II. LA PANDÉMIE ANNONCÉE EST-ELLE DEVENUE UNE PANDÉMIE ATTENDUE ?

Pendant les cinq dernières années, les préparations aux pandémies se sont ainsi essentiellement focalisées sur les « scénarios du pire », conduisant les autorités publiques à réagir à l'apparition du virus A (H1N1)v comme s'il s'agissait d'un événement sanitaire sans précédent.

Les présupposés concernant la nature des infections émergentes ainsi que leur surveillance poussée en laboratoire ont conduit au fait que la « pandémie annoncée » est insensiblement devenue une « pandémie attendue ».

A. UNE PANDÉMIE DE GRIPPE H5N1 POUR LAQUELLE LES ÉTATS, LES EXPERTS ET LES LABORATOIRES SE SONT PRÉPARÉS ET QUI N'EST PAS ARRIVÉE

1. Les prédictions scientifiques sont-elles devenues inconsciemment des espérances ?

Parallèlement à la mobilisation des Etats face au risque pandémique, beaucoup d'interlocuteurs de la commission d'enquête ont insisté sur les mécanismes ayant abouti à la préparation collective des esprits, et notamment de la communauté scientifique, à l'émergence d'un risque pandémique de type H5N1 , tendant à transformer inconsciemment ce qui ne sont que des prédictions scientifiques en une sorte de « désir de pandémie » et qui a incité les experts à considérer ce qui n'apparaît aujourd'hui que comme le réassortiment d'un virus ancien, comme le facteur déclenchant de cette pandémie attendue.

Ces mécanismes, assez difficilement saisissables, semblent étroitement liés aux spécificités du domaine de la recherche. D'une certaine manière, en effet, plus on est capable, techniquement, de chercher des anomalies, plus on en cherche et plus on en trouve sans qu'elles soient pour autant pertinentes . C'est ce qu'indiquait M. Yves Charpak aux membres de la commission d'enquête 22 ( * ) : « On prédit l'épidémie et sa dangerosité avant qu'elle ne se manifeste cliniquement et ne se confirme avec la détection d'un nouveau variant. Il y a un nouveau variant, il va se mettre à circuler, on va le suivre. Autrement dit, malheureusement, plus on a de laboratoires de recherche, de surveillance en réseaux dans le monde, ce qui est une bonne chose (parce que l'on est capable d'alerter plus précocement et de se protéger mieux), plus on aura des alertes, éventuellement peu significatives. ». C'est ce que M. Peter Doshi qualifie de « vigilance partisane » via laquelle vigilance et anxiété peuvent précipiter les événements plus que la maladie elle-même 23 ( * ) .

Dans ce cadre, les enjeux personnels liés à la valorisation des travaux de recherche ne doivent pas être minimisés . Comme le notait M. Yves Charpak 24 ( * ) , le monde de la recherche est « un monde de compétition extrêmement féroce. Au sein même de chaque institution, dès qu'arrive quelque chose comme une menace de pandémie (mais ça peut être autre chose, un nouveau pathogène), tout le monde se bat pour être le premier, pour faire son test diagnostic, parce qu'à la clé, il y a des publications, la reconnaissance professionnelle et la pérennité de l'activité. [...] Une pandémie, c'est l'utilisation de méthodes diagnostiques inventées par les chercheurs sur le virus de la grippe. Il y a un intérêt à espérer, même inconsciemment, que les maladies arrivent ». M. Ulrich Keil indiquait dans le même sens que finalement « les spécialistes étaient impatients de démarrer une campagne de vaccination. Ils possédaient le modèle de la grippe aviaire et le vaccin a d'ailleurs été fabriqué à partir de celui-ci ». 25 ( * )

Le professeur Marc Gentilini précisait, de ce point de vue, que la démarche du chercheur est différente de celle du clinicien : « j'ai le sentiment que le chercheur est, par démarche, plus égoïste. C'est sa recherche, il n'a pas le malade au bout de la chaîne pour lui demander une explication, ni une famille à rassurer. [...] Le chercheur, s'il veut réussir, doit être un battant [...]. Si vous trouvez la même chose que quelqu'un d'autre en même temps sur le même thème, c'est le premier qui publiera qui sera reconnu comme étant l'auteur de cette découverte ». 26 ( * ) .

Or, cette préparation collective , notamment de la communauté scientifique, à l'émergence d'une pandémie s'est auto-alimentée, comme le soulignait M. Jérôme Sclafer 27 ( * ) , avec l'accroissement de l'activité éditoriale autour de ce sujet : selon la base de données américaine Medline qui répertorie les principales revues médicales, si deux publications seulement en moyenne par an, dans les années 1980, portaient un titre contenant l'expression « grippe pandémique », en 1997, dix-huit publications avec un tel titre ont accompagné l'alerte sur la grippe de Hong Kong. L'intérêt pour ce concept a encore augmenté à partir de 2003 puisque cinquante et une publications ont titré sur la grippe pandémique en 2004, cent vingt-quatre en 2005, puis plus de deux cents par an à partir de 2006.

Il résulte de ces différents mécanismes qu' il ne s'agit finalement plus de savoir SI la pandémie va se produire, mais QUAND, faisant de la pandémie de grippe à venir un événement à la fois très probable et lourd de conséquences . C'est la logique qui ressort de l'avis du HCSP du 5 septembre 2008 28 ( * ) qui indique : « aujourd'hui, la probabilité de survenue d'une pandémie est élevée sans qu'il soit possible d'en prédire la date de survenue et son intensité ». L'arrivée d'une pandémie est perçue comme quasi inévitable.


* 22 Audition du 28 avril 2010.

* 23 M. Peter Doshi, « Calibrated response to emerging infections », British Medical Journal, 3 septembre 2009.

* 24 Audition précitée du 28 avril 2010.

* 25 Audition du 19 mai 2010.

* 26 Audition du 5 mai 2010.

* 27 Audition du 12 mai 2010.

* 28 HCSP, avis précité relatif à la menace de pandémie grippale, pertinence de l'utilisation d'un vaccin prépandémique dirigé contre le virus grippal A (H5N1), 5 septembre 2008.

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