B. PR ÉDOUARD BARD, COLLÈGE DE FRANCE, CHAIRE DE L'ÉVOLUTION DU CLIMAT ET DE L'OCÉAN
Un grand merci, cher Christian Gaudin. J'aimerais faire une brève introduction au sujet de la table ronde de ce matin pour que nos différents orateurs ne perdent pas trop de temps sur les principes de base. Parce que l'objectif de notre demi-journée, c'est d'abord de vous montrer quels ont été les résultats scientifiques récents de l'année polaire internationale.
Quelles évolutions à court et long terme ?
La session de ce matin est intitulée « climat, glaces et océans : quelles évolutions à court et long terme ? ». Bien évidemment, l'aspect très spécifique à cette année polaire internationale est qu'elle s'est déroulée dans un contexte de réchauffement. Il est donc utile de faire quelques rappels sur ce réchauffement d'abord à l'échelle de la planète puis à celles des pôles afin d'illustrer leur spécificité dans ce contexte.
Le réchauffement mondial depuis un siècle
Une façon simplifiée de montrer ce réchauffement mondial est de présenter une courbe qui résume à l'extrême les choses, mais qui a son utilité pédagogique. Voici donc l'évolution de l'anomalie de la température moyenne atmosphérique en fonction du temps, depuis à peu près un siècle. Je pourrais passer des heures à vous décrire et décortiquer cette courbe. Là n'est pas le propos aujourd'hui. Ce que je voulais juste vous rappeler, est que depuis à peu près un siècle, on assiste à un réchauffement de l'ordre de pratiquement un degré centigrade. Il s'agit ici de moyennes annuelles exprimées en anomalies par rapport à la moyenne des trois décennies de 1950 à 1980. Cette anomalie de température est complexe dans son évolution avec des « sautes d'humeur » d'une année sur l'autre. On voit aussi une tendance à long terme avec des anomalies négatives avant la période 1950-80 et positives après jusqu'à la période actuelle. Le message principal est qu'il y a effectivement un réchauffement de l'ordre d'un degré et que depuis trente ans, on assiste à une augmentation de température conséquente d'environ un demi degré.
Le climat : un système complexe perturbé par des forçages variés
Ce réchauffement est le sujet de beaucoup d'études, et d'inquiétudes aussi comme l'a montré Claude Lorius ce matin. Cette augmentation de la température depuis trente ans correspond à l'excès en gaz carbonique et autres gaz à effet de serre, lié aux activités humaines. Pour comprendre cette anomalie de température qui affecte, de façon très particulière les pôles, il faut se rendre compte que l'on ne peut pas se contenter de regarder l'atmosphère. Le climat, ce ne sont pas uniquement les basses couches de l'atmosphère. C'est ce qui nous intéresse au jour le jour pour la météorologie, mais pour comprendre l'évolution climatique, il faut réaliser que nous avons affaire à un système complexe composé de plusieurs compartiments : l'atmosphère, l'hydrosphère, en particulier de l'océan, la cryosphère, c'est-à-dire toutes les glaces de la planète (la glace de mer ou banquise, les glaces continentales, les glaciers et les calottes de glace à la fois au Groënland et en Antarctique). Nous en reparlerons en détail. La lithosphère et la biosphère à la fois continentale et marine. Tous ces compartiments qui constituent le système climatique dans son ensemble échangent entre eux de l'énergie, de la matière, essentiellement de l'eau. Ils sont en permanence perturbés de l'extérieur par ce que l'on appelle des forçages climatiques qui peuvent être soit d'origine astronomique : changements de l'éclairement solaire, ou des paramètres de l'orbite terrestre, soit d'origine géologique : changements internes à la Terre, mais qui sont externes au système climatique. On peut mentionner le volcanisme explosif sur les échelles de temps qui nous intéressent aujourd'hui. Ces perturbations naturelles affectent le climat depuis toujours, mais en plus, comme l'a rappelé Claude Lorius, la grande inquiétude du moment est que l'homme est un contributeur significatif depuis au moins un siècle par ses émissions de gaz à effet de serre, notamment le gaz carbonique. Une perturbation importante qui va affecter notablement les pôles.
Un des grands messages lorsque l'on regarde ce système climatique complexe, est que tous ces compartiments ont des constantes de temps très variées. Il y a compartiments rapides comme l'atmosphère, mais il est clair que les glaces, par exemple, ont des constantes de temps beaucoup plus longues. L'évolution climatique liée aux émissions de gaz à effet de serre va avoir des répercussions multiples dans les différents compartiments que sont l'atmosphère, l'océan et les glaces, en particulier les glaces polaires. De façon imagée, on peut représenter un diagramme publié par le GIEC, qui montre de façon très qualitative ce qui se passe après un pic d'émission de gaz carbonique durant à peu près un siècle. La teneur en gaz carbonique atmosphérique se stabilise après quelques siècles. A l'heure actuelle, on en est loin de cette stabilisation du gaz carbonique dont la teneur augmente de 2 ppm chaque année. L'important est que cette hypothétique stabilisation n'implique pas un arrêt du réchauffement. Même après l'arrêt de la croissance du gaz carbonique, on observe une lente augmentation de la température atmosphérique qui dure plusieurs siècles. Plus grave encore, les autres compartiments que sont l'océan et les glaces ont une inertie bien plus grande, On peut considérer en particulier l'élévation du niveau de la mer due à la dilatation thermique. C'est la lente propagation de la chaleur dans l'océan qui produit cette inertie beaucoup plus grande. A plus long terme encore, l'élévation du niveau de la mer liée à la fonte des glaciers et des calottes, va intervenir sur des siècles à plusieurs millénaires. Ce diagramme nous donne une vue très qualitative, mais qui montre dès le départ qu'il faut se soucier de ces différents compartiments, et de leurs constantes de temps pour prévoir l'évolution du système climatique.
Pour l'instant, je n'ai pas encore parlé de cartographie et de latitudes, mais il faut aussi réaliser que ce réchauffement est amplifié dans les zones polaires. Ces régions, constituent véritablement des sentinelles du réchauffement et des ses impacts sur l'atmosphère, l'océan et les glaces. Ces trois compartiments sont tous importants et les recherches sont très actives comme vous allez pouvoir vous en rendre compte aujourd'hui. Pour souligner l'importance des hautes latitudes, je vous montre un diagramme des interactions entre l'océan, la glace et l'atmosphère, notamment les échanges de chaleur, au niveau de l'Atlantique Nord. C'est un diagramme tout à fait simplifié, mais qui illustre déjà la complexité des interactions entre la convection marine, les courants marins, la banquise et les précipitations. Ces phénomènes ont lieu au niveau de l'Atlantique Nord et il ne s'agit que d'un exemple parmi d'autres pour illustrer cette complexité. Il faut donc se soucier des interactions entre des compartiments variés. Les hautes latitudes ont des spécificités comme la glace de mer qui constitue aussi une des sources de cette amplification polaire. Cette banquise est un immense réflecteur du rayonnement solaire et son évolution, sa disparition possible à long terme aura une influence très importante sur le bilan radiatif des zones polaires.
Une des façons de se convaincre de l'importance de l'amplification du réchauffement polaire, est de considérer une année particulière. Je vous ai montré l'évolution de la température depuis un siècle, avec cette augmentation de l'ordre d'un demi degré sur les derniers trente ans. Il suffit de choisir une année particulière et de cartographier l'augmentation de température. Il s'agit ici de l'année 2007. Hier, Jean Jouzel vous a montré l'année 2008 dans son allocution pour la session sur la gouvernance. L'année 2007 présente aussi des anomalies régionales de température très négatives qui sont liées à un changement climatique naturel. Le message important, c'est qu'en moyenne globale, on a une augmentation de température de l'ordre de 0,6 degré par rapport à la moyenne des années 1950-80, mais que ce changement de température, est très régionalisé. Il y a même des zones qui, de façon tout à fait particulière, se sont refroidies. Par contre, il est très clair qu'à l'échelle globale, on fait face à un réchauffement en particulier dans les zones polaires et sur les continents. Cette signature régionale est très nette pour toutes les années. Pour l'année 2007 on voit nettement un refroidissement caractéristique de la phase froide de ce que l'on appelle l'Oscillation Australe. Le phase opposée d'El Niño, est la phase La Niña caractérisée par un refroidissement net du Pacifique équatorial. La longue tendance du réchauffement vient donc se superposer aux fluctuations naturelles qui doivent aussi être cartographiées et étudiées.
Le réchauffement actuel n'est donc pas uniforme, mais il est amplifié au niveau de l'Arctique. Ceci restera vrai dans le futur ce qui constitue l'une des grandes inquiétudes actuelles des climatologues. Ici, je vous ai représenté une cartographie des températures obtenue grâce à un modèle de circulation générale. Elle a été réalisée par un laboratoire américain (NCAR) avec un scénario réaliste d'augmentation du gaz carbonique, de l'ordre de 700 ppm pour l'année 2100. On voit très nettement cette amplification du réchauffement polaire. Celui-ci est dissymétrique entre le Nord et le Sud pour des raisons que je ne peux aborder par manque de temps. On peut montrer aussi que cette dissymétrie n'est pas spécifique à cette modélisation particulière. J'aurais pu vous montrer des centaines de cartographies équivalentes réalisées grâce aux différents modèles de nombreux groupes de modélisation de différents pays. Là n'est pas le propos. Une façon de tout faire tenir sur un même diagramme, est de montrer les changements de la température en fonction de la latitude obtenue pour les différents modèles. Ce sont des moyennes latitudinales qui font perdre l'aspect cartographique mais permettent de simplifier la représentation. Sur ce diagramme, il y a des modèles américains, (Princeton, NASA), allemands, anglais et aussi des études françaises (IPSL et CNRM-Météo-France). Au premier ordre, on voit, que tous les modèles concordent en prévoyant une amplification polaire très nette, allant d'un doublement à un triplement de l'anomalie de température. On voit encore cette dissymétrie entre le pôle Sud et le pôle Nord. Apparaissent aussi de très larges écarts entre les amplifications polaires obtenues par les différents groupes de modélisation. Il reste donc encore beaucoup de recherches à faire en modélisation climatique pour comprendre les mécanismes et savoir comment les introduire dans les modèles. Mais, le message principal est que tous les modèles montrent cette amplification polaire que l'on observe même avec le réchauffement mondial depuis les années 1970.
Une autre façon d'illustrer cette amplification en zone polaire est de se tourner vers les enregistrements climatiques du passé très lointain. Cette amplification existe dans les séries de paléotempératures des 150 000 dernières années. Pour l'illustrer de façon très basique, j'ai représenté sur un même diagramme cinq séries temporelles de températures obtenues depuis l'Equateur jusqu'aux deux pôles. Bien évidemment, les températures aux pôles sont beaucoup plus froides qu'à l'Equateur. J'ai donc translaté toutes ces courbes à la même température de 15 degrés qui correspond approximativement à la moyenne mondiale actuelle. Vous pouvez voir la courbe de variation des températures à l'Equateur fondée sur des études que nous avons réalisées à Aix-en-Provence sur des sédiments marins ainsi que les températures de l'Antarctique obtenues dans la carotte de glace mythique de Vostok. J'ai aussi représenté les températures pour la carotte NorthGRIP au Groënland. En comparant les enregistrements, on voit nettement que pour cette longue période, il y a une amplification majeure du changement de température aux niveaux des pôles. Il s'agit dans ce cas, de phénomènes naturels, qui n'ont rien à voir avec l'influence de l'Homme. C'est essentiellement la dernière grande glaciation depuis la dernière période interglaciaire il y a environ 120 000 ans. On voit aussi que ce phénomène d'amplification est dissymétrique entre les deux hémisphères.
Dans cette brève introduction, j'ai voulu montrer la spécificité de ce réchauffement mondial au niveau des pôles. C'est ce qui sous-tend l'organisation de la session de ce matin. Avec Christian Gaudin, notre intention est précisément d'illustrer et de faire le bilan des recherches aux échelles des pôles et du globe. Les présentations thématiques nous permettront de regarder ce qui se passe dans les différents compartiments, notamment l'atmosphère avec les gaz à effet de serre, les océans polaires, Arctique et Austral, et les calottes de glace comme le Groënland et l'Antarctique.
J'aimerais accueillir Thomas Stocker, notre premier intervenant de cette matinée. Thomas Stocker est Pr. à l'Université de Berne et a de multiples compétences en glaciologie et en modélisation numérique. Thomas nous parlera de l'année polaire internationale, de l'utilité de la recherche polaire sur le changement climatique et de l'importance de cette recherche polaire pour le GIEC (IPCC en anglais) dont il est un des principaux responsables. Il est maintenant co-président du premier groupe du GIEC, ayant repris le flambeau après Susan Solomon. C'est désormais Thomas Stocker qui pilote le GIEC dont le prochain rapport sera publié en 2014.
Une façon simplifiée de montrer ce réchauffement mondial est de présenter une courbe qui résume à l'extrême les choses, mais qui a son utilité pédagogique. Voici donc l'évolution de l'anomalie de la température moyenne atmosphérique en fonction du temps, depuis à peu près un siècle. Je pourrais passer des heures à vous décrire et décortiquer cette courbe. Là n'est pas le propos aujourd'hui. Ce que je voulais juste vous rappeler, est que depuis à peu près un siècle, on assiste à un réchauffement de l'ordre de pratiquement un degré centigrade. Il s'agit ici de moyennes annuelles exprimées en anomalies par rapport à la moyenne des trois décennies de 1950 à 1980. Cette anomalie de température est complexe dans son évolution avec des « sautes d'humeur » d'une année sur l'autre. On voit aussi une tendance à long terme avec des anomalies négatives avant la période 1950-80 et positives après jusqu'à la période actuelle. Le message principal est qu'il y a effectivement un réchauffement de l'ordre d'un degré et que depuis trente ans, on assiste à une augmentation de température conséquente d'environ un demi degré.
Le climat : un système complexe perturbé par des forçages variés
Ce réchauffement est le sujet de beaucoup d'études, et d'inquiétudes aussi, comme l'a montré Claude Lorius ce matin. Cette augmentation de la température depuis trente ans correspond à l'excès en gaz carbonique et autres gaz à effet de serre, lié aux activités humaines. Pour comprendre cette anomalie de température qui affecte, de façon très particulière les pôles, il faut se rendre compte que l'on ne peut pas se contenter de regarder l'atmosphère. Le climat, ce n'est pas uniquement les basses couches de l'atmosphère. C'est ce qui nous intéresse au jour le jour pour la météorologie, mais pour comprendre l'évolution climatique, il faut réaliser que nous avons affaire à un système complexe composé de plusieurs compartiments :
- l'atmosphère,
- l'hydrosphère en particulier de l'océan,
- la cryosphère, c'est-à-dire toutes les glaces de la planète (la glace de mer ou banquise, les glaces continentales, les glaciers et les calottes de glace à la fois au Groënland et en Antarctique). Nous en reparlerons en détail.
- la lithosphère et la biosphère à la fois continentale et marine.
Tous ces compartiments qui constituent le système climatique dans son ensemble échangent entre eux de l'énergie, de la matière, essentiellement de l'eau. Ils sont en permanence perturbés de l'extérieur par ce que l'on appelle des forçages climatiques qui peuvent être soit d'origine astronomique : changements de l'éclairement solaire ou des paramètres de l'orbite terrestre, soit d'origine géologique : changements internes à la Terre, mais qui sont externes au système climatique. On peut mentionner le volcanisme explosif sur les échelles de temps qui nous intéressent aujourd'hui . Ces perturbations naturelles affectent le climat depuis toujours, mais en plus, comme l'a rappelé Claude Lorius, la grande inquiétude du moment est que l'homme est un contributeur significatif depuis au moins un siècle par ses émissions de gaz à effet de serre, notamment le gaz carbonique. Une perturbation importante qui va affecter notablement les pôles.
Un des grands messages lorsque l'on regarde ce système climatique complexe, est que tous ces compartiments ont des constantes de temps très variées. Il y a compartiments rapides comme l'atmosphère, mais il est clair que les glaces, par exemple, ont des constantes de temps beaucoup plus longues. L'évolution climatique liée aux émissions de gaz à effet de serre va avoir des répercussions multiples dans les différents compartiments que sont l'atmosphère, l'océan et les glaces, en particulier les glaces polaires. De façon imagée, on peut représenter un diagramme publié par le GIEC, qui montre de façon très qualitative ce qui se passe après un pic d'émission de gaz carbonique durant à peu près un siècle. La teneur en gaz carbonique atmosphérique se stabilise après quelques siècles. A l'heure actuelle, on en est loin de cette stabilisation du gaz carbonique dont la teneur augmente de 2 ppm chaque année. L'important est que cette hypothétique stabilisation n'implique pas un arrêt du réchauffement. Même après l'arrêt de la croissance du gaz carbonique, on observe une lente augmentation de la température atmosphérique qui dure plusieurs siècles. Plus grave encore, les autres compartiments que sont l'océan et les glaces ont une inertie bien plus grande. On peut considérer en particulier l'élévation du niveau de la mer due à la dilatation thermique. C'est la lente propagation de la chaleur dans l'océan qui produit cette inertie beaucoup plus grande. A plus long terme encore, l'élévation du niveau de la mer liée à la fonte des glaciers et des calottes, va intervenir sur des siècles à plusieurs millénaires. Ce diagramme nous donne une vue très qualitative, mais qui montre dès le départ qu'il faut se soucier de ces différents compartiments, et de leurs constantes de temps pour prévoir l'évolution du système climatique.
Pour l'instant, je n'ai pas encore parlé de cartographie et de latitudes, mais il faut aussi réaliser que ce réchauffement est amplifié dans les zones polaires. Ces régions constituent véritablement des sentinelles du réchauffement et de ses impacts sur l'atmosphère, l'océan et les glaces. Ces trois compartiments sont tous importants et les recherches sont très actives comme vous allez pouvoir vous en rendre compte aujourd'hui. Pour souligner l'importance des hautes latitudes, je vous montre un diagramme des interactions entre l'océan, la glace et l'atmosphère, notamment les échanges de chaleur, au niveau de l'Atlantique Nord. C'est un diagramme tout à fait simplifié, mais qui illustre déjà la complexité des interactions entre la convection marine, les courants marins, la banquise et les précipitations. Ces phénomènes ont lieu au niveau de l'Atlantique Nord et il ne s'agit que d'un exemple parmi d'autres pour illustrer cette complexité. Il faut donc se soucier des interactions entre des compartiments variés. Les hautes latitudes ont des spécificités comme la glace de mer qui constitue aussi une des sources de cette amplification polaire. Cette banquise est un immense réflecteur du rayonnement solaire. Son évolution, sa disparition possible à long terme, aura une influence très importante sur le bilan radiatif des zones polaires.
Une des façons de se convaincre de l'importance de l'amplification du réchauffement polaire est de considérer une année particulière. Je vous ai montré l'évolution de la température depuis un siècle, avec cette augmentation de l'ordre d'un demi degré sur les derniers trente ans. Il suffit de choisir une année particulière et de cartographier l'augmentation des températures. Il s'agit ici de l'année 2007. Hier, Jean Jouzel vous a montré l'année 2008 dans son allocution pour la session sur la gouvernance. L'année 2007 présente aussi des anomalies régionales de température très négatives qui sont liées à un changement climatique naturel. Le message important, c'est qu'en moyenne globale, on a une augmentation de température de l'ordre de 0,6 degré par rapport à la moyenne des années 1950-80, mais que ce changement de température est très régionalisé. Il y a même des zones qui, de façon tout à fait particulière, se sont refroidies. Par contre, il est très clair qu'à l'échelle globale, on fait face à un réchauffement en particulier dans les zones polaires et sur les continents. Cette signature régionale est très nette pour toutes les années. Pour l'année 2007, on voit nettement un refroidissement caractéristique de la phase froide de ce que l'on appelle l'Oscillation Australe. Le phase opposée d'El Niño est la phase La Niña caractérisée par un refroidissement net du Pacifique équatorial. La longue tendance du réchauffement vient donc se superposer aux fluctuations naturelles qui doivent aussi être cartographiées et étudiées.
Le réchauffement actuel n'est donc pas uniforme, mais il est amplifié au niveau de l'Arctique. Ceci restera vrai dans le futur ce qui constitue l'une des grandes inquiétudes actuelles des climatologues. Ici, je vous ai représenté une cartographie des températures obtenue grâce à un modèle de circulation générale. Elle a été réalisée par un laboratoire américain (NCAR) avec un scénario réaliste d'augmentation du gaz carbonique de l'ordre de 700 ppm pour l'année 2100. On voit très nettement cette amplification du réchauffement polaire. Celui-ci est dissymétrique entre le nord et le sud pour des raisons que je ne peux aborder par manque de temps. On peut montrer aussi que cette dissymétrie n'est pas spécifique à cette modélisation particulière. J'aurais pu vous montrer des centaines de cartographies équivalentes réalisées grâce aux différents modèles de nombreux groupes de modélisation de différents pays. Là n'est pas le propos. Une façon de tout faire tenir sur un même diagramme est de montrer les changements de la température en fonction de la latitude obtenue pour les différents modèles. Ce sont des moyennes latitudinales qui font perdre l'aspect cartographique mais permettent de simplifier la représentation. Sur ce diagramme, il y a des modèles américains, (Princeton, NASA), allemands, anglais et aussi des études françaises (IPSL et CNRM). Au premier ordre, on voit, que tous les modèles concordent en prévoyant une amplification polaire très nette, allant d'un doublement à un triplement de l'anomalie de température. On voit encore cette dissymétrie entre le pôle Sud et le pôle Nord. Apparaissent aussi de très larges écarts entre les amplifications polaires obtenues par les différents groupes de modélisation. Il reste donc encore beaucoup de recherches à faire en modélisation climatique pour comprendre les mécanismes et savoir comment les introduire dans les modèles. Mais, le message principal est que tous les modèles montrent cette amplification polaire que l'on observe même avec le réchauffement mondial depuis les années 70.
Une autre façon d'illustrer cette amplification en zone polaire est de se tourner vers les enregistrements climatiques du passé très lointain. Cette amplification existe dans les séries de paléotempératures des 150 000 dernières années. Pour l'illustrer de façon très basique, j'ai représenté sur un même diagramme cinq séries temporelles de températures obtenues depuis l'Equateur jusqu'aux deux pôles. Bien évidemment, les températures aux pôles sont beaucoup plus froides qu'à l'Equateur. J'ai donc translaté toutes ces courbes à la même température actuelle de 15 degrés qui correspond approximativement à la moyenne mondiale actuelle. Vous pouvez voir la courbe de variation des températures à l'Equateur fondée sur des études que nous avons réalisées à Aix-en-Provence sur des sédiments marins ainsi que les températures de l'Antarctique obtenues dans la carotte de glace mythique de Vostok. J'ai aussi représenté les températures pour la carotte NorthGRIP au Groënland. En comparant les enregistrements, on voit nettement que pour cette longue période, il y a une amplification majeure du changement de température aux niveaux des pôles. Il s'agit, dans ce cas, de phénomènes naturels qui n'ont rien à voir avec l'influence de l'Homme. C'est essentiellement la dernière grande glaciation depuis la dernière période interglaciaire il y a environ 120 000 ans. On voit aussi que ce phénomène d'amplification est dissymétrique entre les deux hémisphères.
Dans cette brève introduction, j`ai voulu montrer la spécificité de ce réchauffement mondial au niveau des pôles. C'est ce qui sous-tend l'organisation de la session de ce matin. Avec Christian Gaudin, notre intention est précisément d'illustrer et de faire le bilan des recherches aux échelles des pôles et du globe. Les présentations thématiques nous permettront de regarder ce qui se passe dans les différents compartiments, notamment l'atmosphère avec les gaz à effet de serre, les océans polaires, Arctique et Austral, et les calottes de glace comme le Groënland et l'Antarctique.
J'aimerais accueillir Thomas Stocker, notre premier intervenant de cette matinée. Thomas Stocker est Pr. à l'Université de Berne et a de multiples compétences en glaciologie et en modélisation numérique. Thomas nous parlera de l'année polaire internationale, de l'utilité de la recherche polaire sur le changement climatique et de l'importance de cette recherche polaire pour le GIEC (IPCC en anglais) dont il est l'un des principaux responsables. Il est maintenant co-président du premier groupe du GIEC, ayant repris le flambeau après Susan Solomon. C'est désormais Thomas Stocker qui pilote le GIEC dont le prochain rapport sera publié en 2014.