SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS DU RAPPORT
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POUR UN NOUVEAU CADRE DE DÉCISION
ET DE GESTION DU SYSTÈME ÉDUCATIF

Axe 1 : Donner au Parlement la capacité d'arbitrer la politique nationale d'éducation

1. Refondre l'architecture budgétaire pour permettre au législateur d'identifier les priorités et de différencier en conséquence les moyens alloués grâce à une connaissance précise, à chaque échelon, du coût des actions éducatives exprimé en euros et non en heures

2. Organiser, au plus tard six mois avant la rentrée scolaire, un débat d'orientation budgétaire sur l'adéquation des moyens de l'éducation nationale à ses missions et aux objectifs fixés

3. Limiter le recours aux expérimentations ministérielles et les soumettre à concertation préalable ainsi qu'à évaluation rigoureuse et systématique

Axe 2 : Déployer une offre éducative territoriale fondée sur la complémentarité des réseaux et le dynamisme des partenariats

4. Parachever la réforme pédagogique de 2005 par la constitution de réseaux du socle commun pilotés par un comité directeur composé du principal du collège-centre et des directeurs des écoles du secteur, et associant les partenaires locaux

5. Sous réserve des contraintes de la géographie des territoires, favoriser les mises en réseaux et les regroupements d'écoles en milieu rural par la concertation avec les collectivités territoriales, l'exploitation des technologies numériques pouvant en être un levier

6. Mettre en cohérence la géographie de l'éducation prioritaire et celle de la politique de la ville afin de concentrer les ressources sur les publics les plus défavorisés

7. Nommer dans chaque région des « préfets éducatifs » , chargés de coordonner l'ensemble des politiques de l'État concourant à l'éducation et également d'articuler les actions menées sur les trois leviers interdépendants que sont la famille, l'école et son environnement socio-économique

8. Conclure des « contrats de stratégie éducative régionale » (CSER) pour rompre les cloisonnements et mettre en cohérence les interventions de l'État et des collectivités territoriales, reconnues comme partenaires à part entière

Axe 3 : Acter la responsabilité collective des équipes des établissements dans la réussite des élèves

9. Donner corps à la contractualisation entre rectorats et établissements , en y assignant une fraction spécifique de leur dotation globale

10. Développer une double évaluation interne et externe de l'établissement

11. Confier au chef d'établissement l'évaluation pédagogique individuelle des enseignants et en contrepartie, dissocier les fonctions de chef d'établissement et de président du conseil d'administration , confiée dès lors à une personnalité extérieure

Axe 4 : Tirer les conséquences de la spécificité du métier d'enseignant en éducation prioritaire

12. Interdire l'affectation de fonctionnaires stagiaires ou néotitulaires dans un établissement relevant de l'éducation prioritaire et réguler les mouvements intra et interacadémiques afin de stabiliser les équipes pédagogiques

13. Adapter les différences d'obligations de service entre corps d'enseignants et entre enseignants du même corps, en fonction du degré de difficulté de prise en charge des élèves

14. Revaloriser le statut d'enseignant en éducation prioritaire par la création d'une classe exceptionnelle accessible après quinze ans de service dans ce type d'établissement

15. Revenir à une sectorisation plus stricte des élèves dans l'éducation prioritaire afin de garantir une politique durable et efficace de lutte contre les inégalités scolaires

I. « REDONNER SENS À L'AUTORISATION BUDGÉTAIRE »

L'intitulé de la présente partie reprend expressément le titre d'un rapport du Sénat rédigé en 1999 6 ( * ) et consacré aux personnels de l'Éducation nationale. L'Éducation nationale a connu des évolutions sensibles ; pour autant, votre mission regrette que l'enseignement scolaire soit toujours aussi peu au coeur des décisions soumises au vote du Parlement . Étant donné sa place dans le calendrier et son architecture, le débat budgétaire, qui dure tout au plus trois heures, ne pallie pas le caractère infralégislatif de la matière scolaire. Les politiques éducatives menées par le ministère de l'Éducation nationale, et les autres ministères, ne sont que trop rarement soumises aux arbitrages éclairés du Parlement, dont in fine la première fonction en matière scolaire est d'autoriser, annuellement, la rémunération de près d'un million de personnels.

La représentation nationale s'est-elle prononcée sur le lancement du programme « Clair » qui, transformé à la rentrée prochaine, devrait tenir lieu de politique en éducation prioritaire ? Non, deux circulaires ont suffi. Plus globalement, la représentation nationale connaît-elle le coût des politiques éducatives ? Non. L'audition de la Cour des comptes a été sans appel sur ce point : « L'éducation nationale, qui « consomme », pour dix millions d'élèves, 61 milliards d'euros par an, n'a pas de problème de moyens. La vraie question, c'est que, raisonnant en heures et en postes et non en euros, elle ne connaît pas le coût réel de ses politiques éducatives ; par exemple, un chef d'établissement ne peut pas connaître le coût du développement de telle ou telle option. En outre, si le niveau global des financements est raisonnable, leur ventilation entre les différentes catégories d'enseignement l'est moins. Le primaire par exemple, enseignement essentiel, où se constituent les difficultés, est le moins bien loti. »

Votre mission n'a donc cessé de s'interroger sur le lien entre débat budgétaire et politiques éducatives pour conclure qu'étant insatisfaisant, il était donc indispensable de le redéfinir.

A. DES ARBITRAGES POLITIQUES RÉDUITS À « UNE PEAU DE CHAGRIN »

La mission « Enseignement scolaire » représente 21,5 % des crédits du budget général de l'État et 48 % des emplois de l'État autorisés. Investissement stratégique pour l'avenir du pays, l'École, au sens large du terme, revêt une dimension éminemment politique.

Toutefois, les politiques publiques éducatives sont majoritairement décidées au sein de l'administration de l'éducation nationale ou à la périphérie immédiate de celle-ci. A l'heure où l'efficacité de notre système scolaire se pose avec acuité, ce paradoxe ne peut plus perdurer.

1. Le Parlement et les politiques éducatives : des préoccupations avérées, un impact décisionnel faible

Parce que chacun d'entre nous a été, est ou sera un jour élève, parce que la majorité des Français a été, est ou sera parent d'élève, parce qu'un grand nombre de nos compatriotes travaille au contact du système scolaire, l'Ecole est incontestablement un bien commun et un enjeu majeur. Pour autant, si les questions éducatives ne sont pas absentes du débat parlementaire, elles ne sont que trop rarement arbitrées par la représentation nationale malgré une forte attente de la part des élus.

Cette situation résulte avant tout du caractère faiblement législatif de la matière scolaire contrairement à d'autres sujets de politiques publiques notamment à dimension économique ou sociale. A titre d'exemple, le statut des enseignants et les obligations de service de ces derniers sont définis par décrets 7 ( * ) . Les mouvements de personnels sont encadrés par des circulaires tout comme la politique en éducation prioritaire, la définition des programmes ou les rythmes scolaires.

Depuis la loi de décentralisation n° 83-663 du 22 juillet 1983 qui a créé les établissements publics locaux d'enseignement (EPLE), le Parlement a rarement eu l'occasion de se saisir effectivement des questions d'organisation scolaire ou de politiques éducatives : en 1984, avec le débat sur le projet de « grand service public laïque et unifié » de l'éducation présenté par M. Alain Savary, en 1989 avec la loi d'orientation n° 89-486 du 10 juillet 1989 qui fait de l'éducation la première priorité nationale, en 2005 enfin avec la loi n° 2005-380 du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'École qui créé le socle commun de connaissances et de compétences. Encore faut-il rappeler que la présentation du projet de loi sur l'avenir de l'école avait soulevé un certain nombre de critiques compte tenu de la nature réglementaire de certaines propositions.

Néanmoins, cela ne signifie pas que la représentation nationale ne s'intéresse pas aux questions scolaires et éducatives, lesquelles concernent directement chaque élu local. L'examen des questions posées par les parlementaires démontrent, bien au contraire, une réelle préoccupation. Entre juin 2010 et juin 2011, 403 questions ont été posées par les sénateurs au ministre de l'éducation nationale, contre 272 par exemple pour le Garde des Sceaux ou 58 pour la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Le débat parlementaire sur l'éducation s'est également enrichi avec la mise en place des questions cribles thématiques (QCT) : organisées au Sénat depuis le mois d'octobre 2009, elles se déroulent deux fois par mois le mardi. A ce jour, 26 séquences ont eu lieu. 15,4 % des QCT ont concerné l'éducation et la formation : l'éducation et l'ascension sociale (31 mars 2010), la rentrée scolaire (27 octobre 2010), l'aggravation des inégalités sociales dans le système scolaire (2 février 2011) et l'apprentissage dans le cadre des douzièmes journées de l'apprentissage (18 mai 2011).

2. La « réformite aigüe » du ministère : vers une dilution des priorités éducatives

La faiblesse de la saisine du législateur ne signifie pas l'absence d'évolutions ou de réformes dans le secteur de l'éducation nationale. « La Rue de Grenelle » serait même plutôt atteinte d'une « réformite aiguë » que d'aucuns ont pu critiquer. La multiplication des réformes pose, en effet, un double problème de lisibilité et d'efficience de l'action du ministère. Comme le soulignait la commission des finances du Sénat, le suivi budgétaire des réformes annoncées, ou en cours, est « difficile » : « (...) la multiplication de telles annonces, peut nuire au bon suivi et au contrôle des crédits de la présente mission, qui constitue pourtant le premier poste de dépenses de l'État. Ces mesures, le plus souvent annoncées en cours d'année, ne font en effet généralement pas l'objet d'une présentation au sein des projets annuels de performances et leur impact budgétaire reste mal connu. 8 ( * ) »

Par ailleurs, votre mission partage le sentiment de certain de ses interlocuteurs selon lequel trop de priorités tuent les priorités. Mme Agnès Van Zanten, sociologue de l'éducation, a ainsi estimé « qu'il faudrait presque arrêter d'initier de nouvelles réformes, afin de se concentrer sur l'application effective, sur le terrain, de celles déjà mises en oeuvre ». 9 ( * )

M. Laurent Bigorgne de l'Institut Montaigne s'est interrogé sur la faisabilité de telles réformes : « En France, nous constatons que les réformes partent de bonnes idées telles que le soutien personnalisé, la réflexion sur le rythme scolaire ou encore l'aide aux écoles en difficulté. Toutefois, nous n'avons pas l'impression d'une réforme en profondeur centrée sur des priorités. Nous avons créé un « plan sciences » pour valoriser l'élite. Le gouvernement français a-t-il suffisamment de ressources pour mener les deux réformes en même temps ? » 10 ( * ) . De même, Laurent Cros de l'association Agir pour l'école s'est demandé si la réduction des priorités n'était pas prioritaire : « Compte tenu du nombre et du rythme des réformes imposées à l'éducation depuis deux décennies, je me demande dans quelle mesure il ne serait pas utile de se fixer une seule priorité et de s'y tenir à l'échelle d'un mandat. Ma réponse est peut-être trop simpliste mais je pense que nous ne pourrons pas résoudre tous les problèmes simultanément. » 11 ( * )

Votre rapporteur estime en conséquence nécessaire de recréer les conditions d'arbitrages nationaux, afin de clarifier les priorités de l'Éducation nationale qui, comme en témoignent les circulaires relatives à la préparation des rentrées scolaires, ajuste annuellement ses objectifs.

Pour la rentrée 2009, le ministère de l'éducation nationale a identifié 15 priorités ! Votre mission se demande si ce n'était pas davantage une présentation de l'action du ministère ! En 2010, la circulaire de préparation de la rentrée a reconnu dix priorités pour l'ensemble des niveaux scolaires et cinq principes directeurs déclinés en 23 actions pour l'action du ministère... Pour la rentrée 2011, trois axes politiques ont été choisis, déclinés en 16 actions elles-mêmes décrites par 32 sous-actions. Il est toujours étonnant, voire inquiétant, de constater la faible capacité du ministère à hiérarchiser son action, « l'ambition culturelle et la vie lycéenne » étant par exemple au même niveau que « la maîtrise de la langue française et des mathématiques ».

Si la mission comprend la nécessité pour le ministre de concilier un certain nombre d'intérêts, il lui semble qu'il est également de sa responsabilité d'être plus rigoureux et plus sélectif dans le choix de ses priorités, qui pourrait davantage être stabilisées et discutées par le Parlement ( cf. infra) .

3. Un budget au coeur des débats relatifs à l'évolution des finances publiques

Depuis quelques années le débat budgétaire se cristallise autour des annonces annuelles de suppression de postes décidées en application de la règle du non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. En particulier, le maintien de cette règle à la rentrée 2011 ne cesse de soulever des contestations de la part des personnels, des parents d'élèves et des élus, dont certaines organisations représentatives ont demandé en mai 2011 l'arrêt des fermetures de classe dans l'enseignement élémentaire, notamment en zones rurales.

Après avoir rappelé que la règle du « un sur deux » constitue une contrainte exogène au budget de l'Éducation nationale, ne traduisant en aucun cas une politique éducative donnée mais une volonté légitime d'assainissement des finances publiques , votre rapporteur estime que le caractère vertueux de cette règle ne pourra être conservé que si le ministère intériorise davantage cette contrainte et procède à des ajustements structurels cohérents avec les politiques éducatives qu'il mène.

a) Le non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite...

La Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP), programme de modernisation de l'action de l'État touchant l'ensemble des politiques publiques et l'ensemble des ministères, a été lancée en juin 2007. Parmi les trois constats qui fondent la RGPP, la taille de l'État, mesurée par le nombre de fonctionnaires, a conduit à mettre en place la politique de non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Rappelons que depuis 30 ans, plus de 300 000 personnes ont été recrutées, en dépit des transferts de compétences de plus en plus importants vers les collectivités territoriales et les opérateurs de l'État. Première dépense en nature de l'État (117,2 milliards d'euros en 2011, soit 41 % des dépenses du budget général), les dépenses de personnel pèsent sur les finances publiques aujourd'hui, mais aussi demain, car le recrutement d'un fonctionnaire engage nécessairement ce dernier sur une durée minimum de 42 ans, sans compter les dépenses liées ensuite au versement des pensions.

La politique de non remplacement d'un fonctionnaire sur deux, destinée à garantir la soutenabilité financière de la masse salariale de l'État, aurait conduit entre 2008 et 2011 à la suppression de 115 000 postes portant pour près de la moitié sur la mission « Enseignement scolaire ». Ce chiffre s'explique par le fait que l'Éducation nationale emploie près de la moitié des fonctionnaires de l'État.


* 6 « Mieux gérer, mieux éduquer, mieux réussir. Redonner sens à l'autorisation budgétaire », Rapport n°328 (1998-1999), fait par MM. Adrien GOUTEYRON, Francis GRIGNON, Jean-Claude CARLE et André VALLET, au nom de la commission d'enquête sur la situation et la gestion des personnels des écoles et des établissements du second degré.

* 7 Par exemple, décret n° 50-581 du 25 mai 1950 modifié portant fixation des maximums de service hebdomadaire du personnel enseignant des établissements d'enseignement du second degré, décret n° 72-580 du 4 juillet 1972 modifié relatif au statut particulier des professeurs agrégés de l'enseignement du second degré ou décret n° 72-581 du 4 juillet 1972 modifié relatif au statut particulier des professeurs certifiés.

* 8 Projet de loi de finances pour 2009- Annexe 13 « Enseignement scolaire », rapport général n° 99 (2008-2009) de MM. Gérard LONGUET et Thierry FOUCAUD, fait au nom de la commission des finances.

* 9 Audition du 18 janvier 2011.

* 10 Audition du 1 er mars 2011.

* 11 Ibid.

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