3. Les réductions des exonérations de cotisations sociales patronales : une piste à emprunter avec prudence

Les exonérations de cotisations patronales sur les bas salaires coûtent chaque année environ 25 milliards d'euros aux finances publiques. Par ailleurs, bénéficiant essentiellement aux secteurs protégés, elles n'améliorent pas significativement la compétitivité des entreprises françaises. En outre, le taux de chômage français ne donne pas l'impression d'une grande efficacité de la politique de l'emploi. Dans ces conditions, il pourrait être tentant de fortement réduire, voire de supprimer, ces exonérations.

Cette piste soulève cependant de réelles contradictions.

a) Le dilemme entre lutte contre le chômage et amélioration de la compétitivité

Tout d'abord, il faut distinguer deux enjeux distincts :

- la lutte contre le chômage ;

- l'amélioration de la compétitivité de l'économie française.

La fonction des exonérations de charges sur les bas salaires n'est pas d'améliorer la compétitivité de l'économie française, mais de créer des emplois, en réduisant le coût du travail peu qualifié. En effet, réduire le coût du travail incite les entreprises à embaucher, et en particulier à moins substituer des machines à des salariés. Si l'objectif est bien de créer des emplois, il est normal que ces exonérations concernent essentiellement des secteurs protégés de la concurrence internationale, puisque tel est le cas de l'essentiel de l'économie française, et en particulier de la quasi-totalité du secteur des services.

Ainsi, comme votre rapporteur général a eu maintes fois l'occasion de le souligner, et comme cela est une fois de plus confirmé par le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, les exonérations de cotisations sociales actuellement en vigueur ont permis de créer environ 800.000 emplois, et leur suppression détruirait un nombre d'emplois équivalent, suscitant à court terme une augmentation du taux de chômage de 3 points. C'est ce qui ressort de la quinzaine d'études qui ont été faites sur le sujet en France, comme le montre un article publié en janvier 2006 par M. Yannick L'Horty. Aucun instrument de la politique de l'emploi n'a permis de créer autant d'emplois que la baisse des charges sur les bas salaires.

Si le taux de chômage est pourtant élevé en France, c'est parce que, parallèlement aux réductions de cotisations sociales, dans un premier temps les gouvernements successifs ont mené une politique de « coups de pouce » au SMIC, et qu'ensuite le renforcement des exonérations de cotisations sociales dans le cadre du passage aux 35 heures a eu pour objet de limiter l'impact sur l'emploi de l'augmentation du SMIC horaire résultant de la réduction de le durée du travail. Cette politique incohérente, consistant à réduire les cotisations sociales patronales d'un côté, et à alourdir le coût du travail de l'autre, ne pouvait guère être efficace.

Il est vrai qu'une politique massive de réduction du coût du travail peu qualifié, si elle était effective - ce qui n'est pas le cas -, aurait pour effet d'inciter les entreprises à se spécialiser dans des secteurs à forte intensité de main-d'oeuvre peu qualifiée, ce qui ne serait pas favorable à la compétitivité de l'économie française.

Cependant, cet enjeu ne doit pas être confondu avec celui de la politique de l'emploi. Quand on dit que le fait de réduire les exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires pourrait inciter les entreprises à se spécialiser dans les secteurs technologiques, cela ne signifie pas que l'emploi s'en trouverait accru. Contrairement à ce qui est souvent affirmé, le chômage en France ne résulte pas essentiellement de la concurrence des pays à bas salaire. L'économie française est très majoritairement une économie de services, et il va de soi qu'un coiffeur français n'est pas concurrencé par ses confrères des pays émergents. Par ailleurs, une partie importante de l'industrie est protégée de la concurrence internationale. L'intérêt d'avoir une économie compétitive est que cela permet une croissance plus élevée, ce qui ne crée pas nécessairement davantage d'emplois parce qu'elle résulte d'une croissance de la productivité apparente du travail plus élevée, et que la spécialisation dans des secteurs technologiques nuit à l'emploi peu qualifié.

Par ailleurs, si la réduction du coût du travail est à ce jour le principal instrument de la politique de l'emploi qui a prouvé son efficacité dans les pays développés, il n'est pas évident que le fait d'alourdir le coût du travail peu qualifié soit le meilleur moyen d'améliorer la compétitivité de l'économie française. D'autres outils, fiscaux - comme le crédit impôt-recherche - ou non fiscaux - comme la réforme de l'université - peuvent sembler mieux adaptés, sans avoir le lourd coût social d'une augmentation massive du chômage.

b) Des économies potentielles existent cependant

Dans ces conditions, les économies à attendre d'une réduction des exonérations de cotisations sociales patronales sont nécessairement limitées.

Tout d'abord, on voit mal comment un gouvernement pourrait décider, au nom de la réduction des déficits publics, d'une politique qui aurait pour effet d'entraîner une forte augmentation du taux de chômage. Selon le consensus des conjoncturistes, le taux de chômage sera en France de 9,4 % en 2009 et 10,3 % en 2010. Par ailleurs, comme il faut habituellement une croissance de l'ordre de 2 % pour que le taux de chômage soit stable, il est vraisemblable qu'à moyen terme le taux de chômage demeure élevé. Le contexte est donc particulièrement peu propice.

On ne pourrait donc en pratique envisager que des ajustements à la marge, qui ne permettraient d'économiser qu'une faible partie des 25 milliards d'euros d'exonérations de cotisations sociales patronales.

Par ailleurs, pour prendre un cas d'école, la suppression totale des 25 milliards d'euros d'exonérations de cotisations sociales patronales n'améliorerait pas la situation des finances publiques de 25 milliards d'euros, mais de seulement la moitié de cette somme environ. En effet, il faudrait indemniser les nouveaux chômeurs. Pour fixer un ordre de grandeur, une règle de proportionnalité suggère que si en 2008 l'Unedic a dû dépenser 30 milliards d'euros avec un taux de chômage de 7,5 %, l'augmentation de 3 points du taux de chômage résultant de la suppression des exonérations de cotisations sociales patronales entraînerait un accroissement de ces indemnisations d'environ 12 milliards d'euros.

Il est donc recommandé de se borner à réduire chaque année le coût global des exonérations de 2 milliards d'euros, pendant 3 ans, en ajustant à due concurrence leur champ d'application.

Certes, la France finira vraisemblablement par revenir au plein emploi, ne serait-ce que pour des raisons démographiques. Il sera alors envisageable de supprimer, ou de réduire encore plus fortement ces exonérations. Cependant, il ne s'agit que d'un enjeu à long terme.

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