III. ASPECTS TEMPORELS DE L'INFLUENCE DE LA RÉMUNÉRATION DES FACTEURS

L'évolution du coût relatif des facteurs peut n'avoir pas d'effets à court terme mais des effets retardés à moyen ou à long terme (Malinvaud 1998).

Caballero et Hammour (1998) insistent sur la différence de réaction de l'économie à un choc donné suivant l'horizon temporel que l'on considère.

A court terme , l'élasticité de substitution entre le travail et le capital est très faible et le facteur travail peut pleinement bénéficier de revalorisations salariales importantes (effet direct sur la masse salariale et le partage de la valeur ajoutée.

A plus long terme , lorsque l'effet de substitution devient sensible , la part de la rémunération du travail dans la valeur ajoutée baisse mécaniquement par rapport au niveau atteint à court terme.

S'il se produit dans le même temps une baisse des coûts salariaux par rapport à la productivité tendancielle et/ou une hausse du coût du capital, cette baisse mécanique du partage de la valeur ajoutée est accentuée mais on doit observer une inflexion du partage de la valeur ajoutée même sans une telle évolution du coût des facteurs.

La baisse de la part des rémunérations dans la valeur ajoutée dans les années 1980 pourrait donc s'analyser comme le résultat d'une substitution du capital au travail, conséquence de l'évolution trop dynamique du coût du travail dans les années 1970. Le retour du coût salarial par unité de travail efficace à son niveau d'avant le premier choc pétrolier et la hausse des taux d'intérêt réels dans les années 1980 seraient venus accentuer ce phénomène ( cf . graphiques ci-dessous) mais seraient aussi annonciateurs d'un retournement à venir.

COÛT SALARIAL UNITAIRE DU TRAVAIL

RATIO DE L'EMPLOI (EN UNITÉS EFFICACES) SUR CAPITAL

Source : Blanchard 2005.

Si l'on accepte la logique de ce mécanisme de substitution entre facteurs de production, la hausse des taux d'intérêt dans les années 1980 et la première moitié des années 1990 aurait dû se traduire, avec retard, à partir de la seconde moitié des années 1990, par une hausse de la part de la rémunération du travail dans la valeur ajoutée du fait de la substitution du capital au travail. Or, on n'observe aucun redressement notable de la part de la rémunération du travail depuis le milieu des années 1990 et le partage de la valeur ajoutée n'a pas retrouvé son équilibre d'avant le premier choc pétrolier .

IV. ANALYSE DE LA SUBSTITUTION ENTRE LE CAPITAL ET LE TRAVAIL HORS EFFETS DES COÛTS RELATIFS DES FACTEURS

Confrontée à l'évolution effectivement observée du capital et de la main-d'oeuvre, l'hypothèse d'une influence du coût des facteurs sur le partage de la valeur ajoutée pose problème (Blanchard, 1997 et 2005).

En effet, le coût réel du travail ajusté des gains de productivité a rejoint au début des années 1990 son niveau du début des années 1970 et s'en est peu écarté depuis. De même, les taux d'intérêt réels ne sont pas très différents, depuis la fin des années 1990, de ceux qui prévalaient avant le premier choc pétrolier.

Malgré cela, le ratio de l'emploi en unités efficaces et le stock de capital s'est continûment dégradé au cours des années 1970 et 1980 avant de se stabiliser au début des années 1990 .

COÛT RÉEL DU TRAVAIL EN UNITÉS EFFICACES POUR LES SOCIÉTÉS
NON FINANCIÈRES (SNF) ET TAUX D'INTÉRÊT RÉEL À 10 ANS

Source : INSEE

La déformation de la combinaison productive (travail, capital) semble n'avoir plus réagi aux variations des coûts relatifs des facteurs de production .

RATIO DE L'EMPLOI EN UNITÉS EFFICACES ET DU CAPITAL
POUR LES SOCIÉTÉS NON FINANCIÈRES (SNF)
(BASE : 1978 = 1)

Lecture : Le capital considéré correspond au volume d'actifs fixes (AN 11) des SNF, série disponible depuis 1978 dans les comptes de patrimoine publiés par l'Insee.

Depuis les années 1980, la baisse du rapport travail/capital, malgré la forte hausse des taux d'intérêt réels (donc probablement du coût du capital) a été importante. Mais, à partir du milieu des années 90, la hausse relative du coût du travail n'a pas empêché une relative stabilité du ratio de l'emploi en unités efficaces sur le stock de capital.

Trois types d'explications sont avancées pour rendre compte de l'évolution, a priori insuffisamment prononcée, du ratio capital / travail depuis le milieu des années 1990 :

- les taux d'intérêt de long terme ne seraient pas une bonne mesure du coût du capital (arguments portant sur le coût des facteurs) ;

- en raison de délais d'ajustement très importants, l'évolution du coût du capital aurait pu s'inverser avant même d'avoir pu produire ses effets (d'augmentation du volume relatif d'emplois) ;

- surtout, des phénomènes exogènes auraient pu contribuer à l'évolution du ratio capital/travail : Blanchard (1997) évoque, par exemple, un progrès technique biaisé en faveur du capital.


• Mais, comme il est peu probable que les pays d'Europe continentale aient pu bénéficier d'un progrès technique spécifique en faveur du capital que n'auraient pas connu les pays anglo-saxons, des différences institutionnelles entre ces deux groupes de pays ont souvent été invoquées pour rendre cette explication plus convaincante.


• Tous les pays ne sont pas caractérisés par la même élasticité de substitution entre le capital et le travail, ce qui expliquerait des réactions différentes à une même forme de progrès technique.


• Des rigidités spécifiques sur le marché du travail (telles que l'existence d'un salaire minimum plus élevé en France) que dans d'autres pays, pourraient entraîner une différenciation de l'ajustement des salaires et entraîner davantage de substitution en faveur du capital.


• Des effets de recomposition structurelle de l'activité économique pourraient être intervenus.

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