E. LA NOUVELLE GOUVERNANCE : UN BILAN MITIGÉ

1. Un conseil d'administration renforcé par la réforme

Les articles 10 à 12 de la loi du 5 mars 2009 n'ont pas fondamentalement modifié la composition du conseil d'administration des groupes France Télévisions, Radio France, et de la société de l'audiovisuel extérieur de la France.

Ils tirent néanmoins les conséquences de la réforme avec :

- l'ajout d'un membre (portant à quinze le nombre de personnes) : le président nommé par décret du président de la République (article 13). Cette mesure est commentée ci-après ;

- la constitution d'un conseil d'administration unique pour France Télévisions et l'AEF, en lieu et place des conseils préexistants de chaque chaîne et de la holding. Cette disposition a des effets majeurs en termes d'organisation. L'ensemble des personnes auditionnées ont estimé que cette simplification de la gouvernance avait des vertus en termes d'efficacité et de transparence.

Par ailleurs, il est précisé que les cinq personnalités nommées par le CSA, sont indépendantes .

Comme le notait le contrôleur général économique et financier dans son rapport annuel 2011 sur l'audiovisuel public, si l'unicité du conseil d'administration simplifie la gouvernance du groupe, il y a un risque certain que l'information transmise aux instances de gouvernance de l'entreprise soit plus succincte et plus difficile à analyser. La Mission constatait ainsi une déperdition de l'information financière du fait d'une présentation budgétaire avec des dépenses très agrégées.

Selon les informations recueillies par vos rapporteurs, des améliorations importantes ont été apportées par le groupe afin de répondre à ce risque :

- le calendrier et les ordres du jour du conseil et des comités sont fixés et communiqués suffisamment en amont ;

- le règlement du conseil d'administration prévoit désormais une clause selon laquelle « tout administrateur est tenu d'informer le président ainsi que, le cas échéant, l'instance qui l'a désigné de toute situation le concernant susceptible de créer un conflit d'intérêts avec la société ou de nuire aux intérêts de celle-ci. L'administrateur s'abstient alors de prendre part à tout vote sur la question donnant lieu à conflit d'intérêts ». L'effectivité de cette clause sera, selon France Télévisions, examinée dans le cadre d'une autoévaluation du conseil d'administration et de ses services spécialisés ;

- selon la Cour des comptes 59 ( * ) , les contrats les plus importants sont désormais examinés soit par le conseil en formation plénière, soit par le « sous-comité des engagements », composé de trois administrateurs. Des seuils ont été fixés en février 2010 selon la nature des contrats concernés : le sous-comité examine les contrats de programmes dits de stock et de flux supérieurs à 10 millions d'euros, ainsi que les contrats de sports supérieurs à 15 millions d'euros. Le conseil d'administration délibère en formation plénière sur les autres engagements lorsqu'ils dépassent 10 millions d'euros ;

- les documents sont transmis dans des délais qui permettent un examen détaillé par les administrateurs ;

- une data room (salle permettant la consultation des informations) est en cours de mise en place ;

- les comités et sous-comité spécialisés fournissent un travail de préparation appréciable dans l'examen notamment du budget, des comptes, des questions de rémunération ou des contrats les plus importants en matière de programmes ;

- les échanges en conseil sont détaillés et ouverts ;

- les demandes des administrateurs sont en général bien accueillies et suivies d'effet ;

- et les procès-verbaux sont de bonne qualité.

Afin de parfaire cette gouvernance, de récentes améliorations ont été apportées au règlement intérieur du conseil d'administration, lors du conseil d'administration du 5 janvier 2012. Ces modifications, qui reprennent des préconisations émises par le contrôle économique et financier, concernent notamment la pérennisation du dispositif de sous-comité des engagements (qui est un sous-comité du comité stratégique) et surtout la modification des conditions d'approbation des baux (tous les baux supérieurs à 10 millions d'euros devront être approuvés par le conseil d'administration), ce qui permettra un meilleur contrôle du conseil d'administration sur la politique immobilière de l'entreprise.

Vos rapporteurs estiment à cet égard que la mise en place de l'entreprise unique a été un réel encouragement à améliorer la gouvernance avec un conseil d'administration unique et mieux informé.

Cette organisation est aussi favorable à l'amélioration du travail de la tutelle dans la mesure où les administrations qui l'assurent et qui sont représentées au conseil d'administration bénéficient d'un traitement spécifique : pour elles, chaque réunion du Conseil donne lieu à deux réunions préparatoires, l'une consacrée à la gestion, l'autre aux contenus, qui sont l'occasion d'une information renforcée sur les points d'intérêt particulier.

Notons néanmoins que certaines personnes auditionnées considèrent que les personnalités « indépendantes » désignées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel ne répondent pas suffisamment à ces critères et apparaissent comme des représentants naturels d'intérêts particuliers du secteur.

2. A propos du mode de nomination des présidents de l'audiovisuel public
a) Des capitaines soupçonnés de partialité

La nomination des présidents de l'audiovisuel public par le Président de la République a été l'un des aspects centraux de la discussion parlementaire.

L'article 13 de la loi du 5 mars 2009 modifie ainsi le premier alinéa de l'article 47-5 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée afin de prévoir que le mandat des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France peut leur être retiré par décret motivé, après avis conforme, également motivé, du Conseil supérieur de l'audiovisuel, émis à la majorité des membres le composant, et avis public des commissions parlementaires compétentes.

Il est donc substitué à une nomination par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, une nomination par le Président de la République avec confirmation par le CSA et le Parlement.

L'article unique de la loi organique n° 2009-257 du 5 mars 2009 relative à la nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France prévoit les modalités de cet avis public des commissions parlementaires : il est donné dans le cadre de la procédure prévue au cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution. Cet avis est conforme et la nomination peut être rejetée à une majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés.

Dans chaque assemblée parlementaire, la commission permanente compétente se prononce après avoir entendu publiquement la personnalité dont la nomination lui est proposée. La nomination intervient après la publication au Journal officiel de l'avis des commissions parlementaires.

Les rapporteurs du texte au Sénat se félicitaient de l'association du Parlement à une telle décision, estimant qu'il s'agissait d'une mesure à la fois pertinente et novatrice (première application de l'article 13 de la Constitution tel que modifié par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008). Ils résumaient ainsi la procédure de nomination, « mettant en oeuvre le triangle institutionnel suivant :

- le Président de la République devra choisir une personnalité qui disposera non seulement des compétences et de l'indépendance voulues mais qui aura également formulé un projet clair et ambitieux pour le service public ;

- le CSA disposera d'un véritable pouvoir de codécision, puisqu'il pourra refuser la proposition du Président de la République. Si la personnalité pressentie ne lui paraît pas présenter les compétences ou les garanties d'indépendance nécessaires ou si son projet ne lui paraît pas suffisamment solide, il pourra bloquer définitivement la nomination ;

- les commissions des affaires culturelles disposeront enfin d'un véritable pouvoir de veto, qui pourra être opposé à la majorité des trois cinquièmes et qui s'exercera après audition publique.

Aux yeux de vos rapporteurs, l'indépendance du président des sociétés nationales de programme sera ainsi pleinement garantie : l'intervention du pouvoir législatif et d'une autorité administrative indépendante garantira tout à la fois la formulation d'un choix politique clair et responsable et l'intervention d'une autorité administrative indépendante garante des droits et libertés » .

Vos rapporteurs souhaitent souligner que l'intervention du Parlement constitue une innovation dont l'intérêt a été reconnu par l'ensemble des interlocuteurs auditionnés .

Les débats sur la loi, comme sur son application, se sont cristallisés sur l'intervention du Président de la République.

Force est de reconnaître que la justification de ce choix opéré par le projet de loi initial était assez lapidaire. Ainsi, Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication, déclarait que « l'État assume ses responsabilités, le CSA contrôle et le Parlement se prononce » et « le mode de nomination tel qu'il est prévu par le projet de loi organique représente une prise de responsabilité de la part de l'État actionnaire et s'inscrit dans le droit-fil d'une logique selon laquelle celui-ci fixe des missions et garantit des ressources, dans le contexte d'une vaste offre audiovisuelle » 60 ( * ) .

L'idée était ainsi de mettre fin à l'hypocrisie sur une hypothétique non-intervention du politique dans le choix des présidents de l'audiovisuel public.

Ce choix était fortement contesté par l'opposition. Votre rapporteur, M. David Assouline , contestait ainsi très fortement le renforcement du lien de l'audiovisuel public avec l'exécutif, considérant qu'il s'agissait d'une mesure contraire à l'indépendance des médias, nécessité de nos démocraties contemporaines : il craignait ainsi que des pressions continues soient exercées et que l'audiovisuel public ne soit ainsi plus que le relais de consignes élyséennes.

Au final, vos rapporteurs peuvent s'accorder sur le fait que ni les avantages avancés, ni les craintes exprimées ne se sont réalisés.

Votre rapporteur, M. David Assouline, considère cependant que la conséquence de ce nouveau mode de nomination a été plus pernicieuse :

- l'audiovisuel public s'est plutôt révélé indépendant, notamment du fait de la tradition journalistique et éthique forte des rédactions de France Télévisions et de Radio France ;

- le Président de la République s'est de facto vu contraint dans ses nominations, non pas en raison des procédures mises en place, mais du fait de la pression de l'opinion publique. L'affaire de l'éventuelle désignation d'Alexandre Bompard à la tête du groupe en est une illustration frappante ;

- en revanche, de très nombreuses décisions prises par les présidents ont été marquées du sceau de la suspicion . Les personnes auditionnées ont ainsi évoqué « la marque du péché originel de la nomination », « un climat de suspicion mauvais pour la bonne marche de l'entreprise », « l'ombre du doute pesant sur chaque choix du président ». Des décisions, qui ont pu avoir pour cause des choix éditoriaux ou causés par des mésententes personnelles (l'éviction de M. Stéphane Guillon par M. Jean-Luc Hees, par exemple) ont ainsi été analysées comme émanant du politique. Le fait que les pressions aient ou non exercées ne sont en fait guère importantes dès lors que l'opinion publique soupçonne ou craint l'existence de tels agissements. Votre rapporteur, M. David Assouline, considère qu'un tel climat est extrêmement préjudiciable à la bonne marche de l'entreprise, conditionnée par la légitimité de son président et des décisions qu'il prend.

Votre rapporteur, M. Jacques Legendre, considère quant à lui :

- qu'il n'est pas anormal que le chef de l'État propose la nomination des présidents de groupes dont il est l'actionnaire unique. Il a, pour ce faire, la légitimité de son élection, une telle légitimité étant toujours supérieure à celle d'une autorité administrative désignée . Cette capacité à proposer doit s'accompagner du pouvoir donné au Parlement d'entériner la proposition ;

- que ce mode de gouvernance a permis la nomination de personnes à la compétence et à l'indépendance incontestées ;

- et que la suspicion pèsera en tous les cas sur les présidents de l'audiovisuel public, au vu de la nature des liens, par nature ambivalents, que ces groupes entretiennent avec l'État actionnaire.

b) Les contrats d'objectifs et de moyens et les présidents de l'audiovisuel public

L'article 28 de la loi du 5 mars 2009 a modifié l'article 53 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée afin de prévoir qu'un nouveau COM puisse être conclu après la nomination d'un nouveau président .

Selon les promoteurs de cette disposition, il s'agissait d'une avancée majeure. Ainsi, dans son avant-propos au rapport de M. Christian Kert sur la loi du 5 mars 2009, M. Jean-François Copé indiquait-il que « la concomitance de la durée du mandat des présidents des sociétés de l'audiovisuel public et du contrat d'objectifs et de moyens est la condition d'une relation claire et lisible avec la tutelle.

Dans un souci de bonne gestion, il est important qu'une entreprise publique établisse une relation claire et lisible avec sont autorité de tutelle, la concomitance de la durée du mandat présidentiel et de celle du contrat d'objectifs et de moyens (COM) était une proposition essentielle de la Commission pour la nouvelle télévision publique.

L'absence de coïncidence entre ces deux durées engendre en effet des situations kafkaïennes d'illisibilité totale. Je peux en témoigner, ayant été amené, en tant que ministre du budget, à négocier des COM. Un véritable projet d'entreprise suppose un COM de même durée que le mandat présidentiel. Cela seul permettra d'avoir une vision d'entreprise, des relations claires avec la tutelle et une prise en compte réelle de l'État actionnaire. Aujourd'hui, la relation avec la tutelle est faussée parce que personne ne sait précisément ce qu'il y a à faire. Le président de France Télévisions n'a pas de feuille de route suffisamment claire lui permettant de rendre compte à la tutelle et au Parlement.

L'alignement de la durée du mandat du président et de la durée du COM est une disposition fondamentale de la réforme. L'erreur capitale de la non-corrélation explique d'ailleurs beaucoup de choses : à l'avenir, celui qui aura négocié le contrat sera celui qui rendra des comptes ».

Dans la pratique :

- le nouveau COM de Radio France a été signé en juillet 2010, soit plus d'un an après la nomination de M. Jean-Luc Hees, à la présidence du groupe ;

- alors que le mandat de M. Patrick de Carolis devait expirer pendant l'été 2010, l'avenant au COM 2007-2010 signé après la réforme du 5 mars 2009, portait sur la période 2009-2012 ! La commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat n'avait pas manqué de critiquer cette pratique manifestement contraire à l'esprit de la loi ;

- le nouveau COM de France Télévisions, finalement signé après l'arrivée de Rémy Pflimlin, a été conclu près d'un an après la nomination du président ;

- enfin le COM de l'audiovisuel extérieur de la France n'a pas encore été conclu trois ans après la loi.

Afin de remédier à cette situation, le Sénat avait souhaité renforcer la disposition législative en prévoyant qu'un nouveau contrat soit conclu de droit après la nomination d'un nouveau président, si ce dernier en faisait la demande (article 166 du projet de loi de finances pour 2011).

Cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2010-622 DC du 28 décembre 2010, au motif qu'elle constituait un cavalier budgétaire.


* 59 Rapport public 2012.

* 60 Sénat, séance du 8 janvier 2009.

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