3. L'enseignement supérieur et la recherche : des enjeux clés pour l'attractivité et le développement des territoires

Une compétence de l'Etat qui s'appuie sur les concours croissants des collectivités territoriales

Bien qu'il s'agisse, aux termes de la loi, d'une compétence étatique, la politique d'enseignement supérieur et de recherche a bénéficié dans les faits, dès les années 1980, du concours financier croissant des collectivités territoriales, et en particulier des régions . Celles-ci sont intervenues sur leur libre volonté, mais aussi en réponse aux sollicitations dont elles ont pu faire l'objet, notamment de la part de l'Etat, pour faire face aux besoins liés à la massification de l'enseignement supérieur.

La contribution financière des collectivités locales représente environ 6 % de la dépense nationale d'enseignement supérieur (1,9 milliard d'euros en 2006) et a été multipliée par quatre en vingt ans. Les régions consacrent en moyenne 1,7 % de leur budget à l'enseignement supérieur et 2,2 % à la recherche et à l'innovation, avec de fortes disparités entre elles, compte tenu de la concentration territoriale de l'offre de formation et de recherche.

Les interventions des collectivités s'inscrivent, pour partie, dans le cadre de la contractualisation avec l'Etat (contrats de projet Etat-région) 101 ( * ) , sous la forme d'investissements principalement : elles portent sur des opérations d'immobilier universitaire, y compris de logement des étudiants (dans le cadre du plan Université 2000 dans les années 1990, du plan « U3M » et plus récemment de l'opération Campus), le soutien à la réalisation d'équipements scientifiques et de recherche, à la mise en réseau des acteurs dans le cadre des « politiques de site » (accompagnement des pôles de compétitivité, des pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES), des réseaux thématiques de recherche avancée (RTRA)), aux stratégies d'innovation et aux actions de valorisation et de transfert de technologie (plates-formes partenariales, accompagnement des « jeunes pousses », agences régionales de l'innovation comme en Aquitaine ou en Alsace, etc.), aux initiatives de culture scientifique, technique et industrielle, etc.

Le volontarisme local a également répondu à un souci d'aménagement du territoire et de répartition de l'offre de formation. Des départements, ainsi que des villes, se sont montrés particulièrement actifs, dès le milieu des années 1980, pour appuyer la réalisation de projets d'implantation d'antennes universitaires, d'établissements autonomes ou d'IUT 102 ( * ) , en dehors des grandes métropoles régionales notamment.

Il résulte de ces initiatives, dans le cadre des CPER, des imbrications en termes de financements et de maîtrise d'ouvrage , comme l'a relevé l'étude réalisée à la demande de la mission, voire parfois un manque de vision stratégique sur l'offre globale de formation au niveau du territoire.

En outre, au-delà des CPER, les champs d'intervention des collectivités se sont progressivement enrichis et diversifiés : des régions, des départements ou des agglomérations ont engagé des actions parallèles ou complémentaires à celles de l'Etat et des CROUS 103 ( * ) en faveur des aides aux étudiants (bourses de mobilité, bourses doctorales, aide au financement d'équipement informatique comme en Région Centre), de la vie étudiante (accès à la santé, aux activités et équipements culturels et sportifs, soutien financier aux bibliothèques universitaires, transport, logement et restauration) ou encore de l'accueil des chercheurs étrangers ou du financement de chaires d'excellence. Comme le souligne l'étude précitée, c'est notamment dans ces domaines que l'on constate le plus d' imbrications et de croisements d'interventions nationales et locales, au détriment de la lisibilité, voire parfois de la cohérence globale, de ces actions . Pour autant, ces initiatives à géométrie variable contribuent également, en s'additionnant, à enrichir l'offre proposée aux populations étudiantes et enseignantes sur un territoire donné.

a) Une coordination à renforcer en réaffirmant le rôle des régions sur ces politiques stratégiques


• La responsabilité de l'Etat en matière d'enseignement supérieur et de recherche, reste primordiale et n'est nullement remise en cause. Dans le cadre de ses attributions « régaliennes » (définition de la politique nationale, habilitations des formations, monopole de la collation des grades et diplômes, gestion des enseignants-chercheurs), il est en effet le garant de l'excellence académique et scientifique des programmes, de la cohérence nationale de l'offre et de l'équité sur l'ensemble du territoire.


• En parallèle, cependant, les collectivités territoriales, et en particulier les régions , sont désormais des acteurs incontournables , aux côtés des acteurs privés. Celles-ci demandent à être reconnues comme de véritables partenaires pour la définition d'intérêts stratégiques , à l'instar des collectivités d'un grand nombre de nos pays voisins (Italie, Espagne, Allemagne...), et non seulement des « forces d'appoint » sur les questions immobilières et financières, pour pallier le désengagement de l'Etat.

La légitimité de leur intervention est largement reconnue : les politiques de formation, de recherche et d'innovation sont en effet des enjeux clés pour la compétitivité, l'attractivité et le rayonnement des territoires .

Par ailleurs, comme le souligne un rapport présenté par M. Jean-Pierre Duport devant le Conseil économique et social 104 ( * ) , les mutations en cours du paysage universitaire et de recherche - avec la « territorialisation » de ces politiques dans le cadre des PRES notamment, le renforcement de l'autonomie des établissements d'enseignement supérieur et l'affirmation de leur mission d'insertion professionnelle des étudiants - rendent nécessaires, en même temps que la recherche d'une plus grande visibilité internationale (par la constitution de pôles bénéficiant d'une « taille critique »), l' ancrage territorial des établissements et leur ouverture sur l'environnement local , au contact des bassins d'emploi, des milieux économiques et des collectivités locales. Rappelons que la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités 105 ( * ) a fait un premier pas, encore timide, vers une participation des collectivités à la définition des politiques de formation, en prévoyant que deux à trois de leurs représentants (dont au moins un représentant du conseil régional) siègent au conseil d'administration des établissements.


• Dans ce contexte, la mission n'a pas souhaité que la réaffirmation des prérogatives des régions et des collectivités dans le domaine de l'enseignement supérieur passe par le transfert, en leur faveur, du patrimoine immobilier universitaire 106 ( * ) . En effet, l'affirmation de l'autonomie des établissements va conduire à les responsabiliser en matière de gestion des bâtiments : la loi du 10 août 2007 a ainsi prévu un transfert à ceux qui en feraient la demande des biens mobiliers et immobiliers de l'Etat qui leur sont affectés. Par ailleurs, un tel transfert peut susciter des incertitudes, au sein de certaines régions, étant donné l'ampleur des investissements nécessaires et du risque de les placer dans une logique gestionnaire plutôt que stratégique.


• Néanmoins, afin de réaffirmer le partenariat avec les collectivités, dans le respect des attributions de l'Etat et de l'autonomie des établissements, et de clarifier l'exercice des compétences, sans préjudice des initiatives des autres échelons, il ressort des travaux de la mission que la région , échelon des politiques stratégiques et de préparation de l'avenir , constitue le niveau pertinent pour assurer un rôle de « chef de file » des interventions locales en faveur de l'enseignement supérieur et de la recherche. La forte connexion de ces enjeux avec les compétences des régions en matière de formation professionnelle, de développement économique ou d'aménagement du territoire plaide également en ce sens.

Rappelons que la loi a déjà consacré le rôle de la région en matière de recherche et de développement technologique, puisque celle-ci est « associée à l'élaboration de la politique nationale » et « participe à sa mise en oeuvre » 107 ( * ) ; presque toutes les régions se sont dotées, en outre, d'un comité consultatif de recherche et de développement technologique, prévu à l'article L. 4252-3 du CGCT. Par ailleurs, « dans le cadre des orientations du plan national, la région peut définir des plans régionaux de développement des formations de l'enseignement supérieur et déterminer des programmes pluriannuels d'intérêt régional en matière de recherche » et elle est « consultée sur les aspects régionaux de la carte des formations supérieures et de la recherche » (article L. 214-2 du code de l'éducation), sans que ces dispositions soient devenues opérationnelles en l'absence de formalisation d'une telle « carte » des formations supérieures.

A l'instar de la démarche initiée en 2005 par le conseil régional de Rhône-Alpes, la région serait chargée d'élaborer un schéma régional de l'enseignement supérieur et de la recherche , outil de programmation permettant de décliner, d'une façon opérationnelle, les principaux objectifs et engagements dans les différents volets (vie étudiante, logement, information et orientation professionnelle, structuration de l'offre de formation et des acteurs, soutien à la recherche, innovation, culture scientifique et transfert de technologie...), et servant de base à la contractualisation pluriannuelle avec les établissements et organismes de recherche. Comme le soulignait un rapport de l'inspection générale, l'émergence de tels schémas régionaux « marque un saut qualitatif par rapport aux actions passées et non le simple passage à un degré d'implication supérieur » 108 ( * ) des régions.

La coordination entre les actions de chacun des niveaux de collectivités est une priorité dans ce cadre : elle trouverait notamment à s'exercer au sein du conseil régional des exécutifs dont votre mission préconise la mise en place. En effet, l'addition des initiatives est une richesse et une nécessité compte tenu de la pluralité des champs d'intervention et de la diversité des territoires :

- les agglomérations sont appelées à intervenir, au titre de leurs compétences de proximité et d'aménagement urbain, en faveur de l'accueil des étudiants et enseignants et de la vie étudiante (logement 109 ( * ) , accès au sport et à la culture), en particulier dans les centres universitaires denses ;

- les départements , en tant que garants des solidarités sociales et territoriales, sont davantage fondés à intervenir dans les zones les plus éloignées des grands pôles universitaires.

En outre, la mission souligne la nécessité de favoriser, à l'image de la structuration des PRES, la coordination à l'échelle interrégionale , dans les régions les moins pourvues en établissements d'enseignement supérieur et centres de recherche, afin d'atteindre la « taille critique » nécessaire pour les actions engagées dans ces domaines, ou bien la coordination à l'échelle métropolitaine , dans les grands pôles universitaires. Comme la mission a pu l'entendre lors de ses déplacements à Lyon ou Bordeaux, la qualité du système d'enseignement supérieur et de recherche est en effet un attribut majeur du rayonnement des grandes métropoles et de leur attractivité.


• Enfin, dans le respect de l'autonomie des universités et des prérogatives de l'Etat en matière d'habilitation des diplômes, il convient d' associer les régions à la définition de la carte des formations supérieures professionnalisantes . Lors de son audition devant la mission, M. Adrien Zeller, président de la région Alsace, a notamment souhaité une plus grande implication des régions dans l'élaboration des licences professionnelles, qui relève des universités, en lien avec les milieux professionnels concernés. Cela permettrait de consolider les régions dans leur rôle de partenaire stratégique, de renforcer la cohérence de l'offre de formation et de mieux articuler celle-ci avec les besoins de l'économie et du territoire.

Propositions de la mission

- Confier à la région un rôle de « chef de file » des interventions locales en faveur de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, en partenariat avec l'Etat (élaboration d'un schéma régional de l'enseignement supérieur et de la recherche et contractualisation avec les établissements), ainsi que la coordination, dans ce cadre, avec les agglomérations pour les actions relatives à la vie étudiante, ou avec les départements.

-  Associer les régions à la définition de la carte des formations supérieures professionnalisantes, en étroite collaboration avec l'Etat.

* 101 Sur la période 2000-2006, l'Etat et les collectivités territoriales ont participé à parts égales aux dépenses des CPER en faveur de l'enseignement supérieur et de la recherche : sur 6 milliards d'euros, 3 provenaient de l'Etat, 2 des régions et 1 des autres niveaux de collectivités locales. Le poste enseignement supérieur et recherche a représenté 12 % des dépenses totales des régions dans le cadre des CPER et environ un tiers des sommes qu'elles ont affecté sur la même période à l'enseignement supérieur et à la recherche (source : « Aménagement du territoire, enseignement supérieur et recherche : entre proximité et excellence », rapport présenté par M. Jean-Pierre Duport, Conseil économique et social, 2008).

* 102 Instituts Universitaires de Technologie.

* 103 Centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires.

* 104 « Aménagement du territoire, enseignement supérieur et recherche : entre proximité et excellence », rapport présenté par M. Jean-Pierre Duport, Conseil économique et social, 2008.

* 105 Loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités.

* 106 Un tel transfert a été préconisé en 2000 par le « rapport Mauroy » et celui de la mission du Sénat chargée de faire un bilan de la décentralisation, ou plus récemment par la « mission Warsmann ». La mission d'information de la commission des affaires culturelles chargée d'étudier le patrimoine immobilier universitaire avait proposé une dévolution « expérimentale et réversible » des bâtiments universitaires aux collectivités et établissements volontaires, susceptible d'être encouragée par des aides spécifiques (« Voyage au bout...de l'immobilier universitaire », MM. Jacques Valade, président, et Jean-Léonce Dupont, rapporteur, Sénat, n° 213 (2002-2003)).

* 107 Article L. 4252-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT), issu de la loi n° 82-610 du 15 juillet 1982 d'orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France.

* 108 « Recherche et territoires », rapport de l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche (IGAENR), n° 2005-103, novembre 2005.

* 109 Rappelons que la loi du 13 août 2004 a reconnu la possibilité pour les communes ou EPCI d'avoir la charge de la construction, de la reconstruction, de l'extension, des grosses réparations et de l'équipement des locaux destinés au logement des étudiants et de se voir transférer, dans le même temps, les biens appartenant à l'Etat ou à un établissement public (CROUS). En Ile-de-France, cette compétence peut être confiée à la région si la commune ou l'EPCI y renonce ; par ailleurs, la politique de logement des étudiants fait l'objet, dans cette région, d'un schéma élaboré par le conseil régional (article L. 822-1 du code de l'éducation).

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