3. Deux nouveaux impôts, assis sur les immobilisations foncières et sur la valeur ajoutée, pour remplacer la taxe professionnelle

Dans ses grandes lignes, l'article 2 du projet de loi de finances pour 2010 a pour objet de supprimer la taxe professionnelle et de la remplacer par une « cotisation économique territoriale » composée de deux impôts : la « cotisation locale d'activité », assise sur les bases de la part foncière de la taxe professionnelle et dont le taux continuera d'être voté par les assemblées locales ; la « cotisation complémentaire », assise sur la valeur ajoutée et dont le taux serait national.

Autrement, dit la part foncière de l'assiette de la taxe professionnelle est maintenue, tandis que la part de son assiette correspondant aux « équipements et biens mobiliers » (EBM) est supprimée. Les entreprises les plus gagnantes à la réforme, qui sont les entreprises de réseau (SNCF, EDF, France Télécom par exemple) se voient « reprendre » leurs gains en tout ou partie au travers d'une imposition nouvelle, l' « imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau » (IFER), dont l'assiette est déterminée « sur mesure » pour chacune des entreprises que l'on souhaite voir contribuer.

La commission des finances donnera son sentiment sur la réforme proposée de la taxe professionnelle lorsqu'elle examinera l'article 2 du projet de loi de finances pour 2010, dans sa séance du 12 novembre 2009. Elle consacrera à ce sujet une séance spéciale, le 5 novembre 2009. Elle aura sans doute, d'ici là, recueilli l'ensemble des éléments lui permettant de porter une appréciation éclairée sur ce dispositif. Les commentaires ci-dessous ne reflètent donc que les premières réflexions de votre rapporteur général.

A ce stade, la première remarque que ce dispositif inspire est le caractère inadapté des dénominations retenues pour les deux nouveaux impôts . La « cotisation locale d'activité » sera un impôt local mais son rendement reposera moins sur l'activité que sur un stock, les actifs fonciers. Le choix de la « cotisation complémentaire » présente quant à lui trois inconvénients. Cet impôt n'aura rien de complémentaire pour les entreprises puisque son produit représentera les deux tiers de la cotisation économique territoriale (10,2 milliards d'euros en 2010, la cinquième recette du budget de l'Etat). Cet impôt n'aura rien de complémentaire non plus pour les collectivités territoriales puisque, dans le schéma actuel, les bénéficiaires de l'une ne percevront pas l'autre. Enfin, du point de vue de la lisibilité, rien ne permet de déduire de l'intitulé, l'objet de l'impôt, ou simplement son assiette. Il conviendra, par conséquent, de remplacer ces intitulés trompeurs.

Sans entrer dans le détail, du point de vue de la fiscalité des entreprises, la réforme proposée peut néanmoins être analysée au regard des principes et orientations dégagés du rapport du Conseil des prélèvements obligatoires :

- la réforme ne sera pas précédée d'une « révision des bases » des taxes foncières et la cotisation locale d'activité , dont le produit de 5,6 milliards d'euros en 2010 représentera environ un tiers du produit de la cotisation économique territoriale, sera calculée à partir des valeurs locatives actuelles, obsolètes . L'absence de révision préalable des bases est d'autant plus regrettable que leur réforme a été annoncée par le Président de la République, avec l'objectif d'une mise en oeuvre rapide. Il se pourrait donc que les discussions du projet de loi de finances pour 2010 aient été fondées sur des simulations déjà périmées, avant même l'entrée en vigueur du nouveau dispositif d'imposition locale sur les entreprises ;

- la suppression d'une assiette jugée préjudiciable à la compétitivité n'est pas compensée par un impôt de même rendement et pesant moins sur les facteurs de production, mais par un allégement partiel de la charge des entreprises, la différence se traduisant par un surcroît de déficit budgétaire et d'endettement public ;

- la suppression de la taxe professionnelle est présentée comme un choc de compétitivité, mais elle réintroduit dans l'assiette de l'impôt économique local les salaires , qui en avaient été exclus en 1999 au nom de la compétitivité ;

- le nouvel impôt pesant sur la valeur ajoutée présentera les caractéristiques d'un impôt « moderne », neutre du point de vue des combinaisons productives et avec une assiette très large et un taux bas . Cependant, il pourrait être fragilisé par le fait que, selon le rapport Conseil des prélèvements obligatoires, la valeur ajoutée est « une notion juridique complexe, mal définie par le CGI (article 1647 B sexies) qui fait référence à des rubriques figurant dans le plan comptable général de 1957 aujourd'hui obsolètes, ce qui introduit une divergence croissante entre la définition fiscale de la valeur ajoutée et sa définition comptable. Elle présente donc une certaine insécurité juridique, et risque d'induire des comportements d'optimisation » ;

- la réforme semble favorable aux entreprises de taille intermédiaire , puisque, si les entreprises sont globalement gagnantes quel que soit leur chiffre d'affaires, les entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à 3 millions d'euros sont les plus avantagées.

Impact de la suppression de la taxe professionnelle par taille d'entreprises* (données 2008)

Source : Evaluations préalables des articles du projet de loi de finances

* Il conviendrait d'ajouter deux tranches : de 7,6 millions à 50 millions d'euros de chiffres d'affaires, et au-delà de 50 millions d'euros (50 millions étant le seuil à compter duquel l'impôt sur la valeur ajoutée est acquitté au taux de 1,5 %)

Le Gouvernement n'a pas encore communiqué à votre commission des finances la ventilation de l'impact sur la réforme, pour chacune des tranches de chiffre d'affaires, par secteur d'activité. Il est donc prématuré d'émettre une appréciation à ce propos.

Au niveau global, les données disponibles sur la répartition par secteur d'activité sont les suivantes :

Impact sectoriel de la réforme de la taxe professionnelle (données 2008)

Source : Commission des finances, d'après les évaluations préalables des articles du projet de loi de finances

Il ressort de ce tableau que l'industrie, l'agriculture, les services aux particuliers et la construction seront les principaux secteurs gagnants en pourcentage de gain . En gain brut, les principaux gagnants sont l'industrie, les services aux entreprises, le commerce et la construction . Les données relatives à la répartition, pour chacun des secteurs, entre les gagnants, les perdants et ceux pour lesquels la situation ne changera pas ne sont pas encore disponibles. Au sein de l'industrie, la décomposition par branche (agricole et alimentaire, biens de consommation, automobile, biens d'équipements, biens intermédiaires) doit également encore être précisée, notamment au regard de leur vulnérabilité plus ou moins grande à la concurrence internationale.

Les gains enregistrés par l'industrie sont accentués par le fait que ce secteur bénéficie, outre l'allègement global dû à la suppression de la part « équipements et biens mobiliers » de la taxe professionnelle, d'un nouvel abattement de 15 % sur ses bases foncières, qui aura pour effet de minorer les cotisations dues au titre de la « cotisation locale d'activité » mais aussi de la taxe foncière sur les propriétés bâties.

Les données par secteur sur la répartition des gains et pertes enregistrés du fait de la « cotisation locale d'activité », la « cotisation complémentaire », la taxe foncière sur les propriétés bâties et l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau ne sont pas encore disponibles, ce que déplore votre rapporteur général.

Toutefois, en croisant différentes sources, il est possible de parvenir à affiner l'analyse des effets des différents aspects du dispositif (suppression de la part « EBM », création de l'impôt sur la valeur ajoutée, abattement sur les bases de taxe foncière, impositions sectorielles) sur les secteurs d'activité :

Comparaison par secteurs d'activité des gains procurés par la suppression de l'assiette « Equipements et biens mobiliers » et par la réforme dans sa globalité

Source : Commission des finances, à partir des données du Conseil des prélèvements obligatoires (montant des gains liés à la suppression de la part « EBM ») et des évaluations préalables des articles du projet de loi de finances (gains globaux de la réforme)

On peut tirer du tableau ci-dessus les enseignements suivants :

- un seul secteur est perdant net à la réforme : le secteur financier . Pour lui, le montant des charges liées aux mesures complémentaires (et en particulier à l'imposition sur la valeur ajoutée) est supérieur aux gains procurés par la suppression de l'assiette sur les « EBM ». Au total, 109 % de ses gains sont « repris » par les mesures complémentaires ;

- le secteur de l' industrie est le principal bénéficiaire de la suppression de l'assiette « EBM » (29 % du total des gains de l'ensemble des secteurs d'activité). Mais il profite encore plus de l'effet des mesures complémentaires puisque, in fine , ses gains représentent 38,7 % du total. Cette progression de la part dans le total des gains tend à montrer l'importance de l'allègement d'impôt procuré par la mesure d'abattement de 15 % sur les bases foncières, qui a une incidence sur l'impôt dû au titre de l'ancienne part foncière de la taxe professionnelle mais aussi de la taxe foncière sur les propriétés bâties. Au total, moins de 30 % des gains dus à la suppression de l'assiette « EBM » sont repris par les mesures complémentaires (898 millions d'euros, rapportés à un « gain EBM » de 3.187 millions d'euros) ;

- les taxes sectorielles sur les entreprises de réseau conduisent à « reprendre » une partie importante, voire presque l'intégralité, des gains procurés par la suppression de l'assiette « EBM » aux secteurs d'activité dans lesquels ces entreprises exercent. Ainsi, le taux de « reprise » est 96,4 % dans le secteur de l'énergie.

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