2. Un choix permettant de parer à toutes les éventualités

Ces incertitudes et ces contraintes de temps peuvent expliquer que la France ait fait le choix de passer un volume de commandes qui devait permettre de répondre à la demande de tous ceux qui souhaiteraient être vaccinés.

On doit ajouter que cette option permettait aussi de prendre en compte le fait que l'on discernait encore mal quelles seraient les catégories de la population les plus vulnérables au virus. Les premières indications montraient déjà qu'elles seraient sensiblement différentes des « populations-cibles » traditionnelles de la grippe saisonnière, et assez largement définies.

Ainsi, on a certes constaté relativement rapidement que les plus de 65 ans étaient peu touchés mais, quand ils l'étaient, connaissaient le plus fort taux de mortalité 124 ( * ) . On a également appris que les enfants et les jeunes adultes étaient fréquemment atteints, y compris par des formes graves ou mortelles, que les femmes enceintes et les obèses étaient aussi des sujets à risque.

On peut donc penser, rétrospectivement, qu'une vaccination trop ciblée n'aurait pas protégé des personnes particulièrement menacées. Le fait que 15 à 20 % des cas sévères ou mortels aient été des personnes jeunes apparemment « sans facteur de risque », les taux d'attaques élevés constatés dans certaines populations autochtones d'Amérique du Nord et du Pacifique 125 ( * ) , même s'ils peuvent tenir pour partie à des conditions sanitaires précaires, donnent à penser que l'on ne connaît pas toutes les causes de certaines manifestations graves du virus H1N1.

La stratégie arrêtée prenait en compte, par ailleurs, le fait que la mise à disposition des vaccins serait inévitablement étalée dans le temps et prévoyait donc la définition d'un ordre de priorité.

Les avis recueillis

En dépit de l'urgence, les instances consultatives en matière sanitaire ont été saisies avant les décisions prises :

- le CLCG a été saisi en urgence, le 8 mai 2009, par le directeur général de la santé.

Il a émis le 10 mai un avis en réponse à cette saisine, qui se référait au rapport qu'il avait élaboré en décembre 2008 sur les réponses à la pandémie grippale 126 ( * ) , et à l'avis du HCSP du 5 septembre 2008 sur « La stratégie de vaccination contre une grippe pandémique ».

On conçoit qu'il n'ait pu, en effet, reprendre ab initio l'analyse du problème en deux jours : au demeurant, comme l'a fait observer M. Didier Houssin, directeur général de la santé, devant votre commission d'enquête 127 ( * ) , l'incertitude était à peu près la même, en septembre ou décembre 2008 sur la grippe H5N1, et en mai 2009 sur la grippe H1N1.

L'avis du comité réitérait sa position en faveur « d'une protection de tous » assortie d'une proposition de priorisation des stratégies « sur la base de leur impact épidémiologique et de leur efficience » . En fonction des données disponibles, il recommandait ensuite la stratégie d'acquisition progressive, déjà proposée en 2008, d'un stock de vaccins selon quatre étapes successives dont les trois premières, d'un montant cumulé de 78 millions de doses, correspondaient à la vaccination à deux doses de trois groupes prioritaires, la dernière (30 millions de doses), permettant d'étendre la vaccination à deux doses à l'ensemble de la population entre 6 mois et 65 ans.

- Le HCSP a ensuite été saisi le 11 juin 2009 et s'est prononcé le 26 juin en faveur de la vaccination, « le plus tôt possible après le début de la circulation active du virus », des adultes de 18 à 60 ans et des enfants de 3 à 18 ans. Il soulignait ensuite que la vaccination n'aurait, au-delà du trentième jour suivant le début de la circulation active du virus, pas d'impact sur l'évolution de la pandémie, mais conserverait « tout son intérêt à titre de protection individuelle » .

Il rappelait également l'efficacité clinique « incertaine » de la vaccination pandémique et la nécessité de maintenir des mesures de protection barrière. Il recommandait enfin une évaluation régulière de la balance bénéfice-risque de la vaccination par un vaccin pandémique.

- Enfin, le choix de proposer la vaccination à l'ensemble de la population se fondait aussi sur l'avis du Comité consultatif national d'éthique sur « les questions éthiques soulevées par une possible pandémie grippale » 128 ( * ) , rendu sur une saisine de l'Espace éthique de l'AP-HP. Cet avis soulignait que, dans la perspective probable d'une disponibilité progressive des vaccins, il faudrait rappeler que « le but est de protéger toute la population » , mais ciblait surtout ses recommandations sur l'urgence d'informer la population de la nécessité de définir des priorités et des critères fondant ces priorités.

Etait-il possible de satisfaire à toutes les demandes de vaccination sans procéder à la commande ferme de 94 millions de doses ?

Assurément, il est aujourd'hui possible de répondre par l'affirmative à cette question. Sur le moment, il faut admettre que c'était totalement impossible, faute de pouvoir apprécier la demande, susceptible de fluctuer en fonction de facteurs multiples. En outre, il n'était pas concevable que l'option claire qui avait été choisie se traduise par des intentions d'achats résultant de calculs byzantins et qui avaient toutes les chances de s'avérer inexacts.

La seule réponse sûre à la question du juste dimensionnement des commandes était celle de l'adaptabilité de leur volume aux besoins.


* 124 Liam J. Donaldson et al « Mortality from Pandemic A/H1N1 2009 influenza in England » - British Medical Journal - 2009 - 339.

* 125 Clinical aspects of Pandemic 2009 Influenza A(H1N1) virus infection », article du comité de rédaction de la consultation de l'OMS sur les aspects cliniques de la pandémie H1N1, publié dans le New England Journal of Medicine du 6 mai 2010.

* 126 « Pandémie grippale : stratégie vaccinale intégrant l'utilisation d'un vaccin prépandémique dirigé contre le virus grippal A (H5N1) et actualisation de la stratégie et des modalités d'utilisation des antiviraux » - 18 décembre 2008.

* 127 Audition du 30 juin 2010.

* 128 Avis du Comité consultatif national d'éthique n° 106 du 5 février 2009.

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