B. PROMOUVOIR LES SCIENCES TOUT AU LONG DE L'ENSEIGNEMENT

Après ces deux propos préliminaires, attardons nous sur les différentes structures agissant au sein de l'école ou en dehors de celles-ci pour sensibiliser les jeunes aux méthodes scientifiques, aux innovations, et à la compréhension des risques qu'elles engendrent et qu'elles réduisent.

1. L'action de La Main à la Pâte dans l'enseignement primaire et les premières années de collège

La Main à la Pâte intervient dans les écoles primaires et depuis quatre ans en sixième et en cinquième pour inciter les élèves à s'intéresser aux questions scientifiques, tout en ayant la volonté d'intervenir en école maternelle.

Cette action a découlé de plusieurs constats : les sciences sont peu pratiquées à l'école primaire malgré les textes officiels ; 80% des instituteurs n'ont pas de formation initiale en sciences, et se sentent mal à l'aise pour les enseigner . Seuls 3 à 5 % des enseignants pratiquent les sciences, souvent de manière assez prescriptive, et peu vivante, comme l'a souligné en 1995 une enquête du ministère de l'Education nationale.

Ce triple constat a entraîné une mobilisation de l'école Polytechnique, de l'école des Mines et de plusieurs universités qui ont rejoint le programme défini par La Main à la Pâte, l'Académie des sciences et les deux écoles normales supérieures qui l'avaient lancé à l'initiative de M. Charpark, prix Nobel de physique.

Ces trois institutions mettent du personnel à la disposition de La Main à la Pâte qui répond par ailleurs à des appels à projets, notamment européens, ce qui lui permet d'embaucher des contractuels. Ces 25 personnes, représentant 19 équivalents temps pleins, s'appuient sur l'action de nombreux bénévoles et de salariés en régions, voire en quartiers d'éducation prioritaire, qui sont financés par les collectivités territoriales dans le cadre de conventions sur des projets de 3-4 ans.

A Nancy, par exemple, une convention a été signée avec le grand Nancy pour créer un centre pilote de ressources, permettant de former et d'accompagner des enseignants, d'avoir du matériel, de faire suivre les enseignants qui débutent par un enseignant plus expérimenté. L'université de Nancy, et notamment le Centre Hubert Curien, s'est également mobilisée.

Les intervenants dans les écoles ont une démarche précise : ils mettent en place des activités plus orientées vers le questionnement des élèves, et s'appuient sur l'expérimentation. Ils font élaborer par les élèves des hypothèses qui sont ensuite vérifiées au sein de groupes sur des sujets du quotidien : la croissance des plantes, la mesure de la vitesse du vent, les méthodes et la problématique de la construction d'un véhicule. Chaque enfant consigne ses expériences dans un cahier.

Leur objectif est de promouvoir une démarche d'investigation et de stimuler la créativité, la rigueur scientifique et l'esprit critique. Cette démarche d'investigation consiste à partir d'un problème exposé par un élève, à partir duquel les élèves élaborent des hypothèses qui sont testées par expérimentation. Les résultats de différents groupes sont confrontés. Cette approche est celle du chercheur. Elle peut du reste être utilisée dans plusieurs domaines, au-delà des sciences. Elle permet plus tard une meilleure compréhension des enjeux des sciences et des innovations, de leurs limites et de leurs forces.

L'Académie des sciences a insisté pour que cette action porte sur l'école primaire, car c'est le moment où l'enfant est le plus créatif, le plus curieux, le plus réceptif. C'est le moment où il est particulièrement important de développer le travail de groupe, le sens de l'argumentation et le sens critique et d'aborder des questions de société.

Cette préoccupation rejoint les travaux d'un groupe de l'OCDE, le CERI, sur l'association entre innovation technologique et innovation pédagogique. Dans une enquête internationale - Réflexe - qui a concerné 70 000 diplômés de l'enseignement supérieur ayant eu leur diplôme cinq ans auparavant , ce groupe a dressé une liste de compétences qui se distinguaient le plus par rapport à leur formation, mais qui étaient nécessaires à leur activité : l'aptitude à la coordination d'activités ou du travail des autres, l'esprit critique, la créativité, l'esprit alerte pour saisir de nouvelles opportunités, l'aptitude de présenter des idées en public, compétences qui ne peuvent pas vraiment résulter d'un enseignement transmissif.

Il y a plus de quinze ans, une expérience pilote a démarré avec 300 classes, puis 600, puis 5000. En l'an 2000, le ministère de l'éducation a voulu généraliser ce type d'approche et couvrir l'ensemble du territoire. Cette généralisation est inscrite dans les programmes de 2002, puis de 2008 et 2009. Elle est inscrite maintenant dans la loi dans le socle commun de connaissances et de compétences. Mais faute de moyens, seuls quelques pourcents des 350 000 classes primaires en France sont touchées actuellement.

Le coût consolidé de l'ensemble des opérations menées par La Main à la Pâte s'élève actuellement à un million d'euros.

Les actions mises en oeuvre dépassent les interventions dans les écoles. Elles comprennent l'identification des documents existants, mais aussi la publication de documents pédagogiques originaux et de DVD. Elles ont notamment été à l'origine d'une collection d'une dizaine de livres sur l'histoire des sciences, en montrant les controverses et les tâtonnements. Ces livres sont publiés sur Internet gratuitement et sont traduits.

Au-delà de ce travail de documentation et d'édition, La Main à la Pâte qui se veut un laboratoire d'idées, crée surtout un lien entre l'école et la communauté scientifique et ses laboratoires, qui n'existait pas auparavant.

La Main à la Pâte a plus de 200 modules d'activité. Elle travaille notamment sur les risques majeurs et les risques naturels, et sur les comportements à avoir face à ces risques. Elle touche ainsi 20 000 classes. Elle propose des séquences clé en main pour l'enseignant, d'une dizaine d'heures.

Elle travaille aussi sur le réchauffement climatique, sur les volcans, les tsunamis et sur les addictions à l'écran, en s'intéressant aux effets sur l'attention et la mémorisation, mais ne le fait pas encore sur les OGM et sur le génie génétique, ce qui est probablement un manque.

Dans l'un de ses programmes en école primaire, repris par le ministère de l'Education nationale, des étudiants en sciences ou des retraités viennent dans les classes sur une période de 7 ou 8 semaines. Il en découle une coopération entre l'enseignant et un scientifique, et au bout de quelques années une autonomie de l'enseignant. Cette expérience qui porte le nom d'ASTEP (Accompagnement sciences et technologies à l'école primaire) concerne 2000 classes.

Une expérience semblable est menée par des ingénieurs de Michelin qui interviennent régulièrement dans les classes pour leur montrer les défis à résoudre par l'industrie automobile. Des élèves ont ainsi été amenés à construire un prototype et à le tester sur les pistes de l'entreprise. Ils se sont posés les questions que se posent les ingénieurs de façon certes plus élaborée. Cela permet de démystifier les sciences et de les penser autrement.

La Main à la Pâte a également pour objectif de motiver les enseignants pour dépasser une simple transmission, par des expériences et des vérifications, pour développer rigueur scientifique et sens critique. C'est pourquoi elle s'intéresse à leur formation, tant initiale que continue. Elle déplore à ce titre la baisse des crédits consacrés à l'éducation continue y compris pour déplacer les enseignants, en s'appuyant sur un rapport de l'Académie des sciences de 2010 sur la formation continue en sciences et technologies dans le primaire et les collèges.

Elle préconise aussi de mettre en place des maisons pour la science et la technologie dans les régions puis dans les départements, en les plaçant au sein des universités. Ces maisons auraient pour objectif de faire de la formation continue des enseignants du primaire et du collège en sciences et mathématiques, de faire évoluer le contenu des apprentissages, et de travailler sur les zones d'éducation prioritaire qui ont le plus de besoins. Elle a déposé un projet en ce sens dans le cadre des investissements d'avenir.

Toutes les universités contactées ont répondu positivement. La Main à la Pâte les aide à créer des unités d'enseignement qui permettent aux étudiants impliqués de valoriser leur cursus en leur dispensant une formation adaptée. L'objectif est de toucher plus d'un quart des enseignants sur cinq ans en primaire et en collèges. Il s'inspire d'un programme anglais, les Science Learning Centers cofinancé par le gouvernement et des entreprises privées.

Les expériences européennes montrent que ce type d'activité change le rapport aux sciences : les élèves ont davantage confiance dans les sciences et les activités scientifiques.

Elle a des partenariats avec l'ADEME, ce qui permet de diffuser un module dans 20 000 classes sur deux ans, en présentant une séquence clé en main pour l'enseignant. Elle essaie de développer les rencontres « Graines de Science » entre scientifiques et enseignants qui ont eux aussi des peurs et des craintes. Ces rencontres qui se déroulent sur 4 à 5 jours, permettent de démystifier un certain nombre de questions.

Des rencontres avec les instituteurs, plus courtes et qui rassemblent souvent 350 personnes, ont permis d'atteindre plusieurs dizaines de milliers d'enseignants. Elles montrent souvent que la science est perçue comme inabordable, car elle est devenue trop difficile.

La Main à la Pâte est aujourd'hui confrontée à plusieurs types de questions :

- Peut-on aborder les sujets polémiques ? Le réchauffement climatique en est un exemple. La Main à la Pâte estime qu'elle peut fournir des données objectives sur 100 ans, mais qu'elle doit rester ancrée sur l'expérience. Elle aborde par contre les controverses historiques, comme celle sur les théories de la vision, qui font écho aux questions d'enfants.

- Faut-il développer le sens de la controverse ? Ce peut être intéressant, car il est très important de pouvoir relativiser ce que l'on lit ou ce que l'on voit à la télévision ou sur Internet et ce qu'on entend à la radio. Mais il faut trouver la manière d'intervenir tout en restant accessibles aux enfants.

- Faut-il apprendre le doute aux enfants ? En effet, ils vivent dans une société qui doute, dans une société où l'on dit : tout est relatif ; à chacun sa vérité.

L'académicien Yves Quéré, que nous avons entendu, a souligné que ce n'est pas toujours le cas. Il y a aussi des vérités objectives, comme la molécule. Il est pour lui préférable de ne pas immerger trop vite les enfants dans le doute scientifique. Il vaut mieux apprendre aux enfants à raisonner, à discuter ensemble, à faire des hypothèses, à faire travailler leur imagination en toute liberté, à être modeste et à être réactif face à des évènements tels que le tsunami.

- Faut-il aborder la question des rapports bénéfices-risques d'une technologie dès l'école primaire ? Pour La Main à la Pâte, il convient d'être plus modeste. Il s'agit d'apprendre à l'enfant à raisonner, à séparer les paramètres, à construire des hypothèses, à expérimenter avec leurs mains si on le peut. Il faut par contre rajouter au tryptique « lire, écrire, compter », le mot raisonner. Cela concerne tous les domaines.

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