B. UN SOUTIEN À L'ACTION DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Au-delà de leur fondement constitutionnel, le principe de contrôles de l'Etat sur les collectivités territoriales et leurs groupements est bien accepté et même, comme on l'a vu, réclamé des élus, qui apprécient leur rôle de soutien à leur action.

1. L'expertise de l'Etat mise au service des collectivités territoriales
a) Un facteur de sécurisation juridique
(1) Un filtre rassurant

Tout d'abord, les contrôles de l'Etat sur les collectivités territoriales et leurs groupements contribuent à une sécurisation de l'environnement juridique complexe et mouvant auquel sont confrontées les collectivités territoriales . Même s'ils n'ont pas vocation à constituer une certification de la validité de leurs actes, comme l'a rappelé Yannick Botrel, ces contrôles sont souvent qualifiés de rassurants par des élus qui ne maîtrisent pas nécessairement l'ensemble du corpus de règles auxquelles ils sont soumis. Jean-Luc Fichet a souligné cet aspect en délégation.

Ils leur permettent en effet de corriger d'éventuelles irrégularités de manière rapide et souple, suivant une logique qui doit donc relever plus du dialogue et du conseil que de la sanction. D'ailleurs, tant les contrôles de légalité et budgétaire que l'examen de la gestion n'ont d'aboutissement juridictionnel que dans un nombre limité de cas .

Dans le cadre du contrôle de légalité comme du contrôle budgétaire, le préfet dispose d'une marge de manoeuvre en matière de saisine du tribunal administratif ou de la chambre régionale des comptes. Sa responsabilité ne peut être engagée pour carence, on l'a vu, qu'en cas de faute lourde.

Aussi, lorsqu'une irrégularité est repérée dans le cadre du contrôle de légalité et signalée à la collectivité à titre gracieux, cette dernière peut la rectifier et éviter de ce fait une procédure contentieuse susceptible de conduire à une annulation juridictionnelle de l'acte qui interviendrait un certain temps après son édiction 17 ( * ) , avec les conséquences qu'une telle situation peut engendrer. L'expertise juridique apportée par les services préfectoraux expressément affectés à cet exercice est ainsi mise au service des collectivités.

Le pouvoir discrétionnaire du préfet en matière de contrôle de légalité

Garant des « intérêts nationaux » autant que « du contrôle administratif et du respect des lois » , le préfet n'est pas tenu de saisir le tribunal administratif lorsque ses services repèrent une illégalité, conformément à une jurisprudence constante (arrêt du Conseil d'Etat dit « Brasseur » du 25 janvier 1991). Il peut se désister de son action devant le tribunal administratif ( CE, 16 juin 1989, Préfet des Bouches-du-Rhône c/ Commune de Belcodène ), même s'il agit à la demande d'un administré ( CE, 6 décembre 1999, Aubettes ). Aussi, lorsqu'une illégalité est repérée par ses services, le préfet privilégie-t-il dans la majorité des cas la voie non contentieuse pour obtenir le retrait ou la réformation de l'acte en cause , qui peut prendre la forme d'une lettre d'observations mais aussi d'un simple échange téléphonique. Ainsi, en 2009, les déférés ne représentent que 2 % des actes ayant fait l'objet d'observations dans le cadre du contrôle de légalité.

Le préfet peut aussi décider de s'abstenir de toute démarche, considérant par exemple que l'irrégularité relevée est minime et ne mérite pas d'être soulevée, ou que l'intérêt général dicte une abstention de sa part sur un thème particulier, compte tenu d'autres enjeux présents à l'échelon local.

Comme le résume le rapport de M. de Legge sur le bilan de la révision générale des politiques publiques (RGPP) : « Pour les petites collectivités, le contrôle de légalité apparaît plus comme la validation de leurs actes que comme une atteinte aux libertés locales, dans un cadre juridique sans cesse plus complexe et face à la judiciarisation croissante de la vie publique 18 ( * ) . »

La directive nationale d'orientation adressée aux préfets pour la période 2010-2015 ne conçoit pas ces contrôles autrement, en affirmant que le contrôle de légalité « [...] garantit la primauté de l'intérêt général, assure la sécurité juridique des actes, et prévient de ce fait le contentieux et la judiciarisation excessive 19 ( * ) ».

Même lorsqu'une saisine du tribunal administratif est jugée nécessaire, le préfet est tenu d'en prévenir l'ordonnateur de la collectivité 20 ( * ) . La circulaire sur la modernisation du contrôle de légalité du 17 janvier 2006 fait, quant à elle, remonter le dialogue encore plus en amont, puisqu'elle recommande aux préfets « d'informer par un entretien personnalisé l'autorité locale compétente avant l'envoi d'une lettre d'observations 21 ( * ) ». Ces encouragements au dialogue avec les collectivités témoignent du rôle dévolu à ces contrôles en matière de soutien à leur action.

Dans le cadre du contrôle budgétaire, le préfet peut encourager la collectivité à rendre son budget conforme aux exigences posées par la loi avant toute saisine de la CRTC 22 ( * ) . Il lui permet ainsi, dans le cas d'un budget primitif non transmis dans les délais, d'éviter un dessaisissement de ses pouvoirs budgétaires 23 ( * ) . Cette procédure peut également permettre à la collectivité, en cas de déséquilibre du budget primitif, d'anticiper les mesures correctrices rendues nécessaires par cette situation.

(2) Un point d'entrée sur les problématiques de la gestion locale

L'intérêt des contrôles réside également en ce qu'ils permettent une remontée des difficultés d'application du droit au niveau de l'un de ses producteurs, le Gouvernement . Dans le cadre de l'examen de la gestion par exemple, les CRTC sont invitées à communiquer ces difficultés à la Cour des comptes, qui peut les transmettre aux administrations concernées afin qu'une clarification ou une simplification du droit puisse être opérée et que le contexte dans lequel évolue les collectivités territoriales soit amélioré 24 ( * ) .

b) Un appui à la gestion des finances locales

Le souci d'accompagner les collectivités dans la gestion de leurs ressources a été renforcé par l'augmentation continue depuis 1982 de leurs budgets, en partie due aux transferts de compétence de l'Etat. En 2010, les dépenses totales de ces dernières s'élevaient à 212,6 milliards d'euros 25 ( * ) , dont 64 consacrés à l'investissement.

Mais dans ce domaine-là également, il convient de sortir de l'« ère du soupçon » à l'égard des collectivités territoriales. Contraintes par des règles budgétaires bien plus strictes que celles qui s'appliquent à l'Etat, notamment en matière d'équilibre budgétaire, elles apparaissent en définitive beaucoup plus vertueuses en matière de gestion des finances publiques.

(1) Le contrôle budgétaire et le respect des règles applicables aux finances locales

Ayant pour objectif le respect de ces règles spécifiques, le contrôle budgétaire a été conçu comme un outil d'aide à la gestion. Comme le précise la directive nationale d'orientation adressée aux préfets pour la période 2010-2015, il « [...] constitue un instrument de prévention du risque financier local 26 ( * ) ». Il vise en effet à repérer quatre types d'irrégularités bien définies : l'absence de vote du budget dans les délais impartis (budget primitif et compte administratif), le vote du budget en déséquilibre, le déséquilibre du compte administratif, et la non-inscription de dépenses obligatoires dans des délais relativement courts, rendant possible leur rectification avant que leurs conséquences ne deviennent irrémédiables.

La formulation de recommandations par le préfet ou par la CRTC peut aider les collectivités à s'approprier les normes régissant leur comptabilité, par exemple à l'occasion de l'appréciation de la sincérité budgétaire qu'exige le contrôle de l'équilibre des comptes. Elle facilite également l'adoption par la collectivité de mesures réputées impopulaires mais parfois indispensables, telles que la réduction de certaines dépenses ou l'augmentation des ressources, fiscales notamment.

Le contrôle de légalité participe aussi à cet objectif d'aide à la gestion, en garantissant, par exemple, le respect des exigences de mise en concurrence en matière de marchés publics. Enfin, en réduisant les risques de condamnation juridictionnelle des collectivités et d'engagement de leur responsabilité, il peut constituer une source d'économies non négligeable pour la collectivité.

(2) L'examen de la gestion, une procédure conçue comme un « outil d'aide à la bonne gestion27 ( * ) »

L'examen de la gestion, comme tous les autres contrôles de l'Etat, ne saurait, on l'a vu, consister en un contrôle d'opportunité. Pour autant, il a pour but de mettre au jour les éventuelles incohérences de gestion d'une collectivité et d'identifier d'éventuelles sources d'économies, qui ne résultent pas nécessairement d'une mauvaise application du droit mais, par exemple, d'un manque d'expertise dans certains domaines.

L'analyse des dotations d'une collectivité à des tiers (associations ou sociétés d'économie mixte locales par exemple) peut ainsi contribuer à renforcer la surveillance de la collectivité sur l'emploi de ces dernières et la conduire à réaliser de ce fait des économies. Il est également arrivé que les surcoûts liés au transfert de compétences de l'Etat aux collectivités territoriales soient mis au jour à l'occasion d'un examen de la gestion, ce qui témoigne de son caractère de soutien à leur action.

Ce rôle d'expertise publique, extérieure à la collectivité, semble d'autant plus important pour les collectivités, même les plus grandes d'entre elles, qu'elles sont de plus en plus amenées à déléguer leurs missions. Elles sont de fait confrontées au problème du « principal-agent » : lorsqu'une collectivité confie une mission à un agent extérieur, elle est souvent largement dépendante de ce dernier pour obtenir des informations sur les conditions dans lesquelles peut se dérouler cette mission. Dans ce cadre, un prestataire privé aura tendance à majorer les coûts de telle délégation de service public, une banque privée aura tendance à minimiser les risques de tel emprunt financier... Les événements récents intervenus en la matière sont représentatifs de ce problème. A notre sens, des gisements d'économie considérables résident dans une meilleure régulation des relations entre les collectivités et les différents organismes avec qui elles travaillent.

Dans ce cadre, la plus-value d'une expertise publique, réalisée par l'Etat qui a la possibilité de comparer les différentes situations qu'il rencontre sur les territoires, est évidente. C'est d'ailleurs le sens des enquêtes interjuridictionnelles menées conjointement par la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes 28 ( * ) , qui donnent lieu à des rapports publics thématiques , comme celui de septembre 2011 sur Les collectivités territoriales et la gestion des déchets ménagers .

L'annonce récente de la création d'une formation commune Cour des comptes - CRTC chargée d'analyser les conséquences des réformes récentes et des évolutions ayant trait aux finances locales répond au même objectif.

Une nouvelle formation Cour des comptes - CRTC consacrée aux finances locales

Annoncée au début du mois d'octobre 2011 en réponse aux préoccupations croissantes des collectivités territoriales au sujet de leur financement, cette nouvelle formation se compose de membres de la Cour des comptes et des CRTC. Elle devrait notamment traiter des défis que constituent la suppression de la taxe professionnelle, la réduction du pouvoir fiscal des collectivités, l'application de la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, le gel des dotations de l'Etat, l'apparition de nouvelles formes de péréquation, ou encore les problèmes d'accès aux financements 29 ( * ) .

Ses conclusions seront insérées dans une nouvelle catégorie de rapports publics thématiques, à paraître à l'horizon 2013.

Le fait que l'examen de la gestion n'est en théorie assorti d'aucune sanction juridictionnelle 30 ( * ) démontre qu'il est bel et bien destiné à constituer un outil d'aide à la gestion, visant à promouvoir des bonnes pratiques qui ne prennent pas nécessairement la forme de normes législatives ou réglementaires. Cette caractéristique est confirmée par la possibilité offerte à l'ordonnateur d'une collectivité de proposer un examen de la gestion de cette dernière 31 ( * ) , alors que la procédure est menée de manière générale à l'initiative de la CRTC.

Enfin, les renforcements successifs du contradictoire participent de la même volonté de placer le dialogue au coeur de la procédure relative à l'examen de la gestion. Répondent ainsi à cette dernière la mise en place d'un entretien préalable avec l'ordonnateur de la collectivité 32 ( * ) imposé avant toute formulation d'observations par la CRTC ainsi que les possibilités de réponse écrite ou de demande de rectification d'observations définitives offertes à l'ordonnateur 33 ( * ) .

La raison d'être de ce contrôle réside donc bien, à l'origine, dans le souci de mettre l'expertise des CRTC à la disposition des collectivités . Cela était d'autant plus vrai que le dirigeant de la collectivité était initialement le seul destinataire des observations de la chambre, avant l'instauration des mesures de publicité de ces dernières par la loi n° 90-55 du 15 janvier 1990, dont le principe n'est évidemment pas remis en cause ici, compte tenu de leur rôle en matière d'information des citoyens.

De manière générale, l'ensemble des contrôles réalisés par les CRTC sont donc perçus de manière positive par les élus, comme l'a rappelé notre collègue Jean-Pierre Michel en séance, le 18 octobre 2011 : « Un certain nombre d'entre nous sont maires, présidents de conseil général ou de conseil régional, et ont - c'est mon cas - fait l'expérience de ces contrôles des chambres régionales des comptes. Qu'en ont-ils tiré ? Que du bien ! Ces contrôles sont en effet l'occasion de discussions, les magistrats fournissant un certain nombre d'indications sur ce qu'il ne faut pas faire, ce qu'il ne faut plus faire ou sur ce qu'il faut mieux faire, ce qui est très utile aux élus locaux . » Ce constat le conduit à juger indispensable, « dans l'intérêt même des élus, y compris ceux des petites communes ou des petites collectivités territoriales, que les cours régionales des comptes puissent vérifier de loin en loin leurs comptes 34 ( * ) . »


* 17 Compte tenu des délais actuels de jugement de la justice administrative.

* 18 « La RGPP : un défi pour les collectivités territoriales et les territoires », rapport d'information n° 566 de M. Dominique de Legge (Sénat, 2010-2011), p. 114.

* 19 Directive nationale d'orientation des préfectures 2010-2015, p. 44.

* 20 Articles L. 2131-6, L. 3132-1 et L. 4142-1 du CGCT.

* 21 Circulaire sur la modernisation du contrôle de légalité du 17 janvier 2006, p. 2.

* 22 En outre, lorsque la CRTC est appelée à remettre un avis, ce dernier reste de nature administrative et le préfet peut s'en écarter à condition de motiver son choix.

* 23 L'article L. 1612-2 du CGCT disposant qu' « à compter de la saisine de la chambre régionale des comptes et jusqu'au règlement du budget par le représentant de l'Etat, l'organe délibérant ne peut adopter de délibération sur le budget de l'exercice en cours » .

* 24 Article R. 241-24 du CJF.

* 25 Hors gestion active de la dette. Source : Rapport de l'observatoire des finances locales 2011.

* 26 Directive nationale d'orientation des préfectures 2010-2015, p. 44.

* 27 Expression de M. Jacques Oudin, issue de son rapport d'information intitulé « Chambres régionales des comptes et élus locaux : un dialogue indispensable au service de la démocratie locale », rapport d'information n° 520 (Sénat, 1997-1998).

* 28 En vertu de l'article L. 111-9-1 du CJF.

* 29 Communiqué de presse de la Cour des comptes du 10 octobre 2011.

* 30 En revanche, en cas de découverte de faits de nature à motiver l'ouverture d'une action pénale, le ministère public informe le procureur de la République et le procureur général près la Cour des comptes qui avise le garde des sceaux.

* 31 Depuis la loi n° 92-125 du 6 février 1992. Le préfet dispose de la même possibilité.

* 32 Lois n° 88-13 du 5 janvier 1988 et n° 92-125 du 6 février 1992.

* 33 Lois n° 88-13 du 5 janvier 1988 et n° 2001-1248 du 21 décembre 2001.

* 34 Intervention de Jean-Pierre Michel au Sénat lors de la séance du 18 octobre 2011.

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