Audition de M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale,
de la jeunesse et de la vie associative

(26 avril 2011)

M. Serge Lagauche, président . - Vous avez souhaité participer à notre réflexion sur l'organisation territoriale du système scolaire et l'évaluation des expérimentations locales en matière d'éducation, Monsieur le ministre, et je vous en remercie. Je laisse à M. le rapporteur le soin d'entamer le débat.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur . - Nous nous sommes donné pour tâche de faire le point sur l'organisation territoriale du système éducatif français. En dépit des investissements consentis, les résultats ne sont pas en effet toujours à la hauteur des espoirs. Malgré les lois de décentralisation et la déconcentration, peut-on considérer que l'organisation actuelle n'est plus adaptée à la modernité, à ses exigences de souplesse et de réactivité ? Nos déplacements nous ont appris que, contrairement au système français très hiérarchisé et « descendant », le système éducatif, dans la plupart des autres pays, est « ascendant ». Des expérimentations sont menées à votre initiative, mais on n'obtient de résultats que si l'expérience est partagée.

Sur la gestion des ressources humaines - le nombre d'enseignants est très élevé - n'y a-t-il pas des progrès à faire ?

M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative . - Merci de votre invitation. Notre système scolaire est à la croisée des chemins. Héritée d'une autre époque, l'organisation actuelle n'est plus adaptée aux attentes des élèves et des parents. En une génération, nous avons réussi la massification de l'enseignement : 100 % d'une classe d'âge est désormais scolarisée jusqu'à 16 ans, et 65 % parvient jusqu'au baccalauréat ; c'est trois fois plus qu'au début des années 1980. Mais au plan qualitatif, les résultats laissent à désirer, comme le montrent les comparaisons internationales et les évaluations que nous menons nous-mêmes. Le nombre de bacheliers n'augmente plus guère depuis quinze ans. C'est un problème d'efficacité et d'organisation.

Face à la massification de l'enseignement, il faut faire évaluer nos méthodes, depuis la maternelle jusqu'en terminale : c'est le sens de la réforme de l'enseignement primaire de 2008, qui a institué une aide personnalisée de 2 heures et recentré la pédagogie sur les programmes fondamentaux - il faut que chacun sache lire, écrire et compter à l'entrée en sixième. C'est aussi le sens de la création d'un accompagnement éducatif au collège, d'un accompagnement personnalisé au lycée et de stages de remise à niveau. La Cour des comptes nous invitait d'ailleurs il y a un peu plus d'un an à différencier les moyens mis en oeuvre selon les publics concernés. Je reste très attaché au caractère national des programmes, des diplômes et du recrutement des enseignants, mais il faut donner plus d'autonomie aux acteurs locaux, car les réalités sont diverses, et chaque élève doit pouvoir bénéficier d'un projet éducatif adapté.

Au niveau des académies, j'ai voulu faire confiance aux recteurs et à leurs équipes. Dans le cadre de la préparation de la loi de finances pour 2011, et conformément aux préconisations de la Cour des comptes, j'ai lancé un « dialogue de gestion » avec les académies : chacune s'est vu fixer un programme d'objectifs et de moyens adapté à sa démographie actuelle - certaines académies sont traditionnellement mieux dotées en professeurs et en moyens - et aux évolutions démographiques prévisibles, mais aussi à la situation territoriale - ville, campagne, Outre-mer... - et sociale - taux de familles en difficulté, taux de chômage... Il fallait également tenir compte de la gestion prévisionnelle des emplois, c'est-à-dire de la nécessité de former des jeunes à des métiers disponibles sur le territoire où ils vivent. Nous avons recensé les bonnes pratiques, et déterminé les priorités de chaque académie : nombre d'élèves en difficulté à accueillir, lutte contre l'illettrisme, orientation, performances scolaires et taux d'accès à tel ou tel diplôme, etc.

Je suis également convaincu de la nécessité de donner plus d'autonomie aux établissements et, dans le cadre de la réforme du lycée, j'ai voulu que les chefs d'établissement puissent disposer comme ils l'entendent d'un quart de leur dotation horaire. Un conseil pédagogique réunissant le proviseur et des professeurs fixe les priorités et décide s'il faut dédoubler des classes, créer des enseignements d'exploration, etc.

J'ai aussi lancé des expérimentations, afin de moderniser notre système tout en évaluant les innovations introduites, qu'il s'agisse des rythmes scolaires - cours le matin, sport l'après-midi... - ou du programme « collèges et lycées pour l'ambition, l'innovation et la réussite » (CLAIR), qui consiste à donner plus d'autonomie aux chefs d'établissement pour recruter leur personnel.

Peut-on aller plus loin ? Je crois utile de réactiver les bassins d'éducation et de formation, afin d'adapter nos moyens à la diversité des bassins de vie. Dans la lutte contre le décrochage scolaire, par exemple, des expériences ont été menées, qu'il faudrait généraliser car les résultats sont probants : on est allé à la recherche d'élèves disparus du système éducatif et on leur a fait des propositions concrètes.

Il faut aussi approfondir le dialogue avec les collectivités territoriales, au moment de l'élaboration des schémas de formation, afin que les jeunes soient qualifiés pour occuper des emplois près de chez eux. On observe trop souvent un décalage entre l'offre et la demande.

Les liens doivent être resserrés avec le monde socioéconomique, et notamment avec les entreprises. Je pense aux plates-formes technologiques qui associent l'éducation nationale, les entreprises, le monde de la recherche-développement et les collectivités.

Les établissements doivent être mis en réseau, comme c'est déjà le cas pour l'éducation prioritaire avec les réseaux ambition réussite (RAR). Le réseau est horizontal lorsque, dans un même lieu, on associe les établissements scolaires qui, à eux tous, proposent une offre de formation complète, avec des enseignements d'exploration en seconde, des options, etc. Pour ce qui est des lycées professionnels, les contrats de plan régionaux de développement des formations professionnelles ont leur importance. Mais le réseau peut aussi être vertical : je pense aux réseaux d'acteurs pour la réussite éducative (RARE), qui associent lycées, collèges et écoles, mais aussi à « l'école du socle » : la loi de 2005 a défini un socle de connaissances et de compétences comprenant sept piliers.

Pour rendre les acteurs plus autonomes, on pourrait aussi imaginer des contrats d'objectifs et de moyens entre académies et établissements, reposant sur trois principes : subsidiarité, transparence, plasticité. Chaque établissement se verrait assigner des priorités - lutte contre l'illettrisme, apprentissage des fondamentaux, insertion professionnelle... - et des moyens correspondants, selon des critères objectifs et transparents.

Il faut aussi améliorer la gouvernance déconcentrée de l'éducation nationale, en consolidant les directions académiques : le recteur doit être assisté d'un secrétaire général et d'un secrétaire général adjoint, et les inspecteurs d'académie doivent leur servir d'adjoints dans tous les domaines. Pour la rentrée prochaine, j'ai voulu préciser le rôle des inspecteurs d'académie et des directeurs départementaux de l'éducation nationale dans le pilotage des établissements de second degré. Ils doivent se voir déléguer les compétences des recteurs en la matière. Il faut aussi mieux associer les corps d'inspection territoriaux à l'évaluation des performances, en liaison avec les inspecteurs d'académie, directeurs des services départementaux de l'éducation nationale (IA DSDEN).

Il est donc possible d'améliorer l'organisation de notre système éducatif pour tenir compte de la massification, en donnant plus de marges de manoeuvre aux établissements et au personnel.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur . - Vous avez tracé des pistes, Monsieur le ministre, et je suis tout à fait favorable au renforcement du dialogue avec les collectivités locales et de l'autonomie des établissements. Mais il faut veiller à ne pas passer d'un système très centralisé à un système atomisé : d'où la nécessité de mettre les établissements en réseau.

Pensez-vous qu'il faille donner un statut aux établissements primaires, comme aux établissements secondaires ?

La réforme du baccalauréat professionnel a fait couler beaucoup d'encre. Il faudra faire preuve d'imagination pour développer l'apprentissage et l'alternance, car les entreprises, et surtout les PME, reculent devant un contrat de trois ans.

M. Luc Chatel, ministre . - Sur les réseaux, vous avez raison. Comme je l'ai dit, on peut mettre en réseau des établissements de même nature, de façon « horizontale », pour proposer une offre adaptée au terrain ; les équipes éducatives peuvent être amenées à intervenir dans plusieurs établissements, et ces réseaux doivent être animés au niveau académique. Les réseaux doivent aussi être « verticaux », dans la logique de l' « école du socle ». Le passage du primaire au secondaire constitue aujourd'hui une rupture, alors même que les fondamentaux du primaire ne sont pas toujours maîtrisés. 15 à 20 % des élèves ne savent pas parfaitement lire à l'entrée en sixième et ils ont du mal à rattraper leur retard au collège, car ce n'est pas là le but du secondaire. Mais une expérience sera lancée à la rentrée prochaine : des professeurs des écoles se rendront dans des collèges pour aider les élèves qui savent mal lire. N'instituons pas de barrières artificielles entre les cycles ; je ne suis pas favorable à un examen de passage à l'entrée en sixième.

M. le député Frédéric Reiss a réfléchi à la question du statut des écoles primaires. Il faut sans doute faire une distinction entre une petite école rurale de trois classes et une école parisienne qui en compte dix-huit. Pourquoi ne pas donner un statut aux grands établissements ? Peut-être faut-il agir dans un cadre intercommunal, mais les maires sont-ils prêts à transférer aux intercommunalités leurs compétences en matière scolaire ? Avant tout, il faut se concerter avec les associations d'élus.

Si j'ai voulu la réforme du baccalauréat professionnel, qui se prépare désormais en trois ans, c'est pour deux raisons : pour mettre ce diplôme sur un pied d'égalité avec le baccalauréat général, et pour que les jeunes soient plus nombreux à accéder au baccalauréat. Soyons francs : certaines filières professionnelles, comme la restauration, s'accommodaient d'avoir affaire à des jeunes pourvus seulement d'un BEP, qu'ils pouvaient payer moins cher. Mais il est indispensable d'améliorer le niveau de qualification de la population, comme le veulent les objectifs de Lisbonne : je souhaite que le nombre de bacheliers professionnels augmente de moitié. L'alternance est une solution. Je sais qu'il est difficile de trouver une entreprise d'accueil pour chaque élève, mais nous travaillons avec les fédérations professionnelles en vue de créer une bourse aux stages. Certaines entreprises sont frileuses, mais elles sont assurées de pouvoir embaucher à l'issue des trois années un jeune mieux formé. Bien sûr, elles peuvent craindre qu'une autre entreprise le leur enlève, mais les fédérations professionnelles, et notamment celles des artisans, doivent avoir une démarche collective.

M. Yannick Bodin . - Vous avez évoqué les difficultés de certains élèves à l'entrée en sixième, mais la scolarité obligatoire dure de six à seize ans ! Plutôt que de se demander chaque année si un élève est en avance ou en retard, il faudrait faire en sorte que, grâce à l'école de la République, il ait acquis à l'issue de sa scolarité toutes les connaissances et les compétences du « socle ». Les parents parlent d'années scolaires et bien peu savent ce qu'est un cycle, mais il vaudrait mieux parler de cycles que d'années : à la fin d'une année, un élève peut avoir 14 en français et 4,5 en maths ! Pourquoi le collège ne pourrait-il pas durer cinq ans au lieu de quatre ? La scolarité ne doit pas être une course de haies - parfois redoublées de rivières - mais une piste continue. Cela implique de favoriser l'interdisciplinarité et la constitution d'équipes pédagogiques.

Il faut aussi redéfinir l'inspection. Qu'on me pardonne de le dire, mais quelle institution plus vieillotte ou plus conservatrice que l'inspection, et notamment l'inspection générale ? Les inspecteurs adorent leur discipline, il serait bon qu'ils adorent aussi la vie et les élèves. A quoi peuvent bien servir les inspecteurs de l'éducation nationale, les anciens « inspecteurs primaires » ?

M. Jean-Claude Carle, rapporteur . - Pour prolonger cette question, ne faudrait-il pas confier aux inspecteurs d'académie l'évaluation des établissements et des équipes pédagogiques ?

M. Daniel Dubois . - La pédagogie numérique a un grand rôle à jouer, notamment dans les écoles du monde rural. Le ministère s'était engagé à la développer, mais il y a eu un coup de frein. N'est-on pas en train de prendre du retard ?

Je voudrais aussi vous interroger sur les devoirs des parents. Vous l'avez dit, 20 % des élèves de sixième ont des difficultés à lire. Il existe désormais une batterie de mesures législatives pour responsabiliser les parents, par le biais notamment du contrat parental. L'éducation nationale doit agir dans ce domaine en partenariat avec les élus locaux.

Mme Françoise Laborde . - Je partage l'opinion de M. Bodin sur les cycles. Je vois qu'on s'intéresse de nouveau aux enfants qui ont plus de facilités que d'autres, c'est une bonne chose. Mais comme je le disais en tant qu'enseignante, il faut laisser chacun grandir. Les uns sont plus doués en français, les autres en mathématiques ou en sport : il faut valoriser les talents divers.

Vous avez dit que, dans le cadre de programmes définis au niveau national, il fallait laisser une marge de manoeuvre aux acteurs locaux : jusqu'ici, nous sommes d'accord. Mais je crains que de laisser les chefs d'établissement libres de décider de l'utilisation d'un quart de leur dotation horaire ne crée un lycée à plusieurs vitesses : là où il n'y a pas de problèmes particuliers, on créera des classes de langues ou on multipliera les demi-groupes, même là où cela ne sera pas nécessaire.

M. Luc Chatel, ministre . - Monsieur Bodin, j'ai dit mon attachement à « l'école du socle » et à l'acquisition progressive des savoirs. L'objectif doit être qu'à la fin de sa scolarité, chaque élève possède les connaissances et les compétences requises. Il n'empêche qu'il y a des paliers, et il faut mieux tirer parti des évaluations en CE1 et en CM2 ; j'envisage même d'en créer une au milieu du collège, à la fin de la cinquième, car cela nous permet de disposer d'indicateurs sur le niveau des élèves dans les différentes disciplines.

Pour en venir à votre autre remarque, si l'on créait aujourd'hui les corps d'inspection - qui remontent à Napoléon -, on ne les organiserait pas de la même manière. Les inspecteurs exercent des métiers très différents : pilotage pédagogique et mise en place des réformes, évaluation du système éducatif, évaluation des enseignants. Sur ce dernier point, il faut faire évoluer les choses. « J'ai été inspecté », disent les professeurs : quelle expression bizarre ! Pourquoi ne pas confier cette tâche à des gestionnaires des ressources humaines, comme cela se fait partout ailleurs ? Les enseignants devraient être évalués par d'anciens enseignants, selon des critères objectifs.

La pédagogie numérique, Monsieur Dubois, est une occasion de nous moderniser. Pour les professeurs, cela représente un champ pédagogique fantastique. Un portail sera bientôt ouvert, où seront mises en lignes des ressources numériques issues de l'Institut national de la recherche pédagogique (INRP) ou du Centre national de l'enseignement à distance (CNED), dont les enseignants pourront se servir pour élaborer leurs cours ; ils pourront aussi alimenter le site de leurs propres contributions. Des liens seront mis en place vers des ressources privées ; chaque établissement se verra attribuer un chèque à cet effet. En outre, tout montre que les élèves apprennent mieux avec les technologies numériques, auxquelles ils sont habitués. Dans ce domaine, les collectivités pourraient investir dans les équipements, l'État dans les ressources et la formation des enseignants. Un accord sera signé avant l'été avec les associations des départements et des régions.

Votre deuxième question, que vous pourriez me rappeler ...

M. Daniel Dubois . - Il s'agissait du rôle des parents. Force est de constater que, dès la maternelle, on peut deviner le succès ou l'échec d'un enfant à l'école. Sans verser dans le déterminisme social, il apparaît que les élèves issus de milieux défavorisés réussissent moins bien à l'école, et l'éducation nationale devrait travailler en amont avec les collectivités et les services sociaux, plutôt que d'attendre en aval le correctif de cours de soutien. Il faut intervenir auprès des parents.

M. Luc Chatel, ministre . - C'est à l'éducation nationale d'apporter les remèdes nécessaires tout au long de la scolarité obligatoire. L'accompagnement éducatif après 16 heures, qui concerne un million de collégiens, est une manière d'aider les élèves qui n'ont pas la chance d'avoir des parents qui veillent à ce qu'ils fassent leurs devoirs... L'espace numérique de travail ouvre aussi des perspectives : il s'agit de constituer un cahier de texte électronique, de permettre aux parents de suivre ce qui se passe en classe et de dialoguer avec les enseignants par la voie d'Internet.

Madame Laborde, je crois à l'école républicaine d'excellence, qui détecte les meilleurs élèves et leur permet d'exploiter toutes leurs possibilités. Tout était plus simple quand les professeurs s'adressaient à 10 % d'une classe d'âge - osons-le mot : à une élite, à des classes homogènes. Aujourd'hui le rôle des enseignants n'est plus seulement de transmettre des savoirs, mais d'accompagner les meilleurs aussi bien que ceux qui connaissent des difficultés. La réponse, c'est la personnalisation des enseignements.

Vous vous inquiétez de l'autonomie accordée aux établissements dans la gestion de leur dotation horaire, mais le système égalitaire a montré ses limites. Le proviseur et quelques professeurs motivés, au sein du conseil pédagogique, sont les mieux placés pour définir les priorités au sein de leur établissement, dans le cadre d'un programme défini nationalement. Faisons-leur confiance.

Mme Colette Mélot . - Vous avez évoqué, Monsieur le ministre, les bassins d'éducation et de formation et le décalage entre l'offre et la demande d'emplois. Dans les quartiers défavorisés, les jeunes chômeurs sont nombreux, même là où les collectivités font des efforts grâce aux emplois-jeunes ou à d'autres dispositifs, comme à Melun par exemple. Que faire ?

Mme Maryvonne Blondin . - Je voudrais vous faire part d'un témoignage. Un principal de collège, convaincu de la pertinence du « socle » pédagogique, a mis en place en classe de sixième des bulletins faisant état de l'avancement des élèves dans l'acquisition des différentes connaissances et compétences, chaque enseignant pouvant formuler une évaluation globale. Mais les parents ont souhaité revenir à une notation classique. Comment accompagner les chefs d'établissements, les enseignants et les autres personnels qui tentent de renouveler les méthodes pédagogiques, et dont les efforts sont parfois bridés ? Ils se découragent.

Mme Fabienne Keller . - Je salue votre engagement, Monsieur le ministre. Votre mission est immense : vous êtes à la tête du ministère qui emploie le plus de fonctionnaires, qui gère le plus grand nombre de lieux de travail, et qui, dans les quartiers sensibles, est le dernier à s'occuper encore des jeunes.

Je crois moi aussi à l'utilité de l'informatique. Il faut tirer parti de ce qu'on appelle « l'intelligence connective » des élèves, pour les intéresser au monde, leur ouvrir l'esprit : c'est un moyen d'atteindre même ceux qui, dans leur famille, n'ont guère accès à la culture.

Quant aux réseaux ambition réussite, les RAR, ils donnent d'excellents résultats, mais ils sont trop... rares ! A Strasbourg, parmi les établissements où c'était justifié, seul un sur deux a été retenu.

J'en viens à l'actualité : la règle du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux et les emplois aidés. Dans le domaine éducatif, il faut concilier le temps long de l'apprentissage, qui nécessite une certaine stabilité, et le temps court des contraintes budgétaires et administratives. Les établissements se battent contre la suppression d'emplois aidés, qui permet de créer des groupes de travail, des classes à thèmes ou, plus spécifiquement, des classes « dyslexie » comme j'en ai connu en Alsace. Quant à la règle du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux, elle angoisse les enseignants qui anticipent la rentrée suivante...

Mme Françoise Férat . - Vous avez évoqué de nouveaux partenariats avec les collectivités territoriales. Or une charte a été signée en 2006 avec l'Association des maires de France sur l'organisation des services publics en milieu rural, qui, à ma connaissance, n'a jamais été appliquée. Comptez-vous remédier à cet oubli dans le cadre de la prochaine convention ? Les élus doivent pouvoir anticiper les ouvertures et fermetures de classes pour gérer leurs locaux. Dans des locaux fonctionnels, les élèves travaillent mieux.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur . - Les membres de notre mission se rendent souvent sur le terrain pour voir comment se déroulent les expérimentations, notamment en ce qui concerne l'école en milieu rural. Dans la Somme, à l'invitation de notre collègue Daniel Dubois, nous avons été impressionnés par un regroupement pédagogique concerté, mais nous avons été accueillis par des pancartes « Non aux fermetures de classes ! » Il s'agissait de l'école de la collectivité voisine : voilà ce qui se passe lorsque les responsables politiques ne peuvent pas anticiper les fermetures de classes - ce qui, il est vrai, n'est pas toujours facile... Pour ma part, et même si tout ministre veut attacher son nom à une loi, je crois que c'est le contrat et non la loi qui fera avancer les choses.

M. Luc Chatel, ministre . - Pour venir en aide aux jeunes en difficulté, Madame Mélot, il n'y a pas de solution unique. Il faut s'inspirer des réussites étrangères, notamment en personnalisant les parcours. Notre objectif doit être que chaque élève sorte du système éducatif avec un diplôme, quel qu'en soit le niveau : une récente étude du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (CEREQ) montre que les jeunes sans diplôme sont les plus exposés au chômage, et qu'ils furent les premiers à faire les frais de la crise. Il faut aussi améliorer l'orientation : Mme Pécresse et moi-même voulons un parcours éducatif plus progressif, où l'on ne décide pas de son avenir à 14 ans, mais où existent des passerelles et où chacun bénéficie d'une seconde chance. C'est le sens de la réforme du lycée, avec la mise en place d'un tronc commun en première et de passerelles entre les filières générales, professionnelles et technologiques. Les bacheliers professionnels se voient aussi ouvrir l'accès aux études supérieures, alors que la filière professionnelle a été conçue à l'origine comme strictement professionnalisante. Aujourd'hui, 160 000 élèves quittent le système éducatif sans qualification : c'est beaucoup trop.

Le travail expérimental que nous menons depuis deux ans, notamment en Alsace, est tout à fait exemplaire. Dorénavant nous savons détecter et comptabiliser ces jeunes qui sortent du système sans diplôme car la CNIL nous a permis d'interconnecter les réseaux de l'éducation nationale, des Centres de formation d'apprentis (CFA) et des Missions locales. Maintenant, je peux savoir exactement combien de jeunes étaient inscrits au lycée en juin et ne le sont plus en septembre. Le but est de leur proposer quelque chose. La plate-forme de lutte contre le décrochage, mise en place à Mulhouse, est en voie de généralisation et cela sera opérationnel à la prochaine rentrée.

Madame Blandin, il n'a jamais été question de supprimer les notes, mais de mettre en place en parallèle, dans le cadre du socle, un système d'évaluation des compétences, un système complémentaire de la note et qui apporte aux enseignants comme aux parents une analyse plus fine et une lecture plus lisible de la progression des acquisitions.

Madame Keller, le numérique est un levier indispensable mais à manier avec précaution. D'où le B2I (brevet informatique et Internet) qui donne à l'élève la possibilité d'utiliser l'informatique à bon escient. Mon prédécesseur avait baptisé le CNED « L'Académie en ligne ». Je réfléchis à la création d'une « École en ligne ». Pour les langues vivantes, par exemple, il existe des sites Internet payants. L'éducation nationale devrait proposer ce type de service : le temps est venu d'avoir un opérateur public numérique qui donne aux élèves un véritable accès à des ressources numériques le soir ou pendant les vacances, en complément de l'enseignement qu'offrent les établissements scolaires.

Il n'y a pas assez de RAR ? Le problème, c'est que, depuis trente ans, en matière d'éducation prioritaire, on a toujours créé sans jamais supprimer. Un collège en zone d'éducation prioritaire (ZEP) devrait pouvoir, le jour où ses résultats sont meilleurs, sortir de ce dispositif. Or, cela n'arrive jamais. Il faut donc simplifier et clarifier une carte de l'éducation prioritaire qui, avec ses onze systèmes différents, est devenue incompréhensible. Les RAR fonctionnent bien, nous allons les conforter, conserver ce que ce dispositif a de bien et aller plus loin en adoptant, dans les 300 établissements de ce réseau, une caractéristique des programmes CLAIR, c'est-à-dire l'autonomie du recrutement des enseignants sur la base d'un projet pédagogique et du volontariat.

Les contrats aidés... Depuis toujours, chaque année l'éducation nationale a recruté, en complément de ses fonctionnaires, un volant de contrats aidés. Ce n'est pas simple à gérer mais les finances de l'État ne permettent pas des recrutements dans la durée. Par exemple, il sera un jour nécessaire de créer un métier, une vraie filière pour l'accompagnement des enfants handicapés. Actuellement, nous n'avons pas les moyens de le faire et c'est pourquoi nous avons encore recours à des contrats aidés.

L'organisation de l'offre en milieu rural est une question que je connais. Madame Férat, cette charte a été appliquée dans les départements. Dans le mien, par exemple, un programme pluriannuel permet de tenir compte de la démographie pour les ouvertures et fermetures de classes. Mais je vérifierai le bilan de l'application de cette charte et je vous le transmettrai.

Monsieur Carle, l'éducation nationale a moins besoin de grands soirs que de petits matins quotidiens. Elle a moins besoin de grandes lois que de petits changements qui font évoluer le système. Je suis d'accord avec vous sur l'utilité des regroupements pédagogiques. Je suis élu d'un département rural et, après avoir défendu pendant des années le maintien des classes dans les petites communes, nous nous sommes aperçus que ce n'était pas forcément la meilleure solution ni pour les enfants, ni pour les parents, ni pour les enseignants : classe unique, longs parcours pour la demi-pension, isolement des enseignants, absence de services périscolaires. Nous nous sommes donc mis à construire des regroupements pédagogiques intercommunaux avec des écoles neuves, aux bâtiments et matériels adaptés au travail en équipe pour les enseignants, avec demi-pension et activités périscolaires intercommunales. Le maintien à tout prix des classes n'est pas forcément la bonne solution.

M. Serge Lagauche, président . - Merci pour cet exposé. Nous sommes maintenant pleinement informés.

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