3. En matière de désarmement, la France a une position particulièrement ouverte et constructive

Il paraît raisonnable à la France de réduire le rôle des armes nucléaires à une fonction purement dissuasive (et donc de refuser le concept d'armes tactiques ou de bataille). Tous les Etats, dans leur doctrine, ne sont pas aussi clairs.

La conséquence en est la recherche d'un calibrage selon le principe de stricte suffisance. Russie et Etats-Unis en sont loin.

Une stratégie de réduction des arsenaux dans le processus de désarmement est souhaitable, mais il faut éviter la confusion sur l'idée d'un objectif final qui serait le désarmement nucléaire, indépendamment de « l'objectif ultime » qui est le désarmement général et complet. On pourrait parler de « zone de basse pression nucléaire » pour qualifier l'objectif dans la période actuelle. Tous les autres pays sont-ils prêts à faire les mêmes gestes concrets que la France dans cette direction ?

La création de cette zone de basse pression nucléaire doit commencer par la réduction des arsenaux américain et russe. L'objectif très ambitieux de 1 000 têtes (500 de part et d'autre) en 2025, avancée par la Commission Evans-Kawaguchi, marquerait vraiment la réduction des arsenaux nucléaires américain et russe à une fonction de pure dissuasion. Cette réduction drastique est-elle envisageable ? C'est une question qu'il faut poser d'abord aux Etats-Unis et à la Russie. Il est clair que ces deux puissances exercent ensemble une fonction directrice dans le processus du désarmement nucléaire.

Nous n'avons pas à être « défensifs », bien au contraire. Nous avons de nombreuses questions à poser à l'ensemble de nos partenaires.

- Un premier pas nécessaire consiste à ratifier le traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE) et à imposer, en attendant, un moratoire sur les essais. La balle est d'abord dans le camp des Etats-Unis, mais aussi de la Chine, de l'Inde et du Pakistan.

- Il faudrait ensuite négocier un traité d'interdiction de la production de matières fissiles pour les armes nucléaires (TIPMF ou « cut off ») « vérifiable » et imposer dans l'attente un moratoire sur la production de ces matières fissiles. La France a fait ce qu'il fallait. La balle est dans le camp de la Chine, de l'Inde et du Pakistan pour ce qui est du « moratoire ». S'agissant de l'ouverture de la négociation d'un TIPMF, la balle est dans le camp du Pakistan et de l'Inde. Ces deux pays doivent être encouragés à trouver une formule qui débloque le processus.

- Il faudrait également renforcer le TNP, y compris par la souscription par les Etats nucléaires non membres du TNP de garanties équivalentes à celles requises des signataires (garanties généralisées, protocole additionnel « 93+2 », ratification du TICE et d'un futur TIPMF, contrôle des exportations de technologies nucléaires). Dans aucun de ces domaines la France n'est en retard, bien au contraire. Mais on peut faire la liste des « pays manquants » 71 ( * ) .

D'autres pas sont à réaliser :

- freiner la prolifération balistique ; la France propose un traité contraignant d'interdiction des missiles sol-sol à courte et moyenne portées ;

- développer un « management » responsable de l'énergie nucléaire ; la France propose de lever le moratoire du G8 sur les technologies sensibles sous certaines conditions strictes ;

- renforcer l'AIEA, car on ne peut pas vouloir lutter contre la prolifération nucléaire et refuser à l'AIEA les moyens de remplir ses missions ;

- mettre des limites au développement d'une défense antimissile stratégique propre à relancer la course aux armements nucléaires ;

- bannir la course aux armements dans l'espace ;

- lutter contre les déséquilibres conventionnels, y compris ceux résultant de l'équipement de têtes conventionnelles des missiles stratégiques intercontinentaux ( Prompt Global Strike ) ;

- promouvoir l'universalisation et la vérifiabilité des conventions contre les armes chimiques et biologiques ;

- exiger des rapports périodiques des puissances nucléaires sur l'état de leur arsenal, sur les démantèlements réalisés et sur leurs moyens balistiques ;

- développer les mesures de transparence, la France en ce domaine est exemplaire ;

- développer des capacités de vérification.

L'objectif d'« irréversibilité » des mesures de désarmement acquises doit faire l'objet d'un accord général de tous les Etats dotés. Pour sa part, la France n'a cessé de réduire la taille de son arsenal.

La France ne saurait en revanche cautionner la tentative de l'Ecole « abolitionniste » de « délégitimer » aujourd'hui les armes nucléaires. Au stade actuel, cela signifierait une moindre sécurité pour la France et pour le monde.

Nous devons réaffirmer l'objectif d'un monde plus sûr, dans la perspective ultime d'un désarmement général et complet (article VI du TNP). Tant que celui-ci ne sera pas réalisé grâce à la réunion des conditions politiques le permettant, l'objectif d'un monde plus sûr pour chacun implique, pour les pays dotés, par ailleurs membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, le maintien d'une dissuasion minimale. Contrairement au rapport Evans-Kawaguchi, il faut montrer qu'un désarmement réduit aux seules armes nucléaires autoriserait à nouveau de grandes guerres conventionnelles. La responsabilité du Conseil de sécurité, dont la France est membre permanent, est de garantir un monde plus sûr, de veiller à éviter toute déstabilisation et de traiter « au fond » les problèmes politiques pendants.

Par rapport à la campagne « abolitionniste », la France peut et doit donc tenir un discours à la fois argumenté et ouvert. Pas de concession à l'idéologie ou à la propagande, mais une détermination sérieuse à préserver les intérêts de sécurité, non seulement de la France, mais de la communauté internationale tout entière, en proposant une démarche progressive et raisonnée, en vue de créer à la fois les conditions de la paix et de la réduction du niveau des armements, notamment nucléaires.

C'est cette approche globale (« comprehensive ») et en même temps très politique qui donnera toute sa force aux propositions faites par la France et par l'Union européenne. Bien loin de se laisser acculer à une position frileuse et défensive, la France peut ainsi prendre une position « offensive », à partir des réalités et des blocages actuels (ils restent encore nombreux !). Des avancées décisives sur le dossier du désarmement doivent être obtenues. La France souhaite aller vers une « ère de basse pression nucléaire ». Votre rapporteur préconise cette démarche argumentée et « offensive ». Une telle démarche consiste à mettre chaque puissance devant ses responsabilités et à exercer une pédagogie d'ensemble.

* 71 Voir en annexe la liste des Etats n'ayant pas ratifié le TICE et de ceux ne disposant pas d'un protocole additionnel en vigueur avec l'AIEA.

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