Rapport d'information n° 733 (2010-2011) de MM. Jacques GAUTIER , Xavier PINTAT et Daniel REINER , fait au nom de la commission des affaires étrangères et de la défense, déposé le 6 juillet 2011

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AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le 10 novembre dernier, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat adoptait les conclusions du rapport présenté par son président, M. Josselin de Rohan, sur la défense antimissile balistique, dans la perspective du sommet de Lisbonne 1 ( * ) .

A l'issue de sa réunion, la commission a décidé, à l'initiative de son président, de confier à trois de ses membres, MM. Jacques Gautier, Xavier Pintat et Daniel Reiner, le soin de mener une mission d'information sur la défense antimissile balistique, afin de donner au Sénat les moyens de suivre les évolutions de ce dossier à l'OTAN et ses implications pour la France 2 ( * ) .

Vos rapporteurs ont commencé leur travail en janvier dernier. Ils ont effectué un cycle de quinze auditions et dix déplacements dont la liste et les dates sont communiquées en annexe. Le présent rapport est le fruit de leurs réflexions.

La défense antimissile balistique est un sujet éminemment technique, non seulement parce que les programmes militaires qui la sous-tendent ont beaucoup varié dans le temps, mais aussi parce qu'elle suppose l'apprentissage d'un vocabulaire et de concepts avec lesquels les parlementaires sont en général peu familiers.

Pourtant la connaissance de ce vocabulaire et de ces concepts est nécessaire à une bonne appréhension du sujet. C'est pourquoi vos rapporteurs ont fait le choix de regrouper un certain nombre d'informations qu'ils ont recueillies dans une première partie intitulée « Notions liminaires », avant le rapport lui-même. Les lecteurs avertis pourront naturellement s'en dispenser.

Vos rapporteurs tiennent également à remercier chaleureusement toutes les autorités étrangères, ambassadeurs, diplomates, militaires, en particulier les capitaines de vaisseau Jim Kilby de l' USS Monterey et François Moreau du Chevalier Paul , le délégué général pour l'armement, l'ingénieur général de l'armement Laurent Collet-Billon, le président de l'ONERA, M. Denis Maugars, l'ambassadeur Philippe Errera, représentant permanent de la France à l'OTAN, tous les présidents d'entreprises ou de groupes industriels et leurs collaborateurs, ainsi que tous les experts du Secrétariat général à la défense et à la sécurité nationale, de la délégation aux affaires stratégiques ou d'organismes de recherche qui les ont reçus et ont pris de leur temps précieux pour leur expliquer ce sujet difficile.

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PREMIÈRE PARTIE
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NOTIONS LIMINAIRES

Extrait du Livre blanc sur la Défense et la sécurité nationale
relatif à la menace balistique

« Prendre en compte les menaces balistiques

« Seules des puissances majeures possèdent aujourd'hui des missiles balistiques d'une portée suffisante pour leur permettre d'atteindre l'Europe et la France. Mais il est déjà clair, aujourd'hui, que de nouvelles puissances disposeront dans les prochaines années de moyens opérationnels ayant une telle capacité. Compte tenu de la diffusion des technologies des vecteurs, cette probabilité croît avec le temps.

« S'inscrivant dans le cadre des solidarités européenne et atlantique, la France adoptera une stratégie de prévention active visant à limiter la prolifération balistique, tout particulièrement dans les zones les plus dangereuses. Elle s'appuiera sur sa capacité de dissuader toute intention d'un État de porter atteinte à ses intérêts vitaux par des moyens de ce type.

« En outre, elle renforcera ses capacités de renseignement et de réaction. Dans cette perspective, la France se dotera d'une capacité de détection et d'alerte avancée interopérable avec les moyens de nos alliés et partenaires. Cette capacité permettra de suivre l'évolution des menaces balistiques, de déterminer l'origine de tirs afin d'identifier l'auteur de l'attaque et de favoriser l'alerte des populations. Elle reposera tout d'abord sur un démonstrateur radar à très longue portée débouchant sur l'obtention d'une première capacité opérationnelle en 2015. Dans le même temps seront poursuivies les études permettant de lancer, si possible en coopération, un programme de détection et d'alerte à partir de l'espace. L'objectif est de disposer d'un système de détection et d'alerte spatial opérationnel en 2020. Compte tenu des difficultés, notamment techniques, du projet et de la nécessité d'en maîtriser tous les risques, le lancement de la réalisation de ce programme sera précédé, dans la première moitié de la prochaine décennie, par la réalisation et l'exploitation d'un système satellitaire probatoire.

« Dans le cadre de l'Union européenne et de l'Alliance Atlantique, la France prendra part aux efforts collectifs pouvant conduire, à terme, à une capacité de défense active contre les missiles. Elle soutiendra, à ce titre, la poursuite des études lancées par l'OTAN pour définir l'architecture globale d'un système de défense de l'Alliance Atlantique contre les systèmes balistiques à longue portée.

« Enfin, les pouvoirs publics doivent se préparer à limiter les dommages de toute nature qui pourraient résulter d'une attaque de ce type sur le territoire, par une combinaison de mesures de réaction et de protection, dont l'alerte des populations.


LES MISSILES BALISTIQUES -
NOTIONS DE BASE

Depuis leurs premières utilisations par les Allemands à la fin de la deuxième guerre mondiale (missiles V2), les missiles balistiques sont devenus des armes privilégiées de puissance et de destruction; un vol de très longue portée et une vitesse très supérieure à toutes les autres armes aériennes en font une arme difficilement interceptable, aux effets psychologiques importants même avec de faibles charges militaires.

Les nations victorieuses ont développé depuis 1945 la technologie balistique alors naissante pour projeter quasiment sans limite leurs armes nucléaires et fonder ainsi l'essentiel de la crédibilité de leur force de dissuasion. La France possède une longue expérience en la matière puisqu'elle a lancé ses premiers missiles balistiques dans l'immédiat après-guerre. Elle détient aujourd'hui au travers des missiles de sa force stratégique océanique - les M51 d'EADS/Astrium - un savoir technologique comparable à celui des forces américaines et russes.

Le principe du missile balistique est de donner de la vitesse à un projectile (tête balistique), de manière à ce que ce dernier franchisse seul, grâce à la vitesse initiale imprimée, la distance qui le sépare de son objectif.

Techniquement, un missile balistique enchaîne trois phases de vol très différentes :

1. Une phase propulsée à forte accélération durant 1 à 3 minutes ;

2. Une phase balistique qui peut être spatiale puis atmosphérique, ou bien seulement atmosphérique selon la portée du missile balistique et où seule la force de gravité intervient : elle peut durer de 5 à 25 minutes (environ 80 % du vol) ; cette trajectoire est prédictible par la défense, sauf dans le cas de missiles manoeuvrants ;

3. Une phase de rentrée atmosphérique qui dure généralement moins d'une minute, dans le cas de phase balistique spatiale.

La portée maximale et la vitesse maximale sont liées . La vitesse en fin de phase propulsée est également la vitesse en début de rentrée. Retenons quelques couples significatifs de durées et de vitesses en fonction de la portée :

Toutefois, pour une portée maximale donnée, les trajectoires accessibles peuvent être très variées comme le montre la figure suivante qui illustre les possibilités d'un missile de 3 200 km de portée. Il est ainsi possible de produire des trajectoires tendues ou des trajectoires en cloche depuis des altitudes supérieures à 1 000 km, à des vitesses très supérieures à Mach 10.

En outre, il existe des possibilités de trajectoires semi-balistiques. Une fois entré dans les couches basses de l'atmosphère, le missile déploie des gouvernes aérodynamiques qui lui permettent de manoeuvrer et de déjouer ainsi les défenses adverses calées sur la trajectoire prévue. Ce système était déjà déployé sur les missiles nucléaires tactiques français Hadès . Il est actuellement sur les missiles tactiques russes SS26 Iskander ainsi que sur des missiles chinois (M9/DF15) et iraniens ( Fateh 110)...

Manoeuvre évasive

Les missiles balistiques recouvrent une grande variété d'engins en termes de portée et de complexité. Il faut retenir que la complexité croît avec la portée.

On range généralement les missiles assaillants en cinq grandes catégories qui sont fonction de leur portée :

D'autres critères que la portée sont importants pour appréhender l'analyse de la menace balistique. Parmi eux, ceux qui permettent l'amélioration des capacités de pénétration. Les aides à la pénétration (ALAP) sont généralement constituées de paillettes, de gueuses ou autres objets susceptibles de voler dans l'entourage immédiat de la tête pendant toute la phase exo-atmosphérique et de leurrer ainsi les défenses adverses. Dans les nouvelles générations, les ALAP apparaissent désormais dès la courte portée.

Cortège balistique avec tête présente mais non discriminée (image de gauche) et tête discriminée (image de droite)

Enfin, la dangerosité d'un missile balistique dépend également de la discrétion de son porteur, simple porteur terrestre, sous-marin d'attaque modifié voire porte conteneur aménagé et de sa charge. Il existe une grande diversité possible en termes de chargement : charges militaires conventionnelles, chimiques, nucléaires etc, avec ALAP ou pas.

On retient généralement qu'il existe deux types de menaces : dans un cadre tactique avec une charge conventionnelle ou dans un cadre stratégique avec une charge nucléaire. Mais d'autres combinaisons sont également envisageables : nucléaire tactique contre des troupes déployées, arme chimique en sous-munition, charge conventionnelle contre des objectifs à valeur stratégique (haut commandement adverse, infrastructure vitale...), explosion nucléaire exo-atmosphérique. Le lancement depuis une plateforme terrestre est le plus fréquent mais la capacité de tir à partir de plate-forme maritimes est envisageable.

LA MENACE BALISTIQUE

Les missiles balistiques de théâtre représentent une menace croissante pour nos forces déployées, les zones stratégiques et l'Europe.

Les missiles balistiques courte et moyenne portée - inférieure à 2.500 / 3.000 km - dits « de théâtre » sont mis en oeuvre par plus de vingt pays 3 ( * ) . Ils constituent une sorte d'« aviation du pauvre », alternative - plus rapide, moins coûteuse et techniquement plus accessible - à une aviation de combat. Ces missiles balistiques de théâtre ont pour objectif de contourner la supériorité aérienne de l'adversaire.

La menace de leur emploi pourrait nous faire renoncer à intervenir en opérations extérieures ou à revendiquer le rôle de « nation cadre » au sein d'une coalition. Dans un scénario de rupture de telles armes pourraient également menacer la France à partir de l'Afrique du Nord.

De par leur facilité de mise en oeuvre et leur faible coût de réalisation, ces catégories de missiles balistiques sont celles qui sont ou qui pourraient être développées par les pays ayant une velléité de puissance régionale, et qui sont utilisées comme palliatif à l'absence d'aviation de combat ; elles conservent leur intérêt face à une coalition possédant la supériorité aérienne.

Le développement d'une nouvelle génération, à l'image du SS 26 « Iskander » russe ou des B611 ou M 9 / 11 chinois voire du Fateh 110 iranien et de son clone syrien le M600, qui conjugue précision, rapidité de mise en oeuvre, mobilité et capacité de pénétration grâce à des manoeuvres dans les basses couches de l'atmosphère, apporte pour la première fois une réelle efficacité militaire à des frappes conventionnelles de missiles balistiques de théâtre.

Par leur caractérisation, ces missiles balistiques améliorent leur effet sur des cibles considérées comme centres stratégiques tels que les centres de commandement et de contrôle des opérations au sol, mais aussi les porte-avions et bâtiments de projection et de commandement (BPC), qui sont à la fois des centres de commandement des opérations et des plateformes de mise en oeuvre de tout ou partie de la force aérienne, et les sites sensibles (les Chinois développent actuellement une capacité balistiques anti-navire, et les Iraniens semblent les suivre sur cette voie).

Ces missiles de nouvelle génération dits « semi-balistiques » ont aujourd'hui une portée annoncée d'environ 500 km, mais sont capables de portées supérieures avec des modifications mineures. Ils ont probablement vocation à proliférer sur le modèle des Scud . Ces missiles vont constituer à l'horizon 2015/2020 la menace techniquement dimensionnante pour les systèmes de défense contre les missiles de théâtre.

Évolutions de la menace balistique

L'augmentation des performances des arsenaux balistiques s'inscrit dans une logique de réponse à des besoins opérationnels et politiques ; la médiatisation des essais de missiles balistiques effectués par les principaux pays proliférants a comme principal objectif d'afficher leur capacité de dissuasion dans des conflits extra-régionaux.

Cependant, pour l'essentiel ces pays se sont dotés d'armes balistiques pour leur intérêt tactique dans le cas de conflit régional. Et dans ce cadre, on peut d'ores et déjà identifier trois voies envisageables pour l'amélioration des arsenaux balistiques :

§ L'amélioration de la précision , prend en compte la nature des charges emportées. Dans le cas d'armes conventionnelles, la recherche d'une meilleure précision s'impose afin d'optimiser les effets de la charge employée. Cette amélioration peut également être recherchée pour des armes à faible puissance par charge devant atteindre des cibles robustes.

§ L'amélioration de la capacité opérationnelle , c'est-à-dire de l'ensemble des facteurs qui concourent à rendre le missile plus facile d'emploi et plus efficace d'un point de vue militaire (mobilité, mise en oeuvre, capacité de pénétration des défenses....). Il s'agit, de fait, à la fois de facteurs intrinsèques au missile lui-même - charge à sous-munitons, guidage terminal pour effectuer évasives et manoeuvres terminales... - mais également des moyens d'environnement (intégration à des lanceurs mobiles, connaissance des cibles, moyens de dissimulation / protection, tir en salve...).

§ L'augmentation de portée peut correspondre à un besoin tactique tel que l'étendue géographique des conflits régionaux mais aussi à un objectif stratégique de dissuasion face aux grandes puissances dans le cadre de leurs opérations extérieures.

L'évolution constatée vers des missiles balistiques de nouvelle génération se traduit donc par une meilleure efficacité ainsi que par des capacités de pénétration des défenses améliorées. La portée a comme unique axe d'évolution de répondre à une extension des champs de bataille.

Constat sur la menace balistique

Les missiles balistiques tactiques peuvent être classés en 5 catégories principales :

a) La classe « Scud » qui représente les missiles balistiques à propulsion liquide, de portée comprise entre 300 et 700km, de faible précision et n'ayant pas de têtes séparables. Ces missiles (ou leurs copies ou dérivés) sont les plus répandus, ayant été largement exportés par la Russie et par la Corée en Iran, Irak, Syrie, Égypte... Ils représentent l'essentiel des 3 000 missiles balistiques tirés lors des conflits depuis 1973.

b) Les missiles à propulsion solide de conception récente , parfois à tête séparable, développés essentiellement par la Russie et la Chine, mais exportés au Pakistan, ont des portées jusqu'à 1 000km. La propulsion solide apporte une plus grande facilité d'emploi grâce à des délais de mise en batterie plus courts. Un certain nombre de ces missiles ont des systèmes de guidage terminal leur donnant une réelle efficacité militaire avec une précision d'une dizaine de mètres. Certains de ces missiles ont la capacité d'effectuer des manoeuvres en phase terminale pour éviter les défenses, soit des manoeuvres de grande amplitude pour tromper le système d'arme, soit des manoeuvres rapides de faible amplitude mais à fort facteur de charge, augmentant ainsi la distance de passage de l'intercepteur du système de défense. A terme, ces missiles (SS26, M9...) devraient remplacer les missiles de la famille Scud .

L'Iran, avec l'aide de la Chine, a acquis cette technologie lui permettant aussi de développer les missiles courte portée Zelzal et Fateh 110 .

L'Inde a également développé cette filière avec le Prithvi 3 .

c) La classe No-Dong représente les missiles à propulsion liquide à tête séparable et de faible précision. Leur portée de 1 200 à 1 500km, limitée par le mono étage, les répertorie dans la catégorie des missiles de théâtre malgré leur faible souplesse d'emploi vis-à-vis de pays voisins. Ces missiles sont en service en Corée du Nord, en Iran ( Shahab 3 ) et au Pakistan ( Ghauri )... Les essais en Iran ont soulevé de nombreuses questions.

Suite aux progrès accomplis par le No-Dong et la maîtrise de la filière Scud , la Corée du Nord a entrepris la mise au point d'un missile d'environ 3 000 km à plusieurs étages, mais toujours à propulsion liquide.

d) Une nouvelle filière de missiles MRBM à propulsion solide, multi-étages, de portées autour de 2 000km représentée par le Shaheen 2 au Pakistan, l' Ashura/Sajiil en Iran, l' Agni en Inde et le DF21 en Chine.

Quantitativement, à court terme, la menace des missiles balistiques est représentée à travers les catégories a) et b) s'étendant progressivement à d). La coopération entre la Corée du Nord, l'Iran et le Pakistan sur le missile No-Dong peut être évaluée à un parc de quelques centaines d'intercepteurs.

e) Les menaces IRBM / ICBM

Quant aux missiles balistiques à très longue portée, supérieure à 3 000 km (catégorie IRBM, ICBM) les seuls pays qui les maîtrisent, en dehors des pays occidentaux possédant l'arme nucléaire, sont la Russie et la Chine.

En effet, l'utilisation d'un missile balistique de longue portée, qu'il soit utilisé pour transporter un engin nucléaire ou pas, suppose de toutes les façons la capacité de fabriquer des corps de rentrée et de les faire fonctionner ensemble avec le missile, ce qui suppose un saut technologique important, qui aujourd'hui n'est atteint que par les grandes puissances nucléaires.

La question de savoir si l'Iran possède des missiles balistiques à longue portée reste pour l'instant sans réponse.

D'un côté, il y a peu de doute que les Iraniens développent des capacités IRBM de la classe 3 000-5 000 km au vu des efforts menés sur le Sejil et leur lanceur spatial. En outre l'Iran n'est pas avare de démonstrations quant à sa capacité à satelliser des objets, ce qui est technologiquement beaucoup plus simple, et n'hésite pas à montrer qu'il maîtrise des éléments des missiles longue portée. Ainsi, selon une dépêche de l'Agence France Presse du 27 juin : « L'Iran présente un silo souterrain pour missiles de longue portée.

« Les Gardiens de la révolution ont dévoilé lundi "un silo à missiles sous-terrain" qui selon l'armée d'élite du régime permettra le lancement des missiles iraniens de longue portée, a rapporté la télévision d'Etat. La télévision a montré des images du site dans un lieu non précisé, avec un "silo à missiles sous-terrain" avec un projectile présenté comme un Shahab-3. L'annonce survient alors que les Gardiens de la révolution ont entamé lundi des manoeuvres militaires avec le lancement d'une série de missiles de courte, moyenne et longue portée.

« "La technologie pour construire ces silos est totalement indigène", a indiqué le site internet de la télévision citant le porte-parole des exercices, le colonel Asghar Ghelich-Khani. La chaîne a également montré un lancement de missile, sans préciser le type de projectile ni la date du tir. D'une portée de près de 2.000 km, le Shabab-3 est un missile pouvant atteindre Israël ainsi que les bases américaines de la région. Au cours des dernières années, l'Iran a procédé à une dizaine de tirs d'essai de ce missile, qui serait dérivé du Nodong nord-coréen. Selon Téhéran, les manoeuvres entamées lundi ont un "message de paix et d'amitié pour les pays de la région" et ne menacent aucun pays. Les Gardiens de la révolution font tous les ans des exercices semblables, notamment dans la région du Golfe.

« Fin mai, l'Iran avait annoncé la production en série et la livraison de missiles balistiques sol-sol "Qiam" aux forces armées. La République islamique affirme disposer d'une large panoplie de dizaines de types de missiles différents, dont certains capables d'atteindre Israël et les bases militaires américaines au Moyen-Orient. Le programme de missiles est sous le contrôle des Gardiens de la révolution, qui sont également responsables de l'emploi opérationnel de la plupart des missiles iraniens, notamment balistiques. Le programme spatial et les missiles de l'Iran inquiètent les Occidentaux. L'Iran a toujours démenti que ses programmes nucléaire et spatial aient des objectifs militaires. »

D'un autre côté, il n'est pas démontré que ce pays souhaite réaliser une arme nucléaire, ni qu'il est capable de maîtriser les corps de rentrée. A supposer qu'il le veuille, il faudrait qu'il fasse des sauts technologiques importants en des temps plus courts qu'il ne nous en fallu, ou bien sûr, qu'il bénéficie de l'aide de proliférateurs.

La figure suivante présente une typologie des systèmes en service ou en cours de test dans les différents pays possédant des engins balistiques, à l'exclusion des « grandes puissances » tels que les Etats-Unis, la Russie, la Chine, le Royaume-Uni et France. La majorité d'entre eux possèdent des portées maximales inférieures à 1 000 Km et font en général l'objet d'achats auprès de la Russie ou de la Chine, même si des copies indigènes existent.

Si l'on excepte l'Inde, trois pays proliférants ont développé, autour de la famille No-Dong , des missiles de la classe 1 500km de portée dont certains, équipés de charges conventionnelles, sont opérationnels. Leur nombre total n'excédant pas quelques centaines. Ces pays, ayant pour ambition d'obtenir le statut de puissances régionales et ayant acquis ou étant en passe d'acquérir l'arme nucléaire, ils tentent de mettre au point, avec un certain nombre de difficultés, des missiles de plus longue portée permettant d'atteindre l'ensemble des infrastructures des pays voisins. Le caractère régional de leur mission et la précision dégradée du missile liée à sa portée mais compatible de l'utilisation d'une charge nucléaire, font que ces missiles, s'ils existent un jour, auront des portées limitées à 2 000/3 000km et seront déployés en petit nombre (quelques dizaines) compte tenu de la nature de la charge militaire. On atteindra ainsi l'asymptote d'accroissement de portée des missiles des puissances régionales

Les missiles de portées inférieures au millier de km continuant à s'améliorer, que ce soit chez les pays fournisseurs ou les pays utilisateurs, la projection suivante du parc de missiles balistiques à l'horizon 2020/2030 peut être élaborée :

Sur la planche précédente apparaissent en bleu les menaces de nouvelle génération non traitées par les systèmes de défense anti-aérienne de la capacité initiale française (contrairement à ceux qui sont en rouge). Comme on peut le constater, l'évolution des portées n'est pas le seul critère à prendre en compte et de toute façon la majorité des missiles balistiques de théâtre restera à des portées inférieures à 2 500 km . Les réelles évolutions à prendre en compte pour dimensionner les évolutions de nos systèmes d'armes concernent donc les mesures que l'adversaire prendra pour améliorer les capacités de pénétration de ses missiles :

- trajectoires diversifiées et en particulier trajectoires tendues permettant au missile balistique de rester dans l'atmosphère comme le montre l'exemple ci-dessous d'un missile de 1 000 km de portée tiré à 800 km en trajectoire tendue ( depressed ),

- tête séparable comme sur les missiles chinois M9 et M11 vendus à l'export ;

- manoeuvres terminales créant de forts facteurs de charge pour rendre difficile l'interception ou formage de trajectoires allant jusqu'à générer des trajectoires semi-balistiques, tel le SS26 Iskander russe ;

- éventuellement, pour les missiles aux portées les plus longues, quelques leurres rustiques ayant une certaine efficacité pour protéger le missile dans sa phase de vol en dehors de l'atmosphère

L'accroissement des portées conduira certes à une augmentation des vitesses, mais ceci pourra être compensé par l'utilisation d'intercepteurs plus rapides et disposant de senseurs à portée accrue.

Par contre les évolutions précédentes des menaces sont beaucoup plus inquiétantes, car elles mettront en défaut à la fois les systèmes d'interception opérant dans les basses couches de l'atmosphère (les manoeuvres et évasives apparaissent à partir de 25 km d'altitude) et les systèmes exo-atmosphériques (trajectoires restant dans l'atmosphère, leurres rustiques).

Mais d' autres analyses de la menace balistique , mettant plutôt l'accent sur l' augmentation des portées , sont envisageables.

LA DÉFENSE ANTIMISSILE

BALISTIQUE

I. PRINCIPES D'INTERCEPTION

A. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES : LE CARACTÈRE DIMENSIONNANT DE LA MENACE SUR L'ARCHITECTURE DE LA DÉFENSE

Un système de défense est dimensionné contre une menace donnée en termes de caractéristiques des missiles envisagés, de nombre de missiles, de scénarios de confrontation (zone de lancement, points visés).

La menace balistique est une réalité aujourd'hui dans les principaux pays proliférants, mais si l'on envisage un système de défense active opérationnel en 2030 et efficace pour 20 ans, il devra être adapté à la menace de 2050.

Il devra être robuste à la sophistication de la menace, mais jusqu'où ? Devra-t-il être robuste aux missiles multi-têtes ? Quelles aides à la pénétration (ALAP) doivent-elles être envisagées ? L'attaquant adaptera-t-il sa stratégie suivant le type de défense déployées ? Faut-il envisager un tir depuis l'Atlantique ? Une défense du territoire doit elle être omnidirectionnelle ou axée sur l'arc des menaces ? L'attaquant ne possèdera-t-il que des missiles balistiques, à l'exclusion de missiles de croisière, que personne ne sait arrêter ?

La meilleure défense n'est elle pas l'attaque, la contre-force (action militaire préventive sur les zones de déploiement des missiles) ou la dissuasion ?

B. LES DIFFÉRENTES CLASSES DE DÉFENSE

1. Détermination des différents types de défense en fonction de la nature de l'interception

La question de la défense antimissile se focalise généralement sur la défense active comportant trois classes possibles :

- la défense exo-atmosphérique , (« Exo») dans la phase balistique du missile, qui est la plus longue ;

- la défense dans la phase dite « haut endo-atmosphérique » (« Haut Endo ») c'est-à-dire le début de la phase de rentrée, entre 100 km (limite de l'atmosphère) et 25-30 km ;

- la défense dans la phase dite « bas endo-atmosphérique » (« Bas Endo ») entre 25-30 km et le sol ou « Défense aérienne élargie » (DAE).

Mais d'autres types de défense ont pu, peuvent, ou pourront exister :

- les défenses ABM ( Safeguard américains 4 ( * ) / système A135 russe de défense de Moscou), constituées à base d'intercepteurs nucléaires qui se déclenchent à proximité de la cible, en phase exo-atmosphérique et provoquent une explosion nucléaire capable de détruire le missile assaillant ;

- les systèmes de défense en phase propulsée , qui visent à intercepter le missile au tout début de son lancement ; les projets américains portaient sur des intercepteurs (KEI) ou des armes à énergie dirigée ( Airborne laser ), mais la complexité extrême de ces systèmes de défense a conduit à leur abandon ;

- les systèmes de défense prospectifs comme les intercepteurs « multi-têtes » (projet MKV américain) ou les armes anti-satellites (ASAT).

2. Défense de théâtre et défense de territoire

La défense antimissile de théâtre Theatre Missile Defense - TMD) a pour objectif de défendre les forces déployées et les sites de grande valeur sur un théâtre d'opération contre des attaques de missiles balistiques. La défense de théâtre est une partie constituante de la défense aérienne et un sous-ensemble de la défense antimissile.

La défense antimissile de territoire poursuit le même objectif, mais à une échelle plus grande.

C. INTERCEPTION EXO-ATMOSPHÉRIQUE OU ENDO-ATMOSPHÉRIQUE

Les caractéristiques physiques des missiles balistiques décrites ci- dessus conduisent à envisager classiquement, dans une vision « otanienne » trois types de défense :

- une défense endo-atmosphérique pour les menaces bas endo-atmosphérique de 1 000 km de portée maximale :

- une défense moyen-haut endo-atmosphérique ou exo-atmosphérique pour contrer les menaces de 1 000 à 3 000km ;

- une défense exo-atmosphérique pour contrer les menaces capables de plus de 3 000 km de portée maximale, même lorsqu'elles sont utilisées à portée inférieure.

Pour les missiles à longue portée , les défenses dites terminales (basse couche) issues des systèmes anti-aériens sont rapidement inadaptées. La raison en est que les grandes vitesses d'approche et les capacités de leurrage conduisent à des instants d'engagement beaucoup trop tardifs.

La technologie aérodynamique de l' intercepteur issu de la défense anti-aérienne élargie limite son domaine d'action à la tranche 10-20 km d'altitude (30 km annoncés pour certains systèmes russes), domaine traversé en moins de 5 secondes par une menace de moyenne portée. De plus, les décélérations axiales et les accélérations transverses de la menace lors de sa rentrée atmosphérique sont importantes et imprédictibles, notamment compte tenu des irrégularités de l'atmosphère. Ceci rend très difficile le guidage du missile antimissile sur sa cible.

Les systèmes de défense aérienne élargie (type SAMP/T modernisé : Block 1 NT ) permettent de traiter les missiles balistiques qui sont à plus faible vitesse lorsqu'ils pénètrent dans les couches basses de l'atmosphère. Mobiles, ils apportent une réponse au besoin largement exprimé en Europe de protéger les forces déployées sur les théâtres extérieurs contre les menaces aériennes (en particulier missiles de croisière) et les missiles balistiques de courte portée (inférieure à 600 km).

Au-delà des systèmes de défense aérienne élargie, deux types de systèmes de défense peuvent intercepter les missiles balistiques à plus haute altitude :

1. Les systèmes exo-atmosphériques sont pertinents pour intercepter des missiles assaillants dont la durée de vol spatiale est significative. En effet, lorsque la phase balistique exo-atmosphérique dure plusieurs minutes, elle est parfaitement connue, et ce dès que l'arme a été acquise par le radar de suivi. Sa trajectoire est totalement prédictible en vertu des lois de Képler. Cette prédictibilité permet alors d'envoyer un véhicule terminal autonome sur une trajectoire de rendez vous. Ce véhicule spatial très manoeuvrant est doté d'un télescope infrarouge à longue portée qui lui permet de détecter le cortège assaillant, de discriminer la charge et de se guider sur celle-ci pendant plusieurs dizaines de secondes jusqu'à l'interception.

2. Les systèmes moyen-haut endo-atmosphérique sont les seuls à pouvoir intercepter des cibles balistiques qui ne sortent pas ou trop peu de l'atmosphère. C'est le cas des missiles courte-moyenne portée (moins de 2 000 km) de nouvelle génération tirés selon des trajectoires tendues. L'avantage de ce type d'interception est que, à cette altitude, les aides à la pénétration commencent à être éliminées par combustion naturelle avec l'air présent dans l'atmosphère.

Ces deux régimes d'interception (moyen-haut endo-atmosphérique et exo-atmosphérique) constituent la « couche haute » des systèmes d'interception. Ils sont complémentaires, car parant des types de missiles assaillants différents. C'est pour cette raison que les Etats-Unis ont développé une défense multicouche afin de traiter l'ensemble des menaces balistiques.

D'une façon générale, une défense anti-balistique repose sur la connaissance permanente de la menace, la capacité de simulation de déploiement et d'engagement ( l'architecture ), les moyens de commandement et de contrôle (C2), des moyens d'alerte avancée (satellites, radars à longue portée, etc...) et des effecteurs ( intercepteurs et radars de conduite de tir).

On retiendra qu'un système de défense antibalistique est un ensemble cohérent de moyens cohérents et reliés entre eux permettant de neutraliser la menace .

II. LES DIFFÉRENTS ÉLÉMENTS DE L'INTERCEPTION

A. L'ARCHITECTURE ET LE C2

Les travaux d'architecture consistent à réaliser des simulations de déploiement et d'engagement de tous les systèmes contribuant à la défense contre les missiles balistiques (alerte avancée, senseurs, effecteurs, systèmes de commandement, systèmes intercepteurs navals et terrestres) face à des menaces potentielles simulées à partir de la connaissance des menaces réelles.

Les résultats des études donnent l'efficacité obtenue (probabilité de protection d'une zone défendue) pour plusieurs déploiements possibles de ces systèmes sur un territoire (ou un théâtre d'opérations), en fonction d'une cartographie de menaces spécifiées, et permettent de définir une politique d'engagement.

Les systèmes de commandement et de contrôle (C2) sont, de façon très schématique à ce stade, les systèmes logiciels qui, à partir de règles de commandement préétablies, permettent aux différents éléments de la défense antimissile de communiquer entre eux, afin de fournir une image en temps réel de la situation, le cas échéant de détecter la menace, de proposer une ou plusieurs solutions aux autorités de commandement, de déclencher l'interception et d'en surveiller le déroulement.

B. L'ALERTE AVANCÉE

1. Principes généraux
a) Les capteurs et les porteurs

La capacité d'alerte avancée repose sur des capteurs - rétines infrarouges ou radars - placés sur des porteurs (satellites géostationnaires, satellites défilant, zones terrestres dédiées, plateformes maritimes, moyens aéroportés drones ou avions) - qui permettent d'observer directement la zone de menaces. L'association capteur porteur détermine les performances du senseur.

Placés sur des satellites , les capteurs spatiaux dédiés à l'alerte sont toujours de type infrarouge. Ils peuvent détecter la chaleur dégagée par le moteur du missile durant sa phase propulsée, juste après le tir. Le capteur ou « rétine IR» est composée d'un ensemble permettant de voir la signature infrarouge (SIR) du missile. Il s'agit en premier lieu de la « matrice » qui doit être refroidie. Sa température de fonctionnement conditionne sa longévité. Cette matrice est associée à un logiciel de traitement qui comporte des algorithmes permettant de discriminer la SIR de la scène observée (fonds de terre ou fonds de ciel).

S'ils sont placés sur des satellites en orbite géostationnaire (36 000 km d'altitude), les capteurs infrarouges doivent pouvoir discriminer la signature infrarouge du jet de propulsion du missile de l'ensemble des éléments susceptibles de la masquer. Ils sont donc particulièrement sensibles aux phénomènes météorologiques tels qu'une couverture nuageuse. Il est donc nécessaire préalablement à leur entrée en vigueur de constituer des bases de données de fonds de terre, d'avoir une connaissance très fine des phénomènes de réfraction, tels que ceux engendrés par les nuages et également d'avoir une bonne connaissance des menaces et de leur signatures.

S'ils sont placés sur des satellites défilants sur des orbites plus ou moins basses, les capteurs IR observent d'éventuels missiles sur fond de ciel. L'observation est alors plus facile puisque le corps chaud du missile se détache sur le fond froid de l'espace. Il faut en revanche davantage de satellites, voire une constellation de satellites, pour assurer la surveillance d'une zone, et un premier satellite donnant l'alerte et la zone de passage de témoin.

Placés à terre ou sur des plateformes maritimes du type plateforme pétrolières, les radars à très longue portée (de l'ordre de 3 000 km) peuvent détecter le missile y compris après l'extinction de son propulseur.

Exemples d'images satellitaires simulées pour montrer les conséquences d'une mauvaise détection.

b) Les fonctions de l'alerte avancée

L'alerte avancée est susceptible de remplir quatre missions bien distinctes qui sont :

1. Mission de surveillance de la prolifération : en observant les essais balistiques dans un pays donné on peut avoir une idée précise de sa maturité technologique et industrielle. Cette capacité apporte au pays qui la détient une autonomie d'appréciation sur l'avancement des programmes de missiles dans tel pays. Lorsqu'elle est réalisée au moyen de capteurs infrarouges, elle permet de caractériser techniquement la menace en constituant une base de données associant les SIR à chaque type de missile.

2. Mission d'identification de l'agresseur : L'alerte avancée permet de déterminer l'origine des tirs soit à partir d'informations de trajectographie du missile assaillant dans le cas d'un capteur radar, soit par une image infrarouge dans le cas d'un satellite. Elle autorise ce faisant une riposte.

3. Mission d'alerte des populations ou mission de défense passive : un missile balistique vole entre cinq et vingt-cinq minutes. Une détection au plus tôt de son départ combinée à une estimation de son point d'impact permet de mettre à profit ce délai pour déclencher l'alerte des populations éventuellement et mettre en oeuvre les mesures de protection civile.

Les deux premières missions viennent conforter la dissuasion nucléaire lorsqu'elle existe ; la première en permettant d'apprécier le potentiel de dangerosité d'un pays - et donc de prendre les mesures diplomatiques ou autres qui s'imposent ; la seconde en faisant savoir à l'agresseur qu'il sera identifié avec certitude et donc qu'il s'exposera à des représailles.

La troisième mission, peut éventuellement permettre de réduire les pertes civiles liées à une attaque balistique.

4. Mission de défense active : en calculant de façon précise la trajectographie du missile balistique, certains systèmes d'alerte (radars à très longue portée - ou satellites infrarouges défilants - observant sur fond de ciel) permettent de suivre le missile après l'extinction de son ou ses moteurs dans sa phase balistique et de déterminer une zone de passage de témoin à un radar plus focalisé de conduite de tir ( handover basket ) ; les satellites infrarouges géostationnaires observant sur fond de terre - sont naturellement plus limités dans cette capacité, puisqu'ils ne peuvent observer le missile que pendant sa phase propulsée.

Cette dernière mission n'a de sens que dans le cadre de la DAMB.

Il faut retenir que ces fonctions apportent une contribution différente :

1. Dissuasion nucléaire

la surveillance de la prolifération

2. l'identification de l'agresseur

3. DAMB

la défense passive : alerte des populations

4. la défense active : la trajectographie

2. Les satellites d'alerte avancée américains

En matière d'alerte avancée satellitaire, les Etats-Unis disposent de deux systèmes opérationnels :

1. Le DSP ( Defense Support Program ) est un système de plusieurs satellites en orbites géosynchrones équipés de capteurs infrarouges. Ces satellites développés par Northtrop Gruman ont pour missions de détecter les lancements de missiles, de caractériser et d'identifier le type de missiles concernés et également de repérer les explosions nucléaires.

Leur déploiement a débuté dans les années 1970. Le dernier satellite a été lancé en 2007. Quatre satellites DSP seraient encore en service . Ce système doit être progressivement remplacé par le SBIRS.

2. Le programme SBIRS ( Space-Based InfraRed System ) a été lancé au milieu des années 1990. Destiné à remplacer progressivement le DSP, ce système remplira les mêmes fonctions mais avec des performances améliorées. SBIRS est développé par Lockheed Martin avec Northtrop Gruman. Le coût de ce programme est évalué à 16 milliards de dollars 5 ( * ) . En cours de déploiement opérationnel, il sera composé à terme de :

§ 2 satellites en orbites elliptiques fortement inclinées (« Molnya ») pour la couverture des zones polaires ; ces deux satellites sont opérationnels depuis 2006 et 2008 respectivement ;

§ 4 satellites en orbite géostationnaire dont le premier a été mis en orbite au mois de mai 2011.

Les Etats-Unis préparent également la prochaine génération de satellites d'alerte.

Il s'agit du programme PTSS ( Précision Tracking and Surveillance ) Ce système, incluant des satellites en orbite basse, doit non seulement permettre de détecter le départ de missiles, mais aussi de trajectographier ces missiles pendant tout leur vol (pendant la phase propulsée mais également au delà, y compris la phase de rentrée dans l'atmosphère). Un démonstrateur composé de deux satellites a été lancé en 2009 . Il a permis à la MDA de valider le concept de ce type de satellites, grâce à un essai réalisé en mars dernier où, selon les sources ouvertes, le système a pu suivre le vol complet d'une cible balistique. D'autres essais semblent programmés afin de pouvoir valider la capacité du démonstrateur à directement désigner un système d'interception type Aegis . La mise en service du premier prototype semble prévue à l'horizon 2015. Il pourrait s'agir d'une constellation comprise entre 9 et 12 satellites .

3. Les radars
a) Les radars à visée directe

Un radar se définit par sa fréquence d'émission ou plus exactement la bande passante de cette fréquence. De façon très simplifiée, le faisceau d'un radar peut être comparé à un faisceau d'une lampe torche. Plus le radar émet dans une bande de fréquence faible, plus son faisceau aura un champ diffus. Plus il émet dans une bande haute, plus son faisceau est focalisé et permet une vision précise des objets observés, mais dans un champ très étroit.

Pour les radars concernés par la DAMB, il existe trois sortes de radars :

- les radars de bande L , qui couvrent un large champ, mais de façon imprécise (ce qui peut être amélioré en focalisant la puissance de l'antenne sur le point observé, mais au détriment de l'observation du reste du champ) ; ils servent principalement à la détection .

- les radars de bande X sont, à l'opposé des précédents, des radars de conduite de tir . Ils sont très précis mais ont besoin qu'un autre instrument leur définisse la zone précise de l'espace dans lequel chercher ; les Etats-Unis possèdent un radar en bande X déployé sur une plateforme maritime : le Sea-Based X band radar qui permet de guider les intercepteurs GBI. Ils possèdent aussi l'AN-TPY-2 qui est le radar d'alerte, de poursuite et de contrôle de tir du système d'interception THAAD et le GMDR déployé dans une île du Pacifique (équivalent du SBX mais à terre).

- les radars de bande S qui sont intermédiaires entre les deux et ont une certaine polyvalence.

Un radar à visée directe est potentiellement capable de suivre un missile durant toute sa trajectoire. Sa capacité de détection est limitée par :

- sa portée et donc sa puissance

- par la rotondité de la Terre et donc l'emplacement où il se trouve .

Pour détecter le missile au plus tôt, le radar doit être implanté à proximité des zones de lancement et la faisabilité d'une telle implantation dépend de nombreux paramètres, notamment techniques, diplomatiques et militaires. Il convient de noter que certaines trajectoires de missiles peuvent passer hors de portée de la nappe de veille du radar. On dit alors que le radar est lobé. Pour être plus précis, on lobe un radar en passant au dessus de sa bulle de détection, c'est-à-dire notamment grâce à des trajectoires plongeantes dont l'apogée est supérieure à la portée instrumentée du radar. Lorsque l'on passe sous la nappe de veille, on le fait avec des trajectoires tendues avec une apogée faible.

Il existe cinq grands radars à bande L dans le dispositif américain d'alerte précoce ( Ballistic Early Warning Radars ) :

Les radars de Fylingdales dans le nord-est du Royaume-Uni ( North Yorkshire ) et de Thule au Danemark fonctionnent dans la bande UHF. Leur antenne électronique active est reconnaissable par sa forme « plate », contrairement aux anciens radars à antenne tournante protégés par des radômes à la forme caractéristique en « balle de golf ». Le nombre de faces détermine le champ d'ouverture du radar. Avec une seule antenne, le radar couvre un angle de 120 ° devant lui. Avec deux, il surveille un champ de 240° et avec trois une couverture tous azimuts à 360°. Evidemment, le nombre de faces multiplie d'autant le coût du radar. La capacité à engager des intercepteurs est à la lisière des fonctions naturelles de ce type de radars (qualité de trajectographie trop faible).

Chacun de ces deux sites a fait successivement l'objet d'une mise à hauteur qui s'est achevée en 2007 pour Fylingdales et en mars 2011 pour Thule . Selon les informations disponibles en presse ouverte, les travaux réalisés ont notamment consisté en une amélioration des capacités de discrimination (et donc de précision). Depuis, ces systèmes sont annoncés comme capables de faire de la désignation d'objectif au profit d'intercepteurs.

Leur qualité de pistage radar reste sans doute limitée. Néanmoins, le fait que ces systèmes soient les seuls à pouvoir guider des intercepteurs GBI sur des missiles tirés depuis l'Iran vers les Etats-Unis, tend à confirmer la crédibilité de cette nouvelle aptitude. Elle est désormais en général prise en compte que ce soit dans les études conduites au niveau national ou à l'OTAN.

Pour optimiser leur utilité, les radars d'alerte avancée doivent être localisés le plus près possible de la menace afin de pouvoir détecter au plus tôt le départ de missiles. La localisation des deux radars de Fylingdales et de Thule ne les rend donc pas adaptés pour la protection du territoire européen contre des missiles tirés depuis l'Iran. Leur implantation remonte aux années 1960 et à cette époque, ces radars avaient pour seul objectif, et sans ambiguïté, la protection du territoire américain face à une attaque soviétique.

Néanmoins, des études conduites par l'OTAN ont montré qu'un radar AN-TPY2 positionné au sud-est de l'Europe, comme le prévoit la Phased Adaptive Approach (PAA) américaine, n'est pas suffisant pour détecter et élaborer une trajectographie de missiles tirés depuis l'Iran et qui viseraient le nord de la Norvège ou le Groenland. Pour ces missiles, le radar de Fylingdales apporte le complément de couverture indispensable pour permettre à la PAA de protéger ces parties du territoire européen.

b) Les radars transhorizon

Les radars transhorizon utilisent la réflexion des ondes émises soit sur la surface de la mer (onde de surface), soit sur l'ionosphère (onde de ciel) afin de détecter des objets (mobiles ou non) au-delà de la ligne d'horizon.

Outre l'avantage de voir beaucoup plus loin que les radars à visée directe, les radars transhorizon ou OTH ( over the Horizon ) permettent d'appréhender des menaces furtives ou à très basse altitude.

En contrepartie, ils ont des contraintes non négligeables. Ils nécessitent généralement à une distance fixe de leur pourtour un réseau antennaire de grandes dimensions destiné à mesurer la hauteur précise à l'instant t de l'ionosphère afin de déterminer la résolution angulaire. Toutefois les scientifiques français ont résolu ce problème. Par ailleurs, le radar suppose une grande agilité de fréquence et de réduction des interférences.

Les radars transhorizon permettent essentiellement de détecter les missiles pendant leur phase propulsée. Ils peuvent donc apporter des capacités similaires à celles des satellites d'alerte, avec l'inconvénient que leur couverture est limitée par leur puissance et la distance séparant le site d'implantation de la zone à surveiller.

Les Etats-Unis disposent de trois radars OTH situés autour du golfe du Mexique. Ils sont utilisés pour la surveillance du trafic aérien toutes altitudes. Aucun de ces radars n'est utilisé dans le cadre de la DAMB, compte-tenu du fait que la géographie fait qu'une implantation sur le territoire américain ne permettrait pas de profiter au maximum de ce type de moyens. Mais tel n'est pas le cas de l'Europe, et un radar transhorizon installé au centre de la France pourrait assurer une surveillance du nord de l'Afrique. Installé à Solenzara, il aurait une couverture jusqu'en Afrique subsaharienne. La France possède un démonstrateur de radar transhorizon dénommé « Nostradamus ». Installé sur la base de Crucey, il a permis de valider la pertinence du concept de radar OTH sans réseau antennaire déporté.

L'Australie possède trois radars OTH afin de surveiller la mer des Philippines. La Russie possèderait également un radar de ce type à Duga (Vladivostok) pour la surveillance de la mer du Japon. Enfin, on suppose que la Chine utilise également un radar de ce type pour la surveillance de Taiwan.

4. Les systèmes aéroportés

Des études ont été menées aux Etats-Unis et en France sur l' utilisation de drones pour l'alerte avancée . Elles ont démontré la faisabilité du concept, avec néanmoins de nombreuses limitations.

L'intérêt du système est sa capacité d'adaptation, ce qui permet éventuellement de n'utiliser le système qu'en cas de crise avérée. Le système permet - théoriquement - de suivre des missiles tout au long de leur trajectoire (phase balistique comprise), ce qui, en termes de performances, permet de le comparer au radar.

Les limitations sont les suivantes :

- il est nécessaire de disposer des plates-formes drones (principalement de type HALE - haute altitude longue endurance) ;

- pour assurer une permanence sur zone 24h/24h durant plusieurs semaines ou mois, il est nécessaire de multiplier le nombre de capteurs et plateformes ; les coûts d'opération et de maintien en condition opérationnelle sont donc relativement élevés sur la durée ; le coût de développement et d'acquisition d'un système complet opérationnel est quant à lui, a priori, du même ordre de grandeur que le coût d'autres systèmes d'alerte avancée ;

- la portée des capteurs infrarouges est limitée ; il est donc nécessaire d'opérer le système à proximité des zones d'intérêt, pour la détection de missiles courte-moyenne portée ;

Pour les Etats-Unis, ce moyen est considéré comme complémentaire des autres moyens d'alerte avancée (satellites, radars). Les autres pays qui envisagent son utilisation sont directement voisins de pays potentiellement menaçants.

5. Complémentarité ou substitution entre les systèmes

Satellite et radar sont deux moyens complémentaires d'alerte avancée qui présentent des intérêts différents vis-à-vis de chacune de ces missions.

Un satellite placé sur une orbite géostationnaire est capable de surveiller une très grande zone. Il observe la phase propulsée du missile et peut donc détecter une cible au plus tôt. Mais il est relativement figé sur la zone qu'il surveille. Des changements de position sur l'orbite qu'il occupe sont possibles mais à condition d'obtenir au préalable les autorisations pour occuper un nouveau positionnement et émettre à partir de cette position. L'obtention d'une telle autorisation peut nécessiter plusieurs mois ou plusieurs années. Par ailleurs ces déplacements sont couteux en carburant. La consommation dépendra également du temps que l'on souhaite employer pour le faire changer d'orbite. Plus on souhaite une manoeuvre rapide, plus le déplacement consommera du carburant. Une réserve importante de carburant alourdit le coût et donc le prix du système. Il convient cependant de souligner que le satellite est le seul capteur qui se révèle indépendant des considérations géopolitiques. Les radars supposent en effet un accord diplomatique s'il est installé dans un pays tiers, et les systèmes aéroportés sont tributaires de la maîtrise de l'espace aérien.

A rebours, le radar présente des avantages et des inconvénients : il permet de donner une trajectographie fine du missile assaillant et n'est pas gêné par la couverture nuageuse. Mais il suppose d'être près de la menace, à défaut de quoi il peut être lobé.

Pour répondre à l'ensemble des missions d'alerte, le satellite et le radar doivent donc être associés (détection du point de départ du missile au plus tôt et sur une large zone par le satellite, puis estimation précise du point d'impact grâce au radar).

Les moyens spatiaux visent surtout la détection des missiles balistiques de portée longue et intermédiaire (à partir de 3 000 km), dont la phase propulsée est assez longue. Les missiles à courte portée restent difficiles à détecter depuis l'espace et sont donc plus faciles à détecter par les radars.

Moyens spatiaux et terrestres sont donc complémentaires.

Les drones présentent des avantages importants, proches de ceux des satellites, avec l'avantage supplémentaire de pouvoir être ramenés à terre facilement en cas d'avarie. Ils sont de surcroît d'un coût d'acquisition nettement inférieur à ceux des satellites. Toutefois, il semble difficile d'organiser une permanence 365 jours sur 365, sinon à un coût très élevé. L'utilisation des drones HALE semble devoir être réservée aux périodes de crise.

C. LES EFFECTEURS

Le terme « effecteur » désigne le système d'arme qui va permettre l'interception. Dans le cas d'une interception balistique, il comporte nécessairement un « intercepteur », qui est l'ensemble missile + autodirecteur, et un radar de conduite de tir qui va guider l'intercepteur de façon précise jusqu'à ce que l'autodirecteur du missile puisse prendre le relais et assurer le guidage terminal sur la cible.

1. Les différents types d'intercepteurs

Navals ou terrestres, les systèmes d'interception combinent au moins un radar de poursuite de la cible (trajectographie), une conduite de tir (C2) qui gère les interfaces et commande les tirs de missiles, plusieurs systèmes de lancement (sur véhicule terrestre, en silo, ou intégré au bateau) regroupant en général plusieurs missiles intercepteurs .

Contrairement à ce qui est souvent dit, les intercepteurs ne sont pas liés à la zone défendue (théâtre ou territoire), mais à la nature de la menace, et en particulier à la vitesse de rentrée de cette menace. En effet, un théâtre comme un territoire peuvent être agressés par des missiles balistiques de vitesses très variées, y compris des missiles à haute vitesse tirés à portée très inférieure à leur portée maximale, mais conservant à la rentrée leur vitesse initiale.

La protection d'un territoire, comme d'un théâtre, nécessite des intercepteurs couche basse et des intercepteurs couche haute.


Couche haute, exo-atmosphérique : GBI, SM-3, Arrow 3 , concept Exoguard .

Un intercepteur couche haute opère dans le domaine spatial, à partir de 70 km d'altitude. Il profite de la phase balistique de la menace qui dure plusieurs minutes et qui est prédictible, une fois acquise sa trajectoire par le radar de suivi.

Typiquement, le missile est détecté dans les premières minutes de vol. Sa trajectoire képlérienne est trajectographiée en 1 à 2 minutes. Le système de commandement dispose de quelques dizaines de secondes à quelques minutes pour déclencher le lancement de l'intercepteur et placer son véhicule terminal autonome sur une trajectoire de rendez vous. Le véhicule d'interception spatial est doté d'un télescope infrarouge à longue portée (plusieurs centaines de km) qui lui permet de détecter le cortège assaillant. Associé à des algorithmes spécifiques, ce senseur permet également de repérer au sein de ce cortège le véhicule de rentrée porteur de la charge militaire.

Enfin, aligné sur sa cible, il permet un guidage fin à l'aide d'une propulsion spatiale qui assure l'impact direct sur la cible et sa destruction par énergie cinétique (vitesse relative de plusieurs km/s).

Interceptant loin de leur point de tir, la zone protégée par les intercepteurs exo-atmosphériques est très large: plusieurs centaines de milliers de km².

Couche moyen - haut endoatmosphérique : THAAD, Arrow 2

L'interception dans le domaine haut endo-atmosphérique (30-70 km)

Interceptant dans l'atmosphère, ces systèmes constituent le seul moyen de neutraliser les cibles qui n'en sortent pas ou très peu de temps, comme les missiles de portée inférieure à 800 km ayant des trajectoires dites à « énergie minimale » ou les missiles de portée inférieure à 1 500 km ayant des trajectoires dites tendues, c'est-à-dire une grande partie des menaces actuelles.

De plus, interceptant entre 20 et 80 km d'altitude, ces systèmes interceptent les missiles balistiques faisant des manoeuvres terminales dans les basses couches de l'atmosphère tels les SS26 Iskander , M9 et Fateh 110 qui mettent en défaut, non seulement les systèmes Exo mais aussi les systèmes bas endo-atmosphérique.

Au niveau du système d'armes, la mise en oeuvre d'intercepteurs de cette catégorie est compatible de l'utilisation de radars multi-fonctions de défense aérienne élargie permettant ainsi de conserver tous les attributs de ce type de systèmes d'armes en terme de mobilité, d'aéro-transportabilité et d'intégration dans les systèmes de commandement existants. La nécessité d'utiliser des désignations d'objectifs externes provenant de senseurs d'alerte (satellite, radar TLP) peut permettre de conserver des zones défendues importantes contre la catégorie haute des missiles MRBM, mais elle n'est pas indispensable pour la mise en oeuvre du système.

Un autre avantage de ce régime d'interception réside dans le fait que la majorité des aides à la pénétration envisageables sur les missiles balistiques des pays proliférants auront été naturellement éliminées à la rentrée dans l'atmosphère, c'est-à-dire avant que le système de guidage terminal IR de l'intercepteur n'accroche la cible. D'éventuels débris restants pourront être rejetés par des traitements spatio-temporels et bi-spectraux analogues à ceux mis en oeuvre sur nos missiles d'interception tactiques.

Cela étant, ces systèmes sont limités à l'interception de missiles de portées inférieures à environ 3 000 km, car au-delà, les vitesses de rapprochement sont telles que la destruction par impact direct n'est plus possible, même en utilisant le guidage terminal IR.

Le THAAD ( Terminal High Altitude Area Defense ), en cours de déploiment dans les forces terrestres américaines, est un système haut endo-atmosphérique et bas exo-atmosphérique.

L'essentiel des essais du THAAD a été réalisé dans l'atmosphère et, d'après les autorités américaines, présente un pourcentage élevé de réussite.

Le domaine d'interception du THAAD, tel que présenté par la MDA et Lockheed Martin, à des publics sélectionnés, se situe entre 45/50 km et 150 km d'altitude. Il convient toutefois d'observer que la présentation en source ouverte fait état d'un départ de la fourchette basse à 20 km, chiffre sujet à caution. Le bilan actuel des tirs entre 2006 et 2010 est de 7 interceptions réussies sur 7 essais: 4 en moyen endo, 2 en haut endo et une en bas exo. Les quatre premières interceptions et la dernière ont été réalisées contre des cibles unitaires, les deux autres contre une tête séparable de la classe MRBM.


Couche basse, endo-atmosphérique : Patriot PAC 3, MEADS, SAMP/T Block 1/ 1 NT .

Dérivé de la défense anti-aérienne, les intercepteurs couche basse donnent satisfaction face aux menaces à faible vitesse, interceptées à basse altitude (moins de 20 km), la vitesse de la cible ayant été réduite par les couches denses de l'atmosphère. Ils nécessitent un temps de réaction de la conduite de tir extrêmement bref, la fenêtre de tir étant très étroite (une à quelques secondes maximum). Ils doivent avoir des capacités de manoeuvre aérodynamique très élevées (d'où la limite d'altitude de fonctionnement) avant l'interception, car les perturbations atmosphériques entraînent des mouvements imprévisibles du missile balistique.

L'altitude d'interception étant réduite, la zone protégée au sol est limitée : quelques centaines de km².

Depuis plusieurs années, les Etats-Unis ont étudié d'autres systèmes d'interception : laser aéroporté, armes en orbite spatiale, intercepteur en phase ascendante, interception en altitude intermédiaire (30-60 km). Tous ces systèmes ont été abandonnés ou ont connu d'énormes difficultés de développement et de validation, avec les dérives calendaires et budgétaires associées.

L'interception dans le domaine haut endo-atmosphérique (30-100 km) est jugée par certains comme cumulant toutes les difficultés :

- la discrimination est difficile, car les équipements accompagnant la tête rentrante ne sont pas encore freinés par l'atmosphère ;

- les manoeuvres de la cible sont difficilement prévisibles à cause des pressions aérodynamiques avant l'interception ;

- l'échauffement important du senseur infrarouge de l'intercepteur limite ses performances, à l'instant où il doit détecter la cible, l'intercepteur est encore à moins de 30 km d'altitude (échauffements importants par l'aérodynamique), alors que la cible est à environ 100 km d'altitude, donc encore à température spatiale, froide ; sa détection est donc difficile, d'autant plus que la ligne de visée est perturbée par les effets thermiques.

Après 20 années de développement 6 ( * ) , le THAAD semble offrir une capacité exo-atmosphérique et une capacité haut endo-atmosphérique, principalement grâce à :

- son radar bande X de forte puissance, utilisant une technologie qui a bénéficié de financements très importants ;

- son fonctionnement en mode Shoot-Look-Shoot , avec une possibilité de deuxième tir, en dernier recours, conduisant forcément à une interception dans les couches hautes de l'atmosphère.

2. Les technologies de l'intercepteur

Le départ du missile se fait à la verticale, ou avec une certaine inclinaison (THAAD, PAC-3). Les missiles sont dans un conteneur qui sert au transport, au stockage et surtout à la phase de départ du missile. Ce sont des technologies qui ont été ou sont couramment utilisées sur les missiles Aster , Hades , M45 et M51.

La mise en vitesse doit atteindre au moins 2,5 km/s (Mach 8) pour une interception en haut endo ou exo-atmosphérique. La mise en vitesse se réalise par deux étages d'accélération, avec propulseur à propergol solide, avec une structure la plus légère possible (carbone) et des tuyères d'orientation de la poussée, à butées flexibles. Ces technologies, comme la séparation des étages d'accélération, sont utilisées sur M45, M51, Ariane, Vega.

Les missiles SM3, GBI, projets Aster Block II , comme Exoguard sont conçus autour d'un missile à trois étages, 2 étages d'accélération et un étage pour les manoeuvres finales et l'interception appelé : Kill Vehicle .

Cette conception diffère de la conception des missiles de couche basse, dérivés de la défense anti-aérienne élargie ( Patriot , Aster ), qui sont des missiles à pilotage aérodynamique, senseur électromagnétique et charge explosive militaire. Cette différence de conception est directement déduite du besoin de mise en vitesse : 1,3 km/s (Mach 4) sur Aster Block 1 pour 2,5 à 6 km/s sur les missiles balistiques, 9 km/s sur Ariane. La maîtrise du pilotage à ces vitesses, et des technologies de séparation des étages sont celles des missiles balistiques et du spatial. A noter que la vitesse du missile balistique Hades était d'environ 2 km/s, montrant bien quels types de technologies sont nécessaires pour les intercepteurs et quels sont les risques liés à la prolifération de ces technologies.

L'interception et la destruction de la cible relèvent également de deux types de technologies différentes : pilotage aérodynamique et charge explosive pour les intercepteurs de couche basse, pilotage spatial et impact direct avec effet cinétique pour les intercepteurs de couche haute.

Pour une interception au-delà de 25 km d'altitude, le véhicule d'interception ne peut plus utiliser un pilotage aérodynamique, la pression atmosphérique étant devenue insuffisante. C'est donc obligatoirement un concept de pilotage reposant sur la seule propulsion qui est utilisé pour contrôler l'intercepteur (propulsion dite PIF/PAF - pilotage d'interception en force/pilotage aérodynamique en force).

La destruction de la menace a lieu par impact direct, à une vitesse relative des 2 missiles très élevée : de 5 à 10 km/s.

De son coté, le missile Aster a réalisé des interceptions dans l'atmosphère, avec des vitesses relatives de : 1 à 1,5 km/s.

3. Les différents intercepteurs - domaines de vol et caractéristiques

Les radars de conduite de tirs

a) Le Sea Based X band radar

Le radar utilisant la bande X est monté sur une plate-forme pétrolière semi-submersible de 5 ème génération CS-50, conçue en Norvège et construite en Russie. Le radar, développé par Raytheon, a été ajouté dans les chantiers navals d'Ingleside au Texas. L'ensemble est basé à l'île Adak, dans les îles Andreanof en Alaska, mais est susceptible d'être positionné en tout point du Pacifique de manière à détecter le passage de missile balistique.

En février 2008, le radar a été placé près des îles Hawaï, afin d'assurer un suivi de l'interception par missile du satellite USA 193.

b) Le radar AN/TPY2

Le radar AN/TPY2 (anciennement appelé le Forward-Based X Band Transportable radar ) est le radar du système d'interception THAAD (maître d'oeuvre d'ensemble Lockheed Martin). Le maître d'oeuvre du AN/TPY2 est Raytheon.

Ce radar est constitué de 5 éléments :

- une antenne d'émission / réception : (dimension 2m x 5 m environ ; bande X ; couverture : 120 degrés en azimut / de 1 à 90 degrés en élévation ; portée : 1 500km pour une surface équivalente radar de 1dB) ;

- une unité d'équipement électronique ;

- un générateur électrique principal ;

- un système de refroidissement ;

- une unité de consoles d'opérateurs et son générateur associé.

Les États-Unis prévoient l' acquisition de 14 radars AN/TPY-2 à l'horizon 2015 . Deux sont déjà déployés : un en Israël et un au Japon (Shariki).

LA DÉFENSE ANTIMISSILE AMÉRICAINE -

DONNÉES QUANTITATIVES

Données de septembre 2010 - rapport de la MDA - Ballistic Missile Defense Overview for the national Defense Industrial Association complétées par les informations collectées par vos rapporteurs - à bord de l' USS Monterey , ainsi que diverses sources ouvertes.

Le dispositif présenté incorpore celui de la DAMB de l'OTAN

Contre les missiles SRBM (<1.000 km de portée) (couche basse)

Effecteurs terrestres

Batteries mobiles : Patriot Fire Unit PAC-3 (Patriot advanced capability) : 52

Intercepteurs : ERINT 791

Hauteur max d'interception : 15 km

Déploiement 2003

Effecteurs navals

Porteurs : tout navire équipé d'un système de lancement ( vertical launch system de type MK 41) : croiseurs (classe Ticonderoga ) 21

destroyers (classe Arleigh Burke ) 62

Intercepteurs : SM 2 Block IVA 72

Hauteur max d'interception : 33 km

Déploiement 2008

Contre les missiles MRBM et IRBM (1.000< <5.500 km de portée)

Senseurs

Drones - ABIR (Air Borne Infra Red) projet ?

Déploiement 2018 ?

Effecteurs terrestres

Batteries mobiles : THAAD ( terminal high altitude aera defense ) : 2

Localisation: territoire américain - à la vente pour les nations européennes

Intercepteurs : 25

Hauteur minimum : annoncée 30 km - très vraisemblablement 45 km

Hauteur maximum : entre 100 et 120 km

Déploiement 2011

Sites fixes : Aegis Ashore projet 2 sites en Europe

Intercepteurs : SM-3

Déploiement - logiciel 5.0 un seul site avec des SM3 IB 2015

5.1 deux sites avec SM3 IB /IIA 2018

5.1 deux sites avec SM3 IIB 2020

Effecteurs navals

Porteurs : systèmes Aegis : croiseurs (classe Ticonderoga ) 5

destroyers (classe Arleigh Burke ) 16

Déploiement

23 systèmes 3.6.1 fin 2011

? systèmes 4.0.1/5.0 2015

38 systèmes 5.1 2018

Intercepteurs : SM 3 63

Hauteur minimum et maximum d'interception : 90-300 km ?

Déploiement

SM 3 block 3 IA fin 2011 106

SM 3 block 3 IB 2015 ?

SM 3 block 3 IIA 2018 ?

Contre les missiles ICBM (>5.500 km de portée)

Senseurs

radars d'alerte avancée (bande L) (les dates indiquées sont celles de leur dernière mise à niveau ( upgrading ) des radars et non celle de leur construction 5

Beale - Californie 2010

Shemya - Alaska 2010

Cap Code - Massachusset 2012

Thule - Danemark 2011

Fylingdales - Angleterre 2007

radars de conduite de tir (bande X) 3

AN/TPY-2 FBM Désert du Neguev -Israël 2011

AN/TPY-2 FBM Shariki - Japon 2011

Sea-based X-band radar - plate forme basée 2011

près de l'île Adak dans les îles Andreanof en Alaska

Satellites d'alerte avancée

SBIRS (S pace Based Infrared system ) 2 satellites défilant sur orbite poliaire ; 1 satellite géostationnaire déployé, 2 en construction 5

Déploiement 2007-2012

Satellites de surveillance et de suivi de trajectoire

PTSS ( Precision Tracking Space System ) programme entre 9 et 12

Déploiement 2018

Effecteurs terrestres

Site de silos de missiles : 2

Fort Greely (Alaska - Fairbanks) 26

Déploiement 2010

Vandenberg Air Force Base (Californie - San Francisco) 4

Déploiement 2008

Intercepteurs : Ground Based Interceptors (GBI) 30

Hauteur minimum et maximum d'interception : 400 km ?

Effecteurs navals

Porteurs : croiseurs (Ticonderoga) ou destroyers (Arleigh Burke) 21

Intercepteurs : SM 3 Block II 0

Hauteur max d'interception : 90-300 km ?

L'OFFRE AMÉRICAINE DANS LE CADRE DE L'EPAA

LA DAMB MARINE -

DONNÉES QUANTITATIVES

DEUXIÈME PARTIE

LA DÉFENSE ANTIMISSILE BALISTIQUE

BOUCLIER MILITAIRE OU DÉFI STRATÉGIQUE ?

INTRODUCTION

LA DAMB : UN OBJET COMPLEXE -

DES DÉCISIONS DIFFICILES

« Il n'est pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas où il va »

Sénèque

Lors du Sommet de Lisbonne de novembre 2010, les nations membres de l'OTAN ont inscrit dans le nouveau concept stratégique de l'Alliance leur volonté de doter celle-ci d'une défense antimissile balistique (DAMB) destinée à protéger les populations et les territoires des alliés européens , et non plus seulement les forces déployées sur les théâtres d'opération. Les nations alliées ont également affirmé leur volonté d'associer la Russie à cette entreprise. Le nouveau concept stratégique adopté à Lisbonne affirme :

« Nous développerons notre capacité à protéger nos populations et nos territoires contre une attaque de missiles balistiques, en tant qu'un des éléments centraux de notre défense collective, qui contribue à la sécurité, indivisible, de l'Alliance. Nous rechercherons activement une coopération avec la Russie et d'autres partenaires euro-atlantiques dans le domaine de la défense anti-missile ; »

La déclaration du sommet de Lisbonne précise les modalités de cette décision (voir encadré ci-après).

La DAMB dans la déclaration des chefs d'Etat et de gouvernement

participant à la réunion du Conseil de l'Atlantique Nord

tenue à Lisbonne le 20 novembre 2010

36. La prolifération des missiles balistiques représente une menace croissante pour les populations, le territoire et les forces des pays européens de l'OTAN. La défense antimissile s'inscrivant dans le cadre d'une réponse plus large à cette menace, nous avons décidé que l'Alliance développerait une capacité de défense antimissile pour accomplir sa tâche fondamentale de défense collective. Le but d'une capacité de défense antimissile de l'OTAN est d'assurer la couverture totale et la protection de l'ensemble des populations, du territoire et des forces des pays européens de l'OTAN contre la menace croissante que représente la prolifération des missiles balistiques, sur la base des principes de l'indivisibilité de la sécurité des Alliés et de la solidarité au sein de l'OTAN, du partage équitable des risques et des charges, ainsi que de la demande raisonnable, compte tenu du niveau de la menace, de la soutenabilité financière et de la faisabilité technique, et en fonction des dernières évaluations communes de la menace agréées par l'Alliance.

37. Pour ce faire, nous avons décidé d'élargir les capacités de commandement, de contrôle et de communication de l'actuel programme de défense multicouche active contre les missiles balistiques de théâtre (ALTBMD) afin de protéger non seulement les forces déployées par l'OTAN mais aussi les populations, le territoire et les forces des pays européens de l'OTAN. Dans ce contexte, l'approche adaptative phasée des Etats-Unis pour l'Europe est saluée comme une contribution nationale précieuse à l'architecture de défense antimissile de l'OTAN, de même que les éventuelles autres contributions volontaires des Alliés. Nous avons chargé le Conseil d'élaborer, d'ici à la réunion de mars 2011 des ministres de la défense de nos pays, des arrangements relatifs à la consultation, au commandement et au contrôle pour la défense antimissile. Nous avons également chargé le Conseil d'élaborer, d'ici à la réunion de juin 2011 des ministres de la défense de nos pays, un plan d'action sur les étapes de la mise en oeuvre de la capacité de défense antimissile.

38. Nous continuerons d'étudier les possibilités de coopération avec la Russie en matière de défense antimissile, dans un esprit de réciprocité, de transparence maximale et de confiance mutuelle. Nous réaffirmons que l'Alliance est prête à inviter la Russie à réfléchir ensemble aux possibilités de relier les systèmes de défense antimissile, existants ou prévus, en temps opportun, de façon mutuellement bénéfique. Les efforts de l'OTAN en matière de défense antimissile et l'approche adaptative phasée des Etats-Unis pour l'Europe offrent de plus grandes possibilités d'y parvenir. Nous sommes également prêts à engager le dialogue avec d'autres pays concernés, au cas par cas, afin de renforcer la transparence et la confiance et d'accroître l'efficacité de la mission de défense antimissile.

La DAMB est donc avant tout une décision politique : un objectif capacitaire . A ce stade, et c'est important de le souligner, ce n'est pas encore un programme militaire de l'OTAN .

Cela le deviendra vraisemblablement en 2013, lorsqu'auront été définies et approuvées l'ensemble des spécifications nécessaires. Ce programme se limitera à doter l'OTAN d'un système de commandement et de contrôle (C2) coordonnant des moyens apportés par les nations.

Pour autant cet objectif capacitaire s'inscrit dans le cadre d'un programme militaire américain bien réel - la Missile defense - mis en place au tournant des années 2000 et qui est la dernière déclinaison en date d'un concept développé pendant la guerre froide, celui de bouclier spatial .

La France est entrée dans ce processus à reculons , quelques mois avant Lisbonne, par un simple communiqué de presse, en posant une série de conditions, mais sans stratégie, ni calendrier 7 ( * ) . L'horloge des décisions publiques semble s'être arrêtée, l'aiguille des heures bloquée sur le Livre blanc et celle des minutes sur la loi de programmation militaire.

Cette absence de stratégie tient en grande partie au fait que, outre les risques d'éviction budgétaire que la DAMB fait peser sur notre budget de la défense, elle nous oblige à nous poser -spécifiquement à nous Français - la question de savoir si elle conforte ou affaiblit le concept de dissuasion nucléaire. Cette question a fait l'objet de sourdes controverses au sein de l'appareil d'Etat où l'engagement en faveur de la DAMB a été ressenti par beaucoup comme un déchirement conceptuel. A tel point que, pendant longtemps, le débat en a été tout simplement interdit. Un rapport classifié du SGDSN, de mars 2010, préparatoire au sommet de Lisbonne, et dont vos rapporteurs ont pu prendre connaissance, semble avoir tranché de façon définitive, en faveur de la complémentarité de la DAMB.

Par ailleurs, pendant le processus qui a abouti à la décision de Lisbonne, la question de la complémentarité ou de la substituabilité avec la dissuasion nucléaire a fait l'objet d'âpres discussions diplomatiques entre l'Allemagne et la France : est-ce que la DAMB rend inutile la dissuasion nucléaire - et donc s'y substitue - ou bien est-ce qu'elle la complète, voire la conforte ? Ce qui n'est pas un débat identique au précèdent. Telle que définie à Lisbonne, la DAMB de territoire n'a pas pour ambition d'assurer une protection totale contre tous les types de missiles. Si tel était le cas, elle rendrait caduque la dissuasion nucléaire et s'y substituerait. Le nouveau concept stratégique adopté à Lisbonne est conforme à la thèse de la complémentarité puisqu'il affirme que : « aussi longtemps qu'il y aura des armes nucléaires, l'OTAN restera une alliance nucléaire. ».

Si la France a longtemps hésité, c'est bien parce que la DAMB est un objet complexe, qu'elle présente plusieurs aspects et qu'il est difficile de savoir par lequel l'appréhender. L'approche consistant à réduire la DAMB à sa dimension militaire et à partir de la menace qu'elle est sensée parer pour en définir les contours serait, à notre avis, insuffisante . La DAMB comporte quatre autres facettes - politique, diplomatique, économique et stratégique, outre sa face militaire qui n'est pas nécessairement la plus importante. Il est indispensable de les mesurer afin de définir une stratégie cohérente.

Les choix que notre pays devra faire dépendent des objectifs que l'on souhaite privilégier.

I. LA DAMB : UN OBJET COMPLEXE

A. UN OBJECTIF CAPACITAIRE DE L'OTAN QUI S'INSCRIT DANS UN PROGRAMME MILITAIRE AMÉRICAIN EN GRANDE PARTIE DÉPLOYÉ

1. Le concept de bouclier spatial

Le concept de bouclier spatial trouve ses origines dans l'immédiat après-guerre 8 ( * ) et sa naissance est quasi concomitante de l'invention des missiles balistiques. A croire que dès lors que l'on a forgé l'épée, l'on songe on bouclier. Il a donné naissance dans les années 1950-1960 à des programmes importants, aujourd'hui oubliés, tels que Nike - Zeus , Sentinel ou Safeguard, pour la plupart jamais déployés mais qui ont coûté des milliards de dollars au contribuable américain. Il s'inscrit, mutatis mutandis , dans la même philosophie militaire que celle qui nous avait conduit, nous Français, à bâtir après la première guerre mondiale une ligne de fortifications imprenables supposées arrêter l'offensive allemande.

C'est l'initiative de défense stratégique (IDS), de Ronald Reagan en 1983 qui a popularisé le concept de bouclier spatial dans le grand public, grâce au pouvoir évocateur de son surnom - « la  guerre des étoiles » - qui entrait en résonnance avec le contexte cinématographique de l'époque auquel semblait faire écho le discours politique présidentiel sur « l'empire du mal » 9 ( * ) . Le bouclier spatial prend alors la forme d'un projet titanesque dont l'objectif est de protéger le territoire américain contre une frappe massive de missiles balistiques soviétique à l'aide d'intercepteurs et de lasers dont certains basés dans l'espace.

Après la chute du mur de Berlin, et en raison de l'érosion de la menace, le Président George H.W. Bush limita en 1991 les ambitions du programme à une simple protection globale contre des frappes limitées, ( Global Protection Against Limited Strikes - GPALS ).

Le Président Clinton en 1993 ira plus loin en réduisant l'application de ce concept à une simple défense de théâtre ( Theater Missile Defense - TMD ), en raison de la menace bien réelle concrétisée lors de la première guerre du Golfe.

Il est vrai que l'histoire militaire de l'époque comportait plusieurs exemples d'attaques balistiques. La première date du conflit Iran-Irak entre 1980 et 1988 . Lors de la « guerre des villes », les deux pays s'étaient lancé plus 600 missiles de type Scud. En 1986 l'Etat libyen lance deux missiles Scud contre des stations de l' US Cost Guard installés sur l'île italienne de Lampedusa , en représailles au raid américain connu sous le nom de El Dorado Canyon suite à l'attentat terroriste dans une discothèque de Berlin Ouest fréquentée par des militaires américains. Enfin, pendant la première guerre du Golfe fut également la démonstration d'une « guerre des missiles ». Plusieurs dizaines de missiles Scud furent envoyés par l'Irak de Saddam Hussein sur Israël et l'Arabie Saoudite, faisant notamment 27 morts parmi les militaires américains sur la base de Dharhan.

2. La Ballistic Missile Defense des années 2000

En 1998 une commission présidée par Ronald Rumsfeld va renouveler complètement le concept et entraîner l'année suivante l'adoption par le Congrès du National Missile Defense Act décidant le déploiement, aussitôt que technologiquement possible, d'un système de défense antimissile destiné à protéger le territoire national américain d'une frappe balistique limitée. En 2002, après l'élection de George W. Bush et surtout les attentats terroristes du 11 septembre 2001 ce concept prend la forme définitive qu'on lui connaît : assurer une défense du territoire national ( Homeland ), des pays alliés et amis et des troupes déployées contre les attaques de missiles balistiques émanant des pays proliférants, en particulier la Corée du Nord, l'Iran et l'Irak qualifiés dans un discours célèbre du président américain « d'axe du mal » 10 ( * ) .

Ce changement de perspectives s'explique par deux évolutions.

La première est celle de l'apparition de nouvelles dynamiques de la prolifération depuis la fin des années 1990 et l'émergence d'Etats développant des programmes balistiques ambitieux et qui coopèrent entre eux. Il s'agit de la Corée du Nord, du Pakistan de l'Iran, mais aussi de la Syrie, de la Libye, de l'Egypte et dans une moindre mesure du Yémen.

La seconde est celle des succès grandissants des essais d'interception américains affichés par les autorités américaines, mais sur lesquels aucune évaluation contradictoire ne semble avoir été établie. Dans une présentation d'avril 2011 11 ( * ) le directeur de la Missile Defense Agency , affichait un nombre total d'essais réussis de 46 sur 58. Sur la période 2006-2011 le taux de succès serait de 5 essais sur 6 pour les missiles Patriot contre des menaces balistiques de courte portée, 7 sur 7 pour les missiles THAAD sur des menaces de courte et moyenne portée, 11 sur 12 de missiles SM-3 sur des menaces de même type et 3 sur 5 de missiles GBI sur des menaces de portée intermédiaire ou intercontinentale.

La DAMB a donc quitté le domaine de la fiction, pour entrer dans celui du déploiement militaire 12 ( * ) et aujourd'hui dans celui de l'industrialisation et de la commercialisation.

B. UNE RÉPONSE POLITIQUE AUX PEURS DES OPINIONS PUBLIQUES

1. La politique de défense américaine : une nation en quête d'invulnérabilité

Aux Etats-Unis le concept de bouclier spatial semble répondre avant tout à des considérations de politique intérieure. Il apaise des peurs collectives qui s'ancrent sur des fondamentaux historiques de la nation américaine. Parmi ces fondamentaux figurent la quête de l'invulnérabilité et l'isolationnisme. Ce n'est pas un hasard si l'un des principaux systèmes d'armes de la DAMB porte le nom d' Aegis , en référence au bouclier mythique apportant l'invulnérabilité des dieux. Dans l'anglais courant le mot Aegis est synonyme de « protection » et son occurrence est bien plus fréquente que celle de son homologue français : égide.

Trois rapports parlementaires français ont établi au tournant de la dernière décennie ce lien entre la DAMB et la politique intérieure américaine.

En juin 2000 , le Président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, M. Xavier de Villepin , considéra ainsi que la DAMB répondait à des tendances de fond d'ordre politiques et psychologiques : la quête d'invulnérabilité et d'insularité. Il rapporta que 13 ( * ) : « Si le sentiment de vulnérabilité face à une agression balistique ne semble pas répandu dans la population américaine, l'ensemble des parlementaires rencontrés par votre rapporteur ont insisté sur le fait qu'ils ne pouvaient justifier devant les citoyens des Etats-Unis que, disposant d'un éventuel moyen de protéger le territoire national d'une telle attaque, le pouvoir politique renonce à le développer et à le mettre en oeuvre ». Le président de Villepin considérait en outre que l'unilatéralisme américain contribuait à la mise en oeuvre de ce programme : « Cette tentation se manifeste dans bien des domaines, et en particulier dans l'attitude face aux organisations internationales ou aux traités et engagements multilatéraux. Elle repose, en matière de défense, sur l'idée que les Etats-Unis ne doivent compter que sur eux-mêmes pour garantir leurs intérêts de sécurité, qui ne sauraient dépendre de la plus ou moins bonne volonté des autres pays à adhérer à des instruments internationaux ou à les respecter . »

Dans un rapport d'information du 28 mars 2001 14 ( * ) , le député Paul Quilés s'est penché, lui aussi sur les projets américains de défense anti-missile. Le document interprétait ces projets comme reposant moins sur une analyse stratégique, que sur une « théologie politique » ordonnée autour d'une trinité identifiable : le « fantasme de sécurité absolue des Etats-Unis » ; le « mythe de la frontière » (technologique) ; la « dichotomie bons-méchants ». « L'empire du mal, dénonçait alors ce rapport, n'est plus un Etat désigné, l'Union soviétique, mais une catégorie d'Etats relativement fluctuante, aujourd'hui la Corée du Nord, l'Irak ou l'Iran et, demain, peut-être d'autres. »

En mai 2002 , une mission d'information sénatoriale émanant de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées 15 ( * ) indiquait : « Comme il y a deux ans, plusieurs responsables politiques ont rappelé qu'il était du devoir du président et du gouvernement de tout mettre en oeuvre pour protéger le peuple américain. Quel citoyen américain pourrait admettre que les autorités de son pays l'abandonnent sous la menace de missiles emportant des armes de destruction massive, alors qu'il existe une possibilité, à l'aide des technologies les plus modernes, d'édifier un rempart contre un tel danger ? Du reste, certains commentateurs signalent que, selon des sondages, une majorité d'Américains se croient dès maintenant protégés par un tel système et que beaucoup entre eux s'étonneraient s'ils apprenaient qu'il n'en est rien et que l'on débat encore de l'opportunité de sa mise au point. »

2. La diffusion de la peur de la menace balistique

La peur de la menace balistique fait sans doute vibrer des cordes particulières de l'âme américaine, dans un pays qui a vécu pendant longtemps sous la menace d'un hiver nucléaire et qui considérait, avant les attentats du 11 septembre 2001, le territoire national comme un sanctuaire inviolable 16 ( * ) . Mais ce qui vaut aux Etats-Unis vaut ailleurs et on peut admettre aisément que des images d'essais balistiques, assorties de déclarations martiales de dictateurs inamicaux, aient de quoi inquiéter les opinions publiques des pays à qui ces déclarations s'adressent.

Il n'est donc pas surprenant que la DAMB ait connu un développement fulgurant et précoce en Israël , qui a expérimenté en vrai grandeur une attaque balistique par l'Irak en 1991 et qui se sent, à juste titre, menacé par l'Iran.

De même au Japon , menacé par la Corée du Nord 17 ( * ) qui a fait des essais balistiques dans son espace atmosphérique et dans les pays de l'Europe de l'est, en Allemagne en particulier , en raison du souvenir prégnant de la menace balistique soviétique.

Enfin, ne soyons pas surpris que les opinions publiques britanniques et françaises soient les moins sensibles à ce type de menace du fait de la présence dans ces deux pays d'arsenaux nucléaires sensés leur garantir l'ultime protection.

La prise en compte de l'aspect « politique intérieure » de la DAMB, même s'il ne nous est pas familier, est donc un élément que l'on ne peut ignorer pour la compréhension du sujet.

C. UN INSTRUMENT DIPLOMATIQUE QUI STRUCTURE UN RÉSEAU D'ALLIANCE DONT LES ETATS-UNIS SONT LE LEADER

En l'espace d'une décennie, la Missile Defense a permis de structurer trois alliances diplomatiques, dont les Etats-Unis sont à la tête.

1. L'alliance asiatique autour du Japon

La coopération sur la Missile Defense a commencé au Japon en 2004 sous l'administration du premier ministre japonais Junichiro Koizumi. Entre 2006 et 2009 des recherches communes ont été menées. Puis pour une nouvelle période de 6 ans à partir de l'année fiscale 2010. Le coût total du programme atteignait près de 9 milliards de dollars jusqu'en 2012. En 2009 1,4 milliard de dollars a été dépensés pour la défense antimissile 18 ( * ) .

Le développement d'un des principaux missiles de la Missile Defense américaine le SM-3, déployé sur les navires équipés d'un système Aegis , a du reste été co-développé par les Etats-Unis et le Japon. A tel point qu'en raison de limitations résultant de sa propre Constitution, le Japon s'est un instant opposé à leur possible exportation.

Les nouvelles Lignes directrices du programme de défense nationale adoptées le 17 décembre 2010 par le Ministère de la défense et le gouvernement japonais indiquent que : « les questions nucléaires et concernant les missiles de la Corée du Nord sont des facteurs graves et immédiats de déstabilisation de la sécurité régionale. ». Leur objectif est clair : « l e Japon continuera à engager un dialogue stratégique avec les Etats-Unis pour approfondir et développer l'Alliance Japon-Etats-Unis ».

Cette alliance asiatique, structurée par la DAMB, a naturellement vocation à s'étendre au bloc immédiat des alliés américains dans la région : la Corée du Sud, Taïwan et Singapour . Cette alliance ne pourrait que se renforcer si la Chine devenait menaçante.

2. Les deux alliances du Moyen-Orient

La première alliance est celle qui unit les Etats-Unis à Israël .

Bien qu'il soit difficile d'avoir des renseignements sur ce point, il semble raisonnable de penser qu'Israël travaille à la défense antimissile depuis que celle-ci a pris forme et consistance au tournant des années 2000.

Ce pays a déployé dans un premier temps un système d'intercepteurs - le système Arrow - directement dérivé du système américain Patriot pour les menaces balistiques de courte et moyenne portées. Il a déployé dans un second temps, en novembre 2010 un nouveau système de défense anti-missile - Iron Dome - ( "Voûte d'acier" ), conçu pour écarter les menaces de tirs de roquette de la bande de Gaza et du Liban.

Le système israélien a été développé en étroite collaboration avec les industriels américains et avec l'aide du budget fédéral américain. En septembre 2008, un radar AN/TPY-2 FBX-T américain, opéré par du personnel américain, aurait été déployé sur la base aérienne de Nevatim au sud-est de Beersheba dans le Néguev. En octobre et novembre 2009, les Etats-Unis et Israël ont mené des manoeuvres militaires conjointes destinées à tester des systèmes de défense antimissiles présentés comme les plus perfectionnés au monde. Iron Dome doit s'intégrer dans un réseau défensif comptant des batteries de missiles antimissiles israéliens Hetz , capables de détruire des engins balistiques à longue portée lancés du Liban, de Syrie ou d'Iran. Ce rideau défensif pourrait être complété par un troisième système, appelé à être développé dans les prochaines années et visant à intercepter des missiles à moyenne portée. En mai 2010, le président Barack Obama, a demandé au Congrès de débloquer 205 millions de dollars (158 millions d'euros) afin d'aider Israël à déployer ce système, au-delà des trois milliards de dollars d'aide militaire que les Etats-Unis octroient chaque année à l'Etat hébreu 19 ( * ) .

Une seconde alliance au Moyen-Orient commence à se structurer autour des nations du CCG (Conseil de coopération du Golfe) . Elle a pour seul point commun avec la précédente la peur de l'Iran. Mais au contraire des Israéliens, les armes de la DAMB y seront vendues et non offertes.

Sont susceptibles de faire partie de cette alliance l'Arabie Saoudite, le Koweït, le Qatar, et les Emirats Arabes Unis, pays avec lesquels des « discussions sur la Missile Defense » ont lieu. Les Emirats Arabes Unis sont pour l'instant les seuls à avoir officiellement demandé à acheter des systèmes d'armes antimissiles.

3. L'alliance européenne au travers de l'OTAN

En 2002 , sous l'impulsion américaine, l'Alliance atlantique adopte, lors du sommet de Prague une déclaration politique lançant l'étude de faisabilité d'une défense antimissile balistique relative à la protection du territoire, des forces et des centres de population de l'Alliance .

En 2004 , au sommet d'Istanbul les chefs d'État et de gouvernement des pays de l'OTAN donnent pour instruction de poursuivre sans délai les travaux liés à la défense contre les missiles balistiques de théâtre . En 2005, l'Alliance décide du lancement du programme intitulé Active Layered Theater Ballistic Missile Defense ( ALTBMD ). Ce programme est en cours de déploiement.

A compter de 2007 , la question est posée d'une contribution de l'OTAN en complément des déploiements de systèmes antimissile prévus par les Etats-Unis en Europe centrale , ces derniers étant destinés à la protection du territoire américain mais pouvant également assurer la couverture d'une partie du territoire européen.

Enfin en septembre 2009 , le Président Obama propose dans une initiative intitulée European phased adaptive approach (EPAA) d'étendre la protection anti-balistique américaine aux nations européennes et de fusionner l'ensemble des systèmes - d'une part, la défense de théâtre et, d'autre part, la défense de territoire - dans un système unique.

C'est sur la base de cette offre que les nations de l'Alliance ont décidé au sommet de Lisbonne en novembre 2010 le principe d'une future défense antimissile territoriale de l'OTAN.

Les DAMB de l'alliance asiatique et des alliances du Moyen-Orient sont hors champ du présent rapport. Néanmoins, leur existence ne peut être ignorée. Des trois alliances l'alliance européenne, au travers de l'OTAN, est celle qui s'est constituée le plus tardivement, car c'est celle dans laquelle les opinions publiques se sentent le moins menacées.

Ensemble ces trois alliances constituent les maillons régionaux d'une chaîne d'alerte destinée in fine à assurer la protection du territoire américain. La présentation de la Missile Dfense Agency sur la « Homeland Defense System Status » ne dit pas autre chose en incluant ces trois sous-systèmes dans une approche planétaire centrée sur les Etats-Unis (voir annexes introductives).

La DAMB joue ainsi un rôle structurant dans les relations internationales d'une force comparable voire supérieure à celui que joua la dissuasion nucléaire pendant la guerre froide . Elle introduit une relation entre les Etats-Unis, protecteurs, et les autres nations alliées, protégées, qui placent celles-ci dans une position difficile pour aller à l'encontre des décisions américaines les plus importantes. Elle permet ainsi aux Etats-Unis de se placer sans conteste à la tête d'une alliance mondiale (« the free world ») dont le nom fait ressurgir le souvenir de la ligue Athénienne.

L'intégration dans cette alliance est d'autant plus alléchante qu'outre la sécurité qu'elle apporte, elle offre de nombreuses possibilités de coopération commerciale et prend l'allure d'une vaste cathédrale industrielle où chaque nation désireuse de le faire peut apporter sa contribution, qu'il s'agisse d'une rosace ou d'une simple pierre.

D. UNE AVENTURE TECHNOLOGIQUE, INDUSTRIELLE ET COMMERCIALE

La DAMB est un défi technologique : « atteindre une balle avec une balle ». De ce point de vue elle permet effectivement de renouer avec le mythe fondateur de la frontière, slogan mobilisateur qui a pour vertu de concentrer les énergies et les intelligences - les Universités, les bureaux d'études, les industriels - sur un sujet précis, comme le firent jadis, l'aventure spatiale, la navette spatiale, la guerre des étoiles ou comme pourrait le faire, si elle était décidée l'aventure martienne. Les Etats-Unis d'Amérique sont familiers de ce type de grande aventure qui a échéances régulières permet de renouer avec le mythe fondateur d'une nation de pionniers et de focaliser le maximum de financements et de moyens sur des sujets très précis 20 ( * ) .

Quoiqu'il en soit s'il n'est pas certain que la menace qu'elle est censée parer se manifeste un jour, ni même qu'elle puisse la parer, il est au moins une chose certaine : la DAMB aura des retombées économiques importantes .

Ces retombées concerneront toutes les technologies génériques militaires des radars, des satellites et des fusées et au-delà engendreront peut être par sérendipité, des découvertes inattendues dont l'histoire scientifique récente a montré avec Internet, le GPS, les téléphones portables etc. qu'elles étaient souvent les plus importantes. C'est la raison pour laquelle la Missile Defense fait l'objet de toutes les attentions des industriels américains qui y trouvent un triple intérêt financier.

Le première est l'argent qu'ils perçoivent directement du budget fédéral américain que ce soit du reste pour développer des systèmes d'armes américains ou des systèmes d'armes mis à la disposition des alliés. Depuis 1985, la DAMB a ainsi permis de verser 141 milliards de dollars. Sur les trois dernières années, elle représente un flux annuel d'environ une dizaine de milliards de dollars par an. Ce flux est significatif, moins par son importance somme toute modeste au regard d'un budget militaire de l'ordre de 700 milliards de dollars, que par le fait qu'il permet de financer des études sur des technologies particulièrement innovantes et dont les retombées seront importantes.

Le second produit financier est la vente des armes issues de la DAMB aux nations alliées . En 2007, les Emirats arabes unis seraient entrés en négociation avec Lockheed Martin pour acheter des batteries de missiles THAAD, pour une valeur totale de 7 milliards de dollars 21 ( * ) .

Le troisième enfin, est la vente d'armes conventionnelles résultant de l'extension du « bouclier » . On peut ainsi se demander dans quelle mesure les contrats d'armement de la fin 2010 passés entre les Etats-Unis et l'Arabie Saoudite, le Sultanat d'Oman et les Emirats-Arables-Unis, pour une valeur totale de 123 milliards de dollars, ne sont pas liés à une protection antimissile proposée par les Etats-Unis.

E. UN LEVIER STRATÉGIQUE DANS LES RAPPORTS DE PUISSANCE

La Missile Defense est un multiplicateur de puissance. Tel un levier elle permet d'infléchir les rapports de puissance au profit de celui qui la détient, en l'occurrence les Etats-Unis.

1. Vis-à-vis des pays proliférants

Les effets d'une défense antimissiles sur les pays proliférants sont simples à comprendre.

Tout d'abord, la DAMB dévalue la capacité offensive des missiles assaillants et offre une protection aux forces et aux populations concernées. Cette protection est peut être fragile, mais elle existe et oblige les assaillants à en tenir compte.

Cette dévaluation renforce la dissuasion nucléaire des pays protégés, ou selon la formule consacrée, « élève le seuil de la dissuasion ». Cela revient à dire qu'elle élargit le choix des options des décideurs politiques face à une attaque balistique sévère, mais non nucléaire, non chimique ou non bactériologique. Sans elle, ces décideurs seraient confrontés au dilemme de répondre par une attaque nucléaire ou pas.

Enfin, elle rend plus onéreuse financièrement et plus difficile technologiquement les programmes balistiques des proliférants. Ce qui peut in fine, les dissuader à se doter d'un arsenal balistique.

2. Vis-à-vis des autres puissances nucléaires

C'est, paradoxalement, vis-à-vis des autres puissances nucléaires, que la DAMB change le plus la donne stratégique. Car faute de participer à cette aventure technologique, ces puissances prennent le risque de voir leurs propres forces de dissuasion déclassées.

C'est le cas de la Russie qui, après les Etats-Unis, est le pays disposant à ce jour des capacités DAMB les plus développées. Elle a développée avec la série des missiles SM 300, SM 400 et SM 500 plusieurs systèmes de défenses anti-missiles performants, bien au-delà de la traditionnelle défense antimissile balistique de Moscou au moyen d'intercepteurs à charges nucléaires Galosh (exoatmosphérique) et Gazelle (endoatmosphériques). Il est du reste probable que la Missile Defense ait une résonnance particulière en Russie, dans la mesure où la « guerre des étoiles » des années 1980 et la course aux armements qu'elle avait déclenchée sont tenues pour responsables, au moins pour partie, de l'effondrement de l'empire soviétique. Ceci explique sans doute l'irritation véritable de ce pays vis-à-vis de ce sujet et sa volonté que nous retenons sincère de coopérer avec le système de l'OTAN. On observera du reste que la DAMB a d'ores et déjà joué un rôle stratégique important dans les relations entre la Russie et les Etats-Unis sur le dossier iranien. L'abandon d'implantations de défense antimissile en Pologne et en République tchèque, considérées comme trop dangereuses par la Russie, a permis d'obtenir l'accord de ce pays afin de renforcer le régime des sanctions. Le fait même de ne pas déployer des éléments de défense antimissile, a constitué une monnaie d'échange dans les relations internationales et montre bien le caractère stratégique de la DAMB.

La Chine ne disposerait, selon le consensus des analystes, que d'un arsenal nucléaire d'un niveau technologique inférieur à celui des arsenaux nucléaires américain, russe, britannique et français. Il est donc d'autant plus vital pour elle d'en préserver le caractère dissuasif. Elle a annoncé le 12 janvier 2010, date correspondant à l'annonce de la vente par les Etats-Unis de batteries Patriot à Taïwan, avoir procédé avec succès à son premier test d'interception d'un missile dans sa phase de vol exo-atmosphérique. Mais il est peu probable que ce pays puisse franchir à court terme, et sans apport extérieur, tous les jalons technologiques nécessaires au développement d'une capacité DAMB complète. C'est pourquoi, la Chine a mené des programmes de contournement. Premièrement en développant des anti-satellites, qui sont beaucoup plus faciles à réaliser que des armes antimissiles. Elle a ainsi détruit un de ses propres satellites en 2007. Elle le fait également en s'efforçant d'acquérir plusieurs sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, capables de lui assurer une frappe en second. Enfin, elle semble également se doter de missiles antinavires, susceptibles d'interdire l'entrée en mer de Chine aux navires américains.

L'Inde semble intéressée par la constitution d'une défense antimissile. Elle travaille sur la mise au point de capteurs et d'intercepteurs. Elle est à cet effet en recherche de partenariats.

La Missile Defense oblige ainsi les grandes puissances nucléaires souveraines à se positionner vis-à-vis des Etats-Unis, dans un rapport binaire d'allié ou d'ennemi : « friends or foes » 22 ( * ) .

Evidemment, cette question vaut aussi pour les alliés nucléaires traditionnels des Etats-Unis que sont le Royaume-Uni et la France, qui bien qu'alliés se veulent encore souverains.

Le Royaume-Uni , qui accueille sur son sol un radar américain à très longue portée, a été la première nation imbriquée dans le système de défense antimissile américain, en signant un accord secret dès 1985 sur ce sujet. En 2003, quelques mois après le déclenchement de la seconde guerre du Golfe, le gouvernement de Tony Blair signait un nouveau Memorandum of Understanding , relatif aux échanges entre les deux pays sur la DAMB. Le silence de nos amis britanniques sur cette question ne doit pas surprendre. Il trouve son origine dans le fait que le Royaume-Uni s'intègre dans le système défensif américain et que ses intérêts sont identifiés à ceux des Etats-Unis. Pour comprendre cette position, il n'est peut être pas inutile de rappeler que le Royaume-Uni et la Belgique, ont été les premiers pays au monde, et les seuls en Europe, a subir une attaque de missiles balistiques sur leur sol pendant la seconde guerre mondiale.

Pour la France , la DAMB pose la question de son autonomie stratégique , c'est-à-dire de son degré de maîtrise et de contrôle sur un système de défense qui assurera la protection de son territoire.

S'opposer à ce que l'OTAN développe une défense antimissile territoriale aurait été particulièrement difficile à justifier vis-à-vis des autres alliés européens. Une telle position aurait présenté un coût politique très élevé. Cela n'aurait pas pour autant empêché le déploiement d'un système de défense antimissile en Europe, puisque les Etats-Unis en avaient tant la volonté que les moyens, et pouvaient y parvenir par voie d'accords bilatéraux, comme avait commencé à le faire George W. Bush.

Préserver ses intérêts nationaux dans une défense antimissile territoriale de l'OTAN implique de pouvoir y contribuer, d'autant que nos industriels disposent de toutes les compétences nécessaires à cet effet. Mais cela suppose aussi des choix budgétaires difficiles, au risque de devoir renoncer à d'autres programmes militaires conventionnels.

La DAMB est donc, comme le relevait le Président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat dans le rapport précité, un « Charybde budgétaire et un Scylla stratégique ».

II. DES DÉCISIONS DIFFICILES

Compte tenu de la pression sur nos budgets militaires et des choix capacitaires douloureux impliqués par un engagement dans la DAMB, le débat sur l'antagonisme entre DAMB et dissuasion a peut être servi de simple prétexte pour pratiquer une politique de l'autruche . Et c'est en réalité pour éviter de présenter ce dilemme et plus encore de l'affronter que le passage de la France du refus à l'acceptation de la DAMB s'est fait de la façon la plus discrète possible, par inflexions successives.

Une première inflexion a été marquée par le président Jacques Chirac, dans son discours de l'Île Longue le 19 janvier 2006 .

Une seconde inflexion a été marquée par le président Nicolas Sarkozy le 21 mars 2008 lors du discours de Cherbourg.

Mais la véritable décision a été rendue publique par un communiqué de presse du 15 octobre 2010 , par lequel la Présidence de la République a fait connaître : « le soutien de principe de la France à la nouvelle approche de la défense antimissile proposée par le Président des Etats-Unis d'Amérique et actuellement débattue à l'OTAN ».

Les conditions de l'adhésion de la France, posées par le Président de la République, étaient les suivantes :

- un projet réaliste ;

- adapté à l'évolution de la menace balistique que font peser certains programmes au Moyen-Orient ;

- accompagné d'un dialogue avec la Russie en vue d'une coopération ;

- un programme qui soit un complément et non pas un substitut à la dissuasion.

C'est donc en définitive par simple communiqué de presse que les Français ont appris l'approbation de leur pays à cette initiative.

Certes rien n'empêchait le Parlement de se saisir de cette question.

Pour ce qui est de l'Assemblée nationale, outre le rapport précité de mars 2001 sur les projets américains de défense antimissile, une « étude sur la défense anti-missile balistique » a été réalisée par le « cercle interparlementaire d'études air-espace de défense et le cercle interparlementaire d'étude naval de défense » a bien été réalisé sous la direction des députés Christophe Guilloteau, Francis Hillmeyer et Gilbert le Bris en 2010. Mais ce rapport n'émane pas d'un rapporteur désigné par une commission et n'engage donc pas formellement l'Assemblée nationale, même s'il a été présenté à la commission de la défense nationale et des forces armées le 5 mai 2010.

S'agissant du Sénat , outre les rapports précités de 2000 et 2002, votre commission a organisé à l'été 2010 un cycle d'auditions approfondi dans la perspective du Sommet de Lisbonne. Le rapport du président Josselin de Rohan de novembre 2010 clôt ce cycle d'auditions et définit les conditions d'un engagement de la France :

- réaffirmer clairement le rôle central de la dissuasion nucléaire dans la protection des territoires et des populations, contre la menace balistique ;

- encourager l'association de la Russie à la mise en place d'une telle défense, afin d'en faire un domaine de coopération et non de confrontation entre l'OTAN et la Russie ;

- veiller à ce que les conditions du raccordement de nos propres moyens nationaux au système de commandement et de contrôle (C2) et l'élaboration des règles d'engagement tiennent compte de nos impératifs nationaux ;

- insister pour que les ambitions assignées à la DAMB demeurent réalistes et financièrement maitrisables.

Votre commission avait également souligné la nécessité d'accentuer notre investissement et celle de travailler à une réponse spécifiquement européenne.

Afin de donner plus d'échos à ses propositions et d'entendre les positions du gouvernement, le Sénat a organisé un débat d'orientation sur la défense antimissile balistique en séance publique le 9 décembre 2010 23 ( * ) .

Enfin, votre commission a souhaité mandater une mission d'information dont le présent rapport est le résultat.

Au terme de six mois d'études et d'investigations, vos rapporteurs concluent que :

Premièrement, la décision de Lisbonne de doter l'OTAN d'une capacité de défense antimissile balistiques des territoires et des populations est un objectif ambitieux, mais qui laisse, aujourd'hui, de nombreuses questions en suspens. L'offre américaine assure-t-elle une défense effective du territoire européen contre les missiles balistiques ou est-elle destinée prioritairement à protéger le territoire des Etats-Unis ? L'OTAN peut-elle maîtriser le commandement d'un système essentiellement constitué de moyens américains ? La DAMB sera-t-elle un sujet de coopération ou de confrontation avec la Russie ?

Deuxièmement, face à cet objectif, les nations européennes semblent dans l'ensemble peu motivées et peu impliquées. La France pour sa part affronte un dilemme : abdiquer ce qui lui reste d'autonomie stratégique ou apporter une contribution substantielle au prix d'un effort budgétaire conséquent et au risque de sacrifier d'autres programmes et d'autres priorités militaires.

Troisièmement, dans l'intérêt de notre pays, ce dilemme doit être tranché le plus rapidement possible de façon publique afin que chacun puisse se faire son opinion des causes et des effets.

* *


*

CHAPITRE I

-

UN OBJECTIF AMBITIEUX, DES QUESTIONS EN SUSPENS

I. LA DÉFENSE DES TERRITOIRES ET DES POPULATIONS CONTRE LES MISSILES BALISTIQUES : UN NOUVEL OBJECTIF POUR L'OTAN

A. L'OTAN ET LA DÉFENSE ANTIMISSILE AVANT LISBONNE

L'OTAN a entrepris de longue date des travaux sur la défense antimissile .

Ceux-ci ont d'abord et surtout porté sur la défense antimissile de théâtre , en vue de protéger les forces des pays de l'Alliance lorsqu'elles mènent des opérations sous une menace balistique à courte ou moyenne portée. Cette préoccupation, tirée des enseignements de la première guerre du Golfe, apparaît explicitement dans le concept stratégique de 1999. Elle donne lieu en 2005 au lancement du programme ALTBMD, destiné à fédérer les différentes capacités de détection et d'interception de théâtre détenues ou planifiées par un petit nombre de pays alliés, grâce à un système de commandement et de contrôle (C2) commun.

Mais l'OTAN débat aussi depuis près de dix ans de la défense antimissile des territoires, sous l'impulsion des Etats-Unis dont le programme de Missile defense , depuis la présidence George W. Bush, entend désormais protéger alliés et amis. Une étude de faisabilité sur un système couvrant les territoires et les populations de l'Alliance est conduite de 2002 à 2006. Le débat s'intensifie en 2007, lorsque les Etats-Unis annoncent l'implantation en Europe d'un « 3 ème site » de défense antimissile, s'ajoutant aux deux premiers situés en territoire américain. Washington explique qu'une grande partie de l'Europe se trouverait de facto protégée et encourage ses alliés européens à prendre en charge la couverture géographique complémentaire dans le cadre de l'OTAN. En dépit du caractère controversé du projet, qui privilégie dans un premier temps des démarches bilatérales et suscite l'hostilité de Moscou, l'idée d'une défense antimissile des territoires, partie intégrante de la mission de défense collective, fait inexorablement son chemin à l'OTAN.

1. L'ALTBMD : un programme complexe pour doter l'OTAN d'une capacité C2 coordonnant des systèmes de défense de théâtre nationaux
a) Des premières études (1993) au lancement du programme ALTBMD (2005)

L'emploi par l'Irak de missiles balistiques à courte portée Scud a fortement marqué les esprits lors la première guerre du Golfe. Les Etats-Unis vont alors accentuer leurs efforts en matière de défense antimissile de théâtre, notamment pour améliorer les performances de leur système sol-air Patriot . Initialement conçu pour la défense antiaérienne, il évoluera vers la version PAC-3 ( Patriot Advanced Capability-3 ) capable d'intercepter les missiles assaillants par impact direct ( hit to kill ).

Dès 1993, l'OTAN crée pour sa part, au sein de la Conférence nationale des directeurs d'armement (CNDA), un groupe de travail sur la défense aérienne élargie et la défense contre les missiles de théâtre. Cette réflexion est orientée sur la protection des forces déployées. Le concept de défense aérienne élargie rattache la protection contre les missiles tactiques à une problématique de défense globale contre la menace aérienne.

En juillet 1999 , la CNDA approuve un objectif d'état-major en matière de défense antimissile balistique de théâtre active multicouche ( Active Layered Theatre Ballistic Missile Defence - ALTBMD ) contre des menaces allant jusqu'à 3 000 km de portée . Elle décide que deux études industrielles de faisabilité seront lancées pour fournir l'architecture d'un futur programme de défense antimissile de théâtre pour l'OTAN ainsi que les données de base sur les caractéristiques du besoin militaire en vue d'acquérir cette capacité.

Quelques semaines auparavant, lors du sommet de Washington, les 23 et 24 avril 1999, l'OTAN avait pour la première fois mentionné la défense antimissile dans son concept stratégique . Celui-ci précise que « les moyens de défense de l'Alliance contre les risques et les menaces potentielles de prolifération des armes NBC et de leurs vecteurs doivent continuer d'être améliorés, y compris par des travaux sur une défense antimissile ». Partant du principe que les forces alliées peuvent être appelées à opérer au-delà des frontières de la zone euro-atlantique, il s'agit de réduire leurs vulnérabilités face à la menace de vecteurs balistiques susceptibles d'emporter des armes non conventionnelles.

Lancées en mai 2001, les études de faisabilité seront combinées pour définir une future architecture de défense antimissile de théâtre.

En juin 2004 , lors du sommet d'Istanbul , les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Alliance donnent leur approbation de principe au programme ALTBMD qui est officiellement lancé en mars 2005 par la CNDA.

b) Un programme limité au C2 d'une extrême complexité

Le programme ALTBMD vise à doter l'OTAN d'un système de commandement et de contrôle (C2) - dénommé Battle Management Command Control Communication Intelligence (BMC3I ) - capable de gérer les moyens de détection et d'interception dédiés à la défense antimissile de théâtre dont disposent plusieurs Etats-membres et que ceux-ci pourront mettre à disposition de l'organisation en cas d'opération.

Il faut de nouveau souligner que le programme ALTBMD est fondé sur le principe suivant : les nations financent et fournissent les capteurs et les systèmes d'interception , l'OTAN ne finançant et fournissant que le système de commandement et de contrôle (BMC3I) .

Ainsi, les systèmes d'interception demeurent la propriété des nations et peuvent faire l'objet d'une utilisation strictement nationale. Toutefois, le programme ALTBMD doit leur donner des capacités plus étendues, lorsqu'ils sont déployés dans une opération de l'OTAN, grâce aux informations venant des capteurs détenus par d'autres nations.

Avec l'ALTBMD, l'OTAN ne détiendra une capacité de défense contre les missiles de théâtre pour ses opérations que dans la mesure où les nations disposant des moyens nécessaires consentiront à les déployer dans l'opération considérée. Grâce au système de commandement et de contrôle de l'OTAN, la chaîne de commandement alliée doit alors pouvoir disposer des informations provenant des différents capteurs nationaux pour les transmettre aux moyens d'interception.

Le programme ALTBMD se caractérise par son architecture ouverte . Il doit permettre d'intégrer tout système existant ou à venir que les nations pourraient mettre à la disposition de l'OTAN, sur une base volontaire .

A ce stade, sept pays ont annoncé qu'ils contribueraient au programme ALTBMD : l'Allemagne, l'Espagne, les Etats-Unis, la France, la Grèce, l'Italie et les Pays-Bas.

Il faut toutefois prendre avec une grande prudence la liste des contributions qui ont été annoncées.

En effet, certains des systèmes concernés sont déjà en service, comme le Patriot PAC-3. Certains sont en cours de développement ou supposent des développements qui n'ont pas encore été décidés . Enfin, d'autres sont au stade de projets ou de concepts non encore finalisés .

A l'inverse, plusieurs nations qui pourraient développer des capacités antimissiles de théâtre n'ont pas souhaité les annoncer comme contributions potentielles au programme ALTBMD.

C'est dans le cadre du processus de planification des forces de l'OTAN que sont véritablement déclarées, par chaque nation, les contributions potentielles pour la capacité de défense antimissile de théâtre de l'OTAN, ainsi que l'échéance à laquelle ces contributions seront effectivement disponibles.

En tout état de cause, le fait que les moyens d'une nation soient pris en compte dans la planification de forces de l'OTAN ne préjuge en rien de la décision de cette nation de participer à une opération alliée et d'y contribuer dans le domaine de la défense antimissile de théâtre.

C'est avec ces importantes réserves en tête qu'il faut prendre en compte la liste des systèmes d'interception ou de capteurs entrant dans le champ du programme ALTBMD.

L'intégration des systèmes d'interception à un C2 OTAN doit s'effectuer en deux phases . Schématiquement, la première phase « couche basse » ( lower layer ) doit permettre au commandement OTAN de mettre en oeuvre une capacité contre les menaces jusqu'à 1 500 km de portée , la capacité définitive « couche haute » ( upper layer ) s'étendant aux missiles jusqu'à 3 000 km de portée .

Selon les contributions annoncées, les capacités d'interception « couche basse » ( lower layer ), endo-atmosphériques, pourraient reposer sur quatre systèmes :

- le Patriot PAC-3 en service aux Etats-Unis, en Allemagne et aux Pays-Bas ; l'Espagne et la Grèce n'ont en service à ce stade que des Patriot PAC-2 peu performants contre les missiles balistiques ;

- le SAMP/T (système sol-air moyenne portée terrestre) en service en France et en Italie ;

- le système MEADS , développé par les Etats-Unis, l'Allemagne et l'Italie sur la base d'une amélioration du Patriot PAC-3 (version MSE - Missile Segment Enhancement ) ; les Etats-Unis ont toutefois décidé de ne pas aller au-delà de la phase de développement de ce programme, ce qui rend sa poursuite incertaine ;

- le système PAAMS, annoncé par l'Italie qui l'embarque sur ses frégates Horizon ; cela suppose toutefois des mises à niveau pour permettre à cette version du missile Aster 30 d'assurer des fonctions de défense antibalistique.

Les capacités d'interception « couche haute » ( upper layer ) reposeraient quant à elles sur deux systèmes d'interception américains exo-atmosphériques :

- les batteries terrestres THAAD, dont les deux premières batteries sont entrées en service dans l'armée de terre américaine ;

- et les intercepteurs embarqués sur les croiseurs et destroyers équipés du système de combat Aegis , à savoir les missiles SM-2, déjà en service (capacité d'interception des missiles balistiques à courte portée en phase terminale), et SM-3, dont la version SM-3 block IA est également en service.

S'agissant des capteurs , les Etats-Unis ont déclaré qu'ils pourraient alimenter le système de commandement et de contrôle de l'OTAN avec les informations provenant de leurs satellites d'alerte avancée ( SBIRS ) et de leurs futurs satellites de détection et de poursuite ( PTSS ), de leurs radars de poursuite en bande X AN/TPY-2 , ainsi que des radars des bâtiments Aegis , notamment le radar de détection et de poursuite Spy-1 .

Les Pays-Bas ont indiqué contribuer avec les radars de leurs frégates anti-aériennes ; ils ont décidé de faire évoluer le radar de surveillance Smart-L pour le doter d'une capacité d'alerte contre les missiles balistiques.

La France a présenté comme contribution potentielle le radar de poursuite combiné au SAMP/T ( radar M3R ), l'Italie le radar terrestre TPS-77 de fabrication américaine, ainsi que le radar à longue portée S1850 de ses frégates Horizon, qu'il faudrait cependant adapter. L'Espagne et l'Allemagne ont mentionné la possibilité d'utiliser les senseurs de leurs frégates F-105 et F-124. L'Allemagne a également mentionné une capacité de détection infrarouge aéroportée, intégrée à un drone (ABIRS), mais ce projet est encore au stade du concept.

La complexité du programme ALTBMD tient à la difficulté à intégrer dans une architecture d'ensemble et à faire fonctionner un grand nombre de systèmes différents , parvenus à des stades de maturité très inégaux, susceptibles d'évoluer dans le temps et, pour certains, encore en projet.

Le commandement et le contrôle de la défense antimissile de théâtre par l'OTAN ne reposeront pas sur un système autonome entièrement nouveau et dédié. Ils impliquent l'adaptation de systèmes existants ou en cours de développement et dont les fonctions ne se limitent pas à la défense antimissile.

Doivent ainsi être adaptés, pour intégrer des fonctions de défense antimissile de théâtre :

- le système de commandement de niveau stratégique Bi-SC AIS ( Bi-Strategic Command Automated Information System ) ;

- le système de commandement et de contrôle de défense aérienne de niveau opératif ACCS ( Air Command and Control System ) , dont le président-directeur général de Thales, M. Luc Vigneron, indiquait devant la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, le 31 mai dernier, qu'il s'agissait probablement du plus grand logiciel « temps réel » jamais réalisé hors marché américain, avec plus de 10 millions de lignes de codes ;

- le système de communication NGS ( NATO General Communication System ).

Ces trois systèmes concourent au système de défense aérienne intégrée de l'OTAN, le NATINADS ( NATO Integrated Air Defense System ).

L'intégration des fonctionnalités défense antimissile de théâtre requises pour le programme ALTBMD n'est que l'une des évolutions intéressant le NATINADS dans les années à venir.

Cette complexité du programme ALTBMD est l'une des raisons justifiant un déploiement en plusieurs phases.

Le contrat d'ingénierie système et d'intégration a été confié à l'équipe SAIC, à laquelle participent Astrium Space Transportation et Thales.

A cet effet a été réalisé un banc d'essai d'intégration destiné à vérifier que le système de commandement et de contrôle de l'OTAN peut effectivement interconnecter et diriger les systèmes d'armes et les capteurs provenant des différents pays engagés dans une opération de l'OTAN. Ce banc d'essai, nécessaire à la validation des résultats des travaux de développement, a été ouvert en 2008 à La Haye, au sein de l'Agence de l'OTAN pour la consultation, le commandement et le contrôle (NC3A). Le banc d'essai d'intégration a été utilisé pour la première fois en décembre 2010 pour effectuer des tests faisant intervenir des systèmes d'armes et de capteurs de cinq pays (Allemagne, Etats-Unis, France, Italie, Pays-Bas).

Le calendrier de déploiement a glissé dans le temps . Une capacité opérationnelle initiale « couche basse » devait à l'origine être disponible dès cette année. Elle est désormais programmée pour 2014. La capacité complète « couche haute » n'était pas attendue avant 2019, au lieu de 2015.

D'ici 2014, l'OTAN ne dispose que d'une capacité dite « intermédiaire » (InCa) . En service depuis le début de l'année au Centre multinational d'opérations aériennes (CAOC) de l'OTAN à Uedem (Allemagne), elle se limite à permettre des échanges d'information avec les moyens nationaux de défense antimissile et d'effectuer des travaux de planification sur des scenarios d'emploi de ces moyens. Il ne s'agit pas d'une capacité opérationnelle, mais plutôt un prototype de ce que pourrait être une future capacité opérationnelle.

Au plan budgétaire, seule la réalisation de la capacité « couche basse » a été approuvée , pour un montant de 410 millions d'euros , le coût de l'ensemble du programme étant évalué à 833 millions d'euros . Les financements sont mis en place annuellement, dans le cadre du budget d'investissement de l'OTAN (NSIP), qui est plafonné. Près de la moitié de la capacité « couche basse » reste encore à financer.

2. La défense antimissile des territoires : une problématique montante à l'OTAN depuis 2002

Tout au long de ces dernières années, les débats intervenus à l'OTAN sur la défense antimissile des territoires ont été conditionnés et rythmés par l'évolution des projets américains .

La fin de la guerre froide marque aussi celle de l'Initiative de défense stratégique du Président Reagan. Mais la question est relancée après l'adoption du National Missile Defense Act du 22 juillet 1999, prévoyant de déployer un système de défense antimissile destiné à protéger le territoire national américain d'une frappe balistique limitée.

Dans un premier temps, l'OTAN n'apparaît qu'indirectement concernée, même si ce projet américain pour la protection du territoire américain doit impliquer les alliés hébergeant des installations américaines. C'est le cas du Danemark et du Royaume-Uni, avec l'amélioration envisagée des radars d'alerte avancée de Thule et de Fylingdales .

Au plan politique, les alliés européens s'interrogent surtout sur l'avenir du traité américano-russe ABM ( Anti-Ballistic Missiles ) de 1972, qui impose aux deux parties une stricte limitation de leurs systèmes de défense antimissiles. Les Etats-Unis voudraient amener la Russie à le renégocier, mais celle-ci s'y refuse. La question va être tranchée dans le contexte de l'après 11 septembre 2001, alors que les Etats-Unis viennent d'être pour la première fois frappés sur leur sol. George W. Bush annonce le retrait unilatéral des Etats-Unis du traité ABM le 13 décembre 2001 . Ce retrait, qui deviendra effectif 6 mois plus tard, le 13 juin 2002, suscite les protestations de la Russie sans pour autant créer de crise ouverte. En effet, les Etats-Unis et la Russie signeront le 24 mai 2002 un traité sur la réduction des armes stratégiques offensives (traité SORT - Strategic Offensive Reductions Treaty ) et le Conseil OTAN-Russie (COR) sera créé à Rome le 28 mai de la même année.

L'obstacle juridique au déploiement d'une défense antimissile des territoires ayant disparu, l' administration Bush va pouvoir mettre au point un programme beaucoup plus ambitieux que celui imaginé en fin de présidence Clinton. A la National Missile Defense succède la Missile Defense , destinée à protéger le territoire américain, les pays alliés et amis, ainsi que les forces déployées . La distinction entre défense de théâtre et défense des territoires est ainsi effacée. L'ensemble des moyens doivent être intégrés dans une architecture unique, quelle que soit l'étendue de la zone à protéger, la portée des missiles balistiques à contrer ou la phase dans laquelle ils doivent être interceptés.

Cette nouvelle approche va impliquer beaucoup plus directement les pays européens et l'OTAN dans le débat sur la défense antimissile des territoires .

D'abord parce que les Etats-Unis vont insister sur la menace balistique émanant du Moyen-Orient et pesant sur le territoire européen , dans un contexte de progrès des capacités balistiques iraniennes et de révélations, à l'été 2002, sur des activités nucléaires sensibles et clandestines. Ils mettent en avant une double préoccupation : la protection des forces américaines déployées en Europe et, plus globalement, la nécessité d'adapter la relation de sécurité transatlantique à cette menace potentielle.

Mais aussi parce que l'existence de moyens de défense antimissile en Europe leur paraît nécessaire à la protection du territoire américain , dans la perspective d'un développement des capacités balistiques iraniennes.

Dès lors, la question de la défense antimissile des territoires ne va cesser d'alimenter au sein de l'OTAN un débat qui, selon les périodes, portera tantôt sur l'inclusion de pays européens dans le système de défense du territoire américain, tantôt sur la protection du territoire européen lui-même, avec ou sans la participation de l'OTAN.

a) Le sommet de Prague (2002) : l'OTAN décide d'étudier les options pour la protection des territoires et des populations contre les missiles balistiques

Une impulsion importante est donnée en ce sens lors du sommet de l'OTAN à Prague, le 21 novembre 2002 .

D'une part, les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Alliance décident « d' examiner différentes options pour faire face de manière efficace à la menace croissante que les missiles représentent pour le territoire, les forces et les centres de population de l'Alliance , en recourant à une combinaison appropriée d'efforts politiques et de défense, en même temps qu'à la dissuasion ».

D'autre part, ils demandent que soit lancée « une nouvelle étude de faisabilité sur la défense antimissile de l'OTAN visant à examiner les options relatives à la protection du territoire, des forces et des centres de population des pays de l'Alliance contre toute la gamme des menaces liées aux missiles », les efforts conduits en ce sens devant être « compatibles avec l'indivisibilité de la sécurité des Alliés ».

Le sommet de Prague marque donc la première évocation d'une défense antimissile de l'OTAN couvrant les territoires, les forces et les centres de population . La référence à l'indivisibilité de la sécurité traduit tout autant certaines préoccupations européennes liées à un éventuel découplage entre la sécurité de part et d'autre de l'Atlantique, que la volonté des Etats-Unis d'intégrer les alliés européens à leur démarche, pour des raisons politiques, mais aussi techniques, le territoire européen présentant un intérêt stratégique du point de vue de la défense du territoire américain contre une menace balistique à longue portée d'origine moyen-orientale.

L' étude de faisabilité prévue dans la déclaration de Prague, s'est achevée en mai 2006. Elle a conclu que la défense du territoire et des centres de population européens était possible « dans les limites et les hypothèses définies par l'étude ».

L'étude estime que la protection d'une grande partie des centres de population nécessiterait des sites radar et un site d'intercepteurs pour un coût de 8 milliards d'euros sur 20 ans . Une défense complète du territoire des pays de l'Alliance représenterait un investissement total de 27 milliards d'euros , en considérant que l'OTAN n'aurait pas à développer ses propres satellites d'alerte et disposerait des données provenant des satellites d'alerte américains.

Lors du sommet de Riga, le 29 novembre 2006, les chefs d'Etat et de gouvernement endossent les conclusions de cette étude et demandent que « les travaux se poursuivent sur les implications politiques et militaires de la défense antimissile pour l'Alliance, avec notamment une actualisation sur les développements dans le domaine de la menace liée aux missiles ». Cette formulation extrêmement prudente montre toutefois la réticence des dirigeants alliés à prendre tout engagement sur la mise en place d'une défense antimissile des territoires et des populations, essentiellement pour des raisons de coût et de priorités dans les besoins d'équipement.

Mais l'évolution des projets américains va rapidement contraindre l'OTAN à reprendre le dossier.

b) Le projet de 3ème site américain en Europe : la question d'une participation complémentaire européenne désormais clairement posée

Aux Etats-Unis, la mise en place de la défense contre une attaque limitée de missiles balistiques intercontinentaux se concrétise avec l'installation d'intercepteurs exo-atmosphériques GBI ( Ground-Based Interceptors ) à Fort Greely en Alaska, en 2004, puis sur la base de Vandenberg en Californie. Situés sur la côte ouest, ces sites d'intercepteurs sont conçus pour parer la menace balistique nord-coréenne.

Du point de vue américain, la prise en compte de la menace iranienne impliquerait de pouvoir intercepter à mi-course un missile intercontinental dirigé contre les Etats-Unis. Un troisième site d'intercepteurs positionné en Europe répondrait à cette exigence.

Dès 2004, l'implantation d'installations américaines en Europe centrale et orientale est évoquée. En janvier 2007, les Etats-Unis officialisent les négociations menées avec la Pologne pour le déploiement de 10 intercepteurs GBI et avec la République tchèque pour celle d'un radar de poursuite en bande X ( European Midcourse Radar - EMR ).

Ces projets suscitent un vif débat intérieur en Pologne et en République tchèque. Ils ouvrent une crise avec la Russie, qui y voit, à terme, un risque d'affaiblissement de sa capacité de dissuasion 24 ( * ) . La Russie invoquera l'implantation du 3 ème site parmi les arguments justifiant sa décision de suspendre unilatéralement sa participation au traité sur les Forces conventionnelles en Europe (FCE) à compter de décembre 2007.

Au sein de l'OTAN, le débat rebondit dans la mesure où le 3 ème site couvrirait de facto , et sans que les pays européens l'aient demandé, une large partie du territoire continental de l'Alliance . Toutefois, selon les précisions fournies par les responsables américains, la zone la plus méridionale de l'Alliance resterait hors du champ d'action des intercepteurs . La Turquie, la Grèce, une partie du territoire de la Roumanie et de la Bulgarie ne pourraient pas être protégés par le système américain.

Côté européen, le 3 ème site provoque deux types de réactions .

A l'instar de l'Allemagne, plusieurs alliés estiment que les projets américains auraient mérité d'être instruits dans le cadre de l'OTAN , plutôt qu'avancés au travers de démarches bilatérales, dans la mesure où ils participent également à la protection d'une partie de l'Europe et concernent les relations de celle-ci avec la Russie.

Les pays du sud-est de l'Europe ont pour leur part relevé que le 3 ème site ne serait pas en mesure d'assurer la protection de tout ou partie de leur territoire et y ont vu une entorse au principe d'indivisibilité de la sécurité collective de l'Alliance.

Apparaît alors l'idée, suggérée par les Etats-Unis, de garantir un niveau de protection identique sur l'ensemble du territoire allié, en renforçant le programme de défense antimissile de théâtre de l'OTAN (ALTBMD) . Dans le cadre de ce programme, des moyens permanents, terrestres ou navals, pourraient être installés sur le flanc sud de l'Alliance pour compléter la couverture assurée par le 3 ème site américain. Dans l'esprit des pays intéressés, ces systèmes seraient acquis par l'OTAN.

Lors du sommet de Bucarest , le 3 avril 2008 , les chefs d'Etat et de gouvernement de l'OTAN reconnaissent « la contribution substantielle que le projet d'implantation en Europe de moyens de défense antimissile des États-Unis apporte à la protection des Alliés contre les missiles balistiques à longue portée ». Ils disent analyser « les moyens d'associer cette capacité aux efforts en cours à l'OTAN en matière de défense antimissile de manière à ce qu'elle puisse être intégrée dans toute architecture future de défense antimissile à l'échelle de l'OTAN ».

Se référant au principe de l'indivisibilité de la sécurité des Alliés, ils chargent le Conseil de l'Atlantique-Nord « de définir des options pour une architecture globale de défense antimissile visant à étendre la couverture au territoire et à la population de tous les pays de l'Alliance non couverts par le système des Etats-Unis ».

Sur cette base, cinq options destinées à préparer une éventuelle décision politique sont élaborées, avec des degrés croissants d'implication de l'OTAN :

- option zéro : déploiement pur et simple du système américain en Europe sans aucune connexion avec l'OTAN ;

- option 1 : connexion du système de commandement et de contrôle de l'OTAN et des capacités de défense de théâtre de l'OTAN au système de commandement et de contrôle américain ;

- option 2 : couplage au système américain avec des radars et des moyens mobiles d'interception endo-atmosphériques ;

- option 3 : couplage au système américain avec des radars et des moyens mobiles et fixes d'interception couvrant la couche haut-endo-atmosphérique ;

- option 4 : couplage au système américain avec des radars et des moyens mobiles et fixes d'interception allant jusqu'au niveau exo-atmosphérique.

Le sommet de Strasbourg-Kehl , le 4 avril 2009, voit la participation de Barack Obama, deux mois après son entrée en fonction. Le projet de 3 ème site est alors en cours de réexamen, l'administration souhaitant réévaluer sa fiabilité et son coût, mais également améliorer les relations avec la Russie.

Les chefs d'Etat et de gouvernement concluent à la nécessité de travaux supplémentaires sur les options qui leur ont été présentées, tout en soulignant l'importance des éléments d'architecture que les Etats-Unis pourraient apporter. Ils estiment nécessaire d'établir des priorités dans le traitement des menaces liées aux missiles, en fonction notamment du degré d'imminence de la menace et du niveau de risque acceptable. Ils chargent le Conseil de l'Atlantique-Nord d'entreprendre les travaux sur les aspects militaires, techniques et de politique générale d'une éventuelle extension du programme ALTBMD à la défense antimissile des territoires .

On voit à travers ce rappel historique comment l'avancement du programme américain de Missile Defense a conduit l'OTAN à se poser de plus en plus clairement la question de son implication dans la défense antimissile des territoires , d'une réévaluation des développements engagés en matière de défense antimissile de théâtre (programme ALTBMD), et d'éventuelles contributions complémentaires articulées au programme américain.

La profonde révision des projets américains effectuée par l'administration Obama va lever les derniers obstacles à la décision de développer une capacité de défense antimissile des territoires pour l'OTAN.

B. LA DÉCISION DE LISBONNE : UNE DÉFENSE ANTIMISSILE TERRITORIALE POUR L'OTAN LARGEMENT ASSISE SUR UNE CONTRIBUTION AMÉRICAINE

1. Les nouveaux projets de déploiements américains en Europe (EPAA)

Au Congrès américain, la majorité démocrate n'a pas manqué d'exprimer ses réserves sur le projet de 3 ème site en Europe, y compris en réduisant certains financements demandés par l'administration Bush pour la Missile Defense Agency . Les principales critiques portent sur la fiabilité du programme de Ground-Based Interceptors (GBI) , d'autant qu'il est prévu de déployer en Pologne un intercepteur à deux étages, différent des intercepteurs à trois étages en service aux Etats-Unis. Les démocrates plaident également pour une approche multilatérale au sein de l'OTAN, en privilégiant la menace la plus immédiate pour l'Europe, à savoir les missiles à courte et à moyenne portée.

Le processus d'évaluation entrepris par l'administration Obama aboutit à un plan de déploiement radicalement différent annoncé le 17 septembre 2009 . Ce plan, confirmé en février 2010 par la Ballistic Missile Defense Review , est désormais connu sous l'appellation d' « approche adaptative phasée » pour l'Europe , ou EPAA ( European Phased Adaptive Approach ).

Le projet de 3 ème site est abandonné, qu'il s'agisse des intercepteurs GBI en Pologne ou du radar EMR en République tchèque. Mais les Etats-Unis ne renoncent pas pour autant, bien au contraire, à déployer des moyens en Europe.

Alors que l'administration Bush prévoyait d'installer sur un site fixe des intercepteurs GBI destinés à détruire à mi-course des missiles intercontinentaux, l'administration Obama privilégie le déploiement graduel d'intercepteurs SM-3 , dont une bonne part, portés par des plates-formes navales, seront mobiles, et qui seront destinés dans un premier temps à l'interception de missiles courte et moyenne portée.

A l'appui de ce changement, Washington invoque deux facteurs décisifs : une nouvelle évaluation de la menace balistique iranienne et le degré de maturité des technologies antimissile.

S'agissant de la menace iranienne , l'Iran aurait développé plus rapidement que prévu ses capacités balistiques à courte et à moyenne portée, ses programmes de missiles à longue portée progressant, à l'inverse, plus lentement qu'envisagé. Dès lors, à court terme, la menace iranienne pèse surtout sur les alliés et partenaires des Etats-Unis, ainsi que sur les troupes américaines et leurs familles stationnées en Europe et au Moyen-Orient.

Sur un plan technique, les intercepteurs SM-3, dans les versions en service ou en cours de développement, et les différents types senseurs pouvant leur être associés, bénéficient de technologies éprouvées, permettant une architecture plus flexible, d'un meilleur rapport coût/efficacité.

L'EPAA se déroule en quatre phases échelonnées de 2011 à 2020 . Selon les renseignements tirés des différentes publications officielles américaines, et en dernier lieu d'une présentation du Lieutenant-général Patrick J. O'Reilly, directeur de la Missile Defense Agency , en date du 17 avril 2011, le contenu de chacune des quatre phases de l'EPAA pourrait évoluer comme suit.

Phase I - 2011 - Déploiement de systèmes de défense antimissile existants et éprouvés, disponibles dans les deux ans, pour faire face aux menaces régionales des missiles balistiques pour l'Europe et les forces américaines déployées, ainsi que leurs familles :

- deux 25 ( * ) navires de défense aérienne Aegis équipés de l'intercepteur SM-3 Block IA ;

- un radar de poursuite en bande X AN/TPY-2, transportable (radar développé pour la mise en oeuvre des batteries THAAD) et localisé dans un pays à déterminer.

Ces moyens s'adressent aux menaces de courte portée (moins de 1 000 km) et de moyenne portée (jusqu'à 3 500 km).

Phase II - 2015 - Après des essais appropriés, mise en place d'intercepteurs et de capteurs pour étendre la zone protégée contre les menaces de missiles à courte et à moyenne portée :

- deux navires de défense aérienne Aegis équipés de l'intercepteur SM-3 Block IB ;

- une version basée à terre du système de combat Aegis ( Aegis Ashore ), implantée en Roumanie et équipée de l'intercepteur SM-3 Block IB ;

- un radar de poursuite en bande X AN/TPY-2.

Phase III - 2018 - A l'achèvement du développement en cours et des essais, déploiement d'une version plus évoluée du SM-3 (Block IIA), pour contrer les menaces de missiles à courte et moyenne portée et à portée intermédiaire (jusqu'à 5 500 km de portée) :

- deux navires de défense aérienne Aegis équipés de l'intercepteur SM-3 Block IIA ;

- deux versions basées à terre du système de combat Aegis ( Aegis Ashore ), implantées en Roumanie et en Pologne, équipées de l'intercepteur SM-3 Block IIA ;

- un radar de poursuite en bande X AN/TPY-2.

Phase IV - 2020 - A l'achèvement du développement et des essais, déploiement d'une nouvelle version du SM-3 (Block IIB) sur les sites terrestres pour mieux faire face aux missiles à moyenne portée et à portée intermédiaire et à la menace potentielle future de missiles intercontinentaux (portée supérieure à 5 500 km) pour les Etats-Unis :

- deux navires de défense aérienne Aegis équipés de l'intercepteur SM-3 Block IIA ;

- deux versions basées à terre du système de combat Aegis ( Aegis Ashore ), implantées en Roumanie et en Pologne, respectivement équipées des intercepteurs SM-3 Block IIA et SM-3 Block IIB ;

- un radar de poursuite en bande X AN/TPY-2.

Il est important de garder à l'esprit un élément fondamental de l'EPAA, constamment souligné par l'administration américaine : sa grande flexibilité .

Ainsi, l'architecture présentée ci-dessus devrait pouvoir être facilement ajustée en fonction de l'évolution de la menace . Cette flexibilité résulte du coût unitaire moins élevé des différents éléments que dans l'approche de la précédente administration, mais surtout de la mobilité de la plupart d'entre eux : les moyens navals, bien entendu, mais également les radars AN/TPY-2, qui peuvent être relocalisés.

Il faut aussi noter qu'au-delà des contributions annoncées comme certaines (systèmes Aegis navals et terrestres, radar AN/TPY-2), et qui constituent officiellement l'EPAA telle que présentée à l'OTAN, figurent des « améliorations potentielles » , comme le déploiement de batteries THAAD ou la connexion, à compter de 2018, des futurs satellites PTSS dédiés à la détection et à la poursuite et d'une capacité de détection infrarouge sur drone ( Airborne Infrared - ABIR ).

Selon les cartes présentées par la Missile Defense Agency , la zone de couverture potentielle de l'EPAA lors de la phase I (2011-2015) pourrait aller de l'Italie à l'ouest de la Turquie. Cette zone de couverture irait en s'élargissant au cours des différentes phases, et lors de la phase IV (2020), elle s'étendrait à la totalité du territoire des pays européens de l'OTAN, à l'exception de l'extrême est de la Turquie.

Glossaire

Aegis BMD 3.6.1. (ou 4.0.1/4.5.0 ou 5.1) with SM-3 IA (ou IB ou IIA)

Le système Aegis désigne un système de combat complet incluant le C2 (logiciel - d'où les versions différentes) le radar (en l'occurrence le radar de détection et de poursuite SPY-1) et les intercepteurs (en l'occurrence les missiles SM-3), ainsi que la certification de la capacité Aegis du navire, c'est-à-dire sa capacité démontrée à la mer d'intercepter. Le radar SPY-1 est produit par Lockheed Martin à Moorestown dans le New Jersey. Les missiles SM-3 IA, IB et IIA sont très différents les uns des autres, de même que leur capacité d'interception. Ils sont produits par Raytheon.

AN/TPY-2 FBM ( Army-Navy Transportable - Forward Based Mode )

Il s'agit d'un radar en bande X. Il est produit par Raytheon Integrated Defense

Systems à Tewksbury, dans le Massachusetts. Il y a pour l'instant deux radars AN/TPY-2 déployés en dehors du sol américain : l'un à Shakiri au Japon, l'autre dans le désert du Néguev en Israël.

C2BMC ( Command, Control, Battle Management & Communications ).

Système américain de commandement, de contrôle et de gestion de la bataille balistique avec les communications associées. Il est produit par Lockheed Martin.

Aegis Ashore

Il s'agit de l'installation à terre de systèmes de combat Aegis - radars + intercepteurs SM-3 + C2BMC.

THAAD ( Terminal High Altitude Area Defense )

Missile d'interception en « hit to kill » couvrant le domaine haut endo-atmosphérique et bas exoatmosphérique. Il est fabriqué par Lockheed Martin.

PTSS : ( Precision Tracking Space System )

Satellite d'alerte précoce - détection infrarouge. L'appel d'offres sera lancé en 2011 - un contractant sera choisi en 2014 pour construire entre 9 et 12 satellites.

ABIR ( Air Borne Infra Red )

Il s'agit de drones porteurs de détecteurs infrarouge. Pour l'instant, il ne s'agit que d'un projet. Néanmoins, la MDA a fait procéder à des tests d'installations de capteurs infrarouges sur des drones Reaper . Les essais ont montré la capacité de détecter des tirs jusqu'à 1.000 km de distance.

L'EPAA a été bien accueillie par les dirigeants européens.

Premièrement, l'abandon des projets d'installations en Pologne et en République tchèque a éliminé le contentieux créé trois ans plus tôt avec la Russie. Bien que la mise en oeuvre de l'EPAA implique l'implantation d'un radar et d'intercepteurs en Europe centrale et orientale, sa flexibilité est présentée comme un avantage en vue de discussions avec la Russie.

Deuxièmement, cette approche graduelle a semblé plus réaliste, car fondée sur des systèmes existants et éprouvés, plus fiables et moins coûteux. Elle est aussi apparue plus adaptée à la menace immédiate.

Enfin, alors que le 3 ème site visait d'abord la protection du territoire américain, l'EPAA met en avant, dans ses trois premières phases, la protection du territoire européen . Beaucoup de pays européens ont vu dans ces déploiements annoncés une possibilité de bénéficier d'une protection à moindre frais, dans la mesure où ils sont en principe exclusivement financés par le budget américain. La Ballistic Missile Defense Review présente d'ailleurs l'EPAA comme un élément clef de la garantie de sécurité américaine pour l'Europe, au même titre que la mise en place, par les Etats-Unis, d'une défense antimissile au profit de ses alliés d'Asie de l'Est et du Golfe.

Fondamentalement, l'objectif n'a pas changé , puisqu'avec la mise en service du SM-3 Block IIB, la phase IV prévoit, à la fin de la décennie, des intercepteurs destinés à protéger le territoire américain de tirs de missiles intercontinentaux. Seuls l'échelonnement dans le temps et la méthode diffèrent.

Par rapport au projet de 3 ème site de l'administration Bush, l'EPAA inverse l'ordre de priorité chronologique entre la protection du territoire américain contre une hypothétique menace balistique intercontinentale venant du Moyen-Orient, et celle des régions européennes les plus vulnérables face à des missiles à courte et moyenne portée . Dès lors, elle semble pouvoir beaucoup plus naturellement s'intégrer dans une démarche multilatérale au sein de l'OTAN.

La nouvelle démarche américaine paraît ainsi en mesure d'ouvrir définitivement la voie à une future défense antimissile territoriale de l'OTAN, en débat au sein de l'Alliance depuis le sommet de Prague en 2002.

C'est l'une des conclusions majeures du groupe d'experts chargé de préparer la révision du concept stratégique de l'OTAN et présidé par Mme Madeleine Albright.

Son rapport, remis au printemps 2010, souligne que « la décision du président Obama de déployer une défense antimissile suivant une approche adaptative phasée rend possible une couverture plus efficace, plus rapide et plus fiable que les propositions antérieures. En outre, cette décision inscrit pleinement la défense antimissile dans un contexte OTAN, permettant ainsi à tous les Alliés d'y participer et d'être protégés ».

Pour le groupe Albright, « un système OTAN de défense antimissile améliorerait la dissuasion ainsi que le partage transatlantique des responsabilités, renforcerait le principe de l'indivisibilité de la sécurité et permettrait une coopération de sécurité concrète avec la Russie ».

Le groupe d'experts conclut en estimant que « l'OTAN devrait inscrire la défense antimissile territoriale au nombre des missions essentielles de l'Alliance ».

Il considère qu'« à cet effet, elle devrait décider de développer son système de défense active multicouche contre les missiles balistiques de théâtre pour en faire le coeur de la capacité de commandement et de contrôle d'un système OTAN de défense antimissile territoriale ».

Les ministres de la défense, lors de leurs réunions de juin 2010, avaient également considéré qu'un programme ALTBMD élargi pourrait constituer l' ossature de commandement et de contrôle d'une future capacité de défense antimissile de l'OTAN .

Ces conclusions seront largement reprises par les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Alliance lors du sommet de Lisbonne, en novembre 2010.

2. Le sommet de Lisbonne : une décision politique et un objectif capacitaire ambitieux sur la défense antimissile territoriale, un engagement programmatique limité au C2

En matière de défense antimissile territoriale, l'OTAN a d'abord pris à Lisbonne une décision de dimension politique, en plaçant la protection des populations et des territoires contre une attaque de missiles balistiques parmi les éléments centraux de la défense collective de l'Alliance.

La mise en place effective de cette capacité s'articulera sur la contribution annoncée des Etats-Unis (EPAA), complétée par d'autres contributions nationales volontaires.

Le seul engagement programmatique pris à Lisbonne vise à doter l'OTAN d'une capacité de commandement et de contrôle lui permettant d'assurer la protection des populations et des territoires, en s'appuyant sur les moyens déployés par les nations. Cette capacité de commandement et de contrôle reposera sur celle prévue par le programme ALTBMD pour la défense antimissile de théâtre, après adjonctions de fonctions complémentaires.

a) Une décision politique

Le nouveau concept stratégique de l'OTAN adopté à Lisbonne le 20 novembre 2010 affirme que la capacité à protéger les populations et les territoires contre une attaque balistique est l'un des éléments centraux de la défense collective « qui contribue à la sécurité collective, indivisible, de l'Alliance ».

Le Secrétaire général de l'OTAN, M. Rasmussen, a fortement souligné, avant et après Lisbonne, la dimension politique liée à la responsabilité de défense collective incombant aux dirigeants des pays de l'Alliance vis-à-vis de leur opinion publique . Tout récemment encore 26 ( * ) , après avoir insisté sur la diffusion des technologies balistiques et leurs progrès dans un nombre croissant de pays, il déclarait : « Nous ne pouvons pas nous permettre de voir l'une de nos villes de nouveau frappée. Nous ne pouvons pas prendre le risque de ne rien faire. Les menaces liées aux missiles sont réelles. Et notre défense doit être réelle. L'OTAN est responsable de la défense et de la protection de notre territoire et des 900 millions de personnes qui y vivent. C'est notre raison d'être. Et c'est pourquoi nous devons agir ».

On sait que le sommet de Lisbonne a été précédé d'un intense débat sur la place que devait prendre la défense antimissile des territoires dans la posture générale de défense de l'Alliance , en particulier par rapport à la dissuasion nucléaire . Si la défense antimissile apparaît d'abord comme une réponse à la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs, un courant principalement représenté par l'Allemagne s'est manifesté pour établir un lien direct entre défense antimissile et désarmement nucléaire. La France considérait pour sa part la défense antimissile comme une capacité parmi d'autres, et ne pouvant pas être placée sur le même plan que la dissuasion, qui structure la stratégie de défense. Elle s'est a fortiori opposée à toute logique de substitution de la défense antimissile à la dissuasion, plaidant pour une logique de complémentarité.

Le concept stratégique confirme que « la dissuasion, articulée autour d'une combinaison appropriée de capacités nucléaires et conventionnelles, demeure un élément central de [la] stratégie d'ensemble » de l'Alliance, et qu'« aussi longtemps qu'il y aura des armes nucléaires, l'OTAN restera une alliance nucléaire », les forces stratégiques de l'Alliance apportant « la garantie suprême de la sécurité des Alliés ».

La déclaration des chefs d'Etat et de gouvernement adoptée à Lisbonne donne toutefois une place spécifique à la défense antimissile :

« Nous maintiendrons une combinaison appropriée de forces conventionnelles, nucléaires et de défense antimissile . La défense antimissile deviendra partie intégrante de notre posture générale de défense . Notre objectif est de renforcer la dissuasion en tant qu'un des éléments centraux de notre défense collective et de contribuer à la sécurité, indivisible, de l'Alliance. »

A Lisbonne, les alliés ont décidés de lancer un examen global de la posture générale de défense de l'Alliance . La posture nucléaire de l'OTAN et la défense antimissile sont mentionnés comme des éléments essentiels de cet examen qui a démarré au début de l'année 2011.

Enfin, toujours sur le plan politique, les alliés ont affirmé à Lisbonne, alors que le président Medvedev était présent et y a participé à la réunion du Conseil OTAN-Russie, leur volonté de rechercher une coopération avec la Russie dans le domaine de la défense antimissile . La déclaration adoptée précise que les possibilités de coopération avec la Russie seront étudiées « dans un esprit de réciprocité, de transparence maximale et de confiance mutuelle ». Elle invite notamment la Russie à réfléchir avec l'OTAN aux « possibilités de relier les systèmes de défense antimissile, existants ou prévus, en temps opportun, de façon mutuellement bénéfique ».

b) Un objectif capacitaire ambitieux

Selon la déclaration de Lisbonne, « le but d'une capacité de défense antimissile de l'OTAN est d' assurer la couverture totale et la protection de l'ensemble des populations, du territoire et des forces des pays européens de l'OTAN contre la menace croissante que représente la prolifération des missiles balistiques ».

La formulation, qui mentionne une couverture totale et une protection de l'ensemble des populations, du territoire et des forces, est sensiblement plus ambitieuse, en termes de performances assignées, que celle retenue par les Etats-Unis pour eux-mêmes dans leur Ballistic Missile Defense Review , lorsqu'ils évoquent leur volonté de défendre leur territoire national contre la menace d'une attaque balistique limitée.

La déclaration de Lisbonne énonce également plusieurs séries de critères sur la base desquels ce but doit être poursuivi.

Ce sont d'abord les principes de l'indivisibilité de la sécurité des Alliés et de la solidarité au sein de l'OTAN, ainsi que le partage équitable des risques et des charges.

C'est aussi le critère de la « demande raisonnable », compte tenu du niveau de la menace, avec une référence à des évaluations communes actualisées et agréées, de la soutenabilité financière et de la faisabilité technique.

La succession de cette série de principes et de critères traduit des différences d'appréciation , voire des préoccupations contradictoires, entre alliés.

Celles-ci portent sur le degré d'imminence et de probabilité de la menace , sur le niveau d'ambition de la future capacité , en termes de couverture géographique et de performances, sur l' étendue des capacités à financer en commun , notamment pour répondre aux attentes des pays qui se sentent le plus menacés, ainsi que sur le rapport coût/efficacité des investissements envisagés .

Le sommet de Lisbonne n'a pas évoqué d'échéance pour la mise en place de cette capacité de défense antimissile territoriale. Comme dans les autres domaines capacitaires, la réalisation des objectifs repose les moyens nationaux qui seront disponibles, et sur lesquels l'OTAN s'efforce d'obtenir des engagements dans le cadre de son processus de planification de défense.

La contribution américaine annoncée permet toutefois de donner une certaine consistance concrète à l'objectif fixé.

Le seul engagement programmatique pris à Lisbonne concerne l'extension du programme ALTBMD, pour doter l'OTAN de capacités de commandement et de contrôle élargies à la défense antimissile du territoire.

c) Un engagement programmatique limité au C2

Le sommet de Lisbonne a entériné le principe selon lequel une future défense antimissile de l'OTAN destinée à protéger les populations, les territoires et les forces des pays alliés européens reposerait sur la contribution volontaire des nations pouvant apporter les moyens nécessaires.

Il a été également décidé que l'aptitude de l'OTAN à assurer le commandement et le contrôle de cette défense antimissile territoriale s'appuierait sur des améliorations du système de commandement et de contrôle (BMC3I) prévu dans le cadre du programme ALTBMD de défense de théâtre .

Ce choix avait déjà été recommandé à l'occasion du sommet de Bucarest, en 2009, lorsque diverses options de couplage au 3 ème site américain avaient été étudiées. Il a été confirmé au regard de l'EPAA par un rapport de la Conférence des directeurs nationaux d'armement en date de juin 2010.

La solution de deux C2 séparés, l'un pour la défense de théâtre, l'autre pour la défense du territoire, a été écartée pour éviter de dupliquer les efforts et de mener en parallèle deux processus distincts de mise à niveau des mêmes systèmes C2 de défense aérienne.

Par ailleurs, le programme ALTBMD pour la défense antimissile de théâtre permet de satisfaire la majorité des exigences attendues pour la défense antimissile des territoires.

Pour pouvoir réellement doter l'OTAN d'une capacité de défense antimissile des territoires, ce futur C2 OTAN devra nécessairement être relié au système de commandement et de contrôle américain ( US C2BMC - Command, Control, Battle Management and Communications ).

A cet effet, une passerelle d'échange d'information devra être mise en place à la base américaine de Ramstein , en Allemagne, siège du quartier général de la composante Air du commandement stratégique américain en Europe (EUCOM), d'où sera assuré le commandement des moyens déployés dans le cadre de l'EPAA. C'est également à Ramstein que se situe le commandement Air de l'OTAN.

Par rapport au C2 initialement prévu pour le programme ALTBMD - le BMC3I - les exigences supplémentaires à satisfaire pour assumer la fonction défense des territoires visent principalement à permettre au système de diffuser les informations sur la situation, d'assurer les consultations nécessaires et de planifier les conséquences d'une interception et l'ordre de priorité des points ou zones à protéger.

Il faut de nouveau rappeler que le BMC3I initialement destiné à la défense de théâtre, comme le BMC3I amélioré désormais prévu pour les défenses de théâtre et du territoire, ne constitueront pas des systèmes entièrement autonomes et dédiés à la défense antimissile. Ils se grefferont sur le système de défense aérienne de l'OTAN, le NATINADS , pour lui permettre d'assurer une fonction de défense aérienne et antimissile balistique intégrée .

En 2010, les directeurs nationaux d'armement de l'OTAN ont effectué un chiffrage du coût de l'extension du programme ALTBMD à la défense antimissile des territoires. Seule cette extension est éligible au financement commun, c'est-à-dire répartie entre les nations selon leur clef de contribution au budget d'investissement de l'OTAN (11,62 % pour la France en 2011).

Ce chiffrage ne pouvait constituer qu'une estimation imparfaite, dans la mesure où les annonces de déploiement de moyens américains ne sont pas suffisantes pour déterminer l'architecture précise d'une future capacité OTAN de défense antimissile à l'échelle du territoire européen, et que les concepts d'opérations restent à établir.

Avec les hypothèses retenues, le coût estimatif a été établi par les directeurs nationaux d'armement à un montant compris entre 83 et 147 millions d'euros .

Le Secrétaire général de l'OTAN , M. Rasmussen, a pour sa part assez largement arrondi ces montants en évoquant à de multiples reprises un ordre de grandeur de 200 millions d'euros sur 10 ans , à partager entre les 28 Etats membres. Dans de nombreux discours, il a mis en rapport la modestie de cet investissement et l'étendue des bénéfices qu'il procurerait : la protection de 900 millions de citoyens des pays alliés !

Afin de bien comprendre la signification de ces chiffres, il convient de souligner trois points importants.

Premièrement, qu'il s'agisse de 83, 147 ou 200 millions d'euros, ces montants très estimatifs compte tenu des incertitudes pesant sur certaines hypothèses fondamentales, représentent le coût additionnel des fonctionnalités nouvelles à apporter au système de commandement et de contrôle pour la défense de théâtre développé dans le cadre du programme ALTBMD. Il s'ajoute donc au coût de ce programme dans sa configuration initiale, estimé à 833 millions d'euros. C'est donc plutôt de 1 milliard d'euros dont il faut parler, pour un C2 de l'OTAN élargi à la défense antimissile des territoires.

Deuxièmement, ce milliard d'euros représente uniquement le système de commandement et de contrôle . Il n'intègre pas, bien entendu, l'ensemble des moyens à fournir par les nations pour que ce C2 permette réellement à l'OTAN d'assurer la protection des populations et territoires européens. Il faut rappeler que l'étude de faisabilité rendue en 2006 évaluait à 27 milliards d'euros l'investissement nécessaire à une défense complète du territoire des pays alliés européens, non compris les capteurs spatiaux supposés être ceux des Etats-Unis.

Troisièmement, la défense antimissile des populations et des territoires européens ne pourra être effectivement assurée par l'OTAN que si celle-ci mène à son terme le programme ALTBMD dans l'ensemble de ses composantes (basse couche et haute couche). Or ce programme a pris du retard. Les échéances calendaires ont été repoussées. Les investissements à financer demeurent importants puisqu'entre 2005 et 2010, 139 millions d'euros seulement ont été autorisés, sur un total de 833 millions d'euros auquel s'ajoute désormais le coût additionnel des capacités antimissile des territoires.

3. La mise en oeuvre des décisions de Lisbonne : l'adoption d'un calendrier serré et risqué

La réalisation d'une capacité OTAN de protection du territoire européen contre les missiles balistiques suppose que deux conditions soient réunies.

Il faut tout d'abord que soient déployés, en Europe, les moyens d'alerte, de poursuite et d'interception capables d'assurer une telle protection. Il s'agira de moyens nationaux. La contribution américaine (EPAA), telle qu'elle est aujourd'hui présentée par Washington, est censée couvrir à elle seule, à terme, une grande partie du besoin.

La seconde condition est que l'OTAN développe un système de commandement et de contrôle assurant le partage de l'information, ainsi que la coordination et la mise en oeuvre des moyens nationaux. C'est l'objectif de l'extension du programme ALTBMD décidée à Lisbonne.

a) Une anticipation des échéances prévues pour le programme ALTBMD

Le dernier état des échéances calendaires du programme ALTBMD établi avant le sommet de Lisbonne était cependant en fort décalage avec le calendrier de déploiement de l'EPAA américaine .

En effet, compte tenu du glissement du programme , l'intégration des systèmes d'interception « haute couche » (missiles SM-3 des bâtiments Aegis et batteries THAAD) n'était désormais envisagée qu'en 2019. Or les premiers intercepteurs SM-3 (block IA) ont commencé à être déployés en Europe dès 2011, à bord du croiseur USS Monterey , et la mise en service d'intercepteurs plus performants (SM-3 block IB) et plus nombreux (site Aegis Ashore en Roumanie et, éventuellement, batteries THAAD) est prévue dès 2015.

La mise en oeuvre des décisions de Lisbonne nécessite un profond remaniement du calendrier du programme ALTBMD visant à la fois à intégrer les fonctionnalités supplémentaires exigées pour la défense territoriale , et à anticiper certaines échéances afin de réduire l'écart , faute de pouvoir pleinement converger, avec le calendrier de l'EPAA américaine .

La nécessité de se rapprocher du calendrier américain écarte d'emblée l'hypothèse d'un déroulement purement séquentiel (capacité de défense antimissile de théâtre « couche basse », puis « couche haute », puis extension à la défense antimissile territoriale).

Elle impose au contraire de mener de front l'intégration des différentes composantes « couche basse » et « couche haute » , et celle des fonctionnalités requises pour la défense antimissile territoriale .

Ainsi remanié, le programme ALTBMD, dont il faudrait désormais changer l'appellation puisqu'il ne se limite plus à la défense antimissile de théâtre, est désormais articulé autour des échéances suivantes :

- mise en service en 2014 d'une capacité opérationnelle initiale de défense antimissile de théâtre « couche  basse» ; elle doit reposer sur les systèmes d'interception Patriot PAC-3 et SAMP/T ; l'OTAN devra pouvoir planifier et exécuter des missions de défense contre les missiles de théâtre en appui d'opérations d'un volume comparable à celui de la Nato Response Force (environ 25 000 hommes) ;

- mise en service en 2016 d'une capacité partielle de défense des territoires , couplée avec la phase 2 de l'EPAA américaine prévue pour 2015, et en 2018 de la pleine capacité défense des territoires , en même temps que la phase 3 de l'EPAA.

b) Un calendrier serré et risqué

En vue de tenir ces échéances, l'OTAN s'est imposé un calendrier particulièrement serré .

Pour que l'OTAN dispose d'une capacité partielle de défense antimissile territoriale en 2016, tous les contrats nécessaires aux fonctionnalités additionnelles requises devraient avoir été passés en 2014, en s'appuyant sur la première capacité « couche basse » attendue la même année. Pour cela, l'OTAN devra réaliser dans les délais cette première capacité « couche basse ». Elle devra également avoir défini d'ici la fin de l'année 2012 un concept d'opérations pour la défense antimissile territoriale, les exigences opérationnelles correspondantes et l'ensemble des spécifications ( NATO Staff Requirements ) qui en découlent, afin de permettre au Conseil de l'Atlantique-Nord d'adopter en 2013 le « paquet de capacité » correspondant, c'est-à-dire le périmètre des investissements à réaliser.

Or la défense antimissile territoriale soulève des questions autrement plus complexes que la défense de théâtre . La protection du territoire européen comporte nécessairement une dimension transnationale . Il s'agira donc de bâtir un système de commandement et de contrôle unique en son genre , combinant une grande réactivité - du fait des délais de réaction extrêmement brefs - et les exigences du cadre multilatéral sur les conditions de délégation du pouvoir de décision.

De nombreux scénarios doivent être examinés. Compte tenu des délais de réaction, qui n'autorisent aucun processus de consultation au niveau politique, les règles d'engagement devront avoir été préalablement établies dans le moindre détail , ce qui suppose, ici encore, la prise en compte d'un très grand nombre de paramètres tels que les zones à protéger en priorité, les stratégies de réaction face à des tirs multiples, la définition des trajectoires d'interception, les conséquences de ces interceptions, les incidences sur les pays tiers. Autant de questions sur lesquelles un travail approfondi est indispensable avant de spécifier les fonctionnalités du futur C2.

A ces difficultés techniques et politico-militaires s'en ajoute une autre, d'ordre politique.

Les Etats-Unis souhaitent que lors du prochain sommet prévu à Chicago en mai 2012, l'OTAN puisse déclarer une capacité « intérimaire » de défense antimissile territoriale .

Si les délais évoqués ci-dessus sont tenus, l'OTAN disposera au mieux d'une capacité partielle de défense antimissile territoriale en 2016 . On voit donc mal ce que pourrait recouvrir cette capacité « intérimaire », puisque quatre années devraient au minimum s'écouler avant que le commandement OTAN ne soit en mesure de mettre en oeuvre les moyens d'interception « couche haute ».

Certes, il est prévu de raccorder le C2 américain à la toute première capacité mise en place par l'OTAN pour la défense de théâtre à son CAOC ( Combined Air Operations Centre ) d'Uedem (Allemagne), comme on l'a précédemment indiqué. Mais cette modeste capacité permet seulement des travaux de planification. Le fait qu'elle puisse recevoir des données du réseau américain d'alerte avancée ne saurait occulter son absence d'aptitude opérationnelle dans un engagement balistique.

Il serait donc très artificiel d'annoncer dès 2012 une première capacité OTAN, même intérimaire, de défense antimissile des territoires.

Tous ces éléments laissent l'impression d'une volonté de précipiter les échéances pour attribuer dès que possible à l'OTAN des capacités qui, en réalité, ne seront pas les siennes.

S'il obéit à des objectifs politiques - afficher des résultats rapides et placer les déploiements américains en Europe sous couvert multilatéral de l'OTAN - ce calendrier à marche forcée comporte des risques .

On peut en effet se demander s'il ne fragilise pas, plus qu'il ne conforte, les objectifs fixés à Lisbonne.

Le premier risque consisterait à engager l'OTAN dans un impossible rattrapage de l'EPAA américaine .

Si l'on considère le temps déjà nécessaire à la mise au point de la capacité C2 pour la défense antimissile de théâtre et les problèmes nouveaux soulevés par la défense antimissile des territoires, on peut douter de la possibilité de respecter les échéances annoncées , du moins sans altérer la consistance du programme et son aptitude à réellement doter l'OTAN des moyens nécessaires pour assurer le commandement effectif de ce système de défense.

L'intérêt même d'un C2 OTAN s'en trouverait amoindri. A terme, celui d'une contribution européenne le serait aussi, seul un véritable C2 OTAN pouvant intégrer des contributions européennes en leur assurant une contrepartie en termes d'association au commandement.

Le second risque d'un calendrier accéléré tient à ce qu'il pourrait hypothéquer le dialogue avec la Russie et réduire les possibilités de coopération, à l'inverse de l'objectif politique fixé à Lisbonne.

II. DES QUESTIONS EN SUSPENS

A. QUELLE RELATION AVEC LA RUSSIE ?

La défense antimissile figure depuis plus de dix ans à l'ordre du jour des discussions entre l'OTAN et la Russie.

Les deux parties ont convenu du principe d'une coopération dans le domaine de la défense antimissile de théâtre au moment où l'OTAN engageait ses premiers travaux en la matière. Cette coopération avait pour objectif d'échanger sur les doctrines opérationnelles et d'étudier l'interopérabilité potentielle entre les systèmes de défense de théâtre russes et alliés, dans la perspective d'opérations communes. Le Conseil OTAN-Russie avait lancé une étude en ce sens en 2003 et plusieurs exercices conjoints de postes de commandement ont été organisés.

Cette coopération sur la défense antimissile de théâtre a été suspendue après la décision de Washington d'implanter en Europe un troisième site destiné à l'interception des missiles intercontinentaux.

La Russie a réagi beaucoup plus vigoureusement à ce projet en 2007 qu'elle ne l'avait fait fin 2001, lorsque les Etats-Unis s'étaient unilatéralement retirés du traité ABM par lequel Washington et Moscou avaient convenu de limiter leurs déploiements à un seul site de systèmes de défense antimissile.

La Russie a dit craindre que le radar en bande X prévu en République tchèque n'observe ses essais de missiles intercontinentaux et que les 10 intercepteurs annoncés en Pologne ne soient le prélude à des déploiements beaucoup plus ambitieux. Elle a invoqué un affaiblissement potentiel, à terme, de sa dissuasion, et elle a dénoncé les risques des projets américains pour la stabilité stratégique.

Un peu plus d'un an après l'annonce de l'abandon du projet de 3 ème site au profit de l'« approche adaptative phasée » pour l'Europe, et sept mois après la signature du nouveau traité START, le sommet de Lisbonne a marqué la volonté de relancer les relations OTAN-Russie, dans la lignée du « reset » voulu par le Président Obama dès ses premiers mois de présidence.

Que ce soit dans le nouveau concept stratégique ou dans la déclaration des chefs d'Etat et de gouvernement, la décision de développer une capacité de défense antimissile territoriale de l'OTAN a été assortie d'un objectif de coopération avec la Russie .

Toutefois, dès les lendemains du sommet, les divergences d'approche se sont manifestées, aucune avancée concrète n'ayant pu intervenir dans le sens de cette coopération.

1. Quel terrain d'entente sera-t-il possible de trouver entre l'OTAN et la Russie sur la défense antimissile ?

Les autorités russes 27 ( * ) font une analyse de la menace très différente de celle de l'OTAN. Cette analyse part du constat que, pour le moment, la finalité militaire du programme nucléaire de l'Iran n'a pas été établie et que dans l'hypothèse où Téhéran voudrait se doter d'armes nucléaires, ce serait dans le but de se défendre et non pas d'attaquer. Pour la Russie, l'arme nucléaire est une arme de non emploi et cela vaut aussi pour l'Iran. Du point de vue russe, il n'est tout simplement pas envisageable que l'Iran se risque un jour à mener une attaque balistique contre les Etats-Unis ou l'Europe.

Dès lors, la Russie considère que les déploiements envisagés en Europe n'ont pas d'utilité véritable, sauf à dissimuler d'autres objectifs, et en particulier celui d' amoindrir sa propre capacité de dissuasion .

Moscou réitère donc des préoccupations du même ordre qu'à propos du 3 ème site envisagé par l'administration Bush. La phase III de l'EPAA prévoit un second site d'intercepteurs américains en Pologne, après celui installé en Roumanie durant la phase II. Surtout, la phase IV verra l'installation d'intercepteurs SM-3 block IIB beaucoup plus performants que les versions précédentes et capables d'intercepter des missiles intercontinentaux. La Russie fait valoir qu'à cette échéance (2020) aucune indication n'est donnée sur le nombre d'intercepteurs installés sur sites fixes et déployés en mer sur les bâtiments Aegis .

Il faut bien évidemment faire la part de la posture déclaratoire dans les positions exprimées par les dirigeants russes. On l'a vu récemment lors de l'annonce de l'arrivée en mer Noire du croiseur USS Monterey , premier déploiement effectué au titre de l'EPAA.

Par ailleurs, les responsables de la Missile Defense Agency ont présenté à la Russie des éléments techniques destinés à démontrer que la brièveté du temps imparti pour la détection la trajectographie et l'engagement ne permettait pas d'intercepter un missile tiré de Russie vers les Etats-Unis.

Les protestations et les manifestations d'inquiétude, assorties d'annonces sur la nécessité pour la Russie d'envisager un rehaussement de son arsenal offensif, ramènent à une réalité plus profonde : le sentiment d'une dévaluation d'un potentiel nucléaire militaire qui permet toujours à la Russie d'afficher une parité stratégique avec les Etats-Unis.

La Russie se demande si l'existence d'une défense antimissile balistique émousse ou non sa capacité de dissuasion. Cette question est d'autant plus légitime que la France se la pose aussi, alors même qu'elle est membre de l'OTAN. Elle est indépendante du fait de savoir si la DAMB de l'OTAN est tournée ou non contre la Russie. Elle ne dépend que du déploiement d'intercepteurs et de systèmes d'armes capables d'intercepter les missiles intercontinentaux.

Lors de la signature du nouveau traité START, en avril 2010, la Russie a effectué une déclaration unilatérale indiquant qu'elle se réservait la possibilité de se retirer du traité si le développement de la défense antimissile américaine portait atteinte à la crédibilité de sa dissuasion. Ces réserves ont été réaffirmées lors du débat de ratification devant le Parlement russe.

Nonobstant ces objections fondamentales, la Russie n'a pas rejeté le principe d'une coopération avec l'OTAN sur la défense antimissile territoriale .

On peut d'ailleurs rappeler qu'en 2007, Vladimir Poutine, alors Président de la Fédération de Russie, avait proposé aux Etats-Unis l'utilisation du radar de Gabala, située sur une base russe en Azerbaïdjan, en échange de l'abandon du projet de radar en bande X en République tchèque.

A Lisbonne, le Président Medvedev s'est montré favorable à une coopération tout en y posant des conditions. Il a notamment demandé que la coopération s'effectue sur un pied d'égalité et que le système s'appuie sur un centre commun de commandement et de contrôle qui donnerait des ordres de lancement automatiques à des effecteurs de l'OTAN ou de la Russie, en fonction du secteur géographique concerné, chaque partie étant responsable d'un secteur déterminé, d'où le nom d'approche sectorielle.

Cette approche sectorielle a été écartée par les dirigeants de l'OTAN , son secrétaire général ayant notamment marqué sa préférence pour une coordination efficace de deux systèmes indépendants. M. Rasmussen a notamment souligné que la défense antimissile territoriale relevait de l'engagement de défense collective entre pays alliés et que la mise en oeuvre de cet engagement ne pouvait être déléguée à un pays tiers.

La Russie est en partie revenue sur l'idée d'approche sectorielle, qui répondait semble-t-il au souci de garantir, par la conception même du système, que les intercepteurs de l'OTAN ne puissent pas être engagés sur des trajectoires passant par le Nord du territoire russe.

Les responsables russes auraient renoncé à demander un partage de la décision ultime d'engagement, tout en continuant à considérer qu'il faudrait maximiser les éléments communs en matière d'échange d'informations et de commandement.

Les demandes russes sont désormais axées sur des garanties apportées par l'OTAN que le système de défense antimissile ne ciblerait pas les forces stratégiques russes .

La Russie souhaitait que ces garanties soient formalisées dans un accord juridiquement contraignant, mais lors de l'entretien bilatéral tenu en marge du G8 à Deauville à la fin du mois de mai dernier entre les présidents Medvedev et Obama, ce dernier aurait souligné qu'un tel traité n'aurait aucune chance de recueillir une majorité qualifiée au Sénat (67 sénateurs sur 100).

La Russie pourrait désormais rechercher d'autres formes de garanties, par exemple par des discussions sur l'architecture du système mis en place par l'OTAN et un accord sur des caractéristiques qui empêcheraient techniquement les intercepteurs américains de menacer les capacités stratégiques russes.

Pour l'heure, les propositions effectuées par l'OTAN ne répondent pas aux demandes russes.

Le Secrétaire général de l'OTAN, M. Rasmussen, a récemment 28 ( * ) évoqué la possibilité de créer un centre conjoint qui pourrait surveiller la menace, partager des données d'alerte avancée, échanger des informations et partager des évaluations, ainsi qu'une seconde cellule commune où pourrait être assurés des travaux de planification et une coordination des réponses en cas d'attaque balistique.

Lors de la réunion des ministres de la défense du Conseil OTAN-Russie du 8 juin dernier - la première depuis la crise géorgienne - aucun progrès n'a été enregistré et aucune déclaration commune n'a pu être adoptée.

Dans ce bras de fer, chaque partie demande en réalité quelque chose que l'autre partie ne peut pas lui donner.

Les autorités russes savent pertinemment que le nouveau système de défense de l'OTAN n'est pas militairement dirigé contre la Russie. L'abandon du radar en bande X voulu par George W. Bush en Pologne et le nouveau positionnement du radar AN/TPY-2 sont de ce point de vue des gages forts. Les Russes savent également que le C2 de l'OTAN, sera interconnecté avec le C2 de la Missile Defense américaine et qu'il aura avec lui des communalités d'autant plus fortes que les contributions européennes seront réduites. Or le C2 de la Missile Defense américaine est destiné à la protection du territoire national américain. Demander d'avoir accès au C2 de l'OTAN, voir d'en définir les règles, revient à demander les clefs de la maison Etats-Unis. Tout le monde peut admettre que les Etats-Unis ne veuillent pas les leur donner.

De leur côté les autorités américaines savent pertinemment que le système de défense de l'OTAN, bien que n'étant pas dirigé contre les Russes, pourrait très bien le devenir. Les radars d'alerte de Fylingdales et de Thule qui servent à la DAMB, n'ont pas été positionnés sur des critères de menace iranienne, mais à une époque où la menace était soviétique. Ils font partie du système de détection des radars d'alerte du territoire américains BMEWS ( Ballistic Missile Early Warning Radars ) qui existe depuis 1959. Quant aux missiles SM-3, placés sur les croiseurs Aegis , ils sont mobiles. Le système de DAMB de l'OTAN est donc, pour l'essentiel, ré-orientable en fonction de la menace.

A défaut de C2 commun, les Russes demandent des garanties juridiques, un traité. Mais il n'y aura pas de majorité, au Sénat américain, pour un accord contraignant bridant la capacité des Etats-Unis à défendre leurs intérêts de sécurité.

2. La coopération avec la Russie sera-t-elle une option ou une condition pour la défense antimissile de l'OTAN ?

Depuis la fin de la guerre froide, la relation entre l'OTAN et la Russie a été affectée de nombreuses secousses. La volonté affirmée d'un partenariat s'est traduite par un Acte fondateur en 1997 puis par la création du Conseil OTAN-Russie en 2002. Les guerres du Kosovo et d'Irak, l'élargissement de l'OTAN, notamment la pression en faveur d'une adhésion future de l'Ukraine et de la Géorgie, les projets américains de défense antimissile en Europe, la suspension de l'application du traité FCE par la Russie et l'invasion par cette dernière d'une partie de la Géorgie ont été autant d'obstacles au développement d'un tel partenariat. La Russie considère toujours l'OTAN avec méfiance, et au sein de l'OTAN, plusieurs nouveaux Etats membres considèrent toujours la Russie comme une menace pour leur sécurité et leur souveraineté.

Le sommet de Lisbonne marque une nouvelle tentative de « remettre le compteur à zéro », pour reprendre l'image du « reset » utilisée par l'administration Obama.

Le nouveau concept stratégique souligne que « la coopération OTAN Russie revêt une importance stratégique car elle contribue à la création d'un espace commun de paix, de stabilité et de sécurité ». Les dirigeants de l'Alliance affirment que « malgré certaines divergences sur des points particuliers, la sécurité de l'OTAN et celle de la Russie sont indissociablement liées et qu'un partenariat solide et constructif, s'appuyant sur la confiance mutuelle, la transparence et la prévisibilité, servirait au mieux notre sécurité ».

La question se pose donc de savoir quelle sera la priorité accordée par l'OTAN à la réalisation de ce partenariat crucial pour son environnement de sécurité par rapport au développement d'une capacité de défense antimissile pour la protection de son territoire .

Sur ce point, les intérêts des Européens et ceux des Etats-Unis ne sont pas nécessairement identiques . La défense antimissile de l'OTAN, telle qu'envisagée aujourd'hui, s'articulera autour de déploiements américains dont la finalité ultime n'est pas la protection de l'Europe, mais celle des Etats-Unis face à une future menace intercontinentale en provenance du Moyen-Orient.

L'OTAN a beaucoup insisté sur le fait que la nouvelle approche américaine, « phasée » et « adaptative », était plus propice à une coopération avec la Russie, mais il est vite apparu que l'EPAA n'était pas aussi flexible qu'elle le prétendait. On n'entrevoit guère de marges dans l'enchaînement des différentes phases, et notamment la phase IV qui concentre les préoccupations principales de la Russie, mais qui est fondamentalement la raison d'être du schéma imaginé par les Etats-Unis pour l'OTAN.

L'établissement d'un accord avec Moscou peut-il être une condition préalable de la mise en place d'une défense antimissile de l'OTAN ?

C'est ce que souhaite la Russie, en demandant des garanties et à être pleinement associée à la définition de l'architecture finale du système, de telle sorte qu'il ne puisse pas diminuer la capacité de ses forces stratégiques.

Mais cette exigence est difficilement acceptable pour les Etats-Unis et l'OTAN. Elle impliquerait la transmission d'informations parmi les plus sensibles, comme les performances des capteurs et des intercepteurs, et donnerait à la Russie une sorte de droit de veto sur les projets alliés.

Un accord avec la Russie peut-il n'être qu'une simple option ?

La volonté américaine de déclarer dès que possible des capacités opérationnelles et la nécessité pour l'OTAN d'accélérer les échéances pour s'adapter à celui de l'EPAA laissent ce sentiment. Il y a pourtant un risque, en se fixant un calendrier trop rapide et en faisant de l'EPAA une référence intangible, à tuer toute réelle possibilité de coopération avec la Russie. Celle-ci a déjà indiqué qu'elle aurait peu de chance de participer à un système sans avoir été consultée sur sa définition.

L'OTAN va-t-elle simplement prendre acte du rejet de ses propositions par la Russie sans modifier ses plans ?

Ce serait renoncer bien hâtivement à une véritable opportunité pour créer un espace commun de sécurité avec la Russie et risquer d'entretenir un climat de méfiance et de confrontation qui n'est de l'intérêt d'aucun des deux partenaires.

Il est probable que le contexte électoral, tant en Russie qu'aux Etats-Unis, ne permettra pas d'avancée décisive dans l'année qui vient.

Il faut mettre à profit cette période pour évaluer les nombreux domaines de coopération potentiels : échanges d'informations sur l'analyse de la menace, mesures de confiance, procédures de consultation en cas d'attaque balistique.

B. QUELLE ARCHITECTURE POUR QUEL SYSTÈME DE COMMANDEMENT ?

1. Le C2 sera-t-il « otanien » ou américain ?

Le principal engagement pris par l'OTAN à Lisbonne pour mettre en oeuvre une capacité de défense antimissile des populations et des territoires européens réside dans la réalisation d'un système de commandement et de contrôle (C2) allié , sur la base du projet engagé au profit de la défense antimissile de théâtre, le programme ALTBMD.

De façon très schématique, le C2 de l'OTAN sera composé de deux éléments : des règles de commandement , qui sont en cours de définition et un logiciel d'une grande complexité qui reliera l'ensemble des senseurs, des effecteurs et autres systèmes de commandement.

C'est ce C2 qui doit permettre à l'OTAN d'assurer au profit de ses membres européens une défense antiaérienne et antimissile balistique intégrée, en s'appuyant sur l'ensemble des moyens nationaux de détection et d'interception disponibles.

On a déjà souligné le défi technique considérable représenté par ce programme, puisqu'il s'agira de fédérer des moyens de nature très différente provenant de plusieurs pays. De plus, à la différence du C2 BMC américain, dédié à la défense antimissile balistique, le C2 de l'OTAN doit se greffer sur un système de commandement et de contrôle de défense aérienne en cours d'adaptation.

La réalisation du C2 de l'OTAN suppose aussi des efforts financiers conséquents . Plus de 600 millions d'euros restaient à financer sur le programme ALTBMD dans sa configuration défense de théâtre et il faut y ajouter les 200 millions d'euros estimés pour son extension à la défense de théâtre, soit un total d'environ 800 millions d'euros sur six à sept ans , pour un budget annuel d'investissement de l'OTAN de l'ordre de 650 millions d'euros.

Le calendrier actuel fixe l'échéance 2016 pour une capacité partielle et 2018 pour une capacité complète.

Les premiers moyens américains ont été déployés en 2011, avec le croiseur USS Monterey équipé du système de combat Aegis . D'ici 2016, la mission de défense antimissile balistique territoriale sera exclusivement assurée par les moyens américains et le C2 américain, et non par un C2 OTAN. La pression est vive pour que soit déclarée dès le sommet de mai 2012 une première capacité opérationnelle de l'OTAN, dite « intérimaire » . Dès lors qu'une capacité OTAN de défense antimissile territoriale serait affichée sans que l'OTAN ne dispose du C2 correspondant, la motivation à financer et réaliser un C2 allié pourrait s'éroder. La tentation serait forte de continuer à considérer que la capacité existe même si le C2 OTAN n'est pas achevé.

En d'autres termes, plus le temps s'écoulera entre la mise en place des moyens américains et les échéances d'un futur C2 OTAN, plus le risque sera grand de considérer que le C2 américain suffit pour l'exercice des missions de l'OTAN liées à la défense antimissile des territoires, c'est-à-dire à la « couche haute », celle où se joue l'interception des missiles à longue portée et qui donne une vision globale de la situation au dessus de l'Europe et de son environnement géographique.

L'OTAN a donc tout intérêt à consolider les échéances fixées pour la réalisation de son propre C2, sans les précipiter cependant, car on risquerait alors d'aboutir à un système dégradé qui ne prendrait pas suffisamment en compte ses besoins et ne pourrait pas correctement remplir la mission.

Au-delà des interrogations sur l'aboutissement de ce programme, une autre question se pose.

Quelle sera la fonction de ce C2 OTAN si l'architecture de défense antimissile territoriale repose essentiellement, pour ne pas dire exclusivement sur les moyens d'une seule nation ?

Rappelons que les moyens de détection et d'interception américains ne sont pas affectés à l'OTAN. Ils sont sous contrôle national américain et resteront reliés au C2 américain.

C'est en bonne partie le raccordement de moyens non américains qui sous-tend l'intérêt et l'existence d'un C2 OTAN . Or à ce jour, la seule contribution européenne envisagée pour le segment « couche haute » est l'alerte avancée planifiée par la France (satellite d'alerte et radar très longue portée). Cette contribution potentielle a été prise en compte lors du sommet de Lisbonne et dans le plan d'action adopté par les ministres de la défense de l'OTAN lors de leur réunion du 8 juin dernier.

La réalisation effective d'un C2 OTAN représente un défi. Elle est cependant indispensable, car par définition, le C2 américain est optimisé pour la défense du territoire américain, et non pour la défense des territoires et des populations de l'Europe.

2. L'engagement sera-t-il décidé selon des règles définies à 28 ?

Comme on l'a déjà souligné, les délais de riposte à une attaque balistique seront extrêmement brefs et n'autoriseront pas de procédure de consultation et de coordination préalable.

Il est prévu que la responsabilité de la défense antimissile territoriale de l'OTAN soit confiée au SACEUR, qui exerce également le commandement américain en Europe (EUCOM), et que soit désigné un commandant opérationnel unique. L'engagement s'effectuera essentiellement selon des procédures automatisées, sur la base de dispositions pré-planifiées.

Les conditions particulières d'exercice du commandement exigent en amont une planification extrêmement précise. Il s'agit là aussi d'un défi pour l'OTAN, car l'ensemble de ces procédures doivent être définies dans un cadre multilatéral et prendre en compte les intérêts des Etats membres.

Après avoir défini un concept de défense aérienne et antimissile balistique intégrée (description générique des missions, organisation, architecture, critères opérationnels tels que la permanence de l'alerte) et d'un concept d'opération ou CONOPS (description détaillée des rôles et des responsabilités des intervenants de la chaîne de commandement, lignes directrices opérationnelles relatives à l'exécution des missions), l'OTAN devra préciser les conditions de délégation d'emploi de la force, les règles d'emploi des moyens nationaux et les règles d'engagement.

Ces règles d'engagement revêtiront une importance essentielle.

Elles devront tenir compte d'un certain nombre de paramètres tels que :

- les zones à protéger en priorité , ce qui suppose d'établir une liste hiérarchisée de ces biens et sites de haute valeur ;

- les conséquences de l'interception , notamment la problématique des retombées de débris, particulièrement complexe à gérer en Europe, l'interception pouvant intervenir au-dessus du territoire d'un pays membre ou d'un pays tiers.

Les alliés ont commencé à travailler sur ces questions, avec l' exercice biennal Nimble Titan qui permet notamment de tester les différents concepts élaborés à l'OTAN. Lors de la dernière session d'expérimentation réalisée en février dernier, un projet de matrice identifiant les paramètres et les critères-clef pour la rédaction des règles d'engagement a été élaboré.

On mesure le défi consistant à définir à 28 des règles d'engagement aussi détaillées et complexes pour encadrer les différents types de ripostes en cas d'attaque balistique.

Il est pourtant indispensable de mener à bien cette tache, car l'approbation politique par les nations est une condition préalable à toute délégation de souveraineté. C'est aussi la garantie que ces règles d'engagement tiendront bien compte des priorités et intérêts spécifiquement européens.

Citons quelques cas de figure concrets , auxquels les règles d'engagement devront donner des réponses pré-établies :

- faut-il systématiquement tenter d'intercepter tout missile se dirigeant vers l'Europe, au risque de consommer rapidement les stocks d'intercepteurs, ou réserver la riposte aux tirs dirigés vers certains types d'objectifs, et dans ce cas, selon quels critères déterminer ces objectifs prioritaires ?

- comment réagir en cas de tirs multiples ?

- où et quand intercepter un missile assaillant, selon quel type de trajectoire ?

On comprend à l'énoncé de ces questions que toutes les nations alliées n'auront pas nécessairement la même vision sur les réponses à apporter .

Le choix du lieu et des trajectoires emporte des conséquences en termes de retombées et de débris, voire de déviation du missile s'il n'est pas détruit. Le choix d'engager un intercepteur ou des intercepteurs consomme du potentiel et réduit les possibilités d'interception sur des tirs ultérieurs.

Pour cette raison, il est facile à comprendre que des règles définies à 28 pour la protection du territoire européen ne pourront pas être les mêmes que des règles américaines pour la protection du territoire national américain.

Mais on peut de nouveau relever qu'en la matière, le décalage entre le calendrier des déploiements américains et celui de l'OTAN ne joue pas en faveur de cette dernière.

Les règles d'engagement définies à 28 dans le cadre de l'OTAN s'appliqueront-elles aux moyens américains, alors même que ceux-ci ne pourront pas être raccordés à un C2 OTAN opérationnel avant plusieurs années ?

C'est pourtant la condition d'une véritable défense antimissile des populations et des territoires européens.

C. QUELS MOYENS POUR QUELLE PROTECTION ?

1. Quel sera le niveau d'ambition de l'OTAN ?

Lors du sommet de Lisbonne, l'OTAN a affiché un objectif ambitieux : « assurer la couverture totale et la protection de l'ensemble des populations, du territoire et des forces des pays européens de l'OTAN contre la menace croissante que représente la prolifération des missiles balistiques ».

Cet objectif comporte une dimension politique évidente vis-à-vis des opinions publiques. Est-il réaliste au plan opérationnel ?

On peut déjà constater que les premiers travaux de mise en oeuvre des décisions de Lisbonne évoquent une hiérarchisation des priorités entre les zones à protéger et distinguent des sites ou moyens de haute valeur.

On peut aussi constater que cet objectif a été défini sans évaluation d'ensemble des moyens nécessaires pour l'atteindre . L'étude de faisabilité remise en 2006 sur une défense antimissile du territoire européen, déjà évoquée, évaluait à 27 milliards d'euros les investissements nécessaires à la couverture complète du territoire européen, hors moyens spatiaux. La recherche d'une protection absolue pourrait entraîner les pays membres dans une surenchère visant à accroître l'étendue et l'efficacité de la couverture, et donc vers des dérives financières.

Il faudra donc nécessairement affiner et préciser le niveau d'ambition de l'OTAN, à la fois dans la période transitoire durant laquelle l'EPAA n'est censée couvrir qu'une partie du territoire européen, et à terminaison du déploiement.

Celui-ci devra être en rapport avec le niveau de la menace probable ou possible, tel que les membres de l'OTAN l'auront en commun évalué.

Il devra également être raisonnable en termes de zones à couvrir prioritairement et de niveau de permanence et d'alerte des moyens.

2. Quelle sera la couverture assurée par la contribution américaine ?

La crédibilité de l'annonce faite à Lisbonne d'une future défense antimissile territoriale de l'OTAN repose sur l'idée que les déploiements prévus dans le cadre de l'EPAA américaine permettront à terme d'assurer la protection totale du territoire européen de l'OTAN.

Les cartes présentées par la Missile Defense Agency (voir plus haut) montrent effectivement une zone de couverture progressivement étendue à l'ensemble de l'Europe, grâce aux déploiements navals et aux deux sites Aegis Ashore en Roumanie et en Pologne.

Dans un rapport remis en janvier 2011 au Congrès des Etats-Unis 29 ( * ) , le General Accountability Office (GAO) souligne cependant les incertitudes sur l'architecture de l'EPAA au-delà des phases 1 et 2, sur les performances des moyens déployés et sur leur coût.

Le GAO observe par exemple que le Département de la défense n'a pas clairement défini la priorité qu'il accorde à l'EPAA par rapport aux autres missions de défense antimissile qu'il doit assurer au profit du territoire national et d'autres régions du monde. Il pointe l'absence de directive claire sur l'état final attendu : objet et durée des missions, zones à défendre, priorités au sein d'une région et entre les régions. Il estime que la réalisation de l'EPAA pourrait consommer une part importante du potentiel global des Etats-Unis en matière de défense antimissile, en fonction du niveau de la présence requise. Il s'agit par exemple de savoir si les bâtiments Aegis dont le déploiement est prévu en Europe devront assurer une présence physique continue, s'ils devront simplement pouvoir être disponibles sous faible préavis en réponse à une situation de menace montante, ou s'il y aura une combinaison de moyens permanents et de moyens disponibles sous faible préavis.

Le GAO note que le volume des moyens affectés à l'EPAA n'a pas été planifié que ce soit le nombre de bâtiments Aegis et de missiles SM-3, ou l'adjonction de batteries Patriot PAC-3 et THAAD, d'un radar AN/TPY-2 supplémentaire, de satellites de poursuite PTSS ou d'un détecteur aéroporté ABIR. Ainsi, l'armée de terre se dit préoccupée de ne pas savoir quels équipements seront déployés, quand ils le seront, où et pour quelle durée.

Enfin, le GAO s'interroge sur la soutenabilité financière de l'EPAA , faute de précision suffisante sur le volume des déploiements nécessaires, mais aussi d'analyse en coûts complets intégrant les acquisitions, l'infrastructure, les personnels et le fonctionnement. Il estime que le Département de la défense s'expose de ce fait à de plus grands risques sur le calendrier, les performances et les coûts.

Dans un rapport ultérieur de mars 2011 30 ( * ) , il s'inquiète aussi que des composants clef de l'EPAA entrent en production avant que la performance des systèmes n'ait été démontrée, soulignant que par le passé, des déficiences similaires dans la supervision des acquisitions liées à la défense antimissile avaient conduit à devoir les reprendre et à des augmentations de coût, des retards et des doutes sur les capacités livrées.

Face à ces remarques très critiques, le Pentagone et la Missile Defense Agency ont fait valoir que la caractéristique principale de l'EPAA était sa grande flexibilité. Les moyens pouvaient être renforcés, déplacés, ajustés en fonction d'une menace par définition évolutive.

Cet argument est recevable, mais il ne doit pas dispenser l'OTAN de s'interroger sur le niveau de protection qui sera effectivement apporté par les moyens américains .

Il faudra notamment étudier très finement les hypothèses servant de base au calcul de l'étendue des zones protégées : type de trajectoires et complexité des attaques, possibilités de contre-mesures, nombre, localisation et performances des systèmes de détection et des intercepteurs.

Une attention particulière devra être portée à l' examen des performances annoncées , qu'il s'agisse des capteurs ou des intercepteurs.

En effet, tous ces paramètres conditionnent la crédibilité de l'architecture d'ensemble présentée à l'OTAN.

3. L'Europe sera-t-elle exonérée des charges liées à la protection de son territoire ?

A ce stade, il n'y a pas de contribution européenne à la défense antimissile des territoires de l'OTAN . La France a certes annoncé la mise à disposition d'une future capacité d'alerte avancée (satellite d'alerte et radar), mais les programmes correspondants n'ont pas encore été lancés. Aucun autre pays n'a mentionné de contribution potentielle.

Les seuls programmes en cours en Europe concernent la défense antimissile de théâtre. Ils pourront s'intégrer à la future architecture mais n'assureront pas de missions de défense territoriale.

Cette situation interpelle.

Doit-on considérer la contribution américaine comme définitivement acquise à l'OTAN, alors qu'elle se veut flexible et que son objectif final demeure, ce qui n'a rien d'anormal, la protection des Etats-Unis ?

Les déploiements prévus dans le cadre de l'EPAA répondront-ils aux performances annoncées lorsque celle-ci a été présentée ? Une véritable couverture complète n'exigera-t-elle pas des contributions complémentaires, au-delà de ce que les Etats-Unis ont prévu de fournir gratuitement ?

Les Etats-Unis ne seront-ils pas amenés, pour des raisons financières ou en fonction de leurs priorités stratégiques, notamment en Asie, de réviser le niveau des moyens nationaux qu'ils avaient prévu de positionner en Europe ?

Ces questions n'ont pas pour objet de mettre en doute la bonne foi des Etats-Unis lorsqu'ils présentent l'apport de leur contribution à la protection du territoire européen. Elles reposent simplement sur un constat : selon le principe arrêté à Lisbonne et valable pour l'ensemble des Etats membres de l'OTAN, la contribution américaine est et restera une contribution nationale volontaire, et comme telle tributaire des intérêts nationaux américains.

Ces questions s'adressent finalement moins aux Etats-Unis qu'à l'Europe. Peut-on imaginer une défense antimissile du territoire européen reposant exclusivement sur des moyens non européens ? L'Europe pourra-t-elle se croire réellement protégée sans une contribution forte des nations européennes ?

Il s'agit finalement de savoir si l'objectif politique fixé à Lisbonne - assurer la couverture totale et la protection de l'ensemble des populations, du territoire et des forces des pays européens - créera pour les nations de l'OTAN une obligation de moyens ou une obligation de résultat .

S'il ne s'agit que d'une obligation de moyens, le risque est grand que la défense antimissile territoriale de l'OTAN ne soit qu'une coquille vide. Il s'agira d'une défense antimissile de l'Europe assurée par les Etats-Unis et à la mesure des efforts que ceux-ci voudront bien consentir au profit des nations européennes.

S'il s'agit d'une obligation de résultat, le risque est alors que la contribution américaine n'apparaisse pas suffisante, soit parce que les performances annoncées ne seront pas au rendez-vous, soit parce que les Etats-Unis ne pourront pas déployer les capacités prévues, pour des raisons politiques ou financières. La pression serait alors très forte sur les Etats européens pour qu'ils prennent à leur charge le complément nécessaire. Ils n'auraient alors d'autre choix que de réaliser leurs propres moyens ou, plus vraisemblablement, d'acquérir des intercepteurs américains, les seuls actuellement à couvrir la « couche haute » pour des missions de défense territoriale.

CHAPITRE II

DES NATIONS EUROPÉENNES PEU IMPLIQUÉES,

UN DILEMME POUR LA FRANCE

S'agissant de la protection du territoire européen, il reviendrait logiquement aux pays européens d'élaborer les réponses aux questions clefs de la coopération avec la Russie, du commandement de la future défense antimissile balistique et des moyens nécessaire à son fonctionnement.

Or, non seulement la question n'a jamais été abordée dans les instances spécifiquement européennes, mais à l'OTAN, un grand nombre d'Etats européens se comportent davantage en spectateurs d'un scénario écrit par d'autres qu'en acteurs de leur propre sécurité.

L'absence de marges de manoeuvre financières, les interrogations sur la réalité de la menace et le sentiment que la protection américaine va de soi expliquent cette attitude prudente, laissant aux Etats-Unis la maîtrise du calendrier et la mise en oeuvre effective du système.

Pour la France, la passivité ne constitue cependant pas une option, car elle comporte plus d'inconvénients que d'avantages.

I. DES NATIONS EUROPÉENNES PEU IMPLIQUÉES

A. L'ABSENCE DE VISION COMMUNE ET DE RÉPONSE CONCERTÉE EUROPÉENNE

1. La défense du territoire européen contre les missiles balistiques : une idée américaine, des degrés d'appropriation très divers parmi les nations européennes

La protection du territoire européen contre les missiles balistiques n'est pas une idée d'origine européenne . Cet objectif défini à Lisbonne est paradoxalement l'aboutissement d'une démarche initiale exclusivement conçue pour la protection du territoire américain.

Avec l'entrée en fonction de George W. Bush en 2001, les Etats-Unis revoient leurs projets de défense antimissile dans un sens plus ambitieux, en établissant un lien conceptuel avec la protection des pays alliés et amis. C'est l'origine de la réflexion qui s'engage à l'OTAN après le sommet de Prague de 2002.

Les pays européens ne manifestent pas alors d'appétence particulière pour un système qui leur paraît financièrement hors de portée et dont l'utilité et l'efficacité restent à démontrer.

Mais de nouvelles initiatives américaines, quelques années plus tard, les amènent à endosser l'objectif d'une défense antimissile territoriale.

L'évolution s'est faite en trois temps. Dans un premier temps, l'administration Bush considère que la protection du territoire américain nécessite, outre les deux sites d'intercepteurs prévus aux Etats-Unis, un troisième site en Europe (radar en République tchèque, intercepteurs en Pologne). Dans un deuxième temps, afin de rendre cette démarche plus acceptable au plan politique, elle indique que ce troisième site assurera aussi la protection d'une partie du territoire européen, les zones non couvertes pouvant éventuellement être protégées par un programme complémentaire réalisé sous l'égide de l'OTAN. Dans un troisième temps, l'administration Obama abandonne le projet de troisième site et propose son « approche adaptative phasée » pour l'Europe (EPAA) en inversant les termes de la proposition : les premières phases de l'EPAA, réalisées d'emblée dans le cadre de l'OTAN, permettront une protection progressivement étendue du territoire européen, avant de contribuer, dans la phase ultime, à la protection du territoire américain.

Si le projet de troisième site (administration Bush) et l'EPAA (administration Obama) constituent deux manières bien différentes de protéger le territoire européen contre les missiles balistiques, elles ont en commun que les Européens n'ont pris aucune part à la conception de l'une comme de l'autre.

Dans ces conditions, il n'y a rien d'étonnant à l' absence de réelle vision commune européenne sur un projet pourtant destiné à la protection du territoire européen .

Globalement, les nations européennes ont été plutôt satisfaites de voir les Etats-Unis clairement placer leur initiative dans le cadre de l'OTAN. Bien qu'elles n'aient pas d'elles mêmes véritablement exprimé un besoin de protection de leurs territoires et de leurs populations contre les missiles balistiques, elles ont admis la pertinence de cet objectif, d'autant plus qu'il paraît pouvoir être réalisé à moindre coût, grâce à une contribution volontaire des Etats-Unis.

Le fait que cette protection du territoire européen soit pratiquement offerte par les Etats-Unis dispense en quelque sorte les Européens de forger leur propre vision et les met en tout état de cause en position délicate pour discuter, et a fortiori contester, l'architecture proposée et les modalités de mise en oeuvre.

Plusieurs pays, parmi les nouveaux membres, ont surtout vu dans les déploiements envisagés par l'EPAA, qu'il s'agisse d'intercepteurs ou de radars, la perspective d'un ancrage physique de moyens américains sur leur propre sol, témoignage visible des assurances de sécurité apportées par le grand allié.

La plupart des pays qui se déclarent préoccupés par la menace balistique et soucieux que le futur système assure une protection efficace de leur territoire et de leur population ne semblent pas pour autant envisager de contribution nationale propre.

La position turque est paradoxale. La Turquie s'est opposée à toute désignation de la menace dans les textes adoptés à Lisbonne. Dans le même temps, elle insiste pour que la totalité de son territoire soit protégée par la future défense de l'OTAN. Dans la mesure où l'EPAA, du moins dans ses premières phases, semble ne pas pouvoir couvrir certaines portions du territoire turc, elle souhaite la mise en place par ses alliés de l'OTAN, le cas échéant sur financements communs, de moyens de protection complémentaires. Mais pour autant, elle ne veut pas accueillir sur son sol le radar en bande X américain indispensable à la mise en oeuvre de l'EPAA.

Enfin, plusieurs pays européens de l'OTAN étaient déjà engagés dans des programmes de défense antimissile, bien avant que celle-ci n'ambitionne la protection des territoires et des populations de l'Europe. Ces programmes conduits par des pays disposant de capacités industrielles (Allemagne, Italie, France, Pays-Bas), en national, en coopération européenne ou en coopération transatlantique, sont essentiellement orientés vers la défense de théâtre. Ils illustrent la grande variété des choix opérés - en ordre dispersé - par les pays concernés, et ne s'intègrent que partiellement dans la problématique de la défense des territoires et des populations.

2. Des programmes européens essentiellement orientés vers la défense de théâtre

Les contributions européennes possibles à la future architecture de la défense antimissile du territoire européen peuvent être de deux ordres :

- celles déjà prévues pour la défense de théâtre, en liaison avec le programme ALTBMD ;

- des contributions additionnelles répondant au besoin propre de la défense des territoires.

C'est dans le domaine de la défense de théâtre que se situent les principaux programmes en cours, impliquant un nombre réduit de pays. Ils ont déjà été évoqués dans la présentation du programme ALTBMD.

S'agissant des systèmes terrestres à capacité antibalistique, on trouve en Europe trois cas de figure :

- la France et l'Italie ont coopéré pour la réalisation du SAMP/T, système sol-air reposant sur le missile Aster 30 ;

- l'Allemagne et les Pays-Bas ont acheté des systèmes américains Patriot PAC-3 31 ( * ) ;

- l'Allemagne et l'Italie participent au programme MEADS en coopération transatlantique avec les Etats-Unis qui ont annoncé il y a quelques mois qu'ils n'iraient pas au-delà de la phase de développement.

Le programme MEADS, dont la France s'est retirée en 1995, visait à réaliser un système complet, aérotransportable et mobile de défense sol-air, y compris contre les missiles balistiques, comportant un lanceur et des intercepteurs, un radar de surveillance UHF, deux radars multifonctions de conduite de tir ( Multifunction Fire Control Radar - MFCR ) et un centre d'opération tactique pour la gestion de l'engagement, le commandement et le contrôle. La particularité du système MEADS est qu'il a été conçu pour pouvoir opérer en autonome ou pour intégrer d'autres systèmes de défense sol-air, notamment de défense antimissile (THAAD, Arrow , SM-3 ...), selon le principe « plug and fight ».

La réalisation de l'intercepteur prévu pour le MEADS (version évoluée du Patriot PAC-3 fonctionnant par impact direct - Missile Segment Enhancement MSE ) était entièrement placée sous responsabilité américaine (Lockheed-Martin), mais les industriels européens (MBDA-LFK en Allemagne, MBDA Italie) avaient en charge d'autres composants du programme, notamment le radar de surveillance et le radar de conduite de tir.

L'Allemagne et l'Italie ont respectivement pris en charge 25 % et 17 % du financement de ce programme. La question se pose désormais de la meilleure façon de rentabiliser cet investissement à l'issue de la phase de développement qui doit s'achever par des essais en 2013.

En ce qui concerne les systèmes navals , aucun bâtiment de défense anti-aérienne européen ne dispose aujourd'hui de capacités anti-balistiques , cette fonction n'ayant généralement pas été prise en compte dans leur concept d'emploi.

D'une manière générale, on peut constater que si nombre des systèmes de combat navals - radars ou armements - sont communs à plusieurs types de bâtiments européens, chaque marine a effectué son propre choix, si bien qu'il existe aussi un grand nombre de différences dans l'équipement de ces bâtiments, sauf en ce qui concerne les frégates Horizon franco-italiennes 32 ( * ) .

L'un des apports potentiels des frégates anti-aériennes à une défense de théâtre réside dans leur radar de veille . Seuls les Pays-Bas envisagent actuellement une évolution de leur radar à longue portée Smart L pour lui donner des capacités de détection des missiles balistiques en allongeant sa portée (autour de 2 000 km). Ce radar équipe également les frégates anti-aériennes danoises et allemandes, et il est extrêmement proche du radar S1850 en service sur les bâtiments britanniques et les frégates Horizon italiennes et françaises. En revanche, les bâtiments espagnols et norvégiens sont équipés du radar américain SPY-1.

Plusieurs types de bâtiments de défense anti-aérienne en service en Europe disposent du même système de lancement que les bâtiments américains équipés du système de combat Aegis (Allemagne, Danemark, Espagne, Norvège, Pays-Bas), mais aucun des pays concernés n'a pour l'instant envisagé d'équiper ces bâtiments d'intercepteurs de type SM-3 américains. Pour leur part, la France, l'Italie et le Royaume-Uni n'ont pas doté la version navale de l' Aster 30 d'une capacité antibalistique.

S'agissant de la défense antimissile territoriale , les contributions volontaires européennes sont pour l'instant des plus réduites.

Le Royaume-Uni et le Danemark abritent de longue date des radars à très longue portée participant au réseau d'alerte avancée mis en place par les Etats-Unis lors de la guerre froide. La mise à niveau de ces radars a été engagée par les Etats-Unis en corrélation avec le développement de la défense antimissile territoriale. S'agissant du radar de Fylingdales dans le Yorkshire, un premier accord secret a été signé en 1985 entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni et les Etats-Unis, et un second l'a été en 2003. Un accord similaire a été conclu avec le Danemark en 2004 pour le radar de Thule , au Groenland. Ces radars participent à l'alerte en cas d'attaque du territoire américain en provenance de l'Est ou du Moyen-Orient. Par ailleurs, la base britannique de Menwith Hill est également intégrée dans le réseau de communication des satellites d'alerte américains.

Dans le cadre de l'EPAA, la Roumanie doit accueillir sur la base de Deveselu , au sud-ouest de Bucarest, le système américain Aegis Ashore composé d'intercepteurs terrestres SM-3, dont le déploiement est prévu en 2015. La Pologne doit abriter le second site en 2018.

La localisation du radar en bande X AN/TPY-2 , indispensable à la transmission des données de poursuite aux bâtiments Aegis , n'a toujours pas été établie . Pour des raisons techniques, le choix des Etats-Unis s'était porté sur la Turquie, mais celle-ci s'est montrée réticente et une autre localisation, sans doute au bord de la mer Noire, est recherchée.

Hormis l'implantation d'infrastructures américaines, la seule annonce de contribution d'origine européenne entrant véritablement dans le champ de la défense antimissile territoriale provient jusqu'à présent de la France et concerne l' alerte avancée , avec les projets de satellite d'alerte et de radar très longue portée prévus par le Livre blanc. La décision de lancement des programmes n'est cependant pas encore intervenue.

Pour le Livre blanc français, cette capacité d'alerte avancée doit être interopérable avec les moyens de nos alliés et partenaires, la réalisation du satellite d'alerte étant engagée « si possible en coopération » . Des démarches ont été engagées en ce sens, mais elles n'ont pas trouvé d'écho pour l'instant, bien que l'alerte avancée présente un intérêt stratégique du point de vue de la défense antimissile territoriale en participant à la surveillance de la menace et en permettant une certaine autonomie dans l'appréciation des situations.

Il n'est pas absurde de penser que l'Agence européenne de défense (AED) aurait pu servir de cadre à des réflexions et travaux communs sur les implications pour l'Europe de la défense antimissile balistique et les moyens, pour les pays européens volontaires, de coordonner et fédérer leurs efforts. La mission de l'AED n'est-elle pas de développer les capacités de défense des pays de l'Union européenne, de promouvoir la recherche et technologie de défense et la coopération en matière d'armement, de renforcer la base industrielle et technologique de défense européenne ? On sait que faute de volonté politique des Etats, l'Agence est jusqu'à présent restée cantonnée dans des taches modestes et pour certains de nos partenaires, les questions touchant à la défense collective n'ont pas à être abordées dans les enceintes de l'Union européenne. Son absence du débat est vraisemblablement délibérée.

On constate finalement que le débat sur la défense antimissile du territoire européen s'est engagé au sein de l'OTAN dès 2002 , puis accéléré à partir de 2007 avec les projets de déploiements américains en Europe, sans que les Etats européens ne se soient véritablement mobilisés, individuellement ou collectivement, pour influer sur la définition de ce projet et décider la forme de leur contribution .

B. LES FREINS À UN ENGAGEMENT EUROPÉEN PLUS AFFIRMÉ

Si la défense antimissile balistique n'est pas un thème mobilisateur en Europe, c'est que les pays européens et leurs citoyens ne se sentent pas véritablement menacés.

L'Europe a connu sur son sol des siècles de guerres meurtrières et elle a vécu, après le traumatisme du second conflit mondial, dans la crainte d'un nouvel affrontement majeur. Depuis la chute du mur de Berlin, elle s'est appliquée à « encaisser les dividendes de la paix ». Le développement des capacités balistiques à sa périphérie ne paraît pas de nature à modifier cet état d'esprit.

Aux Etats-Unis, la perception psychologique et politique de la menace est toute autre. Ce fait n'est pas nouveau. Un rapport de notre commission évoquait il y a plus de dix ans déjà la forte sensibilisation à la menace balistique d'une « nation en quête d'invulnérabilité et d'insularité » 33 ( * ) .

Face à une menace ressentie comme lointaine, une Europe toujours plus engagée dans le « désarmement budgétaire » ne peut que redouter les coûts induits par les programmes de haute technologie nécessaires à la défense antimissile. Dans ces conditions, pourquoi investir au détriment d'autres priorités - de défense ou non - alors que les Etats-Unis proposent d'assurer l'essentiel de cette protection, de façon gratuite ?

1. Le caractère lointain de la menace balistique
a) La menace balistique : une menace parmi d'autres

La menace balistique est réelle et avérée pour certains pays . Il n'y aucun doute sur le fait que la Corée du Sud et le Japon se sentent menacés par la Corée du Nord. Pas plus sur le fait qu'Israël ou les pays du Golfe aient le même sentiment par rapport à l'Iran ou à la Syrie. L'Inde peut se sentir menacée par le Pakistan et la Chine. Les Etats-Unis se sont sentis menacés par la Russie et la Chine et réciproquement.

Incontestablement, ce sentiment est moins fort en Europe .

Si on veut mesurer la probabilité de la menace balistique, il faut la replacer dans le spectre complet des menaces et s'efforcer de mesurer son occurrence prévisible.

La menace terroriste : le leader d' Al Qaida , Oussama ben Laden, a été éliminé. Son remplaçant - Ayman al-Zawahiri - aura-t-il la même détermination à frapper l'Occident ? Parce qu'ils sont en perte de vitesse et qu'ils ont une grande autonomie par rapport à Al Qaida central les mouvements terroristes de la mouvance jihadiste pourraient chercher à se faire connaître ou reconnaître par des attentats spectaculaires. Dans ce contexte, l'Europe en général et la France en particulier sont des cibles de choix, parce que plus faciles à atteindre que le territoire des Etats-Unis. Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI) détient déjà plusieurs otages français en Afrique subsaharienne. Par ailleurs, compte tenu de la position en pointe prise par la France dans l'adoption de sanctions économiques contre l'Iran, notre pays pourrait être la cible de ses services secrets. Nous n'avons pas oublié les années 1980 et leur attentats atroces que ce soit au Liban - assassinat de l'ambassadeur Louis Delamarre, attentat du Drakkar et ses cinquante huit morts - ou sur le territoire métropolitain. Dans les dix prochaines années, de nouvelles formes de menaces terroristes pourraient émerger, même si la menace d'origine islamiste reste privilégiée.

La menace cybernétique : des cyberattaques ont été menées contre les systèmes d'information critiques des pays occidentaux, comme celle menée en 2007 contre des sites de l'administration estonienne, celle menée contre la Géorgie en 2008, la Corée du Sud en 2009, l'Iran en 2010, ou de grandes entreprises telles Sony ou Lockheed Martin. La France et l'Europe ne sont pas à l'écart de cette menace. En atteste la cyberattaque du ministère français des finances en 2011. Le Royaume-Uni non plus. Son ministre de la défense, Liam Fox a annoncé en mai 2011 qu'elle allait se doter de capacités offensives et plus seulement défensives en matière de cyberguerre et estime que : « le cybermonde fera désormais partie du champ de bataille de l'avenir » 34 ( * ) .

La menace conventionnelle dans le cadre de la participation à des opérations extérieures : affrontements entre les forces armées européennes et des adversaires également conventionnels dans le cadre de conflits asymétriques (Afghanistan) ou dissymétriques (Libye) ou symétriques (attaque conventionnelle contre un allié dans le Golfe persique) ; attaque par ricochet : engagement français dans le cadre d'un accord de défense avec un Etat du Golfe qui nous entraînerait dans un conflit de haute intensité.

Peut-on par ailleurs écarter la menace d'un affrontement entre blocs ? Depuis une décennie la Chine a profondément changé et donne le sentiment d'être en quête de puissance. L'Inde marche sur ses traces. Une compétition stratégique entre la Chine et les Etats-Unis est en cours pour l'accès aux ressources naturelles en Asie centrale, au Moyen-Orient et en Afrique. Au fur et à mesure que la Chine construit sa puissance miliaire, un affrontement de type conventionnel cesse de relever de la fiction en mer de Chine ou pour la maîtrise des détroits. Nous sommes les alliés des Etats-Unis et l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord nous obligerait de la même façon qu'il nous a obligé en Afghanistan. Cette menace est-elle plus ou moins probable qu'une attaque balistique ?

Si l'on demande aux analystes d'établir une hiérarchie parmi les menaces, la plupart répondent intuitivement la menace balistique n'occupe pas la place la plus élevée.

Mais il vrai que cette intuition ne repose sur aucune démonstration, à supposer que la démonstration soit possible. Souvenons nous de l'enseignement socratique : « je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien ». Le simple fait de l'admettre nous rend plus savant que d'autres. L'histoire enseigne l'humilité ; surtout l'histoire récente : 1989 - le mur de Berlin ; 2001 - les attentats du 11 septembre ; 2008 - la crise financière ; 2011 les changements dans le monde arabe. Tous ces évènements ont un point en commun : personne ne les avait anticipés. Le propre de la surprise stratégique est de surprendre.

b) La menace balistique : une menace incertaine

Pour l'Europe en général et la France en particulier, la menace balistique ne semble pas aujourd'hui avérée.

Une menace est en effet la conjonction de deux éléments : la capacité et l'intention.

Or l'Europe est en paix avec les pays qui auraient la capacité de frapper son territoire avec des missiles balistiques : la Russie et la Chine. Et les Etats qui pourraient en avoir l'intention n'en ont vraisemblablement pas la capacité, même s'ils réalisent des progrès dans la maîtrise des technologies.

C'est surtout le cas de l'Iran dont les missiles les plus perfectionnés, les Sejil II , ont une portée de 2.000 km, capable d'atteindre la Turquie, la Grèce, les rives de la mer Noire, mais pas le coeur de l'Europe.

Une capacité ne suffit pas à qualifier une menace. Encore faut-il l'intention de frapper. Or les raisons pour que les forces iraniennes attaquent l'Europe au moyen de missiles balistiques sont, toutes choses égales par ailleurs, assez réduites. En termes d'intérêt relatif, elles disposent sans doute de cibles à plus haute valeur politique dans leur entourage immédiat.

Par ailleurs, l'avenir est par définition fait d'incertitudes. Les préoccupations se focalisent aujourd'hui sur l'Iran, ses activités nucléaires et ses programmes balistiques. Mais quelles seront les dispositions d'esprit des dirigeants iraniens dans dix ans, dans vingt ans ? A l'inverse, peut-on faire le pari de la stabilité du Pakistan, puissance nucléaire avérée et foyer du radicalisme islamiste ?

2. La crainte d'une dérive des coûts dans un contexte de pénurie budgétaire

Vu de la plupart des pays européens, investir dans la défense antimissile balistique paraît tenir d'une équation impossible à résoudre. Il s'agirait de lancer de nouveaux programmes venant s'ajouter à une liste déjà longue de besoins à satisfaire, alors que les budgets sont en baisse.

Les lacunes capacitaires européennes sont identifiées de longue date : transport stratégique, aéromobilité, capacités de frappe de précision longue distance, moyens de renseignement et de surveillance, aptitude à s'intégrer dans le combat en réseau. Apparues au grand jour lors de la guerre du Kosovo, il y a douze ans, on les mesure aujourd'hui en Afghanistan et désormais en Libye. Que ce soit dans le cadre de l'OTAN 35 ( * ) ou de l'Union européenne 36 ( * ) , la mise en place d'objectifs volontaristes n'a pas été suivie de résultats probants.

Au cours de ces derniers mois, pratiquement tous les pays européens ont annoncé des coupes dans leurs budgets de défense pour redresser leurs finances publiques : diminution de 8 % sur quatre ans au Royaume-Uni ; abattement de 3,6 milliards d'euros de 2011 à 2013 par rapport à la loi de programmation militaire pour la France ; réduction de 8,3 milliards d'euros sur quatre ans pour l'Allemagne ; diminution de 10 % à compter de 2011 pour l'Italie ; réduction de 1 milliard d'euros d'ici 2014 pour les Pays-Bas ; diminution de 3,5 % en Espagne, etc ...

Dans ces conditions, il devient de plus en plus difficile de combler les lacunes et, a fortiori , de satisfaire de nouveaux besoins.

La priorité à accorder à la défense antimissile balistique laisse de ce point de vue nombre d'Etats européens sceptiques, d'autant que l'acquisition et plus encore la réalisation de systèmes opérationnels représente des coûts non négligeables .

A titre d'exemples, selon des sources ouvertes, le coût d'un missile SM-3 destiné à un bâtiment de type Aegis serait de l'ordre de 10 millions de dollars pièce, et pour acquérir deux batteries THAAD supplémentaires (soit 6 lanceurs et 48 missiles), le Département américain de la défense a dû engager environ 700 millions de dollars.

Les programmes de défense antimissiles supposent des développements technologiques dont les risques ne sont pas toujours bien maîtrisés. Beaucoup d'entre eux ont subi des dérives sur les délais et sur les coûts , faute d'atteindre les performances attendues.

L'organisme de contrôle budgétaire américain, le General Accounting Office (GAO) souligne depuis plusieurs années les surcoûts et le manque de prévisibilité budgétaire des programmes de la Missile Defense Agency . Dans son rapport de mars 2009, il prévoyait, pour l'ensemble des programmes gérés par la MDA, un surcoût à terminaison compris entre 2 et 3 milliards de dollars.

L'histoire de la défense anti-missile comporte un nombre important d'impasses technologiques . Le KEI ( Kinetic Energy Interceptor ), qui intercepter les missiles balistiques dans leur phase propulsée et qui a été lancé dans les années 1980 a finalement été abandonné en 2009, après une dépense de l'ordre de 4,5 milliards de dollars sur les seules cinq dernières années. Le projet de laser aéroporté ( Airborne Laser Program) - laser chimique à oxygène et à iode installé à bord d'un Boeing 747 - a été également abandonné après avoir coûté 5,2 milliards de dollars au contribuable américain 37 ( * ) .

Les glissements de calendriers et les surcoûts ont joué dans la décision des Etats-Unis de ne pas poursuivre au-delà de la phase de développement le programme MEADS , dans lequel l'Allemagne et l'Italie s'étaient engagées au-delà de 40 % sur un coût total estimé à au moins 4 milliards de dollars. Sans doute ces deux pays ne voudront-ils pas renoncer à l'acquisition de capacités opérationnelles, pour ne pas perdre le bénéfice des montants investis. Mais cette expérience n'est certainement pas encourageante pour les pays européens.

De fait, aucune estimation de coût réaliste ne peut être effectuée sur la totalité de ce que les nations européennes devraient réaliser pour sécuriser une défense antimissile balistique du territoire européen, au-delà de ce qu'apportent les Etats-Unis. L'étude commandée par l'OTAN chiffrait en 2006 à 27 milliards d'euros la couverture complète du territoire européen, hors satellites d'alerte. On ignore aujourd'hui ce que pourrait représenter l'apport américain à l'issue du déploiement de l'EPAA. Il est donc difficile d'évaluer, par simple soustraction, le coût d'une éventuelle contribution européenne complémentaire.

Les interrogations sur le rapport besoin/coût/efficacité des systèmes de défense antimissile et l' accentuation de la pression sur les budgets de défense se conjuguent pour dissuader la plupart des pays européens d'investir dans des programmes, d'autant que la protection du territoire européen semble pour l'essentiel pouvoir être obtenue par le déploiement « gratuit » de capacités américaines.

3. La croyance dans la force de l'Alliance et le caractère inaltérable de l'engagement américain

N'accordant qu'une priorité relative à la menace balistique et confrontés à une crise des finances publiques, les pays européens de l'Alliance atlantique acceptent globalement l'idée que la future défense antimissile de l'OTAN reposera essentiellement sur les moyens américains .

Parler d'une défense de l'OTAN lorsque les moyens sont en réalité apportés quasi-exclusivement par un seul pays peut paraître relever de la fiction. Mais la situation n'était pas très différente dans le domaine nucléaire, avec une planification réalisée au sein de l'OTAN et des moyens principalement américains, même si des dispositions étaient prises pour associer les alliés à cette mission.

Il est évident que du niveau de leur contribution dépendra le degré d'implication et de contrôle des nations européennes dans cette défense antimissile de l'OTAN. Peu d'entre elles paraissent cependant redouter les effets, en termes de souveraineté, d'une participation minimale.

Le Royaume-Uni constitue un cas particulier. Il considère ses intérêts de sécurité étroitement imbriqués à ceux des Etats-Unis et possède de longue date des liens stratégiques étroits avec ces derniers dans les domaines du nucléaire et du renseignement. Le déploiement de capacités antimissiles américaines en Europe - dans ou hors de l'OTAN - semble constituer pour les Britanniques un « non-sujet ».

Beaucoup de nouveaux pays membres de l'OTAN d'Europe centrale et orientale expriment pour leur part une forte demande de ré-assurance de sécurité, au-delà de la garantie fournie par l'article 5 du traité de Washington. La question qui leur importe n'est pas tant de savoir comment le système fonctionnera et par qui il sera contrôlé, que d'établir avec les Etats-Unis un lien de sécurité physique et visible, assorti d'engagements solides.

D'autres membres de l'Alliance enfin ne voient dans l'EPAA que la continuation d'une politique constante d'engagement militaire américain au profit de la défense de l'Europe , l'OTAN restant la manifestation concrète de ce lien transatlantique intangible.

On peut se demander si une telle situation perdurera indéfiniment.

L'intérêt stratégique des Etats-Unis se déplace vers l'Asie de l'Est et du Sud. Quelle priorité accorderont-ils à la sécurité de l'Europe ?

L'opération de « Unified Protector » en Libye constitue pour l'OTAN un cas de figure nouveau, avec une réduction substantielle de la participation américaine dès l'achèvement de la première phase des actions militaires, et un passage de relais aux pays européens. Bien que les Etats-Unis apportent encore un soutien essentiel à cette opération, ce désengagement relatif, encore insuffisant aux yeux d'une partie du Congrès, est peut-être le signe que les Européens doivent s'habituer à ne plus trop compter sur l'aide illimitée des Etats-Unis, surtout à la périphérie de l'Europe. Mais cela montre aussi les limites évidentes des capacités militaires européennes.

Les Etats-Unis font face à un déficit budgétaire et à un endettement croissants qui aura inévitablement des répercussions sur le budget de la défense, et donc sur leur niveau d'engagement militaire auprès de leurs alliés.

La dernière intervention prononcée en Europe par le Secrétaire d'Etat à la défense Robert Gates, le 10 juin dernier à Bruxelles, a eu un retentissement particulier. Estimant que les budgets de défense européens avaient diminué de 15 % depuis le 11 septembre 2001 et dénonçant la situation d'une Alliance à deux vitesses, il a mis en garde les Européens sur les réticences croissantes du Congrès à dépenser les ressources du contribuable américain pour le compte de nations peu disposées à faire les efforts nécessaires pour assumer leur propre défense.

Cette problématique pourrait s'appliquer à la défense antimissile s'il advenait que les Etats-Unis ne réalisent pas l'intégralité des déploiements prévus par l'EPAA ou que ces déploiements n'apportent pas la couverture et le niveau de protection attendu. Les nations européennes seront alors placées devant un choix difficile.

II. UN DILEMME POUR LA FRANCE

Si l'on considère les dix dernières années, on doit constater le décalage entre la lente progression de la réflexion politique et stratégique de la France sur la défense antimissile et la montée en puissance continue de cette problématique au plan international, et singulièrement au sein de l'Alliance atlantique .

Ainsi, la France ne se trouve pas dans la position la plus favorable pour articuler, de manière cohérente et profitable à ses intérêts, sa stratégie de défense et la mise en oeuvre de la défense du territoire européen contre les missiles balistiques décidée à Lisbonne.

Dès lors, elle se trouve face à un dilemme : ne pas se laisser entraîner dans une course dont elle n'a pas les moyens, mais ne pas être déclassée stratégiquement, ni distancée technologiquement.

A. S'ADAPTER AU MIEUX, FAUTE D'AVOIR ANTICIPÉ

Alors qu'elle ne l'avait jusqu'alors jamais envisagé pour son propre territoire, la France a accepté, à Lisbonne, avec tous les autres pays européens de l'Alliance atlantique, le principe d'une protection des territoires et des populations de l'Europe contre les missiles balistiques.

De fait, le Livre blanc , publié mi-2008, deux ans à peine avant le sommet de Lisbonne, ne tranche pas la question d'une défense du territoire national contre les missiles balistiques . Il confirme l'acquisition de moyens de défense de théâtre. Il prévoit le développement d'une capacité d'alerte avancée, mais celle-ci se limite à une fonction de renseignement - surveillance de la prolifération et identification d'un agresseur pour renforcer la dissuasion - et elle n'est pas reliée à la mise en place d'une « défense active » antimissile.

La perspective d'une telle « défense active » est certes évoquée par le Livre blanc. Elle pourrait découler, « à terme », des « efforts collectifs » menés « dans le cadre de l'Union européenne et de l'Alliance atlantique », la France se limitant, à ce stade, à soutenir « la poursuite des études lancées par l'OTAN pour définir l'architecture globale d'un système de défense de l'Alliance atlantique contre les systèmes balistiques à longue portée ».

La planification associée au Livre blanc ne prévoit ni accélération de la mise en place d'une capacité autonome de défense de théâtre, ni lancement d'études ou de développements nouveaux liés à la défense de territoire, hormis l'alerte avancée.

Cette option attentiste a été bousculée par l'annonce de l'EPAA , assortie d'un calendrier précis s'échelonnant de 2011 à 2020, et l'endossement par l'OTAN, dans la foulée, de l'objectif d'une défense antimissile des territoires et des populations.

Le caractère encore embryonnaire de la réflexion stratégique française tient d'abord à des raisons internes. La contrainte financière est une puissante incitation à repousser, voire occulter, le débat sur la défense antimissile. Le débat doctrinal sur l'antagonisme supposé entre dissuasion et défense antimissile a aussi joué un rôle retardateur.

D'autre part, le caractère structurant des initiatives américaines en Europe ne facilite pas l'émergence d'une vision nationale autonome , d'autant que ces initiatives ont varié dans le temps. Au projet de 3 ème site (administration Bush) a succédé l'EPAA (administration Obama), qui n'est peut-être pas l'ultime version d'une future ossature de la DAMB en Europe.

Il est d'autant moins confortable pour la France d'avoir à se positionner, de manière réactive, sur les propositions américaines successives, qu'elle a régulièrement repoussées le moment où elle aurait à prendre position sur la défense du territoire contre les missiles balistiques , et sur la manière d'y parvenir.

Au cours de la dernière décennie, les Etats-Unis n'ont jamais fléchi dans leur détermination à renforcer l'architecture de leur défense antimissile et à y associer leurs alliés, tant pour améliorer la protection de leur propre territoire national que pour consolider leurs alliances autour de nouvelles garanties de sécurité. La question n'était pas tant de savoir si des moyens américains seraient déployés en Europe, mais quand et comment ils le seraient.

Était-il imaginable qu'à Lisbonne, un ou des pays européens fassent obstacle à la décision de développer une défense du territoire contre les missiles balistiques ? Au nom de quels arguments ? Il est clair que l'OTAN ne développera que le C2, pour un coût additionnel apparemment raisonnable. Les moyens seront apportés par les nations sur la base du volontariat, et ceux annoncés par les Etats-Unis sont en mesure d'assurer un certain niveau de protection. Comment cette protection, même incomplète, pouvait-elle ne pas être acceptée ?

Faute d'avoir inclus la défense antimissile dans sa stratégie de défense, la France doit désormais décider comment s'adapter au mieux au cadre établi par l'OTAN, sur la base des projets américains.

B. LA TENTATION D'UNE IMPLICATION A MINIMA

Comme on l'a déjà indiqué, la proposition d'approche adaptative phasée pour l'Europe, articulée sur des systèmes déjà en service apportés par les Etats-Unis et positionnés au plus près de la menace potentielle, a fait franchir un pas décisif aux discussions en cours à l'OTAN depuis 2002 sur le principe d'une défense antimissile des territoires et des populations des pays européens de l'Alliance.

Cette décision politique comporte à ce stade, pour les Etats membres, des engagements limités.

L'OTAN devra réaliser de nouveaux développements en matière de commandement et de contrôle (extension du programme ALTBMD). La décision programmatique, de l'ordre de 200 millions d'euros, devra être approuvée par les nations en 2013.

Quant aux moyens nécessaires à l'architecture d'une future défense antimissile des territoires, rien dans la décision de Lisbonne ne contraint les nations à les réaliser et à les financer. Elles feront l'objet de contributions nationales volontaires. Et les Etats-Unis ont annoncé une contribution nationale qui à elle seule doit permettre de donner corps à l'objectif fixé à Lisbonne.

Il faut rappeler qu'à l'OTAN, toute décision se prend sur la base de l'unanimité.

Ainsi, il est tout à fait possible pour la France de ne pas s'engager au-delà du financement en commun des fonctionnalités nouvelles requises pour le commandement et le contrôle (C2) . De surcroît, son accord sera requis, comme celui des toutes les autres nations, avant de lancer ce programme qui devra être approuvé par le Conseil de l'Atlantique Nord en 2013.

Se limiter au financement du C2, soit environ 12 % d'une dépense évaluée à 200 millions d'euros sur dix ans, constituerait pour la France une implication a minima .

La France n'a pas identifié la menace balistique sur son territoire national comme une priorité. Elle dispose d'une capacité de dissuasion, mais aussi de possibilités de rétorsion conventionnelle. Dès lors, ne faut-il pas préserver nos ressources financières pour satisfaire les autres besoins d'équipement ?

Cette option mérite d'être évoquée.

1. Quel besoin militaire et quelle efficacité ?

La menace balistique à laquelle la France s'estime aujourd'hui confrontée relève des missiles à courte portée qui pourraient atteindre ses forces déployées en opération ou sur des bases permanentes. Ce besoin militaire est pris en compte par le développement de capacités de défense antimissile de théâtre. Avec le programme SAMP/T, la France doit étendre sa défense sol-air à la menace des missiles à courte puis à moyenne portée. Son intérêt commande également de mener à bien le programme ALTBMD de l'OTAN, afin de rendre ses capacités interopérables avec celles des alliés et de tirer le bénéfice, en opérations, de l'intégration des différents moyens apportés par les nations.

Une menace sur le territoire national n'est envisagée qu'à plus long terme, en fonction du rythme de progression des programmes balistiques des pays susceptibles d'entrer en conflit avec la France ou ses alliés.

Une attaque balistique sur le territoire national impliquerait très certainement une charge nucléaire ou chimique, voire biologique, afin d'en maximiser les effets. On ne peut toutefois exclure qu'elle s'effectue avec des charges conventionnelles si un objectif psychologique et politique était privilégié. Dans les deux cas, elle serait d'une autre nature qu'une frappe visant nos forces sur un théâtre d'opérations.

Pour la France, ce type d'attaque relève d'abord de la stratégie de dissuasion. Notre pays s'estime à l'abri de toute attaque balistique à l'aide de missiles de type ICBM ou MRBM, car dans ce schéma, l'assaillant serait certain d'essuyer une riposte nucléaire. La DAMB semble donc inutile. Elle ne devient intéressante militairement pour nous que dans deux cas de figure : une attaque balistique de niveau moindre (SRBM) sur nos forces déployées afin de nous envoyer un signal ou nous empêcher de participer à une action militaire d'entrée en premier ; une attaque balistique de niveau importante (ICBM), dans le cadre d'une décision irrationnelle (dissuasion du fou au fort). En clair, seule la DAMB de théâtre présente un intérêt certain.

Les autres pays européens de l'OTAN, Royaume-Uni excepté, se trouvent, de ce point de vue, dans une situation différente de la nôtre. Certes, ils bénéficient de la garantie nucléaire américaine. La présence d'armes nucléaires tactiques américaines en Europe en est un signe visible, bien que la question du maintien et du renouvellement de ces armes soit aujourd'hui posée. En tout état de cause, ces pays européens peuvent légitimement se demander dans quelle mesure cette garantie des Etats-Unis est suffisamment certaine pour dissuader toute agression contre leur territoire.

La France dispose également de capacités de rétorsion conventionnelles, notamment de frappe à longue distance (missiles de croisière), plus développées que la plupart des autres pays européens. Elle dispose également d'un porte-avions qui permet une projection de puissance non négligeable, même si elle n'est pas aujourd'hui permanente.

Tous ces éléments relativisent le besoin militaire d'un système de défense contre les missiles à longue portée, d'autant qu'il ne garantirait pas une protection à 100 %.

Le degré d'efficacité d'une défense contre les missiles à longue portée reste en effet à démontrer. Sans doute les investissements considérables réalisés depuis des années par les Etats-Unis se traduisent-ils par une réelle amélioration des performances. Toutefois, il est difficile d'apprécier les taux de réussite affichés pour les différents essais, car ils dépendent évidemment des conditions dans lesquelles ces essais ont été réalisés et de la part prise par des paramètres préétablis. Une chose est d'intercepter une cible dont les caractéristiques sont connues et dont la mise en oeuvre obéit à un scénario relativement simple. Une autre est de parvenir au même résultat sur un missile produit par un Etat hostile et intégrant des capacités de leurrage, même limitées.

2. Les risques d'une course à la technologie et le syndrome JSF

Un deuxième argument en faveur d'une implication a minima tient au risque d'envolée des coûts et d'épuisement dans une course technologique sans fin.

La participation au financement commun de l'extension du programme ALTBMD, sur la base d'un coût approximatif de 200 millions d'euros sur dix ans, reste abordable et finançable pour la France, car sa clef de contribution au budget d'investissement de l'OTAN est de l'ordre de 12 % (11,62 % en 2011).

Une contribution nationale en nature impliquerait des financements d'un tout autre niveau, qu'il s'agisse de senseurs et plus encore d'intercepteurs.

Aujourd'hui, les coûts de tels systèmes demeurent très incertains, car ils dépendent du niveau de performance exigé et supposent des développements technologiques ambitieux.

Le programme américain abonde en exemples de dérive des coûts sur les programmes liés à la défense antimissile.

Au-delà de ce risque pointe une autre inquiétude : voir la défense antimissile absorber une part croissante des financements de recherche et technologie sans garantie d'atteindre les objectifs affichés.

On attribue souvent au projet de « guerre des étoiles » du président Reagan une part dans l'effondrement de l'Union soviétique, la compétition technologique ayant abouti à un épuisement économique.

On peut comprendre la circonspection des pays européens, et de la France en particulier, à la perspective de s'engager dans une compétition de ce type, que ce soit à titre strictement national ou dans le cadre d'une coopération transatlantique.

C'est ce que l'on pourrait appeler le « syndrome JSF » . Cinq pays européens (Royaume-Uni, Italie Pays-Bas, Norvège et Danemark) se sont engagés dans ce programme d'avion de combat américain à hauteur de plus de 4 milliards de dollars (dont 2,4 milliards de dollars pour le Royaume-Uni, partenaire de niveau 1). Ils doivent aujourd'hui faire face aux retards de ce programme et à l'envolée des coûts. Le Royaume-Uni a d'ores-et-déjà réduit sa commande à 50 appareils (au lieu de 128). Les Pays-Bas devraient faire de même. Dans le même temps, ce programme américain a provoqué un « assèchement » des budgets de recherche au détriment de l'industrie aéronautique européenne, sans retombées tangibles pour les industries des pays impliqués.

3. Un contexte budgétaire contraint

La planification financière associée au Livre blanc a intégré la réalisation d'une capacité d'alerte avancée (satellite d'alerte et radar très longue portée) qui peut s'intégrer dans une future défense antimissile territoriale de l'OTAN. Cette capacité a d'ailleurs été mentionnée comme contribution nationale potentielle de la France dans le cadre des travaux de l'OTAN, avant et depuis le sommet de Lisbonne.

Elle n'a pas prévu de programmes de recherche majeurs, ni a fortiori de développements, dans d'autres domaines liés à la défense contre les missiles de longue portée, notamment en matière d'interception.

Le budget des études amont, qui finance les programmes de recherche et technologie contractualisés avec l'industrie, plafonne autour de 700 millions d'euros par an, bien en deçà du milliard d'euros annuel considéré comme nécessaire pour maintenir et développer nos compétences technologiques.

Depuis le Livre blanc, le contexte budgétaire s'est dégradé .

La loi triennale de programmation des finances publiques a prévu un abattement de 3,6 milliards d'euros sur le budget de la défense, par rapport au niveau fixé par la loi de programmation militaire, dont on espère qu'il pourra être en partie compensé par des recettes de cessions immobilières et de fréquences au caractère néanmoins aléatoires.

Ainsi, la trajectoire financière s'écarte sensiblement de celle de la loi de programmation militaire alors que la réalisation des objectifs du Livre blanc impliquerait une augmentation du budget de la défense de 1 % par an en volume, c'est-à-dire au-delà de l'inflation, à compter de 2012 jusqu'en 2020.

On peut présager une accentuation des tensions entre nos moyens financiers et nos ambitions : demeurer une puissance militaire globale, présente sur la totalité du spectre des capacités militaires et disposer, en quantité et en qualité, d'un volume de forces en rapport avec le rôle que nous voulons jouer au plan international.

Dans ce contexte, le financement de la capacité d'alerte avancée exigera un effort important.

Une contribution nationale plus conséquente à la défense antimissile territoriale de l'OTAN devrait être financée :

- soit par le renoncement à d'autres programmes d'équipement, et il faudrait dire lesquels ;

- soit par une réduction supplémentaire du format des armées, et donc de nos engagements extérieurs et déploiements hors métropole ;

- soit par une augmentation du budget de la défense, au risque d'entrer en conflit avec l'objectif général de réduction du déficit public ;

- soit par une combinaison de ces différentes solutions et d'éventuelles coopérations européennes que rien ne permet aujourd'hui d'escompter.

Les arguments financiers ne jouent pas, on le voit, en faveur d'une décision en ce sens.

Mais il faut également voir ce que seraient, pour la France, les conséquences d'une implication a minima .

C. L'INTÉRÊT D'UN ENGAGEMENT EN NATURE

L'implication a minima est sans doute celle vers laquelle s'orientent plusieurs alliés européens, faute de moyens ou faute d'intérêt à rechercher, à travers une contribution nationale, des bénéfices politiques ou des contreparties industrielles.

Pour la France, une telle option ne pourrait être prise que par défaut, pour des raisons financières, car elle reviendrait à accepter un déclassement relatif de notre pays aux plans stratégique et technologique, tout en créant des interrogations sur l'avenir de notre dissuasion.

1. Préserver notre autonomie et notre posture stratégique

L'autonomie stratégique est une constante de la politique de défense de la France depuis plus de cinquante ans. Cette autonomie repose d'abord sur des capacités réalisées grâce à un effort national de défense. Elle n'est pas incompatible avec des engagements multilatéraux de sécurité, dans l'OTAN et un jour peut-être dans l'Union européenne, dès lors qu'ils s'effectuent dans des conditions permettant de préserver nos intérêts de sécurité et notre souveraineté.

L'OTAN est une alliance multilatérale fonctionnant sur le principe de l'unanimité et soumise au contrôle politique des nations.

La défense antimissile territoriale constitue toutefois une fonction sans équivalent par rapport à celles que l'OTAN exerçait jusqu'alors . Elle ne sera pas mise en oeuvre selon des modalités comparables à celles d'une opération expéditionnaire de l'OTAN, ni même d'une opération de guerre conventionnelle décidée dans le cadre de la défense collective.

Elle s'en distingue par les délais de réaction extrêmement brefs exigés en cas d'attaque balistique, et donc la nécessité d'opérer des délégations d'autorité. Mais aussi parce que cette fonction pourrait en pratique reposer sur un seul allié : celui qui dispose des moyens de détecter, de suivre et d'intercepter des missiles à longue portée.

Sans contribution ou compétence autre que celle des Etats-Unis dans les couches hautes de la bataille balistique, une chaîne de commandement alliée n'aurait guère de raison d'être. Il s'agit pourtant de la protection des territoires et des populations des nations européennes.

Pour nous Français, déléguer complètement la protection de notre territoire et de nos populations à un autre pays, même allié et ami, serait en quelque sorte entrer dans un nouvel univers mental.

Préserver notre autonomie, en ayant accès à la connaissance de la situation et aux modalités de fonctionnement du système , serait une première raison d'apporter des moyens nationaux à la défense antimissile territoriale. C'est du reste ce que nous envisageons de faire avec une future capacité d'alerte avancée.

Par ailleurs, la défense antimissile balistique s'impose dorénavant comme un élément structurant des rapports de force stratégiques dans le monde.

Outre les Etats-Unis, les principales puissances disposent de capacités en la matière, prévoient d'en acquérir ou mènent des recherches. Faire l'impasse sur la défense antimissile reviendrait pour la France, membre permanent du Conseil de sécurité et puissance nucléaire, à accepter un affaiblissement relatif de sa posture stratégique.

Cette situation affecterait l'Europe dans son ensemble à travers l'une de ses deux principales puissances militaires.

2. Maintenir la crédibilité de notre force de dissuasion

Le développement des capacités de défense antimissile contre les missiles à longue portée concerne directement les puissances nucléaires. C'est le cas de la Russie. Mais aussi de la France.

La connaissance de la détection et de l'interception ne conditionne-t-elle pas l'efficacité des systèmes offensifs ?

Cette idée est discutée. La défense antimissile s'adresse pour l'instant à une menace balistique « rustique » ou peu sophistiquée. Elle est semble-t-il très loin de pouvoir contrer les missiles intercontinentaux de puissances nucléaires majeurs, et ce n'est d'ailleurs pas son ambition aujourd'hui. On peut également rappeler que la problématique de pénétration des défenses a été prise en compte de longue date par les concepteurs de la dissuasion française. La nécessaire pérennisation de ces compétences n'implique pas nécessairement d'en développer d'autres dans le domaine de l'interception.

Néanmoins, il est difficile de croire que l'on pourrait maintenir la crédibilité de notre dissuasion sur le long terme en restant à l'écart des développements intéressant la défense antimissile. L'investissement continu des Etats-Unis, mais aussi demain, peut-être, celui d'autres puissances comme la Chine, génèreront inévitablement des progrès sur les technologies de l'interception.

Le déploiement dans les années à venir de systèmes de défense antimissile exo-atmosphériques constituera un défi pour notre force de dissuasion. L'ignorer serait la fragiliser.

3. Capitaliser sur les avantages compétitifs de notre industrie

La défense antimissile place également notre industrie de défense face à un redoutable défi. Il s'agit d'une formidable locomotive de développement technologique susceptible d'engendrer de nombreuses retombées dans tous les domaines liés à la défense et au-delà.

Rester à l'écart reviendrait non seulement à priver l'industrie de défense française d'une opportunité, mais à lui faire perdre du terrain, en termes de niveau technologique et de compétitivité, par rapport aux acteurs industriels impliqués dans ces programmes.

Or nos industriels disposent d'une large gamme de savoir-faire leur permettant de travailler sur les différentes composantes de la défense antimissile : missiles d'interception, radars et systèmes de C2.

Pour ce qui est de la filière missile, la DAMB fait appel aux technologies les plus avancées. Le savoir-faire des missiles d'interception nécessite une parfaite maîtrise des fonctions pilotage, guidage et propulsion. L'interception de menaces à grande vitesse ne peut être réalisée qu'avec des missiles à forte manoeuvrabilité, animés eux-mêmes d'une vitesse plus importante que celle du missile assaillant et dans un temps extraordinairement bref. C'est le domaine d'interception à grande dynamique qui nécessite :

- un pilotage très réactif pendant toutes les phases de vol afin d'assurer au plus vite le positionnement vers la cible désignée ;

- un guidage final précis pour assurer l'impact direct sur la cible ;

- un système de propulsion adapté et optimisé pour obtenir la vitesse nécessaire, participer au pilotage  et pour permettre les séparations d'étage si nécessaire.

Ces trois grandes fonctions sont donc essentielles pour l'ensemble des missiles d'interception ; elles sont donc critiques.

De façon générale, plus l'interception doit se dérouler avec des vitesses de rapprochement élevées, plus les technologies permettant d'assurer les fonctions critiques seront supportées par des technologies de pointe, c'est-à-dire des technologies assurant des performances supérieures à celles maitrisées à ce jour.

Ce qui signifie que la maîtrise de ces fonctions critiques dans un domaine « à grande dynamique », tel que le domaine d'interception à haute altitude est un levier puissant de compétitivité de l'industrie des missiles d'interception, parce qu'elle permet d'envisager des retombées technologiques et industrielles pour des applications moins exigeantes en termes de performances.

Par voie de conséquence si la France, dont les compétences industrielles couvrent l'ensemble du spectre de la DAMB, ne participe pas aux systèmes d'interception de la menace balistique, alors l'écart technologique et industriel sera tel que l'industrie missilière française ne pourra plus rivaliser avec celle de ses grands compétiteurs.

Sans programme structurant de système d'interception sur la DAMB, la France prendrait la voie de la dépendance technologique et serait, de plus, exclue des marchés export qui représentent aujourd'hui un domaine d'excellence de son industrie.

*

* *

Le dilemme réside donc pour la France dans la nécessité de ne pas s'engager dans des voies inutiles et coûteuses, qui ne correspondent ni à ses besoins, ni à ses moyens, sans pour autant sacrifier ses intérêts stratégiques, qu'ils soient politique, militaire ou industriels.

CHAPITRE III

LA NÉCESSITE DE FAIRE DES CHOIX - RAPIDEMENT

I. LES CARTES DE LA FRANCE

En avril 2008 , les sociétés Thales, MBDA, Safran ont remis au délégué général pour l'armement (DGA) de l'époque, M. François Lureau, une « feuille de route » commune visant à l'évolution des systèmes de la famille Aster et des radars associés. Des oppositions se sont alors faites jour en faveur d'une solution exo-atmosphérique proposée par EADS/Astrium autour du projet Exoguard . Le résultat en a été le blocage du processus décisionnel politique.

En janvier 2010 , le ministre de la défense, M. Hervé Morin, a mandaté la DGA pour réunir les quatre industriels les plus impliqués (Astrium, MBDA, Safran, Thales) pour préparer un programme de travail dénommé « projet fédérateur industrie » suivant une cohérence d'ensemble. Ce programme devrait fournir à l'Etat un ensemble d'éléments lui permettant de faire un choix. Plusieurs études ont été fournies à la DGA, mais aucune décision ne semble avoir été prise, en dehors de celle consistant à lancer un programme d'études amont avec un périmètre limité à de premiers travaux dans le domaine des systèmes de commandement et de contrôle pour accompagner la décision politique du sommet de l'OTAN à Lisbonne.

La concurrence entre les industriels, poussant deux sujets concurrents fondés sur des options d'interception différentes a assurément favorisé la procrastination du pouvoir politique, mais elle n'en est pas l'unique responsable. C'est d'autant plus regrettable que la France est le seul pays d'Europe dont les industriels sont susceptibles de maîtriser l'ensemble des technologies de la DAMB.

A. L'ARCHITECTURE ET LE C2

Qu'on les appelle « C2 DAMB », « BMC3I » « US C2BMC » ou encore « C2 ALTBMD », les systèmes de commandement et de contrôle sont au coeur de l'équation antimissile actuelle en ce qu'ils traduisent une conception d'ensemble de la bataille balistique, que l'on nomme « architecture ».

Être architecte d'un système de défense c'est, à partir d'une connaissance fine des menaces données, être capable de concevoir les systèmes de commandement et de contrôle des différents effecteurs, compatibles avec les règles de commandement définies au niveau politique et militaire et susceptibles d'aboutir à une interception réussie.

1. La compétence d'architecture

La compétence système et d'architecture à savoir l'expertise technique pour concevoir, assembler et mettre en oeuvre un système de défense active s'appuie sur trois compétences indispensables aux développements à venir du C2 DAMB et pour lesquelles les industriels Thales et Astrium et l'expert étatique ONERA apportent, chacun dans leur domaine, une compétence scientifique et industrielle importantes :

La connaissance de la menace , non seulement des vecteurs eux- mêmes mais surtout du domaine de vol opérationnel et des objets mis à poste, de leurs caractéristiques et de leurs signatures.

La compétence d'alerte avancée qui permet d'identifier d'où et quand part la menace, de savoir quelle est sa nature, et d'estimer son point d'impact.

La compétence d'interception qui suppose de maîtriser les technologies, l'environnement spatial et l'intégration opérationnelle de ces technologies.

Menés depuis 2001 dans le cadre de l'OTAN, des études de faisabilité ont été menées aussi bien dans le cadre de la défense de théâtre (ALTBMD) que celui de la défense de territoire.

S'agissant de la défense de théâtre , les études de faisabilité ont été lancées en mai 2001. Après avoir été attribuées à deux équipes conduites par des entreprises américaines, mais associant des industriels européens. Ainsi, EADS Launch Vehicles (aujourd'hui Astrium Space Transportation) participe au consortium conduit par la société d'ingénierie SAIC (Science Applications International Cooperation) et Boeing, alors que MBDA participe à celui mené par Lockheed-Martin. Les solutions techniques proposées par ces deux études seront combinées pour définir une future architecture de défense antimissile de théâtre.

Concernant la défense de territoire , l'étude de faisabilité prévue dans la déclaration de Prague a été attribuée début 2004 à un consortium international mené par SAIC, déjà impliqué dans le programme ALTBMD. Outre les industriels américains Boeing et Raytheon, le consortium comprend plusieurs sociétés européennes, dont EADS Space Transportation (aujourd'hui Astrium Space Transportation) et Thales.

Ces travaux consistent à réaliser des simulations de déploiement et d'engagement de tous les systèmes existants ou pouvant être développés, contribuant à la défense contre les missiles balistiques : satellites d'alerte avancée, radars d'alerte avancée, radars d'alerte et de conduite de tir, senseurs aéroportés, systèmes de commandement et moyens de communication, systèmes intercepteurs navals et terrestres. Les menaces potentielles sont également simulées.

Toutes les données de simulation de ces systèmes sont analysées par les agences de défense des pays participant aux programmes. S'agissant de travaux non engageants, la France a proposé que soient notamment pris en compte pour les études, les concepts d'intercepteurs Exoguard et Aster Block II en tant que futurs systèmes potentiels. Compte tenu du niveau de partage d'information limité entre les nations sur leurs programmes, il est difficile de critiquer et comparer les performances annoncées des intercepteurs américains.

Les résultats des études (classifiés Secret OTAN) donnent l'efficacité obtenue (probabilité de protection d'une zone défendue) pour plusieurs déploiements possibles de ces systèmes sur un territoire (ou un théâtre d'opérations), en fonction d'une cartographie de menaces spécifiées, et permettent de définir une politique d'engagement.

Depuis 2001, et pour trois contrats consécutifs, faisant suite à une mise en compétition internationale, l'équipe SAIC (US) associant Astrium, Thales et la filiale française de la joint venture Thales-Raytheon System (TRS) a été choisie comme contractant principal de l'OTAN pour ces travaux.

La présence et le rôle de nos industriels semblent appréciés par l'OTAN et par les Etats-Unis, leur crédibilité reposant sur la connaissance depuis de nombreuses années de la bataille balistique, depuis la connaissance de la menace et des systèmes de défense, jusqu'à la compréhension de la problématique globale (espace-temps, déploiement-engagement, rentrée...) grâce aux outils de simulation de toutes les composantes du système de défense.

La France dispose ainsi au travers d'Astrium, de Thales et de TRS France de systémiers capables de jouer un rôle significatif dans la construction de la DAMB.

2. La compétence C2

Le C2 sera le liant permettant de faire communiquer entre eux tous les senseurs d'alerte avancée (satellites et radars d'alerte avancée), les effecteurs et les senseurs. Il permettra à partir de cette information et selon les règles de commandement préalablement établies, de décider de la meilleure interception, c'est-à-dire celle qui aura le plus de probabilité de succès en fonction de la menace caractérisée, tout en limitant les conséquences collatérales (débris).

Fonctionnellement, le C2 permettra de préparer et de mener la bataille balistique, à partir de la tenue d'une situation actualisée vingt-quatre sur vingt quatre. Vos rapporteurs ont eu l'occasion de voir le projet de « battle lab » d'EADS Astrium.

Techniquement, on ne sait pas encore ce que sera le BMC3I de l'OTAN, mais l'expérience accumulée sur l'ACCS par les industriels français et tout particulièrement Thales/TRS France permet d'avoir une idée de ce que cela pourrait être. L'ACCS est un C2 de niveau continental intégrant les fonctions C2 pour toutes les opérations aériennes : air defense, offensive mission planning , air support . Il est interopérable avec les nations de l'OTAN, leurs armées de terre, de l'air et leurs marines. Il comporte des éléments déployables pour les opérations Nato Response Force , les task forces interarmées internationales et les opérations de paix. Le logiciel assure une très large interopérabilité entre sept systèmes principaux existants et de nombreux autres systèmes secondaires, en particuliers trois cents senseurs de quarante-huit types différents, déployé sur un théâtre d'opérations de 160 millions de km² de la Norvège à la Turquie. Le logiciel intégré comporte environ 12 millions de lignes de codes, 160 protocoles de messagerie et d'interface et 500 positions d'opérateurs remplissant 58 rôles différents.

Dans le chantier antimissile de l'OTAN, l'architecte américain discutera avec les ouvriers européens. Mais ce discours sera déséquilibré. Pour que le discours soit fructueux, il faudrait un architecte européen ou au minimum que les Européens soient capables de penser le chantier dans son ensemble et de lire les plans du bâtiment afin de donner un avis éclairé et, le cas échéant, suggérer des solutions alternatives. Or, la France dispose d'architectes (Thales - TRS France - Astrium) et peut éventuellement en faire bénéficier l'Europe.

B. LES PROJETS CONCERNANT L'ALERTE AVANCÉE

1. Le satellite d'alerte avancée infrarouge - successeur du programme Spirale

Spirale n'était pas un programme d'armement mais un démonstrateur technologique composé de deux satellites orbite de transfert géostationnaire, c'est à dire une orbite fortement elliptique dans le plan de l'équateur. Il a permis de collecter un certain nombre d'images infrarouges de la Terre pour mieux comprendre les phénomènes physiques en jeu et pour valider certains choix dimensionnants pour le futur programme d'alerte avancée. Ces satellites ne disposaient d'aucune capacité opérationnelle et n'ont servi qu'à des fins d'expérimentations.

Outre sa fonction de démonstrateur, Spirale avait pour mission de constituer une banque de données de « fonds de terre », permettant de spécifier le programme successeur.

Une plateforme de simulation complète de la chaîne d'alerte a également été développée. Elle a permis d'exploiter l'ensemble des données recueillies par les démonstrateurs Spirale et de valider les premiers dimensionnements d'un futur système d'alerte spatiale.

La mission Spirale s'est achevée en février 2011 avec la passivation et la désorbitation des deux satellites. Le projet s'est arrêté fin mai par la remise de la base de données et des résultats quantifiant les performances que pourrait offrir un futur système opérationnel.

Le coût d'un programme de satellite d'alerte avancée pourrait osciller entre 600 millions d'euros et un milliard d'euros. Dans les différents exercices de projection budgétaire du ministère sur la période 2011-2020, la DGA avait retenu le chiffre de 733 millions d'euros, qui ne peut être assimilé à un devis, mais à une provision, d'autant que ce montant a été établi sans que les caractéristiques techniques et opérationnelles du satellite soient précisément définies. Le ministère de la défense établira, conformément aux processus en vigueur, une première fourchette de coût du système à l'issue du stade d'initialisation (premier semestre 2012) mais plus encore à l'issue du stade d'orientation (horizon 2014).

Le projet qui a été présenté à vos rapporteurs prévoit un seul satellite géostationnaire qui sera nécessairement focalisé sur une zone géographique assez vaste 38 ( * ) . La DGA a notifié fin mai, deux études d'architecture des systèmes d'alerte avancée, à Thales Alenia Space associé à TRS et à EADS Astrium (Astrium Space Transportation et Astrium Satellites). Les premiers résultats de ces études, attendus d'ici la fin d'année, permettront d'évaluer avec précision les zones de couverture possibles par le satellite d'alerte, en fonction des missions retenues pour le système complet.

La DGA a confirmé à vos rapporteurs que la France est prête à envisager un partenariat avec des pays européens pour la composante spatiale, notamment pour la réalisation d'un deuxième satellite. Plusieurs démarches ont été entreprises en ce sens, vers l'Allemagne et vers l'Italie en particulier.

Toutefois, le retard induit par le montage d'une coopération pour la réalisation du premier satellite conduirait en effet à ne plus être en mesure de respecter l'objectif de mise en service en 2020 visé par le Livre blanc et annoncé à l'OTAN.

2. Le radar à très longue portée

Le radar à très longue portée (TLP) est un projet développé par Thales sur la base d'études amont qu'il a réalisées avec l'ONERA. Il repose sur une architecture transportable.

Avec les mêmes réserves et précautions que précédemment, le coût d'un radar TLP ne devrait pas excéder 200 millions d'euros, pour une face unique assurant une surveillance de 120° de la menace. Pour une surveillance tous azimuts, comme à Fylingdales 39 ( * ) il en coûterait entre deux et trois fois plus.

L'installation d'un radar très longue portée suppose donc que la menace soit identifiée de 120° en azimut et que son emplacement soit choisi en fonction de sa portée et de la trajectoire anticipée. C'est la raison pour laquelle, le projet prévoit la transportabilité des éléments du radar.

Il est prévu la construction d'un démonstrateur 1/8 eme à brève échéance sur le territoire français.

3. La complémentarité ou la substituabilité des deux projets

Le satellite ne voit que la phase propulsée, au dessus des nuages. Il permet de détecter l'origine du tir. Son rôle est plus large que la défense antimissile. Il participe à la surveillance de la prolifération et à la crédibilité de la dissuasion, par l'identification certaine de l'agresseur (voir avant-propos - notions de base).

Le radar TLP est indispensable dans une optique DAMB car il assure une fonction de trajectographie fine que ne peut remplir le satellite géostationnaire.

Tels qu'ils ont été conçus, le satellite d'alerte avancée et le radar TLP sont donc complémentaires et permettent une extension du domaine surveillé : le satellite détecte essentiellement la menace longue portée et le radar la menace courte et moyenne portée, à condition toutefois qu'ils surveillent la même zone. Un radar TLP installé sur la rive occidentale du Golfe persique ou en Turquie, permettrait de surveiller l'Iran et serait complémentaire d'un satellite d'alerte avancée centré sur ce pays.

4. La compétence de la France en matière systèmes de détection coopératifs

Dans le domaine de la défense aérienne navale DCNS a développé le concept de tenue de situation multi plates-formes (TSMPF). Ce système a vocation à apporter un accroissement de capacité de veille et de tenue de situation air et surface (3D, 2D) en temps réel, en élaborant une situation tactique air et surface basée sur les détections brutes de tous les senseurs de la force déployée. La tenue de situation multi plate-forme (partie détection du Multi Platform Engagement Capability ) est la composante navale indispensable de la mise en réseau des forces ( Network Centric Warfare ) sur tout théâtre.

Le besoin existe aussi bien en haute mer qu'en zone littorale. Il s'agit de passer de la notion de système de combat d'un navire à celle de système de combat d'une force déployée, exploitant tous les senseurs du dispositif, qu'ils soient sur les plates-formes navales, aériennes ou à terre. L'objectif est de permettre à terme d'engager plusieurs menaces à partir d'une situation temps réel enrichie et diffusée à l'ensemble des plates-formes d'un théâtre d'opération. Le pistage utilise la fusion de plots, avec des pistes enrichies (issues de radars, de détecteurs infrarouge et de détecteurs de radar - ESM).

En haute mer, la TSMPF apporte une capacité supplémentaire vitale dans la fonction de défense aérienne à la force navale, particulièrement en cas de combat de haute intensité, face aux menaces saturantes TSMPF est une alternative pour les nations alliées (à priori la seule) au système américain CEC fonctionnant selon le principe de la « boite noire ».

C. LES EFFECTEURS

1. Le SAMP/T - le bas endo-atmosphérique
a) Le programme actuel
(1) Caractéristiques générales

Le système sol-air moyenne-portée/terrestre (SAMP/T) est un programme destiné à assurer la défense terrestre de zone. Il utilise le radar de conduite de tir Arabel et le missile Aster 30 terrestre . Il a une capacité de lutter contre tous les types de cibles aériennes modernes y compris les missiles balistiques de courte portée et les missiles de croisière. Dans les forces depuis 2009, il assure la défense antiaérienne du corps de bataille, la défense des bases aériennes et des points fixes de valeur. Il constitue la contribution franco-italienne à la première capacité du programme ALTBMD.

Le SAMP/T a une capacité défensive contre :

- des menaces conventionnelles (avions, missiles de croisière subsoniques et supersoniques, drones,...) jusqu'à 50 km voire 100 km pour les avions non manoeuvrants ;

- - des missiles balistiques tactiques type Scud mono-étage de portée inférieure à 600 km jusqu'à 10 km, sur désignation d'objectifs.

Le système SAMP/T Français est constitué des éléments suivants :

• Le Module Radar et IFF (MRI) : constitué notamment du radar multifonctions Arabel (en bande X) qui assure la détection et la poursuite des cibles puis, lors de l'engagement de la cible par le missile Aster , transmet périodiquement vers le missile en vol les données (position, vitesse,..) de désignation de la cible engagée. Il comprend également un moyen IFF d'identification ami-ennemi.

• Le Moyen de Génération Electrique (MGE). Ce module assure l'alimentation électrique du MRI

• Le Module d'Engagement (ME) : Il constitue le noyau central du système et comprend des équipements de transmissions internes et externes, les calculateurs et les consoles permettant aux officiers de tirs de contrôler le fonctionnement en temps réel de l'ensemble des éléments du système. Grâce au logiciel C2 ( Command & Control ) implanté dans les calculateurs du ME, le ME assure la décision d'engagement ainsi que la mise en oeuvre de la politique de tir des missiles Aster 30 Block 1 contre les menaces visant la zone à défendre.

• Les Modules de Lancement Terrestre (MLT) : Chaque MLT comporte huit munitions Aster 30 Block 1 (la version Block 1 actuelle de la munition intègre une première capacité antibalistique en complément des performances exceptionnelles face aux menaces conventionnelles de l' Aster 30 ). Jusqu'à six lanceurs MLT peuvent être reliés au ME par une liaison radio ou par fibre optique. La France a commandé 4 MLT par système SAMPT.

• Les Modules de Rechargement Terrestre (MRT). Chaque MRT assure l'emport de huit munitions Aster 30 Block 1 .

Il existe une variante au Système SAMPT Français, c'est la version italienne qui inclut en supplément un module de commandement pour assurer la fonction :

• de l'optimisation du déploiement ;

• du cadrage de la mission ;

• de la gestion logistique des missiles et des réparations.

Cette fonction est assurée en France par le poste de commandement section, qui est indépendant du SAMP/T.

On décompose le système SAMP/T en 3 sous-systèmes :

• Les modules ME, MRI et MGE constituent le sous-système Conduite de Tir, de responsabilité Thales Air Systems (TR6)

• Les modules MLT et MRT composent le Sous-système de Lancement Terrestre, de responsabilité MBDA Italie

• La munition Aster 30 Block 1 constitue le troisième sous-système, de responsabilité MBDA France. Elle comprend un conteneur qui intègre le missile composite formé de l'accélérateur largable et du missile terminal. Les munitions Aster 30 Block 1 sont assemblées en paquets de 2 munitions (P2M) pour être fixés sur les modules de lancement et de rechargement. Le missile terminal A ster dispose du système de pilotage « PIF-PAF » (Pilotage en Force - Pilotage Aérodynamique Fort) mis en oeuvre dans l'ultime phase d'interception pour réduire significativement la distance de passage à la cible et assurer une efficacité d'interception très élevée. Le système PIF-PAF associe au pilotage aérodynamique classique des missiles d'interception (avec toutefois un niveau de manoeuvres aérodynamiques très élevé) la réalisation d'une force latérale propulsive (générée par le propulseur PIF) au centre de gravité du missile terminal dotant ainsi le missile d'une réponse aux commandes de pilotage très rapide.

(2) Les performances

Contre cibles conventionnelles

Contre ces menaces, le SAMP/T dispose de performances exceptionnelles au regard des systèmes concurrents de défense sol-air moyenne portée de nouvelle génération. Il peut intercepter les avions les plus manoeuvrants jusqu'à une distance de quelques dizaines de km et jusqu'à plusieurs dizaines de km pour les avions faiblement manoeuvrants. Contre les missiles de croisière, les distances maximales d'interception sont également exceptionnellement élevées.

Contre cibles balistiques

L'interception des cibles balistiques (missiles balistiques mono-étage de portée inférieure à 600 km) nécessite, en complément du SAMP/T, un radar de surveillance (ou de détection avancée : Early Warning Radar qui peut être relié avec plusieurs systèmes SAMP/T) pour transmettre au SAMPT une désignation d'objectif permettant au radar Arabel de la conduite de tir du SAMPT d'engager la cible.

• Cette désignation d'objectif par un radar de surveillance externe (radar connecté au système de commandement et contrôle ACCS du programme antibalistique ALTBMD de l'OTAN) sera possible dès que le système SAMP/T sera effectivement connecté (prévu avant 2015) à l'ACCS du programme ALTBMD de l'OTAN.

• Pour la capacité antibalistique initiale dans un système autonome (notamment pour la défense de troupes déployées sans participation de l'OTAN), le développement de ce radar de surveillance n'est pas encore lancé en France.

L'interception des cibles balistiques par le système SAMP/T B1 (utilisant les missiles Aster 30 Block 1 ) permet de défendre des zones ayant une surface de quelques centaines de km².

Le premier tir de qualification du système SAMP/T contre une cible de type « missile balistique de théâtre de courte portée » a été réalisé avec succès le 18 octobre 2010 au centre « DGA Essais de Missiles » à Biscarrosse (Landes). Le SAMP/T est ainsi le premier système européen disposant de cette capacité antibalistique .

(3) Le programme en cours

Le programme FSAF (Famille des Sol Air Futurs) comprend le système SAMP/T et le système PAAMS pour la défense anti-aérienne navale. C'est un programme en coopération bilatérale entre France et Italie. La gestion en a été confiée à l'OCCAR regroupant des représentants de l'administration française et italienne, et au GIE EUROSAM (ES), côté industriel, regroupant des représentants des sociétés MBDA et Thales. Il fait participer un grand nombre d'industries en France et Italie.

Le développement et la production du système SAMP/T Block 1 ont fait l'objet des contrats FSAF phase 1, 2 et 3 passés entre l'OCCAR et le GIE EUROSAM :

ï La définition du SAMP/T (contre les menaces conventionnelles seules) et la réalisation d'un prototype de qualification ont fait l'objet du marché de développement FSAF phase 1.

ï Le contrat FSAF phase 2 a préparé à la production de série :

ï réalisation des travaux d'adaptation conduisant à la définition de série ;

ï mise en place des moyens industriels de production ;

ï livraison de deux systèmes tête de série en France et en Italie.

ï Le contrat FSAF phase 3, signé en 2003, (montant hors munitions pour le système naval PAAMS) de l'ordre de 2,2 milliards d'euros HT, dont 1,34 milliard d'euros HT pour la France) couvre :

ï le complément de développement SAMP/T pour doter le système de la capacité initiale antibalistique ;

ï la qualification système SAMP/T Block 1 (capacités conventionnelle et antibalistique) ;

ï la production série SAMP/T Block 1 de :

v 10 sections (1 système par section) SAMP/T Block 1 pour la France

v 5 sections (1 système par section) SAMP/T Block 1 pour l'Italie

v 355 munitions opérationnelles et 20 munitions d'exercice Aster 30 Block 1 pour la France,

v 160 munitions opérationnelles et 17 munitions d'exercice Aster 30 Block 1 pour l'Italie

Nota : Une commande initiale (contrat OCCAR du 12 novembre 2003) prévoyait une dotation pour la France de 575 munitions Aster 30 Block 1 et 12 systèmes SAMP/T. Par avenant (notifié le 21 novembre 2008), la quantité actuellement commandée, en diminution par rapport à la commande initiale, est de 375 munitions terrestres Aster 30 Block 1 et 10 systèmes SAMP/T.

La qualification du système SAMP/T se déroule en deux étapes :

• la première étape concerne la capacité du système à traiter les cibles conventionnelles (avions, missiles subsoniques et supersoniques...) ;

• la seconde étape concerne le développement de la capacité du système à intercepter les cibles balistiques mono-étage de portée inférieure ou égale à 600 km ; elle concerne aussi l'introduction dans le système de la liaison 16 nécessaire pour assurer l'interopérabilité du système avec les systèmes de l'OTAN.

La première étape a été franchie fin 2008 suite à la réussite de tous les tirs de qualification et d'évaluation (sept tirs Aster 30 ).

La seconde étape est en cours (avec, comme jalon important déjà franchi, le premier tir de qualification contre cible balistique réalisé avec succès en octobre 2010) et se terminera au premier semestre 2013 selon un calendrier précis des étapes de disponibilité progressive des capacités opérationnelles :

• Capacité Opérationnelle 1 (OC1 : défense d'un site sensible) en septembre 2011 :

• après quelques années d'expérimentation sur les premiers systèmes de série par la DGA, le CEAM (Centre Expérimentations Aériennes et Militaires) et CFDSA (Centre de Formation de la Défense Sol-Air), la première section SAMP/T est arrivée en unité opérationnelle mi septembre 2010 sur la base aérienne de Luxeuil.

• Capacité Opérationnelle 2 (OC2): étape initiale de capacité de défense des troupes déployées) décembre 2011

• Capacité Opérationnelle 3 (OC3): deuxième étape de capacité de défense des troupes déployées avec l'utilisation de la liaison L16) en mars 2012

• Capacité Opérationnelle 4 (OC4): Toutes capacités système SAMP/T et notamment la capacité antibalistique) en octobre 2012

Calendrier de livraison Système (Sections de tir SAMP/T)

Ce calendrier correspond à la prévision de livraison de l'industrie pour répondre au contrat FSAF phase 3 en vigueur. A mi-2011, 5 systèmes (sur les 10 commandés) ont donc été livrés à l'armée de l'air française. Les sections S3, S6, S7, S10 et S13 sont pour les livraisons italiennes.

Calendrier de livraison Missiles Aster 30 Block1

Ce calendrier correspond à la prévision de livraison de l'industrie pour répondre au contrat FSAF phase 3 en vigueur.

Evolution vers le standard Block 1 NT : passage de l' Aster 30 Block 1 actuel à l' Aster 30 Block 1 NT et adaptations système pour mettre en oeuvre l' Aster 30 Block 1 NT :

• marché notifié par la DGA en septembre 2008 d'une durée de 27 mois : étude de levée de risque pour le développement d'une nouvelle définition du missile Aster permettant de traiter les obsolescences des munitions Aster . L' Aster 30 Block 1 NT (NT: Nouvelles Technologies) disposera d'un autodirecteur bénéficiant de la technologie devenue mature en bande Ka qui apportera un potentiel de croissance pour les performances contre les cibles balistiques jusqu'à 1 000 km de portée (missiles à corps de rentrée inclus), sans régression sur les performances contre cibles conventionnelles.

• offre MBDA/Thales pour le développement et l'industrialisation du standard Block 1 NT de la munition Aster .

b) Développements possibles

Pour acquérir une réelle capacité de défense antimissile le SAMP/T doit être couplé à un radar de veille capable de détecter la menace le plus en amont possible et ensuite de passer la main au radar de conduite de tir Arabel . Pour l'instant, un tel radar de surveillance n'existe pas dans les forces françaises. La société Thales a conçu depuis longtemps le projet d'un radar idoine : le radar GS 1000 .

Ce radar à antenne fixe et balayage électronique serait dédié à la défense antimissile. Il serait susceptible de pouvoir détecter des menaces balistiques de l'ensemble de la gamme courte portée. Il permettrait une désignation d'objectif précise pour le SAMP/T et ses évolutions potentielles, à la fois pour l'acquisition et la conduite de tir. Mais ce programme n'a toujours pas été lancé. Son développement et son coût devraient être limité 220 millions d'euros pour deux radars déployables et intégrés.

Si la France ne décidait pas de réaliser le radar GS 1000 , le SAMP/T pourrait néanmoins être intégré au sein de l'architecture de l'ALTBMD. Par le biais de cette architecture, il devrait avoir accès à des informations de désignation d'objectif issues des radars étrangers : le radar des frégates Aegis américaines, le radar américain AN/TPY2, le radar des frégates ADCF néerlandaises, le radar italien TPS77, etc.

Si l'interopérabilité est assurée au travers du programme ALTBMD, il n'est pas garanti que l'association radars de surveillance, radars de désignation d'objectif et missile Aster 30 Block 1 du SAMP/T soit optimisée. Une véritable optimisation nécessite d'être travaillée dès la conception des systèmes entre systémiers, radaristes et missiliers. Garantir l'interopérabilité d'éléments du système conçus et développés indépendamment, ce qui est le cas du SAMP/T et des radars de surveillance étrangers, implique une transparence totale et un échange de toutes les caractéristiques de performance. La DGA a donc prévu de lancer cette année une étude technique pour évaluer le degré de flexibilité sur la qualité de la désignation d'objectifs admissible par le SAMP/T.

2. L'Aster Block II - le moyen-haut endo-atmosphérique

Pour l'instant l' Aster Block II est un simple concept du missilier européen MBDA. L' Aster Block II propose de traiter les missiles balistiques de théâtre de courte et moyenne portée, c'est-à-dire d'une portée allant jusqu'à 3.000 kilomètres. Plus spécifiquement, l' Aster Block II vise la nouvelle génération de missiles manoeuvrants. Cette menace n'est pas prise en compte par les programmes américains, que ce soit le Patriot , le THAAD ou le SM-3.

Or, les Russes ont développé le SS-26 Iskander , les Chinois le M9, les Syriens le M600 et les Iraniens le Fateh 110. Aucun de ces missiles ne fait appel à des technologies nouvelles. Nous Français avions déjà utilisé ces technologies pour le missile préstratégique Hades . Ces missiles présentent une particularité. Ils volent dans l'atmosphère, en dessous de 60 à 70 kilomètres, et lorsqu'ils rentrent dans les couches denses de l'atmosphère, à 25 ou 30 kilomètres, ils acquièrent une capacité manoeuvrante qui les rend quasiment impossibles à intercepter. L'interception de ces missiles doit donc se faire entre 25/30 et 60/70 kilomètres.

D'après les analyses de MBDA, le THAAD ne descend pas en dessous de 50 kilomètres, alors que le Patriot ne monte pas au dessus de 20 à 25 kilomètres. Quant au SM-3, il évolue dans l'espace exoatmosphérique.

En supposant que le programme Aster Block II soit engagé, il faudrait lui associer un radar de veille et un radar de conduite de tir.

Thales a un projet de radar GS 1500 susceptible de faire les deux, à condition toutefois de disposer de deux unités radar pour un lanceur - l'une pour l'acquisition et l'autre pour la conduite de tir. Un tel radar pourrait contribuer à la capacité couche haute de l'ALTBMD et permettre de traiter, dans la phase terminale, les missiles manoeuvrants jusqu'à 3 000 km de portée.

L' industrie estime à environ 40 millions d'euros par an sur cinq ans un PEA susceptible de déboucher sur les spécifications d'un programme de type Aster Block II , à l'exclusion du radar GS 1500 .

Afin d'apprécier l'opportunité d'un tel programme, il semble important de préciser que c'est sans doute un des segments où une coopération européenne pourrait être facilitée du fait de l'arrêt programmé, plus ou moins en douceur, du programme américano-germano-italienne du MEADS. Nos alliés allemands et italiens sont donc confrontés au problème de réinvestir au mieux les sommes importantes par eux investies dans ce programme et qui portent essentiellement sur la technologie des radars.

A défaut de coopération européenne, l'Inde qui envisage également de développer des capacités d'interception haut endo-atmosphérique de missiles balistiques de théâtre pourrait être, dans le cadre du partenariat stratégique franco-indien, associé aux travaux technologiques de l' Aster Block II .

Il est important de noter que la capacité antimissile balistique du SAMP/T est limitée aux missiles de la famille Scud . Sans évolution du système actuel, il n'y aura pas de marché export, car les pays souhaitant acquérir une capacité antimissile balistique souhaitent pouvoir avoir une défense suffisante contre la future menace balistique proliférante des domaines courte et moyenne portées.

Le coût d'un programme de ce type est très difficile à évaluer compte tenu de l'absence de spécifications et de définition de la cible finale. Néanmoins, on peut retenir comme ordre de grandeur deux milliards d'euros, avec une cible de grandeur similaire au programme SAMP/T

L'ASTER BLOCK II

La proposition industrielle de MBDA

(Source MBDA)

La stratégie MBDA sur la DAMB s'est construite sur la base de quatre fondamentaux :

§ L'analyse approfondie de la menace balistique, celle qui est la plus proliférante car forcément ce sera celle dont la probabilité d'occurrence sera la plus élevée. Cette analyse permet de façon pertinente de définir les systèmes de défense les plus appropriés.

§ L'approche américaine, car ce sont les Etats-Unis qui ont irrigué la pensée stratégique sur la DAMB. On ne peut ignorer ce que font les Etats-Unis ; il faut donc aborder la DAMB de la façon suivante : comment la France, les EU peuvent contribuer à la DAMB en complément de ce que font les US.

§ La capitalisation sur ce qui a déjà été fait dans ce domaine aux niveaux capacitaire et industriels, suivant une approche incrémentale afin de minimiser les coûts.

§ L'identification de ce que pourrait faire la France accompagnée financièrement et techniquement par d'autres puissances européennes.

Compte-tenu du potentiel de croissance des systèmes ASTER actuels (SAMP/T pour application terrestre et PAAMS pour application navale), MBDA a étudié, avec ses partenaires le Groupe Safran et Thales, l'évolution de ses systèmes en y introduisant un nouvel intercepteur haut-endoatmosphérique - ASTER Block II - pour couvrir l'ensemble des menaces balistiques de courte et de moyenne portée (SRBM et MRBM).

Le concept du système ASTER Block 2 a été défini pour couvrir le spectre des menaces balistiques SRBM et MRBM, avec ou sans capacités de pénétration améliorée, c'est-à-dire les SRBM et MRBM actuels et ceux de nouvelle génération. Il a donc été optimisé pour intercepter dans le domaine d'altitude 20 à 70km afin d'assurer, entre autres, la destruction des missiles balistiques présentant des manoeuvres tels que le SS 26, le M9 et le Fateh 110 ainsi que les missiles de cette classe tirés en trajectoires tendues, qui mettent en défaut les systèmes exoatmosphériques (car les trajectoires des missiles balistiques ne sortent pas suffisamment de l'atmosphère) et/ou les systèmes bas endoatmosphériques (à cause des manoeuvres).

Ce système ASTER BII, tout en conservant les capacités du système ASTER Block 1 (SAMP/T pour la version terrestre ou à terme PAAMS Block 1 pour la version navale) permet de traiter les menaces balistiques les plus probables « sans laisser de trou dans la raquette » des domaines SRBM et MRBM.

Par leur prolifération, ce type de menaces balistiques se trouve donc sur des théâtres d'opérations extérieures, ou éventuellement sur le flanc sud-est de l'Europe, et c'est pour cela que le concept du système ASTER Bl2 a été défini comme système de défense antimissile balistique de théâtre, mais pouvant également être utilisé dans le cadre d'une défense de Territoire, pour protéger les centres de population et/ou les sites sensibles .

Son positionnement permet de répondre à :

§ Une capacité de défense autonome, au niveau national / européen, afin de protéger le commandement et les forces déployées sur un théâtre d'opérations, ainsi que les populations du pays d'accueil ;

§ Une contribution en nature pour la couche haute du programme ALTBMD de l'OTAN pour la protection des forces déployées, interopérable avec les systèmes haute couche américains (SM-3/Aegis, THAAD), renforçant ainsi le principe d'un commandement d'opérations déployable de l'OTAN (BMC3 / ACCS).

§ Un complément possible aux systèmes mobiles Aegis / SM-3 proposé par les Etats-Unis pour la défense du territoire de l'Alliance qui plaiderait également en faveur d'un système de commandement plus otanien, issu d'une extension de celui de l'ALTBMD, pouvant être connecté au système de commandement de la PAA. En effet, la chaîne de commandement et d'engagement ne peut être justifiée à un niveau OTAN que si elle permet de gérer des interceptions avec des systèmes provenant de plusieurs alliés ; si seuls les Etats-Unis apportent des systèmes d'interception, alors le principe d'une chaîne sous responsabilité opérationnelle OTAN sera fragilisée , au bénéfice d'un commandement purement américain.

Complémentarité de l'ASTER B II avec le SM-3 et le THAAD

Dans le cas de l'ALTBMD et de la Missile Defense , contribuer avec le système ASTER Block 2 permet d'apporter un complément capacitaire :

§ En se positionnant comme complément du SM-3,

§ Le SM-3 est un système naval qui intercepte purement en exoatmosphérique (hors atmosphère). Le système ASTER Block 2 lui traite, entre autres, une gamme de missiles balistiques non couverts par le SM-3, c'est-à-dire les SRBM et MRBM ayant des phases hors atmosphère insuffisantes pour assurer une interception exo (par exemple les trajectoires tendues pour des missiles de portée inférieure à 1500km et les trajectoires à énergie minimale des missiles de portée inférieure à 800km)

§ Avec des plateformes navales européennes équipées d'ASTER Bl2 interopérables avec des plateformes navales américaines Aegis SM-3, ce qui assure une couverture de protection géographique plus large, mais également une étanchéité améliorée face à la menace, dans le cas d'attaque saturante de plusieurs types de missiles par exemple ; l'ASTER Block 2 offrant une capacité navale optimale en complément du système SM-3 / Aegis.

§ En offrant à la fois une alternative et un complément au THAAD,

§ Le THAAD est un système terrestre qui intercepte en très haut endoatmosphérique (à partir de 40/50km d'altitude) et bas exoatmosphérique. L'ASTER Block 2 est complémentaire pour un domaine de cibles dont l'interception ne peut se réaliser qu'entre 20 et 40km d'altitude. Ce qui est le cas de la nouvelle génération des SRBM type SS26, M9 chinois...

§ L'ASTER Block 2 est également considéré complémentaire du THAAD, car contrairement à ce dernier, sa définition est également optimisée pour une composante navale.

§ Il peut être une alternative pour une composante terrestre, car l'ASTER Block 2 et le THAAD possèdent un domaine d'interception commun, et donc dans ce cadre, des batteries ASTER Block 2 peuvent venir remplacer (ou renforcer quantitativement) des batteries THAAD si ces dernières étaient proposées en quantité insuffisante par les USA pour assurer une couverture significative.

Ce complément capacitaire système ASTER B2 dans ses applications navales et terrestres offre donc des complémentarités qualitative et quantitative aux systèmes terrestres THAAD et aux systèmes navals et terrestres SM-3, qui sont destinés à augmenter leurs capacités pour traiter des menaces IRBM et ICBM, permettant ainsi une plus large couverture de protection.

L'ASTER Block 2 peut donc être considéré comme un élément de coopération avec les US car interopérable avec les systèmes américains et intégrable dans un système de commandement otanien, favorisant ainsi des engagements coopératifs pour les missions DAMB.

Les systèmes haute couche DAMB sont considérés par les Etats-Unis comme leur permettant d'asseoir leur suprématie politique et technologique, car nécessitant de tirer vers le haut le savoir-faire technologique ; c'est pour cette raison qu'il semble impensable de voir les Américains offrir aux Européens des formes de coopération sur des activités industrielles et technologiques de haute valeur.

Le créneau de la défense antimissile balistique est fondamental pour se positionner comme acteur majeur de la DAMB tant au sein de l'OTAN, en coopération opérationnelle avec les Etats-Unis, que vers les pays export.

Il est nécessaire avant de lancer le programme ASTER Block 2, de réaliser un programme d'études amont de l'ordre de 40 millions d'euros par an pour l'extension des capacités antimissiles balistiques de la famille ASTER.

Les travaux proposés portent sur une réduction des risques des fonctions critiques associées à des technologies permettant d'assurer une interception avec impact direct dans un domaine à grande dynamique et à haute altitude, c'est-à-dire dans une atmosphère raréfiée.

Ce PEA aurait pour objectif d'amener à maturité les domaines technologiques suivants :

• l'accrochage et la poursuite de la cible à très haut Mach (environ Mach 7), par un autodirecteur infrarouge, dans un environnement de fortes contraintes aérothermiques après le décoiffage de l'IRdome, qui imposent de grandes performances de détection et de pistage,

• le pilotage pyrotechnique en utilisant la technologie DACS solide (Divert & Attitude Control System) qui permet un pilotage réactif dans une atmosphère raréfiée,

• mais aussi, la propulsion de croisière à deux niveaux de poussée qui participe au pilotage dans les hautes couches de l'atmosphère et qui doit pouvoir être arrêtée sur commande de façon à autoriser la séparation du dernier étage,

• la définition de l'intercepteur et du Kill Vehicle, en particulier les aspects suivants:

• tenue thermomécanique dans des environnements sévères particulièrement pour le Kill Vehicle, et l'étage de croisière,

• contraintes volumiques sur l'architecture du Kill Vehicle dans lequel les sous-ensembles devront être intégrés de façon compacte,

Les travaux du PEA, menés par MBDA avec ses partenaires SPS, Sagem et ONERA :

• permettront d'évaluer au sol et en vol les fonctions et équipements critiques,

• sont présentés de façon cohérente pour amener les technologies à maturité nécessaires autour du projet structurant de l'intercepteur haute altitude ASTER Block 2 contre les menaces balistiques,

• pourront, pour certains d'entre eux, être utilisés pour d'autres applications dans le domaine de l'interception.

Les résultats de l'ensemble permettront d'obtenir la définition et la faisabilité de l'intercepteur, et les performances atteignables associées nécessaires à un éventuel développement.

Ce PEA démonstrateur aurait une durée de 5 ans.

En parallèle, des travaux systèmes seront également menés afin d'identifier les fonctions critiques du système d`armes (discrimination, harmonisation, communications, liaison sol / missile...) et de bâtir pour chacune d'entre elles un programme de levée de risques.

Ces travaux, sur 5 ans, seront proposés en deux phases réalisées conjointement par Thales et MBDA :

• une première phase de deux ans d'étude et prédéfinition des architectures systèmes, avec choix d'une solution de référence à l'issue de cette phase ;

• une deuxième phase de réduction de risque comprenant la réalisation d'essais sur les chaines critiques et la constitution d'un dossier de définition avec évaluation des performances.

3. Le PAAMS et les frégates Horizon
a) État actuel du programme

Le PAAMS ( Principal Anti-Air Missile System missile ) est un programme qui a été développé en coopération avec l'Italie et le Royaume-Uni dans l'optique d'une défense aérienne des groupes aéronavals.

Le système PAAMS constitue l'armement principal des quatre frégates antiaériennes Horizon réalisées en coopération franco-italienne 40 ( * ) , ainsi que celui des frégates T45 britanniques. Il assure simultanément les missions d'autoprotection du bâtiment porteur, de défense locale d'un groupe de bâtiments et de défense de zone à moyenne portée (30 à 100 km).

Ce système s'appuie sur des radars multifonctions intégrés dans une conduite de tir : Empar pour la France et l'Italie et Sampson pour l'Angleterre ; du radar de surveillance à longue portée long range radar LRR (base S1850M) ;  des missiles Aster 15 et Aster 30 de la famille de missiles sol-air futurs (FSAF), capables d'intercepter des attaques saturantes d'avions et de missiles supersoniques manoeuvrant ; des lanceurs verticaux utilisant le module de lancement vertical Sylver ;  d'un système de commandement et de contrôle permettant de suivre la situation tactique, d'évaluer la menace et de gérer la conduite des tirs de missile, intégré au système de combat des bâtiments, ou, en secours, en autonome. La famille des Aster conçue et développée par MBDA est fondée sur un missile à deux étages lancé verticalement et disposant d'un système original pif-paf qui associe le pilotage aérodynamique classique au pilotage en force par action de jet de gaz au centre de gravité du missile.

Ce système a été conçu pour la défense anti-aérienne, tant pour les radars que pour les missiles - en particulier l' Aster 30 naval. Néanmoins, il serait possible de doter le missile et les deux autres sous-systèmes d'une capacité antimissile équivalente à celle du SAMP/T. Des études sont en cours, afin d'en mesurer les coûts.

Si initialement la capacité antimissile n'avait pas été envisagée, c'est parce que la menace balistique contre des bâtiments de la flotte était considérée comme inexistante. A l'époque, il n'existait pas de missiles balistiques capables d'attaque contre des bâtiments mobiles. En outre la contribution apportée par des missiles de type Aster conçus pour la défense anti-aérienne, même élargie de la défense de théâtre à une défense de territoire était considérée comme négligeable.

Le développement de missiles balistiques chinois à têtes manoeuvrantes et avec des autodirecteurs de précision, conçus pour atteindre des cibles maritimes de haute valeur (porte-avions, BPC...) pourrait amener à terme à reconsidérer cette hypothèse, dans le cas d'une prolifération.

Par ailleurs, on observera que les frégates Aegis , de même que l'ensemble des frégates européennes actuellement en cours de construction ou de déploiement embarquent des missiles SM-2 américains dont le rôle et la portée sont équivalents à ceux de l' Aster 30 .

C'est pourquoi, l'évolution des systèmes de la famille Aster vers des capacités moyen-haut endo-atmosphérique est intéressante. Elle permettrait de protéger les déploiements sur les théâtres d'opérations externes, ainsi que certaines zones sensibles du territoire, face à des missiles balistiques de courte et de moyenne portée (SRBM et MRBM)

Pour avoir des frégates européennes comparables aux Aegis américaines, il faudrait, en ce qui concerne la France, lancer un programme de missile exo-atmosphérique, mais aussi de radars d'alerte et de conduite de tir et de frégates susceptibles d'emporter le tout.

Astrium indique avoir étudié une version navale du concept Exoguard pour répondre à ce besoin. Cette version a été conçue pour être compatible avec les frégates multi-missions en cours de développement et les tubes du lanceur Sylver A70 dont elles seront équipées. Sa conception s'appuie sur les acquis technologiques des missiles balistiques français et anticipe les contraintes de sécurité à bord d'un navire.

Interopérable avec une architecture OTAN, ce type d'intercepteur pourrait être engagé sur information d'un radar distant (« Launch ou Engage on Remote » 41 ( * ) ) pour pleinement exploiter l'étendue de son domaine de vol et défendre de larges zones contre des menaces de courte portée à portée intermédiaire: au moins 1 500 km derrière sa position, contribuant ainsi à la défense de territoire, et jusqu'à 400 km devant sa position pour la protection de troupes déployées en territoire hostile.

Ces études ont été consolidées à travers un contrat avec Thales et Raytheon mené en 2010 pour le compte de la DGA.

Ainsi, selon Astrium, 3 à 4 frégates seulement permettraient de défendre l'Europe contre les menaces en provenance du Moyen-Orient et du bassin méditerranéen.

Il conviendra d'apprécier à son juste niveau les enjeux d'une nécessaire adaptation des moyens d'interception maritimes face à de futures menaces longue portée ou plus sophistiquées. Astrium considère que la DAMB navale et cette version de l' Exoguard apporteraient une solution opérationnelle crédible face à la menace balistique immédiate pour protéger les territoires, les populations et les forces.

b) Développements éventuels

En tirant bénéfice des travaux réalisés par les Néerlandais pour donner une capacité ATBM au radar Smart-L qui équipe leurs frégates (et dont la configuration matérielle est voisine de celle du LRR), la classe de coût pour une augmentation des performances du LRR afin de disposer de fonctions d'alerte et de désignation d'objectif adaptées aux missiles balistiques serait de l'ordre de 50 - 100 millions d'euros suivant la performance visée. Ces évolutions permettraient de doter les frégates Horizon d'une capacité contribuant à la DAMB, limitée aux fonctions :

- d'alerte (surveillance et détection de missiles balistiques) au profit de forces déployées en zone littorale ou d'une force navale en coalition ;

- et de désignation d'objectif au profit de systèmes d'interception (par exemple SAMP/T) déployés sur le littoral ou de capacités d'interception embarquées sur des frégates alliées.

En revanche, elles ne seraient pas suffisantes pour donner aux frégates Horizon une pleine capacité d'interception DAMB. Outre l'amélioration du LRR mentionnée ci-dessus, il serait ensuite nécessaire :

- d'accroître les performances du radar actuel de conduite de tir Empar pour être en mesure de guider les missiles sur des objectifs plus lointains et plus furtifs, et faire évoluer le système de combat des frégates et les logiciels du PAAMS pour prendre en compte les nouvelles menaces.

- outre les travaux d'amélioration des radars, des travaux d'intégration à bord et d'éventuelles adaptations seront nécessaires compte tenu des modifications des radars.

- de faire évoluer les missiles Aster équipant les frégates Horizon, actuellement limités aux menaces conventionnelles, vers une configuration permettant également de traiter la menace balistique (configuration Aster Block 1 équipant déjà les systèmes terrestres).

La classe de coûts de l'ensemble de ces travaux serait probablement de l'ordre de 300 millions d'euros et dépendrait des performances visées. Des études sont indispensables pour consolider les performances atteignables, le besoin opérationnel qui pourrait être couvert, le calendrier et les coûts indiqués ici. Or, la programmation actuelle ne prévoit aucun financement aujourd'hui pour couvrir toute ou partie de ces travaux.

Cependant, en avril 2010, la France, en qualité d'agence contractante agissant au bénéfice des nations du programme PAAMS, a notifié une étude à EUROPAAMS appelée GPS ( Growth Potential Study ) phase 2 destinée à étudier les conséquences de l'introduction d'une capacité antimissile balistique aux systèmes PAAMS équipant les frégates Horizon françaises et italiennes et les frégates T45 britanniques, ainsi que les capacités accrues en défense aérienne conventionnelle que pourrait apporter l' Aster 30 Block 1 et les évolutions correspondantes des radars de surveillance LRR et de conduite de tir MFR du C2 et du lanceur. Deux capacités sont mises à l'étude : une capacité initiale avec l'introduction du missile Aster Block 1 , des évolutions radars et C2/ Combat management system avec comme objectif d'avoir un impact a minima sur le support et le coût d'utilisation ; une capacité augmentée avec l'introduction de l' Aster Block 1 NT et des évolutions de l'ensemble des radars de surveillance et de conduite de tir.

On peut toutefois noter que l'Italie a annoncé comme contribution nationale au programme ALTBMD ses deux frégates Horizon/PAAMS. Elle donne ainsi le signal de sa volonté de s'impliquer dans la DAMB navale à un niveau significatif de coopération au sein de l'OTAN. Elle pourrait être intéressée par les évolutions mentionnées ci-dessus.

Par ailleurs, il convient de mentionner les études en cours par DCNS et Thales susceptibles de déboucher sur un PEA, concernant le concept dit de « Topside intégré ». Le Topside d'un navire est constitué par l'ensemble de ses superstructures, y compris les parties « aériennes » des équipements (notamment antennes). Actuellement, les Topsides des navires de combat comportent majoritairement plusieurs mâts avec un radar à antenne tournante en tête de mât et une faible marge d'évolution. Le Topside Intégré consiste à intégrer des systèmes multi-senseurs à antennes planes (radar, IFF, guerre électronique, communications) tout en les répartissant sur l'ensemble des superstructures du navire. C'est en partie le concept appliqué sur les bâtiments dotés du système Aegis , le radar AN/SPY-1 étant composé de quatre faces planes.

L'Exoguard - la solution exo-atmosphérique

La solution exo-atmosphérique est, en théorie, l'interception la plus facile à réaliser. C'est dans sa phase exo-atmosphérique et en particulier à son apogée que le missile assaillant a la vitesse la plus faible. Surtout, hors de l'atmosphère, les trajectoires ne sont pas perturbées par des phénomènes aérodynamiques et la diffraction des couleurs moins perturbée par les écoulements de flux d'air.

C'est sans doute la raison pour laquelle les Américains ont commencé par l'interception des missiles exoatmosphériques et que les principales puissances mondiales - la Russie, la Chine, mais aussi l'Inde, marquent leur intérêt pour ce type d'interception.

En outre, les technologies de ce type de missiles nous sont connues du fait que nous sommes complètement autonomes sur les missiles de notre force de dissuasion.

Enfin, une contribution sous forme de briques serait envisageable, du plus important au moins important : autodirecteur/ Kill Véhicle / Missile.

Pour des raisons de souveraineté, il semble difficile d'envisager des coopérations sur ce type d'intercepteurs. Toutefois, cela n'est peut être pas impossible comme en atteste la coopération qu'ont les Américains avec les Japonais dans sur le SM3 Block IIA .

L' Exoguard est un projet de la société EADS Astrium.

Les technologies qu'il mobilise sont modélisées et maitrisées par Astrium et ses partenaires industriels sur les étages supérieurs d'Ariane, du M45 et du M51 42 ( * ) , de l'ATV 43 ( * ) et de tous les satellites, à base de propulsion solide ou liquide. Le domaine de vol de l'intercepteur (au moins jusqu'à une altitude de 1 000 km et vitesse de 5 km/s) est totalement couvert par le domaine d'utilisation des systèmes balistiques et spatiaux.

L'interception ayant lieu à une altitude élevée, la conception des systèmes électriques relève de celle des équipements spatiaux (tenue au vide et aux rayonnements). Ceci concerne principalement le calculateur et l'électronique du senseur infrarouge. Les compétences d'Astrium, Sodern, Sagem ou Thales en matière de conception d'équipements électroniques sont essentielles.

Un point important reste à expérimenter : c'est l'observation de cibles par le senseur infrarouge dans un environnement réel : vitesse, fond d'image... de façon à déterminer les spécifications d'un futur système opérationnel. Comme pour Spirale, seule l'expérimentation en vol permettra d'obtenir des données crédibles et d'enrichir les connaissances actuelles obtenues par les vols d'ATV, et par les viseurs d'étoiles des satellites.

Pour réaliser une interception par impact direct, une grande précision de trajectoire initiale du Kill Vehicle est nécessaire juste après sa mise à poste, de façon à minimiser les corrections ultérieures. Ces technologies de navigation-pilotage, et de précision de mise à poste des objets sont totalement maîtrisées pour les armes des missiles balistiques et pour les satellites d'Ariane.

Astrium France est le seul industriel possédant ces compétences en Europe. La réputation, justifiée, de très grande précision d'Ariane résulte directement de cette technologie.

Astrium a également réalisé, avec le véhicule ATV de ravitaillement de la Station Spatiale Internationale, un pilotage très précis (au cm près) et à très haute vitesse: 8 km/s.

Rassembler les technologies existantes et valider leur cohérence dans un Kill Vehicle est le point majeur qu'il convient d'expérimenter par un ou des tirs en vol, au plus tôt dans le processus d'acquisition de maturité.

Cette technologie pourrait être directement utilisable pour des applications anti-satellites.

Selon l'industrie, le coût d'un PEA susceptible de déboucher sur un démonstrateur, lui-même nécessaire à la spécification du programme et donc à son lancement (étude puis développement) devrait pouvoir être contenu dans une enveloppe inférieure à cinquante millions d'euros par an sur cinq ans.

A l'issue de ce programme de démonstration technologique, Astrium estime à un milliard d'euros le développement d'un intercepteur. Le coût de la fabrication serait de l'ordre de dix millions l'unité (ordre de grandeur proche de celui du SM3), une batterie dotée de trente deux intercepteurs Exoguard revenant à moins de cinq cent millions d'euros. Le développement d'une capacité couvrant 80 à 90 % du territoire « otanien » coûterait ainsi moins de trois milliards d'euros (développement + production).


L'EXOGUARD

La proposition industrielle d'Astrium

(source Astrium)

Notre compréhension du calendrier OTAN conduit à penser qu'à l'horizon 2015/16 (date où les premiers systèmes Américains de couche haute seront prêts à être déployés au sol), les nations européennes auront à se décider et à matérialiser leur participation aux systèmes OTAN, sous domination américaine.

Nous avons construit sur cette base calendaire une approche incrémentale. Elle ne consiste pas à développer un système opérationnel mais bien d'acquérir les connaissances et de se doter des capacités techniques et industrielles qui permettront aux décideurs politiques et militaires de prendre les bonnes décisions, dans un calendrier compatible des contraintes des LPM, pour échanger notamment avec les Américains avec un niveau de crédibilité que seule la France peut apporter, en ligne avec ses compétences reconnues en matière de dissuasion

La proposition consiste à réaliser un PEA allant jusqu'à l'expérimentation en vol d'un intercepteur exo-atmosphérique, qui permettrait, dans l'enveloppe proposée (50 M€ par an sur 5 à 6 ans), de :

§ construire une équipe industrielle pour avancer sur les performances atteignables dans des domaines clés : conception, codes de calcul numérique, discrimination, navigation-guidage-pilotage, senseur infrarouge, propulsion, électronique embarquée, matériaux de structure ;

§ acquérir la capacité d'intégration des technologies requises, l'atteinte de cette capacité étant validée par un essai d'interception dans des conditions simplifiées mais représentatives ;

§ identifier les éléments clés de la performance du système et donc pouvoir acquérir la crédibilité nécessaire pour contribuer avec les US aux décisions pour un programme OTAN. Cela permet aussi une contribution marquée à la dissuasion ;

§ placer la France en position favorable dans la recherche d'une éventuelle coopération européenne et/ou transatlantique, contribuer au maintien et au développement de sa compétitivité pour les marchés futurs, au sein de l'OTAN et à l'export ;

§ assurer le maintien au premier rang mondial de compétences industrielles essentielles pour la dissuasion et l'espace (lanceurs et satellites) et valoriser ces technologies qui auront des retombées notables sur d'autres programmes militaires et stratégiques.

Cette proposition complète la caractérisation des technologies entreprise dans un PEA en cours, puis comporte les essais de faisabilité et de calibrage des performances. D'abord au sol (Hover Test) puis dans l'espace en utilisant un vecteur de circonstance.

Cette proposition s'appuie sur les compétences d'une équipe industrielle : ASTRIUM, mais aussi SAFRAN, THALES, SODERN, SOFRADIR, SNPE et des PME équipementiers.

Elle est en pleine compatibilité et continuité avec l'approche que les quatre industriels (EADS, MBDA, THALES et SAFRAN) ont présenté en 2010 au ministre de la défense puis à la DGA.

Les technologies clés et leur intégration

La proposition d'Astrium repose sur une approche en trois étapes

1. maturation et caractérisation des technologies clés

2. intégration et démonstration au sol

3. intégration et expérimentation en vol

La première étape porte sur la maturation des technologies et techniques qui ont été identifiées comme critiques dans la performance de la chaîne d'engagement et en particulier l'interception.

On retient :

§ Principes et moyens de discrimination

Ce sujet bénéficie de l'expertise développée au titre de la dissuasion. Il est traité dans une première approche par un PEA en cours. Sa maîtrise est absolument essentielle pour établir la faisabilité et l'efficacité de la DAMB

§ Guidage, navigation et pilotage pour obtenir une destruction par impact direct

Ce sujet bénéficie de l'expertise développé pour les engins spatiaux manoeuvrant. Une démonstration de la maitrise de l'impact final (derniers instants de guidage) est nécessaire pour s'assurer de l'efficacité de l'interception par impact direct

§ Instrument (télescope) de détection infrarouge , servant à la détection, discrimination et au guidage du véhicule d'interception

Le senseur infrarouge est la technologie clé du système d'interception. Il intervient dans tous les processus critiques (discrimination, guidage). Ce doit être la priorité des investissements

§ Propulsion pour le pilotage (alignement sur la cible) et le guidage (déviation de la trajectoire :

Des solutions en propulsion solide existent à partir d'une technologie dite "vannage gaz chaud" développée en partie par SAFRAN. Une alternative européenne existe avec une solution utilisant des ergols liquide, déjà prototypée par Astrium en Allemagne.

§ Architecture thermomécanique permettant l'intégration des composants majeurs

Le bon fonctionnement des systèmes de visée infrarouge refroidie à environ -200°C à proximité de la propulsion chauffant à plus de 100O°c est un défi technique qu'il faut savoir résoudre pour intégrer ces deux composants clés au sein d'un véhicule compact. Des solutions existent "sur le papier" qu'il faut démontrer en intégration

§ Electronique et gestion de puissance

Technologie moins critique que les précédentes mais qui imposent des contraintes fortes dans la conception. Ces technologies bénéficieront de retombées importantes pour d'autres programmes

La deuxième étape permet de tester au sol des prototypes des technologies critiques, en particulier le senseur infrarouge et la propulsion, ainsi que des techniques complexes comme la discrimination.

Une première phase d'intégration et de test des technologies est alors possible en réalisant un véhicule simplifié que l'on fait voler à quelques mètres du sol. C'est le principe du test de sustentation (ou hover test en anglais).

Avec ce test, on démontre une première capacité technique sur les points suivants :

§ Fonctionnement intégré de la propulsion et d'un senseur

§ Validation des principes de boucle "courte" de pilotage et de guidage intégrant une chaîne image en temps réel

§ Contrôle actif du centre de gravité avec la propulsion

§ Démonstration de la maitrise de la grande réactivité

La dernière étape consiste à réaliser dans l'espace une expérimentation d'interception face à une cible simple. En intégrant les composants majeurs (senseurs, propulsions et électronique de vol), en les faisant voler dans un environnement représentatif et en réalisant une mission suffisant proche de l'opérationnel, on atteint les objectifs majeurs que nous nous étions fixés :

§ Avancée technologique probante

§ Etape claire et visible d'une volonté de maitrise de haut niveau

§ Développement de briques technologies et de maitrise système pour répondre aux différents schémas de coopération (OTAN, Europe, transatlantique)

Cette démonstration, par la collecte de nombreuses données d'essai et la mise en place de modèles fins de performance, permettra d'accéder à des informations uniques et déterminantes pour l'évaluation de la performance du Kill Vehicle.

Grâce aux résultats du programme de démonstration, on disposera donc des outils et des connaissances permettant d'établir de manière fiable dans quelles conditions (type de menace, déploiement, règles d'engagement) et avec quel pré-requis technologique une efficacité d'architecture de défense est garantie.

Astrium mettra par ailleurs à disposition sa plateforme modulaire HOMER et ses moyens d'essai pour réaliser très tôt dans le programme un essai de sustentation ou Hover Test. Cet essai réduira les risques pour la suite des travaux en permettant de valider les méthodes de conception d'un véhicule compact et autonome comme le KV et de rôder les équipes, les procédures et les moyens d'essai pour le test du démonstrateur de vol.

Des plateformes de simulation numérique et de qualification seront développées pour évaluer les performances des fonctions critiques du KV, prédire les essais, valider le programme de vol et qualifier les chaines fonctionnelles.

L'équipe industrielle est formée des acteurs majeurs des domaines spatial et balistique, complétée par un tissu d'équipementiers possédant une connaissance fine des environnements et contraintes liées à ce type de programme.

Astrium , à travers son unité Space Transportation , fédère l'ensemble des acteurs et assurera la maîtrise d'oeuvre du projet. Il réalisera les travaux d'ingénierie système, de conception d'ensemble et d'ingénierie du démonstrateur et des essais

Safran Snecma Propulsion Solide et Safran SME mettront à profit leur récente intégration pour développer les systèmes propulsifs Divert et ACS du démonstrateur KV

Sodern assurera la maîtrise d'oeuvre du senseur infrarouge avec le support très important de Sofradir , dont la technologie et l'expertise infrarouge sont mondialement reconnues.

Les chaînes avionique et de puissance du KV reposeront sur les contributions de spécialistes du secteur spatial et balistique, Thales et Safran Sagem pour les équipements inertiels et de communication, Saft et ASB pour les batteries et piles thermiques, Astrium Satellites pour les calculateurs, Zodiac Aerospace pour la télémesure et Souriau pour la connectique

Onera apportera son savoir-faire des expérimentations aéronautiques et spatiales pour la sécurisation du développement du senseur IR et de la démonstration en vol.

La contribution de l'Etat, au travers de ses établissements DGA Essais de Missiles et DGA Maîtrise de l'Information , sera incontournable. Ils disposent du personnel, des compétences et des moyens d'essai pour la réalisation des essais au sol et en vol.

Le coût de ce programme a été évalué à 225 millions d'euros HT sur 5.5 ans. 75 % sont consacrés au développement de la démonstration kill vehicle , le quart restant étant consacré à la mise dans l'espace de l'engin et de sa cible. Plus de 50 % sont sous-traités par Astrium à ses partenaires industriels.

Une offre formelle d'Astrium a été remise à DGA en juillet 2010 pour réaliser cette démonstration.

D. LES OUTILS DE TEST

Le « DGA - essais de missiles » anciennement dénommé centre d'essai des Landes, situé à Biscarosse, couplé au bâtiment d'essais et de mesures (BEM), « Monge » constituent des outils de test sans équivalent en Europe. Vos rapporteurs ont eu l'occasion de se rendre compte sur pièces et sur place, de l'importance des investissements réalisés depuis des décennies, dans le cadre de la constitution des essais balistiques nécessaires à la force de dissuasion française. Ils ont pu assister au « rejeu » du tir d'interception réussi par un missile Aster 30 d'une cible représentative d'un missile balistique.

Mis à la disposition de l'Europe ou de l'OTAN, le DGA essais de missiles et le BEM Monge permettraient de disposer d'un outil pour les essais en grandeur réelle, dont le seul équivalent est le centre américain d'Hawaï. Ces éléments pourraient également entrer en ligne de compte dans le cadre d'une coopération franco-américaine sur une éventuelle coopération dans le domaine des intercepteurs exo-atmosphériques.

L'élaboration d'une feuille de route

L'élaboration d'une feuille de route doit tenir compte des contraintes financières .

L'ordre de grandeur des coûts d'un programme d'intercepteur endo-atmosphérique Aster 30 Block II , d'un intercepteur exo-atmosphérique Exoguard ou de plates-formes maritimes ad hoc , susceptibles d'emporter l'un ou l'autre de ces intercepteurs (estimation de deux frégates de type Horizon dédiées à la DAMB) se situe autour de deux milliards d'euros pour chacun d'entre eux.

A ce stade, il est difficile de consolider ces estimations. Il faudrait être capable de spécifier les programmes afin d'obtenir des devis plus précis. Or, faute de ressources disponibles et d'orientations politiques pour envisager la faisabilité de ces projets, l'analyse n'a pas été conduite jusqu'à son terme. Sans cette première étape dont l'objectif est précisément d'identifier toutes les difficultés technologiques à lever, les chiffres indiqués n'ont qu'une valeur indicative pour avoir une idée du coût possible d'une option complète de DAMB.

En l'absence de devis chiffrés, il est intéressant de regarder les ordres de grandeur disponibles du côté américain . Pour le THAAD , le coût à terminaison du programme (acquisition de 9 batteries, des intercepteurs, de 3 à 6 lanceurs, d'un radar en bande X et d'un système de contrôle) est estimé par le GAO à 21,1 milliards de dollars (14,5 milliards d'euros, dont 11 milliards d'euros pour le développement). Pour les missiles GBI , le coût à terminaison du programme est estimé à 38,1 milliards de dollars (26,3 milliards d'euros) pour une trentaine de silos ; ce montant est intégralement affiché comme « recherche et développement ».

Mais on sait que la transposition pure et simple à la France des budgets américains ne serait pas pertinente. En matière de dissuasion nucléaire, la France dispose de deux composantes crédibles qui garantissent sa sécurité et lui confèrent une posture stratégique de premier plan. Elle les a constituées et maintenues avec des budgets infiniment moins élevés que ceux alloués par les Etats-Unis à leur propre dissuasion nucléaire. On peut retenir comme hypothèse que la France pourrait s'engager dans des programmes de DAMB dans des enveloppes (coûts et quantités) très inférieures à celles de la Missile Defense américaine.

Le tableau ci-après doit être pris avec les plus grandes précautions méthodologiques. En effet :

1. Les coûts ne sont pas établis par rapport à un besoin opérationnel et à un périmètre précisément identifié ; il s'agit d'ordres de grandeur sur la base d'informations transmises à vos rapporteurs par la DGA et les industriels ;

2. Les estimations ci-après portent sur les coûts de développement et de fabrication ; elles n'intègrent pas tous les coûts liés à l'environnement des systèmes, notamment l'exploitation et le maintien en condition opérationnelle ;

3. Il est difficile de comparer le coût d'un système avec celui d'un autre car les finalités ne sont pas les mêmes.

E. LES CINQ CAPS POSSIBLES DE LA DAMB FRANÇAISE

Une feuille de route indique la direction de l'objectif et la distance qui l'en sépare du point de situation. Quelles sont, en matière de DAMB, les caps possibles pour la France et, dans chaque direction, la distance que nous souhaitons parcourir ?

1. Le cap militaire : prendre en compte la menace

Suivre un cap militaire commande de s'intéresser à la menace, sa forme et sa probabilité d'occurrence. Cette question est dimensionnante car de la physionomie de l'attaque dépend l'architecture de la défense.

a) Quelle menace ?

L'analyse de la menace montre que le seul pays disposant d'une capacité balistique et de la volonté de s'en prendre aux intérêts occidentaux est l'Iran. Aujourd'hui, l'essentiel de son arsenal balistique semble être composé de missiles d'une portée inférieure à 1.500 km, même s'il développe des missiles de portée supérieure (Sejil-2 - 2.200 km, et Saheen - 2.500 km). Quel sera cet arsenal à terme ?

Et que quel sera le régime iranien susceptible de l'employer ? Est-ce que dans dix ans, les dirigeants iraniens seront-ils toujours aussi inamicaux vis-à-vis de l'Occident qu'aujourd'hui ? Est-il fou de penser que le régime iranien pourrait être à la veille d'un changement, à l'instar de ceux qui se sont produit en Tunisie, en Egypte ou au Yémen ? Sommes-nous sûrs qu'il n'y aura pas un automne perse après le « printemps arabe » ? Si cela devait arriver, un système de DAMB conçu pour parer la menace iranienne deviendrait inutile, de la même façon que l'eût été un système pour parer la menace irakienne ou la menace libyenne, pourtant définies comme principales menaces balistiques au début des années 2000 44 ( * ) .

A rebours, on ne peut exclure que d'autres régimes du Moyen-Orient, ou d'ailleurs, aujourd'hui amicaux, ne deviennent inamicaux et se dotent d'un arsenal balistique. Lesquels ?

A supposer que le régime iranien reste le même, la question de savoir quand il sera en mesure de disposer d'une capacité balistique susceptible d'atteindre le territoire national ne dépend pas exclusivement de facteurs techniques mais aussi de la détermination de ses dirigeants et de la capacité de l'appareil d'Etat à développer une expertise nationale ou de l'acquérir auprès de proliférateurs. Cela dépend aussi des efforts internationaux pour ralentir la prolifération balistique.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique iranien est un régime complexe dans lequel les pouvoirs s'équilibrent et parfois se paralysent. C'est le cas en particulier entre le guide suprême et le président élu. Mahmoud Ahmadinejad, qui a été d'une rare virulence à l'égard d'Israël, des Etats-Unis et de l'Occident en général, atteindra la fin de son mandat en 2013. Aux termes de la constitution iranienne il ne pourra se représenter. Est-ce que son successeur sera animé des mêmes intentions belliqueuses ?

A supposer que ce soit le cas, la diplomatie est la première arme pour dissuader la menace. Son coût est sans rapport avec celui d'une défense antimissile. De ce point de vue, tout n'a peut être pas été tenté. Si l'on admet que l'Iran est une dictature et qu'il utilise la contrainte extérieure pour justifier la répression intérieure, alors pourquoi ne pas essayer de desserrer la contrainte extérieure pour alourdir la pression intérieure pesant sur ses dirigeants ? N'auront-ils pas davantage de mal à justifier la répression, si l'Occident leur tend la main ? N'y a-t-il aucune corrélation entre le discours de « Norouz » du Président Obama du 21 mars 2009 et les émeutes qui ont secoué l'Iran à la suite des élections truquées de juin 2009 ?

Écartons ces réserves et faisons l'hypothèse que le régime iranien reste durablement inamical. Faisons l'hypothèse par ailleurs, qu'il ait fabriqué d'ici cinq ans un engin nucléaire. Disposera-t-il pour autant de la technologie nécessaire pour en faire un corps de rentrée ? C'est peu probable, compte tenu de ce que l'on croit savoir des différents programmes militaires iraniens. C'est une chose de construire des missiles balistiques à longue portée, capables de satelliser des objets, c'en est une autre de construire des têtes de rentrée, capables de délivrer une charge avec précision et de pénétrer les défenses adverses.

Or, la maîtrise des techniques de vectorisation et de fabrication des corps de rentrée suppose des sauts technologiques supplémentaires afin de faire construire les sous-systèmes isolément et les faire fonctionner de façon coordonnée. Ces sauts technologiques exigent plus de temps et plus d'argent, sauf à ce que ce que l'Iran bénéficie de l'aide de proliférateurs. Enfin, l'Iran, comme tous les proliférants adaptera vraisemblablement ses forces à la défense mise en place. Déjà en 1999, le centre national du renseignement américain déclarait : « Nous sommes certains que les pays qui développent des missiles balistiques, incluant l'Iran et la Corée du Nord développeront également des réponses aux défenses antimissiles balistique américaines de théâtre ou de territoire ». 45 ( * )

Que deviendrait la DAMB en cas de prolifération des missiles de croisière, voire de simples missiles à courte portée, mais à tête manoeuvrantes ? Si l'on écarte tout cela, et que l'on souhaite néanmoins se prémunir contre la menace balistique que faire ? Quel niveau d'ambition faut-il avoir pour sa défense ?

b) Quel niveau d'ambition pour contrer la menace balistique iranienne ?
(1) Niveau 1 d'ambition : se limiter au financement du C2

Le premier niveau d'ambition, le plus faible, consisterait, compte tenu du caractère hypothétique de la menace, à se contenter du financement commun de l'OTAN du C2. Cela permettrait de concentrer nos moyens financiers sur l'acquisition de moyens militaires qui font cruellement défaut à nos armées qu'il s'agisse d'un centre de cyberguerre ou de moyens conventionnels classiques - (second porte-avions, drones, avions ravitailleurs, pods de ciblage Damocles NG, rénovation des Mirage 2000D etc...)

Graphique élaboré à l'aide de sources ouvertes. Les chiffres sont très variables selon les sources. Néanmoins, quels que soient les sources mises à profit et qu'il s'agisse du minimum comme du maximum, il y a un net décrochage du nombre de missiles entre 700 et 1000-1100 km de portée.

(2) Niveau 2 d'ambition : parer la menace balistique à courte portée

Considérant que la menace balistique la plus probable à un horizon de cinq-dix ans reste celle d'une menace à courte portée, c'est contre cette menace qu'il convient d'organiser ses moyens. D'autant que si elle doit s'amplifier en raison de l'apport de pays proliférateurs, on peut penser qu'elle se fera à partir des missiles de courte moyenne portée et prendra la forme de missiles manoeuvrants de même type que le SS26 Iskander russe ou le M9 chinois.

Dans cette hypothèse, la route militaire commande de faire des choix en faveur d'une DAMB de courte portée, qui pourraient être par ordre d'importance décroissante :

1. doter le SAMP/T d'un radar de détection lui conférant une capacité autonome de défense de théâtre ; rechercher un financement commun de cette capacité avec le gouvernement italien qui dispose lui aussi du SAMP/T.

2. doter les frégates Horizon d'une capacité DAMB ( upgrading du PAAMS) ; rechercher un financement commun de cette capacité avec les gouvernements italiens et britanniques qui disposent eux aussi de cette capacité ;

3. développer l' Aster Block II afin de pouvoir en disposer à l'horizon 2020 ainsi que les radars adéquats ( GS 1500 ? ) - étudier leur possible déploiement sur des frégates et étudier la possibilité d'un radar de désignation d'objectif idoine (GS 1500 - radar du MEADS ?) ; rechercher un financement commun de cette capacité avec le gouvernement italien et le gouvernement allemand, en raison de leurs investissements passés sur les radars du système MEADS ;

4. mettre en place, si nécessaire, un radar TLP chez l'un de nos alliés du Golfe , à condition toutefois que cet allié - ou ces alliés - partagent les coûts d'implantation d'un radar destiné à les protéger en cas d'attaque de missiles à courte portée ; en cas de désaccord sur le financement ne pas se doter de cette capacité.

(3) Niveau 3 d'ambition : l'alerte spatiale et les intercepteurs exo-atmosphériques ?

Un niveau d'ambition plus élevé consisterait à se doter d'un système d'alerte avancée spatiale, voire d'intercepteurs exo-atmosphériques. Toutefois, en se plaçant exclusivement d'un point de vue militaire , on doute de l'utilité de pousser jusque là l'ambition nationale.

En premier lieu, parce notre évaluation de la menace nous conduit à penser que la probabilité que le territoire européen fasse l'objet, dans un horizon de dix à quinze ans, d'une attaque balistique en provenance du Moyen-Orient est faible.

En second lieu, parce que l'Alliance disposera à cet horizon des satellites d'alerte américains SBIRS et TPSS, du ou des radars AN/TPY-2 ainsi que des moyens d'interception exo-atmosphériques en cours de déploiement : frégates Aegis et « Aegis Ashore » ; d'un point de vue militaire, le satellite d'alerte avancée et les missiles exo-atmosphériques dupliqueraient des capacités existantes ; certes cela apporterait de la redondance et donc de la robustesse au système, mais le rapport coût-avantage n'est pas favorable à une décision positive.

Enfin, parce qu'en cas d'attaque balistique intercontinentale, nous entrerions dans le champ de la dissuasion. Notre force de frappe dans sa globalité - c'est-à-dire les deux composantes de la dissuasion nucléaire mais aussi notre arsenal de missiles de croisière conventionnels - suffirait à dissuader les assaillants potentiels. Une attaque nucléaire appellerait une riposte nucléaire. Une attaque conventionnelle appellerait une riposte conventionnelle. Dans les deux cas à des niveaux de dommage tels pour l'assaillant qu'il n'aurait aucun intérêt à nous attaquer.

2. La direction politique : répondre à la demande de protection de nos concitoyens
a) Quelle demande des Français pour une DAMB territoriale ?

Suivre le cap politique impose de répondre aux inquiétudes de la population. De ce point de vue, vos rapporteurs ont le sentiment que la population française ne vit pas dans la crainte d'une attaque balistique.

Certes les apparences sont parfois trompeuses. Nos concitoyens sont peut être persuadés que notre pays fait d'ores et déjà l'objet d'une protection antibalistique. Peut être s'estiment-ils suffisamment protégés par la dissuasion nucléaire ? Peut être sont-ils informés, mais considèrent-ils qu'il vaut mieux consacrer l'argent public à d'autres dépenses, voire d'éviter de le dépenser ?

A dire vrai, nous ne disposons d'aucune indication quant à l'état de l'opinion sur ce sujet. Des sondages ont bien été réalisés en Pologne. Ils ont montré que les Polonais n'étaient pas favorables au déploiement d'un tel bouclier sur leur sol. Un sondage de 2007 faisait ainsi apparaître que 55 % des Polonais y étaient défavorables et seulement 28 % favorables 46 ( * ) . Mais à notre connaissance, aucun sondage d'opinion n'a été réalisé en France. Ce qui marque sans doute le désintérêt de tous sur ce sujet.

b) Quel niveau d'ambition pour y répondre ?
(1) Niveau zéro d'ambition : ne rien faire

Si on admet que la DAMB a pour objet de répondre aux inquiétudes de nos concitoyens, qu'elle est avant tout une réponse politique à une question politique et que cette question aujourd'hui n'est pas posée par le corps social au corps politique, alors le fait de suivre cette route aboutirait probablement à ne rien faire et à s'en tenir au financement du C2 de l'OTAN.

Mais ce choix par défaut n'est pas satisfaisant. Il reviendrait à refuser à nos concitoyens une protection antimissile plus complète, au motif qu'ils ne s'y intéressent pas. Or il appartient aux dirigeants politiques de mettre nos concitoyens face à des choix, quand bien même ces derniers n'auraient pas pris la mesure des enjeux.

(2) Niveau 1 d'ambition : organiser un débat parlementaire

Des choix aussi engageants que ceux qu'appelle la DAMB doivent reposer sur un consensus national. Le consensus naîtra - ou ne naîtra pas - du débat. Et c'est le débat qui déterminera le niveau d'ambition qu'il convient de satisfaire, en termes de moyens à déployer, de financements à dégager et in fine de sacrifices à supporter.

Dans cette perspective, il apparaît à tout le moins indispensable que la question de la défense antimissile fasse l'objet d'un examen approfondi lors de la prochaine révision du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et que le Parlement soit, , en amont, pleinement associé à ces réflexions.

Il serait nécessaire que le Gouvernement , responsable de la défense nationale, organise un débat d'orientation devant le Parlement . Les enjeux liés à la DAMB sont suffisamment importants et les choix qui en découlent suffisamment lourds de conséquences pour que ce débat soit suivi d'un vote 47 ( * ) . Rappelons que la décision de doter notre pays d'une force de frappe nucléaire a été annoncée au Parlement 48 ( * ) et que c'est le Congrès qui a imposé la Missile Defense à une administration Clinton plus que réticente.

3. La direction diplomatique : déterminer notre place dans l'Alliance

Pour suivre le cap diplomatique, il est nécessaire de se poser la question du rang que nous souhaitons tenir au sein de l'Alliance atlantique et, au-delà, se demander si l'idée d'une défense européenne a encore quelque consistance.

a) Quel rang pour la France ? Quelle place pour l'Europe ?

Les incertitudes qui pèsent actuellement sur la DAMB ne permettent pas de savoir si le bouclier antimissile qui est en train de se mettre en place sera un bouclier américain étendu à l'Europe ou bien un bouclier de l'Alliance protégeant l'Europe ? La nuance est de taille.

S'il s'agit d'un bouclier américain, sa dimension, sa forme, son efficacité et finalement sa présence ne dépendront très naturellement que des dirigeants américains. L'EPAA a succédé à l'approche de George W. Bush, sans que nous soyons consultés. Elle répond à un besoin de protection que nous n'avons pas formulé. Elle donne le sentiment d'être financée pour l'essentiel par les contribuables américains. Mais les armes mises à la disposition de l'Europe existaient déjà. Ces armes seront-elles déployées pour défendre l'Europe ou pour défendre les Etats-Unis ? Les Européens ne sont-ils pas en train de financer un système de commandement qui aurait vu le jour de toutes les façons et qui n'aurait aucune raison d'être si la défense européenne n'était pas la première barrière de protection du territoire américain ?

Que se passera-t-il demain si les dirigeants américains jugent notre motivation à prendre en charge notre propre défense insuffisante ? Jusqu'à quand les contribuables américains accepteront-ils de financer la protection des Européens ? C'est la question qu'a posée le secrétaire à la défense américain Robert Gates 49 ( * ) . Cette question sera à nouveau posée lors des prochaines élections présidentielles, en novembre 2012. Que fera le prochain Président des Etats-Unis ? Et celui ou celle d'après ? Sur quelles garanties juridiques repose l'EPAA, au-delà des « slides » de la MDA et d'un engagement verbal ?

S'il s'agit vraiment d'un bouclier de l'Alliance, alors nous allons bientôt pouvoir en mesurer la part européenne. Cette part sera égale au poids politique et diplomatique des Européens dans la définition des règles de commandement du C2.

Mais il est à craindre malheureusement que ce soit davantage un bouclier américain qu'un bouclier de l'Alliance . S'il ne fallait présenter qu'un indice, retenons le fait que les Européens sont absents du débat engagé avec la Russie et laissent ce pays discuter en face-à-face avec les Américains, d'une défense qui nous concerne et que nous cofinançons.

Bien entendu, les Européens auront leur mot à dire dans la rédaction des règles d'engagement, du CONOPS et des règles d'interception. Il est probable que des sociétés européennes, seules ou en joint venture avec des sociétés américaines, soient en mesure de remporter les appels d'offres, qui en fonction des décisions qui seront arrêtées fin 2012, auront pour but de sélectionner les entreprises chargées d'écrire le logiciel de la DAMB. Mais la DAMB est un peu comme le poker : il faut payer pour voir.

La voix des Européens sera d'autant plus audible que :

- ils diront la même chose ;

- ils auront des « contributions », qu'il s'agisse de l'alerte avancée ou des effecteurs et de senseurs à brancher sur le C2. Ils peuvent soit apporter ces contributions en nature ; soit les acheter aux industriels américains.

Si les Européens sont divisés, et qu'ils n'ont rien apporté, ni rien acheté que se passera-t-il ? Est-ce que les Américains n'auront pas légitimement tendance à privilégier des règles de commandement protégeant le territoire américain ? Que ferions-nous à leur place ?

b) Quel niveau d'ambition pour la France ? Quel niveau d'unité pour l'Europe ?

Notre niveau d'ambition au plan diplomatique dépend de deux facteurs : notre capacité à nous unir avec les autres nations européennes afin de peser collectivement dans la future DAMB de l'OTAN ; notre capacité nationale à garantir notre accès au C2 de cette DAMB.

(1) Niveau 1 d'ambition : la recherche de coopérations européennes

Le gouvernement français pourrait proposer la réunion d'une conférence aux nations européennes, y compris la Turquie, désireuses de contribuer à la DAMB, au-delà du financement du C2 et autrement qu'en achetant sur étagère du matériel américain. Une telle conférence est peut-être vouée à l'échec. Mais au moins aurons nous essayé. D'autant qu'il existe beaucoup de terrains de coopération possibles entre Européens. L'Agence européenne de défense serait le cadre naturel pour une telle initiative. En cas de succès, une coopération structurée pourrait être envisagée.

Listons comme coopérations envisageables :

1. La coopération entre l'Italie et la France sur le radar du SAMP/T - ce système est concurrent du Patriot PAC-3 et pourrait intéresser d'autres pays européens de l'Alliance.

2. La coopération entre l'Italie, le Royaume-Uni, la France et les Pays-Bas sur le fait de doter leurs frégates de défense aérienne élargies de capacité de DAMB de théâtre. Ces frégates ont beaucoup d'éléments en commun. L'Allemagne pourrait être associée à ce projet. Nous n'avons pas pour l'instant suffisamment considéré les potentialités de la DAMB navale. Nous devrions sans doute revoir notre position. DCNS possède des compétences avérées dans la tenue simultanée de plateformes (capacité à faire coopérer plusieurs systèmes d'armes). Il serait dommage de ne pas tirer profit de ces compétences, en liaison avec les autres marines européennes.

3. Le désengagement américain du programme MEADS doit nécessairement amener nos alliés allemands et italiens à se poser la question de savoir comment utiliser de la meilleure façon les sommes importantes déjà engagées. Une coopération avec MBDA France qui a beaucoup travaillé sur le concept de l' Aster Block II devrait être non seulement possible, mais naturelle.

4. Un système d'alerte avancée aéroportée de type ABIR pourraient peut être mis en place en coopération entre la France - qui dispose d'un grand savoir faire en matière de senseurs infrarouges - et l'Allemagne, qui a acheté des drones Hale américains équipés par EADS. La France a déjà exploré ce domaine par des programmes d'étude amont qui pourraient s'avérer utiles. Le financement de cette capacité qui offre une grande flexibilité d'adaptation à la menace, pourrait être partagé entre plusieurs nations européennes.

5. En matière d'alerte spatiale avancée notre pays envisage de réaliser un satellite de détection infrarouge. Pour autant un seul satellite géostationnaire n'offre qu'une couverture limitée. Une coopération européenne permettrait de mieux couvrir le besoin tout en apportant aux pays impliqués les avantages d'une réelle autonomie d'appréciation en matière de connaissance de la menace et de détection.

(2) Niveau 2 d'ambition : être impliqués dans le C2 de l'OTAN grâce à l'alerte spatiale avancée

D'un point de vue diplomatique, l'alerte spatiale avancée confère à celui qui la détient une réelle autonomie d'appréciation. C'est pourquoi, indépendamment des coopérations européennes qui peuvent être recherchées, la France doit être déterminée, à titre national, à réaliser cette capacité . Celle-ci lui permettrait d'apporter une contribution à haute valeur ajoutée au profit de l'Europe dans un système de commandement qui, à défaut, ne serait alimenté que par des informations provenant des capteurs américains.

4. La direction commerciale et industrielle : défendre les intérêts de nos industriels
a) Sur quel(s) marché(s) se positionner ?

On peut distinguer au moins deux marchés d'armement liés à la DAMB :

- le marché des radars, sur lequel nos industriels ont une expérience solide ;

- le marché des intercepteurs qui est un marché nouveau pour eux.

Les satellites d'alerte avancée - compte tenu du caractère hautement stratégique des informations qu'ils fournissent - ne nous semblent pas, aujourd'hui, susceptibles de constituer un marché commercial.

b) Quelle stratégie industrielle mettre en oeuvre ?

Il n'appartient pas au Parlement de se substituer aux industriels et d'orienter les choix de marché. Néanmoins, le marché des armements n'est pas celui des voitures de luxe et bénéficie de fonds publics importants pour les études amont, le développement et les commandes. Il est donc légitime que l'Etat ait son mot à dire et qu'il s'appuie pour ce faire sur ses experts, en l'occurrence : la DGA, l'ONERA et le CNES.

Il faudra donc que l'Etat définisse une politique industrielle et choisisse entre des stratégies de niche, visant à compléter les segments non fournis par l'offre américaine, ou au contraire à se positionner en tant que concurrents de cette offre.

Il faudra également prendre en compte la possibilité de réaliser des programmes en coopération européenne ou non, afin de partager le coût des investissements non récurrents et de les répartir sur des séries plus longues.

c) Quel niveau d'ambition ?
(1) Niveau 1 d'ambition : promouvoir l'industrie des radars

Le premier marché accessible aux industriels français et européens est celui des radars. Il s'agit d'équipements moins coûteux que les intercepteurs et sur lesquels les technologies sont plus maîtrisées. En outre, les perspectives d'achat ou de vente sont sans doute les plus importantes. C'est pour cette raison que les industriels allemands et italiens au travers du radar du MEADS, néerlandais au travers du Smart L , britanniques au travers du radar Sampson sont présents sur ce marché, à côté des industriels américains.

Il semblerait légitime que les industriels français, qui ont des positions fortes sur ce segment du marché, bénéficient des commandes et orientations de l'Etat. Cela impliquerait au minimum :

- le développement du radar GS 1000 - si possible, en coopération avec l'Italie ;

- l'adaptation des radars LRR des frégates européennes Horizon, si possible en coopération avec l'Italie et le Royaume-Uni ;

- un PEA sur le GS 1500 ;

- le cas échéant, le développement du TLP ; si possible en coopération avec un ou plusieurs pays du Golfe.

(2) Niveau 2 d'ambition : attaquer le marché des intercepteurs

Un niveau supérieur d'ambition serait de lancer un programme d'intercepteur.

Du point de vue strictement commercial, il serait sans doute plus utile d'aider les entreprises nationales qui affrontent une vive concurrence internationale, avec des compétiteurs bénéficiant de programmes étatiques aussi substantiels que récurrents. L'appui au concept de missile endo-atmosphérique Aster Block 2 de MBDA s'inscrirait dans cette logique.

Ce projet présente en outre trois avantages : il peut être lancé en coopération avec d'autres Etats européens ; il comble un trou capacitaire du marché (le segment haut-endo-atmosphérique) ; il répond à notre évaluation de la menace la plus probable (missiles manoeuvrants à courte portée).

Commercialement, l'option consistant à développer un intercepteur exo-atmosphérique ne paraît pas présenter le même degré de priorité. Astrium ST réalise le missile balistique de la dissuasion française. A ce titre, la pérennisation des compétences est indispensable et ne saurait être tributaire de succès commerciaux.

Par ailleurs, l'intercepteur exo-atmosphérique - en raison de sa dimension stratégique - est un système d'armes pour lequel des coopérations internationales équilibrées sont plus difficiles à envisager. Certes, le Japon coopère avec les Etats-Unis sur le missile SM-3 Block IIA . Mais sa contribution financière a été substantielle et il n'est pas certain qu'il ait obtenu un retour technologique significatif 50 ( * ) . En outre, il semble peu probable que les Etats-Unis acceptent de nouvelles coopérations industrielles sur le développement des futurs missiles SM-3 Block IIB .

5. La direction stratégique : décider du périmètre de notre souveraineté
a) Quelle stratégie pour quelle défense ?

D'un point de vue stratégique, la DAMB nous impose de définir ce sur quoi nous pouvons nous en remettre à l'Alliance et sur ce sur quoi, il serait souhaitable que nous assurions notre souveraineté.

Ce choix doit prendre en compte les répercussions possibles sur nos autres systèmes de force, en particulier la dissuasion d'un point de vue technologique et les systèmes de force conventionnels d'un point de vue financier.

Cette question en appelle d'autres : quelles sont les technologies sur lesquelles nous souhaitons garder une maîtrise complète ?

Les technologies d'interception exo-atmosphérique conditionnent la crédibilité de notre force de dissuasion. Il semble donc indispensable que des programmes d'études amont soient développés sur ce type d'interception, même s'ils n'ont pas nécessairement vocation à déboucher sur des intercepteurs à moyen terme.

Autre question, peut-on partager des technologies sensibles avec nos alliés américains et si oui lesquelles ? Nous avons des compétences fortes dans le domaine des capteurs infrarouges utilisés pour l'alerte spatiale. Une coopération est-elle possible ? Est-il envisageable par exemple que les futurs satellites PTSS fassent l'objet d'un appel d'offres ouvert aux industriels européens ?

b) Quel niveau d'ambition stratégique souhaitons-nous conserver ?
(1) Éviter le niveau zéro

Que se passera-t-il si nous ne faisons rien ?

1. Nous ne serions plus maîtres du commandement et de la conduite des opérations de défense antimissile concernant le territoire européen.

En premier lieu, sans contribution européenne, les choix d'architecture de la DAMB seront articulés autour des systèmes d'armes américains, les seuls présents dans la couche haute où se joue la DAMB territoriale.

En second lieu, l'information initiale qui déclenchera la mise en oeuvre des effecteurs proviendra d'une alerte exclusivement américaine et sur laquelle nous n'aurons aucun moyen d'appréciation.

En troisième lieu, la décision de mettre en oeuvre les effecteurs sera largement automatisée. Seuls comptent, au début de la chaîne, la personne qui décide du déclenchement des opérations et à l'autre bout de la chaîne, les systèmes qui remplissent la mission. Les deux seront américains .

Les Européens seront donc absents d'une décision de riposte à une menace visant leur territoire. Le bouclier américain ne perdurera que tant que les contribuables américains accepteront de le financer.

2. Nous pourrions être contraints de financer en espèces l'achat d'armements américains, alors que nos industriels sont capables de développer de tels armements.

Si l'OTAN conserve l'objectif d'une défense antimissile du territoire européen, mais que les contribuables américains n'acceptent plus d'en assumer le financement, il y aura une pression forte et légitime pour que les Européens portent leur part du fardeau.

Cet effort financier pourra prendre deux formes :

- la fourniture d' équipements en nature par les nations européennes au profit de l'Alliance. Ces équipements pourront être issus des productions européennes, résulter de joint venture industrielles du type MEADS, ou bien achetés sur étagère auprès des industriels américains ;

- les équipements de l'alliance, financés en commun , qui pourraient être de la même façon des équipements européens, des équipements développés en commun ou plus vraisemblablement des équipements américains, les seuls disponibles à ce jour. Cette dernière solution serait pour nous la plus mauvaise, puisque nous serions alors amenés à effectuer des dépenses au profit de tiers que nous n'aurions pas jugées nécessaires de faire à celui de nos industriels.

Il semble difficile de penser que les nations européennes pourront limiter leur contribution au financement commun du C2. Elles seront confrontées à la situation soit de renoncer à la protection antimissile et donc d'avoir financé inutilement un C2 de l'OTAN, soit de brancher sur ce C2 des effecteurs qu'elles seront obligées d'acheter sur étagère auprès des industriels américains. Elles devront donc payer.

3. Nous risquerions un décrochage technologique et l'érosion de la crédibilité de notre dissuasion

Ce risque se comprend de façon intuitive. Sans investissement sur les technologies liées à la défense antimissile, nos experts seront moins à même d'évaluer le degré de pénétration de nos capacités nucléaires. Or le meilleur moyen de comprendre comment fonctionne une défense, c'est de savoir comment elle est construite.

Il y a en effet, une forte adéquation entre les technologies « couche haute » de la DAMB et les technologies spatiales et balistiques. Progresser sur les technologies de la DAMB permet de progresser sur une part importante des technologies dont nos industriels auront besoin dans les décennies à venir pour rester au meilleur niveau. L'ensemble des concurrents mondiaux - en particulier américains, japonais, israéliens, bénéficieront d'efforts de R & T que nous refuserons à nos industriels.

Technologiquement parlant, la DAMB décidée à Lisbonne ne s'inscrit pas dans la continuité de l'ALTBMD, mais constitue une rupture qui en change la nature. Ce que l'on appelle DAMB est en fait une nouvelle « frontière capacitaire » à la jonction de la dissuasion et du spatial. Elle participe d'une compétition plus ambitieuse : celle de la maîtrise de l'espace, du déni d'accès et des moyens d'information et d'alerte planétaires du futur. C'est la face cachée de la DAMB. Que nous ayons signé ou non à Lisbonne ne change rien à l'affaire. Ne pas participer à une course, ne l'empêche pas d'exister. Se cacher la tête dans le sable et faire comme si elle n'existait pas, ne fera pas avancer nos intérêts.

Ne rien faire n'est donc pas - du point de vue stratégique - une option à considérer.

(2) Le niveau 1 d'ambition

Le premier niveau d'ambition consiste, pour la France, à garantir son autonomie d'appréciation, à pouvoir participer à la conception de DAMB de territoires et à être capable d'en comprendre et d'en connaître le fonctionnement.

Il s'agit à la fois de pouvoir intervenir de manière pertinente dans la définition des règles de commandement et d'être en mesure de savoir comme elles sont mises en oeuvre. Cela est d'autant plus important que la DAMB appelle des décisions quasi-automatiques et que, dans l'état actuel des équilibres de l'Alliance, personne n'imagine que la décision ultime ne soit prise par quelqu'un autre que le SACEUR, qui est un général américain.

Dans ces conditions, le moins que l'on puisse faire est de rester souverain sur l'information qui permet de fonder la décision d'engagement. Cette solution recommande de s'engager, au minimum, vers l'acquisition d'un satellite d'alerte avancée.

Par ailleurs, il serait souhaitable que la France se dote d'une instance étatique de réflexion et de coordination des efforts en matière de DAMB . Le modèle ici n'est pas la Missile Defense Agency , mais le Missile Defense Centre britannique. En effet, un grand nombre de savoirs en matière de DAMB résident chez les industriels. Or ceux-ci de façon tout à fait compréhensible n'entretiennent pas un dialogue développé entre eux. Il serait donc souhaitable qu'une instance impartiale permette à un tel dialogue de voir le jour.

Par ailleurs, au sein des instances étatiques, la question DAMB est une question qui est traitée en sus des autres missions, alors que l'importance des enjeux et leur complexité mériterait qu'une équipe interministérielle lui soit spécifiquement dédiée. Une telle décision serait peu couteuse et d'une grande utilité.

(3) Niveau 2 d'ambition

Ne pas se laisser distancer technologiquement et maintenir la crédibilité de notre dissuasion.

Si nous entendons pousser notre ambition jusqu'à ce stade, alors il serait souhaitable de mettre en place un programme d'étude d'un intercepteur exo-atmosphérique, car c'est bien là que se situent les risques technologiques les plus importants pour notre dissuasion.

Si même cela paraissait trop cher, le moins que l'on puisse faire est de continuer à développer nos compétences dans le domaine des rétines infrarouges nécessaires à la détection des missiles balistiques et des algorithmes associés permettant la discrimination des têtes dans les cortèges.

(4) Niveau 3 d'ambition

Mettre en place un système complet de défense.

La DAMB est une chaîne : soit elle est complète avec tous ses maillons ; soit un maillon manque et elle ne sert pas à grand chose. Elle fonctionne comme la dissuasion. On ne dissuade pas avec un missile seul ou avec la démonstration de sa capacité à construire un sous-marin nucléaire. Une chaîne ne peut remplir sa fonction que si tous ses maillons sont assemblés et éprouvés.

Si l'ambition de la France est non seulement de pouvoir se défendre dans le cadre d'une alliance, mais éventuellement de pouvoir le faire seule, alors il faudrait qu'elle maîtrise l'ensemble des maillons de la chaîne DAMB. Ce serait évidemment un choix ambitieux. Mais il permettrait d'agir en allié et pas seulement en protégé.

Dans ce cas il faudrait un programme complet comprenant :

- l'alerte avancée : c'est-à-dire le satellite et le radar à longue portée, si les conditions évoquées précédemment relativement à l'implantation et à la localisation sont remplies ; soit au bas mot un milliard d'euros ;

- l'intercepteur exo-atmosphérique , doté de son radar en bande X pour le guidage terminal ; soit de l'ordre de 2 milliards d'euros, sans compter le déploiement sur deux frégates au minimum, à concevoir et à construire pour 1,5 milliard d'euros, soit au total, environ 3,5 milliard d'euros.

- l'intercepteur endo-atmosphérique , au minimum le radar GS 1000 pour le SAMP-T et si cela est soutenable financièrement l' Aster Block II , qui peut être lancé des frégates Horizon ou FREMM ; soit environ 1,7 milliard d'euros supplémentaires.

On peut donc chiffrer très grossièrement le prix de notre pleine souveraineté autour de sept milliards d'euros supplémentaires sur une dizaine d'années, soit environ 700 millions d'euros par an.

Est-ce trop ? En tous cas, trop pour le budget de la défense. Si nous décidions collectivement de poursuivre dans cette direction, jusqu'à ce niveau d'ambition, alors il faudrait dégager faire progresser l'effort de défense et mettre en place les moyens budgétaires adéquats, afin d'éviter un effet d'éviction sur les autres programmes nécessaires à nos forces armées.

F. LES RECOMMANDATIONS DE VOS RAPPORTEURS

Les recommandations peuvent varier du tout au tout en fonction des objectifs poursuivis. Ainsi, pour prendre le débat bien connu des familiers de ce dossier sur le choix d'un intercepteur endo-atmosphérique ou exo-atmosphérique, tout dépend en fait de la question posée : que veut-on faire ? S'agit-il de parer une menace militaire, d'aider nos industriels à conquérir de nouveaux marchés, de conforter nos alliances dans le cadre européen ? Alors le choix doit s'orienter naturellement vers un intercepteur endo-atmosphérique. Mais s'il s'agit de préserver sa souveraineté, de ne pas risquer le dévissage technologique et de ne pas risquer un découplage entre la compétence C2 et la compétence balistique, alors il nous faut préférer le choix d'un intercepteur exo-atmosphérique.

Une chose est sûre : poursuivre plusieurs objectifs à la fois est le meilleur moyen de n'en atteindre aucun. Suivre un cap moyen entre deux ports ne nous amènera nulle part. En revanche, il est possible de suivre différents caps à différents moments et de toucher ainsi différents ports. Cela s'appelle tracer une route. Plusieurs routes sont possibles. Celle que vous suggèrent vos rapporteurs est la suivante :

1. Mettre le cap sur la préservation de notre autonomie stratégique et la valeur de notre force de dissuasion

Pour vos rapporteurs, la première priorité consiste à préserver notre autonomie stratégique et la valeur de notre force de dissuasion.

Cette priorité découle de trois objectifs :

• Assurer notre autonomie nationale d'appréciation sur l'évolution de la menace et sur les situations de crise balistique ; cet objectif conduit à se doter de la capacité d'alerte avancée prévue par le Livre blanc ;

• Pouvoir pleinement participer à la conception du futur système de DAMB de l'OTAN, c'est-à-dire à la définition de son commandement et de l'architecture de déploiement ; pouvoir aussi comprendre et connaître le fonctionnement de ce système ; cet objectif nécessite une exacte connaissance de la menace, grâce à l'alerte avancée précédemment évoquée ; il requiert également la compréhension fine de la mécanique de l'interception exo-atmosphérique - là où se joue la défense antimissile des territoires ;

• Assurer la crédibilité à long terme de notre dissuasion nucléaire, en pouvant mesurer les conséquences des nouvelles technologies de l'interception sur les capacités de pénétration de nos forces nucléaires.

Pour toutes ces raisons, il serait souhaitable de garder le cap que nous nous sommes fixés dans le Livre blanc et de tenir sans délai les engagements diplomatiques que nous avons contractés dans les discussions qui ont précédé et suivi le sommet de Lisbonne. Il serait également extrêmement utile de constituer un Centre français de défense antimissile, chargé de coordonner l'ensemble des opérations. Enfin, il faudrait lancer un plan d'études amont (PEA) sur l'interception exo-atmosphérique.

a) Constituer un centre national de la défense antimissile

La défense antimissile est devenue un sujet trop important pour être traité comme un travail supplémentaire par ceux qui s'y consacrent au sein de l'appareil étatique. Il faut une force de travail entièrement dédiée à ce sujet. Le niveau auquel il convient de fixer cette force, sa mission exacte, son organisation et son rattachement doivent être déterminés par l'Exécutif, mais il pourrait s'agir dans un premier temps de quelques dizaines d'experts seulement. L'important nous semble être que ces personnels travaillent à temps plein sur ce sujet. L'idée est de constituer une sorte d'équipe de France de la défense antimissile balistique.

Ce premier pas serait d'un coût modeste. Il permettrait de constituer un lieu d'expertise et d'échanges impartial où les industriels et les experts étatiques pourraient et devraient s'échanger les informations nécessaires à la formation des décisions publiques, sur le modèle du Missile Defense Centre britannique. Ce serait un levier pour multiplier nos efforts.

b) Tenir ses engagements en matière d'alerte avancée

Un programme de satellite infrarouge est indispensable si la France veut rester souveraine en matière de dissuasion et d'alerte avancée. La souveraineté sur le renseignement conditionne tout le reste. Il ne s'agit pas de ne pas faire confiance à nos amis et alliés américains. Mais la confiance n'exclut pas le contrôle.

Au demeurant cette capacité d'alerte avancée permettrait de rééquilibrer l'infériorité stratégique dans laquelle se trouve l'Europe actuellement. Des coopérations doivent continuer à être recherchées.

Permettre l'accès direct des images infrarouges de ce satellite en échange d'une participation financière semble raisonnable. Si nous sommes capables d'agréger des coopérations autour de nous il doit même être possible d'envisager un deuxième satellite, car faire reposer l'ensemble de la chaîne sur un seul satellite nous semble constituer un point de faiblesse.

S'agissant du radar TLP, la réalisation d'un démonstrateur nous paraît suffisante pour valider nos compétences technologiques et industrielles. En effet, vu de Paris, la menace militaire ne nécessite pas le déploiement d'un système complet en métropole. S'il fallait assurer la surveillance du territoire national, un radar transhorizon nous semblerait préférable, car il assurerait une protection tous azimuts, ce que n'est pas capable de faire un radar TLP à une seule face - ou alors il faut acquérir un radar à trois faces, ce qui multiplierait le coût par trois.

S'il fallait déployer un radar TLP, cela n'aurait de sens qu'au plus près d'une menace clairement identifiée. Dans le cas qui nous occupe, cela pourrait servir à surveiller l'Iran à partir du Golfe ou bien de la Turquie. Il serait alors légitime que le pays hôte pour la sécurité duquel ce radar serait installé participe financièrement à sa fabrication. Dans cette perspective, le démonstrateur permettrait d'apporter la preuve de notre compétence et de spécifier le projet définitif.

Militairement parlant, on pourrait lui préférer l 'upgrading des radars de veille des frégates Horizon qui serait à la fois moins onéreux et apporterait une flexibilité sans commune mesure, en cas de modification de la menace.

c) Doter le C2 français (SCCOA) d'une capacité DAMB

Le système de commandement et de conduite des opérations aériennes (SCCOA) français est en cours d'évolution. Ce programme comporte à la fois la rénovation de nos radars, l'intégration logicielle à l'ACCS de l'OTAN et la modernisation de nos centres de commandement des opérations aériennes (CDOA). Le coût de cette opération appelé SCCOA 4 - serait compris entre 1,2 et 1,4 milliards d'euros entre 2013 et 2020, dont 457 millions d'euros bénéficient déjà d'autorisations d'engagement.

Même si cette opération était effectuée, le C2 français serait néanmoins dans l'incapacité de participer à la bataille balistique. A supposer que nous disposions d'effecteurs, du type SAMP/T, nous ne pourrions faire autrement que de les brancher sur le BMC3I de l'OTAN. De la même manière, cette capacité est indispensable pour pouvoir traiter, le cas échéant, les données de l'alerte avancée.

Il faudrait donc faire évoluer le SCCOA 4 vers une phase ultérieure (SCCOA 5 ?) capable de jouer le rôle de C2 national. Il en coûterait de l'ordre de 600 à 800 millions d'euros pour avoir un système robuste incluant un ou des éléments projetables.

d) Lancer un PEA en matière d'interception exo-atmosphérique

La compétence d'architecture et de C2 nous paraît intimement liée à la compétence en matière de missiles balistiques, compétence que nous avons chèrement acquise depuis des dizaines d'années en constituant notre force de dissuasion. Seuls les Etats-Unis sont aujourd'hui présents dans le domaine de l'interception exo-atmosphérique, ce qui les place en situation de monopole sur la compétence d'architecture. Être absent de ce domaine, c'est prendre le risque de l'être également dans la définition de l'architecture de la DAMB et de son commandement.

Par ailleurs, ne pas rester dans la course balistique serait aussi prendre le risque de voir notre dissuasion dévaluée. C'est un risque que nous ne pouvons pas prendre.

Ensemble ces trois actions - alerte avancée, constitution d'un C2 français et PEA exo-atmosphérique - nous permettront de peser dans l'architecture du C2 de l'OTAN et de tenir notre rang dans l'Alliance.

2. Mieux associer le Parlement à la révision du Livre blanc et organiser un débat parlementaire sur la DAMB

Il nous paraît indispensable que dans le cadre de la prochaine révision du Livre blanc qui aura lieu en 2012-2013, les réflexions sur la stratégie de la France en matière de DAMB ne se limitent pas à un cercle restreint d'experts gouvernementaux, si compétents soient-ils.

Rien ne se fera en matière de défense antimissile sans que le Parlement ne soit consulté. Si un consensus doit naître - et c'est notre voeu- il doit émerger d'un débat dans lequel toutes les opinions pourront librement s'exprimer. Une telle décision ne peut être prise dans le secret par un petit nombre de personnes au sein de l'appareil d'Etat.

C'est une exigence minimale de démocratie. Compte tenu de l'importance du sujet, il semblerait normal que le Gouvernement engage sa responsabilité sur cette question.

Rappelons qu'aux Etats-Unis ce sont les parlementaires du Congrès qui ont imposé la Missile Defense à une administration Clinton plus que réticente.

3. Demander à l'AED d'organiser une conférence européenne - envisager une coopération structurée ?

La DAMB est un défi stratégique lancé à l'Europe. Est-ce que les Européens auront le courage de le relever ? Personne ne le sait, mais si personne n'essaie, alors le résultat sera forcément négatif.

Il serait souhaitable qu'une telle discussion ne soit pas le fruit de discussions bilatérales « behind close doors » (derrière des portes fermées) mais d'une franche discussion. Les nations souhaitant participer à une défense antimissile autrement qu'en finançant en espèces des achats d'armements américains pourraient y envisager des solutions, cartes sur tables. A l'issue de cette conférence, en cas de succès, une coopération structurée pourrait être envisagée.

Plusieurs pistes de coopération existent.

La première est celle la DAMB navale qui est une voie que de nombreux pays européens ont prise pour des raisons faciles à comprendre. Cette piste n'a sans doute pas été suffisamment considérée par notre pays. Or, au moins une coopération existe, puisque la contribution italienne à travers les deux frégates Horizon que ce pays possède n'a de chance d'être recevable que si les sous-systèmes en sont développés ( Aster naval ; radar Empar ; radar LRR et C2 associé). Cette piste concerne également le Royaume-Uni, les Pays-Bas et l'Allemagne.

Quant à la piste terrestre, consistant à doter le SAMP/T d'une capacité autonome de conduite de tir, c'est sans doute une des pistes où la coopération devrait être logiquement la plus prometteuse et la moins onéreuse.

Enfin, deux autres coopérations nous semblent à portée de main.

La première concerne l' Aster Block II et la seconde les drones HALE allemands, qui pourraient être dotés, dans des conditions financièrement raisonnables, d'une capacité DAMB déployable en cas de crise.

La seconde, commercialement et militairement la plus intéressante est celle de la construction de l' Aster Block II .

Ces collaborations pourraient nous permettre de placer collectivement les Européens à un niveau d'ambition commercial raisonnable.

Militairement, elles constitueraient la réponse la plus adaptée, pour ne pas dire la seule, à la menace balistique telle qu'on peut la préfigurer aujourd'hui pour dans cinq ans.

II. L'ÉLABORATION D'UNE FEUILLE DE ROUTE

L'élaboration d'une feuille de route doit tenir compte des contraintes financières .

L'ordre de grandeur des coûts d'un programme d'intercepteur endo-atmosphérique Aster 30 Block II , d'un intercepteur exo-atmosphérique Exoguard ou de plates-formes maritimes ad hoc , susceptibles d'emporter l'un ou l'autre de ces intercepteurs (estimation de deux frégates de type Horizon dédiées à la DAMB) se situe autour de deux milliards d'euros pour chacun d'entre eux.

A ce stade, il est difficile de consolider ces estimations. Il faudrait être capable de spécifier les programmes afin d'obtenir des devis plus précis. Or, faute de ressources disponibles et d'orientations politiques pour envisager la faisabilité de ces projets, l'analyse n'a pas été conduite jusqu'à son terme. Sans cette première étape dont l'objectif est précisément d'identifier toutes les difficultés technologiques à lever, les chiffres indiqués n'ont qu'une valeur indicative pour avoir une idée du coût possible d'une option complète de DAMB.

En l'absence de devis chiffrés, il est intéressant de regarder les ordres de grandeur disponibles du côté américain . Pour le THAAD , le coût à terminaison du programme (acquisition de 9 batteries, des intercepteurs, de 3 à 6 lanceurs, d'un radar en bande X et d'un système de contrôle) est estimé par le GAO à 21,1 milliards de dollars (14,5 milliards d'euros, dont 11 milliards d'euros pour le développement). Pour les missiles GBI , le coût à terminaison du programme est estimé à 38,1 milliards de dollars (26,3 milliards d'euros) pour une trentaine de silos ; ce montant est intégralement affiché comme « recherche et développement ».

Mais on sait que la transposition pure et simple à la France des budgets américains ne serait pas pertinente. En matière de dissuasion nucléaire, la France dispose de deux composantes crédibles qui garantissent sa sécurité et lui confèrent une posture stratégique de premier plan. Elle les a constituées et maintenues avec des budgets infiniment moins élevés que ceux alloués par les Etats-Unis à leur propre dissuasion nucléaire. On peut retenir comme hypothèse que la France pourrait s'engager dans des programmes de DAMB dans des enveloppes (coûts et quantités) très inférieures à celles de la Missile Defense américaine.

Le tableau ci-après doit être pris avec les plus grandes précautions méthodologiques. En effet :

1. Les coûts ne sont pas établis par rapport à un besoin opérationnel et à un périmètre précisément identifié ; il s'agit d'ordres de grandeur sur la base d'informations transmises à vos rapporteurs par la DGA et les industriels ;

2. Les estimations ci-après portent sur les coûts de développement et de fabrication ; elles n'intègrent pas tous les coûts liés à l'environnement des systèmes, notamment l'exploitation et le maintien en condition opérationnelle ;

PROPOSITIONS

CONCLUSION

La défense antimissile balistique suit un déploiement guidé par les choix et les initiatives des Etats-Unis. On ne peut guère le leur reprocher. Son développement vise essentiellement à protéger le territoire et les populations américaines ainsi que les forces américaines déployées outre-mer contre des menaces balistiques limitées en provenance d'Etats proliférants susceptibles de ne pas être dissuadables (« non deterrable »). Elle a pour ambition de ramener ainsi un peu de rationalité dans un débat avec des dirigeants irrationnels. Elle constitue un début de protection pour des citoyens américains se sentant menacés et apporte ce faisant une réponse militaire à des préoccupations politiques.

D'un point de vue diplomatique, en étendant à leurs alliés la protection de leur bouclier, les Etats-Unis les obligent à la solidarité, voire les contraignent à l'alignement. Quant aux compétiteurs des Etats-Unis, ils n'ont d'autre choix que d'accepter d'être déclassé militairement ou de se lancer dans une course technologique qui risque de les épuiser financièrement.

Enfin, il ne faut pas occulter les aspects économiques de la défense antimissile. Elle est un puissant outil de politique industrielle, une machine à financer les entreprises clefs dans un pays qui a pourtant fait du libre jeu du marché une profession de foi. Elle est un moyen de développer de nouvelles technologies qui irrigueront l'ensemble de l'économie.

Au total, la défense antimissile permet de maintenir et de renforcer la prééminence stratégique américaine pour moins d'une dizaine de milliards de dollars par an, sur un budget de sept cent milliards, soit moins de 2 %. C'est sans doute un des investissements militaires les plus rentables.

On pourrait s'interroger longtemps sur les raisons pour lesquelles la France a mis tant de temps à prendre la mesure des enjeux de ce projet. D'autant que tout cela était prévisible et même annoncé. Dans un rapport de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, Xavier de Villepin écrivait en 1999 : « on peut toutefois se demander si l'importance grandissante que ne manquera pas de prendre la défense anti-missile dans le débat stratégique des prochaines années, ne créera pas tôt ou tard, une pression pour que cette question soit traitée au sein de l'Alliance atlantique. » 51 ( * ) .

La crise financière et la diminution des budgets militaires ont sans doute beaucoup pesé. La crainte de voire notre dissuasion nucléaire érodée, aussi. Pourtant avec des flux financiers de l'ordre d'un ou deux milliards d'euros par an, la défense antimissile n'est pas hors de portée de l'Europe. A condition toutefois que l'effort soit collectif. La passivité européenne est moins une question de moyens que d'absence de volonté. Budgétairement, ce programme arrive au mauvais moment et prend l'allure d'un cheval de Troie qui, après l'expérience de l'avion JSF, risque d'assécher définitivement les budgets de recherche militaire européens. La faible implication de la Grande-Bretagne dans la défense antimissile, alors que ce pays a toujours été à la pointe d'une coopération avec les Etats-Unis est, de ce point de vue, emblématique. Ne faut-il pas « craindre les Grecs même quand ils font des cadeaux » ? Et donc les refuser ?

A défaut d'avoir anticipé, il va falloir nous adapter. Refuser de participer à une course à laquelle tous participent, ne l'empêchera pas d'avoir lieu. Encore faut-il savoir ce que l'on veut faire et dans quelle direction souhaite-t-on aller. De la question posée, dépendent les réponses.

Militairement, si menace il y a, elle résulte de missiles balistiques à courte portée, qui mettent en danger les pays du Golfe persique et les forces occidentales qui y sont déployées. Cette menace commanderait des solutions tournées vers la défense de théâtre, radicalement différentes de la défense de territoire. Or, en matière de défense antimissile balistique, « qui peut le plus ne peut pas nécessairement le moins. ».

Politiquement parlant, l'Europe - en tous cas la France - semble ne pas se sentir menacée par une attaque balistique, quels que soient les progrès affichés à échéance régulière par les forces iraniennes. Faut-il dans ces conditions répondre à une question que nos concitoyens ne se posent pas ?

D'un point de vue diplomatique, la défense antimissile est un levier qui démultiplie l'influence américaine et pousse les nations européennes à des relations bilatérales déséquilibrées. Notre intérêt est de nous unir pour avoir une chance de rétablir un dialogue équilibré. L'absence de réponse coordonnée sonnerait le glas de l'Europe de la défense.

Industriellement, technologiquement, commercialement, la défense antimissile marque le début d'une compétition dans laquelle les entreprises américaines ont d'ores et déjà pris dix ans d'avance. Faut-il s'y mettre sans tarder ou jeter l'éponge alors même que nos entreprises sont capables d'y participer, dans tous les segments de jeu, et sont en position d'en retirer des avantages significatifs ?

Stratégiquement, la passivité n'est pas une option pour les pays dotés d'une force de dissuasion nucléaire autonome. C'est le cas de la France. C'est aussi celui de la Russie.

Militairement défensive, la défense antimissile est en réalité stratégiquement offensive. Elle est un outil de soft power construit à partir d'instruments de hard power . Elle met les puissances, aussi bien alliées qu'adverses face à un défi : en être, ou ne pas en être . Davantage qu'à Aegis , le bouclier mythique d'Athéna, elle fait penser à la lance d'Achille, qui blesse et qui guérit.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 6 juillet 2011, sous la présidence de M. Josselin de Rohan, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a approuvé, à l'unanimité, le présent rapport d'information et en a autorisé la publication.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES EN 2011

M. Camille Grand,
directeur de la Fondation pour la recherche stratégique (2 mars)

Contre-Amiral Emmanuel de Oliveira,
Etat-major des armées (22 mars)

M. Bruno Gruselle,
maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (23 mars)

M. Michel Miraillet,
directeur chargé des affaires stratégiques au ministère de la défense (23 mars)

M. Antoine Bouvier,
président de MBDA (24 mars)

Ingénieur général Jean-Pierre Devaux,
directeur de la stratégie de la direction générale de l'armement (DGA) (29 mars)

Colonel Pascal Avonture - Colonel Diaz - Colonel Thierry Bon
(Système de commandement des opérations aériennes) (SCCOA) (14 avril)

M. François Géré,
directeur de l'Institut français d'analyse stratégique (IFAS) (28 avril)

Général de brigade aérienne André Lanata,
sous-directeur affaires internationales (SGDSN) (28 avril)

M. Jean-Paul Herteman ,
président du directoire du groupe SAFRAN
(28 avril)

S. Exc. M. Alexandre Orlov ,
ambassadeur de Russie en France (7 juin)

S. Exc. M. Reinhard Schäfers,
ambassadeur d'Allemagne en France (14 juin)

M. Marco Marsilli
ministre d'Italie en France (28 juin)

M. Han-Maurits Schaapveld
ministre plénipotentiare des Pays-Bas en France (28 juin)

Amiral Edouard Guillaud,
chef d'état-major des armées (30 juin)

LISTE DES DÉPLACEMENTS EFFECTUÉS EN 2011

13 janvier

EADS Astrium Satellites

Toulouse

10 mars

Thales Air Systems

Limours

21 mars

Croiseur USS Monterey

Aarrhus (Danemark)

6 avril

DCNS -Le Mourillon

Toulon

29 avril

FDA Chevalier Paul

Toulon

4 mai

DGA Essais de missiles

Biscarosse

12 mai

EADS Astrium Space Transportation

Les Mureaux

19 mai

OTAN

Bruxelles

31 mai

ONERA

Palaiseau

Lors de leur visite au siège de l'OTAN , le 19 mai 2011, les rapporteurs ont notamment rencontré :

- M. Patrick AUROY, secrétaire général adjoint de l'OTAN pour les investissements de défense ;

- M. Heinrich BRAUSS, secrétaire général-adjoint délégué de l'OTAN chargé de la politique et de la planification de défense ;

- M. Roberto ZADRA, président des groupes de travail OTAN et OTAN/Russie sur la défense antimissile ;

- M. Robert BELL, représentant du Secrétaire à la défense des Etats-Unis en Europe, conseiller défense à la représentation des Etats-Unis à l'OTAN, ancien secrétaire général adjoint de l'OTAN pour les investissements de défense ;

- M. Philippe ERRERA, ambassadeur, représentant permanent de la France à l'OTAN.


* 1 « Les conditions d'un engagement de la France dans la défense antimissile balistique de l'OTAN - Josselin de Rohan - n° 99 -2010-2011 Sénat - commission des affaires étrangères et de la défense.

* 2 http://intranet.senat.fr/compte-rendu-commissions/20101108/etr.html#toc6

* 3 Cette définition des missiles de théâtre est celle retenue par l'OTAN afin d'inclure la capacité de couche haute. La défense des forces projetées, par des moyens de couche basse, concerne plus tôt, selon l'acception française, les missiles d'une portée inférieure à 1 500 km.

* 4 Retirés en 1976, quelques mois après leur déploiement à Grand Forks (Dakota du Nord).

* 5 Source GAO-11-233SP - Assesment of selected weapon.

* 6 Le THAAD a nécessité un investissement technologique important: démarré à la fin des années 80 (premier tir au banc de propulseur en 1991) pour une mise en service initialement prévue en 1998, il a essuyé 9 échecs consécutifs en vol avant d'être entièrement remanié en décembre 2000, avec une augmentation de budget (radar et missile) de 2,5 à 4,2 milliards de dollars. Depuis 2007 il a connu 7 essais d'interception réussis sur 7, à des altitudes non communiquées. Un ou des radars sont déployés au Japon depuis 2004, une mise en service du système complet devrait avoir lieu l'année prochaine.

* 7 « Les conditions d'un engagement de la France dans la défense anti-missile balistique de l'OTAN - Josselin de Rohan - n° 99 -2010-2011 Sénat - commission des affaires étrangères et de la défense.

* 8 Voir : « l'Amérique vulnérable - 1946 -1976 » Jean-Pierre Baulon - La bibliothèque stratégique. Ed Economica Paris 2009

* 9 Le Président Ronald Reagan utilisa le terme d'empire du mal pour la première fois le 8 mars 1983 dans un discours prononcé devant la National Association of Evangelicals . La citation exacte est : « In your discussions of the nuclear freeze proposals, I urge you to beware the temptation of pride, the temptation of blithely declaring yourselves above it all and label both sides equally at fault, to ignore the facts of history and the aggressive impulses of an evil empire, to simply call the arms race a giant misunderstanding and thereby remove yourself from the struggle between right and wrong and good and evil »

* 10 Discours sur l'état de l'Union du 29 janvier 2002

* 11 Ballistic Missile Defense Overview - to 13th Annual AUSA Missiles Conference by LTG Patrick J. O'Reilly, USA Director Missile Defense Agency,  April 26, 2011 http://www.ausaredstone.org/files/2011/LTG%20Patrick%20OReilly%20Speaker%20Briefing_AUSA%20Missiles%20Conferen.pdf

* 12 Voir présentation ci-après sur le déploiement actuel et futur de la Homeland Missile Defense et encadré explicatif sur les moyens mis en oeuvre.

* 13 Rapport d'information n° 417 Sénat « les enjeux de la défense nationale antimissiles aux Etats-Unis ; Xavier de Villepin, 1999-2000 - p. 57

* 14 Rapport d'information n° 2961 Assemblée nationale par la commission de la défense nationale et des forces armées sur les projets américains de défense antimissile, présenté par M. Paul Quilès, 28 mars 2001

* 15 Rapport de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des forces armées du Sénat n° 313 2001-2002 - Xavier de Villepin, Didier Boulaud, Michel Caldaguès, Jean Puech - « la politique de défense des Etats-Unis : une nation en quête de vulnérabilité »

* 16 Il existe même des associations à but non lucratif destinées à promouvoir la Missile Defense telles que la MDAA - Missile Defense Advocacy Alliance dont le but est de : « mobiliser l'opinion afin d'encourager les essais, le développement et le déploiement de la défense antimissile balistique ». https://missiledefense.wordpress.com/category/mdaa/mda/

* 17 Voir « défense anti-missile au Japon, en Corée du Sud et en Inde » étude de Valérie Niquet et Bruno Gruselle pour la Fondation pour la Recherche Stratégique n° 01/2011 (recherches et documents).

* 18 Source : Affaires stratégiques.info : La défense anti-missile japonaise : développements et perspectives 4 février 2011 Edouard Pflimlin, chercheur associé à l'IRIS http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article4598

* 19 Source : Le Monde.fr http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2010/07/19/israel-un-bouclier-anti-missile-operationnel-pour-novembre_1389931_3218.html

* 20 Dans « Irons nous sur Mars ? » Ed Vuibert Paris 2011 p. 61 - Jacques Villain évalue le coût du programme Apollo à 165 milliards de dollars ; celui de la navette spatiale à 185 milliards de dollars et celui de la station spatiale internationale à 115 milliards de dollars.

* 21 Reuters UAE seeks $7 bln Lockheed weapon system Thu, May 29 2008

* 22 C'est le titre d'une tribune récente de l'ambassadeur auprès de l'OTAN et envoyé spécial du Président de la Russie pour la défense anti-missile de l'OTAN, M. Dmitry Rogozin, publié le 8 juin dernier dans le International Herald Tribune : « Missile Defense : As friends or foes ? »

* 23 Voir compte rendu intégral des débats de la séance publique du 9 décembre 2010 sur : http://www.senat.fr/seances/s201012/s20101209/s20101209008.html

* 24 Les Etats-Unis rétorqueront que le 3 ème site n'est pas dirigé contre la Russie. Ils souligneront que le nombre d'intercepteurs prévus en Pologne, limité à dix, est sans rapport avec la capacité des forces stratégiques russes et qu'en tout état de cause, ces intercepteurs ne pourraient être utilisés contre des missiles russes lancés vers les Etats-Unis qu'en « poursuite arrière », ce qui rendrait en pratique l'interception impossible. Ils préciseront également que le radar en bande X prévu en République tchèque serait orienté vers le sud et dédié à des fonctions de poursuite, et non de surveillance, dans la mesure où il ne serait pas activé en permanence, mais uniquement sur désignation de capteurs spatiaux en cas de détection d'un lancement de missile.

* 25 Selon les informations recueillies par vos rapporteurs, certains documents internes de l'OTAN mentionnent la présence de trois navires Aegis déployés en Europe sur l'ensemble des phases de l'EPAA.

* 26 Discours devant le Royal United Services Institute à Londres - 15 juin 2011

* 27 Les éléments sur la position russe sont tirés de l'audition à huis clos de M. l'ambassadeur de Russie en France, M. Alexandre Orlov, ainsi que des positions publiques. Voir notamment article de M. Dmitry Rogozin, ambassadeur de Russie auprès de l'OTAN et envoyé spécial du Président de la République de Russie pour interagir avec l'OTAN sur la défense anti-missile - International Herald Tribune du 8 juin 2011 : « Missile Defense: As friends or foes ? ».

* 28 Discours précité du 15 juin 2011 à Londres.

* 29 GAO-11-220 - Ballistic Missile Defense - DOD needs to Address Planning and Implementation Challenges for Future Capabilities in Europe

* 30 GAO-11-372 Missile Defense - Actions Needed to Improve Transparency and Accountability mars 2001

* 31 L'Espagne et la Grèce disposant pour leur part du Patriot PAC-2 sans réelle capacité antibalistique.

* 32 Voir dans l'avant-propos « Notions liminaires » la présentation des frégates de défense anti-aérienne.

* 33 Voir le rapport précité de M. Xavier de Villepin (n°417 du 14 juin 2000) page 57 : « L'histoire de la nation américaine témoigne d'un attachement très vif à la protection et à l'intégrité du territoire des Etats-Unis, érigé au rang de sanctuaire. L'invulnérabilité de ce territoire-continent constitue donc un objectif primordial, sans doute le premier de tous en matière de sécurité et de défense. »

* 34 http://www.guardian.co.uk/uk/2011/may/30/military-cyberwar-offensive

* 35 Initiative sur les capacités de défense lancée en 1999, Engagement capacitaire de Prague en 2002

* 36 Plan d'action européen sur les capacités en 2001, puis Plan de développement des capacités de l'Agence européenne de défense en 2008

* 37 Lt-General Robert G. Gard, président du Center for Arms Control and Non-Proliferation - http://armscontrolcenter.org/policy/missiledefense/articles/missile_defense_update_2011_questions_remain/

* 38 Pour surveiller une zone allant de la Guyane à la Corée du Nord, il faudrait 2 satellites.

* 39 Le radar de Thule ne semble avoir que deux faces - 240 °, de même que celui de Beagle en Californie. Le radar de Shemya (Cobra Dane) ne semble avoir qu'une seule face 120°.

* 40 « Forbin » et « Chevalier Paul », côté Français « Andrea Doria » et « Caio Tulio », côté Italien.

* 41 « Launch On Remote » désigne le mode de fonctionnement dans lequel un radar organique (colocalisé, intégré au système d'armes) prend la main au cours du vol pour désigner la cible. Dans le mode de fonctionnement « Engage On Remote », le radar organique n'estpas utilisé, et donc pas nécessaire.

* 42 Les missiles M45 et M51 sont les missiles des Forces Océaniques Stratégiques françaises.

* 43 L'ATV - Automated Transfer Vehicule - est un vaisseau cargo entièrement automatisé et non-habité. Contribution majeure de l'Europe à la station spatiale internationale, l'ATV a pour mission essentielle de ravitailler l'ISS.

* 44 Voir notamment, pour une analyse européenne de la menace, le rapport établi par le ministère de la défense du Royaume-Uni en 2002 (Missile Defence : a public discussion paper p. 10) : « la menace balistique future : nous estimons qu'il n'y a pas de menace balistique significative pour le Royaume-Uni. Mais nous croyons que l'Irak, la Corée du Nord, l'Iran et la Lybie sont en train de chercher d'acquérir des missiles balistiques à longue portée avec la capacité de cibler le Royaume-Uni ou nos forces déployées. »

* 45 Propos rapportés par Robert G. Gard in Missile Defense Update 2011 : question remain Center for Arms control and non Proliferation

http://armscontrolcenter.org/policy/missiledefense/articles/missile_defense_update_2011_questions_remain/

* 46 http://forums.france2.fr/france2/jtfrance2/polonais-deploiement-antimissile-sujet_24292_1.htm consulté le 18 juin 2011.

* 47 NB : l'article 11 de la Constitution n'autoriserait pas une consultation par referendum sur un tel sujet.

* 48 À la fin de l'année 1954, Pierre Mendès-France, président du Conseil, a pris la décision de lancer un programme secret d'études et de préparation d'un prototype d'arme nucléaire et d'un sous-marin atomique]. En juillet 1956, Guy Mollet, chef d'un gouvernement dans lequel François Mitterrand occupe la fonction de ministre de l'Intérieur, a annoncé au parlement sa décision de faire réaliser des charges atomiques explosives.

* 49 Discours d'adieu de Robert Gates à l'OTAN - « réflexions sur le statut et le futur de l'Alliance transatlantique » prononcé le 10 juin 2011 à Bruxelles disponible sur le site : http://www.securitydefenceagenda.org/Contentnavigation/Activities/Activitiesoverview/tabid/1292/EventType/EventView/EventId/1070/EventDateID/1087/PageID/5141/Reflectionsonthestatusandfutureofthetransatlanticalliance.aspx . Sur les nombreuses réactions que ce discours a suscitées voir en particulier : http://www.bruxelles2.eu/defense-ue/defense-ue-droit-doctrine-politique/le-dernier-missile-de-bob-a-leurope-finie-la-dolce-vita-aux-frais-de-la-princesse-us.html

* 50 Concernant la coopération américano-japonaise, les activités de développement côté japonais concernent la coiffe et le moteur du 2 ème étage du missile. Les Japonais n'auraient obtenu qu'une faible participation sur les technologies DACS (amélioration des corrections de trajectoires) de même que sur les technologies de l'autodirecteur (QWIP : technologies émergentes pour un détecteur de rayonnement infrarouge dans le cadre d'applications d'imagerie rapide).

* 51 Les enjeux de la défense nationale antimissiles aux Etats-Unis - Sénat N° 417 - 1999-2000 - Xavier de Villepin, Sénateur, p. 46

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