C. LA RÉDUCTION DE LA DETTE PUBLIQUE EST SUSCEPTIBLE D'ENTRAÎNER UNE AUGMENTATION DES DETTES PRIVÉES

En se plaçant en 2007, on pouvait constater que la dette publique avait reculé dans l'Union européenne à 15 et dans la zone euro (à 12) depuis 1996, de 11,3 points de PIB et 7,8 points de PIB respectivement . De leur côté, les dettes des agents privés ont augmenté dans de très fortes proportions ( + 40 points de PIB depuis 1999 ).

Il serait exagéré de retenir une causalité unique entre ces deux phénomènes. Mais, ce serait également s'aveugler que de ne pas faire un lien entre ces deux processus. Dans le titre I du présent chapitre, on a déjà indiqué combien « l'amélioration » des positions budgétaires avait, dans certains pays, reposé sur une croissance dépendante d'un essor, insoutenable, de l'endettement privé. Ici il s'agit de cerner les effets du désendettement public sur la montée des dettes privées.

DETTE DES AGENTS - EN 2007

(en % du PIB)

Dette publique (A)

Dette privée* (B)

Total
(C)

Dette publique / Total (en %)
A / C

Belgique

84,9

118

202,9

41,8

Allemagne

65

125

190

34,2

Irlande

25,1

218

243,1

10,3

Grèce

93,4

101

194,4

48,0

Espagne

36,2

200

236,2

15,3

Italie

105

108

213

49,3

France

64,2

140

204,2

31,4

Pays-Bas

46,8

205

251,8

18,6

Autriche

59,9

135

194,9

30,7

Portugal

64,4

200

264,4

24,3

Finlande

35,3

118

153,3

23,0

Moyenne

61,8

151,6

213,4

28,9

* Dette du secteur privé non-financier.

C'est dans les pays les plus endettés au départ que le recul a été le plus important (Belgique, Italie, Grèce), mais d'autres pays ont connu des replis sensibles de la dette publique : les pays scandinaves (Danemark, Suède, Finlande) ainsi que l'Irlande, les Pays-Bas, l'Espagne et le Royaume-Uni.

En revanche, l'Allemagne, la France et le Portugal ont enregistré une augmentation, assez modérée (de quelques points), de leur dette publique.

La dette publique a également rétrogradé aux États-Unis (jusqu'en 2002) et au Canada alors qu'elle a considérablement augmenté au Japon (de plus de 80 points de PIB).

DETTE PUBLIQUE - DETTE BRUTE CONSOLIDÉE DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES EN POURCENTAGE DU PIB

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

UE (15 pays)

71,7

69,9

68,1

67,2

63,2

62,2

61,6

63,0

63,2

64,1

62,8

60,4

Zone euro (12 pays)

74,3

73,7

73,4

72,1

69,4

68,4

68,2

69,3

69,7

70,3

68,6

66,5

Belgique

127,0

122,3

117,1

113,6

107,8

106,5

103,4

98,6

94,3

92,1

87,8

83,9

Danemark

69,2

65,2

60,8

57,4

51,5

48,7

48,3

45,8

43,8

36,4

30,5

26,2

Allemagne

58,4

59,7

60,3

60,9

59,7

58,8

60,3

63,8

65,6

67,8

67,6

65,1

Irlande

73,4

64,2

53,5

48,4

37,9

35,6

32,2

31,1

29,4

27,3

24,7

24,8

Grèce

111,3

108,2

105,8

105,2

103,2

103,6

100,6

97,9

98,6

98,8

95,9

94,8

Espagne

67,4

66,1

64,1

62,3

59,3

55,5

52,5

48,7

46,2

43,0

39,6

36,2

France

58,0

59,2

59,4

58,9

57,3

56,9

58,8

62,9

64,9

66,4

63,6

63,9

Italie

120,9

118,1

114,9

113,7

109,2

108,8

105,7

104,4

103,8

105,9

106,9

104,1

Luxembourg

7,4

7,4

7,1

6,4

6,2

6,3

6,3

6,1

6,3

6,1

6,6

7,0

Pays-Bas

74,1

68,2

65,7

61,1

53,8

50,7

50,5

52,0

52,4

51,8

47,4

45,7

Autriche

67,6

63,8

64,3

66,5

65,6

66,1

65,9

64,7

64,8

63,7

62,0

59,5

Portugal

59,9

56,1

52,1

51,4

50,5

52,9

55,6

56,9

58,3

63,6

64,7

63,6

Finlande

56,9

53,8

48,2

45,5

43,8

42,3

41,3

44,3

44,1

41,3

39,2

35,1

Suède

73,9

71,8

70,0

65,6

54,4

55,3

53,7

53,5

51,2

50,9

45,9

40,4

Royaume-Uni

51,3

49,8

46,7

43,7

41,0

37,7

37,5

38,7

40,6

42,3

43,4

44,2

États-Unis

73,4

70,9

67,7

64,1

58,2

57,9

60,2

62,5

63,4

-

-

-

Japon

93,9

100,3

112,2

125,7

134,1

142,3

149,5

157,6

164,0

-

-

-

Canada

100,3

96,2

93,9

89,5

81,9

81,0

77,9

73,4

70,7

-

-

-

Source : Eurostat

Le recul de la dette publique dans la zone euro s'est accompagné d'une forte augmentation de l'endettement privé.

Pour les ménages , l'endettement est passé de l'ordre de 72 % de leur revenu disponible en 2000 à près de 92 % en 2007 (+ 20 points de revenu disponible, soit environ + 14 points de PIB).

ENDETTEMENT DES MÉNAGES ET CHARGES D'INTÉRÊTS

Source : BCE. Rapport annuel 2007.

Pour les entreprises non financières , la dette est passée d'un équivalent de 58 points de PIB en 1999 à près de 78 points de PIB en 2007.

Ces 20 points de PIB supplémentaires peuvent être confrontés à la diminution de la dette publique de 5,6 points entre 1999 et 2007.

RATIOS D'ENDETTEMENT DES ENTREPRISES DU SECTEUR PRIVÉ NON FINANCIER

Notes : les données concernant l'endettement sont tirées des comptes trimestriels européens par secteurs. Elles comprennent les prêts, les titres de créance émis et les provisions de fonds de pension. Les informations couvrent la période jusqu'à la fin du quatrième trimestre 2007.

Source : BCE. Rapport annuel 2007.

Celle-ci est, elle-même, à comparer avec l' augmentation agrégée des dettes des ménages et des entreprises (environ 34 points de PIB) au cours de la période considérée.

Autrement dit, si la dette publique dans la zone euro a rétrogradé de 5,6 points de PIB, les dettes privées ont augmenté, avec + 34 points de PIB, dans des proportions telles que l'endettement supplémentaire agrégé des ménages, des entreprises et des administrations publiques s'est accru entre 1999 et 2007 de près de 30 points de PIB.

La relation inverse entre l'endettement privé et l'endettement public, semble spectaculairement vérifiée dans les faits aux États-Unis.

Le graphique ci-dessous montre qu'un effet de ciseaux existe entre les dettes privées et les dettes publiques.

ENDETTEMENT DU SECTEUR NON FINANCIER

(en % du PIB)

Source : Société Générale

Si dans les dernières années, le recours à la dette privée a été, globalement, un adjuvant important de la demande, ce moteur a été sollicité avec une vigueur inégale selon les pays et sous des modalités qui ont varié.

Au cours de ces dernières années, les crédits bancaires aux ménages et aux entreprises financières ont augmenté dans de très fortes proportions mais avec des nuances selon la zone économique considérée.

La dynamique du crédit a été particulièrement forte au Royaume-Uni et aux États-Unis pour les ménages.

Au Japon, c'est, au contraire, une contraction du crédit qui est intervenue, du moins pour les entreprises, dans un contexte d'endettement initial très élevé.

En zone euro, elle a été moins accusée mais le crédit aux entreprises y a beaucoup augmenté.

CRÉDITS BANCAIRES AUX MÉNAGES

(glissement annuel, en %)

Source : Société Générale. Analyse mensuelle de la situation économique. Sept/Oct. 2008

CRÉDITS BANCAIRES AUX ENTREPRISES NON FINANCIÈRES

(glissement annuel, en %)

Source : Société Générale. Analyse mensuelle de la situation économique. Sept/Oct. 2008

Au terme de ces évolutions, le niveau d'endettement est très variable selon les pays.

L'endettement des ménages atteint des niveaux disparates comme le montre le graphique ci-dessous qui mesure l'évolution du niveau de l'endettement brut des ménages en proportion de leur revenu.

ENDETTEMENT DES MÉNAGES

(en % de leur revenu)

Source : BNP Paribas

La disparité des niveaux d'endettement privé et de ses dynamiques est observable en zone euro.

Dans la zone euro, la croissance de l'endettement des ménages a été relativement plus forte en Espagne, au Portugal et aux Pays-Bas qu'en France, en Allemagne ou en Italie.

ENDETTEMENT DES MÉNAGES

(en % de leur RDB)

Voir annexe pour les symboles de pays.

Source : Banque de France

Au total, l'endettement des ménages atteint des niveaux très différents en zone euro.

ENDETTEMENT PAR HABITANT EN 2004 (EN EUROS)
ET EN POURCENTAGE DU REVENU DISPONIBLE BRUT (RDB) EN 2003

Source : Banque de France

Il existe un hiatus manifeste entre la vigilance exercée à l'égard de la dette publique et le laxisme envers les dettes privées .

L'article 4 du Traité des Communautés européennes (art. 119 du Traité de Lisbonne) qui définit les objectifs agréés par les États dans le cadre de la politique économique et monétaire prévoit pourtant que le système européen de banques centrales (SEBC) dispose en ce domaine des compétences.

Son paragraphe 3 indique que l'action des États membres et de l'Union implique le respect des principes directeurs suivants : prix stables, finances publiques et conditions monétaires saines et balance des paiements stable.

L'article 105 du Traité (art. 127 du Traité de Lisbonne) énonce quant à lui les missions du système européen des banques centrales . Il rappelle que celui-ci agit « en favorisant une allocation efficace des ressources et en respectant les principes fixés à l'article 119 » , donc la réunion de conditions monétaires saines.

Ce même article indique que figure parmi les missions fondamentales du SEBC de :

« promouvoir le bon fonctionnement des systèmes de paiement » .

Il ajoute (5) que le SEBC contribue à la bonne conduite des politiques menées par les autorités compétentes en ce qui concerne le contrôle prudentiel des établissements de crédit et la stabilité du système financier .

Il est en outre prévu que la Banque centrale européenne est consultée :

- sur tout acte de l'Union proposé dans les domaines relevant de sa compétence ;

- par les autorités nationales, sur tout projet de réglementation dans les domaines relevant de sa compétence, mais dans les limites et selon les conditions fixées par le Conseil conformément à la procédure prévue à l'article 129, paragraphe 4.

La Banque centrale européenne peut, dans les domaines relevant de sa compétence, soumettre des avis aux institutions, organes ou organismes de l'Union appropriés ou aux autorités nationales.

En bref, le SEBC est chargé par les Traités de contribuer à la stabilité financière dans l'Union européenne.

C'est sur la base de cette compétence que le SEBC rapporte avoir oeuvré pour la stabilité et la surveillance financière en Europe (voir annexe n° 4).

Cependant, cette oeuvre a été manifestement insuffisante et c'est pourquoi les efforts à entreprendre après le récent G-20 de Londres doivent être encouragés et leur réalisation effective suivie de près .

Quant à l'impact des ajustements budgétaires structurels sur les dettes privées , on observe que dans nombre de cas, celles-ci ont d'autant plus augmenté que la dette publique régressait davantage .

On a, à plusieurs reprises, relevé qu'au moins transitoirement les politiques de réduction de la dette publique ne pouvaient être indolores sur la croissance économique qu'à la condition que les agents privés augmentent le niveau de leur demande. Or, si leurs revenus n'augmentent pas, il faut que leur taux d'épargne diminue pour que cette condition se réalise.

Cette mécanique a, semble-t-il, joué en Europe. Dans la plupart des pays, plus la logique du PSC a été mise en oeuvre, plus les dettes privées ont augmenté. L'Allemagne fait exception mais cette exception n'invalide pas la corrélation qu'on suppose ici s'être exercée. D'une part, les agents privés y étaient très endettés ; d'autre part, l'endettement domestique n'y était pas nécessaire à sa croissance interne puisque celle-ci a reposé sur les déficits commerciaux de ses partenaires et leur propre endettement (public ou privé).

Au total, la concentration exclusive sur le contrôle des dettes publiques, dans un contexte de surveillance insuffisante des dettes privées, de déformation du partage de la valeur ajoutée au détriment des salaires et de dérégulation financière a jeté les bases d'un ensemble de déséquilibres économiques mais aussi financiers .

Dans une telle configuration, les États qui poursuivent des objectifs d'ajustement structurel risquent de se voir confrontés aux effets défavorables sur l'activité économique de ces politiques et à des déséquilibres financiers auxquels ils risquent, tôt ou tard, de devoir faire face. L'épisode en cours de reprise des dettes privées illustre cet enchaînement.

En somme, le PSC en absolutisant l'objectif de réduction des dettes publiques ignore les conditions dans lesquelles une telle orientation est viable, tant économiquement que financièrement .

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