II. L'INGÉNIERIE TERRITORIALE : LES COLLECTIVITÉS EN PREMIÈRE LIGNE

A. LE RETRAIT PROGRESSIF DE L'ÉTAT DE L'INGENIERIE PUBLIQUE : UN PROCESSUS ANCIEN CONFIRMÉ PAR LA RGPP

Les prestations proposées par les services de l'État aux communes ou à leurs groupements ne disposant pas de la capacité d'organiser leurs propres outils d'ingénierie, semblaient représenter « un monde immuable, être un aboutissement », selon les termes de notre collègue M. Yves Daudigny 150 ( * ) . Pourtant, on constate, depuis plusieurs années, une réduction du champ de l'ingénierie publique , résultat de la combinaison de plusieurs facteurs : le droit européen de la concurrence, les critiques formulées par la Cour des Comptes sur la légitimité de l'ingénierie publique de l'État, l'évolution jurisprudentielle du Conseil d'État. Dans ce cadre, la RGPP semble confirmer, voire accélérer, mais non générer, une évolution entamée depuis plus de dix ans.

1. Une ingénierie publique ancienne, favorable aux petites collectivités territoriales

Les prestations d'ingénierie publique de l'État en faveur des collectivités territoriales reposent sur une longue tradition datant de la fin du XVIIIe siècle. Considérées comme des missions de service public, elles étaient assurées principalement par les services déconcentrés des ministères de l'équipement, de l'environnement, des transports et de l'agriculture (les anciennes directions départementales de l'Équipement (DDE) et directions départementales de l'Agriculture (DDA)), et concernaient généralement les projets liés à l'aménagement du territoire ou aux voiries. Les conditions dans lesquelles ces prestations étaient apportées étaient définies par l'article 12 de la loi du 7 janvier 1983 151 ( * ) et par l'article 7 de la loi du 6 février 1992 152 ( * ) .

Une convention , signée entre le préfet de département et la commune ou le groupement demandeur, définissait les modalités des prestations d'appui des services techniques de l'État. Les concours de l'État prenaient essentiellement la forme, soit de prestations de conseil, soit de prestations en maîtrise d'oeuvre 153 ( * ) . En 2000, près de 22.000 communes ou groupements de communes ont bénéficié d'environ 30.000 prestations des services de l'État. Les rémunérations versées à l'État par les collectivités à ce titre s'élevaient, pour les exercices 1998, 1999 et 2000, à 237,8 millions d'euros par an.

2. Une réduction des prestations d'ingénierie publique inspirée du droit communautaire de la concurrence

A partir de la fin des années 1990, s'est posé la question de la qualification juridique de ces conventions, au niveau européen puis au niveau national, au regard du droit de la concurrence et des dispositions du code des marchés publics.

a) L'influence européenne du droit de la concurrence

Cette évolution a commencé au niveau européen. L'article 106 § 2 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne dispose que « les entreprises chargées de la gestion des services publics d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de l'Union ».

Aux dispositions de cet article s'ajoutent celles de l'article 2 de la directive n° 2004/18/CE du 31 mars 2004 154 ( * ) . Cette directive simplifie au niveau européen la législation sur les procédures de passation des marchés publics de travaux, de fourniture et de services dont la valeur estimée hors TVA est égale ou supérieure à des seuils préétablis.

Certains marchés publics sont exclus du champ d'application de cette directive : on citera, pour mémoire, les marchés publics déclarés secrets ou qui touchent aux intérêts essentiels d'un État, les marchés publics de services attribués sur la base d'un droit exclusif ou encore les concessions de services publics. A l'exception de ces marchés, l'article 2 de la directive dispose que les pouvoirs adjudicateurs 155 ( * ) doivent veiller à ce qu'il n'y ait aucune discrimination entre les différents prestataires de services. Il ressort de ces dispositions communautaires que les conventions passées entre l'État et les collectivités territoriales dans le cadre des lois de 1983 et 1992 ne peuvent faire l'objet d'aucune exception mais doivent au contraire s'intégrer dans le droit commun des marchés publics.


* 150 Rapport d'information n° 557 (2009-2010) de M. Yves Daudigny, « Les collectivités territoriales : moteurs de l'ingénierie publique », fait au nom de la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

* 151 L'article 12 de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État autorisait les services de l'État, les départements et les régions à apporter leur concours technique aux communes qui le demandaient pour l'exercice de leurs compétences.

* 152 Selon l'article 7 de la loi n° 92-125 du 6 février 1992 d'orientation relative à l'administration territoriale de l'État de la République (dite loi ATR) dans sa version initiale, « les services déconcentrés de l'État peuvent concourir par leur appui technique aux projets de développement économique, social et culturel des collectivités territoriales et de leurs établissements publics de coopération qui en font la demande. Dans ce cas, cet appui est fourni dans des conditions définies par convention passée entre le représentant de l'État et, selon le cas, le président du conseil régional, le président du conseil général, le maire ou le président de l'établissement public de coopération ».

* 153 Article 2 du décret n° 2000-257 du 15 mars 2000 relatif à la rémunération des prestations d'ingénierie réalisées au profit de tiers par certains services des ministères de l'équipement et de l'agriculture.

* 154 Directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services.

* 155 Sont considérés comme pouvoirs adjudicateurs, selon la directive précitée du 31 mars 2004 : l'Etat, les collectivités territoriales, les organismes de droit public et les associations formées par une ou plusieurs de ces collectivités ou un ou plusieurs de ces organismes de droit public.

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