B. CONSOLIDER LE RÉGIME DE NON-PROLIFÉRATION

La consolidation du régime international de non-prolifération impose deux types d'actions.

D'une part, il paraît de moins en moins pertinent de laisser les trois Etats nucléaires non parties au TNP en dehors de toute règle internationale de non-prolifération. Il faut donc rechercher des solutions innovantes permettant à ces Etats de se rapprocher du régime international, à défaut d'adhérer au TNP.

D'autre part, les règles de fonctionnement du TNP doivent être complétées en vue de mieux en assurer le respect.

1. Rapprocher les Etats non parties au TNP du régime international de non-prolifération

Le fait que les trois Etats qui n'ont jamais signé le TNP se soient dotés de l'arme nucléaire constitue incontestablement un facteur de fragilisation du régime international de non-prolifération.

Ces Etats échappent par définition aux obligations pesant sur les Etats non dotés, mais également, de manière paradoxale, à celles imposées aux Etats dotés reconnus par le traité.

On constate que la capacité nucléaire d'Israël est régulièrement invoquée dans les pays arabes de la région, en particulier en l'Egypte, en préalable à tout effort visant à prévenir la prolifération nucléaire au Moyen-Orient, qu'il s'agisse d'amener l'Iran à clarifier ses activités ou, de manière plus générale, de renforcer le régime des garanties et les capacités de vérification de l'AIEA dans les Etats qui n'ont pas encore souscrit un protocole additionnel.

Sur un autre plan, l'évolution de l'attitude internationale, au sein de l'AIEA et du NSG, vis-à-vis de l'Inde, en ce qui concerne la coopération nucléaire civile, est également apparue comme risquée au regard de l'intégrité du régime de non-prolifération, puisqu'un pays non partie au TNP qui s'est doté de l'arme nucléaire se voit reconnaître, dans des conditions certes encadrées et en contrepartie de certains engagements, des bénéfices assez comparables à ceux retirés par les Etats parties qui ont renoncé à l'arme nucléaire.

La position constante de la communauté internationale, rappelée en dernier lieu par la résolution 1887 du Conseil de sécurité des Nations unies, est que tous les Etats non parties au TNP doivent y adhérer en tant qu'Etats non dotés d'armes nucléaires. Une telle adhésion impliquerait que les trois Etats non signataires renoncent unilatéralement à l'arme nucléaire, ce qui paraît peu envisageable dans un avenir proche.

Une position inverse serait, au nom du principe de réalité, d'avaliser la capacité nucléaire de ces trois Etats et d'amender le TNP pour qu'ils puissent y adhérer en tant qu'Etat doté. Une telle hypothèse paraît très théorique, car il est hautement improbable que les conditions requises pour amender le traité pourraient être réunies 51 ( * ) . Nombre d'Etats s'opposeraient certainement à un tel amendement alors que d'autres subordonneraient leur acceptation à toute une série de modifications portant sur d'autres aspects du traité. La reconnaissance du statut nucléaire de ces trois Etats pourrait en outre amener des Etats parties à reconsidérer leur position vis-à-vis du TNP et à s'en retirer.

Il paraît aujourd'hui nécessaire d'éviter de demeurer dans cette alternative entre « tout ou rien » qui entrave les efforts de désarmement et de non-prolifération dans les régions les plus sensibles du monde.

La question du statut nucléaire d'Israël ne peut se résoudre que dans le cadre du projet de zone exempte d'armes de destruction massive au Moyen-Orient qui a été avancé par le président Moubarak en 1990, consacré par une résolution sur le Moyen-Orient adoptée lors de la conférence d'examen du TNP en 1995, puis largement appuyé depuis lors par la communauté internationale. Non partie au TNP, Israël ne pouvait par définition souscrire à la résolution de 1995, mais il a depuis lors déclaré s'associer à cet objectif en le liant aux conditions d'établissement de la paix et de la sécurité dans la région.

S'agissant de l'Inde et du Pakistan, l'idée d'un TNP régional , auquel la Chine pourrait également être partie prenante, a été avancée 52 ( * ) . Un tel traité serait calqué sur le TNP. Il comporterait les mêmes engagements de non-prolifération et, sous une forme adaptée, les engagements de désarmement figurant à l'article VI. En revanche, le statut des parties vis-à-vis de l'arme nucléaire ne serait pas spécifié.

Pour progresser, il n'apparaît guère d'autres voies possibles qu'une approche graduelle combinant l'adhésion à certains engagements de désarmement ou de non-prolifération et la réduction des tensions régionales, la question du statut nucléaire de ces trois Etats ne pouvant être abordée que dans des phases ultérieures.

A ce titre, l'évolution amorcée par l'Inde est intéressante.

Nombre de spécialistes de la non-prolifération ont vivement critiqué la décision du Groupe des fournisseurs nucléaires par laquelle l'Inde a obtenu une exemption de la règle des garanties généralisées lui permettant de nouer des coopérations nucléaires civiles avec plusieurs Etats possesseurs de technologies nucléaires. On a notamment considéré que les engagements pris par l'Inde étaient insuffisants en ce qu'elle n'avait pas définitivement renoncé aux essais nucléaires, qu'elle n'avait pas décrété de moratoire sur la production de matières fissiles à usage militaire et qu'une partie importante de ses activités nucléaires demeuraient hors du champ des garanties.

On ne peut toutefois minorer l'importance des pas effectués par l'Inde. Celle-ci avait jusqu'alors affiché de fortes réticences de principe à l'encontre du régime des garanties de l'AIEA. Du fait de son plan de séparation des activités nucléaires civiles et militaires, son accord de garanties couvrira d'ici cinq ans les deux tiers de la puissance installée de ses réacteurs nucléaires. Elle s'est montrée ouverte sur la signature du traité d'interdiction complet des essais nucléaires, pour peu qu'une ratification des Etats-Unis redonne une perspective crédible à l'entrée en vigueur de ce traité. Elle s'est engagée à collaborer à la conclusion d'un traité « cut-off » d'interdiction de la production de matières fissiles pour les armes nucléaires. Elle s'est dotée d'une législation interne destinée à renforcer le contrôle des exportations en vue de lutter contre la prolifération.

Le cas indien montre la possibilité d'avancées en direction du régime international de non-prolifération , même si elles sont modestes, de la part des Etats non parties au TNP.

L'adhésion au traité d'interdiction des essais nucléaires, qu'Israël a d'ailleurs signé, la mise en oeuvre d'un moratoire sur la production de matières fissiles à vocation militaire et l'engagement dans la négociation sur un traité d'interdiction, auquel le Pakistan continue malheureusement de faire obstacle, la souscription d'un protocole additionnel ouvrant une plus large partie des activités nucléaires à la vérification de l'AIEA, l'instauration d'un contrôle strict sur les exportations de technologies nucléaires, sont autant d'éléments qui pourraient permettre de rapprocher les Etats non parties au TNP du régime international de non-prolifération. La pression que leur situation actuelle provoque sur la solidité du régime de non-prolifération s'en trouverait certainement atténuée.

* 51 L'article VIII du TNP prévoit que pour être adopté, un amendement doit recueillir la majorité des voix des Etats parties, incluant l'accord des cinq Etats dotés et de tous les Etats membres du Conseil des gouverneurs de l'AIEA. Par ailleurs, l'amendement n'entre en vigueur qu'auprès des Etats qui l'ont ratifié.

* 52 Voir l'article de M. Bernard Sitt : « La non-prolifération des armes de destruction massive : entre norme et réalisme », Défense nationale et sécurité collective, n° hors série 2008.

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