il est néanmoins important d'assurer la transmission du corpus de savoir spécialisé concernant les soins infirmiers en psychiatrie, sans doute après le tronc commun d'enseignement.
Concernant la campagne d'information organisée par l'Inpes sur la dépression chez l'adulte, la contestation est moins venue des spécialistes que de différents groupes d'influence. Il est regrettable que leur action ait pu freiner le développement de l'information du public en matière de psychiatrie.
Les médecins généralistes effectuent la moitié des diagnostics des troubles psychiatriques. Mais il ne s'agit que de la partie émergée de l'iceberg : sur dix cas de dépression, on estime que seuls deux seront identifiés puis traités de manière efficace. Il est important de procéder à une déstigmatisation des troubles psychiatriques afin de favoriser l'accès au traitement. On pourra dès lors espérer que des traitements avec des hospitalisations de courte durée pourront être mis en place, puis un suivi organisé qui ne sera pas nécessairement assuré par un psychiatre.
Gilles Poutout a précisé qu'il paraît nécessaire de compléter la formation des infirmiers diplômés d'Etat par la possibilité d'une spécialisation dans les soins psychiatriques, mais pas de substituer une formation à une autre. La délégation des tâches aux infirmiers doit également être développée.
Le rapport d'Edouard Couty a pour axe central l'intégration de la santé mentale dans la santé publique et le décloisonnement de la psychiatrie et des différents types de soins conformément aux préconisations des organisations internationales et européennes et à l'évolution de la recherche.
Il est particulièrement difficile de savoir combien de réseaux sont actuellement organisés dans le domaine de la psychiatrie. On peut en dénombrer quatre-vingts disséminés sous seize identifications différentes et sans possibilité d'avoir des informations sur de nombreuses régions françaises et sur l'outre-mer. C'est face à cette incertitude que le rapport Couty a préconisé d'imposer la création de groupements locaux pour la santé mentale. De nombreuses critiques ont été adressées à cette idée mais les contre-propositions manquent de caractère opérationnel.
D'importants réseaux existent déjà en matière de santé mentale, notamment le réseau Prépsy à Paris et le réseau santé mentale Yvelines-Sud, qui pourraient servir d'exemple.
Il est essentiel de continuer à parler des troubles mentaux pour parvenir à la déstigmatisation de la maladie et à l'information des populations. L'exemple du cancer est illustratif puisqu'il a fallu vingt ans pour parvenir à généraliser le dépistage du cancer du sein.
Guy Gozlan a expliqué que le réseau Prépsy dont il a la charge est plus précisément destiné à favoriser le dépistage précoce de la maladie mentale chez les jeunes de quinze à vingt-cinq ans. Il agit comme interface entre l'hôpital, la médecine générale et l'ensemble des acteurs, y compris les familles et l'éducation nationale. Il faut savoir que le système est extrêmement complexe et qu'il est très difficile de trouver rapidement la personne susceptible de prendre en charge le traitement d'un trouble psychiatrique chez un jeune. Prépsy a pour mission de recenser et d'orienter les malades et leurs proches dans une offre de soins qui est particulièrement dispersée. Il est regrettable que ce type de réseau n'existe pas sur l'ensemble du territoire.
D'une façon générale, les réseaux peuvent constituer une réponse, partielle, à la désertification médicale ou au problème d'implantation des centres experts.
Gilbert Barbier, sénateur, a regretté qu'une place plus importante n'ait pas été faite dans l'étude scientifique à la gérontopsychiatrie. Il a souhaité savoir comment peut être évalué le rôle des psychothérapeutes, notamment leur impact en matière de santé publique et en matière économique, et connaître les réflexions en cours sur les « ordonnances vertes » connues dans certains pays.
Philippe Cléry-Melin, membre du conseil d'experts de l'Opeps , a insisté sur le rôle des infirmiers en psychiatrie, qui sont porteurs d'un savoir-faire technique qui n'a pas trouvé de relais dans la formation des infirmiers diplômés d'Etat. Par ailleurs, les infirmiers en psychiatrie n'ont pas de reconnaissance à l'heure actuelle au niveau européen. L'absence de formation ne suscite pas de vocation chez les jeunes infirmiers pour les postes en hôpitaux et en cliniques psychiatriques, où la charge de travail est importante et moins valorisée que les actes techniques nécessaires au sein d'autres services. Une spécialisation dans le cursus de formation aurait en plus l'intérêt, par le jeu des passerelles, de faciliter la reconversion de personnels qui ne restent plus infirmiers tout au long de leur vie professionnelle, et d'ouvrir leur formation aux sciences humaines.
Il est impératif de développer l'information en matière de troubles mentaux. L'inscription de la santé mentale comme grande cause nationale pour 2010 a été demandée au Président de la République. Il est à noter que, malgré les critiques dont elle a fait l'objet, la campagne de l'Inpes sur la dépression chez l'adulte était bien faite.
Le rapport Couty, en proposant la création de groupements locaux pour la santé mentale, adopte une démarche descendante peu adaptée à l'organisation des soins, et ce d'autant plus que l'existence des réseaux prouve que les professionnels sont volontaires pour s'organiser et adopter une démarche ascendante susceptible d'améliorer sur le terrain la prise en charge psychiatrique.
La gérontopsychiatrie n'a pas été traitée par le rapport alors qu'elle se développe à l'heure actuelle en tant que discipline nouvelle qui n'intègre pas seulement une dimension psychiatrique, mais plusieurs formes de soins.
Il est dommage que le rapport n'aborde pas le handicap psychique qui se distingue du handicap mental, car il n'est pas fixé, et demande un suivi et une prise en charge sanitaires continus. La France est particulièrement en retard en matière de réhabilitation psychosociale et socioprofessionnelle des personnes atteintes de ce handicap. Un problème particulier est celui des personnes handicapées à la charge de leurs parents lorsque ceux-ci vieillissent ou ne peuvent plus assumer leur rôle.
Nicolas About, sénateur, président, a souhaité connaître les conséquences de l'absence de prise en charge de la dépression chez de nombreux malades.
Guy Gozlan a précisé que toutes les formes de dépression ne relèvent pas de la médecine, mais seulement les dépressions sévères qui nécessitent diagnostic, traitement et suivi. Le problème est moins la dépression en elle-même que le fait qu'elle peut être le symptôme d'une pathologie plus profonde du type schizophrénie ou trouble bipolaire. Les comorbidités sont également particulièrement importantes puisqu'elles comprennent le suicide et la surconsommation de médicaments ou de substances addictives.
Gilles Poutout a déclaré que la gérontopsychiatrie relève principalement de la prévention. Il existe d'ailleurs des réseaux organisés sur ce sujet.
Il est particulièrement difficile d'évaluer l'impact des psychothérapies. On sait qu'elles se substituent à des pratiques médicamenteuses mais le cadre de leur action demeure flou et n'est pas remboursé par l'assurance maladie. Il y a déjà eu de nombreux débats sur cette question et il est important que les études ouvrant droit au titre de psychothérapeute répondent à des normes.
Nicolas About, sénateur, président, a indiqué que, dans le cadre de la discussion du projet de loi réforme de l'hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires, il faudra revenir sur la durée des formations des psychothérapeutes.
Guy Gozlan a souligné qu'il n'existe à l'heure actuelle aucun modèle de prise en charge efficace pour les maladies chroniques et qu'il est nécessaire de repenser ceux qui existent mais proviennent d'autres disciplines médicales.
Il faut replacer la psychothérapie dans le cadre de la hiérarchisation des recours aux soins. Dès lors, la psychothérapie est l'une des possibilités de traitement dans un éventail de soins. On sait que l'association de la psychothérapie et d'un traitement médicamenteux est plus efficace que la seule prise de médicaments. Il est en revanche difficile de mesurer l'impact thérapeutique d'une simple psychothérapie.
Concernant les ordonnances dites « vertes », comprenant notamment des médicaments homéopathiques ou phytothérapiques, celles-ci peuvent avoir un rôle en matière de prévention mais n'ont pas de résultat probant quand il s'agit de maladies graves.
Maryvonne Blondin, sénatrice , s'est interrogée sur l'avenir des unités de soins de longue durée (USLD). Par ailleurs, le discours du Président de la République du 2 décembre 2008 à Antony est apparu comme une réaction face à des drames qui ont choqué l'opinion publique. Certains professionnels l'ont ressenti comme un retour aux pratiques asilaires et à l'enfermement. On peut craindre que les hôpitaux ne deviennent des prisons. Néanmoins, il existe des malades dangereux - trois pour huit cents patients dans un établissement de son département - et ceux-ci nécessitent des moyens particulièrement importants en matière de locaux et de prise en charge.
Philippe Cléry-Melin a signalé que le décret destiné à réglementer l'usage du titre de psychothérapeute n'est pas encore paru. La psychothérapie est une part nécessaire des soins en santé mentale et l'université assure chaque année la formation de praticiens nombreux. On estime qu'il y a environ 35 000 personnes qui ne sont ni psychiatres, ni psychologues, mais ont reçu une formation dans des écoles de psychothérapie plus ou moins bien identifiées. C'est pour eux que se pose le problème de reconnaissance.
Nicolas About, sénateur, président, a indiqué que, chez les psychothérapeutes, l'auto-proclamation des compétences est fréquente.
Philippe Cléry-Melin a précisé que la gérontopsychiatrie ne peut pas être réduite uniquement à la question de la prévention. Trois grands types de population sont touchés : les malades chroniques vieillissants que l'âge rend encore plus fragiles et sujets à la dépression, les personnes saines mais âgées victimes d'une décompensation et les personnes atteintes de troubles psychocomportementaux dans le cadre de maladies neurodégénératives.
Gilles Poutout a estimé qu'une évolution est nécessaire même si elle doit être progressive pour les USLD. Concernant les malades dangereux, il ne faut pas que l'arbre cache la forêt et les schizophrènes, par exemple, subissent plus de violences qu'ils n'en créent.
Le plus important, pour faire progresser la prise en charge psychiatrique en France, est de travailler sur des pistes concrètes et donc opérationnelles.