2. Une vulnérabilité sensiblement accrue

Indifférence du management aux difficultés rencontrées, incertitudes autour de la carrière et de l'emploi, délitement des collectifs de travail... : alors qu'il est soumis à un faisceau de contraintes de plus en plus dense, le salarié paraît démuni.

a) La fin des carrières prévisibles, sans contreparties en termes d'employabilité

La prise en compte de plus en plus exclusive du mérite, de la performance et des aptitudes réelles afin de pourvoir aux différents postes dans l'entreprise et, parallèlement, la tendance croissante des salariés à prendre en main leurs carrières - attitude que leur suggère aussi bien la remise en cause effective des carrières linéaires ( supra ), l'obsolescence plus rapide des productions et des postes ainsi qu'un certain discours managérial au sein et hors de l'entreprise 105 ( * ) -, débouche sur une imprévisibilité croissante des trajectoires professionnelles, au sein puis hors de l'entreprise.

Il est un fait que le taux de rotation du personnel 106 ( * ) - ou « turn over » - tend à augmenter .

TAUX DE ROTATION DE PERSONNEL DEPUIS 1996

DANS LES ÉTABLISSEMENTS DE 10 SALARIÉS ET PLUS

Source : Service des études économiques du Sénat, données DARES

Ce phénomène concernerait au premier plan les « outsiders » ( infra ), notamment les intérimaires et les personnes en contrats à durée déterminée, ces derniers représentant 9,4 % des salariés 107 ( * ) . L'examen des causes de sortie de l'entreprise, dont les fins de CDD représentent 63 % (contre 8 % pour les licenciements), ne contredit pas ce diagnostic :

SORTIES SELON LES PRINCIPAUX MOTIFS

DANS LES ÉTABLISSEMENTS DE 10 SALARIÉS OU PLUS (2007)

Source : Service des études économiques du Sénat, données DARES

Contrepartie d'une liberté théorique qui permettrait d'être, avec bonheur, le continuel inventeur de sa vie professionnelle, cette incertitude peut déboucher sur une inquiétude réelle (même si, sous un autre angle, qui pourrait être celui des promoteurs de cette liberté, « Ce n'est pas le doute, c'est la certitude qui rend fou » 108 ( * ) ).

Les termes du débat ne sont probablement pas les mêmes selon les profils et le niveau d'études. Il semble, en effet, a priori plus facile à un salarié diplômé et « adaptable », habitué aux travaux de conception, de parvenir, précisément, à « concevoir » sa carrière, qu'à un travailleur cantonné dans des tâches d'exécution peu variées, ne disposant pas des mêmes réseaux d'information, et probablement moins enclin à réfléchir à ses « aspirations » dans le travail, dès lors que ce dernier, parfois vécu comme une fatalité, ne valoriserait pas particulièrement celui qui l'exécute.

Ainsi, les remises en cause professionnelles pourraient apparaître comme plus fréquemment décidées chez les cadres, et davantage subies chez les moins diplômés.

Quoi qu'il en soit, la remise en cause des carrières linéaires emporte pour tous - par delà l' aléa majeur du chômage - une imprévisibilité géographique et financière d'autant plus fragilisante que les salariés se trouvent « installés » dans la vie - ou le souhaitent . Par ailleurs, le raccourcissement des perspectives dans le cadre de la suppression de la carrière au sens d'une trajectoire globalement prévisible au sein d'une entreprise fait écho au problème plus général de crise de l'avenir de la mobilité sociale ascendante.

Malgré l'acclimatation des quelques éléments de « flexisécurité », de la GPEC 109 ( * ) ainsi que de nouveaux droits à formation visant à préserver ou améliorer l' employabilité des personnes et leur capacité à assumer les diverses situations de mobilité ( infra ), l'ensemble formé par les dispositifs existants ne parvient en aucun cas à remplacer la « carrière » dans son rôle assurantiel , ainsi que d'ascension sociale.

Concernant la formation, la Cour des comptes 110 ( * ) constate ainsi que « les bénéficiaires de formation professionnelle sont pris en charge par des interlocuteurs différents en fonction de leur situation : l'Etat pour l'enseignement professionnel, les régions et les entreprises pour l'apprentissage, les entreprises et les branches professionnelles pendant les périodes d'activité salariée, la région et les organismes du service public de l'emploi en cas de recherche d'emploi. Cette situation n'est pas satisfaisante dans la mesure où elle s'oppose à un suivi individualisé des besoins de formation tout au long de la vie . De plus, les inconvénients engendrés par ce fonctionnement se concentrent sur ceux qui , peu formés ou mal qualifiés, connaissent la plus grande instabilité sur le marché du travail et sont le plus souvent exposés au risque de chômage. Il apparaît donc que, par son organisation même, le système de formation professionnelle tend à accuser les inégalités entre les mieux formés, qui bénéficient en général d'un accès aisé et régulier aux formations se révèle plus irrégulier et difficile ».

L' employabilité des salariés constitue aujourd'hui la principale piste de sécurisation des salariés qui soit compatible avec les mutations, toujours plus rapide, de l'appareil de production ( infra ).


* 105 Cf. supra l'« entreprise de soi ».

* 106 Le taux de rotation est la demi-somme du taux d'entrée et du taux de sortie. Pour un trimestre donné, le taux d'entrée (respectivement de sortie) est le rapport entre le nombre total d'entrées (respectivement de sorties) du trimestre et l'effectif de début de trimestre (source DARES).

* 107 Chiffres 2007, données INSEE.

* 108 Nietzsche.

* 109 Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.

* 110 Rapport public thématique « La formation professionnelle tout au long de la vie », septembre 2008.

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